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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 15 - 1er trimestre 1987
LES BLOCAGES 49 % des Français estiment que dans le domaine de l’Éducation Nationale la politique du gouvernement est orientée dans la mauvaise direction ; 31 % tiennent cette direction pour bonne, dont seulement 10 % pensent qu’elle a déjà permis d’obtenir des résultats (sondage de la S.O.F.R.E.S. publié dans le Figaro du 13 mars 1987). Parmi les appréciations portées sur l’action gouvernementale, domaine par domaine, c’est de loin la plus défavorable. Certes, on pourrait admirer l’aptitude des personnes interrogées à discerner une quelconque direction dans la politique gouvernementale, tant on a l’impression qu’aucune mesure importante n’a été prise et que la maxime adoptée est de laisser les choses en l’état. Ma première réaction serait presque de me situer parmi les 20 % de sans opinion. Mais, conscient comme chacun que le maintien du statu quo aggrave la situation, qu’avec le temps qui passe de nouvelles générations de jeunes Français voient leur éducation sacrifiée, je me rangerai délibérément au nombre des opinions défavorables. Comment en est-on venu là ? Et s’il y a un responsable immédiat, à qui la faute ? LA VÉRITÉ DE M. DEVAQUET La plate-forme commune de gouvernement R.P.R.-U.D.F. a pu donner prise à un certain nombre de critiques, mais, dans le domaine de l’éducation, il est une question sur laquelle s’était dessiné un large accord, sans réticences notables, qui débordait même les frontières des deux partis strictement concernés : il s’agit de l’enseignement supérieur. L’abrogation de la loi SAVARY était promise ; les principes sur lesquels devait se fonder la rénovation des Universités et de la Recherche nettement affirmés dans une rédaction claire. On sait pourtant ce qu’il en est advenu du projet DEVAQUET qui a donné aux adversaires du gouvernement l’occasion de lui infliger sa première grave défaite. Est-ce à dire que les principes de liberté qui avaient été affirmés se révélaient désastreux lorsqu’on essayait de les appliquer ? Cette conclusion ne s’imposerait que s’il était établi que le projet DEVAQUET reflétait fidèlement ces principes. Tout le monde a reconnu en temps utile l’ambiguïté du texte de M. DEVAQUET qui ne plaisait ni aux uns, ni aux autres, et qui ne trouvait guère de soutien chez ceux qui auraient dû constituer ses partisans naturels. Aujourd’hui les choses sont claires : ce n’est pas du côté qu’on peut imaginer que M. DEVAQUET cherchait des appuis. Dans une interview significativement accordée au Nouvel Observateur (13-19 Mars 1987, pages 38-41), il confirme que ce projet de loi était bien exclusivement le sien. Il en "assume totalement la responsabilité", qui vraisemblablement ne lui sera disputée par personne. Avec beaucoup de complaisance, il nous explique comment son souci fut de s’opposer à ceux qu’il nomme les "ultras de la majorité" dont le Recteur Durand, Conseiller du Premier Ministre pour l’éducation et la recherche, constitue à ses yeux le démoniaque chef de file, et il se vante d’avoir empêché l’examen de la proposition de loi Foyer, conforme aux vœux des ultras. Comme il est rappelé que MM. Barre, Messmer et Gaudin étaient au nombre des signataires de cette proposition de loi, faut-il les compter au nombre des ’’ultras" ? J’en ai bien peur. En tout cas, on a rarement vu un Ministre se préserver de ses amis politiques avec tant de constance et tant de succès. Le projet présenté était imparfait et notamment ambigu. M. DEVAQUET le reconnaît bien volontiers, mais c’est que s’il avait tenu bon sur l’essentiel, il avait dû aussi, quelquefois, "déplacer le curseur" (l’expression est de lui). La rédaction donnée (contre son vœu) à l’article 31, continue de le chagriner. Elle pouvait laisser place à certaines formes de sélection à l’entrée des Universités : "Au cours des discussions à Matignon, le principe de libre entrée fut sauvé au premier alinéa de l’article 31 et assassiné au second". Mais M. DEVAQUET avait trouvé la parade : il avait pris des engagements publics devant les lycéens et les étudiants, interlocuteurs beaucoup plus dignes d’égards à ses yeux que les parlementaires qu’il s’apprêtait à rouler dans la farine puisqu’il pensait "verrouiller cette assurance (du libre accès) dans les décrets d’application de la loi". (Remarquons au passage que ce grand libéral affectionne particulièrement le verbe "verrouiller".) Que penser d’un Ministre plus sensible aux cris de la rue qu’aux vœux du Parlement, et qui feint de concéder d’une main ce qu’il se dispose à retirer de l’autre ? M. DEVAQUET a-t-il jamais eu l’intention d’appliquer la plate-forme commune de gouvernement ? Lorsqu’il écrit que les dispositions de son projet de loi "reflètent (ses) convictions personnelles, telles qu’(il) les (a) construites bien avant le 16 Mars", il faut entendre qu’il appliquait des idées personnelles assez vétustes et assez éloignées de celles sur lesquelles avait été élue une nouvelle majorité. D’ailleurs, la plate-forme promettait l’abrogation de la loi SAVARY, mais M. DEVAQUET tient à préciser : "L’abrogation de la loi SAVARY a été décidée sans que je sois en aucune manière associé à la décision". Que penser d’un Ministre qui se sent aussi libre à l’égard du programme du Gouvernement auquel il appartient ? Je sais parfaitement quelle conclusion j’en tirerai personnellement si je dois un jour être au nombre des électeurs de M. DEVAQUET. UN REPLI STRATÉGIQUE Dans le domaine de l’Enseignement Supérieur, les conséquences de ce recul politique sont très manifestes. Faute de mieux, pour colmater les brèches, chaque université va continuer à vivre sous le régime qu’elle a choisi. Loi SAVARY pour les uns, loi FAURE pour les autres, ou même régime mixte, pendant une "période de réflexion" dont personne n’ose fixer le terme, mais dont chacun pense qu’elle se prolongera jusqu’aux présidentielles. Cette incertitude de l’avenir ne dispose guère à innover, à entreprendre cette rénovation qui devait adapter l’Enseignement Supérieur aux besoins du pays. Ne parlons pas du destin des organismes de recherche dont M. DEVAQUET avait obtenu qu’ils constituent son "domaine réservé" et qui continueront leur paisible existence de dinosaures budgétivores ! Mais les dégâts s’étendent bien au-delà. On sait comment la contestation des lycéens et des étudiants a donné le signal du départ à toute une série de conflits sociaux. J’avais dit que dès l’origine cette contestation visait tout un pan de la politique gouvernementale (la réforme du Code de la Nationalité, la politique sécuritaire). On sait aujourd’hui ce qu’il en est advenu de certains projets gouvernementaux. Bref, des forces politiques ont profité de leur percée et sont bien décidées à exploiter l’avantage. Le gouvernement semble avoir perdu toute capacité d’initiative dans le domaine culturel, ou dans celui des problèmes de société. Tout au plus ses adversaires lui concèdent-ils le droit de résoudre les difficultés économiques ; ailleurs, la moindre initiative se heurte à un tollé. Bien entendu, ce partage des territoires est une duperie. C’est la même logique qui conduisait les étudiants à demander pour tous le libre accès à l’Université et les cheminots à refuser la prise en considération du mérite dans les rémunérations et l’avancement. Que sera la rentabilité des entreprises si leur organisation doit se conformer aux principes de l’égalitarisme niveleur défendu par ces "étudiants" que M. DEVAQUET était si disposé à écouter ? Il n’est pas jusqu’au langage qui n’ait changé. A nouveau on ne parle plus que de "réduction des inégalités". Le terme sélection est censuré, même dans les discours libéraux ; "orientation" fait manifestement plus décent ; les esprits très audacieux se reconnaissent à ce qu’ils qualifient cette orientation de "sélective". Où sont aujourd’hui les audaces de langage auxquelles nous avait habitués M. CHEVENEMENT ? Ces traits seraient cocasses s’ils ne révélaient un état d’esprit qui peut avoir des conséquences catastrophiques. A ne pas affirmer ses idées, on donne à penser qu’elles sont inavouables. LE RETOUR DE LA F.E.N. Bien entendu, c’est dans le domaine limitrophe de celui de M. DEVAQUET que ces effets funestes se font le plus sentir. M. MONORY mettait en application un certain nombre de décisions, peut-être de portée limitée, mais pour l’essentiel bénéfiques. Son action est très sensiblement entravée. Nous avons dit et écrit qu’il était la véritable cible du mouvement de Décembre, à laquelle la F.E.N. n’était pas étrangère, même si elle n’agissait que par le réseau de ses alliés. Il s’agissait de punir un Ministre tenu pour dangereux, parce qu’en privant la F.E.N. de quelques-uns de ses privilèges, il mettait en cause et son pouvoir et son prestige. Tout le confirme : l’extravagante agitation autour du problème des maîtres-directeurs est le prolongement naturel du mouvement de Décembre. Pourtant cette mesure est très limitée, bien accueillie par la majorité des parents ; elle améliore la qualité du "service public" et même également le statut financier des instituteurs. Elle est refusée simplement parce qu’elle instaure un avancement au mérite et parce qu’elle précise les responsabilités de chacun : en cela, elle porte atteinte au pouvoir du S.N.I., attaché à l’unité du corps des instituteurs. Elle fournit ainsi l’occasion d’une agitation endémique, irritante et impopulaire. On invoque contre elle des prétextes mensongers. La présence d’un Directeur priverait les instituteurs de la liberté de choix des méthodes pédagogiques dont ils disposeraient actuellement. Soyons clairs : pour avoir enseigné dans une école normale d’instituteurs, je puis assurer qu’en ce qui concerne le choix des méthodes pédagogiques, la liberté des instituteurs a toujours été limitée, beaucoup plus que ne l’est celle d’un professeur de lycée. Les instructions officielles sont souvent très directives, de nombreuses réunions pédagogiques contribuent à répandre les "méthodes officielles" et la pratique du corps de contrôle (les I.D.E.N.) n’est peut-être pas un modèle de libéralisme. Les publications syndicales de la F.E.N. elles-mêmes contribuent d’ailleurs largement à répandre la doctrine officielle en matière de pédagogie. La présence des maîtres-directeurs ne change donc rien d’essentiel sur ce point contrairement à ce qu’on nous dit. Souhaitons simplement que ce nouveau corps n’offre pas une courroie de transmission supplémentaire pour diffuser les âneries concoctées au sommet par les pédagogues officiels ! Car il n’est pas à exclure que la réforme se retourne contre les intentions de son auteur. Deux réformes pouvaient être entreprises sans difficultés :
Il est à présumer que bientôt la F.E.N. n’autorisera M. MONORY qu’à mettre en application son projet, malencontreux parce que démagogique, de porter à 80 % d’une classe d’âge le nombre des bacheliers ! La situation semble irrémédiablement bloquée et les syndicats ont imposé leur volonté conservatrice. Il n’est que temps de réagir et de cesser d’interpréter l’échec de la politique personnelle de M. DEVAQUET comme la défaite des principes qui auraient dû fonder l’action du Gouvernement en matière d’éducation. Maurice BOUDOT LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT : UNE SIMPLE HISTOIRE DE GROS SOUS ? Depuis le 24 juin 1984 jusqu’aux élections de mars 1986, la défense de "l’enseignement libre" a beaucoup préoccupé l’opinion. Puis, à partir de ces élections jusqu’au mois d’octobre 1986, le nouveau gouvernement a manifesté une volonté de parer au plus pressé : trouver de l’argent afin de combler les graves retards d’attribution de crédits publics dont souffraient les établissements privés "sous contrat d’association". Enfin, subitement, au moment de la dernière rentrée scolaire et universitaire, l’enseignement privé est disparu de la scène politique et de la presse ; ce sont les tenants de l’enseignement "laïc" public qui ont joué les vedettes, vedettes du désordre d’ailleurs, par des grèves et des manifestations de rue politiquement très marquées. Il est indispensable de souligner que les manifestations de 1984, dans diverses villes, puis à Paris, en faveur de l’enseignement privé, ont été à tort, mais intentionnellement interprétées comme orientées "à droite". En réalité, elles traduisaient surtout un sursaut instinctif de parents effrayés de la dégradation de l’enseignement public, et décidés à continuer de sauver leurs enfants grâce à l’existence d’établissements privés. Il n’y a pas eu d’encadrement politique, et les autorités religieuses se sont montrées pour le moins discrètes. Au contraire, la "revanche" de l’automne dernier a été organisée par des associations politiquement téléguidées, et par des syndicats, qui étaient les uns et les autres, d’abord désireux d’empêcher le gouvernement et le parlement d’amorcer des réformes et de toucher au statut des enseignants, mais aussi soucieux de conserver aux jeunes le droit de suivre n’importe quelles études, aussi longtemps que possible, afin de retarder le moment où ils auront à affronter la vie réelle. LE "CONTRAT D’ASSOCIATION" ALIENE LES ÉCOLES PRIVÉES Dès lors, pourquoi affirmer dans le titre de cette analyse, que les "gros sous" ont joué un rôle déterminant dans le déroulement des événements de 1986 ? Parce que, provisoirement, quelque argent a été trouvé afin de permettre une rentrée acceptable dans l’’’enseignement libre", ce qui a apaisé les protestataires de 1984. Bien sûr l’argent est, à juste titre, considéré, comme le nerf de la guerre. Mais il peut produire le pire ou le meilleur, suivant qu’il asservit, ou qu’il donne les moyens d’une vraie liberté ; il peut aussi, parfois, tranquilliser dans une fausse sécurité ceux qui en ont recueilli. A cet égard, "l’enseignement libre" en obtenant des secours d’urgence pour la rentrée scolaire de 1986, a reçu la possibilité de ne pas refuser trop d’élèves, c’est-à-dire la faculté de survivre mais rien de plus ; c’était essentiel mais non satisfaisant au sens plein de ce mot. En outre, il ne faut jamais manquer une telle occasion de rappeler aux syndicalistes de l’enseignement "laïc", les conceptions des "grands ancêtres" qu’ils ne cessent d’honorer en paroles. La déclaration des droits de 1789 place sur le même plan parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, la liberté et la propriété. Nous avons trop tendance à oublier aujourd’hui, que les libertés et la propriété sont liées à l’origine même de nos institutions. Certes, les établissements privés placés sous "contrat d’association", ou plutôt le plus souvent les associations qui