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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 68 - 2ème trimestre 2000
MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS Depuis le début de l’année s’accumulent les mesures les plus extravagantes qui montrent qu’on a abandonné les mécanismes fondamentaux de cet " humanisme républicain " - j’emploie l’expression faute de mieux - sur lequel repose notre organisation politique et sociale depuis trois siècles. Ainsi de ces décisions de justice par lesquelles on réduit l’importance de la prise en considération de l’intention, ou de l’instauration de quotas, notamment en matière de droits politiques, liés au sexe ou à l’ethnie, ce qui montre le refus de prendre en considération les individus, abstraction faite de leur appartenance à une communauté déterminée, comme si le rôle de l’organisation politique était d’organiser un équilibre entre les communautés et non pas de régler les rapports individuels, du transfert de la charge de la preuve du ministère public au prévenu, typique de la justice des pays totalitaires, du mépris de toutes les mesures qui garantissent les libertés individuelles contre les empiétements de la collectivité, mais il semble que l’institution scolaire proprement dite soit relativement épargnée. Certes elle n’est pas étrangère à ce mouvement général, d’abord en ce que l’effondrement de l’école est probablement l’une des causes de cette décadence : c’est parce qu’on n’enseigne plus l’universalisme et qu’on est incapable de le faire vivre à l’école qu’il s’est effondré et ne dit plus rien à nos contemporains. Faut-il aller plus loin et penser qu’il y a chez certains de nos dirigeants un véritable recul sur des problèmes essentiels ? C’est ce que nous déterminerons par la suite. Le départ d’un inquiétant conseiller La démission de M. Philippe Meirieu de ses fonctions de directeur de l’I.N.R.P. (Institut national de la recherche pédagogique) a retenu l’attention d’un certain nombre de commentateurs informés. Ceci ne doit pas nous étonner : le personnage jouait depuis près de 3 ans le rôle important de " conseiller pédagogique " de M. Allègre. Il était naturel qu’il parte avec le ministre dont il avait inspiré les mesures les plus discutables. Nos lecteurs le connaissent déjà, non seulement nous avons exposé ses conceptions à diverses reprises (notamment dans le n° 59), mais la conférence donnée par Mme Zehringer, présidente de la société des agrégés lors de notre assemblée générale d’octobre 1998 était consacrée à l’exposé de ses idées sur l’avenir du baccalauréat et l’organisation des lycées puisque M. Meirieu venait d’établir un rapport intitulé " Quels savoirs enseigner dans les lycées ". Ce rapport avait été élaboré à l’issue d’un questionnaire-référendum diffusé auprès des élèves. Les projets de M. Meirieu, largement approuvés par le ministre, allaient susciter l’inquiétude des enseignants ou des espoirs déçus en matière d’allégement des programmes chez les candidats. En étudiant quels savoirs enseigner et en soutenant que la transmission des savoirs ne doit être que " l’occasion privilégiée de l’apprentissage de la citoyenneté ", M. Meirieu découvre le principe fondamental de sa pensée. La transmission des savoirs n’est qu’un objectif tout à fait subordonné dont la poursuite est le plus souvent nocive. De toute façon elle ne serait tout au plus tolérable qu’au lycée qui succède à " l’école de base " laquelle recouvre l’école primaire et le collège. Qui dit transmission de connaissance dit en effet individualisme, hétérogénéité, concurrence. La fonction de l’école est de donner une culture commune aux citoyens. L’apprentissage de la démocratie exigerait des institutions scolaires la plus grande hétérogénéité possible. Or loin de préparer cette vie démocratique, par tous ces mécanismes, l’école tend naturellement à homogénéiser, à réaliser une ségrégation selon les résultats qu’on a qualifiée de racisme scolaire. Alors que l’apprentissage de la démocratie exige des institutions scolaires qu’elles réalisent la plus grande hétérogénéité possible, tous les apprentissages par l’école systématiquement, dès le cours préparatoire, sélectionnent. Elle est un apprentissage non pas de la vie démocratique mais de la jungle libérale, qui aboutit à une babelisation dans laquelle chacun ne s’affirme qu’aux dépens des autres. Ainsi " l’école ne donne pas une culture commune aux citoyens, elle sert à armer des concurrents prêts à s’affronter dans la jungle libérale. " (l’école ou la guerre civile, p.78) De là le programme de Philippe Meirieu : " résister, résister farouchement à toutes les formes de ségrégation sociale et scolaire. S’opposer, par tous les moyens possibles, à l’homogénéisation des classes, à l’éclatement du système en une multitude d’établissements et de filières qui contribuent à désagréger le corps social. Faire reculer la sélection au-delà de la scolarité obligatoire. " (ibid., p.191). Tels étaient les principes généraux qui ont reçu un début d’application avec les lycées allégés aux programmes mutilés, aux disciplines floues, à peine distinctes les unes des autres, qui d’autre part ont inspiré la réforme du baccalauréat. Mais ce ne furent que des demi-victoires, et même des combats indécis car à chaque fois M. Allègre a dû tempérer les propositions initiales de M. Meirieu devant l’opposition des enseignants et d’une partie croissante de la presse et des milieux intellectuels. Le départ de M. Allègre, qui l’avait soutenu du mieux qu’il pouvait, signifiait pour M. Meirieu la perte du seul soutien important dont il disposait. Et du retour de M. Lang, il dit ne rien attendre de bon. Il le fait comprendre clairement dans sa lettre de démission. Il croyait au moment de prendre ses fonctions à l’INRP que la France avait besoin " d’une grande institution de recherche en éducation, attentive aux besoins des enseignants, des élèves, parents d’élèves, qui articulerait innovation et recherche." S’il croit toujours à ces exigences, il ne pense pas avoir les moyens de les mettre en œuvre. De là sa démarche : " Je demande donc à M. le ministre de l’Éducation nationale de mettre fin à mes fonctions dès la semaine prochaine... Le diagnostic porté à son départ par mon prédécesseur sur l’extrême difficulté pour faire avancer cette institution n’a pas été démenti..... Le statu quo et l’immobilisme n’ont jamais besoin d’être justifiés. En revanche le moindre changement n’est jamais assez justifié...... face à ces difficultés n’étant plus assuré d’un soutien effectif de la tutelle ministérielle, la poursuite de la rénovation engagée est à mes yeux gravement compromise." La création d’un nouvel organisme, chargé d’étudier l’innovation dans le domaine des enseignements n’a certainement joué qu’un rôle subalterne dans sa démission ; de même les reproches faits par les inspecteurs généraux au sujet de la gestion administrative de l’Institut. L’essentiel c’est que M. Meirieu n’a pu faire passer ses projets sans qu’ils soient adultérés et sérieusement mutilés. Est-ce à dire que les adversaires de M. Meirieu peuvent pavoiser ? Aucunement. Malgré tout, une partie de ses projets ont été adoptés. En d’autres termes de nouvelles causes s’ajoutent à celles qui existaient déjà et convergeaient toutes vers la dégradation de l’enseignement. Ensuite, M. Meirieu laisse de nombreux orphelins, disciples plus ou moins lointains. Leur capacité de nuisance ne saurait être sous-estimée, même après qu’il eut quitté son poste à l’INRP. Nous n’avons donc pas fini d’entendre parler de lui. Une opinion publique moins aveugle Le changement de ministre, avec le retour de M. Lang, le départ de son conseiller le plus encombrant, n’ont pas donné lieu aux manifestations bruyantes de regrets qu’on aurait pu imaginer l’an dernier. C’est que visiblement l’opinion était lasse des réformes aventureuses et des déclarations fracassantes, d’autant plus que l’échec de la politique de M. Allègre peut se mesurer à son incapacité de résoudre les problèmes les plus criants (aggravation de l’échec scolaire, niveau catastrophique des manifestations de la violence à l’école, sur lesquels les beaux discours de Mme Royal ont été sans effet). Il est toujours hasardeux de parler de l’état de l’opinion, quand bien même on disposerait d’Instituts de sondages. Néanmoins peut-on essayer d’en juger par les discours ou les décisions de ceux qui prétendent la représenter : les dirigeants des grandes associations, même si on a souvent noté qu’ils imposent les vues qui leur sont propres et que ne partagent pas toujours leurs mandants. A en juger d’après ce critère, il faut bien constater que M. Allègre ne fait plus recette. Qu’il ne recueille une opinion favorable que dans une partie très largement minoritaire du corps enseignant, on l’a toujours su. Mais dans un public plus large, en particulier celui des parents d’élèves, il a pu bénéficier d’une opinion favorable d’une façon d’autant plus étonnante que ce sont les " modérés " plutôt que ceux qui se déclarent à gauche qui témoignent de cette stupéfiante indulgence. Beaucoup se laissèrent abuser par l’hostilité aux professeurs et aux syndicats d’un ministre démagogue. Il a fallu très longtemps pour qu’on reconnaisse ce qu’il était. Quelqu’un qui déborde par la gauche les organisations représentatives des enseignants obligés par l’exercice du métier à plus de réalisme, à plus de modération. Je pense que cette grave méprise appartient désormais au passé. Les fédérations de parents viennent de tenir leurs congrès ; aussi bien les deux fédérations de l’enseignement public que l’UNAPEL. Ce ne fut pas l’occasion de déplorer le départ de M. Allègre et de s’inquiéter de la mise en sommeil de ses idées. M. Lang avec une courtoisie éclectique a pu rendre visite à chaque congrès. Il ne s’est tenu des propos dans l’ensemble que raisonnables. Tout au plus, le nouveau ministre s’est-il senti obligé d’affirmer devant les congressistes de la fédération la plus engagée à gauche, que les projets évoqués par la presse ne constituaient pas une remise en cause du collège unique ! On peut mesurer le chemin parcouru en renvoyant à un entretien récent du nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique (dans la Croix du 18 mai). Faut-il rappeler que l’enseignement catholique et tout spécialement les parents de l’UNAPEL avaient sans réserve approuvé les conclusions de M. Meirieu, à l’issue du congrès de Lyon qui devait justifier la réforme des lycées s’étant engagés beaucoup plus que les autres fédérations de parents d’élèves, au moment même où les enseignants s’opposaient à leur ministre. Je le notais lors de notre assemblée générale, en octobre 1998. Aujourd’hui, M. Malatre, Secrétaire général de l’enseignement catholique (dont il convient de rappeler qu’il a succédé à Pierre Daniel) nous apprend qu’une certaine idée de l’égalité républicaine crée en réalité une inégalité des chances : " il faut aujourd’hui avoir le courage de remettre en cause cette grande idée, une égalité des chances qui passe par une scolarité similaire pour tous de 3 à 18 ans ". Il me semble notamment, ajoute-t-il, que " les risques d’explosions sont présents : les jeunes affirment de plus en plus que l’école n’est pas celle qu’ils attendent ". Se déclarant inquiet de voir un système éducatif " se casser la figure " il craint qu’il n’y ait : " quelque décalage entre les retouches apportées au système (introduction de l’aide individualisée, travaux personnels encadrés au lycée...) et l’urgence de prendre en compte un public qui évolue beaucoup plus vite qu’on ne veut le voir ". Aujourd’hui le renvoi n’est plus une menace, il est un souhait et Paul Malatre de constater : " le collège unique a été conçu comme un cylindre où toute une classe d’âge entre par le bas et sort par le haut au même moment en ayant étudié dans les mêmes conditions scolaires, or on constate que le nombre d’élèves qui entrent en sixième avec plusieurs années de retard augmente et qu’il y a en cinquième et en quatrième des jeunes qui sont déjà en rupture de scolarité. On ne peut donc plus tenir le discours de l’égalité des chances au travers d’une scolarité identique pour tous. Bref le tronc commun ne crée nullement l’égalité des chances qu’on a posée en principe." Certes, on trouverait difficilement sous la plume des responsables des autres fédérations des déclarations aussi manifestes. Il est clair néanmoins que les esprits ont progressivement évolué, de telle sorte qu’il n’est plus de mise aujourd’hui de défendre comme un dogme le tronc commun pour tous jusqu’à 16,18 ans. Vers un assouplissement des dogmes les plus contraignants Dès son arrivée, M. Allègre s’était distingué par une vivacité qui voisinait avec la brutalité et le manque de souplesse. Ajoutons à cela la rigidité dogmatique de son principal conseiller. Il semble que l’ancien ministre n’avait pas compris que certains principes sont d’autant plus facilement admis par les enseignants qu’ils espèrent bien voir renvoyée à plus tard leur mise en application ! M. Lang est, au contraire, très habile pour juger des aspirations de ses interlocuteurs : il a donc compris qu’on ne fait pas recette avec les vastes plans proposant une réforme globale et des solutions dogmatiques. Aussi, lorsqu’il a rencontré les congressistes de la PEEP, s’il a proposé une charte de portée générale, elle concernerait seulement les droits et devoirs des partenaires (parents, enseignants, élèves). Avec quelques sucreries d’ordre financier (la gratuité réelle plutôt que la tendance déplorable de l’administration de ponctionner les familles sous divers prétextes, y compris cahiers d’exercice ou frais de correspondance !), il était déjà certain de créer une atmosphère favorable. Il promettait un plan d’envergure sur l’utilisation des nouvelles technologies, mais sans une réforme de plus qui s’ajouterait à celles qui ont