.componentheading, .contentheading, div.module h3, div.module_menu h3, div.module_text h3, h2, a.contentpagetitle { font-family:Nobile;} #top_outer { border:none;}
Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
Lire la suite... |
Questions crucialesLettre N° 37 - 3ème trimestre 1992
PRIX ET BOURSE D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE. PRIX ET BOURSE D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE. Comme en 1990, notre assemblée générale s’est tenue au Palais du Luxembourg. A l’issue de l’assemblée, en présence de Monsieur Jean Chamant, Vice-Président du Sénat, nos prix ont été attribués pour la deuxième fois, tandis que, pour la première fois, une bourse était remise à l’auteur d’un manuel de biologie. Ce numéro contient la présentation des lauréats, le rapport moral de Monsieur Maurice Boudot et les décisions adoptées par l’assemblée, dont celle de reconduire le concours pour les prix et celui pour une bourse à l’auteur d’un manuel scolaire. Dans notre prochain numéro, nous publierons les interventions de Monsieur Jean Chamant, ainsi que celles de nos deux invités, le Professeur Czartoryski sur la situation de l’enseignement en Pologne et Monsieur Alfred Fernandez, directeur de l’O.I.D.E.L., sur l’évolution en faveur de la liberté de choix des parents dans différents pays. Qu’il me soit d’abord permis d’adresser mes vifs remerciements à la Présidence du Sénat qui veut bien nous accueillir à nouveau, comme pour notre première remise de Prix, dans ce magnifique palais tellement chargé d’histoire, asile naturel de tous ceux qui défendent les libertés. Nous sommes tous extrêmement sensibles à l’honneur qui nous est ainsi fait. Depuis notre précédente rencontre, ici même en juin 1990, que d’événements ont ébranlé le monde. Souvenez-vous : pour sanctionner une agression au Moyen-Orient, on organise une riposte sous les auspices des organisations internationales et, après le succès de cette entreprise (au début de 1991), on parle comme d’un fait acquis de l’instauration d’un nouvel ordre mondial. L’été 1991 est marqué par l’éclatement de l’U.R.S.S. et le reniement du communisme d’Etat. Enfin, de façon quasi simultanée, un conflit armé éclate sur notre continent et dégénère en une guerre particulièrement barbare dans diverses parties de ce qui fut la Yougoslavie. Vous me direz que je n’ai pas à parler de toutes ces données qui ne concernent pas la liberté d’enseignement dans notre pays, si ce n’est de façon très indirecte par le fait que les éditeurs de livres scolaires qui traitent d’histoire contemporaine sont dans l’obligation de changer en catastrophe quelques feuillets et qu’une portion notable du corps enseignant doit constater la faillite d’une idéologie qui lui était chère (le marxisme et tous ses produits de substitution). C’est à voir. Je redoute, en effet, qu’on ne tire pas les leçons des événements que nous avons vécus, que les institutions éducatives continuent à être régies par les mêmes principes (centralisation excessive, volonté de nivellement, interventionnisme étatiste) que par le passé alors que ces principes appliqués sur le plan général viennent de prouver leur nocivité. La révolution, fût-elle de velours, ne semble pas en France être pour demain en ce qui concerne le système de l’éducation. En règle générale, notre pays n’a été que très modérément affecté par les transformations qui se déroulaient hors de ses frontières. Mais pour tout ce qui concerne l’enseignement on constate une prodigieuse inertie alors qu’on nous parle sans cesse de rénovation. Au terme de deux années, presque rien n’a changé : on retrouve les mêmes problèmes irritants auxquels on apporte les mêmes solutions très imparfaites. On notera juste qu’il y a un nouveau titulaire du ministère. On m’objectera de noircir le tableau, car il y a eu malgré tout cet accord signé au mois de juin entre le secrétaire général de l’Enseignement catholique et le nouveau ministre de l’éducation, accord qu’on nous invite à considérer comme "historique". Mais en réalité cet accord n’est qu’un compromis très imparfait entre les demandes légitimes de l’enseignement privé et ce qu’est disposé à concéder l’Etat. Au prix de quelques améliorations de la situation de certaines catégories du privé, mais également d’une remise des dettes de l’Etat, la situation est en quelque sorte gelée sans que soit vraiment pleinement assurée la parité public-privé, ni résolus les deux problèmes fondamentaux : l’ouverture des classes en fonction des demandes effectives des familles et la participation des collectivités territoriales aux investissements immobiliers. De plus, il est manifeste que l’inquiétude est grande chez les défenseurs de la liberté d’enseignement en ce qui concerne les conditions dans lesquelles cet accord sera appliqué. J’ai dit avant les vacances ce qu’il fallait penser de cette situation, mais la décision est maintenant derrière nous et il n’y a pas lieu d’entretenir ce débat. Résumons-nous : sur ces questions, la situation n’a pratiquement pas évolué depuis 1985, malgré quelques escarmouches. On a beau traquer l’événement comme on est contraint de le faire lorsque l’on essaie d’établir un bilan quasi trimestriel, il n’y a rien de très notable à signaler, si ce n’est cette lente dégradation qui résulte, pour l’essentiel, des pesanteurs induites par la très nette aggravation de la situation de l’enseignement public. Que l’éducation nationale fonctionne mal, qu’elle subisse une très grave crise du recrutement des enseignants, que sa productivité soit alarmante, qu’elle multiplie les élèves en situation d’échec scolaire, nous l’avons dit à maintes reprises et tout le monde le sait. Mais il faut bien voir que ce n’est pas seulement de qualité qu’il s’agit, mais aussi de respect de la neutralité et de liberté. Nous avons déjà attiré l’attention sur des manuels scolaires souvent biaisés (en histoire ou en instruction civique, mais pas seulement là) ou les tâches intempestives scandaleusement confiées à l’école à l’occasion du débat qui vient de diviser l’électorat français. Or la première des libertés des citoyens c’est de disposer d’un enseignement public neutre sur les problèmes qui concernent la conscience de chacun : c’est de moins en moins bien assuré. Par ailleurs, la liberté est-elle garantie quand la sectorisation est étendue, quand on retarde certains élèves pour que tous aillent au même rythme, quand on impose à tous des classes hétérogènes, en réduisant au minimum la part de diversification qu’apportent les filières distinctes ? Y a-t-il enfin liberté lorsque le désordre et la violence règnent dans un certain nombre d’établissements scolaires ? Mais, là également, même si sous certains aspects des seuils sont franchis, notamment pour la violence - aujourd’hui l’enseignement est un métier dangereux ! -, il n’y a rien de très nouveau. Tout découle des principes sur lesquels repose la loi d’orientation qui reprend le plan Langevin-Wallon, loi que fit voter Monsieur Jospin en 1989, et qui est mise progressivement en application. L’unification de la formation des enseignants (de l’école primaire jusqu’aux universités), par la mise en place des I.U.F.M. et la réforme des premiers cycles universitaires devaient en être le couronnement. On sait que ces dernières dispositions se heurtent à une forte opposition du corps enseignant qui voit l’absurdité des conséquences des principes qu’ils avaient assez largement approuvés par inclination politique... Bien entendu, attendre de ceux qui nous gouvernent qu’ils confessent leurs erreurs, changent radicalement de principes, c’est illusoire. Dans ces conditions, tout ce que nous pouvions faire c’était nous joindre au chœur des protestations et, inlassablement, quitte à être fastidieux, montrer d’où viennent les difficultés, ou lutter contre les imperfections d’une information médiatique qui trop souvent sur ces questions confine à la désinformation. Mais on ne pouvait en ce domaine attendre de notre part actions d’éclat ni miracles. Aussi, je me félicite que nous ayons décidé de renouveler le concours pour l’attribution des prix, attribués par le même jury ; je remercie Monsieur Cazeneuve de bien avoir voulu assurer à nouveau sa présidence. Ce concours est une façon importante d’attirer l’attention sur un problème que notre société découragée feint d’oublier. L’effervescence des années 1981-84 est peut-être retombée, et la production abondante qu’elle avait suscitée. Mais il y a des livres nouveaux dignes d’être couronnés. D’ailleurs, certains prouvent qu’il y a encore des vocations d’enseignant qui apportent l’épanouissement. Je crois que les candidatures reçues, et le palmarès qui va être rendu public montrent qu’il y aura intérêt à renouveler l’entreprise en essayant de respecter un rythme biennal. Une initiative nouvelle réside dans l’attribution d’une bourse à l’auteur d’un manuel de biologie qui traite les programmes officiels tout en respectant les consciences et le choix des familles. Bien entendu, c’est le sentiment largement répandu que, dans cette discipline, l’énorme majorité des ouvrages, sous couvert d’informer, inclinent les jeunes esprits vers des attitudes éthiquement discutables selon beaucoup de parents, qui motive notre entreprise. Nous avons essayé de susciter la publication d’un livre différent qui respecte l’objectivité sans choquer personne ; bien sûr il ne s’agit pas d’opposer idéologie à idéologie. Nous verrons comment le jury scientifiquement, pédagogiquement et moralement incontestable, qu’a présidé le Recteur Magnin, a résolu le problème. Sans prendre d’engagement strict, l’expérience nous semble digne d’être renouvelée, soit avec un autre manuel dans la même discipline mais destiné à un autre niveau, soit dans une autre discipline. En tout état de cause, il s’agira d’ouvrir de nouvelles possibilités de choix à ceux qui participent à l’entreprise d’instruction, la diversité des instruments dont ils disposent étant une condition de la liberté. Quand et sous quelle forme exacte sera renouvelée l’entreprise ? Je crois qu’il faut attendre la publication de ce premier ouvrage et le résultat de sa diffusion pour en décider valablement. Aussi, je souhaite qu’on en reste aujourd’hui à une simple décision de principe. Enfin, nous avons multiplié nos relations avec les associations de province. Ce matin même, nous avons suscité une réunion avec un certain nombre de leurs responsables. Ces rapports, ces échanges d’informations et d’opinions sont d’autant plus importants que l’essentiel après l’accord du 13 juin devrait se jouer sur le terrain. Aussi, nous les développerons. Depuis 1989, nous adhérons à l’O.I.D.E.L, organisation qui regroupe diverses associations analogues à la nôtre, avec les mêmes objectifs. L’O.I.D.E.L. nous permet de disposer d’une documentation extrêmement précise sur les engagements internationaux en faveur de la liberté de l’enseignement. Elle nous aide à confronter l’expérience de notre pays avec d’autres expériences. A la fin de 1990 un colloque nous a fait saisir comment se posait le problème de la liberté d’enseignement dans les pays qui accédaient à la démocratie. Nous avons demandé au professeur Czartoryski de faire un bref exposé sur la situation actuelle en Pologne. Ceci nous permettra de mieux mesurer les difficultés, mais aussi les chances d’une entrée brutale dans un régime de liberté. J’espère que des échanges de cette nature se poursuivront : il ne s’agit pas d’aller chercher ici et là des modèles presque jamais transposables, mais de tirer les leçons d’expériences très diverses. Cette orientation, nous l’avons manifestée dès notre premier colloque en 1985, que M. Peyrefitte avait présidé, et qui avait pour thème la comparaison de la France avec des nations proches d’elle quant à la façon dont chacune abordait les problèmes de la liberté d’enseignement. Notre vocation est donc ancienne. Les actions que je viens d’évoquer constituent à mon sens un programme suffisant pour une association de la taille de la nôtre. Je veux remercier les adhérents de leur générosité et de leur fidélité en dépit du caractère stagnant de la situation. Mais il est bon que nous restions regroupés, car une tempête peut toujours s’élever brutalement dans ce qui se présentait comme de l’eau morte. Maurice BOUDOT Assemblée générale du 22 septembre Après le rapport moral, lecture a été donnée du rapport financier pour les deux derniers exercices. En 1990 les recettes ont été de 732 000F. et les charges de 807 000 F., le résultat déficitaire de 75 000 F. étant à comparer aux 100 000 F. de prix versés cette année là. En 1991, les recettes ont été de 683 000 F., laissant un bénéfice de 1000 F. Le rapport indique les mesures d’économie prises pour ajuster les charges aux recettes, en diminution lente mais régulière en raison du vieillissement du fichier. Les seules ressources d’Enseignement et Liberté provenant de ses adhérents, ce qui garantit son indépendance, la poursuite de notre action dépend de leur générosité et aussi de leur appui dans la recherche de nouveaux adhérents. Après approbation des rapports moral et financier, l’assemblée a renouvelé les mandats d’administrateurs de Messieurs Aimé Aubert, Maurice Boudot, Roland Drago, Michel de Soye et Henri de la Ville Baugé, puis a autorisé le conseil d’administration :
A PROPOS DES MANUELS SCOLAIRES (extrait du rapport du jury) En décidant, en novembre 1990, de proposer une bourse de 50000 francs à l’auteur d’un manuel de biologie d’une classe de l’enseignement secondaire, conforme aux programmes, mais aussi, respectueux des consciences, notre Conseil avait le sentiment de répondre aux demandes instantes de nombreux parents et professeurs. Cette décision était d’autant plus en harmonie avec celle prise, il y a un peu plus de deux ans, d’ouvrir un nouveau concours pour des ouvrages contribuant à la liberté d’enseignement, qu’un prix avait alors été attribué à Madame Hélène Huot pour son livre "Dans la jungle des manuels scolaires" qui dénonce "d’une façon un peu polémique, mais toujours bien argumentée, un problème important qui ouvrira à des discussions utiles" disait alors Monsieur Jean Cazeneuve. Ce problème important est celui de la forte emprise exercée par des hauts fonctionnaires de l’éducation nationale sur la rédaction des manuels ou le choix de leurs auteurs. L’existence d’une telle chasse gardée serait peut-être supportable si elle n’avait pas partie liée avec l’idéologie qui domine encore dans notre enseignement. La mise en cause du système ne semblait pouvoir venir des pouvoirs publics qui esquivaient leur responsabilité envers la jeunesse au nom de la liberté des auteurs ou des maîtres, à laquelle ils savent très bien porter atteinte quand leur intérêt est en jeu. Il apparaissait également qu’il ne fallait pas attendre de l’école catholique qu’elle suscitât, comme elle l’a fait dans le passé, une concurrence, faute de moyens disaient certains, par souci de neutralité, prétendaient d’autres. Par sentiment d’impuissance ou de respect à l’égard de ces autorités, les mécontents des livres scolaires avaient pris l’habitude de s’en prendre aux éditeurs et de leur attribuer le rôle du baudet de la fable, en leur reprochant de ne pas éditer de "bons auteurs". A la réflexion, cette attitude nous est paru injuste et inefficace. Injuste, parce qu’un éditeur est un commerçant qui n’a pas à s’ériger en moraliste ou en censeur à la place ceux dont c’est l’état et la vocation. Inefficace, parce que le métier d’éditeur est un métier difficile, qui exige l’engagement de capitaux importants sur un marché où, entre la municipalité qui paye le manuel, le maître qui le choisit, l’élève qui l’apprend par cœur et le père contribuable qui le fait réciter, il est difficile de savoir qui est le client, qui est l’intermédiaire et qui est le prescripteur. Pourquoi dans ces conditions, l’éditeur renoncerait-il à un système qui a fait ses preuves, même si ce ne sont pas toujours de bonnes preuves, pour partir à la recherche de l’auteur idéal ? Il nous a semblé, en revanche, que nous pourrions essayer de faciliter les vocations d’auteurs indépendants et talentueux, qui ne pouvaient manquer d’exister, en leur apportant :
C’est ce que nous venons de faire en attribuant une bourse à M. Didier Pol. Mais nous n’avons franchi qu’une première étape ; celle de la publication et celle de la diffusion sont encore devant nous. C’est en fonction du résultat final que nous pourrons décider des conditions de l’attribution d’une nouvelle bourse. Lettre N° 36 - 2ème trimestre 1992