en sont matériellement responsables, ont la propriété de leurs bâtiments et de leurs sols. Mais ils sont obligés de quémander, chaque année, les crédits publics nécessaires à leur fonctionnement (forfait d’externat...), et leurs maîtres sont payés par l’État, ce qui, nécessairement, altère quelque peu leur indépendance. Et parfois les enseignants eux-mêmes, se comportent comme des propriétaires, non seulement des établissements, mais des jeunes qui les fréquentent. Et ils paraissent enrager de se trouver contraints par la loi, de sous-traiter pour ainsi dire à des établissement privés extérieurs à la citadelle officielle, l’instruction d’une part minoritaire des élèves. Ainsi s’éclaire un peu, la notion, combien ambiguë, de "contrat d’association" des établissements privés à l’enseignement public. Les établissements dits "libres" vivent, en fait, sous un régime de concession sans cesse révocable. Leur existence repose, bien sûr, sur des bases légales, mais il demeure à chaque instant possible de leur couper, au moins partiellement, les vivres, comme l’expérience l’a démontré. Les questions de "gros sous" sont sans cesse là afin de rappeler à chacun le "domaine éminent" que l’État, et plus encore les syndicats d’enseignants, exercent sur la jeunesse de France. A y regarder de près, la notion de contrat perd toute signification lorsqu’il s’agit de concrétiser un accord entre les volontés de partenaires aussi inégaux qu’un État tout-puissant, ou tout autre collectivité publique, et des responsables d’établissements privés d’enseignement. Dans le cadre de ces relations déséquilibrées, il devient normal pour les pouvoirs publics, de laisser en attente de solution, des questions aussi fondamentales que celles du mode de nomination des maîtres des établissements privés, ou de leurs garanties de carrière. L’octroi qui leur a été consenti de quelque argent nécessaire à leur vie immédiate, a conduit les chefs d’établissements privés à observer un silence prudent. Mais il faut souligner que le réajustement par référence à l’enseignement public, de l’allocation de base des crédits de fonctionnement en proportion du nombre des élèves scolarisés, a été renvoyé à une commission d’évaluation. Ainsi même sur les problèmes de "gros sous" le plus important n’est pas réglé. LES ÉCOLES PUBLIQUES ONT PERDU LA LIBERTÉ DE TRANSMETTRE NOTRE CIVILISATION Comment s’expliquer que les défenseurs du monopole public de l’enseignement puissent ainsi tenter de dicter les décisions relatives à l’enseignement privé ? Il est étonnant que devant "l’illettrisme" (mot affreux) d’un grand nombre de jeunes Français, la valeur des méthodes pédagogiques de l’enseignement public n’ait pas été très officiellement remise en cause, et que la question de la compétence d’une partie du corps enseignant public n’ait pas été clairement posée. Un bon arbre ne peut produire une telle abondance de mauvais fruits. La réponse à ces questions semble pourtant toute simple. Le Ministère de l’Éducation Nationale s’est installé dans une position de quasi-monopole au-delà de l’influence de tous les ministres qui passent ; or, qui dispose d’un monopole finit par se scléroser. Il ne faut pas avoir peur de rétablir les mots dans leur véritable sens. S’il est devenu habituel de parler "d’enseignement libre", c’est bien parce que l’autre enseignement, majoritaire en effectifs et en puissance, n’est pas libre, c’est-à-dire qu’il a perdu ses libertés essentielles sous la pression de l’omnipotence des services du Ministère. Pourtant, tout l’enseignement devrait bénéficier d’une large liberté, qu’il soit donné par des établissements publics ou privés. Les établissements publics peuvent, et devraient fonctionner plus librement vis-à-vis de l’administration centrale. Ils ont pour vocation de dispenser une instruction à la fois traditionnelle et exemplaire, sans qu’elle soit marquée d’aucune orientation philosophique ou religieuse. Leur devoir principal consiste à "transmettre" les connaissances qui ont été accumulées de génération en génération, et qui ont contribué à former la civilisation de notre pays. Il est absurde de tenter, à l’abri d’un quasi-monopole public, des expériences pédagogiques prétendument novatrices sur la masse de la jeunesse française. La vieille loi abrogée du 28 mars 1882 enjoignait aux instituteurs d’inculquer aux enfants les notions fondamentales non seulement de la lecture, de l’écriture et du calcul, mais de l’histoire et de la géographie de la France, ainsi que des éléments des sciences physiques, naturelles... En définitive, son rôle de référence quant à la neutralité et la qualité de l’enseignement, l’école publique ne l’a souvent, malheureusement, pas bien tenu. Au moins sur le manque de qualité, un ministre de l’éducation, de convictions "laïques", l’a honnêtement reconnu en 1985. Trop longtemps, elle n’a pas subi assez la concurrence ; il faut la lui infliger en plein. Il n’est en outre pas inutile de rappeler que les écoles primaires publiques ont été installées partout en France en vue de répondre, en théorie, à une certaine forme de liberté de l’enseignement. La législation qui oblige toutes les communes à assurer un enseignement primaire tend à garantir le droit des parents de soustraire leurs enfants à une ambiance confessionnelle. C’est là, en effet, une forme de liberté, mais à la condition que l’école publique soit vraiment neutre, et n’impose pas aux jeunes une instruction civique politisée. FINANCEMENT PAR LA MÉTHODE HOLLANDAISE OU BON SCOLAIRE ? L’instauration d’une authentique liberté de l’enseignement tant public que privé, suppose, comme préalable, une réforme de leurs modes de financement. Afin d’assurer le libre choix de l’établissement par les usagers, c’est-à-dire les parents d’abord, et les étudiants majeurs ensuite, mais aussi la liberté de choix des élèves par les responsables des établissements, et afin de faire jouer une saine compétition entre tous les établissements d’enseignement dans des conditions parfaitement équitables, deux méthodes paraissent seules possibles à envisager : 1/ L’attribution de crédits publics, calculés en fonction du nombre d’élèves inscrits, directement aux établissements publics ou privés, et pour l’intégralité de leurs dépenses : c’est le procédé en usage aux Pays-Bas ; 2/ La remise aux parents pour les mineurs de dix-huit ans, et aux étudiants eux-mêmes au-delà de cet âge, d’un "bon" scolaire ou universitaire valant des sommes payables par l’État, et destiné à l’établissement avec lequel ils se seront mis d’accord sur des inscriptions. La mise en pratique de tels systèmes de financement poserait, bien sûr, initialement, quelques problèmes relatifs, par exemple à des garanties de rémunération similaire des enseignants dans l’ensemble du pays, et aussi aux échelles de valeur des bons individuels ou collectifs, en fonction des filières d’enseignement et des niveaux des classes. Mais les vrais obstacles relèvent de motifs psychologiques et corporatistes qui tiennent aux structures du Ministère de l’Éducation Nationale ; il ne faut pas craindre de l’affirmer, quitte à être accusé de crime de lèse-majesté. Ainsi les problèmes de gros sous pourraient être assez aisément résolus, si une volonté politique, et plus encore peut-être celle des associations intéressées les plus diverses se manifestaient énergiquement dans le sens d’une des modalités de financement évoquées ci-dessus. Et il deviendrait enfin possible pour les chefs d’établissement et les enseignants de consacrer tout leur temps à améliorer, en pleine concurrence, la qualité de l’instruction et de l’éducation qu’ils dispensent à la jeunesse française. Le rôle du ministère et des collectivités publiques redeviendrait ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être :
DÉCENTRALISATION EN FAVEUR DES USAGERS OU "SERVICE PUBLIC NATIONAL D’ÉDUCATION" ? Vue sous cet angle, la décentralisation en vigueur en France apparaît presque caricaturale. Les élus locaux, lorsqu’ils s’occupent d’enseignement, doivent principalement traiter de questions d’argent : insuffisance des dotations de l’État aux collectivités territoriales, conflits sur le financement des frais de scolarité entre communes de résidence et communes de la fréquentation scolaire... Puisque les fonds proviennent toujours des poches des mêmes contribuables, et qu’il est inconcevable de distribuer une instruction au rabais aux enfants des départements pauvres par rapport à ceux des départements riches, la décentralisation des crédits de l’enseignement est illogique ; elle complique inutilement les circuits financiers. La véritable décentralisation de l’enseignement doit se réaliser de la puissance étatique et syndicale centrale, vers les établissements et les usagers. Le rôle des parlementaires et des élus locaux consiste normalement à la fois à veiller sur la qualité de l’instruction donnée aux jeunes dans leurs circonscriptions, et à exercer une influence sur l’orientation des cycles de formation vers des spécialisations professionnelles conformes à l’avenir de leurs régions. Cette tâche est autrement plus passionnante pour eux que la quête aux crédits. Dans la réalité d’aujourd’hui, il faut bien constater qu’il n’existe guère d’enseignement libre en France, sauf celui des établissements privés qui ont pu renoncer à signer tout contrat d’association avec la puissance publique. En matière d’enseignement plus qu’ailleurs, l’État ne peut être qu’un monstre froid. Sa mission essentielle consiste à faire appliquer des lois et règlements destinés à garantir les "droits naturels et imprescriptibles de l’homme" : liberté, propriété, sûreté... Il est de sa compétence d’empêcher des atteintes à ces droits ; mais il n’est en rien qualifié pour promouvoir des libertés personnelles. Dans un esprit de liberté, il est donc inconcevable que l’État prétende instruire directement lui-même, ou encore moins éduquer les jeunes Français ; une telle prétention n’est bien adaptée qu’à un système politique qui fabrique de petits robots encadrés dans des mouvements de jeunesse sur un modèle totalitaire. C’est pourtant bien cette conception dont paraît s’inspirer l’action de certains services du Ministère de l’Education Nationale qui tendent à transformer les enseignants en simples agents d’exécution des directives de l’administration centrale. Une authentique décentralisation telle que nous avons essayé d’en esquisser ci-dessus les grandes lignes est inhérente à toute tâche de formation de la jeunesse. Les enseignants doivent, bien entendu, suivre des programmes, surtout dans les classes primaires, et préparer leurs élèves à des diplômes publics ou privés. Mais leur efficacité doit être appréciée avant tout d’après leurs résultats, et par les utilisateurs eux-mêmes, dans une concurrence largement ouverte. Dans cette optique, un service public national d’éducation apparaît contre nature. D’ailleurs, en fait, l’Education Nationale est progressivement passée de la notion de "service" des usagers, à celle d’autoservice de ses propres responsables et agents. Il ne pouvait en être autrement. Dès lors, il est tout à fait chimérique, de la part des responsables des établissements privés d’enseignement, de penser pouvoir s’associer à un service public national d’éducation qui ne saurait être qu’un mythe dangereux. * Ainsi, la masse des manifestants de 1984 en faveur de "l’enseignement libre", et celle de l’automne 1986 pour le libre accès aux universités, ont été trompées et se sont trompées. Ceux de 1984 ont été incités à croire qu’ils assuraient la libre éducation de leurs enfants ; bientôt trois ans après, ils n’ont obtenu qu’un peu d’argent, et des promesses de garanties juridiques dont la réalisation se fait attendre. Ceux de 1986 ont revendiqué des assurances sur leur avenir qu’il est impossible de leur donner, mais ont, en fait, agi en faveur du monopole de l’Etat et des syndicats sur l’enseignement ; ce n’est pas leurs propres carrières que les "étudiants", vrais ou faux, de l’automne ont préparées, mais celles des corporatistes enseignants. Gros sous ou carrières des gens de l’appareil public, telles sont les préoccupations dominantes, et les tristes réalités du jour. A quand la vraie liberté ? Elle a peu de chance de naître si les dirigeants de l’enseignement, qui se croient libres, ne se décident pas à poser les problèmes essentiels, et s’ils ne comprennent pas qu’une liberté aussi fondamentale que celle de l’enseignement est indivisible : elle concerne solidairement les écoles publiques et les écoles privées. Pierre SIMONDET Lettre N° 14 - 4ème trimestre 1986