précédé ; il a également rassuré son public. Pas de réforme systématique donc, mais de simples ajustements. Ajoutons qu’entre les deux méthodes : celle qui consiste à partir du plus élémentaires et celle qui part du sommet de la pyramide, alors que M. Allègre partait résolument du sommet et ne régressait que par raccroc jusqu’à l’école primaire, M. Lang lui part de l’école primaire. Une raison très sérieuse pour choisir cette démarche : si on veut lutter contre l’échec scolaire, autant qu’on le prétend, comme cet échec est souvent très précoce (10 à 15 % des jeunes sont en difficulté en écriture et en lecture à l’entrée en sixième) c’est à ce niveau qu’il faut agir. On ne saurait lui contester le principe : " il ne faut pas répéter sans cesse qu’en sixième ou en cinquième un certain nombre d’enfants ne détiennent par la maîtrise réelle des savoirs fondamentaux sans prendre en même temps des décisions concrètes ", et naturellement ces décisions ne pourront concerner que l’école maternelle ou l’école primaire Insister sur l’apprentissage de la lecture, introduire tout un dispositif d’évaluation des résultats, telles sont les propositions qui n’ont rien de révolutionnaire. L’usage systématique des nouvelles technologies, et M. Lang pense qu’ainsi on pourra développer l’enseignement des langues vivantes dès l’école primaire. Plus originale et mieux fondée, son idée de développer un enseignement scientifique à partir de "l’intelligence sensible" antidote à l’ennui, ce qui était le cas de l’antique leçon de choses, de même pour ce qui concerne l’enseignement artistique. Tout ce qui peut inquiéter c’est l’absence des mesures qui éviteront à ces projets d’en rester au niveau des vœux pieux. Les résultats devront être obtenus sans accroissement du temps de scolarisation. M. Lang exprime sa grande réserve devant le projet de rendre l’école obligatoire à partir de cinq ans (et non de six), pour ne pas " primariser l’école maternelle " sage décision qui marque un temps d’arrêt dans la tendance à enlever l’enfant à la famille de plus en plus tôt. Toutes ces propositions sont un peu maigres, et leur ensemble assez inoffensif. Mais, interrogé sur d’autres sujets, comme les déclarations de M. Mélanchon sur l’enseignement professionnel, M. Lang refuse de répondre, sous prétexte de procéder " par ordre ". D’abord le primaire donc, puis les deux mois d’été consacrés au collège. Autrement dit, les problèmes les plus occasions de querelles sont renvoyés à l’automne. Il suffira alors que les résultats du baccalauréat aient été bons pour que tout le monde soit satisfait ! Personne ne regrettera l’époque de M. Allègre, si ce n’est ceux qui ont pour fonction de recueillir des nouvelles, c’est-à-dire essentiellement les journalistes. Il est vrai que par compensation de ce qu’ils ont perdu depuis que M. Allègre n’est plus ministre, il leur reste à lui ouvrir leurs colonnes, comme l’a fait récemment le Figaro ! L’habile silence sur l’essentiel que s’impose M. Lang peut seulement nous assurer qu’il n’y aura pas de nouvelles mesures contraignantes de nivellement prises dans la hâte. Quant à revenir sur ce qui a été fait, rien ne nous permet de le présager. Ce sont les déclarations de M. Mélanchon qui sont très neuves en la matière. Le ministre délégué à l’enseignement professionnel est confronté aux problèmes de la pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie. Il constate que les élèves se détournent de cet enseignement, au profit d’un enseignement général encombré ; de là son idée de permettre que l’orientation vers l’enseignement professionnel ne se fasse pas seulement à partir du lycée, mais qu’elle soit possible dès le collège. Ce sont les difficultés propres au secteur dont il a la charge, et non le simple désir d’éviter à quelques adolescents de stagner dans des classes où ils s’ennuient et dont ils troublent le fonctionnement qui le conduisent à cette proposition. Il ne faut pas s’étonner que ce soit un ministre très ancré à gauche qui le fasse : certains secteurs de la gauche n’ont pas prôné la facilitation offerte aux jeunes bourgeois en 1968 ; par vocation, ils sont conduits à ne pas privilégier la voie de l’enseignement général par rapport à l’enseignement professionnel : " collège unique ne signifie pas collège uniforme ". Je ne puis qu’approuver cette formule. Il est clair que si la voie professionnelle est ouverte à partir d’un certain âge, et non d’un certain niveau, des élèves qui n’ont pas franchi le cap de la troisième dans l’enseignement général pourront s’y engager. M. Mélanchon est sans équivoque : " nous ne nous contenterons pas de l’hypocrisie des apparences. Il faut arrêter de pousser tout le monde dans ce qui paraissait leur destin (la filière générale) et permettre un rééquilibrage car le pays le demande. À une orientation par paliers, pourquoi ne pas substituer une orientation par âges. Il faut que, dès quinze ans, le jeune puisse réfléchir à son avenir. L’enseignement professionnel n’est pas une voie de relégation mais une voie d’utilité publique. " Encore que la scolarité reste obligatoire jusqu’à seize ans, elle ne sera donc pas la même pour tous. M. Dubet, auteur d’un rapport sur le collège de l’an 2000, commandé par Mme Royal, dans lequel il montrait que vingt ans après sa création le collège unique n’existait pas vraiment, mais que de multiples voies de contournement continuaient à miner le tronc commun, créant ici des filières d’excellence et là des classes dépotoir, note que cette contestation directe du collège unique sera " souvent bien accueillie ". D’abord par certains jeunes qui rejettent l’école, ensuite par les maîtres qui ne savent qu’en faire. M. Dubet qui a eu le temps et les moyens d’étudier le problème dit que l’hétérogénéité des collégiens (entendons le public des classes) pose un problème pédagogique redoutable, mais que ce n’est pas en revenant à la distinction des filières qu’on lui trouvera des solutions. La seule difficulté tient à ce que M. Dubet n’a rien de précis à proposer en la matière. De sorte que s’impose le retour à une distinction imprudemment abandonnée qui n’a fait qu’aggraver la situation de l’école. On comprend que faute de mieux, on propose d’en revenir à la situation antérieure. Il est significatif que ce soit l’enseignement professionnel et les problèmes qui lui sont propres qui ont conduit à remettre en cause le tronc commun. Sa contestation ne pouvait venir d’une filière qui aurait eu, à tort ou à raison, une réputation d’excellence. Maurice Boudot ECOLE ET FORMATION DES CITOYENS Au début de l’année Jacques Julliard a publié dans le Nouvel Observateur un éditorial sur l’école et la violence qui présente un diagnostic lucide de la situation et un pronostic très pessimiste mais vraisemblablement trop bien fondé. Notant le paradoxe d’une société de plus en plus violente qui feint de se scandaliser des manifestations de la violence : " La situation est exceptionnelle, inédite. Au lot quotidien d’insultes, de brutalités, de racket auquel on s’est habitué depuis une dizaine d’années dans les établissements scolaires sont venus s’ajouter - se sont les termes des procureurs - des viols, des tortures répétées, des actes de barbarie, des tentatives de meurtre. " " D’aucuns ont prétendu que ces violences ont toujours existé en milieu scolaire : autre imposture qui confond effrontément l’exception du passé avec ce qui tend à devenir la règle du présent... " Si l’on confronte de ce qu’est devenu l’école et ce qu’elle fut, que constate-t-on ? : " dans son essence, l’école était un lieu fermé " sanctuarisé " comme disent les militaires, où " l’autorité " des maîtres reposait sur un monopole : celui de la transmission des connaissances. C’est à cette condition seulement qu’elle pouvait fonctionner comme un espace public sans obligations ni sanctions . Or les jeunes des quartiers difficiles - et des autres - ont découvert qu’à défaut de changer la vie, l’école était le lieu où la transgression des règles sociales comportait le moins de risques ". On est loin de M. Meirieu. Ce n’est plus l’école ou la guerre civile, mais l’école et la guerre de tous contre tous. Il est vrai que l’école ne peut que refléter une société démoralisée. Si on est porté à nier cette violence scolaire, c’est qu’on veut cacher le dépérissement irréversible de l’école comme lieu de transmission des savoirs et des valeurs. Comment s’est fait ce déclin ? À cette question répond le livre de l’historien des idées républicaines, Claude Nicolet : Histoire, nation, République. (Recensé par Alain Gérard Slama, le Figaro du 22 juin). C’est la renonciation de l’école républicaine à ses principes, à sa culture, à ses méthodes qui n’est pas seulement un coup porté à l’égalité, mais une défaite de la liberté. On oublie des principes comme la séparation du spirituel et du temporel, du public et du privé, de la nature et de la culture De là cette régression qui tient à un abandon d’une culture qui enseignait des principes qui conditionnaient notre liberté, mais nous imposait des devoirs. On objectera que cette formation par l’école (et à partir de la culture classique) ne fonctionnait qu’en passant sous silence les problèmes les plus conflictuels : on n’y parlait ni du racisme, ni du sexisme, ni de l’homophobie ! Je crois que sur tous ces problèmes on a complété hardiment les programmes et même qu’on est porté à parler un peu trop de ce qui est conflictuel. Mais pour quels résultats ? Nos gouvernants eux-mêmes sont portés à douter de l’efficacité d’un enseignement scolaire sur ces problèmes puisqu’on évoque la nécessité d’un contrôle des opinions et d’étranges mesures de basse police. Ainsi la lutte contre les discriminations ne se limite pas à l’éducation, mais on y ajoute " le droit de dénoncer ". Grâce à un simple numéro vert, nous pourrons comme au bon vieux temps de l’occupation allemande jeter la suspicion sur notre voisin pour peu que nous n’ayons l’entendu tenir des propos que nous avons estimés racistes. C’est ce que nous apprend M. Bourdarias dans un courrier des lecteurs du Figaro, le 9 juin ! (La lecture duMonde pourrait confirmer cette information !) Ce n’est plus l’école où la guerre civile, mais l’école et le règne des sycophantes M.B. SECTES ET LIBERTE DE CROYANCES Voter une loi antisectes, passablement extravagante au point que le Garde des sceaux préfère la remanier avant même son passage au Sénat et soutenir comme le fait le rapporteur du texte " qu’on ne porte pas atteinte à la liberté de conscience ", c’est nous prendre pour des imbéciles. Condamner les sectes parce qu’elles feraient appel à la manipulation mentale, sous prétexte que ce nouveau délit est utile pour que les victimes soient mieux entendues n’est guère plus sérieux. Autant dire que ce sont les associations de " victimes " qui feront la loi en France. Alexis Brézet l’a noté judicieusement, exemples à l’appui : " jusqu’ici, la République, qui ne reconnaît aucun culte, s’interdisait dans sa grande sagesse de les juger.... Pour la première fois, il s’agit de juger les sectes en tant que telles. Et d’utiliser contre elles ce nouveau délit de manipulation mentale présenté comme l’arme antisectes absolue. " " Une jeune fille qui a choisi de vivre coupée du monde, qui a laissé ses biens, quitté ses vêtements, coupé ses cheveux, qui obéit sans murmurer, travaille parfois durement sans toucher aucun salaire et qui se lève plusieurs fois par nuit pour réciter des formules apprises par coeur n’est-elle pas susceptibles d’être considérée un jour, par un juge, comme la victime d’une entreprise de manipulation mentale ? C’est ainsi pourtant que vivent les carmélites....... Comment, et sur quels critères, juger si une opinion, une croyance a été formée librement ou bien si celui qui la professe a été manipulé ? " On comprend les réticences des grandes religions et même du président de la Ligue des droits de l’homme. Bien entendu, comme la pêche aux voix est un sport universel chez les parlementaires, la loi a été votée par l’assemblée unanime. Nous aurons certainement à parler de ce problème qui nous préoccupe au moins en ce que certaines écoles hors contrat, naturellement, sont accusées d’être des organisations sectaires. M.B. Dans le prolongement de son colloque Halte à la violence scolaire, la Fédération internationale pour la défense des valeurs humaines fondamentales a créé le prix FIVA " Non à la violence " Le prix sera décerné par un jury présidé par M. Pierre-Christian Taittinger à une personne, association ou société pour son action sur le terrain pour lutter contre la violence scolaire Les dossiers de candidature devront comporter :
FIVA 36 rue Boileau 75016 Paris