EST-CE UN ACCORD HISTORIQUE ? Faisons la part de l’enflure propre au discours médiatique qui repère au bas mot un événement par semaine dont l’Histoire devrait retenir le souvenir. Il demeure le fait que pendant tout un week-end des commentateurs zélés nous ont invités à chaque bulletin télévisé à nous extasier sur l’accord signé par M. Lang et le Père Cloupet. C’est le Ministre lui-même qui juste avant la séance de signature, (le samedi 13 juin) avait parlé d’accord historique. Son partenaire dit aujourd’hui (le Quotidien de Paris du 16 juin) que le qualificatif n’est pas faux, mais que c’est le Ministre et non lui "qui fait l’Histoire". Appréciation prudente, bien modeste, mais très généreuse ! Car, enfin, appliquée à l’accord en question, l’épithète "historique" ne relève-t-elle pas simplement de l’esbroufe et de l’art de la mise en scène où excelle le Ministre d’Etat ? La question n’a rien d’académique. Car si dans un compromis modeste et bancal, on nous invite à reconnaître "un geste de réconciliation nationale", si on parle "d’une page tournée dans l’histoire nationale" - et j’emprunte ces expressions au Cardinal Lustiger (Le Figaro du 16 juin), visiblement grisé par l’atmosphère ambiante -, c’est peut-être que le metteur en scène - illusionniste avait l’intention de nous tromper sur la portée du compromis, pour des raisons inavouables, mais faciles à déceler. UN MÉDIOCRE COMPROMIS. Est-ce l’armistice, ou même le traité de paix, au terme d’une guerre séculaire ? Pas du tout, ce sont les lois Debré-Guermeur (1959, 1977) qui sont dignes de cette comparaison. L’accord signé le 13 juin est microscopique comparé à ces œuvres législatives. Il ne concerne que la mise en application de diverses dispositions législatives (surtout les précédentes) avec apurement des comptes, règlement de quelques litiges relatifs à l’application de ces dispositions, il ne contient aucun principe fondamental nouveau. Contrairement à ce qu’on raconte, il n’établit aucunement la parité public-privé même s’il constitue un tout premier pas en ce sens. Le Vice-Président du S.N.E.C. C.F.T.C. remarque notamment que l’Etat ne prend en charge qu’une partie des retraites des maîtres (la part employeur), qu’il exclut la rémunération de certaines catégories de personnel, les indemnités pour les directeurs d’établissement, pour la formation des maîtres du second degré, etc... Et surtout les 38000 maîtres auxiliaires du privé (presque la moitié des enseignants du second degré !) nonobstant leur qualification, n’obtiennent aucune amélioration de leur situation : leur reclassement n’est pas prévu. On finit par se demander ce qu’a obtenu le Père Cloupet. Un ensemble de mesures techniques, non négligeables certes, chiffré par l’intéressé à 771 millions par an, concernant par exemple de simples décharges de service pour les chefs d’établissement ou les salaires des documentalistes. Ce n’est pas tout à fait négligeable, mais il n’y a pas de quoi pavoiser. Les deux problèmes de fond - la participation des collectivités territoriales aux investissements immobiliers et la prise en compte des demandes effectives des familles pour l’ouverture de classes - ne sont ni réglés, ni même abordés. Le négociateur dit du premier problème qu’il fut abordé lors de la première rencontre, mais qu’il ne pouvait en faire "une condition de règlement", que le problème "mûrit à gauche" mais qu’il ne faut rien casser : "il faut tirer sur la ficelle méthodiquement sans qu’elle casse". Soyons assuré qu’il trouvera en face de lui quelqu’un qui saura embrouiller la pelote de ficelle ! Quant à l’autre problème il est passé sous silence. Parler d’historique dans ces conditions prouve que M. Lang cultive le genre burlesque. LE CONCORDAT DE FAILLITE. Tous ces menus avantages vont se payer et au prix fort. La dette de l’Etat à l’égard de l’enseignement catholique pour ces dernières années (ce qu’on appelle le rattrapage du forfait d’externat) est estimée à 6,7 milliards, voire à beaucoup plus. Admettons que compte tenu d’accords anciens (de 1986) on la réduise à 4,3. Il s’agit alors d’un minimum incompressible. C’est de l’argent dû en vertu des dispositions législatives et réglementaires, et toutes les juridictions administratives qui ont eu à se prononcer confirment les droits du créancier. Aujourd’hui, dans une espèce de moratoire, de concordat (au sens du droit commercial et non du droit international !) la dette est réduite de 2,5 milliards. Non seulement par ce contrat léonin on remet à l’Etat plus de la moitié de sa dette, mais le payement est échelonné sur six ans. Une hypothèse assez vraisemblable veut que M. Lang laisse à ses successeurs le soin d’honorer ses engagements. Sans mettre en doute "la parole d’un Ministre d’Etat", le secrétaire général de l’enseignement catholique compte sur les trois années à venir pour vérifier que les engagements sont appliqués ! C’est dire que sa confiance n’est pas totalement aveugle et qu’il semble craindre, mais un peu tard, d’avoir conclu un marché de dupes. L’ETRANGE PACTE Comme le montre dans un remarquable article mon éminent collègue Jean Michel de Forges (Le Figaro, 17 juin 1992) ce type d’accord confine à l’extravagance lorsqu’on le considère sous son aspect juridique. D’abord ce ne peut être un contrat, puisque les promesses faites par le ministre ne relèvent pas du domaine contractuel : c’est au plus une simple déclaration d’intention. Quant aux engagements du Père Cloupet, ils concernent des créances dont les détenteurs sont non l’enseignement catholique, mais chacun des organismes de gestion des établissements concernés. L’accord n’engage donc aucun de ses signataires. On attend d’une loi qu’elle règle ces difficultés juridiques. Mais M. de Forges tient pour douteux sa constitutionnalité puisque elle violerait la liberté de l’enseignement et la règle selon laquelle toute victime doit pouvoir obtenir réparation des préjudices subis. Aussi juge-t-il souhaitable que chaque association gestionnaire introduise ou maintienne un recours administratif, car même si le parlement votait ce que M. Lequiller, député des Yvelines, appelle une loi d’auto-amnistie scolaire, il n’est pas certain qu’elle passe l’épreuve du Conseil Constitutionnel. Toutes ces difficultés ne pouvaient être ignorées. Alors pourquoi s’être engagé dans cette étrange démarche ? La réponse est manifeste. L’enseignement catholique vit dans la crainte d’être accusé de nuire à la gauche et dans l’illusion qu’elle seule peut assurer sa pérennité. Comme si l’accord de samedi empêchait ce qui reste de la F.E.N. et de ses satellites de s’indigner et de se préparer à la revanche. Quant au gouvernement, c’est une opération préélectorale de recentrage, un peu voyante à vrai dire. Vraiment, l’estrade de la rue de Grenelle fait un peu trop penser à d’autres tréteaux qui défrayent la chronique. Maurice BOUDOT L’ÉDUCATION DANS UNE SOCIÉTÉ VOUÉE À LA CROISSANCE M. Paul Deheuvels, Proviseur honoraire du lycée Louis-le-Grand, a bien voulu nous autoriser à reproduire l’article qu’il publie dans Fusion. Nos lecteurs ont ainsi le privilège de bénéficier des réflexions du responsable d’un établissement prestigieux qui a conduit au succès une élite, mais aussi, ce que l’on sait moins, sauvé des élèves dont le cas était tenu pour désespéré. Nous souhaitons tous que la "croissance", terme magique, signifie pour notre société la solution de tous ses problèmes : Celui de l’emploi, celui du niveau de vie, celui des loisirs, dans un respect absolu de la dignité des êtres et de l’environnement naturel ; qu’elle signifie progrès réel et non chômage aggravé par la robotisation ; démocratie et non démagogie ; liberté et non laxisme ; égale dignité pour tous et non égalitarisme coupeur de têtes ; fraternité et non triomphe de l’égoïsme dans une lutte effrénée pour la fortune et le pouvoir ; ouverture au monde et non nationalisme exacerbé. Il est évident que pour préparer une telle société, la réforme de l’éducation devrait obéir à des principes impératifs. QU’EN EST-IL AUJOURD’HUI ? Jusqu’à ce jour, on a plutôt cherché à occulter les problèmes qu’à les résoudre. Les données étaient les suivantes : 1° Pour des raisons politiques évidentes, il fallait dissimuler à l’opinion la gravité du chômage des jeunes, notamment de ceux qui n’avaient reçu aucune formation professionnelle ; la solution choisie était de maintenir tout le monde, non pas coûte que coûte, mais aux moindres frais, dans le système scolaire jusqu’à l’âge du service militaire. 2° Dans le même esprit, il était indispensable d’intégrer dans l’enseignement secondaire tous les enfants sortis de l’école élémentaire, même ceux qui ne savaient ni lire ni écrire ni compter. 3° Cette démocratisation à outrance imposait de multiplier les économies :
4° Il fallait aussi et surtout faire face au très grave problème du recrutement des professeurs, qui est devenu depuis quelques années le problème essentiel : la surcharge des classes rend nécessaire la création de nouveaux postes ; en outre, beaucoup d’enseignants recrutés au lendemain de la dernière guerre vont être admis à la retraite en même temps ; mais surtout, on voit arriver le moment où il y aura moins de candidats aux concours de recrutement que de places offertes ; en effet, les futurs bacheliers préfèrent devenir ingénieurs ou gestionnaires plutôt qu’enseignants. QU’A-T-ON FAIT ? La stratégie utilisée pour escamoter les problèmes a toujours été grotesquement fardée sous une couche épaisse d’arguments démagogiques, et pseudo-pédagogiques : 1° Au nom d’un égalitarisme forcené baptisé égalité, on a entassé dans les mêmes classes les élèves rapides et curieux et les élèves qui ne savent ni lire ni compter. 2° Toujours au nom de la sacro-sainte pseudo-égalité, on a depuis peu déversé de force dans les seconds cycles des lycées d’enseignement général les élèves faibles et âgés dont on n’avait pas voulu encombrer les établissements de formation professionnelle : cela aurait coûté trop cher de leur donner un métier, et ils auraient risqué de ternir le blason tout neuf des lycées professionnels. 3° Pour occulter le nouveau problème créé par l’accroissement des effectifs et par l’afflux d’élèves très faibles qui rendaient les classes hétérogènes, on a fort démagogiquement institué le Conseil National des Programmes, dont la mission essentielle était de réduire les horaires, les programmes et le nombre des options : abaisser la corde au ras du sol pour permettre à presque tout le monde de sauter par-dessus, et du même coup (de maître) diminuer considérablement le nombre de postes à pourvoir. 4° Après cette démolition systématique des collèges et des lycées, le tour semble venu des premiers cycles d’université, des classes préparatoires, et peut-être des Grandes Ecoles, que l’on voudrait soumettre au rouleau compresseur de l’égalitarisme. 5° Pour récupérer davantage de professeurs sans bourse délier, il fallait trouver un moyen d’attirer, puis de retenir sans possibilité d’évasion un grand nombre d’étudiants indécis, peu fortunés, rendus inquiets par leurs aptitudes limitées. DES POSTULATS TROMPEURS : On le voit, tous les remèdes imaginés reposent sur des principes démagogiques et faux, inspirés par un égalitarisme absurde et un rousseauisme mal assimilé :
MAIS EXISTE-T-IL DE VRAIS PRINCIPES ? Assurément, les réflexions menées au cours du demi-siècle écoulé ont permis de dégager tout au moins quelques grandes idées, qui devraient orienter chacune des actions entreprises pour adapter l’Education Nationale aux exigences d’une société en constante mutation : 1° Premier principe, la liberté :
2° La vraie égalité, celle qui respecte l’extrême diversité des êtres, des formes d’intelligence, des domaines d’excellence ; celle qui donne à chacun les meilleures chances de se dépasser dans une voie ou il trouvera son plein épanouissement. 3° L’importance extrême de la culture générale, qui décuple la créativité et facilite l’adaptation à toutes les situations : 4° Supériorité des spécialisations dites généralistes par rapport aux spécialisations dites pointues : elles rendent moins pénible les reconversions, fréquemment indispensables dans une société moderne. 5° Pour la même raison, nécessité de retarder aussi longtemps que possible le moment où le choix d’une spécialisation rend l’orientation irréversible. 6° Principe des groupes homogènes : on n’enseigne bien qu’à des élèves capables d’avancer sensiblement au même rythme ; à plus forte raison, on ne peut remettre à niveau en un an que des groupes d’élèves confrontés aux mêmes difficultés, ayant les mêmes insuffisances et la même motivation. 7° Principe essentiel de la vraie pédagogie : la toute première qualité d’un maître est la compétence ; on ne peut enseigner avec efficacité que des connaissances parfaitement maîtrisées, et mises en valeur par une riche culture générale. Une haute compétence et quelques notions élémentaires de pédagogie sont mille fois préférables à tous les I.U.F.M. issus des idéologies galopantes. QUELLES SOLUTIONS ADOPTER EN FONCTION DE CES PRINCIPES ? En premier lieu, on s’interdira de jamais diminuer ni programmes ni horaires ni possibilités d’options : dans une société qui a choisi la croissance, il convient toujours d’enrichir ou de mieux aménager, en aucun cas d’appauvrir. On assignera aux maîtres de l’enseignement élémentaire l’objectif absolument prioritaire de ne laisser entrer dans l’enseignement secondaire aucun élève qui ne maîtrise correctement lecture, écriture et calcul, et qui n’ait développé de façon satisfaisante ses capacités d’observation, de mémorisation et de raisonnement. On constituera des groupes homogènes d’élèves en difficulté, on les confiera à des maîtres enthousiastes - libres d’organiser leur travail en fonction de leur auditoire -, et on leur proposera pour objectif de réintégrer un cycle normal en un an. Toutes les expériences de ce type réalisées dans des collèges, des lycées et des premières années de D.E.U.G. scientifique ont montré deux choses : le pourcentage de réussite a toujours et très vite dépassé 90 %, et aucun professeur n’a jamais demandé à être déchargé de ces classes. On maintiendra un très haut niveau de culture générale dans toutes les sections, scientifiques, littéraires ou économiques : il ne sera jamais question d’amputer les programmes de français ou de philosophie des scientifiques, ni de les priver de la possibilité d’être d’excellents latinistes et hellénistes ; de même, on maintiendra pour les littéraires la possibilité de recevoir un complément de formation scientifique. On se gardera bien d’avancer, ne serait-ce que d’un an le seuil à partir duquel l’orientation deviendra irréversible ; et l’on refusera énergiquement de rêver à de chimériques "passerelles", qui ont si souvent servi d’alibi à de mauvaises réformes, et qui n’ont jamais pu être mises en place. On accordera une importance capitale à l’apprentissage et à la pratique des langues vivantes, sans limitation du nombre d’options choisies : ainsi, on trouvera merveilleux, et pas du tout anormal, qu’un "scientifique" soit excellent non seulement en philosophie et en français, mais aussi en latin, en grec, et dans deux ou trois langues vivantes. On réorganisera complètement le système d’enseignement technique et professionnel : On continuera de réserver les coûteux lycées professionnels à des formations de prestige, débouchant sur des baccalauréats et des formations supérieures ; Mais on cessera de béer d’admiration devant le système allemand de formation professionnelle dans les entreprises, et l’on se souviendra que ce système a été supprimé en France pour y être remplacé par des établissements trop coûteux, équipés d’un parc de machines dont on pourrait penser qu’il fait double emploi avec celui des entreprises si lesdites machines ne devenaient très vite obsolètes, tout en demeurant difficilement remplaçables. On rétablira donc un système de formation rapide fondé sur l’apprentissage pour tous les élèves qui ont un urgent besoin de s’insérer dans le monde du travail, l’Education Nationale prenant en charge l’enseignement général. Quant à la vieille et stupide rivalité qui oppose les sections scientifique et technique, on pourrait la faire disparaître en fusionnant les sections S et T, T.C. et T.E., et en créant pour tous ces élèves une option "Technologie et Dessin graphique". D’une façon générale, on se fixera pour objectif de ne laisser aucun élève quitter le collège ou le lycée sans une admission dans un cycle supérieur ou une solide qualification professionnelle : la "remotivation" des élèves en perdition doit être considérée comme une priorité absolue ; en effet, les expériences – certes louables – d’animation culturelle ou sportive dans les banlieues du désespoir ne résolvent pas le problème de fond, qui est celui de la dignité des êtres et de leur intégration harmonieuse dans les milieux professionnels et dans la société. ET LE RECRUTEMENT DES ENSEIGNANTS ? Il n’est peut-être pas inutile de répéter que la priorité doit être donnée à la compétence et à la culture : chacun doit être incité a élever constamment son niveau de connaissance grâce au maintien d’un système de grades qui a fait ses preuves depuis plus de deux siècles (instituteur, professeur certifié, professeur agrégé, professeur d’université). S’entêter à supprimer toute hiérarchie équivaudrait à amener au niveau le plus bas la "qualité" de l’enseignement. Bien sûr, rétablir les équivalences qui avaient été prévues lors de la première élaboration des grilles de salaires constituerait un atout considérable dans les actions menées en vue d’attirer vers les carrières de l’enseignement d’excellents élèves, beaucoup plus intéressés, aujourd’hui par celles d’ingénieur ou de gestionnaire. Cependant, je le répète, les questions d’argent n’ont jamais été l’essentiel pour ceux qui choisissaient de se dévouer à l’éducation des enfants et des adolescents : ce qui importe le plus à leurs yeux serait de retrouver l’estime et le respect qui s’attachaient jadis et naguère à leur vocation, et d’avoir de nouveau la certitude de faire œuvre utile. Pour cela, quelques mesures pourraient être très efficaces :