LA REVANCHE Faut-il commenter des événements dont la signification, le déroulement et l’aboutissement semblent manifestes ? Je le pense, parce qu’une gigantesque opération de désinformation dupe encore aujourd’hui les Français. Quant à la signification, on met en parallèle ces événements avec le vaste mouvement couronné par la manifestation du 24 juin 1984, qui a réuni, notons-le, une foule numériquement supérieure à toutes celles réunies ces temps derniers. A la revendication au nom de la liberté s’opposerait celle au nom de l’égalité et de la solidarité. Valeurs contre valeurs, dira-t-on. C’est faux : ·Le 24 juin achevait une longue série de manifestations qui toutes s’étaient déroulées dans le plus grand calme et qui avaient reçu l’approbation de la majorité de la population comme l’attestaient tous les sondages (et les résultats des élections européennes qui avaient eu lieu huit jours auparavant). En revanche, quelques semaines avant qu’il ébranle la France, le médiocre projet DEVAQUET n’était connu que de cercles très restreints. Dans sa majorité, la population aurait été très embarrassée pour formuler la moindre opinion à son sujet. D’ailleurs, son adoption au Sénat à la fin du mois d’octobre était passée totalement inaperçue, même dans les milieux d’étudiants. Rien ne peut donc attester qu’il y avait cette fameuse vague de fond au nom de l’égalité ou de la solidarité dont on donne d’ailleurs une interprétation caricaturale. ·Au soir du 24 juin, les manifestants sont rentrés paisiblement dans leur logis, sans avoir obtenu au cours d’une entrevue le plus petit apaisement... pour la simple raison qu’aucune entrevue n’avait eu lieu. Il leur a fallu attendre plus de deux semaines (au cours desquelles aucune manifestation n’avait eu lieu) pour obtenir imparfaitement gain de cause. Il a suffi qu’au soir du 4 décembre Monsieur MONORY ne cède pas tout et tout de suite à des interlocuteurs aussi intransigeants qu’éphémères pour que le caractère des manifestations change du tout au tout. Signe que les intentions étaient tout autres et que les organisations avaient le sentiment de s’appuyer sur un mouvement qui ne pouvait s’entretenir sans s’accélérer. ·Quant au déroulement, le 24 juin était organisé par l’UNAPEL qui veillait scrupuleusement à ce qu’il n’y ait aucun débordement sur un terrain autre que celui concerné par la manifestation ; les organisations syndicales, à l’exclusion naturellement de celles des maîtres de l’enseignement privé, n’étaient pas autorisées à participer à la manifestation, les partis politiques proscrits, la discrétion imposée aux hommes politiques qui n’étaient admis à manifester leur soutien qu’en quelque sorte à titre individuel. Le scrupule était poussé jusqu’au ridicule lorsqu’on faisait tout pour faire oublier aux manifestants que les socialistes avaient bien inscrit à leur programme le projet auquel ils s’opposaient. Le triomphe du 24 juin n’a jamais été exploité par ceux qui l’avaient obtenu pour susciter une quelconque inflexion de la politique gouvernementale hormis le retrait du projet SAVARY. Beaucoup de choses restent à décrire et d’abord à connaître sur l’enchaînement des événements de décembre. Mais il est impossible de nier le caractère politique du mouvement. La télévision nous a complaisamment montré des étudiants qui se disaient "apolitiques" et il n’y a pas lieu de mettre leur parole en doute ; mais nous avons aussi appris que nombre de représentants choisis parce qu’apolitiques étaient changés lorsque leurs mandataires s’apercevaient qu’ils militaient dans des groupes gauchistes ! Il y avait sans cesse de petites révolutions de palais (ou d’amphis) dans lesquelles tel groupe cédait le pas à tel autre. Le mouvement avait pour fin essentielle (partiellement réussie probablement) de politiser une masse de jeunes inorganisés dans laquelle d’ailleurs les lycéens étaient plus nombreux que les étudiants. Car qui peut douter de l’existence d’organisateurs ? L’ampleur des moyens matériels mis en œuvre, qui vont de l’édition de tracts et des voitures de sonorisation dans les manifestations à la disposition de moyens de transport très importants le prouve amplement. La politisation est aussi prouvée par la participation des syndicats (de la manifestation annonciatrice de la F.E.N. le 23 novembre à la présence de la C.G.T. le 10 décembre). Enfin elle l’est parce que de façon permanente des tracts, souvent signés de mouvements politiques et non d’obscurs "comités de coordination", annonçaient qu’il fallait lutter non seulement contre les réformes MONORY et la loi DEVAQUET, mais aussi contre le code de la nationalité et la politique sécuritaire du gouvernement. La récupération politique n’est donc pas un phénomène tardif de guerre de mouvement ; elle a toujours été présente. Inutile d’épiloguer sur le rôle de la télévision, tant il est manifeste. Nous avons constaté que triomphent en France, au moins temporairement, ceux qui ont les honneurs du petit écran et que, littéralement, les autres n’existent pas. Une télévision monolithique est-elle aujourd’hui capable de transformer une agitation parcellaire en quasi-révolution ? Il faut poser la question si l’on se soucie du fonctionnement de la démocratie. Juin 1984 et décembre 1986 ont en apparence le même aboutissement : un projet de loi est retiré dont l’auteur démissionne ; un gouvernement, peu importe après tout qu’il change ou non, est contraint à la pause. Mais là s’arrête l’analogie. Le retrait du projet SAVARY avait satisfait les Français. Leurs idées n’avaient pas changé ; persuadés qu’elles l’avaient emporté, ils étaient un peu trop prêts à se contenter des mesures "simples et pratiques" qui en apparence préservaient l’essentiel. On ne peut dire qu’il en soit de même aujourd’hui. Car on nous a déjà prévenu que le combat est politique et global. D’autres tempêtes sont donc à prévoir, qui auront vraisemblablement d’autres centres, mais dont on fera en sorte qu’elles prolongent la première bourrasque. Quant à l’université, et à l’enseignement en général, on les abandonne à leur pitoyable état. Aucun homme politique n’ose approcher des monstres somnolents. Sous prétexte de se préserver de l’idéologie, on n’ose plus formuler aucune idée sur les finalités de l’enseignement, ni sur son mode souhaitable d’organisation. Les voix raisonnables de gauche qui suivaient Laurent SCHWARTZ lorsqu’il rappelait la nécessité de la sélection se sont tues. Quant à la liberté de l’enseignement, personne n’a osé en parler ces dernières semaines. On se contente de promettre à la jeunesse qu’elle poursuivra ses études aussi longtemps qu’elle le voudra, dans les conditions qu’elle souhaitera... Est-ce donc là la réponse à fournir à son angoisse ? Cette situation durera-t-elle ? Je ne sais. Que pensent le Français de ce triste mois de décembre ? Je l’ignore. Ont-ils changé de système de valeurs ? Il est beaucoup trop tôt pour le savoir. Certains voulaient une revanche sur le 24 juin. Incontestablement, ils l’ont eue. Mais avec quels résultats ! Une jeunesse qu’on s’efforce de couper de la Nation, abandonnée aux seuls flatteurs qui n’ont d’autre souci que de piper ses voix. Est-ce cela qu’ils voulaient ? Maurice BOUDOT
Monsieur le Recteur MAGNIN, administrateur d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ, a rédigé à la demande de Monsieur MONORY un rapport sur l’organisation des rythmes scolaires. Voici les réponses qu’il a bien voulu faire aux questions que nous lui avons posées après avoir pris connaissance de ce rapport. E.L. : Que pensez-vous de l’évolution du calendrier scolaire depuis une quarantaine d’années, marquée par une diminution du nombre de jours de classe et un accroissement du nombre d’heures de cours hebdomadaires ? P.M. : C’est le résultat de deux tendances non conciliables :
Le résultat apparaît dans la concentration des cours sur la période de temps la plus étroite possible. E.L. : Quelles sont les bases ou les principes d’élaboration des rythmes scolaires ? P.M. : Par opposition à celle des psychologues qui visent à utiliser l’École comme système de socialisation, ma démarche repose sur l’observation biologique que chaque être est unique et différent, avec des rythmes qui lui sont propres. Vivant en société, il doit nécessairement s’adapter à des normes communes mais ces normes doivent être établies de telle sorte que cette adaptation se fasse avec le minimum de dégâts pour l’individu. Je prends forcément en compte la génétique ; je l’appuie d’arguments physio-pathologiques et d’arguments biophysiques. L’idée centrale est qu’en biologie, tout être est unique et différent, donc les rythmes sont individuels et singuliers ; mais tout être qui s’inscrit dans une société doit s’y adapter - c’est-à-dire que la société devient un synchroniseur principal ou fondamental. Elle va modifier les rythmes de l’individu à ses propres exigences. Les rythmes de l’individu rappelés dans le rapport sont les mêmes pour tous mais avec une possibilité d’expressions personnelles. Le rythme circadien est le plus important, encore que les autres rythmes interviennent pour déterminer une organisation quelconque de ce qu’on appelle "les vacances". Toute l’affaire est fondée sur la justification d’une personnalité existant par sa biologie avec sa propre adaptation dans un système. Avant d’envisager l’adaptation, il faut décrire quelques grands rythmes circadiens sur lesquels on va s’appuyer. Les rythmes circadiens sont des rythmes fondamentaux ; ils se développent sur 24 heures : ainsi existent les couples veille-sommeil et activité-repos qui ne doivent pas être confondus. Pour répondre à l’objection des généticiens évolutionnistes pour lesquels l’homme est fait pour s’adapter et accepter des contraintes, je dis que l’homme peut s’adapter à n’importe quoi, accepter n’importe quelle contrainte à condition que son homéostasie (équilibre dynamique des constantes physiologiques), c’est-à-dire les conditions fondamentales de la vie de la cellule, soit respectée. C’est l’agression contre les rythmes de base et les mécanismes fondamentaux qui va perturber cette homéostasie. L’adaptation ne peut se faire que si l’homéostasie est respectée, c’est-à-dire à la condition que l’individu ne soit pas en déséquilibre biologique. Le couple veille-sommeil est la pierre d’angle du système d’équilibre. La veille est la participation au monde, la vie existentielle qui enregistre, réagit, adapte la vie biologique aux sollicitations du milieu. Croissance, réparation, équilibrage mental, répartition des mémoires, mise en ordre des idées s’effectuent pendant le sommeil. Si le sommeil n’est pas accompli dans sa totalité qualitative apparaît la fatigue importée qui résulte des ruptures de la vie familiale, des incohérences et, dans les répartitions d’activité et de loisir, des inégalités d’effort et des pics de fatigue. Les conséquences de cet état de fait se manifestent au niveau de potentialités et des critères d’apprentissage de l’enfant à l’école : attention, vigilance, enthousiasme, motivation qui font qu’il apprend ou qu’il n’apprend pas. E.L. : Vous insistez beaucoup sur l’importance des pauses dans la journée, en particulier celles avec du silence. P.M. : Elles sont indispensables. Les moments de silence sont fondamentaux. Un individu qui travaille mentalement et même physiquement a besoin de se retirer dans le silence, en particulier pour respirer c’est-à-dire se rééquilibrer. Le phénomène respiratoire est un phénomène harmonique qui se manifeste des fosses nasales jusqu’à la plus petite cellule. Si l’harmonie est rompue, la respiration est mauvaise, d’où l’importance de la pause respiratoire qui est d’autant meilleure que l’individu se met en inactivité, en retrait, en silence. E.L. : Il y a aussi votre appel à la musique comme moyen de synchronisation. P.M. : La musique est très importante pour le développement des activités cérébrales. L’importance de la musique tient au fait que, quand un individu agit, il se sert des réflexes acquis, de sa mémoire de ses propres concepts et de l’expression de la zone sensorimotrice de son cerveau. S’il joue de la musique, il met en jeu des systèmes de mémorisation associatifs, les zones auditives, les zones tactiles, les zones réflexuelles et tout le territoire de la main qui occupe la moitié du cerveau. E.L. : En quoi l’acquisition des savoirs dépend-elle de l’âge de l’individu ? P.M. : Il y a trois âges de la vie : L’enfance, qui commence par les imprégnations et continue par les apprentissages, avec une capacité d’engrammation extraordinaire du cerveau, entre 7 ans et la puberté, des savoirs, des savoir-faire et des habiletés. Lui succède la phase d’élaboration personnelle et d’expression personnelle des savoirs : l’être n’est plus fait pour apprendre passivement mais pour améliorer ses savoirs et les exprimer singulièrement. C’est ainsi qu’on a gâché deux générations de Français en leur évitant d’apprendre entre 7 et 15 ans. E.L. : Vous préconisez une heure à une heure et demie d’étude une fois et même deux fois par jour, étude surveillée, en silence, dans le calme. PM. : Il faut que l’enfant puisse réfléchir. E.L. : C’est absolument contraire à la pédagogie contemporaine bavarde et bruyante. La conséquence est aussi une diminution très nette du nombre d’heures d’enseignement quotidien. Pourquoi ? P.M : Parce que si l’on veut que l’individu puisse exploiter à fond ses acquis, c’est-à-dire engrammer et mettre en ordre, il est indispensable qu’il ait une certaine disponibilité conservée à l’égard de ce qu’il a appris et des activités qui en résultent. Si toute l’activité est occupée par du travail imposé, sans respiration et sans pause, il n’y a plus ni motivation ni intérêt, ni engrammation. Il faut que le travail imposé s’inscrive dans la phase d’activité à son meilleur moment ; il faut préserver la souplesse de la phase d’activité spontanée, qu’elle soit ordonnée ou désordonnée, dans les diverses formes du jeu. De même, il faut respecter la phase de respiration, de silence et de repos. Il est inutile de faire travailler un enfant à partir de 11 heures du matin, parce qu’il est presque toujours en hypoglycémie. A cela s’ajoute la rupture de la phase d’activité pour une nouvelle période qui va durer jusqu’après le repas. L’après-repas est lui-même, physiologiquement, la phase de la sieste et n’est par conséquent pas fait pour un travail strictement intellectuel. En revanche, cette période est favorable aux activités mixtes ou multicentriques, aux activités d’application et de mise en œuvre des connaissances. Les deux phases pendant lesquelles l’activité intellectuelle est la plus grande sont, pour la grande majorité des sujets, celle du matin, qui est celle d’engrammation, de mémorisation courte se prêtant à l’abstraction, et la phase du soir, d’acuité intellectuelle réflexive, de mémorisation lente et de réorganisation des savoirs acquis. E.L. : Cela ne réhabilite-t-il pas la traditionnelle étude du soir ? P.M. : Le soir est en effet la période de mémorisation longue la plus propice. E.L : Vous insistez aussi sur l’importance du goûter... P.M. : Il s’agit d’un phénomène biologique essentiel, plus important que le repas du midi ou celui du soir. C’est le retour au sein maternel, à la fin de la période des activités multicentriques et avant la période de mise en méditation, car la phase du soir est, en fait, une période de méditation. E.L : Le terme de méditation n’est pas souvent prononcé par les pédagogues contemporains. Comment le justifiez-vous ? P.M. : La méditation consiste à libérer l’activité cérébrale des contraintes imposées par la vie relationnelle et de participation. L’être n’ayant plus à s’adapter peut développer ses processus mentaux à partir des données acquises, il est libre pour penser. La soirée ou le soir qui succèdent aux moments les plus chargés de la journée en activités physiques en effets mécaniques et somatiques, traduisent un besoin naturel de repos, voire de repli... Cette phase peut rester inexploitée et perdue... mais elle peut aussi être consacrée après entraînement et habituation à la réflexion et à la méditation. E.L. : Quels ont été les supports de vos analyses ? P.M. : L’ensemble de nos analyses et de nos propositions est issu des données expérimentales auxquelles se sont attachées plusieurs équipes de chercheurs et de médecins de mon laboratoire pendant plusieurs années, des classes maternelles aux terminales de lycées. Ces données rassemblent plus de 10 000 dosages effectués sur l’ensemble des journées scolaires expérimentées. Au premier plan de ces résultats expérimentaux, l’on trouve :
Pour 80 % des enfants, ces moments privilégiés s’étalent entre 9 h 00 et 11 h 00 du matin et entre 13 h 30 et 17 h 30 de l’après-midi.