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L’AFFAIRE DE LA "LOI FALLOUX" L’AFFAIRE DE LA "LOI FALLOUX" La décision du Conseil constitutionnel et ses suites Puisque le gouvernement à dû reculer, au mois de janvier 1994, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire de la "loi Falloux", il est admis partout qu’il a eu tort d’engager cette réforme. La démagogie et l’ignorance se sont rejointes pour parvenir à ce résultat, qui fait penser à Kafka : "Vous êtes condamné donc vous êtes coupable !" L’histoire mérite d’être contée. Il s’agira, d’abord, de savoir quel était le problème posé et, ensuite, de connaître la manière selon laquelle il a été résolu. I - Le problème : la révision de la "loi Falloux" La loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement date de la période conservatrice de la IIe République. Elle a été présentée en juin 1849 par M. de Falloux alors ministre de l’Instruction publique. Son article 17 est ainsi rédigé : "La loi reconnaît deux espèces d’écoles primaires et secondaires : les écoles fondées ou entretenues par les communes, les départements ou l’Etat, et qui prennent le nom d’écoles publiques ; les écoles fondées et entretenues par des particuliers ou des associations, et qui prennent le nom d’écoles libres." Parmi d’autres, son article 69 décidait : "Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’État, un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement." Il est certain que le système français de l’enseignement a connu, depuis 1850, des évolutions considérables dans ses structures nationales et locales, dans ses modalités d’exercice et dans son esprit. Les lois Jules Ferry, l’enseignement "laïc, gratuit et obligatoire", ont fait oublier une loi très liée à son époque et qui, disait récemment un commissaire du gouvernement devant le Conseil d’État, "relèverait plus de la compétence de l’archiviste-paléographe que de celle du juriste". Il s’agit des conclusions du commissaire du gouvernement Frydman dans l’affaire jugée par le Conseil d’État le 6 avril 1990, département d’Ille-et-Vilaine (Revue de droit administratif 1990, p. 596 et s.) Il y était montré, à partir de la jurisprudence, que les collectivités locales pouvaient librement verser des subventions aux établissements privés d’enseignement supérieur et d’enseignement secondaire technique. Même l’interdiction du versement de subventions aux écoles primaires, résultant de nombreux arrêts, semblait procéder d’une interprétation erronée de l’article 2 de la loi du 30 octobre 1886, l’une des lois de l’époque Jules Ferry. Pour M. Frydman, l’article 69 n’avait peut-être pas fait l’objet d’une abrogation implicite mais il était devenu "manifestement obsolète", notamment en raison de l’intervention de la loi Debré du 31 décembre 1959, car "il est clair que le volume des subventions accordées à ce titre excédera toujours à lui seul, et par définition, le modeste seuil du dixième des dépenses". Il apparaît donc que ceux qui prétendaient à l’application, en 1990, de l’article 69 et qui assuraient, contrairement au texte de l’article, qu’il ne concernait que les dépenses d’équipement commettaient une erreur. Pourtant le Conseil d’État ne suivit pas son commissaire du gouvernement. Et par une affirmation catégorique qui ne répond à aucune des objections qui avaient été présentées devant lui, il décida que le texte était en vigueur et que le seuil du dixième devait, à propos des "établissements secondaires privés d’enseignement général" (c’est-à-dire qu’il ne concernait pas l’enseignement secondaire technique), être respecté. La proposition de loi discutée au Parlement en juin 1993 et adoptée en décembre de la même année n’avait pas d’autre objet que de revenir à l’analyse qui vient d’être présentée et que le Conseil d’Etat n’avait pas voulu suivre. Elle se situait d’ailleurs dans le cadre strict de deux libertés fondamentales, la liberté de l’enseignement reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 novembre 1977, la libre administration des collectivités locales affirmés par l’article 72 de la Constitution et par la loi de décentralisation du 2 mars 1982, et reconnue par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 23 mai 1979 et 25 février 1982. Il est d’ailleurs probable que si la loi avait été adoptée au cours de la session extraordinaire de juillet 1993 (mais, comme on le sait, le président de la République s’y opposa), elle n’aurait provoqué aucun remous. II - La solution : la décision du Conseil constitutionnel et ses suites. La loi avait été adoptée par l’Assemblée nationale en juin 1993 et la discussion, commencée au Sénat, fut interrompue par la fin de la session ordinaire. Elle reprit devant celui-ci le 14 décembre et fut adoptée le même jour. Que n’a-t-on pas entendu, même dans les rangs de l’actuelle majorité, sur ce "vote à la hussarde"! Quels slogans excessifs ont été promenés dans les rues de Paris lors de la manifestation corporatiste du 16 janvier 1994 ! La loi, déférée au Conseil constitutionnel, donna lieu à la décision du 13 janvier 1994, évidemment présentée comme une victoire par les manifestants. Tous les arguments concernant la prétendue irrégularité de la procédure parlementaire ont été rejetés. Il ne reste rien du "vote à la hussarde", ce qui n’empêche pas, aujourd’hui encore, les organes de presse d’en parler. On dira d’ailleurs que, pour sa propre gloire, le Conseil se devait de rejeter ces moyens car s’il avait annulé la loi sur cette base, on l’aurait vite accusé, de toutes parts, d’avoir lâchement esquivé la difficulté. Et ceci, une fois de plus, montre la relativité du contrôle de constitutionnalité. Sur le fond, divers arguments avaient été invoqués contre la loi. Ils ne sont même pas repris dans la décision : le Parlement abandonne sa compétence au profit des collectivités locales ; la loi enrichit sans motif les propriétaires des bâtiments ; elle porte atteinte à la laïcité de l’État, à la séparation de l’Église et de l’État... Pour les manifestants, la question était pourtant là avec le slogan "École publique, fonds publics. École privée, fonds privés". Un seul article de la loi est déclaré non conforme. Il est vrai que c’était l’article essentiel, celui qui faisait disparaître le seuil du dixième des dépenses annuelles tout en assortissant d’ailleurs cette suppression de conditions précises. Les dispositions essentielles par lesquelles le texte est déclaré inconstitutionnel sont au nombre de deux. On les présentera et on les commentera ci-après : 1° - La loi donnait, en cette matière, trop de pouvoirs aux collectivités locales. Le Conseil reprend d’abord, sur ce point, une formule figurant dans sa décision du 18 janvier 1985 à propos de la loi Chevènement (La Lettre d’Enseignement et Liberté, n° 7, 1er trimestre 1985). Dans cette décision, le Conseil avait annulé une disposition de la loi selon laquelle la conclusion par l’Etat d’un contrat d’association avec un établissement privé était subordonnée à l’accord de la commune intéressée. Or il n’y a aucune comparaison possible entre une loi qui subordonne l’entrée en vigueur d’un contrat passé par l’Etat à l’accord d’une commune et une loi qui attribue une compétence (au demeurant facultative) à toutes les communes à propos de conventions qu’elles doivent conclure elles-mêmes. Le Conseil ajoute que les décisions pourraient ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire du fait de la décision de chaque assemblée locale sans vouloir se rendre compte que, ce faisant, il ignore le principe de libre administration des collectivités locales et fait en quelque sorte prévaloir sur lui un prétendu risque d’atteinte à l’égalité sur ce principe. Or toute sa jurisprudence passée montrait qu’il n’y avait pas de hiérarchie entre les règles constitutionnelles. L’interprétation donnée veut donc dire que les collectivités locales n’auraient plus la liberté d’accorder ou de refuser à quiconque une aide financière. L’absurdité de ces conséquences montre à quel point le raisonnement suivi est faussé. 2° - Une autre atteinte à l’égalité résulterait du fait que la loi ne comporterait pas de garanties suffisantes pour que des établissements privés, se trouvant dans des conditions comparables, bénéficient d’aides identiques. Ou encore pour que des établissements privés se trouvent dans une situation plus favorable que celle des établissements publics. C’était là oublier les conditions strictes prévues par la loi elle-même et les règles générales sur le financement des établissements privés depuis 1959. Si des situations de cet ordre devaient se présenter, elles auraient été condamnées par le juge administratif comme il l’a déjà fait. Or selon une jurisprudence constante du Conseil depuis 1986 (décision 86-207), les risques d’abus dans l’application d’une loi ne peuvent à eux seuls la faire regarder comme contraire à la Constitution. La décision du 13 janvier 1994 a déjà fait l’objet de commentaires critiques dans les revues juridiques. Le Conseil constitutionnel y brûle ce qu’il a adoré et revient, on n’ose dire pour les besoins de la cause, sur des solutions établies qui résultaient de sa propre jurisprudence. La loi a pourtant été publiée, à l’exception de l’article 2 (loi n°14.51 du 21 janvier 1994, J.0., 22 janvier). Le Conseil n’a pas estimé, comme cela lui arrive, que les autres dispositions de la loi étaient "inséparables" de l’article annulé. Il en résulte un certain nombre de conséquences : 1° - L’article 69 de la loi Falloux subsiste, et il subsiste tel que le commissaire du gouvernement du Conseil d’Etat l’avait analysé en 1990, c’est-à-dire avec une interprétation souple du seuil. Il convient seulement de le combiner avec les conditions des articles 3 et 4 de la loi nouvelle (compatibilité, pour l’enseignement secondaire, avec les schémas prévisionnels des formations ; conclusion d’une convention). 2° - L’article 1er de la loi qui est maintenu dispose : "Les collectivités territoriales de la République concourent à la liberté de l’enseignement, dont l’exercice est garanti par l’Etat." Ce "concours" que la loi consacre donc les associe désormais à une reconnaissance qui s’est manifestée par les lois de 1959, 1977 et 1985. Elles ont donc une latitude qui n’existait pas auparavant et qu’il appartiendra aux autorités administratives et aux tribunaux de reconnaître. Tous les Français doivent pouvoir imaginer ce que serait le sort de leurs enfants si les écoles privées ne disposaient d’aucune aide de l’État et des collectivités locales. Ils comprendraient alors que cette aide est un signe de reconnaissance dans tous les sens du mot. Professeur Roland Drago Revenir sur les événements qui ont marqué le début de l’année, est-ce utile, est-ce nécessaire? Je le pense, en raison de l’énormité de leurs conséquences et des enseignements considérables qu’on peut et qu’on devrait en tirer. D’ailleurs, mon opinion quant à l’importance de cet épisode de la guerre scolaire - car il s’agit bien d’un épisode d’une guerre plus longue que celle de cent ans - rejoint exactement celle des auteurs de l’émission du 8 mars présentée sur la chaîne de télévision FR3, dans le cadre du cycle "les brûlures de l’histoire", même si elle diverge du tout au tout en ce qui concerne les conclusions à tirer de ces événements et l’appréciation du comportement des différents acteurs. Ce soir-là, en effet on nous présentait la manifestation du 16 janvier, déjà momifiée, comme un fait historique, à mettre en parallèle au moins avec les grandes manifestations de 1984 en faveur de la liberté de l’enseignement, peut-être même avec le vote des lois Ferry ! Une situation bloquée Quant à l’importance numérique de la manifestation, malgré les images biaisées qu’on veut nous en donner aujourd’hui, il ne faut rien exagérer. Vraisemblablement elle réunissait trois cent mille personnes venant de toute la France -"chauffées" au cours de six mois de préparation (grâce au délai accordé en juillet par la décision de François Mitterrand de renvoyer l’affaire à plus tard). Les manifestants bénéficiaient de toute l’infrastructure de feu la FEN - infrastructure toujours en place -, de l’aide de tous les partis de gauche et du matraquage publicitaire de tous les grands médias radio et télévisuels. Leur nombre n’a rien d’étonnant et ne saurait être comparé à celui (au moins cinq fois supérieur) des manifestants de 1984, réunis dans de tout autres conditions, quoi qu’aient insinué Laure Adler et Mona Ozouf au cours de l’émission que j’ai évoquée et qui devait susciter une sainte et légitime colère de Pierre Chaunu en raison de la légèreté avec laquelle elle prenait les données historiques et de sa partialité (je renvoie au Figaro du 8 mars, jour de sa diffusion). Une manifestation dont il serait bien entendu ridicule de nier l’importance mais qui ne nous apprenait rien de nouveau, sinon que le peuple de gauche était sorti de la léthargie consécutive à son échec électoral. Ce peuple de gauche avait-il au moins changé, avait-il procédé à un aggiornamento ? On essaye de nous le faire croire et même des quotidiens sans sympathie excessive pour le laïcisme l’écrivent : il serait moins agressif, seulement inquiet parce qu’il a le sentiment que l’équilibre entre école publique et école privée est rompu en faveur du privé ; et Mona Ozouf développe avec insistance ce thème : la loi Bayrou (qui reprend la proposition Bourg-Broc) crée une situation injuste, car l’enseignement privé est traité à parité avec le public qui a des contraintes beaucoup plus grandes. On voit repris dans une émission qui se veut historique tout l’argumentaire du recours entériné par le Conseil constitutionnel. En tout cas, nulle trace d’anticléricalisme et aucune mise en cause d’un enseignement privé n’anime les manifestants. Affirmer cela, c’est se moquer de nous. Car enfin, le même Figaro qui donne une image si apaisante des manifestants, dont "peu de banderoles ou de chants affichaient un franc anticléricalisme" nous offre dans le même encadré un florilège édifiant : "Pas de fonds pour la calotte", "Vade retro soutanas", "Pas un rond pour les curetons", et un peu plus loin "Tout au laïque, rien aux curés", "Ecole libre = cerveau occupé" (lundi 17 janvier, p. 4). Et si on veut quelques éléments complémentaires on les trouvera dans le numéro du 3 janvier de Force Ouvrière (organe du syndicat de ce nom) intitulé "L’école publique en danger", qui affiche le slogan "Les fonds publics à l’école de la République", présente la loi récemment adoptée comme une "agression" qui tend à effacer les lois de Jules Ferry et "remet en cause tout le rôle de l’école de la République". M. Bayrou ne ferait qu’accomplir l’œuvre entreprise par la loi Debré et les accords Lang-Cloupet ! Et si on veut juger du niveau d’agressivité de ceux qui prétendent que, l’"école publique est en état de légitime défense" - ce qui justifie presque tout, comme chacun sait sauf pour les particuliers effectivement agressés et qui doivent rendre des comptes à une justice si clémente en d’autres cas ! - je renvoie à la bande dessinée (p. 2-2) qui confronte un