QUE PENSER DES PROJETS DE PRIVATISATION, DE RÉGIONALISATION ? On a proposé de dénationaliser l’enseignement, en allouant à chaque famille une prime de scolarité, ce qui aurait l’avantage de laisser le libre choix de l’établissement, laïque ou confessionnel. Mais le danger réel de toute privatisation est de ruiner le bel idéal d’égalité qui fait partie intégrante de l’esprit français : on ne pourrait plus faire les mêmes études, avec des professeurs de même qualification, dans les grandes et les plus petites villes. Il y aurait des établissements riches et réputés, très sélectifs, et des établissements nécessiteux, médiocres par leur équipement, leur encadrement et leur population scolaire, il deviendrait quasi impossible de maintenir le caractère national des programmes, des horaires et des diplômes. Les conséquences risqueraient d’être identiques si l’on transférait, comme certains le demandent, tous les pouvoirs de l’Etat aux régions : les disparités seraient certainement tout aussi criantes. Il est donc préférable que l’Etat prenne en charge toutes les obligations qui lui incombent par la stricte application des programmes et horaires qu’il a lui-même édictés, en renonçant à la triste mascarade de la dotation horaire globale, des fameux "horaires-planchers", et des suppressions d’options. Pour l’Education Nationale, la croissance doit signifier avant tout confiance, sérénité, efficacité ; choix d’un plus complet épanouissement pour tous, élévation simultanée du niveau de spécialisation et du niveau de culture générale. Au moment où les Universités américaines demandent pourquoi nos scientifiques, - très souvent brillants hellénistes et philosophes -, restent capables de faire des découvertes à tout âge de leur vie, alors que leurs propres chercheurs, spécialisés très jeunes, perdent vite leurs capacités d’invention, il serait absurde d’appauvrir une formation, que la volonté de croissance nous impose au contraire d’enrichir par tous les moyens, et coûte que coûte. Paul Deheuvels Il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour prévoir que M. Lang ne voudrait pas écorner sa popularité par des réformes aussi malencontreuses et mal accueillies que celles décidées par son prédécesseur. A peine nommé à la tête de l’Education Nationale, il annonce qu’il diffère la réforme des premiers cycles universitaires dont la seule annonce avait jeté les étudiants dans les rues et qu’il gomme les aspects les plus choquants de la "rénovation" des lycées. Est-ce à dire que le nouveau ministre va s’engager dans une voie différente de celle choisie par son prédécesseur, qu’il fondera son action sur d’autres principes, comme l’avait fait, en apparence au moins, M. Chevènement qui s’était attiré à bon compte une popularité auprès des maîtres après l’intermède Savary-Legrand en rappelant que l’école a pour fonction de transmettre savoir et apprentissage ? Probablement non. M. Lang n’en a pas le temps, ni les moyens, et rien ne prouve qu’il en ait la volonté. Le système mis en place au fil des années a son inertie. Comme une machine emballée, il ne peut s’arrêter. Il faudrait un extraordinaire courage politique et probablement une conjoncture autre que celle que nous connaissons pour changer notablement sa trajectoire. N’attendons rien de semblable dans l’immédiat, tout au plus peut-on espérer qu’on différera ou atténuera les modifications institutionnelles les plus choquantes, œuvres de M. Jospin. Encore faut-il regarder les choses d’assez près et ne pas se laisser étourdir par des gestes qui relèvent de la politique-spectacle. La mesure la plus voyante est l’abandon de l’une des dispositions choquantes de la "rénovation" des lycées, qu’on mettait en place à la hâte. Il s’agit de la limitation du nombre des matières à option en seconde qui portait spécialement atteinte à l’enseignement des langues anciennes et qui soulevait un tollé. Mais cette générosité est en grande partie feinte. On ne revient aucunement sur une disposition administrative peu connue du public, mais particulièrement pernicieuse. Il s’agit de la dotation horaire globale qui revient à affecter à chaque établissement scolaire un nombre d’heures hebdomadaires d’enseignement, lui laissant le soin de les répartir, en se contentant de respecter des "horaires-planchers". Autrement dit, sous couvert d’autonomie, on laisse à l’établissement le soin de "gérer la pénurie", pour utiliser le jargon syndical ! Comme les dotations globales sont calculées au plus juste, - on manque d’enseignants et de crédits -, les options les moins demandées ne seront assurées que dans de très rares établissements. Ainsi scolarisera-t-on à moindre frais un nombre toujours croissant de lycéens. Quant aux principes fondamentaux de la rénovation des lycées qui sont ceux de cet égalitarisme uniformisateur qui a déjà causé tant de dégâts 1, ils ne sont mis en cause d’aucune manière. On ne revient pas plus sur des mesures démagogiques - comme la possibilité offerte aux familles de refuser un redoublement demandé par les professeurs - dont l’annulation ne coûterait pourtant rien ! Le caractère sacré du dogme selon lequel l’énorme majorité des élèves ont vocation à obtenir le baccalauréat l’interdit. Les rapports de l’inspection générale sur les pratiques pédagogiques en 6ème, ou sur les collèges en général, confidentiels mais évoqués dans les médias, confirment à la fois l’ampleur des dégâts et la perversité des principes. On y reconnaît qu’une proportion importante d’élèves entrant en 6ème ont un ou deux ans de retard (90 % pour un collège de "Z.E.P.", dans l’échantillon observé !), mais on explique le phénomène "en partie" par l’origine socio-culturelle des élèves, immédiatement après on se félicite que le taux de redoublement de la 5ème diminue nettement, en passant sous silence que cette baisse est due entre autres facteurs au fait que le caractère facultatif du redoublement entre dans les. mœurs ! Certes dans le rapport consacré aux 6èmes, on note que les difficultés sont largement dues au fait que les professeurs sont insuffisamment qualifiés dans leur discipline : on parle d’une insuffisante "maîtrise de la discipline" enseignée, insuffisance scientifique due à une absence de formation initiale ou "une inadéquation de la formation continue" (en français, 4 professeurs sur 10 sont sans formation initiale.) Mais on continue en même temps à véhiculer les illusions des pédagogues : on regrette l’absence de projet pédagogique "au niveau de la classe" (qu’est-ce ?), on déplore que l’enseignement dispensé ne convienne pas à des classes hétérogènes, comme s’il était encore possible d’enseigner lorsqu’il n’y a pas de commune mesure entre les élèves quant à leurs capacités et à leurs goûts. On déplore que "l’analyse des cohortes d’élèves ne soit pas entrée suffisamment dans la pratique", que "la construction du projet personnel qui concerne le devenir de chaque élève relève encore du mythe dans un grand nombre d’établissements". Mais que désigne ce projet personnel ? J’avoue ignorer le sens de ce jargon... Tous ces textes laissent rêveurs sur l’état d’esprit des hauts fonctionnaires qui président aux destinées de l’enseignement. On reconnaît en termes voilés que rien ne fonctionne correctement, mais il ne vient à l’idée de personne de mettre en cause les objectifs assignés : scolariser dans des classes semblables tous les élèves, faire la chasse aux filières ségrégatives ! Croit-on que c’est M. Lang qui incitera ces serviteurs zélés des projets de ses prédécesseurs à manifester plus d’esprit critique ? En tout cas, rien n’est changé en ce qui concerne la mise en place de ces fameux I.U.F.M. dont j’ai déjà parlé et qui constituent l’une des initiatives les plus pernicieuses de M. Jospin. Rappelons qu’il s’agit de former dans les mêmes établissements, de façon à peu près identique, tous les enseignants de la maternelle à la terminale. Pratiquement leur formation échapperait aux Universités. On sacrifierait de façon très précoce (deux ans après le baccalauréat) l’apprentissage de la discipline à enseigner à l’apprentissage de divagations pédagogiques ! La réalisation de ce projet ruinerait la qualité du corps enseignant, comme on le reconnaît généralement. Les I.U.F.M. avaient été prétendument mis en place dans quelques villes à titre expérimental. Encore que les résultats soient consternants de l’avis général, le système est progressivement généralisé et par des méthodes sournoises on tend à imposer le passage par l’I.U.F.M. comme une obligation pour les futurs enseignants. M. Lang a-t-il freiné cette dérive ? Aucunement et aucun signe n’indique qu’il ait l’intention de le faire. Il ne faut donc pas rêver et attendre du ministre actuel qu’il rompe avec la politique de son prédécesseur. M. B. Le 6 mai, M. Georges Hage, député communiste, posait une question orale au Ministre de l’Education au sujet de l’organisation, le 21 mai, d’une journée nationale de l’Europe dans les classes de CM2 (onze ans en principe !), dans laquelle il voyait une inadmissible opération d’endoctrinement. C’est Mme Guigou qui devait répondre en l’absence de M. Lang. Je comprends que ce dernier n’ait pas manifesté un zèle excessif pour endosser la responsabilité d’une initiative largement planifiée par son prédécesseur ! Certes, il est toujours cocasse d’entendre un parlementaire communiste défendre la neutralité de l’enseignement et M. Hage a dû affronter les quolibets des socialistes ; mais les documents qu’il citait étaient probants sur le bien-fondé de sa question, et la réponse de Mme Guigou fut particulièrement consternante. Au lendemain de l’opération, sur laquelle s’extasiaient les chaînes de télévision, M. Philippe Seguin, qui est un défenseur beaucoup plus fiable de la neutralité de l’enseignement, s’emportait à son tour de ce qu’on se soit permis en plein débat parlementaire sur Maastricht de vanter les mérites d’un traité non ratifié et dénonçait "le bourrage de crânes le plus scandaleux de l’histoire de la République". A quelque temps d’un référendum, transformer les 900 000 enfants auxquels était destinée l’opération en autant d’auxiliaires de la propagande gouvernementale, dont ils seront les véhicules inconscients mais efficaces - car quoi de plus efficace qu’un enfant pour incliner la réponse de parents indécis - est proprement une infamie. Je n’ai eu entre les mains ni le livret destiné aux enseignants (65 pages), ni le cahier de 28 pages (avec préface de M. Jospin !) remis aux élèves, mais le document de présentation de la campagne "A nous l’Europe !" (sic) (12 pages diffusées par le Ministère). C’est effectivement un extravagant mélange d’une propagande grossière qui consiste à dépeindre sous des couleurs idylliques l’Europe d’après Maastricht (on voyagera sans perdre d’argent dans les opérations de change, la T.V.A. sur le matériel hifi va baisser, l’agriculture en profite (!), l’Europe protège les bébés phoques et la forêt amazonienne, etc...) et de niaiserie, car il faut, bien sûr, faire passer à des enfants sous une forme festive un message assez complexe. On fait alors quelques suggestions. Je n’en relèverai qu’une au chapitre des niaiseries : organiser "un goûter à base de spécialités européennes sucrées". Pourquoi "sucrées" ? A 11 ans on n’aime pas que les sucreries... Fallait-il exclure le saucisson pour ne pas déplaire aux musulmans, le fromage pour ne pas chatouiller la commission de Bruxelles qui n’avait pas tranché sur les pâtes au lait cru ? J’avoue que je ne suis pas sorti de ma perplexité. Mais j’ai reconnu l’inimitable mélange de propagande infantilisante et de niaiserie, je le connais depuis la guerre, quand j’étais précisément moi aussi au Cours Moyen II. Le contenu a changé, le style est resté. C’est M. Kaspereit (député R.P.R.) qui a eu le ton le plus juste à l’Assemblée lorsqu’il a interrompu Mme Guigou d’un "Maréchal nous voilà !". Maurice BOUDOT L’utilisation comme "singes savants" des enfants des écoles publiques pour "promouvoir" les accords Mitterand - Kohl sur les organismes de défense est contraire au respect de l’enfant et aux exigences de la neutralité. Parmi toutes les opérations montées dans le cadre de "La journée nationale de l’Europe", elle est particulièrement répréhensible, en raison des obligations morales qui s’imposent à ses principaux bénéficiaires. Qu’elle ne suscite pas un scandale majeur, mais de simples remous, prouve la profonde dégradation du climat moral et du sens civique dans notre pays. Le 25 mai 1992 L’accord entre le ministre de l’éducation et l’enseignement catholique, complaisamment qualifié d’historique par l’un de ses signataires, n’est qu’un compromis imparfait qui aurait pu être pire sans la pression croissante des parents d’élèves et des maîtres, écartés au profit d’un représentant de la bureaucratie de l’enseignement privé lors des solennités. Dans cet accord, sous prétexte de "regarder l’avenir" plutôt que de "réclamer en toute rigueur le règlement du passé", le créancier remet sa dette au débiteur. Comme le débiteur est l’Etat, il faudra une loi. Souhaitons que la représentation nationale soit plus libre que le créancier débonnaire pour refuser l’auto-amnistie en matière scolaire. Le 16 juin 1992 1 Un document, La Rénovation pédagogique des Lycées, publiée par le Club de l’Horloge, 4 rue de Stockolm, 75008 Paris, le montre très clairement. Lettre N° 35 - 1er trimestre 1992
