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CHARLEMAGNE

  Assemblée Générale extraordinaire

du 16 juin 2023

 

L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions cruciales

Lettre N° 10 - 4ème trimestre 1985

Détails
Créé le mercredi 2 octobre 1985 17:07

LES AVEUX
ENSEIGNEMENT PRIVÉ : L’ÉTOUFFEMENT EN DOUCEUR.

LES AVEUX

M. Chevènement est un homme comblé. Il a réussi un prodige : l’an dernier, il s’est miraculeusement métamorphosé en restaurateur de cette école républicaine, élitiste et patriote, dont on avait apprécié les vertus et qu’il savait adapter aux temps modernes, et en pacificateur de la querelle scolaire. Depuis, personne ne semble avoir reconnu le révolutionnaire marxiste-léniniste qu’il était, et qu’il demeure, sous le déguisement en Jules Ferry de l’ère des ordinateurs. Tout le monde l’approuve, même les électeurs de l’opposition : parmi les plus déterminés d’entre eux - ceux qui votent pour M. Le Pen - on en trouve 84 % auprès desquels il est populaire ! Seuls quelques instituteurs gauchistes, nostalgiques de 68, renâclent, car on leur demande d’apprendre la Marseillaise à leurs élèves. Mais soyons rassurés : ils ne sont plus déjà qu’une poignée à troubler cette belle unanimité du peuple français enfin rassemblé autour de son ministre de l’éducation nationale.

On doit d’autant plus admirer ce résultat qu’il a été obtenu à moindres frais. Que fait M. Chevènement ? Exactement ce que faisait son prédécesseur. Ce qui avait valu à celui-ci d’être honni des Français et, en définitive, chassé un beau soir de juillet 1984, fait qu’on se bat pour couronner de lauriers son successeur. La même politique, donc, mais plus habilement, plus discrètement conduite, accompagnée d’un autre discours. M. Chevènement ne se vante-t-il pas d’être de "ces hommes de gauche qui parlent le langage de la France et de l’intérêt national" ?

Paris valait bien une messe et le destin national d’un ministre une Marseillaise. Admirons la puissance du verbe et ne reprochons pas trop à nos concitoyens d’être des naïfs. Après tout, leurs leaders politiques les ont-ils éclairés ? Sont-ils si courageux lorsqu’il s’agit d’attaquer M. Chevènement ?

Toutefois, M. Chevènement a un défaut. Il en fait trop. Il est semblable à ces criminels endurcis qui ont élevé le crime au niveau des beaux-arts, prennent un malin plaisir à braver la police et la provoquent jusqu’au jour où ils se font pincer. Non seulement il nous conte par le menu les circonstances du dernier crime qu’il a commis, mais il nous prévient de l’heure et des conditions de ses prochains exploits. Ou - si vous préférez - pour filer encore la métaphore juridico-policière, il est passé à des aveux, complets et spontanés, comme doivent l’être tous les aveux ! Ces aveux nous les avons eus en primeur et en direct au cours de l’Heure de Vérité dont on avait bien voulu nous gratifier, le 2 octobre ; et comme leur auteur craignait visiblement que ses paroles s’envolassent, il les a réitérées par écrit dans Le Pari sur l’Intelligence, ouvrage publié avec l’aide de deux comparses (Hamon et Rotman). Autrement dit, le ministre persiste et signe.

Nous pouvons donc désormais juger sur pièces et, sans construire nul procès d’intention, proposer simplement à nos lecteurs du Chevènement expliqué par Chevènement lui-même. Qu’est donc cet animal si rassurant qui a "les oreilles en figure aux nôtres pareilles", à en croire tous les souriceaux d’opposition ?

·Chevènement, pacificateur de la querelle scolaire ? N’a-t-il pas substitué au projet Savary qui intégrait les établissements privés dans le service public unifié, c’est-à-dire en fait les nationalisait, quelques mesures simples et pratiques exigées par la réactualisation de la législation antérieure et acceptables par tous ?

Ce n’est pas ainsi que l’intéressé présente les choses. Certes, il déplore que son prédécesseur, dont il dit, non sans condescendance, qu’"il a fait ce qu’on lui demandait de faire" (p. 119) 1 ait voulu régler globalement le problème, qu’il ait notamment proposé aux maîtres du privé une titularisation sur place dans la fonction publique qui leur aurait conféré un privilège par rapport à leurs collègues du secteur public. De même sont abandonnées dédaigneusement les dispositions relatives aux E.I.P. (Établissement d’Intérêt Public) auxquelles étaient consacrées trois pages qui, dépouillées du bavardage inutile, sont facilement "ramenées à une ligne" (p. 127). Mais sur le fond y a-t-il quelques différences entre le projet Savary et le projet Chevènement ? Aucune : "j’ai arrêté un certain nombre de dispositions simples et pratiques qui, à mon sens, reprenaient tous les points positifs du projet Savary" (p. 127). Le président (Mitterrand) se contente de ces "mesures simples et pratiques qui reprennent d’ailleurs tous les points positifs contenus dans le projet Savary" (p. 119).

M. Chevènement sait distinguer l’essentiel de l’accessoire : indépendamment de l’assainissement de quelques contentieux (au bénéfice des laïcs, bien entendu), il a maintenu les deux dispositions majeures du projet Savary. D’abord le principe des crédits limitatifs. Il a fait en sorte que "les établissements privés ne puissent se créer en dehors des schémas prévisionnels... de façon à éviter les doubles emplois et les gaspillages antérieurs" (p. 126). Entendons bien cela : les écoles publiques pourront se vider si par leurs choix les parents manifestent leur préférence pour l’enseignement privé. Grâce aux "mesures simples et pratiques", on n’ouvrira pas pour cette raison une seule classe supplémentaire dans le privé. La seconde mesure concerne la procédure de nomination des maîtres : "Pour garantir l’emploi de ces derniers, j’ai rétabli la nomination par le recteur après avis des chefs d’établissement" (p. 127). Passons sur le motif invoqué : il ne trompera aucun initié, mais aux yeux du grand public il constitue une intention louable. En réalité, cette simple mesure, qui abroge la loi Guermeur, met l’enseignement privé sous tutelle de l’Etat dans l’exercice de cette liberté fondamentale qu’est le choix de ses maîtres.

Bridée dans son expansion, terrorisée par la menace que constitue d’une façon permanente la pesante tutelle rectorale, l’école privée est-elle encore libre en France ? Je laisse à chacun le soin d’en juger.

Mais, dira-t-on, les partenaires de M. Chevènement ne sont-ils pas satisfaits de ces mesures simples et pratiques ? Lors de son adoption, l’U.N.A.P.E.L. n’a que mollement protesté et on la voit aujourd’hui nous prier instamment de ne pas rouvrir les plaies mal cicatrisées, souhaiter qu’on évite de soulever la question scolaire à l’occasion de la campagne des législatives !

Certes, mais qui est dupe à l’heure actuelle ? Tout le monde sait que les dirigeants de certaines organisations, dont la vocation est pourtant de défendre la liberté de l’enseignement, ont mis au premier rang de leurs soucis depuis 1981 de ne pas nuire au gouvernement socialiste. A peine les manifestants du 24 juin étaient-ils rentrés dans leurs logis, persuadés d’avoir enterré le projet Savary, que des négociateurs discrets reprenaient le chemin de la rue de Grenelle. Il y a tout lieu de croire que plutôt que de songer à exploiter leur avantage, ils avaient souci d’exprimer au ministre leur désolation de n’avoir pas su tenir leurs troupes en main. Peut-être même les pauvres gens ont-ils présenté leurs excuses. Toujours est-il que les contacts étaient renoués et le projet Savary qu’on croyait enterré aurait-il, tel le Phœnix, connu une renaissance, si M. Savary n’avait pas été congédié...

Je n’invente rien. Cette fois ce n’est pas M. Chevènement qui parle, mais son prédécesseur qui, n’ayant plus rien à perdre, moucharde sur le compte de ses complices d’hier. (Ceux qui ont la faculté de résister aux vertus soporifiques de la prose d’Alain Savary pourront trouver les textes exacts notamment dans les dernières pages de son testament ironiquement intitulé : En toute liberté.)

La cause doit être entendue : les fameux partenaires de l’enseignement catholique sont des témoins auxquels il faut n’accorder qu’un crédit extrêmement limité. L’interprétation la plus charitable de leur attitude consiste à déplorer leur naïveté...

La loi Chevènement se distingue du projet Savary par un seul trait : l’absence de titularisation des maîtres qui constituait une mesure très grave parce qu’irréversible. Pour les autres dispositions, selon son auteur, elle ne fait que reprendre le projet antérieur.