hypocrite élève de l’école privée "Lang-Cloupet" (sic) et un gentil (mais pauvre) élève du public ! Bien sûr, dans l’immédiat, on ne pouvait rien demander ni obtenir d’autre que le retrait de la loi Bayrou, mais si les circonstances étaient plus favorables on irait beaucoup plus loin. Ce n’est pas une solution juste milieu qu’on désire, mais le règne d’un strict monopole. Ceux qui se faisaient des illusions à ce sujet en sont pour leurs frais. Il y a tout un ensemble d’organisations qui n’ont rien perdu de leur sectarisme, tandis que le camp opposé se décomposait. Expliquer la véhémence dont témoignait cette manifestation par le fait que les défenseurs de l’école publique auraient le sentiment (légitime) qu’on fait un cadeau à l’enseignement privé en leur volant un argent qui leur est indispensable est une explication très courte. Car, enfin, ces manifestants ignoraient-ils que la dépense nouvelle pour aider les établissements privés ne dépassait pas 4 milliards, alors que la part de l’éducation dans les budgets public (État ou collectivités territoriales) est de cent fois supérieure à ce chiffre ? Philippe Némo vient de publier un livre très intéressant (Le Chaos pédagogique, Albin Michel, 1993) qui contient des données chiffrées édifiantes : en quarante ans (depuis 1952, plus exactement) les dépenses en matière d’éducation (estimées en francs constants) ont été multipliées par dix, la durée moyenne de la scolarité étant multipliée par deux. Personne ne peut prétendre que les résultats soient à la mesure de l’effort fourni. En tout cas, il n’est pas possible de soutenir sérieusement que tout est affaire de moyens : l’éducation nationale ne manque aucunement de moyens (même si, ici ou là, on peut constater quelques déficiences). Son incontestable échec vient d’ailleurs : du désordre qui y règne, de la mauvaise définition des objectifs qu’on lui assigne notamment. Il n’y avait donc pas de raison de soupçonner un concurrent avide ! Et, pourtant, ce discours a bien fini par l’emporter au point que le gouvernement a cru apaiser l’opposition qu’il sentait monter en proposant dès la fin décembre une augmentation des crédits attribués à l’enseignement public, notamment pour l’entretien des locaux, les travaux de sécurité, etc. Promesses qui se sont englouties dans un gouffre d’ingratitude. Puis, après la manifestation du 16 janvier, en raison de son succès (pourtant prévisible), voilà M. Bayrou poussé à une série de négociations avec les syndicats pour réexaminer la situation et, pour la nième fois, accordant de nouveaux moyens. Et, malgré la pénurie, on créera quelques paquets de postes nouveaux, dont il n’est pas certain qu’ils correspondent à de vrais besoins et qui ont pour seul avantage réel et certain d’éponger un tout petit peu le chômage. On a oublié les problèmes de liberté de l’enseignement pour retrouver les seuls intérêts de la corporation des enseignants, comme on l’a fait si souvent depuis des décennies. Le mauvais exemple Avoir adopté une attitude si lénifiante après la courageuse décision prise le 14 décembre et le combat de M. Bayrou au Sénat, et persévérer au moment où le Conseil constitutionnel venait par une décision stupéfiante de rendre publics les prétextes qu’il avait trouvés pour invalider la loi, était-ce bien nécessaire, était-ce bien utile ? Il n’était pas question d’amadouer le Conseil constitutionnel, ni les participants à une manifestation qui avait déjà eu lieu, et si on croyait ainsi apaiser ceux qui avaient profité de la manifestation, on se trompait. Ils allaient empocher les bénéfices et formuler de nouvelles demandes, selon leurs habitudes. Il faut être imperméable aux leçons de l’expérience pour ne pas l’avoir prévu. En revanche, le gouvernement avait donné un tel spectacle de faiblesse que ce devenait un jeu pour ses adversaires que de le contraindre sans cesse à la reculade. Et ce n’est pas un hasard si c’est une question relative à la formation de la jeunesse, même si elle ne relève pas au sens strict de la compétence du ministre de l’Education qui permet à tout un chacun de s’amuser à faire perdre la face à M. Balladur. Car, enfin, ce samedi 20 mars, après deux semaines de manifestations violentes, où en sommes-nous et que penser de ces CIP (contrats d’insertion professionnelle) contre lesquels se déchaîne une telle fureur ? L’objectif du projet - faciliter l’embauche de jeunes qui n’ont pas une formation professionnelle suffisante - est incontestable. L’idée de confier aux entreprises elles-mêmes la charge de donner ce complément de formation est parfaitement saine. Il allait de soi qu’il fallait alors, en contrepartie, offrir une compensation financière et casser dans ce cas la rigidité de la barrière du SMIC... Pourquoi faut-il qu’un tel projet ait causé un si prodigieux émoi ? Sans aucun doute, parce que, initialement, il était mal présenté parce que mal conçu. Proposer 80 % du SMIC à des titulaires d’un diplôme de niveau bac + 2 a quelque chose d’insultant, de décourageant aussi ; faut-il entreprendre d’aussi longues études pour si peu d’avantages ? Comment maintenir dans ces conditions la juste hiérarchie des rémunérations ? Et comment assurer le sérieux des études et des examens qui les sanctionnent ? D’ailleurs le simple fait de se référer à ce niveau veut-il dire que c’est désormais le niveau moyen et qu’on est passé si vite de 80 % de bacheliers à 100 % de titulaires du DEUG (ou d’un diplôme équivalent) ? Sur ce point essentiel, le projet a été revu. Mais le mal était fait et chacun devait ergoter sur la justification de cette réduction de 20 % du salaire : le temps de travail (hors formation) devrait être réduit de 20 %, chaque jeune ayant un tuteur, avec cahier de formation, etc. Bref, le recrutement d’un jeune par CIP finira par coûter plus cher aux entreprises que hors contrat ; il créera tant de contraintes qu’il y aura vraisemblablement bien peu de propositions du côté des entreprises. Ceci n’empêchera pas les manifestations violentes de continuer. Les démagogues se sont engouffrés dans la place et des enseignants sans scrupules attiseront le conflit en partie parce que, par sectarisme, ils exploitent toutes les situations défavorables à la majorité en place, en partie parce que dans les CIP qui confient aux entreprises le soin de donner un complément de formation, ils ont vu une atteinte au dogme sacré selon lequel toute formation doit se faire dans le cadre de l’Éducation nationale. En raison d’une maladresse initiale et parce qu’il a donné l’impression d’être constamment sur la défensive, le gouvernement mis en échec par une jeunesse à la fois pitoyable et arrogante, complètement démoralisée (en tous les sens du terme) risque de voir son autorité considérablement affaiblie et sa capacité d’action très limitée, surtout en ce qui concerne les réformes du système éducatif. Et pourtant ceux qui gouvernent actuellement ne sont que partiellement responsables de la situation qu’ils ont trouvée et à laquelle ils essayaient d’apporter un remède dont la portée ne pouvait être que très limitée. Ce sont toutes les forces politiques qui se sont succédé au pouvoir depuis vingt-cinq ans qui ont participé à la prolongation abusive de la scolarité, aux bradages des diplômes, au laxisme systématique dans les cursus scolaires. Tous ont voulu les 80 % de bacheliers. Le processus s’est même accéléré sous les gouvernements socialistes (si on laisse de côté l’action de M. Chevènement). En vingt-cinq ans le nombre des étudiants est passé de trois cent mille à deux millions. Et aujourd’hui on ne sait qu’en faire. Quant aux intéressés, ils découvrent qu’ils ont été payés en monnaie de singe, que leurs diplômes n’ouvraient aucune porte. On comprend leur colère. La présentation du projet avec 80 % du SMIC pour bac+2 était une espèce d’aveu. Il montrait l’effondrement de tout le système éducatif. La crise économique n’a joué qu’un rôle de détonateur. En fait, ce qu’on découvre, c’est l’impossibilité de pratiquer la fuite en avant en prolongeant toujours plus la scolarité, afin de dissimuler les insuffisances de formation ou de contourner les problèmes de l’intégration dans la vie active de ceux qui sortent du système scolaire. Il faut maintenant affronter le problème. Que faire de ceux qui pour leur malheur appartiennent à la génération des "mal appris" ? Il n’y a en réalité aucune solution pleinement satisfaisante mais de simples palliatifs du genre de ce que propose actuellement le gouvernement. Mais, au moins peut-on éviter de multiplier le nombre des victimes de ce monstre qu’est le système éducatif fondé sur les principes du plan Langevin-Wallon. Il faudrait en premier lieu s’attaquer au "collège unique", diversifier dès la sixième parcours de formation et voies ouvertes selon les capacités et le goût de chacun. M. Bayrou qui connaît parfaitement la question à promis de s’atteler à la tâche. Nul ne peut douter que l’entreprise sera particulièrement périlleuse, car elle mettra en question des principes érigés en dogmes et portera atteinte à des situations acquises. Les oppositions seront vives et multiples. L’essentiel ne pourra être fait que lorsqu’on sera sorti de cette situation politique instable que crée le fait de la cohabitation. Mais il faut pourtant aller vite, faute de voir aggravés des problèmes auxquels notre pays est affronté. Le gouvernement qui entreprendra alors cette tâche aura besoin d’une autorité restaurée. Il aura aussi besoin de ne pas voir son action systématiquement dénigrée par les grands médias, faut-il ajouter. Souhaitons de voir bientôt ces jours. Maurice Boudot L’HISTOIRE SE REPETERA-T-ELLE ? "Tout cela a conduit, le 8 décembre, le Premier ministre à retirer purement et simplement l’ensemble du projet de réforme. La gauche, utilisant les étudiants, avait atteint son but, et le gouvernement connu une défaite, la première, la plus grave, celle qui allait lourdement compromettre les chances de Jacques Chirac, [...] il me sembla, dans un premier temps, que nous ne pouvions pas ne pas proposer la réforme promise. Le projet Devaquet me paraissait très modéré, à la limite de l’inutilité tant il l’était, mais je n’y voyais aucun risque d’explosion. Tout au long des discussions interministérielles, je soutins Alain Devaquet. L’agitation commencée, je pensai que le gouvernement ne pouvait retirer le texte, qu’il y allait de sa crédibilité, alors que Charles Pasqua, mieux informé de l’état des esprits dans l’Université, s’interrogeait. Cependant, c’est moi qui convainquis Jacques Chirac, décidé à maintenir le texte, que mieux valait finalement y renoncer." Ces propos de M. Balladur sont extraits de Passion et longueur de temps (p. 126 et 127), publié en 1989 chez Fayard. E.L. le 28.3.1994 COMMUNIQUE DE PRESSE DU 17 JANVIER Aucune loi qui marquait une nette volonté de rupture avec le socialisme n’a échappé à la sanction du Conseil constitutionnel (prise avec diverses argumentations aux conséquences encore imprévisibles) ; la révision de la loi Falloux ne pouvait échapper à cette règle. Les manifestants de dimanche étaient privés de leur objectif avoué. Ils furent néanmoins nombreux à se réunir, car leur but réel était de prendre leur revanche sur les rassemblements de 1984. Ils ont pu ainsi manifester au grand jour leur anticléricalisme et leur haine du pluralisme scolaire. Seule l’instauration d’un strict monopole pourrait les satisfaire. Ceux qui croyaient le conflit scolaire apaisé et tenaient MM. Mitterrand ou Rocard pour "modérés", en ce qui concerne les problèmes scolaires, en sont pour leurs frais. Lettre N° 23 - 1er trimestre 1989
DROIT COMMUNAUTAIRE ET QUESTIONS D’ENSEIGNEMENT ENSEIGNEMENT ET LIBERTE a tenu son Assemblée Générale le 1er Février 1989. A l’issue de l’Assemblée, Monsieur Jean FOYER, Membre de l’Institut, a donné une conférence dont nous sommes heureux de publier le texte. DROIT COMMUNAUTAIRE ET QUESTIONS D’ENSEIGNEMENT 1 - Communauté et enseignement. Qu’y a-t-il de commun entre les deux termes ? Au premier abord, il semble qu’il n’y en ait point. La communauté économique européenne, qui de toutes les communautés est celle que les traités sont investi de la compétence la plus large, est cependant limitée dans sa mission et dans ses moyens. Aux termes de l’article 2 du traité signé à Rome le 25 mars 1957, la Communauté à pour mission de promouvoir :
Les moyens qui lui sont assignés pour remplir cette mission sont :