LA DERNIÈRE CLASSE J’aurais pu aussi bien intituler cette analyse "Enseignement : année zéro", mais le titre avait été récemment employé ; de même on avait déjà parlé de "fin des études", de "mort" du système éducatif. D’ailleurs l’expression retenue importe peu au regard du sentiment commun qu’on veut exprimer à travers une multitude d’analyses convergentes, à savoir qu’on assiste à l’agonie d’une institution. Les cris d’alarme furent si fréquents qu’on a pris l’habitude de les attribuer au pessimisme ou aux mauvaises intentions de ceux qui les lançaient, sans leur attacher plus d’importance. Toutefois, depuis quelques mois, une impression nouvelle se dégage des informations qui nous parviennent, des descriptions qui sont faites : le "système éducatif" aurait atteint un point de non-retour ; on ne saurait concevoir d’améliorations, si ce n’est ces prolongations d’existence qui résultent de soins palliatifs. Il est à craindre d’ailleurs qu’il s’effondre prochainement et brutalement. Je parle bien sûr d’abord de l’enseignement public, mais il est manifeste qu’il entraînera dans sa chute toute cette partie de l’enseignement privé qui lui est statutairement et organiquement liée. LE DÉSARROI La noirceur du diagnostic qu’appelle la situation est si généralement admise qu’un chanteur connu dépeint dans une de ses créations très récentes ces bacs G qui n’offrent aucun débouché, ces filières qui sont des impasses et parle de "lycées-poubelles". Que de façon cocasse, le Ministre s’indigne, fasse comme s’il s’agissait d’abord de l’état des bâtiments scolaires, ou éprouve le besoin de se justifier - comme s’il était particulièrement et personnellement visé - prouve surtout que le chanteur a visé juste : il exprimait un sentiment extrêmement répandu. Savoir s’il était opportun de donner une telle expression à ce sentiment est une question dont nous n’avons aucunement à nous soucier ici. Ce pessimisme extrême, cette impression que les choses ne peuvent se prolonger ainsi, sans qu’on sache trop quel remède apporter, transparaissent au travers d’un sondage de C.S.P. Communication publié par Le Monde, le 6 février 1992. Si le sondage concerne d’abord les opinions politiques des enseignants - dont nous apprenons qu’"ils s’éloignent de la gauche" -, on voit qu’une importante proportion (plus des 3/4) a été déçue par la gauche, qu’ils n’attendent rien ni de la gauche (50 %), ni de la droite (68 %), que la gauche conserverait d’extrême justesse la majorité absolue au 2e tour des présidentielles, mais que si 34 % voteraient pour Rocard au 1er tour, il n’en est que 4 % qui pensent que le parti socialiste progresserait d’ici l’an 2000. Étrange attitude d’une population qui ne croit pas à l’avenir des forces politiques qui ont néanmoins ses préférences... C’est en fait le signe d’un profond découragement qui tient à ce qu’ils n’ont guère confiance en leur mission éducative ou dans les conditions d’exercice de leur métier. Plus de 90 % estiment que l’Éducation Nationale a besoin de changement, mais ils ne sont guère enthousiastes en ce qui concerne les dernières réformes mises en œuvre. Et surtout 78 % d’entre eux ne croient pas que soit réalisable l’un des objectifs majeurs qu’on leur assigne (conduire 80 % des jeunes au niveau du baccalauréat) : en 7 ans, il y en a 14 % de plus à se ranger à cette opinion négative ! Il n’y a pas lieu de s’étonner de la poussée du pessimisme lorsqu’on sait combien se sont dégradées les conditions d’exercice de la fonction enseignante. Mais si on note que les enseignants sont prêts à décharger leur responsabilité dans la situation actuelle (et peut-être non sans raison), que par exemple moins d’un sur cinq estime que la résistance aux changements (qu’ils jugent nécessaires) vient principalement du corps professoral, c’est qu’ils savent d’expérience que l’école est d’abord malade des maux généraux qui affectent l’ensemble de la société, ensuite des traitements extravagants qu’on lui impose depuis des années. Ils ne sont peut-être pas encore prêts à reconnaître pleinement de façon majoritaire que c’est l’utopie égalitaire, l’application du plan Langevin-Wallon, qui ont ruiné intérieurement le système éducatif, mais ceci ne saurait tarder. LE PREMIER MORT Depuis quelques mois, les journaux sont submergés d’articles, d’interviews, de témoignages qui décrivent la violence, l’insécurité, le laxisme qui rendent pratiquement impossible, inutile et absurde la fonction enseignante, dès le niveau du collège, et insupportable la condition des élèves qui ne sont pas disposés à se ranger dans le camp des voyous. Pour prendre quelques exemples empruntés au Figaro, qui n’a pas la même "sensibilité politique" que M. Jospin, mais qui n’a rien du brûlot extrémiste, un jour (le 18 janvier), c’est un Proviseur d’un lycée technique, qui nous dit que "les bagarres sanglantes entre lycéens" ou les "voitures incendiées" drogue et racket sont le problème uniforme des lycées français, que ne serait pas seulement affecté l’enseignement public, que tags et dégradations matérielles sont le moindre des fléaux répandus. Et qui précise ses accusations : les causes résident dans le laxisme induit par le slogan de 68. -"Il est interdit d’interdire"- le refus de sévir, les utopies pédagogiques. Un autre jour (le 17 février), c’est un professeur (agrégée) d’un collège de Mantes, qui signe son texte courageusement, puisqu’elle risque des représailles, et qui décrit les insultes qu’on doit subir, l’atmosphère intolérable aux antipodes de la "sérénité", les actes de vandalisme, qui rendent la vie quotidienne insupportable, les réactions de collègues désemparés qui se heurtent à l’indifférence ou à l’hostilité des pouvoirs publics. Depuis un mois, ni le préfet concerné, ni le recteur, n’ont cru opportun de faire appel à leur droit de réponse pour démentir cette description... Continuons : le 30 janvier sous le titre Lycées : les classes tous risques, nous apprenons que "les vols, rackets, agressions, insultes sont le quotidien des professeurs et des élèves, notamment dans les établissements des banlieues chaudes. "Mais soyons sans illusion : le problème est sans doute beaucoup plus grave dans ces banlieues sauvages, mais il ne s’y limite pas et ne saurait être réduit exclusivement à l’échec de l’école dans sa mission d’intégration des jeunes issus de populations allogènes, mission qu’elle remplissait si bien autrefois. Dans des villes paisibles, des établissements qui fonctionnent dans des conditions apparemment favorables rencontrent quelquefois des difficultés de même nature. (Présent signalait des cas de racket dans un collège du 7e arrondissement !). Nul n’est à l’abri d’agressions extérieures ou de ce pourrissement général qui naît de facteurs comme la drogue. Bien entendu, beaucoup d’établissements fonctionnent presque miraculeusement de façon très satisfaisante, mais qui peut dire quelle est la proportion de ceux qui sont plus ou moins affectés par les maux qui nous décrivons ? Or, le mal, même s’il est limité à l’heure actuelle ne peut que s’étendre : d’abord parce qu’il réside dans la violence exercée par certains jeunes sur d’autres jeunes. Or, il n’y a aucune raison pour que ceux qui exercent la violence limitent le champ de leurs activités. Comme ils n’acquièrent aucune formation scolaire dans ces conditions et qu’ils ont pris l’habitude de tout obtenir par la force dans le cadre des écoles, il n’y a pas de raison pour qu’ils n’exigent pas demain des cursus et des diplômes taillés sur mesure. On a dès aujourd’hui les redoublements qui peuvent être refusés même dans les cas où ils sont les plus nécessaires, on aura bientôt (on a déjà) le baccalauréat ou la licence obtenus en menaçant le jury. Et, comme tout le monde voudra profiter de l’aubaine, on imagine la suite. De ces maux, les enseignants ne sont que très partiellement responsables ; ils ne diffusent pas la drogue, ne commettent pas des actes de vandalisme... On peut tout au plus les accuser d’une certaine mollesse dans leurs réactions. Mais ont-ils été soutenus par l’opinion publique, par les média, par l’autorité ? Ont-ils reçu des familles tout l’appui qu’ils étaient en droit d’attendre ? Tout le monde sait qu’il faut répondre négativement. A travers cette crise de l’école, c’est celle de l’ensemble de la société et notamment la décomposition de la famille qui se reflètent. C’est dire que la solution ne peut être entièrement trouvée dans le monde scolaire. Elle passerait d’abord par une prise de conscience collective et par l’exercice par l’Etat de sa fonction régalienne, faire régner l’ordre et assurer la sécurité de chacun. On en est loin. Dans une intéressante émission télévisée sur le racket, on voyait un certain nombre de lycéens prendre leur parti du fait que des vêtements trop voyants excitent les convoitises. Comment faire pour ne pas attirer l’attention, tel semblait être leur problème majeur. Dans un registre beaucoup plus émouvant, on a entendu un jeune garçon qui avait essayé de se suicider pour échapper aux racketteurs qui le contraignaient à voler, nous expliquer en termes profonds et sobres que dans la situation de la victime, le plus terrible est l’humiliation qu’on subit parce qu’on accepte ce qu’on condamne. Qu’il apprenne aujourd’hui les sports de combat, pour se donner plus d’assurance, c’est une décision qui prouve qu’à travers les épreuves il a su se forger une rare force de caractère. Mais qu’en définitive toute notre société n’ait à offrir comme alternative à la jeunesse que d’apprendre à se battre (fût-ce physiquement) ou de subir l’humiliation, est le pire des échecs. C’est à l’école d’abord qu’on accepte aujourd’hui que règne la loi de la jungle. J’ai pourtant bien l’impression que dans l’assentiment général on s’oriente dans cette direction. J’entendais très récemment un homme politique assez important (et fort modéré), expliquer dans le cadre de la campagne des élections régionales qu’il fallait s’en remettre pour les problèmes de sécurité aux conseils qui réunissent dans les lycées parents, élèves et professeurs. Entendons-nous : s’il faut entendre leurs avis, écouter leurs vœux, personne n’y trouvera à redire ; mais s’il s’agit de s’en remettre à eux pour l’exécution des décisions, c’est une tout autre affaire. Aucun d’eux n’a vocation, ni compétence, pour blinder des portes, mener une enquête de police ou exercer les fonctions d’un C.R.S. ! Or j’ai bien peur qu’un glissement s’opère subrepticement de l’un à l’autre. Faut-il rappeler que nous n’entrons en société et n’abdiquons une partie de notre liberté individuelle qu’en échange de la sécurité que nous garantit l’Etat ? L’homme politique cité ne faisait que manifester une mentalité très répandue. Il y a comme une acceptation passive de l’inéluctable qui fait qu’en matière de violence scolaire, plus rien ne fait scandale. Il y a encore quelques années, j’imaginais que si un professeur était tué du fait qu’il avait exercé ses fonctions, l’opinion en serait profondément bouleversée et que les milieux professionnels réagiraient avec force. Au début de l’année, le premier mort est tombé, assassiné par un élève, sans que ce soit l’acte d’un dément ni le résultat d’un conflit strictement personnel, simplement parce qu’il voulait exercer ses fonctions. Je veux bien croire que cet événement se soit déroulé dans un établissement chargé d’accueillir des élèves "en difficulté", ce qui le rend plus explicable ; je note aussi qu’on a donné un certain écho à l’information. Mais force est de reconnaître qu’elle n’a pas beaucoup marqué la conscience collective. Preuve qu’on s’habitue à tout. LE DÉLUGE DES RÉFORMES Il est clair que cette situation dans laquelle le métier d’enseignant perd toute signification ne résulte pas principalement de facteurs endogènes. Les services de l’Éducation Nationale ne peuvent à eux seuls résoudre tous les problèmes évoqués : le concours des Ministères de l’Intérieur et de la Justice seraient aussi indispensables dans certains cas ! Mais je crois que toutes les mesures institutionnelles qu’on peut concevoir ne toucheront pas au fond du problème qui est dans la dissolution de la cellule familiale, et dans la crainte qu’éprouvent trop de parents lorsqu’ils doivent faire acte d’autorité. Nous sommes en présence aujourd’hui des enfants des soixante-huitards qui ont toujours douté du bien fondé de l’autorité. Il n’y a pas d’homme politique qui puisse y porter remède, pas plus qu’il ne peut modifier rapidement de façon significative le taux de divorce. Mais si les causes profondes échappent à l’action du politique cela ne signifie pas que son action soit nulle. Il peut amplifier considérablement le mal ou l’atténuer notablement, selon le mode d’organisation de l’institution scolaire. C’est la volonté de prolonger la scolarité, d’enfermer dans un même enseignement des élèves aussi divers par leurs capacités que par leurs ambitions, de rejeter la sélection et la sanction sous toutes leurs formes qui a conduit à la situation que l’on connaît. Or le Ministère ne reste pas inactif. Tout au contraire : il nous accable de réformes qui affectent quasi simultanément, dans la précipitation et le désordre, presque tous les niveaux de l’enseignement : le Conseil National des Programmes fait de nouvelles propositions pour les collèges (où il faut apprendre à enseigner à des groupes hétérogènes, qui comprendront des élèves qui ne savent pas lire), "pratiquer une pédagogie différenciée où s’effectuent les brassages, l’apprentissage des différences... Les enseignants doivent s’interroger sur les attitudes qu’ils promeuvent à travers leurs pratiques quotidiennes... se demander si elles sont en conformité avec le projet de société auquel renvoient les finalités du système éducatif", c’est-à-dire avant tout "lutter contre toutes les formes de discrimination, se donner pour ambition de scolariser ensemble des jeunes qui ont tous droit aux mêmes connaissances" (savoir si les élèves ont tous les aptitudes nécessaires pour acquérir ces connaissances est une question qu’on ne pose jamais). Mais surtout on décide d’une rénovation de la classe de seconde des lycées qui fait un certain bruit. Le principe général est que pour obtenir une diminution de l’horaire total il faut sacrifier l’un des enseignements offerts en option, et c’est ainsi que la biologie-géologie dont le Ministre promettait qu’elle sera enseignée à tous les élèves de seconde (le 25 juin) est réduite (télex du 12 décembre) à n’être qu’une option parmi d’autres. On comprend l’extrême irritation des spécialistes. Ajoutons qu’il est interdit de choisir plus de deux options (plus d’élèves doués ou consciencieux) : les langues anciennes sont mises en concurrence avec la langue moderne abordée à la fin du collège, l’initiation à l’économie ou à l’informatique. Cette mort programmée de l’enseignement des langues anciennes ne pouvait que soulever l’indignation des spécialistes et l’Association créée par Mme de Romilly - Sauvegarde des langues anciennes - prend à juste titre un essor remarquable. Mais le pire est vraisemblablement atteint par les réformes qui concernent l’enseignement supérieur. C’est l’organisation de l’enseignement dans les deux premiers cycles qui est en cause, c’est-à-dire l’essentiel, mais je parlerai essentiellement de la réforme des deux premières années, constitutives du D.E.U.G., considérées dans l’une de ses versions récentes (la mieux connue), car elle est très caractéristique. Le thème fondamental est qu’il faut proscrire une spécialisation tenue pour "prématurée", à ce niveau comme à tous les autres. Il ne s’agira donc que d’un cycle "d’orientation et de prédétermination". En conséquence, une année sur deux est consacrée à une formation uniforme pour tous les étudiants d’un groupe de discipline, par exemple les sciences humaines. On veille à ce que la première année composée de six "modules" intitulés entre autres "Histoire des idées et épistémologie... Introductions aux grandes disciplines des sciences humaines", etc. ne puisse comporter aucune spécialisation occulte : si un "module" est défini par les universités, il doit être commun à tous les étudiants. D’ailleurs l’intention du ministère est d’imposer des programmes détaillés, avec volume horaire déterminé, ce qui est contraire à toute autonomie pédagogique. Surtout, une année pendant laquelle l’obligation est faite aux universités de ne rien apprendre ! Les directeurs des cinq U.F.R. ou départements de Philosophie de la région parisienne ont vigoureusement condamné dans un texte commun ce projet "indigent, disparate, parfois incohérent... qui passe de l’interdisciplinarité à la non-disciplinarité", avec "le rituel saupoudrage, totalement artificiel, de bribes de disciplines dont l’intitulé n’est même pas toujours compréhensible" et qui "aggravera la désorientation des étudiants, condamnera ceux qui ont choisi de suivre un cursus bien défini à une perte de temps", puisqu’on leur demande de commencer pendant un an l’apprentissage de la philosophie par celui des "méthodes en sciences humaines", ou d’autres sujets aussi mal déterminés. Ils peuvent flétrir le texte de présentation "consternant" qui accompagne le projet qui aurait pour objectif "d’améliorer la lisibilité des cursus" ; citant quelques passages, ils demandent s’ils sont invités à enseigner à leurs étudiants l’emploi d’expressions comme "les contenus disciplinaires... incontournables dans leur noyau dur, introduire davantage de fluidité à travers le dispositif bien articulé de passerelles", et concluent judicieusement qu’"un tel langage ne prêterait qu’à sourire s’il n’était le symptôme d’un mélange de lieux communs technocratiques et d’incertitude conceptuelle". Bref, leur jugement est sans équivoque : les étudiants décidés à faire de la philosophie ne viendront pas s’inscrire à l’université où leur serait offert, au mieux, un module sur douze d’histoire de la philosophie. Ils dénoncent la diminution massive (sans nécessité) du nombre d’heures d’enseignement, la "démagogie" qui régit les dispositions en matière d’examen... Le jugement des associations de professeurs d’histoire est dans le même registre : ils ont "pris connaissance avec consternation du projet d’arrêté