M. Chevènement n’a donc rien pacifié ; il a simplement su profiter de la lassitude et du désarroi de ses adversaires pour imposer sa volonté sans éclats inutiles.

·M. Chevènement, défenseur de l’élitisme républicain, partisan des notes, des mentions, de la sélection, de l’effort, contre les utopistes de 1968 ? Est-ce bien certain ?

Sans doute se dit-il hostile au nivellement par l’école, hostile à l’égalitarisme. Il ne veut pas que l’école ait pour fonction "de façonner des enfants qui sont tous pareils" et il n’hésite pas à calquer son vocabulaire sur celui du Club de l’Horloge qui parlait dans l’ouvrage de Didier Maupas (L’école en accusation, Albin Michel) de "sélection républicaine".

Mais cette hostilité au nivellement scolaire a surtout dans sa bouche une signification théorique. Elle renvoie à la position propre à M. Chevènement dans l’une de ces obscures querelles qui opposent entre eux les marxistes.

Il existe une secte marxiste, largement inspirée par Gramsci, à l’origine du mouvement de mai 68, dont Pierre Bourdieu ou Louis Legrand sont des représentants typiques, qui considère les facteurs culturels comme déterminants dans le maintien du régime capitaliste ; pour eux l’école bourgeoise est nécessaire pour permettre à la division en classes de se "reproduire" et au régime capitaliste de se maintenir. La substitution d’une école égalitaire à l’école bourgeoise serait en conséquence le moment essentiel dans la révolution qui doit nous faire passer au régime communiste. M. Chevènement ne verse pas dans une telle utopie. Certes, il ne nie pas que l’école puisse avoir ce rôle conservateur, mais c’est pour ajouter qu’elle a également d’autres fonctions - par exemple transmettre les savoirs nécessaires à la production - qui exigent pour être correctement exercées qu’elle ne soit pas strictement niveleuse. De plus, il ne croit pas que la façon la plus habile de faire la révolution soit d’imposer l’école égalitariste. En cela, il est d’ailleurs plus réaliste et probablement plus fidèle à la pensée de Marx que ses adversaires. Tel est l’origine de l’"élitisme" de M. Chevènement, origine qu’il faut connaître pour apprécier judicieusement sa position.

Il s’ensuit que cet "élitisme" a des limites très étroites. M. Chevènement se plaît à répéter que dans l’expression élitisme républicain "pour lui l’adjectif est plus important que le substantif", que "la réduction des inégalités sociales par l’école et l’élitisme républicain sont une seule et même chose" (p. 169).

L’élitisme républicain signifie simplement que l’on ne s’astreindra pas à nier toute différence entre les aptitudes des élèves ou à abroger toute hiérarchie entre les résultats qu’ils obtiennent. Mais M. Chevènement maintient la thèse classique chez les marxistes selon laquelle les différences d’aptitude sont très largement d’origine sociale : "les racines de l’inégalité sont dans la société", et d’en tirer la conséquence commune : il faut une scolarisation très précoce (vers 2-3 ans) et très longtemps uniforme pour que s’efface l’essentiel des différences dues à l’influence inégale des familles (p. 141, notamment). Le "Vive l’école" de Chevènement signifie aussi "A bas la famille".

D’où les conséquences pratiques. Parce qu’il avait parlé d’"élitisme républicain", les Français espéraient que M. Chevènement supprimerait le collège unique, uniformisateur entre 11 et 15 ans, qu’il autoriserait un choix par les parents de l’enseignement le mieux adapté aux goûts et aux aptitudes de leurs enfants, qu’on en finirait avec les classes hétérogènes, etc... Ils n’auront rien de tout cela.

Jusqu’à 15-16 ans, le tronc commun sera maintenu. Le B.E.P.C. qui est situé au terme des années de collège est fixé comme "point de rendez-vous pour tous les élèves" (p. 138). L’espoir caressé quelque temps de voir un bilan des connaissances instauré à la fin de la scolarité élémentaire, pour permettre une répartition des élèves dans les collèges selon leur niveau, s’est évanoui en fumée ! M. Chevènement aurait-il en la matière essayé d’innover et il se serait heurté au syndicat des instituteurs qui tient au tronc commun qui a permis à ses adhérents d’envahir le corps professoral des collèges : le ministre n’a pas poussé l’héroïsme jusqu’à tenter l’épreuve de force. Il n’y aura pas d’assouplissement de la carte scolaire, ou très peu (p. 165). L’école "à plusieurs vitesses" est proscrite jusqu’à 16 ans (p. 171). Bref, l’égalitarisme a de beaux jours devant lui, malgré l’élitisme proclamé.

Après 16 ans, il y aura bien entendu une certaine différenciation dans le contenu des enseignements. Mais M. Chevènement a proclamé son ambition de porter de 40 % à 80 % l’effectif d’une classe d’âge qui accédera au niveau du baccalauréat (p. 141). Le plan Langevin - Wallon de 1947, bible de la gauche, dont il faut rappeler qu’il est l’œuvre d’une commission présidée par deux communistes qui lui ont donné leur nom, prévoyait la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans. En près de 40 ans, par un grignotage incessant, les syndicats d’enseignants ont obtenu sa mise en application progressive. La scolarité obligatoire restant toutefois fixée à 16 ans, une dernière étape restait à franchir : passer de 16 à 18 ans. Elle sera réalisée dans les faits, avant de l’être dans la loi, grâce au talentueux Chevènement et à sa réforme des lycées.

Il est vrai que techniquement ce dernier projet est si irréalisable et si absurde - puisqu’il prévoit, entre autres mesures, (au nom de l’élitisme ?) de priver tous les bacheliers littéraires d’enseignement des sciences expérimentales dès la classe de première - qu’il a provoqué un tollé général dès sa présentation. Il est apparu que, sous le prétexte démagogique de lutter contre l’abus des mathématiques dans les procédures de sélection, c’était la sélection elle-même qui était systématiquement refusée. Les masques finissent toujours par tomber.

Mais comme, pour un socialiste, la prolongation de la scolarité est un bien en soi, pourquoi s’arrêter à 18 ans ? En fait, tout est prévu : il n’y a pas lieu d’instaurer une sélection à l’entrée des Universités ; le baccalauréat suffit pour assurer de l’aptitude à poursuivre des études supérieures (p. 167). Quand on sait que l’enseignement supérieur n’a qu’un droit de contrôle tout théorique sur le baccalauréat, que M. Chevènement tient à multiplier les bacheliers, que les études supérieures sont pratiquement de durée indéfinie, la conséquence est manifeste : ce sera l’école pour tous jusqu’à l’âge de la préretraite.

C’est ainsi que le moderniste Chevènement a trouvé le remède radical pour améliorer les statistiques des demandeurs d’emploi. Chacun sait d’ailleurs que ce remède est déjà appliqué, sur une vaste échelle, à l’heure actuelle.

Ai-je vraiment besoin de conclure au sujet du prétendu élitisme de notre ministre ?

·Dernier mérite reconnu à Monsieur Chevènement : son patriotisme. Il aurait restitué à l’école le rôle fondamental qui doit être le sien dans le maintien de l’unité nationale et dans la formation du sens civique. Non seulement il a rétabli l’enseignement de l’histoire, mais il a eu le courage de rétablir, dès l’école primaire, celui de l’éducation civique. Tous les bons esprits, notamment d’opposition ont applaudi cette initiative.

Leur bel enthousiasme a dû un peu se tempérer lorsqu’on a attiré leur attention sur le contenu de cet enseignement. Dans un remarquable article de Figaro-Magazine (en date du 21 septembre 1985), Henri Amouroux alertait ses lecteurs au sujet des cinq manuels publiés aux éditions Magnard et destinés à toutes les classes du Cours Préparatoire au Cours Moyen deuxième année. Le moins qu’on puisse dire est que ces manuels, au demeurant bien faits apportant une information considérable, peut-être trop complète et difficile à assimiler par de jeunes esprits, sont étrangement orientés.

Est-il normal qu’on présente systématiquement le divorce, ou le concubinage, comme des situations familiales normales (sous prétexte, je suppose, que des cas semblables se rencontrent dans la classe) ? Tous les parents approuveront-ils qu’on enseigne à des enfants de moins de 11 ans que "par la contraception, les femmes maîtrisent leur droit à donner la vie" (C.M.2, p. 35) ? 2 . Sans soulever la question éthique, remarquons que qualifier de "droit" ce qui est, jusqu’à nouvel ordre, une faculté dont les femmes sont redevables à leur nature, relève de la confusion conceptuelle : la volonté de propagande aboutit toujours à la désintégration intellectuelle.