Différente d’un Etat, la communauté n’a point une compétence de droit commun, elle a une compétence spéciale, une compétence d’exception. Tout ce que le traité n’y a pas inclus, demeure de la compétence des Etats. La jurisprudence de la Cour, si encline d’ordinaire à étendre le domaine de la compétence de la communauté, dit elle-même que l’éducation continue d’appartenir à la compétence nationale des Etats membres. 2 - Cependant, les activités d’enseignement ne sont pas tout à fait étrangères au traité. Le titre III de la IIe partie, qui régit la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, tend à habiliter les ressortissants de chaque Etat membre à exercer librement sur le territoire des autres des activités professionnelles dépendantes ou indépendantes, dans le cadre d’un établissement stable ou à titre occasionnel. Les dispositions en question ne distinguent point entre les professions, elles peuvent donc s’appliquer à des activités d’enseignement. Dans une énumération, qui n’est point limitative, l’article 60, relatif aux prestations de services, mentionne celles des professions libérales. Et, pour que la liberté, affranchie de la condition de nationalité, ne demeure pas un vain mot en matière de professions réglementées, l’article 57, qui a trait à la liberté d’établissement, impose au Conseil d’édicter des directives tendant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres. Mieux encore, l’article 128, au titre de la politique sociale, prévoit que le Conseil établit les principes généraux pour la mise en œuvre d’une politique commune de formation professionnelle qui puisse contribuer au développement harmonieux tant des économies nationales que du marché commun. 3 - En fait d’enseignement, les institutions communautaires ont d’abord fait preuve d’une grande réserve. Durant quatorze ans, elles se sont peu manifestées. Un événement révèle en 1973 un changement d’orientation. Dans l’organisation des services de la commission apparaît une direction de l’éducation. La date, elle-même, l’explique. La dynamique de l’évaluation a joué. Les Trente glorieuses ont pris fin. Le chômage désole la communauté. La concurrence des nouveaux pays industriels devient de plus en plus sévère. Les Etats de la communauté n’y peuvent résister et ne peuvent espérer dans une reconquête qu’à la condition de former des savants, des chercheurs, des ingénieurs, des cadres, des ouvriers du plus haut niveau. La construction d’une Europe des citoyens, selon le rapport adopté par le Conseil européen de Milan, implique le rapprochement des politiques éducatives dans la communauté. 4 - Tâche combien difficile. Les systèmes d’enseignement sont très différents d’un pays à l’autre. Très centralisés et publics en très grande majorité ici - en France par exemple -, ils sont ailleurs complètement décentralisés, au Royaume-Uni ou en R.F.A., et, dans beaucoup de pays, les universités sont des personnes morales de droit privé. La langue fait problème. La Communauté compte aujourd’hui douze Etats et neuf langues officielles, huit sont menacées par la progression de l’anglais. Peu de secteurs sont aussi sensibles que celui de l’enseignement. Il y a plus d’enseignants que de militaires en activité de service dans l’ensemble de la Communauté. Elèves et étudiants se comptent par millions. Les familles attachent à l’enseignement une importance extrême, la fonction publique et les professions réglementées sont tentées de regarder la diversité des diplômes comme une barrière contre la concurrence d’étrangers. Ce sentiment est très fort chez les Français qui ont grand peine, depuis deux siècles, à se départir des conceptions corporatistes d’Ancien Régime. Aussi s’explique-t-il que, même durant la seconde partie de la vie trentenaire de la communauté, l’audace des institutions ait été très progressive. Pendant une première période, les institutions communautaires ont fait usage de procédés qui relèvent encore, et pour certains exclusivement, du droit international classique, c’est-à-dire respectueux de la souveraineté des Etats. L’objectif est l’européanisation des enseignements dispensés et fréquentés(I). Puis, dans une nouvelle période commençant en 1980, l’action des institutions communautaires s’est appliquée à donner effectivité aux dispositions du traité concernant la libre circulation des personnes et des services, et à leur incidence en matière d’enseignement. Nous en sommes à ce stade, celui de l’européanisation des systèmes éducatifs(II). Reste à tenter une prospective des conséquences qu’aura pour la France l’action normative et jurisprudentielle des institutions communautaires(III). I - LES INCITATIONS A L’EUROPEANISATION DES ENSEIGNEMENTS ET DES ETUDES 5 - Indépendamment des stipulations du traité, les gouvernements des Etats membres, soit qu’ils agissent par la voie classique du droit international, c’est-à-dire par la conclusion de conventions, ou qu’ils délibèrent, en Conseil de ministres de la Communauté, sur proposition de la Commission, ont mis en œuvre une politique européenne de l’éducation visant deux objectifs complémentaires :
Le temps - je le regrette - m’oblige à passer rapidement sur cette partie, quelque intérêt qu’elle présente. A. La "dimension européenne" dans l’enseignement 6 - Le terme n’est guère élégant. Le mot dimension est employé une fois de plus à tort et à travers. Il n’a pas été employé dès le début de la Communauté. Mais la préoccupation de faire place à cette dimension était déjà dans les esprits au début des années 1970. Le terme dissimule assez mal une entreprise de propagande européenne. 7 - A deux reprises, le procédé de la convention internationale a été mis en œuvre. Par une convention du 19 avril 1972 a été créé l’Institut universitaire européen de Florence, université de troisième cycle à quatre départements (histoire et civilisation, sciences économiques, sciences juridiques et sciences politiques), ouverte à des étudiants ayant atteint le niveau de la maîtrise. Sa mission est de contribuer dans le domaine de l’enseignement et de la recherche au développement culturel et scientifique de l’Europe. Il ne semble pas que l’Institut ait répondu tout à fait encore aux espoirs que ses initiateurs avaient mis en lui. Repris du rapport Tindemans, le projet de fondation européenne a conduit à la signature à Bruxelles, le 29 mars 1982, d’une convention créant une Fondation européenne qui recevait l’ambitieuse mission "d’accroître la compréhension mutuelle entre les peuples de la Communauté, de promouvoir une meilleure connaissance du patrimoine culturel européen ainsi que de développer une plus grande compréhension de l’intégration européenne". La lourdeur de l’organisation était sans rapport aux modestes moyens prévus, qui excluaient le mécénat privé. Fernand Braudel a pu écrire "qu’au lieu d’avoir une personne pour recruter quarante stagiaires, on a un conseil d’administration de quarante personnes, avec les moyens pour recruter un stagiaire..." Le 17 mai 1987, le Sénat des Pays-Bas a refusé d’autoriser la ratification de la convention, la Fondation ne verra pas le jour. 8 - Moins ambitieux, le Conseil a formulé, en une résolution en date du 24 mai 1988, sa doctrine concernant la dimension européenne dans l’éducation, le passage des jeunes de l’éducation à la vie active, et l’éducation en matière d’environnement. Ce sont là des recommandations qui n’ont en vérité aucune force juridique et qui ne peuvent se traduire en réalisation que dans le cadre de programmes. B. L’harmonisation des enseignements 9 - Sans prétendre créer des institutions nouvelles, communautaires ou internationales, la Communauté a entrepris de rapprocher les systèmes éducatifs, de leur recommander certaines actions, d’harmoniser les enseignements, de faciliter les intercommunications, une sorte d’osmose entre eux. Elle l’a fait en adoptant des programmes, qui définissent des objectifs, des orientations, recommandent les mesures propres à les réaliser, et dégagent des crédits afin de stimuler la mise à exécution. La Communauté a cherché à obtenir le développement d’actions dans de nombreux domaines : correspondance entre systèmes éducatifs, enseignement des langues étrangères, égalité des chances entre filles et garçons - on peut demander si désormais les termes du procès ne sont pas inversés -, pour les enfants des travailleurs migrants et les handicapés, la lutte contre l’analphabétisme et les échecs scolaires, l’introduction des nouvelles technologies de l’information. Il serait intéressant de connaître les résultats obtenus par ces initiatives foisonnantes. 10 - Trois programmes sont plus connus, et le sont par leurs sigles : Comett, Erasmus et Yes pour l’Europe. Le programme Comett, adopté par le Conseil le 24 juillet 1986, programme communautaire d’éducation et de formation en matière de technologies, tend à doter la communauté en ingénieurs et techniciens de haut niveau qui réclament l’utilisation et le progrès des nouvelles technologies. Son idée essentielle est l’association des universités et des entreprises dans le domaine de la formation aux nouvelles technologies. Le programme Erasmus, adopté par le Conseil le 3 janvier 1986, tend à favoriser la mobilité des étudiants et la coopération inter-universitaire. Il est l’un des mieux connus. Le programme Yes pour l’Europe, issu du Conseil européen de Milan, est un programme d’échange de jeunes travailleurs. Tous ces programmes sont des moyens d’exercer des politiques d’incitation, de susciter des initiatives, plus souvent celles des universités, des entreprises et des étudiants que celles des Etats. L’application, assez tardive, du droit communautaire apporte des modifications d’une tout autre intensité aux systèmes nationaux, à leurs règles d’organisation et de fonctionnement. II - L’EUROPEANISATION DES SYSTEMES EDUCATIFS 11 - C’est dans la décennie 1980 que les transformations commencent à s’opérer. Elles seront dues pour l’essentiel aux deux institutions les plus technocratiques des communautés, la Commission et la Cour de Justice, cette dernière se prononçant soit sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale ou sur un recours en manquement formé par la Commission. Les deux institutions jouent avec habileté le même jeu. Elles montrent une audace extrême dans l’application du traité. Autant qu’elles le peuvent, elles préfèrent emprunter la voie de la jurisprudence, plutôt que provoquer l’intervention du Conseil, du Parlement et du Comité économique et social. L’action que l’on pourrait appeler d’intégration s’est développée dans deux terrains principaux :
Enfin, les institutions de la Communauté se sont résolues - mais n’ont pas achevé - à résoudre un problème dont la solution détermine l’efficacité de toutes les autres dispositions : la reconnaissance mutuelle des diplômes. A - L’accès à l’enseignement 12 - Pour notre pays, les solutions dégagées par la Cour de justice ont moins d’importance pratique que la méthode de raisonnement suivie pour y parvenir. Si le traité CEE a proclamé la liberté, pour les ressortissants d’un Etat membre d’exercer une activité professionnelle sur le territoire d’un autre Etat membre, suivre un cycle d’étude n’est pas une profession. On l’oublie trop souvent et il est malsain de l’oublier. 13 - Comment justifier l’intervention du Droit et des institutions communautaires dans la solution des questions d’accès à l’enseignement ? La Cour a bâti un raisonnement sur les articles 128 et 7 du traité. L’article 128 fait obligation au Conseil d’établir "les principes généraux pour la mise en œuvre d’une politique de formation professionnelle qui puisse contribuer au développement harmonieux tant des économies nationales que du marché commun". Première conclusion tirée par la Cour : la Communauté est compétente en matière de formation professionnelle à quelque emploi que la formation conduise. De là, la jurisprudence de la Cour a refusé de distinguer entre enseignement académique et apprentissage. Elle a considéré que l’enseignement supérieur, en règle, ne saurait être exclu de la formation professionnelle (Aff 24/86 - arrêt Blaiziot c/ université de Liège au 2 février 1988). Ayant intégré de la sorte l’enseignement supérieur dans le domaine d’application du Traité, la Cour applique l’article 7, aux termes duquel "est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité", dans le domaine d’application du Traité. 14 - En conséquence, la Cour a jugé que les conditions d’accès d’un ressortissant à un autre Etat membre devaient être les mêmes que celles des nationaux et que l’imposition d’un minerval constitue une discrimination prohibée par l’article 7 (Aff 293/83 - Gravier c/ville de Liège - 13 février 1985) Dans la même ligne, mais statuant cette fois sur la validité d’une décision de refus, la Cour a décidé que ne pouvait être refusée à une ressortissante française une aide à la formation prévue par la loi allemande, sous le prétexte qu’elle ne remplissait point la condition de résidence de cinq ans exigée des étrangers (Aff 39/86 Sylvie Lair c/université de Hanovre - 21 juin 1988). Cependant, la Cour distingue entre l’aide destinée à couvrir les frais d’inscription et de scolarité, dont le refus aux ressortissants des autres Etats membres est prohibé, et l’aide accordée aux étudiants pour subvenir à leurs besoins, qui n’entre point dans le champ d’application du traité. Fruit d’une construction audacieuse, cette jurisprudence est pourtant moins étonnante que les arrêts relatifs à la fonction publique ? Car les solutions admises sur ce dernier point sont de nature à dénationaliser l’enseignement public. B - L’accès à la fonction d’enseignement ou la dénationalisation de l’enseignement public 15 - L’application de l’article 48 à l’enseignement privé, ne paraît pas soulever de difficultés. Les règles exigeant la nationalité de l’Etat pour un enseignement ne sont plus opposables aux nationaux des autres Etats membres de la Communauté, y compris dans des établissements privés sous contrat, comme le prévoit en France la loi Debré. Mais cet article 48 du Traité, texte fondamental, qui pose le principe de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté et en déduit les conséquences énonce, en son paragraphe quatrième, une restriction d’importance, les dispositions de l’article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique. Qu’entendre par ce terme ? Il semble ne point souffrir d’interprétation, car il est clair. Est administration publique ce que le Droit de chaque Etat membre qualifie tel, le concept variant évidemment d’un Etat à l’autre. 