et en demandent le report". Eux aussi dénoncent la disparition des disciplines qui sont sacrifiées au premier niveau à de vagues enseignements d’épistémologie et de méthodologie, l’appel à des "tuteurs" qui préparent leur maîtrise pour encadrer les groupes d’étudiants, la réduction des horaires, etc. Je crois qu’il est inutile de poursuivre : les réformes des lycées et des premiers cycles universitaires ont fait contre elle une rare unanimité. LA RÉFORME OU LA MORT On nous objectera que ces critiques sont le fait de spécialistes, peut être bien intentionnés, mais qui n’ont qu’une vision parcellaire, et négligent que l’accumulation de leurs exigences crée un fardeau insupportable pour les élèves, d’autant plus que le public a changé, etc... Ce discours de contre-attaque commence à sévir dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévision. Soyons clairs : qu’il puisse y avoir un attachement maniaque de chacun à sa propre discipline, au point qu’il ressent comme un déchirement toute réduction de son importance, c’est manifeste. Mais est-il vraiment question de réduire "les programmes démentiels", de porter remède à la "surcharge horaire" en organisant des cursus cohérents dont la finalité est claire ? Aucunement ; lorsqu’on introduit des intitulés du type "Introduction à...", ou "Méthodologie de...", on étend le champ à couvrir et, en fait, on multiplie les disciplines qui passent inaperçues parce que leurs contours sont flous et qu’elles ne sont même pas nommées. Ajoutons qu’on impose aux meilleurs des limitations injustifiées (le nombre d’options en seconde qui ne peut dépasser deux) ou une perte de temps (la première année indéterminée dans les universités). Obtenir de chaque corps de spécialistes quelques sacrifices pour rationaliser l’organisation de l’ensemble, est-ce le but ? Pas du tout. Car un problème n’est jamais posé par ceux qui défendent la réforme. Celui de la diversité des aptitudes et de la sélection qu’elle exige. On admet bien que les élèves soient divers, mais parce qu’on a diabolisé l’idée d’une "hiérarchisation" entre eux, on veut que tous soient capables de bénéficier d’un enseignement commun, qu’on ne différencie qu’à la marge et qui garantit à chacun, quoi qu’il ait fait, le même niveau de qualification, c’est-à-dire les mêmes chances d’emploi, le droit à des salaires égaux. C’est l’utopie égalitaire dans toute sa splendeur : le baccalauréat pour tous (ou presque tous), en luttant de façon permanente contre les filières-dépotoirs, qui se reconstituent insidieusement d’elles-mêmes ; le baccalauréat pour tous et bientôt la licence pour tous, en attendant le doctorat. En veut-on une preuve ? Les projets de M. Jospin ont suscité chez les lycéens et les étudiants une inquiétude qui s’est traduite par un certain nombre de manifestations que les syndicats de gauche ont su jusqu’à maintenant endiguer et orienter : si certains étudiants protestaient contre la suppression de leurs propres filières (spécialisées, sélectives, récemment installées et offrant des débouchés !), si d’autres - en partie à juste titre - gémissaient sur le manque de moyens (rengaine inévitable chez ceux qui sont liés aux organisations communistes), la majorité concentrait ses tirs sur les risques de sélection. Que la menace ait relevé du fantasme n’avait aucune importance. Le Ministère change alors un peu la présentation de son projet, gomme quelques virgules, aplanit quelques aspérités et diffuse auprès des universitaires deux documents de présentation de la nouvelle version, l’un intitulé "la lettre", l’autre "l’esprit". Ce dernier se présente sous la forme d’une feuille dont le verso a l’aspect d’un tract intitulé "Aucune mesure de sélection mais des droits inchangés, des droits consolidés, des droits nouveaux pour les étudiants". Suit l’énoncé de treize droits : "droit de s’inscrire sans restriction à l’université avec le baccalauréat - à une période d’orientation avant spécialisation [En fait, cette période n’est pas un droit, mais obligatoire], "à choisir une spécialisation en cours de premier cycle" [Entendez au bout d’un an], "d’accès aux notes données par le jury [c’est déjà le cas] et à un entretien avec le jury [Est-ce à dire que le jury devra se justifier ?], à compensation des notes, à capitalisation des modules acquis...". N’est-ce pas expliquer en termes feutrés, mais clairs, que le nouveau D.E.U.G. sera acquis pour tous ? J’ai rarement lu un tract plus démagogique. Et si le sort du baccalauréat n’est pas encore pleinement réglé, il est clair qu’avec le système des modules, le jeu du contrôle continu, on s’oriente dans la même direction. Par leurs actions, depuis des années les gouvernements ont créé les conditions qui rendaient inévitable l’adoption de mesures de ce type. Ils ont scolarisé dans le collège unique, type Haby, toute une génération, effaçant progressivement toutes traces de différenciation entre les filières. Au moment même où les adolescents ne trouvaient pas d’emploi à la sortie des collèges, ils ont fait miroiter le baccalauréat pour 80 %. En conséquence, il faut maintenant dégrader l’enseignement des lycées, pour qu’il soit accessible à un public qui lui est inadapté. Mais le nombre de bacheliers s’accroît chaque année. Comme beaucoup sont incapables d’insertion professionnelle, il reste à les inviter à s’engouffrer dans les universités, en facilitant le premier cycle, en le rendant si indéterminé qu’il n’exigera plus aucune vocation particulière. Nous en sommes là aujourd’hui ! Et dans deux ans que fera-t-on de tous ces titulaires de D.E.U.G. ? Il restera à les inviter à prolonger une scolarité fictive, organisée avec les maigres moyens qu’autorisent les contraintes économiques. Faute de crédits, faute de candidats compétents, faute aussi de vocations affirmées, on procédera à des réductions d’horaire, à des suppressions de disciplines on aura recours à des personnels non formés qui n’offrent aucune garantie au sujet de leur qualification. D’ailleurs toute une série de textes modifiant le recrutement et la gestion des personnels universitaires est promulguée dans la hâte. Ces décrets ont pour but de fournir au plus tôt tout le personnel docile dont on a besoin pour mettre en œuvre ces réformes et d’ôter aux corps universitaires toute velléité de réaction. Peu importe la valeur de l’enseignement qui sera dispensé. En apparence, toute une génération sera scolarisée. On sera même venu à bout de ce fléau qu’est l’"échec scolaire" puisque chacun recevra un parchemin (naturellement sans valeur). Le système éducatif aura rempli sa fonction de parking pour une génération dont la majorité est destinée au chômage... Mais que faire d’autre si on veut éviter la croissance des inscrits à l’A.N.P.E., avec tout le cortège de troubles sociaux et politiques qui s’ensuivrait ? Aujourd’hui, c’est au niveau des D.E.U.G., (nettement plus de 20 ans en moyenne pour les postulants) qu’on essaie de colmater les brèches. Il est difficile de concevoir qu’on aille plus loin. Depuis 1968, l’utopie égalitaire nous impose son implacable logique. Très rares furent les responsables de l’Education qui ont su ou voulu lui mettre un terme. Chacun était condamné à réformer toujours dans la même direction pour survivre. Je crois vraiment qu’aujourd’hui ce système pathologique est entré dans sa phase finale. Maurice Boudot M. Paul Séramy, Sénateur-Maire de Fontainebleau est décédé le 23 février. Rapporteur de la Commission des Affaires Culturelles du Sénat, il avait été en 1984, à la pointe de la résistance parlementaire au projet de loi Savary. Il avait, dans les mêmes fonctions, largement contribué à, selon sa propre expression, "éviter le pire", lors de la discussion de la loi Chevènement, en dénonçant son caractère liberticide dont on mesure aujourd’hui les effets. Il nous a, au long de ces années, toujours manifesté son amitié, en particulier en participant à notre colloque de juin 1985, et en assistant, aux côtés du Président Poher, à la remise des prix d’Enseignement et liberté en juin 1990. M. B. Enseignement et Liberté a participé à la réunion des Associations de défense de la liberté d’enseignement qui s’est tenue à Nantes le 1er février dernier, sur l’invitation du Comité du 4 décembre. L’ordre du jour de cette réunion, portait sur le recrutement et la formation des futurs maîtres du privé. Ils ne peuvent en effet bénéficier de la bourse annuelle de 70 000 F., réservée à ceux de l’Enseignement public, au sein des I.U.F.M. Les Associations présentes à Nantes ont souhaité s’entretenir de cette question avec le Comité National de l’Enseignement Catholique. Nul doute, qu’elle s’associeront aussi aux protestations contre la façon dont M. Jospin à floué le Père Cloupet, secrétaire général de l’Enseignement Catholique dans l’affaire de la dette de l’Etat pour le forfait d’externat. En effet, après que le Conseil d’Etat ait annulé les arrêtés du gouvernement fixant depuis 1982, le forfait d’externat dû à l’école libre, M. Jospin avait proposé d’apurer par un versement de 200 millions de francs, un retard évalué par l’Enseignement Catholique entre 4 et 5 milliards de francs. Le Père Cloupet acceptait alors un rattrapage limité à 1,8 milliard payables en six ans, à condition que soient prises simultanément des décisions établissant la parité entre les deux enseignements, sur les autres questions (formation des maîtres, etc...). M. Jospin lui a opposé une fin de non-recevoir sur ces autres questions, tout en faisant voter par le parlement un rattrapage de 300 millions de francs par an, pendant six ans, satisfaisant ainsi "franc pour franc", a-t-il eu le cynisme de déclarer, les demandes de l’Enseignement Catholique.
Lettre N° 34 - 4ème trimestre 1991
ÊTRE ENSEIGNANT AUJOURD’HUI Aborder dans un article de proportions modestes, les problèmes des enseignants à la fin d’une année qui nous a offert de nombreux livres sur le sujet est sans doute téméraire, mais je voudrais me faire l’écho de trois de ces livres avant de proposer ma réflexion déjà ancienne sur la vocation de professeur. Pourquoi attacher tant d’importance à ce sujet ? Cette question n’est pas nouvelle, en 1977 on avait organisé dans une école normale de la région parisienne un débat sur le sujet suivant "Comment peut-on encore être Prof. en 1977". Au cours de ce débat on avait remis à Claude DUNETON un prix récompensant un livre sur son expérience d’enseignant et dont le titre était "Je suis comme une truie qui doute". L’Education Nationale est en crise depuis fort longtemps - les réformes se succèdent à un rythme accéléré - les résultats sont de plus en plus inquiétants, on change les matières, les options, les horaires, les programmes, on ajoute là, on enlève ailleurs, on joue sur les mots, on modifie les structures, on invente de nouvelles méthodes - dernière nouveauté les I U F M (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres). Malgré tout la situation est toujours aussi inquiétante. Tous ces projets multiples dont certains n’aboutissent jamais ont pour effet de créer un désarroi dans le corps professoral, chez les parents et même chez les élèves. Dans l’ancienne pédagogie, on apprenait aux futurs professeurs que les enfants avaient besoin de sécurité et qu’il fallait toujours suivre le même ordre dans l’organisation de son cours. Hélas ! nous sommes loin de cet idéal. Les raisons en sont multiples et je vous renvoie aux trois livres dont je parlais plus haut, et qui se complètent assez bien. "Ecrits sur l’Enseignement" de Jacqueline de ROMILLY (de Fallois). Il s’agit de la réédition de deux ouvrages, l’un écrit en 1968 "Nous autres Professeurs" l’autre en 1984 "L’enseignement en détresse". Une préface fait le point sur la situation en 1991. Madame de ROMILLY est une universitaire, une académicienne mais surtout "Une femme qui a consacré toute sa vie à son métier de professeur" et qui souffre d’autant plus de voir la dégradation actuelle qu’elle avait mis plus haut son idéal d’helléniste. Le second livre est écrit aussi par un universitaire ; "Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry" ?", Philippe NEMO (Grasset) appartient à une autre génération qui n’a sans doute pas la même vénération pour le passé mais sa critique est véhémente. Après avoir mis en évidence l’échec scolaire et le retour des inégalités Philippe NEMO ne craint pas de parler d’un système soviétiforme. Le troisième livre qui me semble pouvoir rejoindre les deux précédents est bien différent. - "Cœur de Prof." (l’année sabbatique d’un cadre supérieur dans l’enseignement secondaire) - (Calmann Levy). En effet, Bernard HOUOT, ancien élève de l’école polytechnique a voulu être professeur de mathématiques dans un établissement de Lyon et il nous livre ses réflexions sur son expérience. Les critiques sont celles d’un homme venu de l’industrie et qui regarde l’école d’un œil neuf et sans préjugés, il rejoint cependant en partie les jugements précédents mais son point de vue devrait être plus convaincant, aux yeux du grand public qui a tant de peine à comprendre ce qu’est le métier de professeur. Je retiens le chapitre 5 particulièrement intéressant pour le sujet qui nous intéresse. Bernard HOUOT compare les méthodes de recrutement, celles de l’industrie et celles de l’Education Nationale. Il évoque les entretiens, les visites, les interviews qui précèdent la signature d’un contrat avec une entreprise. Pour l’enseignement qui est la communication par excellence, un diplôme donnant le doit d’enseigner suffit ! Mais il vaut mieux citer Bernard HOUOT "Dans le processus de recrutement et l’affectation des professeurs, j’ai le sentiment que l’Education Nationale a perdu le goût de la rencontre des autres. L’autre, cet être humain, ce professeur qu’il faut gérer et reconnaître, c’est bien sûr une somme de complexité". Quelle solution proposent ces trois livres ? De nombreuses dont je retiendrai la principale, une place essentielle donnée à la liberté. Madame de ROMILLY insiste sur le "savoir" facteur de formation et de liberté et pour atteindre ce savoir, sur l’esprit de compétition. Philippe NEMO et Bernard HOUOT réclament aussi une autre liberté celle de créer des écoles. Philippe NEMO souhaite des "créateurs d’école" "Des hommes et des femmes qui osent concevoir des projets d’école innovateurs et spirituellement libres". Le dernier chapitre de "cœur de prof." est une lettre à Lionel JOSPIN où l’on peut lire entre autres "Ma demande, c’est celle de pouvoir créer une école près de chez moi". Comment financer ces initiatives? par des chèques éducatifs selon le premier, en déduisant de ses impôts le montant de la scolarité de ses enfants, selon l’autre. Ces remarques, bien évidemment, ne suffisent pas à résumer ces trois livres très riches en analyses et en suggestions. Cependant, ces ouvrages nous permettent de revenir au sujet important, l’école, et à une de ses composantes essentielles "le maître". La crise de l’école n’est-elle pas en partie celle des enseignants ? * Même si l’on se borne aux maîtres du secondaire, la variété des situations est extrême. Les "grands" lycées échappent peut-être encore au désastre. Comment comparer un établissement situé dans un quartier résidentiel avec tel L E P des grandes banlieues ? La situation est donc très variable. Cependant, le malaise est là qui aboutit au doute, au désespoir, à la dépression quand ce n’est pas au suicide ; quand cela est possible, beaucoup s’orientent vers d’autres métiers plus rémunérateurs et moins pénibles, où l’on n’est pas nommé aveuglément à des postes lointains, et ainsi l’éducation nationale perd des éléments de valeur au profit des entreprises privées. Autre problème, la baisse inquiétante du niveau des élèves rend la tâche des professeurs surhumaine d’autant plus que l’augmentation des effectifs ne permet pas de s’intéresser aux plus faibles pour les "repêcher". Des effectifs pléthoriques favorisent l’indiscipline, l’insolence, les chahuts et dans les établissements où l’encadrement est insuffisant, ces situations sont insolubles et pour certains professeurs, la seule issue est le congé maladie, la retraite anticipée ou la fuite. En effet, le professeur n’est plus respecté, il n’a plus d’autorité, il exerce selon un sociologue "Un métier de classe moyenne". Cette expression est inquiétante, le professeur est vu comme un employé interchangeable, cette situation est selon Philippe NEMO "radicalement incompatible avec la nature même de la tâche enseignante". Ce dernier poursuit plus loin son raisonnement en affirmant "qu’une société ne peut être éduquée" que par "une aristocratie