L’AGITATION DES UNIVERSITES ET DES LYCEES
Les étudiants et, au-delà d’eux, la population, ont été aveuglés. Il est temps de rétablir la vérité. Le gouvernement doit y contribuer en abandonnant le langage ambigu qui est le sien actuellement. Il doit appliquer avec fermeté une politique universitaire et scolaire dont les principes ont été approuvés par les Français lors du scrutin du 16 mars 1986. Communiqué du 2 décembre Lettre N° 13 - 3ème trimestre 1986
DEVOIRS DE VACANCES Depuis le début des vacances, aucun événement ne s’impose à notre attention. Profitons de ce répit pour proposer à nos lecteurs des textes sans rapport immédiat avec l’actualité. M. AMARE, professeur au lycée de Rochefort, secrétaire national du S.N.A.L.C., principal syndicat libéral du second degré, est spécialiste des questions pédagogiques. Il a élaboré pour son syndicat un document très important dont la grande presse a déjà parlé sur les problèmes posés par l’enseignement destiné aux enfants immigrés. M. AMARE a bien voulu écrire pour nous l’article que nous publions aujourd’hui. Après avoir pris connaissance de remarquables études publiées en Grande-Bretagne au sujet du chèque-éducation, j’ai cru utile de diffuser auprès de nos lecteurs des éléments de réflexion importants. Le cas de l’Angleterre n’avait pas été étudié dans notre colloque l’an dernier ; raison de plus pour qu’on parle de ces travaux. C’est ainsi que j’ai été conduit à rédiger ces pages qui ne sont guère plus qu’un compte rendu de lecture. L’un et l’autre textes n’expriment rien d’autre que l’opinion de leurs signataires. Voici donc leurs devoirs de vacances. LA SCOLARISATION DES JEUNES IMMIGRES : La présence dans nos écoles d’un nombre croissant d’immigrés impose-t-elle à notre nation l’abandon de ses références culturelles ? Telle est la question - urgente - que nous imposent certaines dispositions prises, avant son départ, par M. Chevènement. De quoi s’agit-il ? Depuis une quinzaine d’années environ, l’Éducation Nationale a adopté différentes mesures afin de répondre aux problèmes spécifiques posés par la scolarisation des jeunes immigrés : création de classes d’accueil dans les écoles (CLIN pour une durée d’un an maximum) et les collèges (CLAD pour deux ans maximum) pour un apprentissage facilité du français ; institution d’un enseignement des langues et cultures d’origine (LCO) ; création de centres de formation (CEFISEM) pour les enseignants confrontés à la question de la scolarisation des élèves étrangers non francophones. Que ces mesures, dans leur ensemble bienvenues, se soient révélées à l’usage insuffisantes, c’est ce dont il faut aujourd’hui convenir devant l’échec trop élevé des jeunes immigrés dans nos écoles, souligné encore par leur présence anormalement forte dans les classes destinées aux enfants arriérés (classes de perfectionnement) ou aux déficients intellectuels légers (section d’éducation spécialisée). Le problème devait donc être repris. Le drame est que celui-ci vient d’être repensé non d’un point de vue technique mais à travers une idéologie qui s’est développée depuis 81-82 dans les milieux s’occupant de l’immigration. Selon cette idéologie, devrait être prohibé de nos écoles tout traitement différent des élèves français et étrangers. Il conviendrait ainsi, après une période d’adaptation aussi courte que possible dans les CLIN ou les CLAD, de mélanger les uns et les autres dans des classes communes, afin d’y instituer une pédagogie nouvelle qui, partant du vécu de chacun, serait capable non seulement de répondre aux problèmes scolaires individuels, mais encore de provoquer un enrichissement mutuel de tous. Dans cette perspective, l’école introduirait comme "légitimes" les pratiques, croyances, rites et références culturelles, en même temps que la langue d’origine des jeunes immigrés. Au-delà des motifs pédagogiques invoqués, le résultat escompté - à terme - est l’avènement d’un type nouveau de société, dégagé de tout esprit partisan et capable de reconnaître chacun dans sa richesse particulière. Telle est précisément la perspective d’un rapport du professeur Berque, remis en mai 85 à M. Chevènement, qui préconise l’insertion la plus rapide possible des jeunes immigrés dans les classes "normales", l’extension de l’enseignement des langues et cultures d’origine (LCO) - dispensé par des maîtres étrangers - à l’ensemble des élèves du primaire, l’aménagement de la formation des enseignants dans le sens d’une plus grande sensibilisation au phénomène interculturel, enfin la prise en compte par notre pédagogie de l’identité culturelle de chacun. Un rapport suivi en partie par M. Chevènement qui, en décembre 85, annonçait l’intégration dans les classes "normales" de tous les enfants étrangers, quel que soit leur niveau, ayant fait leur temps réglementaire dans les CLIN ou les CLAD, et l’ouverture des programmes, dès le plus jeune âge de l’école primaire, aux cultures des populations immigrées. A l’opposé de cette perspective, il est urgent aujourd’hui de dénoncer dans ces décisions de l’ancien ministre de l’Éducation Nationale un danger pour le projet pédagogique et culturel de notre école et la capacité de création de notre nation. Nul ne nie tout d’abord la nécessité d’insérer le plus rapidement possible les jeunes immigrés au cursus scolaire normal. Cependant, en même temps qu’elle doit être rapide, cette insertion ne doit pas être prématurée, d’une part pour être efficace, d’autre part pour ne pas constituer un facteur de perturbation dans la progression des élèves, français ou non, qui suivent une scolarité normale. Devant l’insuffisance de niveau des élèves étrangers à l’issue des CLIN ou des CLAD, responsable de leur échec, il convenait ainsi non de se préoccuper de limiter leur séjour dans les classes d’accueil, mais au contraire d’en permettre la prolongation pour un meilleur apprentissage du français notamment. D’autre part, vouloir que notre nation abandonne ses références culturelles afin de se faire plus accueillante aux autres cultures, c’est méconnaître totalement la condition de déracinés des jeunes immigrés, coupés des allégeances tranquilles de leurs aînés et, de ce fait, à la recherche d’un cadre solide dont ils puissent partager les valeurs. Sans compter les effets pervers de l’idéologie interculturelle sur la jeunesse française, plongée par elle dans une indifférence sceptique à l’égard de toute norme ou usage, quel qu’il soit. Enfin, croire que l’esprit d’une nation peut se diluer impunément dans un inter ou pluri-culturel, c’est condamner tout idéal capable de susciter sa création. Tel est le sens de cette mise en garde de M. Lévi-Strauss dans Le regard caché : "L’humanité", écrit-il, "devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon à leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communauté intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles, indispensables entre les individus comme entre les groupes, s’amenuisent au point que des échanges trop rapides égalisent et confondent leur diversité". Certains s’étonneront peut-être du fait que M. Chevènement, si favorable à l’éducation civique, ait pu tomber d’accord avec l’interculturalisme du professeur Berque. Ceux-là oublient seulement que l’ancien ministre de l’Éducation n’a glorifié du sentiment national que le processus révolutionnaire qui, à partir de 89 et de la IIIe République, doit mener selon lui, la France à une nouvelle forme de société, "rationnelle", fondée sur l’extinction de toute tradition particulière, de type "socialiste autogestionnaire". En ce sens, M. Chevènement n’a adopté du rapport Berque que les éléments qui pouvaient servir sa propre perspective idéologique. Il est urgent aujourd’hui que M. MONORY, nouveau ministre de l’Éducation Nationale, revienne sur les dispositions prises par son prédécesseur, et amène notre école, à tous ses niveaux, à rompre avec les idéologies qui la minent. Jean-Michel Amaré Le débat relatif à l’enseignement privé a très naturellement conduit à une interrogation globale sur la fonction de l’État en matière d’éducation. Il était alors inévitable que soit évoqué le système du chèque-éducation, ou bon scolaire, ou allocation d’études, expressions qui doivent être tenues pour synonymes et qui sont toutes rendues par le terme anglais "education voucher". Rappelons les principes sur lesquels repose ce système : l’État n’a pas pour vocation d’organiser un "système public" d’enseignement. Il remplit mal cette mission, à un coût exorbitant, avec des résultats insatisfaisants. De plus, le système public gratuit tend naturellement au monopole et le risque existe toujours de le voir utilisé par le pouvoir politique comme véhicule d’une idéologie. L’éducation devrait rester du domaine de l’initiative privée et être régie par la loi du marché. Toutefois, il appartient à l’État de veiller à ce que chaque enfant reçoive l’éducation dont il a besoin : il prescrira donc certaines règles générales, comme celles relatives à l’obligation scolaire, et surtout fournira à chacun les moyens financiers d’obtenir cette éducation. La famille recevra donc pour chaque enfant un chèque-éducation qu’elle transfère à l’école de son choix qui en perçoit le montant du Trésor Public. On subventionnera l’éducation de chacun et non plus des écoles. L’idée lancée aux Etats-Unis, il y a plus de 30 ans, par Milton FRIEDMAN, prix Nobel d’économie, a récemment donné lieu en France à un certain nombre de réflexions, de prises de position sur le principe, dans l’ensemble favorables. Approuvée autrefois par Guy MOLLET, reprise ici ou là, elle a trouvé un avocat talentueux et informé en Alain MADELIN qui la défend dans Pour libérer l’école (1984, Laffont), se souciant notamment des conditions de sa mise en application dans le contexte français contemporain. De même, elle inspire un certain nombre des propositions formulées dans L’École en accusation (Albin Michel, 1984) par Didier MAUPAS et le Club de l’Horloge. Toutefois, on ne peut pas dire que cet intérêt se soit traduit par des propositions explicites et précises dans les programmes politiques, ni que l’idée ait joué un rôle de premier plan dans les récents débats électoraux. Elle n’a pas donné lieu non plus à des études de caractère scientifique. Tout se passe comme si, dans notre pays, on tenait l’idée pour insuffisamment mûrie. Pour des raisons facilement décelables, la situation est toute différente en Grande-Bretagne. En 1981, le nouveau ministre conservateur de l’Éducation, Sir Keith JOSEPH, se disait "intellectuellement attiré" par le chèque-éducation. Il prescrivait des études préalables et instaurait un débat entre les services administratifs de son ministère et les défenseurs du chèque regroupés dans une association (F.E.V.E.R.) dirigée pour l’essentiel par des universitaires inspirés par la pensée libérale de HAYEK (autre prix Nobel d’économie), dont certains avaient détenu d’importants pouvoirs en matière d’éducation à l’échelon local et possédaient donc une expérience réelle des problèmes posés. Étrangement, deux ans après, alors que le débat s’était réduit à un échange d’arguments, sans aboutir à des conclusions décisives, le même ministre qui l’avait instauré y mettait un terme, affirmant qu’il fallait tenir pour morte l’idée de chèque-éducation "du moins dans un futur prévisible". Certes, très récemment, un certain nombre d’autorités gouvernementales, dont Mme THATCHER elle-même, ont dit leur regret d’avoir dû abandonner ce projet et leur vœu de le reprendre. Mais demeure un fait étonnant : un ministre dont personne ne songe à mettre en cause ni la capacité, ni la résolution, a trouvé trop difficile la mise en application d’une idée vieille de 30 ans qui lui était chère. A quels obstacles dissimulés s’est donc heurté le système du chèque-éducation ? Telle est l’énigme du chèque (The riddle of the voucher) dont traite sous la signature d’Arthur SELDON l’une des publications de l’Institute of Economic Affairs, dirigé par Lord HARRIS of HIGH CROSS et qui regroupe des penseurs qui ont souvent inspiré la politique thatchérienne. Le périodique Economic Affairs dans sa livraison d’avril-mai 1986 (v.6, N° 4) consacre à cette même question un certain nombre d’articles qui complètent et explicitent la brochure d’Arthur SELDON. Ces textes constituent des études de caractère scientifique, remarquables par leur niveau, encore que leur lecture soit aisée et ne doive aucunement être réservée aux anciens élèves de l’Institut d’Etudes Politiques. Ils apportent des données nouvelles, en établissant certains résultats sur des preuves solides. C’est pourquoi il me semble utile de les signaler au public français afin de verser des pièces nouvelles aux débats sur la liberté de l’enseignement. UN REMÈDE LIBÉRAL AU MONOPOLE SCOLAIRE Rappelons d’abord qu’en Grande-Bretagne l’organisation de