16 - Ce n’est pas ainsi que la jurisprudence de la Cour entend le terme, auquel elle donne un sens unitaire. Déjà dans un arrêt Sotgiu du 12 février 1974 (Aff 152/73), elle avait décidé que la portée de l’exception exprimée au § 4 de l’article 48, ne saurait être déterminée par la qualification du lien juridique existant entre le travailleur et la collectivité publique qui l’emploie, statutaire ou contractuel. L’arrêt de principe est la décision Commission c/Royaume de Belgique du 17 décembre 1980 (Aff 149/79). Dans cet arrêt, la Cour a dit que seuls les "emplois qui comportent une participation à l’exercice de la puissance publique et les fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités territoriales" sont placés hors du champ d’application du principe de la libre circulation des travailleurs. A la suite de cet arrêt qui concerne les employés des chemins de fer belges, la solution a été appliquée aux infirmiers français (Aff 307/84 - 3 juin 1986), à une Britannique sollicitant l’accès à un stage préparatoire conférant l’aptitude à la carrière supérieure d’enseignement dans les lycées de la R.F.A. (Aff 66/85 - 3 juillet 1985), aux chercheurs du C.N.R. italien (Aff 225/85 - 16 juin 1987). Et le gouvernement grec ne pouvait avoir meilleure chance en soutenant que relevaient de l’exercice de l’autorité publique des fonctions qui semblent avoir relevé de l’enseignement privé (Aff 147/86 - 15 mars 1988). Sans doute la question n’a-t-elle jamais concerné directement un enseignant public. Mais il est évident que la solution serait identique par identité de motifs. C’est bien ainsi que l’a compris la commission dans sa communication aux Etats membres du 5 janvier 1988. La commission entend faire porter son effort de "libération" sur des secteurs prioritaires. Auprès de la santé y sont rangés l’enseignement et la recherche dans les établissements publics. 17 - Au point de vue juridique, la jurisprudence de la Cour est, à mon avis, plus que contestable. Elle est erronée, et systématiquement erronée. Selon ses méthodes dites constructives d’interprétation, la Cour a fait prévaloir sa conception intégrationniste sur la lettre claire du traité. Mais il est vain de s’insurger. Aucune autorité, aucune procédure n’est actuellement en état de briser une telle jurisprudence. Or, dans le seul domaine de l’enseignement public, cette jurisprudence concerne des millions d’emplois. Seuls le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas n’exigent point de leurs enseignants la condition de nationalité. Les autres Etats membres l’exigent en général, avec de fréquentes dérogations dans l’enseignement supérieur. En France, la condition est exigée à tous les degrés. La loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1988 permet d’associer aux universités mais non d’intégrer des professeurs étrangers. Voici donc des emplois en nombre considérable désormais accessibles à des ressortissants communautaires en France. Reste bien un barrage, constitué par les conditions de diplôme. Il va maintenant être démantelé. C - La reconnaissance des diplômes 18- La condition de diplôme est en droit moins difficile à satisfaire que la condition de nationalité. Il suffit d’obtenir le diplôme exigé par le droit national, puisque l’accès à l’enseignement ne peut être refusé à un ressortissant communautaire. Mais une telle réponse n’est guère satisfaisante. Elle ne facilite pas la mobilité recherchée. La solution est dans la reconnaissance des diplômes, qui rendra effectif l’accès des ressortissants communautaires à la fonction enseignante nationale, et qui facilitera grandement aussi l’exercice de la liberté d’enseignement, pouvant prendre pour les établissements d’un Etat la forme de création de succursales ou de filiales dans les autres. 19 - Prévue à l’article 57, la reconnaissance n’a pas fait de bien rapides progrès. Des directives sectorielles sont intervenues. Le système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur vient d’être approuvé par le Conseil, mais le texte de la directive tel qu’il a été définitivement adopté n’est pas encore publié. Il s’agira cette fois d’une mesure générale applicable à toutes les professions réglementées pour lesquelles une formation universitaire d’au moins trois années est exigée. La reconnaissance ne peut être refusée que par une décision motivée et susceptible de recours. La Cour de Justice l’avait déjà jugé. La directive le dira. Les dispositions de la directive sont assez complexes. Les auteurs ont prévu les cas dans lesquels la diversité des formations qui ont conduit au diplôme rend nécessaire une compensation qui peut consister en un stage ou une épreuve d’aptitude. C’est sur ce terrain que les professions réglementées se sont défendues et celle d’avocat a été active et efficace. Il est impossible d’entrer dans des distinctions dont on ne connaît pas encore les termes exacts mais qui vaudront pour l’enseignement privé comme pour le public. A coup sûr une étape seulement a été franchie, mais une étape probablement décisive. III - ESSAI DE PROSPECTIVE DU SYSTEME FRANCAIS 20 - L’environnement juridique change et pour une grande part le changement est réalisé. Quelles en seront les conséquences pour la France ? Il convient de distinguer entre les conséquences proches et les conséquences plus lointaines, comme toute prospective, celle-ci comporte une marge d’incertitude considérable. A - Les conséquences proches 21 - D’ores et déjà, certaines d’entre elles paraissent devoir être nulles(a), d’autres sont assez douteuses(b), d’autres semblent plus sérieuses en puissance(c). (a) 22 - La jurisprudence sur l’accès à l’enseignement supérieur n’aura guère d’incidence sur le recrutement des universités françaises qui ne comporte pas de condition de nationalité. Quant aux droits universitaires, le droit français ne connaît pas de tarifs différentiels selon la nationalité. Au demeurant, les droits universitaires sont en France d’un montant dérisoire et personne n’ose y toucher dans la crainte de voir juger que leur maintien est contraire au Préambule de la Constitution de 1946 qui déclare l’enseignement public gratuit à tous ses degrés. 23 - Actuellement, les étudiants nationaux des Etats membres de la Communauté sont en nombre très faible, sinon infime, dans les universités françaises, surtout les ressortissants des grands Etats du Nord. Si bien des raisons l’expliquent, et d’abord la moindre progression de la langue française dans le Monde, cette absence est un signe regrettable. Les universités françaises sont surtout le déversoir des universités d’Etats du Tiers-Monde. Ces derniers Etats lorsqu’ils ont créé des établissements d’enseignement supérieur publics, ont institué pour la plupart une sélection rigoureuse et la France accueille en grand nombre des candidats écartés par la sélection. Ce n’est guère satisfaisant. Ce recrutement douteux nous donnera-t-il au moins des enseignants ? (b) 24 - Théoriquement, l’abandon de la clause de nationalité pour l’admission à la fonction publique enseignante pourrait contribuer à la solution d’un problème aigu, qui est posé à la France comme il l’est au Royaume-Uni. Dans ce dernier pays déjà la condition de nationalité n’a pourtant jamais été exigée des enseignants. Ce problème est celui du recrutement. Les ambitieux projets de développement de l’éducation nationale en France, dont l’application coïncidera avec la retraite des enseignants du second degré recrutés en masse au début des années 1960, exigeraient, de maintenant à l’an 2000, le recrutement de 160 000 professeurs et de 130 000 instituteurs. Il y aura grande difficulté à pourvoir les emplois quantitativement et qualitativement. 25 - Il est douteux que les nationaux des Etats membres ne viennent en masse relayer les Français défaillants. Les traitements offerts aux enseignants en France sont modestes, y compris les traitements de l’enseignement supérieur, comme l’a montré mon collègue et ami, Georges Bonet, dans un article récent. Les bâtiments sont souvent d’une malpropreté repoussante, les classes hétérogènes, les relations avec les élèves souvent inacceptables. On n’imagine guère, abstraction faite du problème de langue, les ressortissants des Etats communautaires dont le revenu national par tête d’habitant est important, se précipiter en masse dans nos établissements. L’amélioration du recrutement, l’attraction retrouvée de la vocation enseignante suppose une réforme profonde, qui est impossible dans l’enseignement public. Impossible structurellement si l’on poursuit le rêve de conférer des diplômes à tout le monde. Impossible politiquement si l’on veut revenir sur cette illusion démagogique. C’est pourquoi, il est concevable qu’à l’inverse la fréquentation d’établissements étrangers et la création d’établissements étrangers en France, connaissent davantage de succès. (c) 26 - Certes, les étudiants français n’entreront pas dans les universités et autres établissements d’enseignement supérieur des autres Etats de la Communauté par centaines et même par dizaines de milliers. Il y aurait à cela des obstacles matériels de toutes sortes. Mais le nombre des Français dans ces universités augmentera certainement et deviendra significatif. Les programmes de la communauté y incitent et y inciteront de plus en plus. On peut penser que, dans le domaine, immense, des disciplines scientifiques, une certaine division du travail s’instaurera dans la Communauté. Comme au Moyen-Age et à la Renaissance, des maîtres prestigieux attireront des disciplines de plusieurs pays. De nos jours, une élite d’étudiants en droit n’est plus attirée par l’agrégation. Leur ambition est d’être engagés dans des cabinets d’hommes de loi anglo-saxons. A défaut d’aller aux Etats-Unis, ils chercheront à se former dans des universités européennes. 27 - Verrons-nous des universités étrangères créer des antennes en France, ou se créer ab ovo sur notre territoire ? La chose n’est pas inconcevable, même si elle ne doit pas prendre des proportions massives. La première formule - celle de l’antenne - présenterait l’avantage de permettre aux étudiants de subir les épreuves dans l’université-mère et d’en obtenir le diplôme désormais reconnu. Il y aurait, pensons-nous, un marché, une clientèle potentielle, pour les filiales ou antennes françaises de prestigieux établissements qui offriraient le moyen d’obtenir des diplômes réputés. Le coût de ces études ne serait pas un obstacle. Depuis quarante-cinq, les partis politiques français rivalisent de démagogie aux étudiants. Les événements de 1968 et de 1986 ont aggravé le mal. Tout doit être gratuit. Or, comme les jeunes Américains, les meilleurs des nôtres admettraient qu’il est légitime de consentir efforts et sacrifices pour se faire une situation supérieure en intérêt intellectuel et en satisfaction matérielle à celles des autres jeunes de leur génération. Certes, l’on ne verra pas se créer de la sorte des enseignements étrangers de sanscrit, d’esthétique, d’archéologie ou de droit romain. Mais on pourrait bien voir naître des antennes de prestigieuses écoles d’ingénieurs, des enseignements de technologie, de gestion, de droit, d’économie. Bien que leurs activités aient été libérées parmi les premières, les médecins étrangers ne sont pas venus en force, je doute qu’ils créent des unités de médecine appuyées sur de grandes cliniques privées. Et la Sécurité Sociale est là... 28 - Ne peut-on envisager que de grandes entreprises de la Communauté implantent des établissements en France, principalement dans des régions désertifiées, devenues la proie des étrangers communautaires, une unité de formation et de recherche dans la technique qu’elles exploitent. Dans ce cas, la reconnaissance du diplôme ne se poserait même plus. Car la valeur juridique des diplômes n’a d’intérêt que pour l’accès à la fonction publique et aux professions réglementées, le privé les juge à leur valeur intrinsèque. J’ai surtout parlé de l’enseignement supérieur. Les établissements primaires et secondaires, écoles, collèges et lycées, créés par des ressortissants communautaires sont évidemment concevables. Ils pourraient même demander à conclure des contrats en application de la loi Debré. Le refus de ces contrats ne pourrait être motivé par le défaut de nationalité française. Mais, il y a la condition du besoin scolaire reconnu... Nous ne sommes qu’au début d’un processus qui sera long, qui demandera du temps, mais dont les conséquences lointaines devraient être bénéfiques pour la France. B - Les conséquences plus lointaines 29 - J’en vois pour ma part deux principales. L’une est de fait(a), l’autre est de droit(b). De l’une et l’autre, les réformateurs lucides ont rêvé depuis longtemps. Peut-être s’avancent-elles par le détour du Droit communautaire. (a) 30 - Le premier mérite du droit communautaire appliqué en la matière, si du moins son application prend une importance suffisante, serait de renforcer la concurrence qui est la condition du salut de l’enseignement français. Certes, la législation du XIXe siècle a démantelé, en droit, le monopole de l’université impériale. Mais si le monopole de droit a disparu, en bien des cas et sur bien des points du territoire subsistent des monopoles de fait, partout où la concurrence n’est point suffisante. Et quant aux diplômes, elle est imparfaite. Or, en matière d’enseignement comme en tous les domaines, la concurrence est la garantie de la qualité du service prêté, elle est facteur de progrès, elle est une protection contre la dégradation. L’aspiration à l’autonomie n’avait point d’autre sens. On sait ce qu’il en a été, on sait comment les minables et leurs défenseurs politiques se sont acharnés à défendre un système qui attache les mêmes effets de droit au meilleur et au pire. Le monopole de fait n’a résisté qu’à l’abri des diplômes nationaux, qui semblent bien être désormais condamnés à terme. (b) 31 - Nos universités, prétendues autonomes, confèrent des diplômes nationaux, suivant un programme minimum fixé par l’autorité publique, et auxquels sont attachés des effets de droit identiques indépendamment de la qualité de l’établissement qui le confère. C’est le monopole de la collation des grades qui survit. Il a été maintenu, malgré la proclamation de la liberté de l’enseignement, pour assurer la prédominance de l’enseignement public. Il est d’une grande importance car les diplômes nationaux sont les clefs d’accès aux emplois publics et aux professions réglementées. Jusqu’à présent, il a été impossible de démanteler le système. L’intérêt des étudiants a été invoqué. Personne n’est parvenu à leur faire admettre que ce système était protecteur des enseignements