de l’esprit comme elle l’a été de fait en Europe depuis qu’il existe des écoles". Je n’évoque, que pour mémoire les conditions financières, elles sont plus difficilement supportables quand le métier n’est plus gratifiant. Autrefois, les professeurs acceptaient des rémunérations modestes, car ils faisaient un métier exaltant, maintenant, beaucoup vivent leur situation comme un bagne. Il faudrait au moins avoir une compensation financière pour accepter cet avenir sans horizon. Comment un professeur ne serait-il pas révolté quand il entend une présentatrice d’un journal télévisé du week-end annoncer tout naturellement qu’elle gagne 60.000 francs par mois. Nous vivons une période où toutes les valeurs sont bafouées. Former les esprits, soigner les corps, exercer la justice, quelle importance ! mais taper dans un ballon, renvoyer des balles, montrer son joli minois sur le petit écran voilà ce qui se pale dans la société moderne. J’aurais envie de dire une société a l’école qu’elle mérite, malheureusement, cette société, qui vit encore sur la lancée du passé, paiera sans doute cher ce mépris pour le savoir, car, le vrai rôle de l’école c’est bien la transmission du savoir et à travers ce savoir la possibilité d’une formation, d’une éducation, d’une culture. Cette transmission du savoir, passe par les professeurs. L’école secondaire, ce sont des cours où le professeur et ses élèves sont d’abord face à face puis peu à peu forment une communauté et l’essentiel de la formation se passe là, si le professeur est compétent, a quelque talent de communication, et des effectifs acceptables, l’affaire est gagnée. Bernard HOUOT éprouve cette même impression "vous êtes plongé dans un bain de jouvence. Il vous arrive d’éprouver un sentiment de grande plénitude". Qu’importe le reste ? les horaires, les programmes, les réformes. C’est pourquoi, tout doit être fait pour redonner aux enseignants un savoir solide, une dignité, des conditions matérielles acceptables (effectifs, cadre, sonorisation, petites choses dont l’importance est grande) une discipline générale de l’établissement assurant un minimum de calme et enfin surtout la liberté. Les meilleurs, les plus courageux d’entre eux ont su prendre cette liberté sans attendre qu’on la leur donne et ce sont ceux-là qui restent aux yeux de leurs anciens élèves des "maîtres". Si j’en crois Bernard HOUOT c’est aussi l’attitude de l’éducation nationale qui est à revoir. Pour elle, l’enseignant est un numéro, ce sont des circulaires anonymes qui règlent la carrière. L’administration doit respecter les enseignants au lieu de les traiter comme des objets sans valeur et sans âme. Il y a une quinzaine d’années on m’avait demandé de réfléchir sur la vocation de professeur, j’ai pensé qu’il serait peut-être intéressant de reprendre certains passages de cet article dans le cadre de réflexions sur les problèmes des enseignants. Après avoir insisté sur la nécessité d’avoir une solide formation universitaire afin de dominer la matière à enseigner sans négliger les apports de la psycho-pédagogie, l’article continuait ainsi : cependant toutes les connaissances universitaires, toutes les notions psychopédagogiques ne suffisent pas à "faire" un professeur, il y faut aussi certaines aptitudes fondamentales : Un équilibre ou plutôt une "tendance à l’équilibre" car, lorsqu’on choisit ce métier, on est à peine sorti de l’adolescence et l’on a pas encore fait dans sa vie "cette unité" vers laquelle tous, doivent tendre et qui est une des conditions pour être un "éducateur". Le professeur à travers la discipline qu’il enseigne doit avant tout aider ses élèves dans leur propre formation. Comment le faire si l’on n’est pas soi-même capable de se former ? Un certain détachement :
Un détachement qui doit allier les contraires : l’amour et l’indifférence. Je m’explique : Il faut "aimer" ses élèves, tous ses élèves : les doués et les moins doués, les sympathiques et les autres, les chahuteurs et les calmes, les aimer avec leurs qualités et leurs défauts, leurs aptitudes et leurs manques ; il faut vouloir leur réussite, mais il ne faut pas en faire un instrument d’une réussite personnelle ; il faut avoir de ce fait, une certaine indifférence à leurs réactions, leurs moqueries, leur manque d’intérêt, leur échec même (que savons-nous de ce qui apparaît comme un échec ?). Une aptitude à la communication, à la relation, car le métier de professeur implique un dialogue permanent avec les élèves, une collaboration active avec tous les membres de la communauté éducative (collègues, encadrement, direction, parents). En contradiction apparente avec ce qui précède, une capacité à mener sa vie professionnelle, seul. Dans le système actuel, lorsqu’un professeur a fini ses seize heures, ses dix-huit heures ou ses vingt heures, il est seul. Le danger serait de croire que le travail est fini ; même danger durant les mois de vacances. Il faut un sens de l’organisation, une volonté de travail personnel pour faire correctement son métier. Ce ne sont pas les différentes formes de contrôle extérieur, y compris l’inspection, qui seront une aide si l’on n’a pas en soi une volonté suffisante pour se prendre en main et utiliser les moyens collectifs que tel ou tel groupe de travail propose. Tels sont, me semble-t-il, quelques uns des points sur lesquels il faut réfléchir avant d’envisager de devenir professeur, sans se laisser séduire par la perspective des vacances ou par l’ambition plus noble de participer à la formation de "petits génies". Ce que je vais dire maintenant sur les difficultés et les joies de ce métier reprendra certains aspects de la première partie de cet exposé. Ce métier, suivant la personnalité de chacun, peut conduire à des résultats opposés. Aboutir à une sorte de puérilité est un des premiers dangers que je vois. Nous vivons toujours au contact d’enfants et d’adolescents et nos rapports avec les adultes sont relativement rares. Il faut donc toujours rester en éveil pour ne pas tomber dans l’infantilisme et faire, au contraire, de cette relation fréquente avec les jeunes, un facteur de rajeunissement. En effet, si, subissant le sort commun, nous vieillissons, nous nous retrouvons tous les ans devant la même tranche d’âge, et au contact de nos élèves nous pouvons évoluer peu à peu avec les générations, si évidemment nous avons décidé de les comprendre et non de les juger sans appel. Infantilisme ou éternelle jeunesse, c’est de notre attention que dépend la réponse. Une autre difficulté de ce métier, difficulté mise en évidence ces dernières années : l’école est coupée de la vie réelle ; nous avons ce paradoxe que des professeurs qui devraient préparer les enfants à la vie, risquent de mal la connaître. Les statistiques prouvent que les enseignants vivent entre eux et ont beaucoup de peine à sortir de leur milieu. La difficulté dans l’instauration d’un vrai dialogue avec les parents vient souvent de là. Selon le milieu social auquel appartiennent les élèves, le professeur est regardé d’un œil protecteur ou d’un œil respectueux. C’est tantôt le "pauvre type" qui est assez fou pour s’occuper de ces garçons et de ces filles dont deux ou trois suffisent à épuiser les parents, tantôt l’’’intellectuel", celui qui sait et a tout pouvoir, pouvoir mystérieux pour orienter l’enfant vers la "Faculté" ou les "classes techniques". Rarement s’établit un dialogue d’égal à égal et ce n’est pas toujours la faute des parents. Les enseignants doivent donc veiller à ne pas s’enfermer dans leur milieu, mais à essayer de vivre le plus possible au contact d’autres métiers, d’autres milieux d’avoir des ouvertures réelles et non théoriques et/ou livresques sur les problèmes de la vie moderne. C’est DESCARTES qui recommandait d’avoir un système de relations, "de fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions". Même s’ils paraissent quelquefois négliger leur métier, en réalité, par ce contact avec l’extérieur, les professeurs favorisent leur épanouissement, enrichissent leur enseignement, et cela est indispensable pour leurs élèves. Les gens de l’extérieur pensent que ce métier est monotone, qu’on recommence tous les ans la même chose. Qu’on me dise d’abord quels sont les métiers qui ne comportent pas une part de monotonie ! Ensuite, je répondrai que, comme je le disais plus haut, chaque année ce sont de nouveaux élèves à découvrir de nouveaux problèmes à trancher, une nouvelle classe à conquérir, même s’il faut, selon les matières et les niveaux, un peu rabâcher. On peut toujours se renouveler à condition de le vouloir. Engourdissement et pétrification, renouvellement et dynamisme, telle est l’alternative. Le métier de professeur est très éprouvant, et là ce ne sont pas des gens de l’extérieur qui le diront, car pour tout le monde, l’enseignant est celui qui a trois mois de vacances. Il faut bien savoir que tant qu’on n’a pas exercé ce métier, on ne peut avoir aucune idée de la tension qu’il exige et de l’épuisement dans lequel on se trouve au bout d’une journée de cours. De plus, si les heures de présence sont limitées, le travail ne s’arrête jamais, un cours n’est jamais assez prêt, la préparation lointaine ou immédiate est permanente. En revanche, ce travail peut être très enrichissant. La meilleure manière d’apprendre c’est d’enseigner aux autres. Tous les professeurs un peu sincères avec eux-mêmes seront de cet avis. Quand on se présente pour la première fois devant des élèves, on sait très peu de chose. C’est grâce à eux, à leurs questions, à leurs exigences, que peu à peu on approfondit tel aspect du programme, on clarifie certains points restés obscurs. On apprend ! Mais c’est là un point de vue intellectuel. Le plus grand enrichissement de notre métier, c’est que nous travaillons avec des êtres vivants, c’est à l’élaboration de la vie que nous participons... même si notre rôle est très diminué dans la société actuelle, il existe encore, et ce métier malgré ses difficultés est une source de joie. * Je relèverai une dernière contradiction. Parmi les exigences de ce métier, le respect de l’enfant et de l’adolescent est un impératif. Or ce respect implique non seulement qu’on donne à l’élève la possibilité d’être lui-même, mais aussi qu’on assure son droit à la vérité. Une des tentations de l’enseignant est la comédie, or les élèves exigent de nous que nous soyons vrais. Nous devons leur dire ce que nous sommes, ce que nous croyons, la neutralité me semble anti-éducative. La vie est un choix. Comment apprendre à choisir si soi-même on donne l’exemple de l’hésitation ou de l’indifférence, ne serait-ce que du point de vue esthétique ? On pourrait croire, au terme de cet article, que je pense surtout au professeur et très peu à l’élève. En réalité, si le professeur a "le goût de vivre" s’il est "bien dans sa peau", expressions que l’on relève couramment, les élèves par une sorte de contamination atteindront à un certain équilibre. Cette remarque servira de conclusion ainsi qu’une phrase de BERGSON qui me paraît résumer ce que je viens de dire tout en rejoignant la formulation plus moderne "On n’apprend pas ce que l’on sait, l’on apprend ce que l’on est". BERGSON disait : "Toute mon application, je la réservais pour ma culture personnelle, pour ma vie intérieure, pour mes lectures profondes, pour la recherche de la vérité... mes élèves profitaient... de cette source inconnue". Tel était l’état de ma réflexion en 1977. Aurai-je quelque chose à changer. Je ne crois pas si je me place du point de vue de l’idéal, mais si par hasard quelque malheureux enseignant dans ces établissements qui sont pillés et qui font la Une des journaux (et encore on ne nous dit pas tout) me lit, il pensera que je retarde de quinze ans. Peut-être ! Est-ce une raison pour ne pas croire à l’avenir ? Madame de ROMILLY dans la préface de son livre, parlait de sa ferveur toujours intacte ainsi que de son attachement au service public. Bernart HOUOT a découvert dans ses collègues d’une année, des Professeurs heureux et il va jusqu’à conseiller à ses amis : "Si vous êtes tenté par l’enseignement écoutez votre cœur. Osez quitter votre entreprise le temps d’une année sabbatique". La conclusion de Ph. NEMO est sans doute moins enthousiaste mais résolument optimiste en ce qui concerne les possibilités d’une réforme libératrice de l’éducation en France. Trois livres imprimés en 1991 après avoir été sévères pour la situation actuelle, offrent un peu d’espoir. Leurs auteurs croient que des hommes de bonne volonté existent encore pour faire changer le système. Croyons, quant à nous, que des professeurs ayant "la vocation" prendront la relève et que la société leur assurera le respect, la dignité indispensable pour ceux qui doivent former les esprits et les caractères des futures générations. Yvonne POIRIEUX J’espérais me donner un peu de répit, éviter de lasser les lecteurs en ne participant pas à la rédaction de ce numéro de notre Lettre. C’était vivre dans l’illusion. La politique conduite par M. JOSPIN suscite actuellement de tels phénomènes de rejet que les adhérents d’Enseignement et Liberté ne me pardonneraient pas de rester silencieux. Quelques caractères distinguent la crise qui vient d’éclater, car on ne peut douter qu’il s’agisse d’une crise :
Toutes les situations, qui ont engendré cette agitation qui reste actuellement larvée, ont en commun d’être sans précédent, soit par la nature du phénomène, soit par son ampleur. L’enseignement privé a l’habitude d’être mal traité. Mais, depuis de nombreuses années, on n’avait jamais abouti à une telle accumulation en matière de retards de paiements (forfait d’externat, subvention pour la formation des maîtres, subventions d’investissements). Je renvoie à l’excellent document de la Commission permanente du Comité national de l’enseignement catholique publié dans le n° 167 d’ECD pour les détails techniques. On parle de 5 milliards qui auraient dû être versés si on avait respecté cette parité qu’exige l’équité ou plus simplement la loi. L’UNAPEL qui a pourtant fait montre d’une patience à mon sens excessive doit se révolter devant l’ampleur de l’injustice et il n’y a pas lieu de s’étonner si la base manifeste. Comme en 1984, c’est la Bretagne qui a commencé à faire parler d’elle (20.000 manifestants) et il n’y aura pas lieu de s’étonner si le mouvement s’étend. Les élèves de l’I.U.F.M. sont furieux des contraintes ineptes que leur impose une formation ridicule où ils n’apprennent pas la discipline qu’ils auront à enseigner. Ils s’indignent de ne rien savoir sur le sort qui leur sera réservé, sur l’avenir des concours de recrutement. A vrai dire, pour la première fois depuis l’histoire de la République, on recrute depuis quelques années des fonctionnaires avant d’avoir défini leurs fonctions, droits et obligations ! C’est aussi la première fois - du moins en temps de paix ! - que des fonctionnaires attendent plusieurs mois leur traitement : c’est pourtant le cas d’un certain nombre d’instituteurs en région parisienne. Enfin, y a-t-il des précédents à cette fermeture de toutes les écoles de Mantes-la-Jolie (ville de 50.000 habitants) parce que les maîtres estiment que leur sécurité n’est pas assurée ? Ils jouissent de l’appui de la population... tandis que les syndicats essaient d’endiguer le mouvement avec leur discours usé, et qu’en catastrophe les autorités finissent par accepter de négocier lorsque le mouvement menace de faire tâche d’huile. Vraiment, il y a crise de l’éducation, et bien au-delà, c’est l’autorité de l’Etat qui est en cause. Alors est-ce une simple bourrasque ou l’annonce d’un ouragan ? Il est un peu tôt pour le dire. Maurice BOUDOT Lettre N° 33 - 3ème trimestre 1991