l’enseignement souffre, souvent sous une forme plus accentuée, de défauts analogues à ceux qui se manifestent en France. Les gouvernements travaillistes avaient appliqué au niveau du secondaire une politique d’uniformisation qui a abouti au nivellement : il y a une grande ressemblance entre les comprehensive schools et le tronc commun des collèges voulu par René HABY ; jusqu’en 1980 les conservateurs ont appliqué les mêmes principes limitant leurs ambitions à freiner cette évolution. L’enseignement privé, qui n’a pas le même caractère confessionnel qu’en France, n’était subventionné que dans certains cas et de façon partielle : les frais de scolarité à la charge des familles y restaient élevés. Une réglementation du type de la sectorisation interdisait aux parents tout choix de l’école à l’intérieur du système public. Bref, il fallait payer si l’on voulait choisir son école. Que la gestion des écoles ait été déléguée aux autorités régionales, chargées de redistribuer des crédits qui pour l’essentiel venaient du budget de l’État, permettait dans certains cas favorables de desserrer un peu le carcan, mais ne touchait pas à l’essentiel ; on pouvait dire que s’était instauré un monopole d’État sur l’éducation, ce qui prouve d’ailleurs l’illusion de ceux qui attendent de la régionalisation le remède aux maux dont souffre l’école. Du point de vue de la liberté de l’enseignement, la situation était donc moins bonne qu’en France. Et comme des causes de même nature produisent les mêmes effets, on constatait comme chez nous que, malgré son coût croissant, le système fonctionnait mal, n’obtenait que des résultats médiocres et suscitait le mécontentement des parents. Le gouvernement de Mme THATCHER a pris à son arrivée au pouvoir des mesures d’urgence. Ainsi, le système des places subventionnées permit aux parents de voir remboursés les frais de scolarité dans le secteur totalement libre, mais au seul cas où leurs revenus étaient insuffisants. Comme on n’attendait pas grand-chose des mesures du genre de la participation, on en est venu à concevoir des réformes plus radicales. Il s’agissait de conférer aux parents un pouvoir réel sur les écoles. Mais ce pouvoir ne saurait consister à participer à la gestion des écoles, ce qui, sauf dans le cas des parents qui ont un tempérament "politique", ne correspond ni à leur désir, ni à leur compétence. Les votes pour le choix de leurs délégués aux divers conseils d’administration sont assez futiles ; selon une expression parlante, les parents ne votent réellement qu’avec leurs pieds lorsqu’ils fuient une école qui leur déplaît. Encore faut-il que le pouvoir de le faire leur soit donné. Et c’est ainsi qu’on en est venu au projet d’appliquer le système du chèque-éducation dont nous avons exposé les principes. Notons que ce système comporte de nombreuses variantes : les chèques peuvent être égaux en valeur ou plus importants pour les enfants de famille modeste, leur montant imputé sur le revenu imposable de la famille ou non ; les écoles habilitées à encaisser le chèque peuvent ou non se voir interdire la perception de frais de scolarité supplémentaires, autoriser ou non à faire une sélection parmi les demandes d’inscription, etc. Un chèque avec montant progressant en sens inverse des revenus de la famille - ce qui revient à majorer les crédits des écoles fréquentées par les enfants les plus pauvres - interdiction pour les écoles habilitées de percevoir des frais de scolarité, ni d’effectuer une sélection (si les demandes excèdent les capacités d’accueil on tirera au sort) peut être un instrument très efficace dans une politique de redistribution des revenus. Il n’y a pas lieu de s’étonner si un penseur comme JENCKS, connu pour ses options sociales-démocrates, s’est rallié au système dans cette version particulière. C’est d’ailleurs cette forme de chèque qui avait été expérimentée en 1973 à Alum Rock, dans la banlieue de San Francisco. L’expérience avait été limitée dans le temps, géographiquement très restreinte, et soumise à des conditions restrictives, les maîtres ayant obtenu qu’aucun d’eux ne serait déplacé en raison de la suppression de son poste à l’issue de l’expérience. Elle a servi simplement à établir que les parents étaient satisfaits et que le système était administrativement viable : il suffisait de demander aux parents d’exprimer leur choix quelques mois à l’avance dans l’énorme majorité des cas ; les taux de transfert des élèves d’une école à l’autre n’étaient pas extravagants (10 % environ), contrairement à ce que certains prétendaient redouter, et s’ils avaient changé d’école, les parents se disaient massivement satisfaits après un seul changement. (De nombreuses données sur ce sujet se trouvent dans la brochure éditée en 1975 par l’Institute of Economic Affairs : Alan MAYNARD, Experiment with choice in Education). L’ETAT DU DEBAT Encore qu’il ait déjà été expérimenté à Alum Rock sans conséquences ruineuses, qu’il soit susceptible de recevoir des formes diverses selon les objectifs qu’on s’est assignés - ses partisans anglais s’orientaient vers un bon de valeur uniforme et moins contraignant pour les écoles que son ancêtre américain - le chèque scolaire ne fut pas expérimenté à nouveau en Grande-Bretagne sur une grande échelle comme on le demandait. Certaines des objections qui lui furent alors adressées ne méritent pas qu’on s’y arrête longuement. Ainsi lorsqu’on lui oppose d’être coûteux puisqu’il aurait conduit à subventionner un enseignement qui ne l’était pas : le cas de la France est heureusement différent et le chèque-éducation n’aurait fait en Angleterre que réparer une injustice. Quant au reproche qu’on établit ainsi un climat de compétition entre écoles qu’il faudrait éviter, c’est la simple expression d’un a priori éthique typiquement socialiste, d’après lequel le pouvoir de choisir s’oppose toujours à l’égalité. L’argument selon lequel le pouvoir de choix accordé aux parents serait assez fictif car, dans de nombreux cas, le nombre des écoles qui leur sont géographiquement accessibles est restreint, n’a qu’une portée limitée. Il est vraisemblable que si les écoles d’un secteur sont mauvaises, d’autres écoles ouvriront. On objecte souvent qu’ouvrir une école est une "entreprise lente, coûteuse et risquée" et que le marché manquera vraiment de fluidité. Mais il semble qu’en la matière on surestime la difficulté. De toute façon, mieux vaut offrir à certains parents un choix insuffisant que pas de choix du tout. De même pour ce qui concerne l’imprévisibilité des effectifs et la difficulté d’adapter l’offre à la demande. L’enseignement privé malgré les entraves qu’il connaît résout bien ses problèmes de gestion. L’objection manifeste une grande défiance à l’égard des possibilités de l’économie de marché. Elle est en réalité du même type que celle que pourrait élever un habitué des économies d’Etat des pays de l’Est à la gestion privée de l’industrie hôtelière qui doit résoudre constamment des problèmes autrement redoutables en matière d’adaptation à une demande très variable ! Je ne crois pas que les objections précédentes aient révélé des obstacles insurmontables. Celles que j’évoque maintenant vont nous découvrir les raisons profondes de l’opposition au chèque-éducation. On dira que l’Etat a pour fonction naturelle de régir l’éducation. Lui seul perçoit certaines exigences collectives qui échappent au regard myope des particuliers. Seule son intervention peut maintenir un niveau élevé dans l’enseignement, préserver certains enseignements à valeur culturelle sans application pratique immédiate. Les parents seraient trop "utilitaristes". Ils n’auraient d’ailleurs aucune compétence pour choisir l’école de leurs enfants, surtout s’ils sont, eux-mêmes peu instruits. Nous sommes au cœur du débat : ce qu’on oppose au chèque-éducation, c’est l’éternelle attitude paternaliste qui ôte aux citoyens leurs libertés sous prétexte que l’Etat sait beaucoup mieux qu’eux ce qui est bon pour eux et pour lui... Ce paternalisme très condescendant à l’égard des classes inférieures peu instruites conduit d’ailleurs à leur imposer en matière d’éducation les idéaux de la classe moyenne, et notamment des enseignants et des fonctionnaires en général. Rien ne prouve que les parents choisiront mal : alors que sous prétexte de participation on est prêt à les taire intervenir dans le choix des méthodes d’enseignement, c’est-à-dire à se prononcer sur les moyens de l’enseignement, ce qui constitue un problème technique, on leur refuse la capacité d’apprécier les résultats, de distinguer une bonne et une mauvaise école ce qui est pourtant beaucoup plus facile. Quant aux objectifs à long terme qui seraient négligés si l’organisation des écoles était remise à l’initiative privée, l’Etat peut veiller à leur atteinte en imposant par exemple des normes minimales en matière de programme, comme il peut exiger des maîtres un niveau de qualification, sans avoir pour cela à gérer lui-même les écoles. Il n’y a donc rien dans ces objections que l’expression du principe selon lequel il appartient à l’Etat de gérer certaines activités importantes. C’est encore ce principe qui s’exprime dans la maxime selon laquelle on ne saurait traiter l’éducation comme une marchandise, maxime dont le prestige auprès des enseignants est considérable. Car si l’on veut dire que ce n’est pas une marchandise ordinaire, c’est bien évident. Mais si l’on veut signifier par là que des concepts comme ceux d’offre et de demande ne peuvent lui être appliqués, ni des problèmes de coût soulevés à son sujet, c’est faux. Quant à tenir pour honteux qu’on puisse s’enrichir en ouvrant une école privée, alors qu’on tient pour très légitime de recevoir un traitement lorsqu’on enseigne dans le secteur public, j’avoue ne pas voir sur quelles raisons se fonde cette étrange appréciation. La crainte des "marchands de soupe" conduit un peu loin. La production et la commercialisation des aliments est régie de façon privée, sans qu’on ait à craindre de s’empoisonner tous les jours, pour autant que je sache. Pourquoi en irait-il autrement en ce qui concerne l’Éducation, domaine dans lequel il appartiendrait à l’État de faire respecter des règlements de salubrité très stricts ? Reste une dernière objection, mais c’est la plus redoutable : Il y aurait incompatibilité entre le système du chèque-éducation et le statut acquis par les enseignants qui leur garantit pratiquement toujours, même s’ils ne sont pas fonctionnaires, la stabilité de l’emploi, encore que la force de cette garantie varie un peu d’un pays à l’autre et même, dans le cas de la Grande-Bretagne, d’un Comté à l’autre. Schématiquement, le problème peut se formuler ainsi : qu’en adviendra-t-il d’un maître qui peut être personnellement talentueux mais qui enseigne dans une mauvaise école qui doit fermer ? On dira que le problème se posera moins souvent que ne le disent les adversaires du chèque ; c’est exact, mais on ne peut dire qu’il ne se posera jamais. Si les mutations imposées après suppression d’emploi sont prévues même pour les fonctionnaires les plus protégés, le fait est qu’on accroîtra les cas de ce type. Dire qu’on respectera les "droits acquis" de ceux qui sont en place, puisqu’il ne peut être question de rompre les contrats, mais que les nouveaux enseignants auront un statut différent est une thèse défendable. Mais se pose alors le problème de savoir quelle garantie en matière de stabilité de l’emploi il est souhaitable d’accorder aux enseignants en raison du caractère propre de leur métier. Certes, il y a bien des solutions à des problèmes de ce type encore qu’elles fassent perdre au projet sa belle pureté doctrinale et revienne à ne l’appliquer que de façon très progressive. Si les défenseurs anglais du chèque parlaient simplement d’expérimenter, c’est précisément parce qu’ils estimaient nécessaire de travailler encore à la solution de problèmes de ce genre. LA COALITION VICTORIEUSE DES BUREAUX ET DES MAÎTRES On sait qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de le faire puisque le projet fut abandonné. Quelles oppositions avaient-ils donc rencontrées qui motivent semblable retournement des autorités politiques ? Il y a naturellement celle des enseignants dont on devine aisément ce qui fonde leur opinion. Encore faut-il ajouter que leurs organisations syndicales ont leurs raisons propres pour souhaiter le maintien du monopole. Elles sont beaucoup plus puissantes lorsqu’elles sont en face d’un employeur unique que lorsqu’elles doivent affronter une pluralité d’entrepreneurs. On ne s’étonnera pas d’apprendre que les syndicats ont entrepris une opération de diversion - une grève sur des problèmes de salaire - pour accaparer les efforts du gouvernement et le détourner de projets qu’ils réprouvaient. Mais ces syndicats sont-ils si terrifiants que le pouvoir