Est-il sensé de faire réfléchir des enfants sur les sondages d’opinion ? Il est vrai que c’est pour enseigner que le Figaro en présente les résultats de façon biaisée et qu’un sondage sur la peine de mort ne serait pas probant (C.M.1, p. 27). Quand il s’agit de bourrer le crâne, rien n’est jugé trop difficile pour être accessible à l’entendement d’un enfant. Le comble est atteint en la matière par cette question que le maître est convié à soumettre aux élèves du C.E.2 (8-9 ans !) : "Pourquoi y a-t-il deux assemblées (p. 87) ?" J’attends avec intérêt les dissertations de ces juristes décidément très précoces sur les avantages et inconvénients du bicamérisme ; mais on a compris l’intention : aucune raison ne justifie l’existence de l’épouvantable Sénat.

Est-ce former la conscience morale des enfants que d’écrire (C.M.1, p. 71) "la délinquance, c’est-à-dire les petits délits, les vols" ? En quoi un vol est-il un petit délit ? Pourquoi dans la leçon consacrée à la justice (C.M.2, p. 24-25) donner comme seul exemple la condamnation d’un patron qui a pollué l’environnement ? Est-ce donc le type de délit le plus fréquent ? Pourquoi parler de la substitution des travaux d’intérêt général à la prison, si ce n’est parce qu’on est favorable aux réformes de Monsieur Badinter ? Je trouve enfin scandaleux qu’on aborde dans la même leçon la question de la peine de mort en citant simplement un texte du député R.P.R. Pierre Bas qui défend - ce qui est d’ailleurs son droit - ses opinions abolitionnistes, mais dont le plaidoyer n’a pas à figurer dans un manuel destiné à tous les petits Français et encore plus scandaleux qu’on propose la question suivante : "Pourquoi la peine de mort n’est-elle pas acceptable dans une civilisation comme la nôtre ?" Question piégée parce qu’elle préjuge de la réponse apportée à un problème qui divise les Français.

Je pourrais poursuivre, mais j’arrête cette énumération pour en venir à l’essentiel. Comme un thème obsessionnel, sous prétexte de lutter contre le racisme, on prépare les enfants à vivre dans une société multiculturelle et à accepter de voir le nombre des immigrés se multiplier. Et là, tous les moyens sont bons. D’abord cette société est déjà la nôtre. Et on commence la propagande très tôt : "Nous, la classe multicolore" (C.E.1, p. 26). On propose une estimation du nombre des immigrés dont je ne suis pas certain qu’elle soit celle de Madame Dufoix : 7 millions (C.M.1, p. 91). D’ailleurs, il en aurait toujours été ainsi : un Français sur trois est d’origine étrangère si on remonte à la troisième génération : "Le gouvernement sait (admirons l’argument d’autorité !) que la France a toujours été faite d’étrangers" (C.M.1, p. 95). Aussi a-t-il édicté de bonnes lois, dûment répressives - car dans ce cas unique la répression est nécessaire et légitime - loi dont on cite intégralement le texte (qui date d’ailleurs de 1972) avec gourmandise (C.M.2, p. 47), de même que sont appelés en renfort Bernard Stasi et Jacques Gaillot, évêque d’Evreux, qui aime tant signer les pétitions avec les communistes ! Apparaissent comme des illustrations obsédantes la photo de Desmond Tutu, et, bien sûr, la fameuse main du pote (C.E.2, p. 75 ; C.M.2, p. 47). Et comme dans la véritable éducation morale, il faut passer de la réflexion à l’action, on communique les adresses des bonnes associations : "Droits de l’Homme et Solidarité", "Amnesty International" (dont on signale qu’elle fut créée par un avocat anglais mais dont on oublie de dire que son président à beaucoup de sympathie pour le communisme) et, bien entendu, l’inévitable "S.O.S. Racisme". Ces informations sont données sous la rubrique Agissons.

On objectera qu’il s’agit sans aucun doute d’un manuel partial, marqué par la pensée tiers-mondiste (les échanges avec le tiers-monde sont naturellement tenus pour inégaux (C.M.2, p. 86)), mais que Monsieur Chevènement ne peut être tenu pour responsable du dévoiement des programmes qu’il avait proposés. Seuls les auteurs retenus par les éditions Magnard seraient coupables. Je tiens l’objection pour sans fondement. Je dis que pour le moins les programmes ministériels autorisent une telle interprétation et même qu’ils l’appellent naturellement.

Lorsqu’on inscrit au programme "la reconnaissance des autres cultures et civilisations", nous fera-t-on croire sérieusement qu’on attend autre chose que ce qui est proposé ici ? Lorsqu’on inscrit successivement les deux questions suivantes : "la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen : 1789 ; la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : 1948" (celle de l’O.N.U.), on encourage la lecture proposée ici qui consiste à dire que la seconde déclaration prolonge et approfondit la première, qu’elle lui est préférable, car elle instaure la démocratie sociale et reconnaît de nouveaux droits "à réaliser" (C.M.2, p. 83). Fera-t-on croire sérieusement qu’un élève du cours moyen peut saisir les subtilités de la notion des Droits de l’Homme et comprendre, par exemple, que les droits de 1948 sont des droits sociaux, droits ouvrant des créances sur la société en général, qui fondent des revendications vagues et indéfinies, alors que ceux de 1789 sont des garanties de liberté réservées aux seuls citoyens, droits politiques et non droits sociaux. Telle est du moins la thèse d’Hayek, dont je partage l’opinion.

Je veux bien qu’on parle de telles notions et des problèmes qu’elles soulèvent mais lorsque les élèves seront capables de les aborder, par exemple dans le cadre d’un cours de philosophie en classe de terminale. Les traiter de façon extrêmement prématurée, c’est favoriser un enseignement qui ne peut être d’intelligence et qui nécessairement sera d’endoctrinement.

La règle d’or en la matière est qu’on ne doit absolument pas parler de ce qui dépasse les capacités intellectuelles d’un élève normal. Elle a été violée. De même que par la nature des questions soulevées - qui divisent le peuple français - on contraignait les maîtres à violer l’autre règle d’or - celle de Jules Ferry - qui est qu’un maître ne doit jamais rien dire qui puisse choquer les convictions d’une seule des familles qui lui ont confié leurs enfants.

Monsieur Chevènement savait qu’il violait l’une et l’autre de ces règles et qu’il encourageait des manuels du genre de ceux dont nous avons parlé. C’est en cela qu’il est coupable.

Non seulement il rendait licite le monstrueux endoctrinement dont nous venons de parler, mais il le souhaitait. La preuve en est qu’il l’a avoué. J’invite à lire dans le Pari sur l’Intelligence les pages 223 à 229. Je retiens simplement ici que M. Chevènement en est à espérer que la France soit demain "l’une des sources d’un Islam vraiment progressiste" (p. 224), comme si c’était sa vocation propre, qu’il tient "les pays arabes ou lusophones" pour "la jeunesse du monde" (p. 227), la France étant, je suppose, beaucoup trop vieille à ses yeux. Enfin qu’il estime nécessaire de revoir l’ensemble de nos programmes "en histoire, en géographie, en éducation civique notamment" pour tenir compte de l’apport des populations étrangères (p. 225).

J’achèverai par cette déclaration où il définit parfaitement son objectif : "forger une personnalité (de la France) renouvelée, en fonction non pas d’une normalité rétrospective, mais d’un avenir commun à construire" (p. 225). La France d’aujourd’hui ne l’intéresse pas ; seule compte à ses yeux celle qui apparaîtra peut-être demain et qui sera conforme à son idéologie.

Est-ce donc là le ministre patriote, soucieux de préserver l’unité et l’identité nationale que certains s’acharnent à voir en lui ?

·Aussi longtemps que les socialistes gouverneront, rien de positif ne sera fait, ni en faveur de la liberté de l’enseignement, ni en faveur de sa qualité, ni en faveur de sa neutralité. Il nous reste à faire en sorte que ceux auxquels les Français choisiront demain de confier le sort de leur patrie, son avenir, c’est-à-dire l’avenir de sa jeunesse, ne faillissent pas à leurs devoirs.

Dès maintenant, Enseignement et Liberté demandera à ceux qui solliciteront nos suffrages des engagements précis sur tous les problèmes qui nous tiennent à cœur depuis la création de notre association.

Il va sans dire que nous vous communiquerons en temps utile les réponses qui nous seront apportées. Il restera alors à chacun de juger en conscience, comme il convient à des citoyens libres de le faire.

Maurice BOUDOT.

ENSEIGNEMENT PRIVÉ : L’ÉTOUFFEMENT EN DOUCEUR.

Après les affrontements de 1984, et le retrait du projet de loi SAVARY, les défenseurs de l’école libre ont poussé un soupir de soulagement : nos écoles conservent le droit de vivre, ont-ils pensé. Oui, bien sûr, mais elles sont en sursis.