L’EMPIRE DU MENSONGE Le coup d’Etat qui vient de se dérouler sous nos yeux était si mal monté, condamné à un échec qui aurait pu être différé mais qui n’en était pas moins inexorable, qu’on en vient à se demander si on n’est pas victime d’une prodigieuse opération d’intoxication médiatique dont l’affaire de Timisoara offrit en quelque sorte une image en réduction. Nous sommes tellement échaudés que nous sommes devenus méfiants, trop sceptiques pour ne pas être décontenancés devant un événement dont il n’est pas absurde de se demander s’il ne relève pas de l’ordre du miraculeux. Mais, aussi grande que soit notre prudence, même si nous ignorons ce qui s’est exactement passé, les intentions qui étaient celles des principaux acteurs, l’état des forces en présence et à plus forte raison ce que nous réserve l’avenir, il serait absurde de dire qu’il n’y a rien de neuf à MOSCOU, ou du moins rien d’essentiel. L’union dissoute, le parti communiste suspendu officiellement (même s’il se reconstitue ou subsiste dans l’ombre), les langues des personnages officiels les plus élevés qui se délient pour nous redire l’absurdité du système sous lequel ils vivaient depuis 74 ans, les statues des Pères fondateurs (Lénine inclus) déboulonnées, les drapeaux traditionnels exhibés, les Pays Baltes enfin libérés, Cuba abandonnée, ce bilan est considérable. Et qu’on n’aille pas nous objecter que certains de ces changements sont de l’ordre du symbolique, car le régime dont nous parlons, plus encore que beaucoup d’autres, vivait de symboles. Non, il ne s’agit pas d’une simple comédie destinée à tromper les bailleurs de fonds occidentaux. Il faut le reconnaître : nous venons d’assister à la fin du communisme, c’est-à-dire du régime marxiste-léniniste, dans le pays qui l’avait instauré, diffusé, gouverné. Même si l’avenir nous offre quelques surprises déplaisantes avec d’étonnants retours de flammes, aussi grandes que soient les vertus de la dialectique, il y a quelque chose d’essentiel irrémédiablement brisé dans ce qu’on avait mis en place en 1917. L’image de Staline ne pouvait pas être restaurée après le fameux rapport Khrouchtchev, ni maintenu le régime de terreur, ce qui d’ailleurs devait entraîner la déliquescence du système en 35 ans. De même dans le cas présent : le rôle du parti, la dictature du prolétariat, la société sans classe, ces piliers idéologiques du régime sont réduits en poussière. Il n’y a donc pas de raison de minimiser l’événement et je m’estime pleinement en droit de m’en réjouir puisque j’ai toujours clairement manifesté l’horreur que m’inspirait le marxisme-léninisme. En revanche, il me semble opportun de prémunir contre un optimisme excessif lorsqu’on essaie d’apprécier les conséquences de cet événement dans notre pays et notamment en ce qui concerne la vie culturelle et le système éducatif. J’ai de bonnes raisons de craindre que l’euphorie créée par le spectacle estival offert par les télévisions n’ait des effets démobilisants et que, dans le domaine qui nous préoccupe, le bilan soit en définitif bien moins positif qu’on l’imagine trop souvent. RETOURNEMENTS DE VESTE ET REPLIS STRATEGIQUES. Bien entendu, il y a dans l’immédiate actualité quelques aspects réjouissants. Au premier rang, les retournements de veste. Certes les intellectuels notables avaient depuis un certain temps pris leurs distances. Mais des personnages de moindre importance se sont quelquefois trouvés dans l’obligation de brûler un jour ce qu’ils avaient adoré la veille. On a constaté une évolution quelque peu brutale de certains organes de presse. On encense aujourd’hui Eltsine ou Landsbergis qu’on méprisait hier ! Beaucoup de ces conversions relèvent d’un retournement de veste d’autant plus écœurant que ce n’est ni la contrainte, ni la menace, qui obligent à ces changements d’opinion qui atteignent même les grandes consciences "professionnelles". On aimerait que pour applaudir à la chute du communisme éprouvent quelque gêne ceux qui se félicitaient de la "libération" de Phnom Penh par les Khmers rouges. Je ne crois pas que ce soit le cas. Toutes les palinodies de nombreux plumitifs et de beaucoup d’hommes politiques constituent un spectacle divertissant, mais aussi instructif : elles montrent le peu de crédit que nous devons leur accorder. Espérons que cette leçon de prudence sera effectivement comprise. Mais surtout, à l’occasion de sa chute, un bilan du régime, peut-être encore sommaire, mais incomparablement plus complet que ce à quoi nous étions habitués, a été dressé. Et ce bilan, loin d’être globalement positif, est de part en part accablant. Accablant en ce qui concerne l’horreur du système, le nombre de ses victimes, mais aussi la complicité ou l’aveuglement de nombreux intellectuels et de vastes secteurs du personnel politique. On savait qu’Aulard ou Mathiez, honorables universitaires spécialistes de la révolution de 89, justifiaient la Terreur rouge à partir de leurs réflexions sur celle qui avait ravagé notre pays, qu’Aragon a écrit des vers ridicules, que Pablo Neruda se déshonore par la bassesse de ses textes sur Staline ou l’abjection de son éloge de la "bonne" bombe atomique (celle de l’Est, bien entendu), que Sartre mêle l’ignominie de son éloge des crimes politiques à la désinvolture de certains propos (annoncer en 1954 que six à dix ans plus tard le niveau de vie en URSS sera de 30 à 40 % supérieur au nôtre, avec cette précision stupéfiante pour un homme qui n’a aucune compétence économique, est un comble !), que les dirigeants socialistes ont su très tôt que la Tcheka imposait un régime de terreur et n’ont pas donné à leurs informations toute la publicité qu’elles méritaient, etc. Pour l’essentiel, ces faits étaient connus d’un bon nombre d’entre nous. Il était bon qu’ils soient remis en mémoire, présentés bout à bout dans des dossiers, dont certains excellents, qu’ont publiés des périodiques. Le bilan apparaît alors en pleine clarté et la peste rouge dans toute son horreur. Qu’on ne cherche plus à atténuer le jugement est un fait nouveau. C’est un tabou qui vient de tomber. Aucune autre horreur n’excuse celle-ci et les bons esprits qui se sont faits complices par leur complaisance ou leur silence sont inexcusables. Il est loin derrière nous le temps où on imputait la responsabilité, sinon dans sa totalité, du moins en majeure partie, à Staline et au culte de la personnalité. C’est bien le système lui-même, tel que l’édifie Lénine, qui est condamné et non pas une de ces déviations temporaires, et comme accidentelles. Est-ce à dire que le socialisme, du moins sous sa forme marxiste, va dépérir en France ? Rien n’est plus incertain. Dans le monde politique, M. Marchais continuera à défendre le socialisme "réel" tout en nous assurant qu’il a depuis longtemps rompu avec le modèle soviétique (ce qui est la stricte vérité). M. Mauroy pourra bredouiller que ces événements permettent enfin à son parti d’être vraiment social-démocrate - on est d’ailleurs ravi d’apprendre qu’il ne l’était donc pas jusqu’à ce jour ! -, quant au Président de la République lui-même, il définit le socialisme, tenu pour un idéal bien plus que pour un système politique - comme si Marx qui se veut un homme de science était un idéaliste -, en termes tellement indéterminés qu’on ne voit pas bien à quoi il s’engage à se dire socialiste ; même pas probablement à la défense d’une politique d’égalisation des conditions par redistribution autoritaire des revenus. Bref, soyons assurés que les politiques sauront se tirer d’affaire pour ne pas être trop éclaboussés, et, comme le communisme effraiera beaucoup moins, rien ne garantit que ceux qui se sont compromis avec lui y perdront beaucoup de plumes. En ce qui concerne les intellectuels, la situation sera probablement plus délicate. Mais subsiste un noyau de militants durs, très bien formés, assurés dans leurs croyances, qui ne seront aucunement ébranlés par ce qu’ils doivent tenir pour des péripéties. Il suffisait d’entendre avant l’été M. Boudarel ou, juste après sa très récente libération, M. Serfaty, pour qu’on soit assuré qu’ils n’ont rien abandonné de leurs convictions exprimées dans une langue parfaitement rigoureuse - j’écris ce terme sans ironie - et qu’aucun événement ne peut ébranler leur système de pensée. On me dira qu’ils constituent une catégorie assez minoritaire d’âge avancé. J’en conviens ; mais constatons le fait : la vieille garde demeure. Reste l’énorme masse de ces intellectuels qui, tout en justifiant par diverses contorsions les distances qu’ils prennent par rapport au P.C.F., se sentent plus ou moins marxistes ou éprouvent le besoin de se situer par rapport au communisme. Comment vont-ils évoluer ? Bien sûr, le marxisme-léninisme ne verra vraisemblablement pas s’accroître sa force attractive. Mais cela fait longtemps qu’il est en décrue, surtout dans les jeunes générations. En 1983 Max Gallo déplorait, non sans raison, le silence des intellectuels de gauche. Effectivement, depuis une dizaine d’années, il est très démodé de se dire marxiste. Mais de là à se définir comme antimarxiste, il y a un pas qu’on ne franchit pas, même si on se défend de se désintéresser de la politique ! C’est dire que la mode laisse place à toutes les attitudes ambiguës. Ceux qui entendent sauver la pensée de gauche ont donc devant eux un champ relativement ouvert. Indépendamment des idéologies de substitution, comme un vague humanisme cosmopolite qui pourrait remplacer le socialisme, beaucoup de possibilités demeurent. On pourra dire que même si le marxisme est mort comme idéologie, "beaucoup de ses concepts et de ses analyses ont été intégrés dans les sciences humaines", de telle sorte qu’il semble constituer un acquis irremplaçable. C’est ce qu’affirme dans une très récente interview M. Jospin - qui parle ici en penseur de la politique et non comme politicien. Cette position serait à la rigueur défendable, si on nous disait mieux ce que sont ces acquis : quand je vois évoquées dans la suite la théorie des idéologies ou celle de l’exploitation, je crains que notre auteur n’en reste à un marxisme très classique bien difficile à défendre après les derniers événements. On pourra, de façon plus générale, sacrifier Lénine et se replier sur Marx. Sans le léninisme, c’est-à-dire l’analyse du rôle du parti nécessairement unique, la théorie de la prise du pouvoir, reste-t-il grand-chose de Marx réduit à une métaphysique indigente, à une théorie économique absurde et à une philosophie de l’histoire à la fois insignifiante et fragile ? Même si on s’efforcera de ne parler apparemment que de Marx, je pense qu’on continuera à penser au marxisme-léninisme. Prenons un exemple : vient de se dérouler un débat télévisé entre un historien connu et un professeur de philosophie. L’historien, qui ne se donne pas pour marxiste, éprouvait le besoin de reconnaître sa dette à l’égard de Marx. Quant au philosophe, sans éprouver visiblement le moindre besoin de se justifier, il nous présentait comme une évidence que les événements de Moscou allaient enfin "nous rendre possible la lecture de Marx" - mais qu’est-ce qui l’empêchait donc ? -, celle entreprise par exemple par Althusser ! Bien sûr, il négligeait d’avertir les spectateurs qu’Althusser était un léniniste de stricte obédience qui s’était séparé du P.C.F., lorsque celui-ci, par démagogie, manquant à la rigueur, avait renoncé au terme "dictature du prolétariat". J’ai donc bien peur qu’au nom d’un retour à Marx on en revienne à cette orthodoxie léniniste à laquelle le régime de Moscou était parfaitement fidèle ! Attendons-nous au pire. Bien sûr les intellectuels seront déstabilisés pendant un certain temps, mais, au prix de multiples pirouettes et d’innombrables non-dits, ceux qui inclinaient au marxisme-léninisme pourront ne rien changer à leurs opinions sans trop perdre la face ! LA MARXISATION DE L’ENSEIGNEMENT Ce long détour par une analyse de la situation dans le monde culturel était indispensable pour apporter un fondement plus solide à l’argumentation qui va suivre : je pense que notre système d’enseignement, dans son ensemble et à tous les niveaux, est profondément marxisé, qu’il prédispose nettement ceux qu’il forme à bien accueillir les thèses marxistes, mais que les vicissitudes du régime soviétique et son échec patent auront, du moins à court terme, une influence presque négligeable sur cette situation. Démarxiser l’enseignement, au sein du personnel politique, le précepte est adopté par un certain nombre d’excellents esprits. De M. Bruno Mégret qui avait déjà publié de très précieuses enquêtes sur le contenu des manuels scolaires lorsqu’il présidait les C.A.R. (Comités d’Action Républicaine) et qui aujourd’hui, parlant au nom du Front National, note que des manuels d’histoire, de français, de géographie, d’instruction civique "distillent les idées condamnées par les peuples de l’Est" et qu’une révision de tout ce matériel est le minimum indispensable, jusqu’à M. Philippe de Villiers qui s’engage avec le courage et la sincérité que nous lui connaissons, en passant par le Professeur Mattei (député P.R. de Marseille) qui très radicalement se demande si on continuera à présenter l’idéologie marxiste comme un système respectable, pour conclure qu’on ne peut plus maintenant justifier le mensonge. Tous ces textes sont bienvenus et leur convergence est très significative. D’ailleurs, pour notre part, cela fait longtemps que nous attirons l’attention sur les manuels et longtemps on avait l’impression de prêcher dans le désert. Peut-on espérer que cette époque est définitivement révolue ? Que le contenu de l’enseignement développe une prédisposition en faveur des thèses marxistes n’est guère contestable, même si on peut hésiter pour estimer l’ampleur du phénomène. Bien entendu, celui-ci se manifeste de façon variable selon les disciplines. Mathématiques et sciences expérimentales ne sont pratiquement pas affectées, alors que le sont essentiellement l’histoire, les sciences sociales (parmi lesquelles nous rangeons l’économie), la géographie humaine, la philosophie et même toutes les disciplines à composante littéraire. Fréquemment ce qui est enseigné est grossièrement idéologique. Je pense donc qu’il est indispensable d’entreprendre une longue campagne d’opinion au sujet des manuels scolaires. Il est anormal que trop souvent "le socialisme sous toutes ses formes soit enseigné comme le modèle et le terme de l’histoire du genre humain", selon l’excellente formule de Philippe de Villiers qui résume parfaitement la vulgate scolaire de la philosophie marxiste de l’histoire (un acquis pour M. Jospin ?). Mais il faut ne se faire aucune illusion : à côté des cas flagrants - les manuels qui donnent une vision idyllique des pays de l’Est, de même que certains encensèrent Staline - il y a des cas de propagande plus sournoise mais tout aussi nocive. De plus, ce serait une erreur que de se restreindre à quelques disciplines au premier rang desquelles on trouve l’histoire, il faudra débusquer l’idéologie partout où elle se trouve. Il y a quelque temps, les enseignements d’espagnol offraient facilement l’hospitalité à un éloge de Castro, qu’on trouvait dans certains manuels. De façon générale, les enseignements de langues sous prétexte d’initiation à la civilisation et à la vie contemporaines offrent des possibilités inépuisables. Bref, on aurait tort de se focaliser sur quelques exemples criants ; le travail sera long et difficile. Supposons ce travail accompli. Il faudra substituer aux manuels litigieux d’autres livres plus acceptables. Or, on en fait constamment la cruelle expérience, il arrive que rien de satisfaisant ne soit proposé sur le marché. Le caractère verrouillé du système des éditions scolaires explique largement cette situation. Supposons qu’on ait trouvé, ou fait rédiger et éditer un manuel acceptable, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Encore faudrait-il qu’il soit adopté dans les classes, ce qui dépend très largement des enseignants eux-mêmes. Craignons leurs réactions hostiles s’ils ont le sentiment qu’on entend leur forcer la main ou les soumettre à un contrôle. Bien entendu, si une action est entreprise, soyons assurés qu’elle se déroulera sous l’accusation qu’elle constitue une "chasse aux sorcières", reproche cocasse lorsqu’il vient des partisans de la pire terreur, mais qui a comme le pouvoir magique de faire s’évanouir en fumée les résolutions les plus fermes de la droite. Qu’on m’entende bien : je tiens le problème des manuels pour essentiel, je me réjouis de le voir enfin posé de façon rigoureuse. Mais je mets en garde contre l’illusion qu’il pourrait être facilement résolu, et que les socialistes sont prêts, de quelque façon, à contribuer à sa solution. Il faudra une action longue, cohérente, persévérante, à laquelle devront participer les politiques, les parents d’élèves et les segments du corps enseignant qui ne sont pas atteints par le virus marxiste, pour redresser véritablement une situation profondément dégradée. C’est tout ce que je veux affirmer au sujet des manuels. Je crois également que ce n’est pas le seul vecteur de la marxisation de l’enseignement. Peut-être même n’est-ce pas le plus important, même si c’est le plus voyant pour les observateurs extérieurs à l’école. J’en noterai trois autres auxquels il est plus ou moins facile d’ôter leur venin. Le premier est constitué par l’orientation idéologique et la formation culturelle de la majorité des enseignants. Tout le monde sait qu’ils sont en moyenne plus à gauche que l’ensemble des Français. Mais leurs préférences électorales ne mesurent qu’imparfaitement cet écart, qui est encore plus important qu’on pourrait le croire, car ce sont ceux qui accordent le moins d’importance à la vie politique qui sont le plus à droite ! Il n’y a pas lieu de s’étonner de cette situation, résultat du privilège accordé par la droite à l’économique sur le culturel (même du temps où régnait l’agrégé Pompidou). En moyenne, les enseignants ont été formés il y a vingt ans lorsque régnait de façon éclatante un marxisme d’autant plus envahissant qu’il était très relâché depuis 1968. Telle était la dominante de la culture qui les nourrissait. Considérez les titres les plus vendus dans la presse hebdomadaire ou quotidienne de niveau correct, la production du petit écran, etc., vous ne trouverez que peu d’éléments qui viennent contrebalancer cette influence. Entrez dans une librairie et confrontez au rayon des essais le nombre d’ouvrages qui relèvent plus ou moins de l’obédience marxiste à ceux qui lui sont opposés. Le résultat est sans équivoque. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner : ces fruits amers de la légèreté des politiques, nous les avons vus mûrir et nous sommes aujourd’hui confrontés à des difficultés inextricables. L’un des problèmes les plus graves auxquels sont confrontés les pays de l’Est récemment libérés est celui de la formation des enseignants de certaines disciplines. Nombre d’entre eux, notamment en philosophie, ne connaissent et ne savent enseigner que le marxisme-léninisme. Comme il n’est pas question de chasser ceux qui ne se sont pas personnellement compromis avec le totalitarisme, et que pour beaucoup il est trop tard pour les "recycler", il reste à attendre leur retraite... Certes, en France, la situation est notablement différente. Personne n’était soumis à la censure, astreint à l’orthodoxie par les méthodes qu’on connaissait ailleurs. Mais la paresse intellectuelle, la prodigieuse volonté de ne pas se singulariser propre aux enseignants, l’air du temps, le poids des acquis, ont produit des effets plus atténués, mais assez analogues. Prenons-en notre parti. Indépendamment du fait que les enseignants seraient pleinement en droit d’invoquer leur imprescriptible liberté d’opinion, ils ne vont pas refaire leur culture vers 40 ans, et d’autant moins que le métier est devenu si peu gratifiant qu’ils sont incités à l’inertie. Il faut simplement espérer que les nouvelles générations seront mieux formées - ce qui suppose qu’on s’oriente dans une direction radicalement opposée à celle qu’indique la mise en place des I.U.F.M - et que par ailleurs les conditions d’exercice du métier seront modifiées de telle sorte qu’elles ne disposent plus aussi aisément à la diffusion de l’idéologie. Cela concerne d’abord l’organisation générale de l’enseignement, ensuite les programmes traités. L’organisation marquée par l’égalitarisme systématique, le laxisme croissant (plus de classes à l’école primaire, mais des "parcours" indéfinis, plus de redoublement, et bientôt plus d’examens avec la disparition du baccalauréat dont la mort est programmée) font vivre les élèves dans un univers régi par des principes aux antipodes de ceux qui gouvernent le monde de l’entreprise. Etonnons-nous ensuite si l’univers capitaliste leur apparaît radicalement étranger, et en conséquence hostile ! Ajoutons à cela le rôle croissant donné aux associations d’élèves, dans de nombreux cas habilement manipulées, et on reconnaîtra que tout est mis en œuvre pour que soit créé un climat favorable à la diffusion de l’idéologie marxiste. Tous ces facteurs ont une action globale et indirecte qu’il est difficile de mieux préciser en quelques lignes. A eux seuls, ils mériteraient une étude, mais il fallait au moins les signaler ici. Mais l’essentiel concerne les programmes : depuis plus de 20 ans, le principe directeur est de privilégier l’actualité et de faire en sorte que l’enseignement trouve son centre dans l’étude du monde contemporain, à laquelle on a progressivement accordé une quasi-exclusivité. Bien entendu, l’histoire est la première concernée, mais aussi toutes les disciplines littéraires : on a vu pratiquement disparaître l’étude des textes classiques en français et dépérir les langues anciennes. Les propositions de renouvellement de programme de la section des lettres de l’Ecole normale supérieure - il ne s’agit donc pas de n’importe quel concours, mais de celui qui donne l’accès à l’établissement vraisemblablement le plus illustre - sont significatives. Pour l’épreuve d’anglais, en plus de deux textes très classiques, on inscrit comme question "l’Amérique de Reagan" et on propose à titre indicatif une bibliographie aucunement engagée, mais qui contient des titres qui relèvent plus de la "politologie" ou du journalisme que des traditions universitaires. Cette hâte à suivre l’événement, combinée à de vieilles habitudes, peut donner des résultats assez cocasses. Ainsi, la même note (envoi daté du 5 juin) prescrit en géographie comme seconde question l’étude des mutations politiques et nouvelles solidarités régionales en "Europe de l’Est" ; mais dans une parenthèse l’énumération des pays concernés commence par "R.D.A.". On avait oublié que cet Etat n’existait plus. Lapsus significatif. A trop vouloir s’accrocher à l’éphémère, on risque d’être débordé par les événements. Encore ce programme concerne-t-il exclusivement des étudiants hautement sélectionnés, mais des phénomènes analogues se manifestent à tous les niveaux depuis l’école primaire. A vouloir ne pas séparer l’enseignement de la vie, on transforme tous les professeurs en simples journalistes. Ce qui peut être sérieusement traité dans certaines enceintes pour un public qualifié, risque de sombrer dans le bavardage lorsqu’on le met à la portée de n’importe qui. Il est ridicule de vouloir transformer en un mini sciences-po (qui n’est d’ailleurs peut-être pas en soi un modèle) la moindre classe de collège. C’est la meilleure façon de procéder pour que plus personne ne sache lire ou écrire. C’est aussi la porte ouverte aux discours idéologiques et à la politisation. Je ne dis pas qu’il soit impossible d’étudier les années Reagan de façon objective, mais c’est sans aucun doute plus difficile que lorsqu’on entreprend de parler des derniers Stuarts. Il y a des objets trop proches de nous pour ne pas soulever aisément les passions. Que l’orientation des programmes risque de mettre en péril l’objectivité, qu’elle favorise la politisation, personne en définitive ne le nie. Après les événements de Moscou des représentants de parents d’élèves ont fait part de leur inquiétude au ministre. M. Jospin a reconnu que peut-être il y aura lieu de réviser certains manuels, mais comme mesure d’urgence, faute de mieux, il conseillerait aux jurys d’examen de ne pas interroger sur ces événements très récents pour éviter de laisser une trop grande part à la subjectivité, aux préférences personnelles. Aveu significatif, mais si la mesure est sage, elle n’apporte qu’un palliatif dérisoire à un mal bien plus grave. Toute action contre la politisation de l’enseignement passe donc par une révision des programmes dans leur lettre et dans leur esprit. N’attendons des événements de Moscou aucun miracle chez nous. Le système de mensonges qui y a régné 74 ans est si profondément enraciné de multiples façons dans l’esprit de beaucoup de nos compatriotes qu’il continuera pendant très longtemps encore à exercer son influence nocive. Maurice BOUDOT. LIBERTE D’ENSEIGNEMENT EN EUROPE : DERNIERES TENDANCES Lorsqu’on regarde la liberté d’enseignement en Europe on ne peut pas renoncer à la qualifier de "parent pauvre" des droits de l’homme. En effet, dans beaucoup d’Etats, elle n’est pas considérée comme un droit du même rang que les autres. Pourtant cette liberté est protégée par 13 instruments internationaux, depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Déclaration des droits de l’enfant, la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion et la conviction et la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, la Convention et la Recommandation concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement de l’UNESCO, La Recommandation relative à la situation du personnel enseignant conjointe UNESCO/OIT, la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe, la Convention américaine des droits de l’homme de l’Organisation des Etats Américains, la Résolution sur la liberté d’enseignement dans la Communauté Européenne du Parlement Européen, jusqu’au Document de clôture de la réunion de Vienne de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). D’après ces textes la liberté d’enseignement comprend quatre droits :
Il faut bien noter que selon les textes internationaux le droit de choix des parents ne doit pas être limité au domaine éthique ou religieux ou aux convictions. La liberté d’enseignement concerne également le type d’éducation, notion plus large qui peut faire référence aux contenus pédagogiques ou au caractère propre de l’école. Ces droits demeureraient purement théoriques si les Etats ne les rendaient possibles sur le plan financier. C’est pourquoi le droit au choix suppose qu’il peut s’exercer sans contrainte économique, ce qui implique que l’Etat doit subvenir aux besoins financiers de ces établissements autres que ceux des pouvoirs publics. La Résolution sur la liberté d’enseignement du Parlement européen permet de bien cerner cette question essentielle pour la liberté dont il est question ici. Le droit à la liberté de l’enseignement - dit la Résolution - implique l’obligation pour les Etats membres de rendre possible également sur le plan financier l’exercice pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de leur mission et à l’accomplissement de leurs obligations dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics (par. 9). Dans le contexte européen les situations sont très variées, mais le bilan n’est pas globalement favorable. S’il est vrai que les législations permettent l’exercice de cette liberté, dans la plupart des pays le respect est presque partout purement formel. La question essentielle demeure l’aide financière octroyée à l’école non étatique, car la plupart des pays font une interprétation purement négative de ce droit : interdit d’interdire. Il n’est pas dans notre intention de faire ici une analyse exhaustive des différentes situations, nous voulons aborder plutôt certaines tendances nouvelles que l’on peut observer aisément. Ces tendances pourraient être présentées de la façon suivante :
L’OIDEL prépare actuellement un rapport permettant d’évaluer la situation des pays européens au travers d’indicateurs précis déterminant les degrés de liberté. Ces degrés s’échelonnent de l’autorisation légale de fonder des établissements privés (le plus bas), à l’appui des pouvoirs publics à la création de nouveaux centres (aide financière apportée aussi bien pour les frais de fonctionnement que pour les dépenses d’investissements). Sous la dénomination pays avec législation restrictive nous comprenons ceux qui autorisent l’existence d’écoles non étatiques mais qui ne leur octroient aucun subside. Nous laissons ici de côté les formes que peut revêtir la subvention octroyée par l’Etat : dégrèvement fiscal, bon scolaire, financement direct à l’école, etc. En Italie le principe même de la subvention est plus ou moins interdit par la Constitution. En Grèce, l’Etat ne verse aucune subvention aux écoles non étatiques et la création de centres privés d’enseignement universitaire est également interdite par la loi. Dans ces pays on ne remarque actuellement aucune volonté de changement dans la majorité de la classe politique. Ce n’est pas le cas des mouvements sociaux très actifs par exemple en Italie. Une deuxième tendance marquée est la crise que traversent les systèmes libéraux, où il existe une réelle liberté de création et gestion de centres privés. Ces centres sont financés par l’Etat au même titre que les centres publics. C’est le cas des Pays-Bas et de la Belgique. Les écoles reçoivent une subvention de l’Etat en fonction du nombre d’élèves, indépendamment de l’orientation du centre. Dans ces pays, surtout en Belgique, il existe cependant un profond malaise parmi les enseignants. En effet l’école privée est monopolisée par des réseaux qui, en se substituant à l’Etat, ont hérité de ses défauts : bureaucratisation, uniformisation et démesure. On remarque également une perte d’identité des écoles : à l’origine surtout catholiques, protestantes ou laïques (libre pensée). Souvent cet abandon est lié à la crise idéologique des groupes promoteurs et, paradoxalement, au désintérêt des parents pour les projets éducatifs des centres. Troisième tendance particulièrement dangereuse : la régression dans des pays dont les lois éducatives établissent clairement la liberté de choix des parents. Par des mesures d’ordre administratif et budgétaire l’Etat vise à la réduction progressive de l’enseignement dit privé. Au début des années 80 en France et en Espagne les gouvernements ont lancé une virulente campagne contre la liberté d’enseignement qui s’est soldée plus ou moins par un échec. Les mêmes gouvernements ont adopté alors une tactique sournoise consistant à multiplier les obstacles pour rendre difficile, voire impossible, l’existence des écoles privées. En Espagne, l’Etat exige que l’enseignement primaire et secondaire soit entièrement gratuit alors que la subvention de l’Etat ne couvre même pas la totalité des frais de fonctionnement. En France le gouvernement interdit aux régions et aux municipalités de participer de façon substantielle aux frais d’investissement des écoles privées. Nous jugeons cette tendance spécialement dangereuse car, outre le précédent qu’elle peut établir, elle est encouragée par des groupes politiques démocratiques qui n’arrivent pas à comprendre le sens de la liberté d’enseignement. La quatrième tendance est positive : elle concerne des législations qui accordent une importance accrue à la liberté d’enseignement. La toute récente loi portugaise d’éducation, par exemple, en plus d’accorder une grande importance à l’autonomie des centres publics - chaque établissement peut créer sa propre identité -, appuie décidément l’enseignement coopératif et privé. Dans le Royaume-Uni une expérience intéressante est en cours depuis 1988. Par le système opting out les parents peuvent prendre en charge l’école publique de leurs enfants qui devient de facto propriété des parents. Ceux-ci l’administrent, recevant une subvention directe du ministère de l’Education. Les pays d’Europe centrale et orientale, après la douloureuse expérience de 40 années de monopole et d’endoctrinement, sont tous en train de mettre sur pied des réseaux pluralistes. En Pologne, par exemple, les écoles privées sont déjà entièrement subventionnées par l’Etat. La Fédération de Russie vient de mettre sur pied une sorte de bon scolaire dans certaines grandes villes. En général, les nouveaux gouvernements de ces pays sont très sensibles aux questions de liberté d’enseignement. Dans la cinquième tendance, nous pouvons regrouper les intellectuels américains. Aux USA le débat est, en effet, très vivant et actuel. Il suffit de citer C. L. Gleen, J. S. Coleman, J. Coons, M. Friedman, C. Jencks, C. J. Finn ou la revue Phi Delta Kappa. Traversant tous les courants de pensée politique, de l’anarchisme au libéralisme en passant par la social-démocratie, un vaste mouvement de juristes et sociologues est à la source, depuis quelques années, des plus intéressantes réflexions sur la liberté d’enseignement. (Un bon résumé de cette pensée américaine se trouve dans la publication d’OIDEL : C. L. Gleen, Free Schools for à Free Society, Lectures 1, Genève, à paraître). Le bilan global n’est guère réjouissant. Deux facteurs nous semblent déterminants : le manque de volonté politique de la plupart des partis et les carences des parents ; beaucoup d’entre eux n’accordent qu’une importance restreinte au choix de l’école. Ce dernier facteur nous semble le plus important, car la classe politique n’agira vraisemblablement que sous la pression des citoyens. Un demi-siècle de monopole crée des habitudes difficiles à déraciner. C’est ce qui explique l’apathie des parents et en partie les excuse. La liberté demande aussi un apprentissage, l’expérience dans d’autres domaines le prouve. Il est nécessaire de bâtir une culture de la liberté pédagogique : c’est une tâche prioritaire pour les mouvements sociaux et les intellectuels. Alfred FERNANDEZ, Plus d'articles... |