politique cède à leur moindre menace ? Toutes les études d’opinions ont prouvé que les parents sont très favorables à l’idée de chèque-éducation. Le taux d’approbation dépasse en général les deux tiers, même s’il n’y a que des proportions de l’ordre de 10 % des parents qui utiliseraient effectivement le système pour changer leurs enfants d’école. Compte tenu de la disproportion numérique entre la masse des parents et celle des maîtres, la première écraserait la seconde dans de telles proportions qu’on s’étonne de ne pas voir les autorités politiques se ranger pour de simples raisons électorales du côté des parents contre les maîtres. S’il en est ainsi, c’est que la force politique n’est pas simplement question de nombre. On a d’un côté un groupe - les maîtres - très organisé, politiquement actif, efficace parce que par profession il sait utiliser le discours, et de l’autre le groupe beaucoup plus nombreux des parents, peu organisés, insuffisamment motivés et souvent très inexpérimentés dans le maniement des médias, ressorts essentiels de l’action politique. Le choix qui est souvent fait - sacrifier les désirs des parents aux volontés des maîtres - n’est donc pas aussi insensé qu’on pouvait le croire au premier abord. D’autant plus qu’en l’occurrence les maîtres trouvaient un allié de poids dans les services des administrations centrales. Les bureaucrates ne pouvaient qu’être hostiles au chèque-éducation. Leurs pouvoirs et leurs perspectives de carrière croissent lorsque se multiplient avec leurs effectifs les mécanismes d’intervention de l’Etat. Ils sont habitués à mesurer leur importance au volume des crédits dont ils disposent. Toute réforme leur semble par nature nocive car son application multipliera les problèmes qu’ils auront à résoudre, et en cas de difficultés ils seront naturellement accusés ; en revanche il n’y a pour eux ni sanction, ni responsabilité apparente, s’ils diffèrent une réforme nécessaire. Mais ce serait une vue bien courte des choses si on tenait l’intérêt personnel des bureaucrates et leur inertie pour pleinement explicatives. Le fait est que par la nature de leur fonction ils sont irrésistiblement conduits à identifier le bien public avec le pouvoir de l’Etat et avec leurs intérêts corporatifs. Ils sont sincères lorsqu’ils se tiennent pour des serviteurs de l’Etat. Demander aux bureaux de mettre en œuvre une réforme qui consiste à désengager profondément l’Etat de la gestion d’activités importantes, au risque que les choses aillent mieux sans l’intervention des administrations centrales ou locales, c’est exiger d’eux qu’ils renient ce qui donne un sens à leur existence professionnelle. On conçoit aisément qu’ils renâclent à la tâche. On ne peut pas demander à quelqu’un d’organiser sa propre exécution capitale. Or les bureaux disposent d’un pouvoir considérable sur le personnel politique. C’est eux qui possèdent les informations nécessaires à la prise de décision ou à l’exécution des décisions : ils peuvent aisément manifester peu d’enthousiasme dans leur transmission, voire incliner la décision par la présentation des données. Par leurs relations avec la presse, ils ont une influence sur l’opinion et donc sur la carrière d’un Ministre qui a en définitive beaucoup moins de pouvoir sur leurs carrières qu’ils n’en ont sur la sienne. C’est eux en particulier qui font ou défont les réputations d’être un bon gestionnaire, toujours électoralement rentables. Malheur à l’homme politique qui ne sait pas se concilier les bonnes dispositions des bureaux. Il y avait donc non pas manque de courage, mais prudence à reculer devant la coalition des maîtres et des bureaux dans une situation politique incertaine. Ce n’est pas dire que le chèque-éducation doive être tenu pour définitivement inapplicable en raison de l’opposition de corporations très minoritaires, mais qui occupent des positions stratégiques dans le jeu politique, ce qui serait désespérer de la démocratie. Un préalable du succès de l’entreprise serait que ses partisans soient mieux organisés et sachent éveiller dans l’opinion des convictions plus ardentes. Telles sont les conclusions auxquelles s’arrêtent nos auteurs. Je laisse à chacun le soin de transférer au cas de la France les enseignements qu’on peut tirer de ces études. Comme notre législation est en définitive plus favorable au libre choix de l’école que la législation anglaise, tout le problème est de savoir s’il vaut mieux se contenter de l’améliorer progressivement ou procéder à une révision plus radicale des principes sur lesquels elle repose. On peut maintenant assez bien prévoir les obstacles que rencontrerait ce dernier choix. Tout est question de jugement d’opportunité, d’appréciation de la situation. C’est dire que je m’en remets à la sagesse des lecteurs pour trancher. L’adresse de l’Institute of Economic Affairs qui édite et diffuse les travaux dont j’ai parlé est la suivante : 2 Lord North Street, Westminster, LONDON S W 1 P 3LB. Maurice BOUDOT Lettre N° 12 - 2ème trimestre 1986
UNE VICTOIRE A EXPLOITER Parmi les défenseurs de la liberté de l’enseignement, nul ne songe à dire que le 16 mars nous sommes passés des ténèbres, à la lumière. Ce n’est pas la crainte du ridicule, désormais attaché à l’usage de cette formule, qui nous arrête, ni le dédain pour des résultats électoraux tellement prévisibles que certains ont fini par les juger décevants, ni une méfiance injustifiée à l’égard du gouvernement actuel, mais simplement une appréciation lucide de la situation. A l’Assemblée Nationale siège une nette majorité de parlementaires qui se sont prononcés sans équivoque en faveur de la liberté de l’enseignement. Vraisemblablement, le souvenir du 24 juin 1984 aura joué un rôle important dans les choix électoraux des Français. ENSEIGNEMENT ET LIBERTE est en droit de s’en réjouir, puisque sans nous laisser intimider par les admonestations de certains, qui n’ont pour fonder leur autorité que l’officialité de leur fonction, nous avons clairement affirmé que la liberté de l’enseignement était bien un enjeu électoral. Cette victoire électorale, nous y avons contribué ; elle est un peu la nôtre. C’est dire que nous ne saurions la mépriser. Sans nouveau changement politique majeur, il n’y aura pas de nouvelles attaques contre la liberté de l’enseignement. Bien plus, tant dans le texte qui lui sert de référence (la plate-forme commune du gouvernement) que dans la déclaration de politique générale du Premier Ministre, le gouvernement a proclamé sa volonté de réparer les attaques qu’a subies cette liberté, de l’étendre et d’en confirmer solennellement les principes. En face de cette situation nouvelle, je serais porté à parler d’une victoire emportée par tous les Français attachés à la liberté de l’enseignement, si je ne savais qu’il n’est pas de situation plus désastreuse pour le vainqueur que celle qui consiste à ne pas savoir, à ne pas vouloir ou à ne pas pouvoir exploiter sa victoire. Or j’ai quelques raisons de craindre que, par maladresse ou par défaillance de la volonté politique, cette victoire soit pour le moins insuffisamment exploitée. ·Ne sous-estimons pas les obstacles que rencontrera inévitablement toute action cohérente dans le domaine qui nous préoccupe. Il y a d’abord ceux qui résultent de ce qu’il est convenu d’appeler la "cohabitation". Par exemple, nul n’attend de M. MITTERAND qu’il soumette au Congrès un projet de révision de la constitution dont le but serait d’y inscrire le libre choix de l’école ! Mais il y a aussi - ce qui est moins visible - toutes les limites et tous les retards apportés dans les changements pourtant indispensables des hauts fonctionnaires qui régissent l’Education Nationale. De plus, ce gouvernement sait que son temps est compté : deux ans au maximum, sans qu’on puisse affirmer que ce délai sera atteint. En matière d’éducation, deux ans c’est insuffisant pour qu’on puisse réellement apprécier l’effet de certaines réformes. Enfin, personne n’ignore qu’il y a d’autres questions d’autant plus urgentes que l’opportunité des solutions qui leur seront apportées jouera un rôle fondamental dans les prochains débats électoraux. Ainsi, on comprend aisément que le gouvernement tienne pour prioritaire le problème du chômage. Ajoutons à ces facteurs qui relèvent de la situation politique générale, l’entrave réelle apportée par l’étrange attitude de certains représentants qualifiés de l’enseignement privé. Après s’être voilé la face devant la dimension politique du problème, ces bons pacifistes, sous prétexte de ne pas rallumer une guerre scolaire mal éteinte, se font les plus ardents défenseurs du traité inégal conclu à leurs dépens. Ils ne veulent que la loi, toute la loi et rien que la loi ; la loi JOXE-CHEVENEMENT, naturellement. La loi appliquée "dans sa lettre et dans son esprit", ajoutent-ils souvent. Et par "esprit", il faut entendre la loi appliquée de façon bienveillante. Ils semblent oublier que la loi qu’ils acceptent aujourd’hui est, de l’aveu même de son principal auteur, identique quant au fond à la loi SAVARY contre laquelle ils avaient été contraints de nous mobiliser hier. Ils feignent aussi d’ignorer qu’on ne saurait tenir pour bonne une loi qui garantit insuffisamment les libertés des citoyens dans le cas où le Gouvernement serait très malveillant ! Manifestement, de tels partenaires, tellement soucieux de solliciter les crédits dont ils ont effectivement besoin qu’ils finissent par en oublier d’affirmer leurs principes, ne sont guère de nature à aiguillonner un Gouvernement embarrassé. ·Toutes ces données négatives peuvent expliquer, sans les excuser, des retards excessifs et une certaine timidité dans l’action gouvernementale. Elles sont heureusement contrebalancées par des facteurs positifs qui rendent possibles des réformes décisives. Je n’évoquerai pas le mythique état de grâce. Mais je constate que l’état de l’opinion publique est très favorable aux mesures que nous souhaitons. Le fait est que les Français ont pris conscience de l’échec du système scolaire préconisé par les Socialistes et partiellement mis en place sous les gouvernements d’avant 1981 à la demande de la F.E.N. Le long débat relatif à l’école libre a fortement contribué à cette prise de conscience. Aujourd’hui, sur les problèmes scolaires et universitaires, leur siège est fait. Un sondage publié dans LE MATIN (23 avril 1986) constate que parmi les mesures énoncées par Jacques CHIRAC, la plus populaire (à égalité avec la création d’une allocation parentale d’éducation pour les familles de trois enfants) c’est "la suppression de la carte scolaire, c’est à dire d’avoir (sic) désormais le libre choix géographique de l’école". Elle suscite le consensus : 86 % d’opinions favorables contre 8 % d’hostiles. D’ailleurs, on conçoit mal que l’opinion tienne à une disposition qu’on a pu caractériser comme l’instauration d’une carte de rationnement en matière scolaire. Il n’y a que la socialisante Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (ex-Cornec, ex-Andrieu) pour pousser par dogmatisme l’audace jusqu’à préconiser le maintien de la carte scolaire, au moment même où on apprend qu’elle a perdu en 10 ans le quart de ses effectifs ! Les parents sont indifférents aux arguments de gauche selon lesquels on risque de créer ainsi des inégalités entre écoles. Ils ne souhaitent pas une égalité toute abstraite ; ils veulent simplement pouvoir choisir pour leurs enfants l’école qu’ils estiment être la meilleure. Ceux qui s’acharnent à ne pas le comprendre dépenseront en vain leur salive et leur encre. Il faut également prendre en compte la considérable perte d’influence des syndicats de la F.E.N. et des mouvements proches d’elle. Ce phénomène indéniable qui ne se mesure pas exclusivement à la baisse des suffrages dans les élections professionnelles, tant sont tenaces les habitudes de vote, est facilement compréhensible. Les enseignants qui militaient dans les syndicats de gauche depuis longtemps ont été déçus par cinq années de pouvoir socialiste. Tous ceux qui tenaient au laïcisme triomphant ont connu l’amertume de voir le gouvernement socialiste submergé par une vague qu’ils n’avaient pas prévue, contraint de dissimuler ses desseins et de ne les réaliser qu’imparfaitement. Ceux qui croyaient voir leur situation matérielle améliorée n’ont rien obtenu. Les plus candides qui estimaient le socialisme seul capable de régénérer les institutions scolaires ont vu les rivalités entre corps s’accroître, le désordre dans la gestion s’aggraver, l’inefficacité du système devenir chaque jour plus manifeste. Certes, M. CHEVENEMENT est venu panser les plaies de leur découragement par quelques paroles creuses. Mais le caractère illusoire du remède ne pouvait longtemps abuser. De cette déception aussi générale qu’elle est rarement avouée résulte que les syndicats de gauche sont actuellement