Deux données suffiraient à le comprendre :

  • bien que scolarisant 17 % des effectifs, l’enseignement privé ne reçoit que 11 % des ressources publiques ;
  • aucun crédit pour les "investissements en capital" ne lui est accordé (constructions, entretien des bâtiments...). Certes, il en a été toujours ainsi ; mais les bâtiments vieillissent alors que pour les seules constructions, les autorisations de programme en faveur de l’enseignement public ont atteint 3 012 millions de francs en 1985, pour tomber, il est vrai, à 259 millions de francs dans les prévisions de 1986.

UNE LIBERTÉ EN SURSIS.

L’enseignement privé ne pourra continuer longtemps à supporter ces inégalités de traitement. Il est destiné à devenir l’enseignement des riches ou à disparaître.

L’année scolaire 1985-1986 est, en fait, la première d’un début d’application de la nouvelle législation qui repose, pour l’enseignement privé, sur deux textes :

  • loi de finances de 1985 (les "crédits limitatifs") ;
  • loi du 25 janvier 1985 (loi de décentralisation de l’enseignement dite loi CHEVÈNEMENT), complétant et modifiant les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983.

Le statut juridique de l’enseignement privé se trouve ainsi écartelé entre, d’une part des dispositions de la loi de Finances, révocables chaque année, et, d’autre part l’application d’une décentralisation régionale qui ne semble marquée ni par la clarté ni par le succès. Il faut souligner que la décentralisation de l’enseignement a été réalisée par une loi spéciale, et donc indépendante du reste de l’édifice.

En outre demeurent applicables à l’enseignement libre :

  • la loi DEBRÉ du 31 décembre 1959, interprétée plus restrictivement sur des points importants, comme la nomination des maîtres, la soumission aux plans et schémas des cartes de formation... ;
  • les articles non annulés de la loi du 25 novembre 1977 (loi GUERMEUR).

Il n’est vraiment pas commode de s’orienter dans ce maquis. Mais le trait caractéristique principal de ce statut légal est sa précarité.

Or le Ministère de l’Éducation Nationale veut accréditer l’idée que le gouvernement s’est contenté d’obtenir du Parlement un aménagement de la législation antérieure en fonction des nécessités financières (crédits limitatifs) et de la décentralisation régionale, par de simples mesures pratiques qui ne toucheraient pas au principe de la liberté ; la guerre scolaire serait désamorcée et même la paix assurée.

En fait, bien que le nouveau régime ne soit mis en place que depuis trois mois à peine, les intentions réelles apparaissent derrière les décisions de détail.

Tout se passe comme si, sous l’apparence d’un "compromis historique" auquel certains défenseurs de l’enseignement libre rêvent de se rallier, la puissante institution de l’Éducation Nationale, qui perdure à travers tous les changements politiques, avait décidé :

a) de brider l’enseignement privé dans son avenir par deux méthodes :

  • supprimer les originalités pédagogiques et donc le caractère propre, en agissant en particulier sur la nomination des maîtres, et obtenir ainsi une perte d’autonomie des décisions des établissements ;
  • entraver la modernisation par l’insuffisance des crédits de formation des enseignants et l’absence de tout concours aux "investissements en capital".

b) de limiter les effectifs de l’enseignement privé, et d’abord d’arrêter leur progression, en les tarissant à leur source, surtout par la comédie des "crédits limitatifs".

Tout n’est certes pas nouveau dans cette tactique ; mais il faut prendre conscience de ce qu’elle est plus habilement appliquée. Et il faut que le Parlement veuille en 1986 un vrai changement dans le sens d’une vraie liberté.

L’AVENIR COMPROMIS DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ.

Affaiblir l’autonomie de décision des établissements privés semble l’un des objectifs du Ministère.

1) La désignation des maîtres dans les établissements sous contrats d’association pour la rentrée de septembre 1985 s’est effectuée, en fait, encore sous le régime de la loi Guermeur de 1977. La situation était jusqu’à présent bloquée puisque les "commissions consultatives mixtes" prévues par le décret N° 85727 du 12 juillet 1985 dans chaque académie pour examiner les candidatures n’étaient pas mises en place. Elles viennent d’être élues et des nominations pourront intervenir au 1er trimestre 1986 pour la rentrée suivante avant toute réforme de la loi et des décrets et dans une période où d’autres soucis occuperont l’opinion.

D’ailleurs, l’autorité académique dispose d’un pouvoir quasiment arbitraire :

  • elle fixe les dates de dépôt des candidatures (éventuellement très tard) ;
  • elle ne laisse qu’un délai dérisoire (quinze jours) au chef d’établissement pour accepter ou refuser la décision finale de l’autorité académique ;
  • elle n’a aucune obligation de consulter, sauf dans le cadre des commissions consultatives, les organisations professionnelles d’enseignants du privé (et en particulier celles qui ne partagent pas ses vues) ;
  • elle peut laisser des postes vacants en cas de désaccord avec le chef d’établissement ; qui subit ainsi une pression irrésistible ;
  • elle peut ainsi, en fait, contraindre le chef d’établissement à accepter son candidat officiel, et mettre dès lors en échec l’exécution du contrat d’association.

L’arbitraire est presque total.

2) Ce n’est pas seulement la conclusion des contrats d’association ou leur extension à de nouvelles classes qui sont soumises au bon plaisir du ministère dans le cadre, d’une part des crédits limitatifs de la loi de Finances, et, d’autre part, pour le second degré, des schémas prévisionnels, plans régionaux et cartes de formation (article 18 27/3 de la loi du 25 janvier 1985).

Une résiliation de ces contrats peut intervenir d’après des critères d’appréciation purement arbitraires en invoquant la planification des formations (article 18 27/6 de la même loi). Bien entendu, cet arbitraire n’a pas encore pu se manifester, mais il plane comme une épée de Damoclès sur l’existence des établissements privés. Il contribue nécessairement à rendre leurs dirigeants plus compréhensifs vis-à-vis du Ministre et spécialement de ses services. Est-ce cela la liberté ?

Entraver la modernisation de l’enseignement privé paraît un autre objectif destiné à compromettre son avenir.

1) Carrière et formation des maîtres.

Il est d’abord évident que les incertitudes qui planent sur l’enseignement libre ne sont pas de nature à susciter des vocations d’enseignants en sa faveur (surcharge des classes, limitations du nombre des postes par rapport aux besoins...).

Les refus divers ou les limitations de crédit pour leur formation ne sont pas pure coïncidence et trahissent des intentions :

  • Refus absolu de tout crédit ou virement de crédit pour la formation à donner aux enseignants destinés à devenir chefs d’établissement (formation initiale de gestion, de droit...).
  • Refus de tout crédit pour la formation initiale des maîtres du second degré à l’issue de leurs études universitaires ou lorsqu’ils viennent de l’enseignement public. La volonté de gêner le recrutement semble patente.
  • Insuffisance des crédits pour la formation continue des enseignants du primaire et du secondaire (un crédit global de 150 millions de francs est accordé à la fois pour la formation continue des maîtres du primaire et du secondaire et pour la formation initiale des maîtres du primaire ; en proportion des effectifs, l’enseignement public reçoit trois fois plus).
  • Absence de crédit pour les établissements privés en vue d’une "rénovation des collèges". Certes les crédits accordés aux collèges publics semblent destinés à des expériences pédagogiques des plus périlleuses. Mais les établissements privés pourraient les utiliser d’une manière plus judicieuse (les crédits pour le public sont sans doute inclus dans les 577 millions de francs visés ci-après).
  • Profonde injustice dans la répartition des crédits de formation des maîtres à l’informatique : 4 millions de francs pour l’enseignement privé et 200 millions de francs pour l’enseignement public.

2) Pour l’équipement en matériel, surtout informatique, l’enseignement privé est aussi sacrifié. Il ne reçoit rien alors que le budget de l’État réserve à l’enseignement public un crédit de 577,13 millions de francs intitulé "technologies nouvelles et dépenses pédagogiques". Certes l’informatique n’est pas une panacée : elle constitue un moyen utilisable pour le meilleur et pour le pire, y compris la manœuvre politicienne. Mais l’enseignement libre ne doit pas s’en laisser priver et se faire marginaliser sur ce point.

3) Des sommes importantes sont affectées chaque année aux constructions et à l’équipement de l’enseignement public ("Dotation régionale d’équipement scolaire. Dotation départementale d’équipement des collèges").

Le budget de l’Etat fixe des autorisations de programme pour 1986 afin de verser :

  • des subventions d’équipement pour les constructions scolaires du 1er degré de 29,22 millions de francs (37,72 millions de francs en 1985) ;
  • des crédits pour constructions et équipement des établissements du second degré de 230,48 millions de francs (2.974,44 millions de francs en 1985).