de médiocre ou de mauvaise qualité. Comment pourra-t-on justifier son maintien au fur et à mesure que la reconnaissance des diplômes recevra des applications croissantes ? La plupart des universités étrangères sont des universités privées. Comment sera-t-il concevable de reconnaître leurs diplômes et de refuser de reconnaître, aux mêmes conditions, les diplômes des universités privées françaises ? Le monde occidental a cru trop longtemps trouver la sécurité et le salut dans la réglementation, réglementation qui l’étouffe. Les Communautés ont été contaminées par le mal de la réglementation, ce qui allait à contresens de leur finalité. Félicitons-nous quand la réglementation tend à établir la liberté. Jean FOYER ASSEMBLEE GENERALE DU 1er FEVRIER 1989 RAPPORT MORAL Fondée en 1983, pour la défense de la liberté de l’enseignement, et de ce qu’implique cette liberté : l’autonomie de l’enseignement privé, la neutralité de l’enseignement public, la nécessaire diversification des types d’enseignement, notre association a connu, depuis qu’elle existe, deux phases profondément distinctes. La première, qui dure approximativement jusqu’en 1985, est celle où la menace contre l’école libre est imminente, manifeste et grave. C’est la phase d’essor de notre association. Alors, notre action était facile et elle nous a permis de contribuer à cette victoire qu’a constitué le retrait du projet SAVARY, à la suite de la manifestation du 24 juin 1984. La seconde phase, qui dure depuis 1986, est d’une nature toute différente. L’offensive contre l’enseignement privé est achevée ; les menaces qui le visaient se sont estompées ; les autorités de l’enseignement catholique sont satisfaites de l’équilibre instable qu’assure le compromis qui s’est établi et se refusent à poursuivre plus longtemps leur combat. Pendant un intermède de deux ans, de nouvelles forces politiques détiennent le pouvoir gouvernemental. Elles ne peuvent être soupçonnées de la moindre malveillance en ce qui concerne la liberté de l’enseignement. C’est dire que les conditions de notre action ont profondément changé. Nous étions en présence d’un dilemme : l’essentiel ayant été acquis, au moins en apparence, avions-nous encore une raison d’agir et d’exister ? En d’autres termes, le temps n’était-il pas venu de dissoudre l’association ? Je dois dire qu’aucune réponse positive à cette question n’a jamais été préconisée par aucun de nos administrateurs. Des raisons très fortes parlaient contre cette réponse. On ne dissout pas une association créée au milieu des difficultés, surtout quand elle réunit un grand nombre d’adhérents, à moins d’avoir la certitude que sont pleinement atteints et définitivement assurés les buts pour lesquels elle a été créée. Tel n’était pas le cas très manifestement. Cette sage décision - continuer à agir - a été comprise puisqu’une proportion appréciable de nos adhérents ont finalement renouvelé leur cotisation, que leur nombre ne connaît qu’une érosion naturelle, et que nous savons que beaucoup de ceux qui nous ont abandonnés nous rejoindraient de nouveau en cas de crise grave. Mais il est manifeste que dans cette nouvelle phase notre action devait connaître de nouvelles formes, adopter un rythme nouveau, beaucoup plus lent, et c’est ce qui explique la date tardive à laquelle nous tenons cette Assemblée Générale. Il a fallu nous plier à ces circonstances nouvelles qui ne dépendaient pas de nous et qui nous contraignaient, non pas au silence, mais à la prudence et à l’attentisme. Rappelons ce qu’étaient ces circonstances : 1°) Il y a d’abord l’attitude des autorités de l’enseignement libre qui se sont refusé à formuler la moindre critique contre les dispositions simples et pratiques adoptées en 1985 par M. CHEVENEMENT et qui ont clairement manifesté qu’elles tenaient pour provocatrice toute expression de désaccord. Il était difficile de se montrer plus royaliste que le roi. Le résultat, prodigieusement étonnant à la réflexion, est que, peu après 1984, année pendant laquelle la liberté de l’enseignement a été au centre des préoccupations des Français, on a assisté en 1986 et en 1988 à deux campagnes électorales au cours desquelles ce problème n’était pas abordé, si ce n’est de façon tout à fait marginale. Pour notre part, nous ne pouvions plus accorder à la seule question de l’école libre toute la place très prépondérante que nous lui avions initialement accordée ; nous ne pouvions plus inlassablement répéter que les dispositions simples et pratiques devaient être améliorées sur un certain nombre de points précis que nous avions signalés, notamment les textes réglementaires régissant la procédure de nomination des maîtres de l’enseignement privé. Il nous a fallu centrer de façon différente les thèmes de notre action et insister plus sur ce qui concernait la liberté dans l’enseignement public et le respect de sa neutralité. Nous l’avons fait d’autant plus qu’en ce domaine se sont multipliées des offensives qui pour être moins apparentes n’en étaient pas moins sérieuses. 2°) Ensuite est arrivée au pouvoir une nouvelle équipe gouvernementale dont le programme comportait un certain nombre de mesures significatives destinées à mieux assurer la liberté de l’enseignement. Dès le printemps de 1986, nous avons eu la possibilité de rencontrer au plus haut niveau un certain nombre de responsables qui nous ont réservé le meilleur accueil. C’est ainsi que nous avons rencontré M. MONORY, ministre de l’Education Nationale, Madame ALLIOT-MARIE, secrétaire d’Etat, et M. le Recteur DURAND, conseiller du Premier Ministre. Nous leur avons rappelé les engagements pris et nous leur avons dit ce qui nous semblait le plus urgent. L’action qu’ils avaient entreprise fut profondément entravée par trois facteurs : d’abord la limite du pouvoir gouvernemental qu’entraînait la situation dite de cohabitation, ensuite, ce qui résultait de la limite du temps qui leur était imparti, alors que chacun sait qu’en matière d’éducation, il n’y a d’action efficace que sur la longue durée, enfin la gêne constituée par le silence persistant des autorités de l’enseignement libre. Toujours est-il que cette action devait connaître un échec grave sur un problème particulier : l’abrogation de la loi SAVARY relative à l’enseignement supérieur. La question fut trop longtemps différée. Confiée à un ministre indécis, qui devait, après sa démission, avouer sans vergogne son désaccord avec la politique du gouvernement auquel il appartenait, elle fut engagée à un mauvais moment - beaucoup trop tard - dans de mauvaises conditions - sur une proposition de loi équivoque - alors qu’on disposait six mois plus tôt d’un projet de la loi parfaitement satisfaisant déposé par M. FOYER. La déroute du gouvernement de l’époque devant des manifestations auxquelles participaient de nombreux étudiants abusés et dont les organisateurs avaient trouvé dans la réforme de l’enseignement supérieur un prétexte facile pour préparer d’autres offensives, devait avoir des conséquences politiques considérables. Prenant date, nous l’avons écrit à l’époque dans notre lettre d’information. Pour ce qui nous concerne, nous avons noté deux conséquences importantes : d’abord l’abandon de tout projet qui remette en cause le statu quo en matière de politique de l’éducation. Il a fallu à René MONORY une singulière obstination et un remarquable courage pour faire adopter les deux seules mesures importantes qui l’aient été entre 1986 et 1988 : d’une part l’instauration d’un corps de maîtres-directeurs dans l’enseignement primaire, d’autre part l’arrêt du recrutement des P.E.G.C. qui constituaient un corps de professeurs de collèges insuffisamment qualifiés. La première mesure a été très rapidement abrogée par M. JOSPIN ; la seconde risque de l’être dans les faits si les projets qui sont actuellement préparés sont mis en œuvre. Bien plus, on risque bientôt de ne recruter pour les collèges que des professeurs qui seront l’équivalent des P.E.G.C., à ceci près qu’ils recevront une dénomination nouvelle ! Quant aux universités, elles sont aujourd’hui toutes contraintes d’appliquer la loi SAVARY plus de cinq ans après sa promulgation, délai que je crois vraiment exceptionnel dans l’histoire de la République. Et c’est ainsi qu’il ne restera bientôt plus rien, ou presque plus rien, de ce qui avait été fait en matière de politique de l’éducation entre 1986 et 1988. 3°) Enfin, de décembre 1986 date une profonde mutation idéologique, surprenante par sa brutalité. Elle constitue la troisième circonstance qui conditionne désormais notre action, et c’est, de loin, la plus importante. Du jour au lendemain, le thème de la liberté de l’enseignement disparut des média, des discours officiels. Autour de 1984 avaient été publiés une multitude d’ouvrages, d’articles, émanant d’horizons divers mais qui avaient en commun de mettre en évidence le mauvais fonctionnement du système éducatif français. On avait abondamment critiqué son excessive uniformisation et la pédagogie niveleuse. On avait reconnu et montré la nécessité d’une adaptation aux capacités des élèves qui passait nécessairement par certaines formes de sélection M. CHEVENEMENT lui-même avait bâti sa popularité en défendant l’idée exacte que l’école n’est pas d’abord un "lieu de vie" mais qu’elle a pour fonction première la transmission des savoirs. On avait dénoncé les infractions sournoises à la neutralité de l’enseignement public, sa politisation excessive dont témoignaient trop de manuels scolaires. Du jour au lendemain, tout ceci fut oublié. On n’avait plus qu’un souci : reprendre en chœur le slogan des étudiants qui avaient manifesté : "Pas de sélection à l’entrée de l’Université", en le généralisant à la proscription de toute forme de sélection. Les milieux politiques les plus divers furent frappés de cet étrange mal et c’est ainsi qu’on en vint à soutenir qu’il fallait supprimer tout redoublement, éviter toute orientation autoritaire et, en définitive, donner le baccalauréat à tout le monde ! Progressivement, réapparurent tous les thèmes de l’idéologie qui avait fleuri en 1968 et aujourd’hui ceux qui s’étaient illustrés dans la création de cette idéologie réapparaissent, chargés d’importantes fonctions dans la préparation des nouvelles réformes. Tout au plus, cette idéologie qui se veut moderniste est-elle mâtinée de quelques slogans empruntés aux lieux communs du libéralisme. C’est ainsi qu’on parle d’une promotion au mérite des enseignants, mesure dont on comprend facilement qu’elle irrite les intéressés car le mérite en question serait mesuré par leur participation à des activités annexes, jamais par ce qui fait l’essentiel de leur métier ! Dans tout cela, il n’est plus question de liberté de l’enseignement. La prodigieuse machine à oublier que constitue le système des média modernes a parfaitement fonctionné. Tout ce qui avait été pensé, dit, écrit, reconnu comme vrai d’un accord sinon unanime, du moins très largement majoritaire, autour des années 1984, est tombé dans le trou de mémoire. On assiste à un prodigieux phénomène de régression sur le plan idéologique : en 1988, on a le sentiment d’avoir rétrogradé en 1981, comme si aucune idée n’avait été acquise entre-temps. Sur le plan de la démarche politique, l’échec de la tentative d’intégration de l’enseignement privé a vraisemblablement porté ses fruits. Elle ne sera pas récidivée sous une forme brutale. En revanche, sur le plan des idées, on a pu faire disparaître dans le silence de l’oubli tout ce qui semblait avoir été acquis autour de 1984. Dans ces conditions, il nous est facile de déterminer quelle est la plus importante de nos missions, de fixer la ligne directrice de notre action dans la période à venir. Il nous faut lutter contre cet oubli, il nous faut développer et approfondir notre réflexion sur la liberté de l’enseignement, ses modalités d’exercice, ses conditions. Les textes publiés dans notre Lettre sont un élément de cette action. La conférence que M. FOYER nous fait l’honneur de nous présenter sera une contribution importante. Mais comme cette action doit être prolongée et approfondie, comme elle doit recevoir la maximum de publicité, nous vous faisons une autre proposition qui est de créer des prix destinés à couronner des travaux consacrés à la liberté de l’enseignement, qu’il s’agisse de travaux de type universitaire, éventuellement d’ouvrages récemment publiés, ou d’un ensemble d’articles qui seraient l’œuvre d’un journaliste professionnel. Ainsi encouragerons-nous la réflexion sur le problème qui nous préoccupe et qui a motivé la création de notre association. Nul doute que la remise de ces prix donnera du lustre à notre association. Telle est, à notre avis, la forme que peut prendre l’action d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE qui conservera, dans la période qui s’ouvre devant nous, la lucidité et la vigilance dont nous avons essayé de faire preuve jusqu’à maintenant. Maurice BOUDOT LES PRIX D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE L’Assemblée Générale a décidé de créer des prix destinés à couronner des travaux consacrés à la liberté de l’enseignement :
Le Conseil d’Administration a été chargé d’établir le règlement de ces prix et d’en constituer le jury. COMPOSITION DU CONSEIL D’ADMINISTRATON L’Assemblée Générale a procédé au renouvellement du Conseil d’Administration, dont la composition est la suivante : Messieurs Aimé Aubert, Président de l’Association de Parents pour la Promotion de l’Enseignement Supérieur Libre, Maurice Boudot, Professeur à Paris IV - Sorbonne, Roland Drago, Professeur à la Faculté de Droit et Sciences Economiques de Paris, Claude de Flers, Lucien Gorre, Commissaire Contrôleur Général des Assurances (e.r.), André Jacomet, Conseiller d’Etat honoraire, Pierre Magnin, ancien Recteur d’académie. Professeur à l’Université de Besançon, Pierre Simondet, Michel de Soye, Henri de la Ville-Baugé.