incapables de mobiliser efficacement leurs troupes. Ils pourront se livrer à quelques gesticulations, complaisamment amplifiées par les médias qui leur sont favorables. Ils ne constituent plus dans l’immédiat cette force politique redoutable qu’ils furent dans le passé. En revanche, tous les membres de l’Education Nationale favorables aux principes d’une politique scolaire libérale sortent mûris, et comme aguerris, de cinq années d’opposition. Ils ont acquis l’habitude de prendre leurs responsabilités, habitude dont ils ne se dessaisiront pas. Ils ont affiné leurs réflexions, contribuant dans des groupes divers, souvent sans liaison organique, mais dont la convergence est remarquable, à l’élaboration de projets de réforme précis. C’est dire qu’un gouvernement résolu disposera, à l’intérieur même du corps enseignant, de forces appréciables, prêtes à l’appuyer sous réserve qu’on ne leur demande ni de mettre une sourdine à leurs exigences, ni de renoncer à leur indispensable indépendance de jugement et d’action. Malgré les obstacles qu’on ne pouvait taire, l’occurrence me semble donc particulièrement favorable à la mise en œuvre d’une nouvelle politique éducatrice. Je confirmerai ce diagnostic par l’évocation d’un fait. M. MONORY vient d’annoncer trois mesures qui sont toutes bénéfiques : l’abrogation de la sectorisation (qui sera effective en 1987, puisqu’il est trop tard pour qu’elle le soit en 1986), l’arrêt du recrutement des P.E.G.C. auxquels seront substitués des professeurs certifiés, l’abrogation de la réforme des lycées prévue par M. CHEVENEMENT. Chacune de ces mesures aurait suscité un tollé en d’autres temps. Les syndicats de la F.E.N. se sont pour l’instant contentés de protestations de pure forme. Il suffisait donc de vouloir pour réussir. ·J’irai plus loin : la conjoncture actuelle constitue une occasion très favorable qu’il ne faut pas laisser passer sans agir, car on n’est pas certain de la retrouver demain. A la longue, les syndicats de la F.E.N. finiront bien par sortir de leur relative léthargie. Supposons que la politique libérale rencontre des difficultés dans certains domaines, par exemple en économie. Alors, les Français se détourneront des principes philosophiques qui la fondent (la valeur du mérite, de la concurrence, de la liberté de choix, etc...). Du coup leur opinion au sujet des problèmes scolaires risque de s’en ressentir : les solutions étatistes retrouveront un certain crédit, le libre choix de l’école perdra de son prestige. Le souvenir des manifestations de 1984 finira lui aussi par s’estomper. Bref, pour ce qui tient à l’état de l’opinion publique, il serait imprudent d’espérer dans l’avenir une conjoncture aussi favorable que celle que l’on connaît aujourd’hui. C’est pourquoi il ne faut pas différer la mise en œuvre du programme gouvernemental. L’urgence d’une action est particulièrement manifeste dans deux domaines. L’enseignement supérieur est théoriquement régi par la loi SAVARY de 1984, inappliquée dans la moitié des Universités puisque les universitaires eux-mêmes ont utilisé toutes les ruses pour différer sa mise en œuvre. L’abrogation de cette loi a été solennellement promise. Mais on ne peut vivre indéfiniment dans le vide juridique ou dans le désordre institutionnel, avec des conseils-croupions qui se dépeuplent à chaque départ à la retraite et des "administrateurs provisoires" nommés à la place des responsables élus. L’adoption d’une nouvelle loi ne saurait être plus longtemps différée. Compte tenu des délais qu’exigera la mise en place des diverses instances qu’elle prévoira nécessairement, on courrait le risque de passer toute la prochaine année universitaire dans le provisoire si elle n’était pas adoptée avant les vacances. Il y a d’autant moins lieu de tergiverser qu’existe un texte parfaitement satisfaisant en ce qu’il accorde aux Universités les moyens de leur autonomie. Déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale par Jean FOYER, il a été contresigné par les deux Présidents du groupe parlementaire, tous les anciens premiers ministres, anciens ministres de l’Education Nationale ou universitaires qui siègent sur les bancs de la majorité. Pourquoi ne pas le soumettre au vote du Parlement ? La triste situation de l’enseignement privé exigeait des mesures urgentes. Certaines ont déjà été prises. On doit féliciter le nouveau Ministre de l’Education Nationale d’avoir obtenu l’inscription au collectif budgétaire d’un crédit important (100 millions de Francs) pour l’augmentation des forfaits d’externat. Mais des mesures de ce type ne sauraient suffire. Pourquoi M. MONORY se sentirait-il obligé d’appliquer les textes que lui a légué son prédécesseur en essayant de leur ôter leur venin ? Aurait-il l’imprudence de le faire et soyons assurés que M. CHEVENEMENT saura faire en sorte pour que le mérite en retombe tout entier sur les vertus apaisantes de sa propre loi et non sur l’esprit d’équité de son successeur. Il faut donc changer rapidement un certain nombre de textes. D’abord le décret relatif à la nomination des maîtres ; puisqu’il s’agit d’un simple décret, il n’y a pas lieu d’invoquer l’encombrement du calendrier parlementaire. Ensuite l’article 119 de la Loi de Finance dont le second alinéa au moins peut être abrogé sans créer de lacune juridique, puisqu’il n’a pour fonction que de rappeler le principe des crédits limitatifs ; il s’agit donc d’un changement législatif facile à réaliser. Enfin, il faudra supprimer des textes inscrits dans la loi de décentralisation tout ce qui constitue des entraves au développement et au fonctionnement régulier de l’enseignement privé. En tout état de cause ce serait créer un dangereux précédent que de faire une rentrée scolaire sans que soit modifié aucun des textes que nous ont laissés les gouvernements socialistes. ·Un corps électoral se laisse difficilement dépouiller des libertés auxquelles il a déjà goûté. Il sera donc extrêmement difficile de revenir sur les changements qui auront été effectués et qui tous consistent à étendre les libertés ou à mieux les garantir. Raison de plus d’aller vite. J’ai simplement voulu indiquer quels changements me semblaient les plus nécessaires ou les plus faciles à réaliser, bref tracer les voies d’une exploitation cohérente de la victoire. Ce point de vue, nous avons pu l’exprimer aux nouveaux responsables de la politique de l’éducation. Un mois après la formation du Gouvernement, nous avions déjà été longuement reçus, M. AUBERT et moi-même, par M. MONORY, Mme. ALLIOT-MARIE et M. le Recteur DURAND, Conseiller du Premier Ministre. Notre Association n’est donc pas restée inactive depuis le 16 mars. Elle ne le sera pas plus dans les mois qui viennent. Maurice BOUDOT.
IL FAUT COMPLETER LA CONSTITUTION AFIN D’ASSURER Dans "LA LETTRE D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE" du premier trimestre de cette année, notre association a rappelé aux futurs élus de la nation, et à tous ses membres, les principales raisons qui rendent nécessaire une réforme de la Constitution actuelle de la République, afin de conforter la liberté de l’enseignement, et de la mettre à l’abri de la politique quotidienne. Cette "Lettre" soulignait aussi tout l’intérêt que présente l’article 23 de la Constitution des Pays-Bas, grâce auquel ont été établies dans ce pays, à la fois la paix scolaire et une liberté complète de l’enseignement dans des conditions acceptées par tous les responsables politiques et religieux. Dans la "Plate-forme pour gouverner ensemble", dont s’inspire l’action de l’équipe ministérielle au pouvoir en France, figurent plusieurs principes qui recueillent le complet assentiment des défenseurs de la liberté de l’enseignement ; une affirmation mérite tout particulièrement, de retenir l’attention ; "l’Etat est garant de la liberté d’enseignement : la protection constitutionnelle de la liberté d’enseignement sera renforcée afin de garantir aux parents le droit d’inscrire leurs enfants dans l’établissement public ou privé de leur choix...". Au cours de l’hiver dernier quelques membres du conseil d’administration d’"Enseignement et Liberté", spécialement préoccupés de problèmes juridiques, avaient étudié les modalités que pourrait revêtir cette réforme constitutionnelle. Le moment semble opportun de faire état de la solution qu’ils préconisent. En fait, il leur est apparu qu’il suffirait de décider
Le projet élaboré au sein de notre association est donc conçu en ces termes : I/ Ajouter à l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 un deuxième et un troisième paragraphe ainsi rédigés : "le respect des croyances implique la liberté de dispenser et de recevoir un enseignement qui en soit inspiré, et le droit pour les parents de choisir les établissements publics ou privés auxquels ils confient leurs enfants". "Les établissements publics ou privés d’enseignement de toutes catégories doivent bénéficier, dans des conditions égales, de tous les crédits ou concours publics". II/ A l’article 34 de la Constitution :
Certes les auteurs de cette proposition ne prétendent pas présenter l’unique solution, mais sans doute l’une des plus simples. Celle-ci est offerte à la réflexion des membres d’"Enseignement et Liberté" et à l’examen des pouvoirs publics. Il paraît probable que les réformes de ce genre ne pourront pas intervenir dans de très brefs délais. Mais, justement, il est excellent de disposer de quelque temps en vue d’étudier une question de cette importance, surtout si elle doit être résolue dans le cadre d’une modification plus large de la Constitution destinée à mieux garantir un ensemble de libertés. Dans cette perspective, il semble utile de citer à la méditation de nos lecteurs, des membres du Gouvernement et du Parlement, deux extraits d’engagements internationaux parfois un peu oubliés : 1/ Deux articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies du 10 décembre 1948 : "Article 18. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion et de conviction, seul ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites". "Article 26. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants". 2/ Un paragraphe du Protocole additionnel du 20 mars 1952 à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe du 4 novembre 1950. "Article 20. Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques". Ce sujet de la réforme constitutionnelle, qui suscitera probablement une vive curiosité de la part de nos lecteurs, mériterait sans doute un exposé plus approfondi de la part de juristes qui font autorité en la matière. Fort heureusement, notre association peut s’enorgueillir d’en compter parmi ses membres. Pierre SIMONDET Dans le numéro 10 de LA LETTRE D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE, nous avons dit quelles pouvaient être les arrière-pensées de M. CHEVENEMENT lorsqu’il a rétabli l’instruction civique à l’école primaire et ce qu’il fallait penser de l’orientation des manuels publiés en vue de cet enseignement par les éditions Magnard. Un nouveau manuel, "CITOYEN EN HERBE", sera sorti de presse quand paraîtra ce numéro de notre Lettre. Réalisé à l’initiative de la F.I.V.A. qui compte parmi les membres de son Comité d’Honneur notre Président, préfacé par le Professeur DREYFUS, rédigé par une équipe d’enseignants parmi lesquels Isabelle MOURRAL et orné d’un dessin de Jacques FAlZANT en couverture, ce manuel répondra, nous en sommes certains, aux objectifs d’une véritable éducation civique et morale. Nous demandons instamment à nos lecteurs de contribuer à sa diffusion en l’achetant ou en le faisant connaître, au moyen du bulletin ci-dessous, aux directeurs d’école, aux instituteurs, maires et conseillers municipaux de qui dépendent sa préconisation et son achat. Comme de très nombreux Français, nous avions accueilli avec satisfaction en son temps la décision de mettre en application dans les écoles une éducation civique. Nous partagions cependant l’inquiétude des parents qui ont découvert avec étonnement le contenu d’un certain nombre de documents scolaires mis entre les mains de leurs enfants et qui savent donc qu’un manuel d’éducation civique ne peut éviter la référence implicite à des valeurs morales. C’est pourquoi nous sommes heureux de signaler aux lecteurs de La Lettre d’Enseignement et Liberté la parution de "Citoyen en herbe", manuel d’éducation civique et morale, qui a paru aux Editions de l’Arc sous le parrainage de la Fédération Internationale pour la Défense des Valeurs Humaines fondamentales (F.I.V.A.). Il s’agit d’une œuvre réalisée par des professeurs, directeurs d’école élémentaire et inspecteurs de l’Education Nationale et destinée aux élèves du cours moyen, c’est-à-dire à des enfants de 9 à 10 ans pour lesquels ce document agréable sera un support de l’enseignement civique qu’ils auront plaisir à ouvrir. Le programme qu’il couvre est bien conforme aux instructions de l’Education Nationale et il devrait répondre aux objectifs pédagogiques que se sont fixés ses auteurs : former un citoyen conscient de ses devoirs et de ses droits, vivant dans une société de responsabilité, de justice et de liberté, prônant le respect de la personne humaine dans le cadre social de la Famille et dans son appartenance à la Patrie. Nous recommandons "Citoyen en herbe" auprès des lecteurs de La Lettre d’Enseignement et Liberté et les incitons à le faire connaître autour d’eux, en particulier à ceux qui ont une responsabilité dans le choix de manuels scolaires, notamment les enseignants, les responsables d’établissements scolaires, les mairies qui achètent les livres, et, bien sûr, les parents qui, directement ou par leurs associations, ont leur mot à dire dans les écoles. Lettre N° 11 - 1re trimestre 1986