Les établissements privés ne disposent d’aucun subside d’Etat correspondant. La décentralisation aurait dû leur apporter une possibilité de recevoir des crédits de ce type de la part des collectivités locales : mais le Ministère de l’Education Nationale s’y oppose par une interprétation extraordinairement restrictive et contestable de la loi.

La discrimination est flagrante et l’avenir s’en trouve gravement obéré.

LES ENTRAVES A LA DEMANDE D’ENSEIGNEMENT LIBRE.

Il est permis de supposer qu’existe une consigne officieuse du Ministère de l’Education Nationale qui tendrait à tarir progressivement à leur source les effectifs de l’enseignement privé, quitte à laisser plus ou moins survivre, vaille que vaille, les établissements qui existent (ceci afin d’éviter de soulever des vagues au niveau politique).

Le Ministère ne peut pas ne pas s’inquiéter de l’augmentation du flux net des transferts de l’enseignement public vers l’enseignement privé (d’après le document N° 2987 de l’Assemblée Nationale, le solde net en faveur du privé a atteint 41.300 en 1981/1982, 62.600 en 1982/1983, 72.600 en 1983/1984 et 83.500 en 1984/1985, rien que pour le second degré. Ces chiffres auraient été beaucoup plus élevés si les vœux des parents avaient été respectés. Les moyens utilisés pour endiguer le flot sont discrets mais assez efficaces.

1) La petite guerre inavouée. Elle est conduite par une série de décisions dont aucune n’est spectaculaire.

  1. Le refus d’obliger les communes à signer des contrats d’association en faveur des classes maternelles ou enfantines même si une demande importante se manifeste : la lettre de la loi ne l’exige pas, mais il eût été facile de l’amender sur ce point, afin que le besoin scolaire puisse être satisfait conformément au principe de la liberté de choix. Il est sans doute préférable, pour le Ministère, que les tout jeunes ne puissent être engagés très tôt dans le circuit de l’enseignement privé.
  2. L’obtention d’un contrat d’association par un établissement d’enseignement privé primaire ou secondaire, est toujours subordonné à son fonctionnement depuis au moins cinq ans (article 2 du décret N° 85728 du 12 juillet 1985) : il est inutile de préciser que cette disposition entrave presque totalement, et de plus en plus, d’année en année, l’ouverture de nouveaux établissements libres, surtout du fait qu’elle s’ajoute à l’absence de tout crédit pour les constructions.
  3. Nombreux refus de nouveaux contrats d’association pour l’ouverture de classes. Il est significatif de signaler, à titre d’exemple, dans l’Académie de Créteil, une intervention pressante du Ministère auprès des associations de parents d’élèves et des chefs d’établissements afin qu’ils renoncent à deux ouvertures de classes ; celles-ci auraient fonctionné provisoirement sans crédit, et une attribution était réclamée en invoquant la décision du Conseil Constitutionnel du 18/1/85. Les demandeurs se sont finalement inclinés, vraisemblablement au nom de la paix scolaire. Ont-ils eu raison ?
  4. Répartition injuste du nombre des nouveaux postes d’enseignants rendus nécessaires par l’augmentation de l’effectif des élèves du second degré (sur les cinq dernières années 4.488 postes ont été attribués à l’enseignement privé sur un total de 46.116 soit 9,73 % qui se compare à une proportion d’élèves de 17,2 % au total et de 20,9 % pour le second degré.
  5. Recherche d’une anémie financière progressive des établissements existants :
    • par la suppression de l’obligation des communes de verser en argent un "forfait communal" pour l’enseignement privé du premier degré (possibilité de prestations en nature par un personnel communal, difficilement évaluables). Dès maintenant, certaines communes se sont abstenues de s’en acquitter (une grève de l’impôt décidée par des contribuables pour contraindre le maire d’Issoudun à s’acquitter de ses obligations légales, a été interrompue sur l’intervention de certains responsables de l’enseignement libre (encore l’apaisement) ;
    • par le refus d’exercer une contrainte sur les 69 communes qui ont accumulé des dettes à l’égard des établissements privés en plusieurs années au titre de leur contribution au fonctionnement des écoles primaires ;
    • par l’absence de solution à d’assez nombreux conflits entre communes, dus au refus de la commune de résidence de contribuer aux charges de la commune de l’école : la loi et le décret N° 85728 du 13/7/85 ne rendent pas cette participation obligatoire envers les établissements privés.
  6. Surtout le refus de présenter au Parlement, conformément à la décision du Conseil Constitutionnel, une demande de crédits complémentaires, afin de répondre au besoin scolaire des établissements privés à la rentrée 1985/1986. Les demandes ayant été empêchées de s’exprimer, par des pressions publiques, le Gouvernement s’est dispensé de déposer un "collectif" devant le Parlement.

2) Le résultat de cette tactique s’est traduit par de nombreux refus d’inscription dans l’enseignement privé, qui ne peuvent pas faire l’objet de statistiques. En raison de la politique très spéciale d’apaisement du Ministère, il est impossible d’énumérer tous les endroits où il aurait fallu pouvoir constater ces nombreux refus d’inscription faute de crédits. Il est, en revanche, assez facile de se faire l’écho des plaintes venant de toutes les régions : Amiens, Rouen, Caen, Rennes, Nantes, Versailles, Orléans, Poitiers, Clermont-Ferrand, Reims, Nancy, Dijon, Limoges, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Montpellier, Marseille, Nice,... Et pourtant, avec une augmentation des effectifs de 83.500, les établissements privés paraissent avoir atteint la limite de leurs capacités d’accueil. Malgré cette progression, il faut crier très haut que le besoin scolaire du privé n’a pas été reconnu conformément à la loi.

Les parents ont bien été contraints de caser leurs enfants dans un quelconque établissement, même s’il ne répondait pas à leur choix véritable. Et c’est ainsi que s’est fabriquée la rumeur officielle d’une rentrée scolaire paisible tant il est facile d’ergoter sur le "besoin scolaire reconnu". Cet étouffement de la demande a eu pour principal moyen la comédie des "crédits limitatifs".

3) C’est bien de comédie qu’il faut qualifier l’interprétation de l’article 119 de la loi de Finances de 1985.

Un budget public est composé normalement surtout de "crédits limitatifs" afin d’éviter des déficits trop élevés, ou des majorations d’impôts ou des emprunts.

Mais nul n’ignore que :

  • d’abord des dépassements et virements de crédits non autorisés a priori par la Parlement sont devenus de pratique courante. Pourquoi les crédits destinés à l’enseignement privé n’en bénéficieraient-ils pas ?
  • ensuite, dans chaque budget de l’Etat, figure une liste de dépenses auxquelles s’appliquent des "crédits évaluatifs". Par exemple un état F du projet de loi de Finances pour 1986 contient de tels crédits pour : "Application des lois de nationalisation", "Participation de l’Etat au service d’emprunts à caractère économique", "Versement au titre des transports en commun", "Fonds de soutien aux hydrocarbures", "Versement aux organismes du service public de la radiodiffusion sonore et télévisée"..., etc, etc...

A qui serait-il possible de faire croire que les dépenses pour adapter l’enseignement libre à la demande coûteraient plus cher, et présentent un intérêt moindre que celui des dépenses ci-dessus énumérées.

  • enfin les "collectifs budgétaires" sont toujours possibles en toute période de session du Parlement et ils ont justement pour rôle de demander aux deux assemblées d’adapter aux besoins les crédits primitivement votés.

Les quelques millions de francs ou même centaines de millions nécessaires à l’enseignement libre sont hors de commune mesure avec les déficits réels ou dissimulés de l’Etat, et avec les sommes gaspillées en dépenses superflues. Si les crédits n’ont pas été dégagés, en temps utile, c’est que le Gouvernement ne l’a pas voulu bien qu’il l’ait pu. D’ailleurs les crédits dits "limitatifs" de la loi du 29 décembre 1985 ne concernent, d’après la lettre du texte, que la rémunération des enseignants et "en fonction des effectifs d’élèves".

En définitive, c’est à une léthargie, puis à une disparition par mort lente, qu’aboutiraient les textes en vigueur, même s’ils étaient appliqués dans un esprit un peu plus coopératif qu’à l’heure présente.

Ils laissent trop de latitude à l’arbitraire du Ministère, de ses bureaux et de certaines collectivités locales hostiles à la liberté de l’enseignement.

Il est donc indispensable qu’ils soient refondus et qu’un esprit nouveau se substitue à celui qui inspire le comportement actuel du Ministère de l’Education Nationale.

L’ambition de ce Ministère d’exercer un monopole sur toutes les formes d’enseignement en France ne date pas d’hier : elle semble demeurer inchangée. A la faveur des circonstances politiques, qu’ils ont cru favorables, ses inspirateurs ont voulu brusquer la manœuvre. Celle-ci était trop visible : les manifestations populaires qui se sont déroulées du 4 décembre 1983 au 24 juin 1984 les ont arrêtés dans leur élan.