Page d'accueil | Sommaire | Classement par Thèmes | Haut de Page Lettre N° 7 - 1er trimestre 1985
ÉDITORIAL Oui, la décision rendue le 18 janvier par le Conseil Constitutionnel est une grande victoire pour la liberté de l'enseignement. Forcé de reculer le 24 juin devant la plus grande manifestation populaire qu'ait connue notre Pays, le Gouvernement vient à nouveau d'échouer dans sa tentative pour étouffer la liberté faute d'avoir pu l'étrangler. L'analyse de Monsieur le Professeur DRAGO, spécialiste de droit constitutionnel et administrateur de notre association, montre bien le danger que constituait la loi CHEVENEMENT. La participation au Colloque que nous organisons le 11 juin et le renouvellement de la cotisation pour 1985 font partie des moyens qui nous permettront d'exercer cette vigilance. VICTOIRE pour la LIBERTÉ de L'ENSEIGNEMENT On n'a pas mesuré, semble-t-il, avec suffisamment de précision l'importance de la décision rendue le 18 janvier 1985 par le Conseil constitutionnel à propos des effets de la nouvelle loi de décentralisation sur l'école libre. Lorsque, au cours de l'été 1984, le gouvernement, après la manifestation de Paris, a retiré le texte qui, malgré l'opposition du Sénat, aurait été adopté par l'Assemblée Nationale, on a bien senti que l'affaire n'était pas close. Si ce texte avait été définitivement adopté, le Conseil constitutionnel aurait été saisi, le recours était prêt et il avait de bonnes chances d'aboutir. C'est donc autant sous la pression de l'opinion publique que pour éviter un échec juridique que le gouvernement avait cédé. Mais il était possible de reprendre, de façon indirecte et subreptice, les idées que les partis au pouvoir entendaient faire prévaloir. Une modification (une de plus) de la loi sur la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales allait en être l'occasion. La nouvelle loi contenait des dispositions tout aussi dangereuses que le texte qu'on avait dû abandonner. On comptait sur la lassitude ou l'inattention des défenseurs de l'école libre et il est de fait que, compte tenu de certaines promesses, la négociation ou l'attente des négociations incitaient certains à penser que tout était fini. Heureusement des députés et des sénateurs ne l'entendaient pas ainsi. Deux recours furent déposés devant le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution et le résultat est éclatant. Par les principes qu'elle formule, la Haute Juridiction a donné à l'école libre, et cela d'une façon définitive, les moyens d'assurer sa sauvegarde. Ces principes confirment la liberté de l'enseignement encore mieux que ne l'avait fait la décision du 23 novembre 1977 et commanderont, pour l'avenir, toutes les relations entre l'État et l'école libre. La décision du 18 janvier 1985 procède à une annulation à propos des compétences nouvelles données aux communes. Mais, pour le reste de la loi, elle impose une interprétation tellement contraire aux intentions du gouvernement que le résultat est peut-être, dans ce cas, encore plus positif. I. L'ANNULATION : DISPARITION DES COMPÉTENCES CONFÉRÉES AUX COMMUNES. L'article 27-2 nouveau de la loi prévoyait que, pour les classes primaires, la conclusion des contrats d'association était soumise à "l'accord" de la commune intéressée. On voit bien ce qui aurait pu en résulter. Selon la composition politique du conseil municipal, l'accord aurait été donné dans certaines communes et refusé dans d'autres. Ainsi, une liberté publique fondamentale aurait pu s'exercer sur le territoire de certaines communes et ne pas s'exercer sur le territoire de certaines autres. On semblait s'en contenter en considérant que le texte ne concernerait que les contrats nouveaux et ne s'appliquerait pas aux contrats en cours. Mais le Conseil constitutionnel va beaucoup plus loin. Il décide que : "si le principe de libre administration des collectivités territoriales a valeur constitutionnelle, il ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique dépendent des décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire." Ainsi la liberté de l'enseignement pourra s'exercer sur l'ensemble du territoire français. Aucun conseil municipal ne pourra s'opposer à la conclusion d'un contrat d'association et il en sera de la liberté de l'enseignement comme de toute autre liberté publique. II. L'INTERPRÉTATION DIRECTIVE. Dans la langue du contentieux, on appelle "retrait de venin" l'attitude d'un juge qui, tout en rejetant un recours, donne au texte attaqué une interprétation contraire à la volonté de ses auteurs de telle manière que la solution donnée satisfait entièrement le requérant. C'est exactement ce qui s'est passé. Il convient d'ailleurs de rappeler que le Conseil constitutionnel a fréquemment recours à ce procédé et que, dans tous les cas, ses décisions, comme dit l'article 62 de la Constitution, "s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles". Les députés auteurs de la saisine, s'inspirant de la décision que venait de rendre le Conseil constitutionnel les 10 et 11 octobre 1984 à propos de la liberté de la presse, considéraient que le texte nouveau remettait en cause des situations existantes (c'est-à-dire celles résultant des lois DEBRE et GUERMEUR), notamment à propos du nouveau mode de désignation des maîtres et du régime des contrats. Le Conseil répond que, certes, une loi peut en modifier une autre mais que la modification ne peut "porter atteinte à l'exercice d'un droit ou d'une liberté ayant valeur constitutionnelle". Et, confirmant avec plus de force la décision du 23 novembre 1977, il affirme que "le caractère propre des établissements d'enseignement privé n'est que la mise en œuvre du principe de la liberté d'enseignement, qui a valeur constitutionnelle,..." Les conséquences qu'il tire de cette affirmation sont au nombre de quatre. Elles concernent le contenu du caractère propre des établissements, la nomination des maîtres, la notion de besoin scolaire reconnu et le pouvoir de résiliation des contrats. 1° - Le contenu du caractère propre des établissements. L'article 27-1 de la loi abroge les dispositions de la loi GUERMEUR imposant aux maîtres de respecter le caractère propre de l'établissement. Mais le Conseil n'oublie pas que ce caractère propre résulte de l'article 1er de la loi DEBRÉ. Il décide donc que "la portée des modifications introduites par l'article 27-1 à la législation en vigueur et critiquée par les auteurs des saisines doit être appréciée en tenant compte de l'obligation imposée par la loi de respecter le caractère propre de l'établissement". Les conséquences qui en résultent sont au nombre de deux : a) L'abrogation n'a pas eu pour effet de soustraire les maîtres à l'obligation de respecter le caractère propre de l'établissement où ils enseignent. Ainsi, "une telle obligation, si elle ne peut être interprétée comme permettant qu'il soit porté atteinte à la liberté de conscience des maîtres, qui a valeur constitutionnelle, impose à ces derniers d'observer dans leur enseignement un devoir de réserve". b) S'il résulte de l'abrogation que l'enseignement doit désormais être dispensé selon les "règles de l'enseignement public" et plus selon les "règles générales" comme le prévoyait la loi GUERMEUR, la disposition nouvelle ne saurait être interprétée comme permettant de soumettre cet enseignement à des règles qui porteraient atteinte au caractère propre de l'établissement. On peut donc en conclure que la modification des termes, à laquelle le gouvernement attachait beaucoup d'importance, est sans portée et que la situation antérieure est inchangée. 2° - La nomination des maîtres. C'est, dans ce cas encore, le caractère propre des établissements qui est affirmé. La loi GUERMEUR avait prévu que les maîtres seraient nommés sur proposition du chef d'établissement. La loi nouvelle revient au contraire aux règles de la loi DEBRÉ, prévoyant que les maîtres d'un établissement sous contrat sont désignés par l'autorité académique "en accord" avec la direction de l'établissement. Mais le Conseil décide que cette modification "ne fait par ailleurs nullement obstacle à ce que soit organisée une concertation entre l'administration et l'établissement ; qu'au demeurant la disposition critiquée ne saurait faire obstacle au contrôle du juge de l'excès de pouvoir, notamment au cas envisagé par les auteurs d'une saisine où l'administration proposerait systématiquement à la direction des candidatures incompatibles avec le caractère propre de l'établissement". Le Conseil a visé avec précision le cas où une autorité sectaire voudrait imposer des maîtres dont l'attitude antérieure montrerait qu'ils sont hostiles à l'enseignement libre. Les dirigeants des écoles pourront, dans ce cas, intenter des recours devant les Tribunaux administratifs pour s'opposer à une attitude que la loi nouvelle semblait devoir encourager pour intégrer indirectement les établissements dans le système de l'enseignement public. 3° - La notion de besoin scolaire reconnu. L'article 27-3 de la loi prévoit que la conclusion des contrats est subordonnée "au respect des règles et critères retenus pour l'ouverture ou la fermeture des classes correspondantes de l'enseignement public. Au surplus, en ce qui concerne l'enseignement secondaire, la conclusion des contrats est, en outre, subordonnée "à la compatibilité avec l'ensemble des besoins figurant aux schémas prévisionnels, aux plans régionaux et à la carte des formations supérieures..." Ainsi au cas où des familles auraient voulu inscrire leurs enfants dans des établissements libres, cette volonté se serait heurtée à des normes quantitatives valables pour le seul enseignement public. Mais le Conseil constitutionnel donne une autre définition du besoin scolaire reconnu. Il décide que "si l'appréciation de ce besoin peut reposer en partie sur une évaluation quantitative des besoins de formation, il résulte de la combinaison de la disposition ci-dessus rappelée avec l'article 1er de la même loi que le "besoin scolaire reconnu" "comprend des éléments quantitatifs et des éléments qualitatifs tels que la demande des familles et le caractère propre de l'établissement d'enseignement". Dans ces conditions, la demande des familles et la spécificité des établissements devront être prises en considération, cette fois encore sous le contrôle du juge administratif et l'on ne pourra pas tirer argument de la désertion d'une école publique pour s'opposer à la création d'une école libre. 4° - Le pouvoir de résiliation des contrats. L'article 27-6 semblait donner à l'administration un pouvoir général de résiliation des contrats "lorsque les conditions auxquelles est subordonnée la validité des contrats d'association cessent d'être remplies". Ces conditions auraient pu être, notamment, la non-conformité aux règles de l'enseignement public ou à la carte scolaire. L'administration en aurait tiré un pouvoir général de résiliation arbitraire. Le Conseil répond que ce texte "ne confère pas à l'autorité administrative le pouvoir de résilier arbitrairement les contrats d'association en cours ; que la résiliation ne peut être prononcée en vertu de ce texte que lorsque ne sont plus remplies les conditions auxquelles était subordonnée la validité du contrat". Dans ces conditions, c'est le droit commun qui s'appliquera et, encore une fois, sous le contrôle des Tribunaux administratifs. Sur tous les plans, la décision du 18 janvier 1985 correspond donc à une très grande victoire. Le gouvernement a, au contraire, entendu en réduire la portée. En reprenant point par point les déclarations du ministre au Parlement, on constatera que, soit le Conseil constitutionnel les a condamnées, soit il en a pris acte en imposant des conditions qu'on n'avait pas voulu inscrire dans la loi. La liberté de l'enseignement est sauvegardée et renforcée. En voulant la détruire ou la restreindre de façon ouverte ou insidieuse, le gouvernement a donné à ses défenseurs l'occasion de la faire confirmer de façon éclatante. Encore faudra-t-il qu'ils restent vigilants et fassent respecter les droits qui leur ont été reconnus.
L'ÉCOLE LIBRE... RIEN N'EST RÉGLÉ, par Paul SERAMY, vendu en kiosque - 64 pages - 18 F et disponible au Groupe de l'UNION CENTRISTE - SÉNAT - 15, rue de Vaugirard - 75006 PARIS, au prix de 12 F. Rapporteur devant le Sénat du projet de loi CHEVÈNEMENT, Monsieur SERAMY, après avoir rappelé les principes qui font la liberté de l'enseignement et les conditions de son exercice jusqu'à maintenant, explique clairement point par point la loi nouvelle, sa portée et ses risques.
NOUVELLE ADRESSE. ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ est désormais installé 16, Bd Raspail - 75007 PARIS - Tél. 549.05.95 ADHÉSIONS. Tous les adhérents à ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ ainsi que tous les abonnés à la Lettre ont dû recevoir, dans le courant du mois de février, l'appel de cotisation pour l'année 1985 ainsi qu'une proposition de renouvellement de l'abonnement. Merci à tous ceux qui nous ont renouvelé leur confiance. Sauf demande particulière, nous n'accusons pas réception des versements qui nous sont faits afin de limiter les frais de gestion. L'attestation de versement sera adressée à chacun au début de l'année 1986. Que ceux qui, par distraction ou parce qu'ils attendaient que nous leur confirmions notre volonté de continuer notre action, ne nous ont pas adressé leur versement, le fassent sans attendre |