LA Liberté DE L’ENSEIGNEMENT EST BIEN UN ENJEU Électoral LA Liberté DE L’ENSEIGNEMENT EST BIEN UN ENJEU Électoral Cette affirmation pourra être interprétée comme un prise de position partisane. Or, l’association "Enseignement et Liberté" est et demeure indépendante des partis politiques et non confessionnelle. Mais elle a été fondée afin de défendre la liberté dans l’enseignement public aussi bien que la liberté de l’enseignement privé. Et il nous faut constater où se situent les personnalités politiques attachées à cette liberté fondamentale, et quels sont, au contraire, ceux qui veulent instaurer un service public unifié et intégré de l’éducation nationale (sans se limiter à l’instruction). Une conception quasi totalitaire de l’enseignement étant incompatible avec nos objectifs, nous avons jugé impossible de nous taire. Nous avons déjà pris position à plusieurs reprises ; dans notre lettre de décembre, nous avons mis les points sur les i. Aujourd’hui, nous vous entretenons de nos buts immédiats et de notre tactique. Nous nous devons, en effet, de rendre compte à nos membres de la manière dont nous remplissons la mission de liberté pour laquelle ils nous ont accordé leur confiance. * Certains, même hélas parmi les défenseurs de l’enseignement catholique, voudraient faire croire aux électeurs que "la paix scolaire" a été établie sur des bases acceptables, et durables, par l’actuel ministre de l’Education Nationale. Et pourtant, parmi tous ceux qui ont manifesté en 1984 leur profond attachement à la liberté de l’enseignement, au-delà de tous les clivages politiques, beaucoup savent, par expérience, que le libre choix de l’école n’a pas été vraiment assuré aux mois de septembre et d’octobre derniers. Ils mesurent toute l’hypocrisie de l’opération d’anesthésie de l’opinion qui est tentée depuis un an pour endormir les défenseurs de la liberté. D’ailleurs le ministre actuel de l’Education Nationale n’a pas caché ses conceptions dans son livre "Le pari sur l’intelligence" : "J’ai fait en sorte que les établissements privés ne puissent plus se créer en dehors des schémas prévisionnels". "J’ai arrêté un certain nombre de dispositions simples et pratiques qui, à mon sens, reprenaient tous les points positifs du projet Savary. Je n’ai franchement pas eu besoin de forcer mes principes laïques". Etc... Nous sommes donc éclairés : Savary et Chevènement, c’est le même combat, suivant des tactiques différentes. D’ailleurs, dans notre lettre du mois de décembre, nous avons montré :
Devant cette situation, nous estimons que l’UNAPEL ne joue pas son rôle de défense des parents et des jeunes de l’enseignement libre. Nous avons dit notre réprobation dans un communiqué à la presse, choqué des déclarations de son président qui refuse "de relancer la querelle scolaire à l’occasion de la campagne électorale". Ce n’est pas une querelle qui a été faite aux défenseurs de la liberté de l’enseignement : ceux-ci subissent depuis 1981 une guerre qu’ils n’ont pas voulue, et qui n’est nullement terminée, quoi qu’on veuille nous faire croire. L’UNAPEL a signé un armistice sans avoir obtenu le minimum qu’eût été la sauvegarde des libertés des lois Debré et Guermeur. Faudrait-il considérer comme des succès les décrets d’application de la Loi Chevènement ? Quant à nous, nous travaillons en bonne entente avec toutes les associations, qui, dans toutes les régions de France se battent pour reconquérir et élargir la vraie liberté de l’enseignement. Leur vocation est plus centrée sur la seule défense de l’enseignement libre. Nous agissons en faveur de la liberté dans toutes les formes d’enseignement. Mais vous devez savoir que nous nous concertons avec elles et poursuivons les mêmes objectifs essentiels. * Comme nous l’avions annoncé par notre lettre du mois de décembre, nous avons engagé le dialogue avec les responsables nationaux des partis politiques favorables à la liberté de l’enseignement. Bien entendu, nous leur avons d’abord rappelé les mesures pratiques que toutes les associations amies, et nous-mêmes, réclamons à des titres divers : ·pour l’enseignement privé, primaire, secondaire et supérieur :
·pour l’enseignement public :
Nous avons aussi réfléchi avec nos interlocuteurs, aux meilleurs moyens d’atteindre ces principaux objectifs de la liberté. Deux évidences nous sont alors apparues, la première se dégage des insuffisances de la Constitution, et la seconde découle des conditions de travail que va connaître le Parlement au printemps prochain. * La première évidence est la nécessité d’une adjonction à la Constitution du 4 octobre 1958 actuellement en vigueur, afin qu’elle garantisse mieux la liberté de l’enseignement, en la plaçant à l’abri des péripéties politiques. Nous suivrions ainsi l’exemple des Pays-Bas qui ont procédé en 1917 à une révision constitutionnelle pour mettre fin à une guerre scolaire très sévère, et ont assuré une paix qui dure encore. Certes dans notre pays le Conseil Constitutionnel a adopté le 23 novembre 1977 une décision favorable à la liberté de l’enseignement : il a affirmé que la sauvegarde du caractère propre d’un établissement lié à l’État par contrat n’est que la mise en œuvre d’un principe ayant valeur constitutionnelle. Puis une seconde décision du 18 janvier 1985 a confirmé l’existence pour les enseignants des établissements privés d’un devoir de réserve qui permet d’en conserver le caractère propre. Mais ces deux décisions nous ont donné l’occasion de mesurer les limites des garanties constitutionnelles actuelles de la liberté de l’enseignement. Diverses dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ne sont pas nettement considérées comme inconstitutionnelles bien qu’elles entravent gravement la liberté. Il serait donc très souhaitable de compléter la Constitution afin de préciser clairement que le "respect des croyances" (inscrit à l’article 2) implique la liberté d’enseigner et de recevoir l’enseignement dans un établissement librement choisi, le droit pour les chefs d’établissement de former leur équipe d’enseignants, ainsi que l’égalité absolue de tous les crédits et concours publics accordés aux établissements publics et privés. Telle a bien été l’inspiration de la réforme hollandaise. Nous avons étudié divers projets de textes qui permettraient cette réforme constitutionnelle ; nous les avons soumis à des personnalités politiques qui partagent nos préoccupations, pourraient les adapter aux circonstances et prendraient les initiatives désirables. * La seconde évidence nous paraît l’impossibilité matérielle d’obtenir du Parlement qu’il prenne le temps d’examiner et de voter de nouvelles dispositions applicables dès la rentrée scolaire de 1986, même si elles se limitaient à quelques modifications des lois en vigueur (solution à écarter car il est absolument nécessaire de supprimer ces lois). Les deux assemblées et le gouvernement se trouveront devant de nombreuses décisions graves à adopter d’urgence, et la législation de l’enseignement, par sa complexité même, exige un examen approfondi dans les commissions spécialisées de l’Assemblée et du Sénat : il est impossible de faire l’économie de cette procédure. Toute hâte risquerait de se payer par une imprécision dont les inconvénients réapparaîtraient pendant de nombreuses années. Comme nous voulons que les choix des parents soient respectés dès cette année la seule solution pratique consiste en l’abrogation pure et simple des lois (et décisions d’application) adoptées depuis 1981, et naturellement aussi dans le vote de crédits pour l’enseignement libre par un "collectif" budgétaire. Cette volonté d’abrogation n’est inspirée par aucune préoccupation de "revanche" politique : elle est seulement "simple et pratique". Tous les intéressés sont habitués à vivre sous les lois DEBRE et GUERMEUR pour l’enseignement libre. Dans l’enseignement public, la loi Savary de 1984 sur l’enseignement supérieur s’avère quasi inapplicable et n’est d’ailleurs pas appliquée. La prétendue décentralisation des enseignements primaire et secondaire soulève des problèmes inextricables, pour les communes, pour les départements chargés des collèges et les régions chargées des lycées : elle est donc à revoir. En conséquence, nous demandons avec force, et nous insistons pour que vous réclamiez aussi l’abrogation de :
Peut-être, ensuite, le Parlement sera-t-il en mesure de voter dans de brefs délais une loi de liberté de l’enseignement supérieur public et privé : des projets inspirés d’une volonté de liberté sont prêts. Quant aux enseignements primaire et secondaire, nous savons que le retour aux lois et règlements en vigueur en 1981 et une réforme de la Constitution destinée à conforter la liberté de l’enseignement, marqueront seulement une étape certes nécessaire mais non suffisante. Nous avons mis à l’étude les conditions d’une simplification et d’une libéralisation des régimes trop complexes de financement de l’enseignement. Pour résoudre ces problèmes, de nombreux parents, des hommes politiques et diverses personnalités préconisent le "bon scolaire" ou universitaire, ou "allocation scolaire" suivant l’expression de Guy MOLLET. Beaucoup de nos lecteurs souhaitent sans doute aussi l’adoption de ce système équitable. * Mais une réforme aussi profonde soulève de nombreuses questions pratiques, en particulier pour le transfert des crédits de rémunération des enseignants qui bénéficient du statut de la fonction publique. Ce sujet n’est donc pas d’une actualité immédiate. Et d’autres solutions de libéralisation existent qui permettraient d’assouplir le fonctionnement des établissements d’enseignement et d’assurer un libre choix pour les enseignés et pour les enseignants. En attendant, et dès aujourd’hui, nous vous demandons de participer à notre action de première urgence pour obtenir de vos futurs élus qu’ils confirment les réponses affirmatives recueillies par nous auprès des dirigeants de leurs partis au deux questions suivantes. Questions aux candidats aux élections législatives et régionales du 16 mars 1986 Première question Etes-vous prêts à promouvoir une réforme constitutionnelle qui :
Seconde question Etes-vous prêts à abroger immédiatement :
UN BON EXEMPLE : LA CONSTITUTION HOLLANDAISE. L’article 23 de la Constitution des Pays-Bas assure depuis de très longues années une véritable paix scolaire dans ce pays : elle pose des principes dont il pourrait être fort utile de s’inspirer en France.
"L’enseignement peut être dispensé librement, sous réserve de la surveillance des pouvoirs publics et, en ce qui concerne les formes d’enseignement spécifiés par la loi, de l’examen de la compétence et de la moralité des enseignants, le tout à régler par la loi." Ainsi, les pouvoirs publics n’exercent aucun monopole, mais la loi définit quels enseignements doivent être assurés par tous les établissements, ce qui permet de préserver une cohérence dans l’instruction donnée à l’ensemble de la jeunesse.
"L’enseignement public est réglé par la loi dans le respect de la religion ou des convictions de chacun". "Dans chaque commune, un enseignement public primaire de formation générale satisfaisant est assuré par les pouvoirs publics dans un nombre suffisant d’écoles. Une dérogation à cette disposition peut être autorisée..."
"L’enseignement privé primaire de formation générale répondant aux conditions fixées par la loi, est financé par le Trésor public sur la même base que l’enseignement public. La loi établit les conditions auxquelles des contributions sont fournies à l’enseignement privé secondaire de formation générale et à l’enseignement privé supérieur préparatoire". En fait, la loi a défini des conditions de financement rigoureusement égales en faveur des établissements d’enseignement secondaire et supérieur, qu’ils soient publics ou privés. L’enseignement n’est sans doute pas parfait aux Pays-Bas. Mais les fondements constitutionnels d’une vraie liberté et d’une paix scolaire y existent. Plus d'articles... |