Mais l’examen des textes et des faits récents qui a été tenté ci-dessus, laisse la conviction profonde que les objectifs n’ont pas changé, si la tactique est devenue plus souple et plus habile.

Le législateur issu des élections de Mars 1986 doit s’imprégner de cette conviction, et il lui appartiendra d’adopter de nouveaux textes plus conformes à la volonté de liberté de l’enseignement, tout à fait explicite, de l’immense majorité des Français, au-delà de tous les clivages politiques.

Pierre SIMONDET.


1 Toutes les citations renvoient au Pari sur l'Intelligence (Flammarion). Je n'invente rien ; je cite
2 Toutes les références renvoient désormais à la classe à laquelle est destiné le manuel, en indiquant la page concernée.

Lettre N° 9 - 3ème trimestre 1985

Détails
Créé le vendredi 2 août 1985 17:07

LA LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT

Où en sommes-nous ? Que fait-on à l'étranger ?

 

 

Ce neuvième numéro de la Lettre d'ENSEIGNEMENT et LIBERTE paraît dans un format inhabituel et sous une présentation différente.

 

Nous avons tenu en effet à publier intégralement les exposés des orateurs français et étrangers qui ont pris part à notre colloque du 11 juin 1985 ainsi que l'essentiel des débats qui ont suivi ces exposés.

 

Nous pensons apporter ainsi une contribution utile à la cause de la liberté de l'enseignement.

 

Le colloque du 11 juin 1985 a été préparé par un groupe de travail composé de M. André Jacomet, Administrateur d’Enseignement et Liberté, Madame Christine Ranunkel, Attachée de presse, MM. André Labat, Pierre Simondet et Jean Villemain.

 

SOMMAIRE

- Allocution de M. Alain PEYREFITTE, de l'Académie Française
- M. le Sénateur Paul SERAMY : du projet de loi Savary à la mise en œuvre de la loi Chevènement
- Dr. Günter PAUL, Avocat international à FRANCFORT, Président du "Mouvement' d'Action pour le libre choix de l'école" : liberté et structure fédérale de l'enseignement en Allemagne Fédérale
- Premier débat

- M. Woodruff W. HALSEY, Resident Director School Abroad (SYA), RENNES (Ille-&-Vilaine) : le système éducatif américain

 


- PM.R. L.A STRUIK, Secrétaire Général du Conseil Néerlandais pour l'enseignement catholique : le système scolaire pluraliste des Pays-Bas
- Deuxième débat
- Allocution de clôture de M. Maurice BOUDOT, Professeur à la Sorbonne, Président d'ENSEIGNEMENT et LIBERTE

 

 

 

 

 

ALLOCUTION de Monsieur Alain PEYREFITTE

de l'Académie française

 

L'an dernier, pendant cinq mois, de la fin de janvier à la fin de juin, du défilé de BORDEAUX à la fête parisienne de la liberté, près de 4 millions de marcheurs ont exprimé leur volonté collective, avec la sérénité des justes.

Dans notre pays, qui a pourtant connu tant de bruits et de fureurs, jamais une marée humaine n'avait atteint une pareille hauteur, jamais ne s'était produit un pareil phénomène de civilisation. Depuis la foule en liesse venue fêter la libération de PARIS le 26 août 1944 sur les Champs Elysées, seuls trois autres rassemblements ont eu une ampleur comparable :

  • le 30 mai 1968 sur les mêmes Champs Elysées

  • le 4 mars 1984 à VERSAILLES,

  • le 24 juin, vers la place de la Bastille

A chacune de ces trois manifestations on peut dire que le destin a vacillé. Celle de 1968 a sifflé la fin d'une récréation qui n'avait que trop duré. La deuxième, celle de VERSAILLES, a fait taire un moment les extrémistes de la laïcité et a failli permettre aux négociateurs de trouver le chas de l'aiguille par lequel on pourrait faire passer le compromis. Mais ces extrémistes ayant réussi, au dernier moment, à durcir le texte au mépris de la parole donnée par le gouvernement aux évêques, le troisième rassemblement, celui de la Bastille, a fait voler en éclats, d'abord le projet de loi liberticide et ensuite le gouvernement lui-même qui l'avait préparé.

A ceux qui ont participé à ces journées, on aurait envie, si on ne craignait pas l'emphase, d'appliquer le mot de GOETHE à VALMY – que NAPOLEON devait reprendre, treize ans après, à AUSTERLITZ -, « Vous pourrez dire: j'y étais »...

Par leur détermination calme, ils ont – nous avons, puisque j'imagine que nous y étions tous -détourné le fleuve de l'histoire.

A VERSAILLES, Mgr LUSTIGER avait demandé: "Qui êtes-vous ?". Le Pouvoir s'imaginait peut-être que l'école libre n'intéressait que quelques curés attardés, quelques politiciens réactionnaires, quelques privilégiés, désireux d'élever leurs enfants dans du coton. Or, il suffisait de suivre ces manifestations -particulièrement celle de la Bastille pour constater que toutes les catégories sociales s'y côtoyaient, et que les plus modestes étaient les plus nombreux.

Les manifestants récapitulaient tous les points cardinaux, toutes les provinces, tous les âges, toutes les professions, toutes les couches de la population. Ils illustraient vraiment le mot de BERNANOS « il n'y a pas de peuple de gauche et de peuple de droite ; il n'y a qu'un peuple de France »…C'était bien le "peuple de France" : il avançait en masses souriantes, comme pour une communion solennelle.

Que voulaient ces millions de français ?

Sur nos 10.000 écoles libres, plus de 9.000 sont catholiques. Assistons-nous donc à une recrudescence des luttes de la fin du X1Xème siècle entre cléricaux et anti-cléricaux ? Non. Pourquoi les rues auraient-elles été pleines de militants catholiques, alors que les fidèles sont si rares dans les églises ? C'est que le conflit n'oppose absolument pas les catholiques aux non catholiques, ni même les parents des élèves de l'enseignement privé aux parents des élèves de l'enseignement public. Il oppose les militants d'une laïcité devenue un engagement partisan en faveur d'un monopole sur lequel ils ont mis la main, à tous ceux qui sont inquiets de voir l'enseignement public se dégrader et qui constatent que l'enseignement libre est, comparativement, épargné.

Beaucoup de ceux là même qui ont confié leurs enfants à un établissement public tiennent à pouvoir, s'il le fallait, retirer leurs enfants de l'enseignement public pour les mettre dans un établissement privé. Tous revendiquent le droit pour les familles de décider elles-mêmes de l'éducation qu'elles donneront à leurs enfants.

Au fond, ce qu'ils réclament, c'est moins l'enseignement libre, que la liberté du choix de l'enseignement. Ils refusent de se voir condamnés à l'établissement unique qui pourrait céder à la tentation de l'endoctrinement. Ce qui ne veut pas dire que tous y cèdent, ni même que beaucoup y cèdent. Mais c'est un risque contre lequel chacun veut pouvoir se prémunir. Ils repoussent donc un système irresponsable et aveugle, où les maîtres sont nommés par ordinateur, où les élèves sont affectés par quartier, selon l'adresse de leurs parents. Ils rejettent l'omnipotence de syndicats qui ne sont que les courroies d'entraînement de partis marxistes.

La gauche, en voulant accroître encore son emprise sur l'éducation, déjà si lourde par le fait de ces syndicats, touchait ainsi, sans l'avoir prévu, au point le plus sensible.

Un de ses membres s'est écrié à la tribune de l'Assemblée Nationale "la liberté à sauvegarder ce n'est pas celle des parents, mais des enfants. Et en démocratie c'est à l'Etat d'y veiller"... La majorité de l'Assemblée a vivement applaudi; le gouvernement n'a pas émis la moindre réserve à l'égard de cette thèse. Or, le pays profond n'est pas de cet avis; il estime que l'enfant n'appartient pas à l'Etat et que les responsables de son éducation sont d'abord, non pas des fonctionnaires, mais ses parents…

Une pancarte à Montparnasse, le 24 juin, m'avait frappé. Elle traduisait naïvement cette conviction : « touchez pas à nos enfants »... Cela ne vous rappelle rien ? Après tout, nos enfants valent bien nos "potes".

Par des moyens démocratiques, -les seuls qui soient dignes d'un peuple adulte -, les Français ont remporté l'an dernier une grande victoire. Ils ont condamné l'exécutif, à son plus haut niveau, à se déjuger. Le Président a fini par comprendre qu'il ne suffit pas que des réformes soient légales. Encore faut-il qu'elles soient légitimes, c'est-à-dire qu'elles répondent à la volonté profonde de la nation. Surtout quand elles touchent à des droits fondamentaux. Surtout quand elles mettent en cause les consciences.

Donc, l'idéologie a brusquement reculé devant la manifestation claironnante du sentiment profond des Français. Tous les sondages concordaient depuis des années -et continuent de le faire. Ils offrent, d'une année à l'autre, une remarquable constance deux Français sur trois, ou trois Français sur quatre veut le maintien de l'école libre. Plaise au ciel que, sur tous les problèmes nationaux, règne un pareil consensus.

Mais jamais, sur aucun front, la liberté n'est assurée d'une victoire définitive. Rien ne nous dit que la reculade du gouvernement est autre chose qu'une trêve tactique. Tout nous confirme au contraire que nous n'avons rien perdu pour attendre.

Mon ami SERAMY, qui connaît ces questions parfaitement, vous le dira tout à l'heure plus savamment que je ne pourrais le faire. Moins de six mois après le retrait du projet SAVARY, Jean-Pierre CHEVENEMENT déposait devant l'Assemblée un nouveau texte; les communes recevaient un pouvoir discrétionnaire sur l'autorisation des établissements privés, et l'administration recevait un droit d'entrave sur le libre recrutement des maîtres. De plus, en prévoyant que l'enseignement serait dispensé selon les règles de l'enseignement public, le texte pouvait conduire, par une application très littérale, à remettre en cause ce qui est fondamental, c'est-à-dire le "caractère propre" des écoles privées, pourtant reconnu par ailleurs.

Il a fallu qu'en janvier dernier, le Conseil Constitutionnel annulât, au nom de l'unité de la nation, le droit de veto des communes sur de nouveaux contrats d'association, pour que la menace la plus grave fût écartée. Alors, il faut se poser la question : Est-ce que le pouvoir n'en finira jamais avec ses tentatives d'empiétement ? Pense-t-il, oui ou non, à réitérer une attaque en règle ? On amis un couvercle sur la marmite, mais le bouillon continue de mijoter; de temps en temps la vapeur s'échappe... .

Vous vous souvenez du meeting du Bourget, par exemple, où les militants de la laïcité, qui avaient été exaspérés par l'appui populaire qu'avait reçu l'école libre menacée, avaient conspué le Premier Ministre MAUROY et le Ministre de l'Education Nationale SAVARY, jugés trop mous et trop temporisateurs. On a vu la suite…

Le désir d'intégration dans le "service public laïc et unifié" est resté intact, même si les moyens sont devenus plus habiles et plus sournois. Ne nous faisons pas d'illusions ! Dès la prochaine rentrée, par le biais de restrictions à l'indépendance pour la nomination des maîtres, la situation faite aux écoles libres risque de s'aggraver.

Or, le plus grave, c'est que nous n'avons plus la capacité de soulever l'indignation populaire. On peut se battre contre une loi spectaculaire. On peut faire appel au peuple pour un texte de cette dimension. Mais comment voulez-vous soulever l'opinion sur une circulaire d'application, sur l'interprétation restrictive donnée à un texte ? Il faut donc rester vigilant, si l’on veut que la liberté, que nous avons reconquise l'an dernier et qui nous a été reconnue, reste une liberté effective.

Chacun, dans le grand public, a compris que le slogan « l'argent public a l'école publique; l'argent privé à l'école privée » signifiait tout simplement l'asphyxie de l'école privée. Les marxistes connaissent bien l'opposition entre « liberté réelle » et « liberté formelle »… Peut-on reconnaître la liberté de l'enseignement comme une liberté constitutionnelle mais la vider de son contenu en décidant que cette liberté, seuls les riches pourraient en profiter ? Cette liberté qui serait réservée aux riches serait un leurre sans l'intervention financière de l'Etat.

Dans le monde industrialisé d'Occident – les témoins venus de l'étranger, que vous avez auprès de vous, vous le diront tout à l'heure avec plus de précision – la France serait bien la seule nation à imposer un monopole d'Etat à l'enseignement, comme elle est déjà la seule, d'ailleurs, à avoir imposé un monopole d'Etat au crédit et à la majorité des entreprises de la grande industrie. Chez nos 9 partenaires européens, cette querelle de la laïcité fait l'effet d'un anachronisme absurde. Interrogez des députés européens au Parlement de STRASBOURG ; ils vous diront tous qu'il n'y a pas un de leurs pays où l'Etat ait créé, ou même ait tenté de créer, un "Service Public laïc et Unifié de l'Education Nationale". Chez certains comme la Belgique ou les Pays-Bas, les écoles libres financées par l'Etat rassemblent plus d'élèves que les écoles publiques.

L'Italie ? C'est un cas un peu différent. Elle nous administre une sorte de preuve a contrario -la baisse de qualité dans l'enseignement public pousse des élèves de plus en plus nombreux vers le secteur privé, qui n'est pas encore subventionné. La qualité devient une sorte de privilège, de luxe. Quelle reforme croyez-vous qu'on envisage ? La nationalisation totale ? Point du tout. Mais le libre accès des enfants dans l'école de leur choix.

Telle est en effet la voie de l'avenir: la liberté de choix entre l'école publique et l'école privée doit être absolument garantie, pour que chacun puisse faire élever ses enfants dans des écoles où ne sera pas foulé aux pieds ce que leur famille leur a appris à respecter, à aimer, à croire.

Mais il faudra aller sans doute beaucoup plus loin : nous sommes le seul pays au monde (en dehors des pays "socialistes", naturellement) où tout l'enseignement est centralisé et géré -théoriquement -par le Ministre mais en fait par un syndicat bénéficiant d'un monopole: la 'Fédération de l'Education Nationale. Ce monopole a été quelque peu contrarié, lors des dernières élections professionnelles, par la percée de Force Ouvrière, mais la Fédération de l'Education Nationale reste largement majoritaire, omniprésente et Omnipotente.

Notre éducation est devenue une sorte de machinerie monstrueuse, ingouvernable, ruineuse. Chaque élève, dans un établissement public, coûte beaucoup plus cher à l'Etat qu'un élève dans un établissement privé. Il faut d'abord délivrer l'école publique de la bureaucratie et de la syndicalocratie qui se renforcent mutuellement.

Si l'école libre, avec moins de moyens, réussit mieux, c'est parce qu'elle est plus libre, tout simplement, parce que chaque établissement peut définir ses buts, ses méthodes, tout en restant en contact avec les familles et en étant responsable devant elles.

Ce qu'il faut, ce n'est pas étatiser l'enseignement libre : c'est libérer l'enseignement d'Etat. Il faut que souffle un esprit nouveau.

"L'Instruction publique" de Jules FERRY a été remplacée par "l'Education nationale" des syndicats politisés. Seules auraient pu leur faire contrepoids les organisations de parents d’élèves. Or, la Fédération de l'Education Nationale a pris en otage la principale association des parents, réduite au rang de filiale peu encombrante. La toute puissance des syndicats, leur corporatisme étroit, leurs mots d'ordre souvent marxisants ne pourront être efficacement combattus que par la création d'une nouvelle légitimité, la dévolution aux parents de la réalité du pouvoir éducatif.

Il n'est pas légitime qu'un Service Public s'exerce hors du contrôle des citoyens; s'il est vrai que le Service Public, c'est avant tout le service du public, les citoyens devraient en être les bénéficiaires et non les sujets.

Or, sous le couvert de la laïcité, l'Etat socialiste entend les assujettir à un monopole. Libérer l'Ecole en la rendant aux parents et aux enfants, est une priorité pour demain ; un des pivots de ce "projet de responsabilité" pour la société française, qui devra être adopté, aussitôt que possible par les citoyens.

L'enseignement n'est pas d'abord fait pour les enseignants, mais pour les enseignes, et en regard de ce principe, finalement, comme il est vain le débat entre l'école publique et l'école privée... Est-ce que l'école de la République ne devrait pas donner l'exemple de la liberté ? Alors, que tous nos efforts soient tendus vers un seul but: « Des écoles libres...pour un pays libre ».

 

EXPOSE de Monsieur le Sénateur Paul SERAMY

 

Monsieur le Président, merci de vos paroles aimables, mais ce n'est pas pour moi un pensum, bien au contraire; c'est toujours une satisfaction et une joie de pouvoir venir parler des travaux du Sénat et également de la défense de l'enseignement.

Mais, par contre, vous m'avez joué un tour en me faisant succéder à un ancien Ministre de l'Education Nationale. Ce qui est extraordinaire c'est qu'il est aussi mon compatriote en Seine-et-Marne et que nous avons en commun d'être parlementaire, maire et Conseiller Général... Mesdames et Messieurs, je ne suis pas académicien…

Comme lui, je dirai que la mobilisation de l'opinion publique contre le projet SAVARY a été un évènement capital. On a assez tendance à dire que les français sont des gens sceptiques qui sont revenus de tout, depuis fort longtemps; mais on a pu constater aussi qu'ils savaient se réveiller et d'ailleurs cette manifestation a été le tournant du septennat puisqu'elle a entraîné le changement de Premier Ministre. Or, il me semble que le peuple de France n'est pas pour autant endormi et qu'il a démontré qu'il était désormais difficile à tout gouvernement, quel qu'il soit, .d'affronter la majorité de l'opinion sur le terrain des libertés. Mais sommes-nous pour autant venus ensemble célébrer une victoire ? Une telle attitude serait bien vaine; avons-nous le sentiment qu'elle a été aussi complète que la défense du pluralisme scolaire l'aurait exigé. Notre colloque, Monsieur le Président, va nous permettre d'apporter quelques éléments de réponse. Vous avez voulu lui donner, fort à propos, une envergure internationale, et je me réjouis de la présence de spécialistes éminents : allemand, américain et néerlandais, à cette tribune. Leur expérience sera pour nous riche d'enseignements, dans la comparaison qui ne manquera pas de naître entre nos situations, et nous aurons ainsi l'occasion de nourrir une réflexion sur le devenir de notre propre système éducatif dans son ensemble et sur les améliorations qu'il convient de lui apporter.

Alain PEYREFITTE, tout à l'heure, parlait de ce qui se dans d'autres pays. Or, je voudrais rappeler rapidement que dès le 14 mars 1984, le Parlement Européen avait adopté, rapport de Monsieur LUSTER, une résolution sur la liberté d'enseignement dans la Communauté Européenne.

Je vais me permettre de vous en résumer les principales dispositions :"Tous les enfants et les adolescents ont droit à l'éducation et à l'instruction. Ce droit englobe le droit de chaque enfant au plein épanouissement de ses aptitudes et dons. La liberté de l'éducation et de l'instruction doit être assurée. Cette liberté inclut le droit des parents de choisir pour leurs enfants, parmi les établissements comparables, une école qui dispense à ces derniers l'enseignement souhaité.

L'état ne saurai avoir pour tâche de recommander ou de privilégier des écoles confessionnelles en général, ou des écoles d'une confession déterminée, ni de faire prévaloir semblable recommandation ou privilège, dans l'intérêt de l'enseignement non confessionnel. Le respect de la liberté de conscience doit être garanti, tant dans les écoles publiques dépendant directement de l'Etat, que dans les établissements qui sont liés à celui-ci par contrat.

Le droit à la liberté de l l'enseignement implique l'obligation pour les états membres de rendre possible -également sur le plan financier -l'exercice pratique de ce droit, et d'accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l'exercice de leur mission et à l'accomplissement de leurs obligations.

Tout cela est parfaitement clair et il suffisait de s'en remettre à cette résolution pour qu'il n'y ait pas de problèmes en France.

Or, d'où venons-nous à faire ? Où sommes-nous arrivés ? Que reste-t-il ?

Face au projet SAVARY, notre attitude a été guidée par une analyse fort simple: à partir du moment où ce texte mettait en cause une liberté, il fallait utiliser toutes les ressources de la procédure parlementaire pour obtenir que ce projet soit bien modifié, ou bien retiré.

Et comme la majorité de l'opinion était manifestement du côté du Sénat, il n'était pas interdit d'espérer un résultat favorable, et naturellement aussi du côté de la minorité de l'Assemblée Nationale - chère Hélène MISSOFFE, vous pensez bien que je ne veux pas vous oublier dans cette citation car vous avez fait partie des bons combattants de première ligne, sinon des commandos de choc !

Le Sénat atout d'abord essayé d'obtenir que le projet Savary soit modifié.

Le Président POHER, vous vous en souvenez, a fait une démarche en ce sens auprès du Président de la République et, très modestement, j'avais profité du "sommet" de FONTAINEBLEAU pour lui en parler aussi Eh bien, le Président POHER n'a pas réussi, moi, naturellement, pas plus.

C'est ainsi que le Sénat en est arrivé à la conclusion que les citoyens devaient trancher eux-mêmes un conflit aussi grave ; nous avons donc adopté une motion demandant au Président de la République de soumettre au référendum le projet SAVARY. Dès le lendemain, cette motion a été repoussée par l'Assemblée Nationale, mais la position du gouvernement était devenue intenable puisqu'il était clair désormais que le gouvernement refusait le verdict des électeurs sur ce sujet.

Il en tirait les conséquences le 12 juillet, mais à cette époque beaucoup d'incertitudes subsistaient. Il y avait tout d'abord le projet de référendum constitutionnel; il y avait aussi et surtout l'annonce, par le Président de la République, qu'un nouveau projet de loi serait déposé...Or, sur le premier point vous savez que le Sénat a décidé de refuser la réforme constitutionnelle et donc d'empêcher le référendum qui était prévu... Pourquoi cette décision ? Nous avons jugé que ce référendum était une opération de diversion; ce que nous voulions c'était un référendum sur la liberté scolaire. A la place, on nous proposait un référendum sur la constitution et même, un référendum sur le référendum... Il y avait donc un risque de trouble et de confusion dans les esprits alors que le référendum suppose la clarté.

Dès que le texte a été connu – il s'agit du projet CHEVENEMENT – il est apparu que le nouveau projet était moins dangereux que le précédent puisque certaines dispositions essentielles de la législation en vigueur n'étaient plus remises en question.

On peut considérer aujourd'hui ces dispositions comme des acquis sur lesquels il sera très difficile de revenir, et je crois qu'il faut que nous en soyons tous très persuadés et fermement décidés à les défendre.

La loi DEBRE n'est pas abrogée…

Les écoles libres gardent donc le droit de conserver leur "caractère propre".

De même, l'existence des contrats simples, pour l'enseignement du premier degré, est préservée…

La loi de 1971 n'est pas non plus abrogée : en conséquence, l'existence d'un "besoin scolaire reconnu" – je dois vous dire d'ailleurs que cette formule de besoin scolaire reconnu est une expression à laquelle Monsieur CHEVENEMENT est totalement allergique il ne veut absolument pas reprendre ce terme de "besoin scolaire reconnu" ; cela le gêne c'est trop clair. C'est pourquoi nous tenons beaucoup à ce qu'il y ait ce "besoin scolaire reconnu".

Donc, pour la conclusion de ces contrats d'association, ce "besoin scolaire reconnu" doit être apprécié en fonction du "caractère propre" de l'établissement qui demande le contrat. De plus, plusieurs aspects importants de la loi GUERMEUR sont maintenus c'est notamment le cas des mesures améliorant le statut des maîtres de l'enseignement privé; c'étaient également, dans une certaine mesure, les textes qui ont trait à la formation professionnelle des maîtres de l'enseignement privé. Mais là encore, je pense qu'il va falloir être très vigilants. Les textes sont confus et je ne crois pas que l'on puisse aller jusqu'à la définition exacte de ce que l'on espérait, c'est-à-dire qu'il y ait le maintien d'une formation professionnelle particulière en ce qui concerne les maîtres de l'enseignement privé.

Le texte CHEVENEMENT, à la différence du projet SAVARY, ne prévoit plus ni la fonctionnarisation des maîtres, ni l'agrément des projets éducatifs des établissements, ni l'intégration des établissements privés au sein d'établissements d'intérêt public. Et, sur le premier point, vous vous souvenez de l'astuce chère – Hélène MISSOFFE – qu'avait eue le gouvernement d'introduire dans une loi de finances une ligne où l'on disait "Voilà, titularisation de 10.000 maîtres de l'enseignement privé" sans mettre d'ailleurs de somme en face. Naturellement, nous avons sauté à pieds joints sur l'erreur qui avait été faite. C'était un "cavalier budgétaire", et c'est pourquoi nous avons obtenu du Conseil Constitutionnel qu'il soit dissocié de la loi de finances.

Le nouveau texte était donc apparemment moins néfaste que le précédent. Cependant, au départ, il contenait encore un bon nombre d'éléments inquiétants; et nos inquiétudes portaient sur trois grands domaines :

  • les moyens financiers

  • l'identité des établissements

  • les pouvoir des collectivités locales

et ce sont les trois points que je vais m’efforcer de développer rapidement.

Comme vous le verrez, une bonne partie des menaces qui subsistaient ont été assez largement neutralisées grâce aux débats parlementaires, et surtout grâce à la décision du Conseil Constitutionnel. Mais il faut malheureusement constater que de réelles incertitudes demeurent, et il serait bien imprudent de croire que tout est réglé. C'est pourquoi ma brochure a pour titre "Rien n'est réglé". Car, en définitive, si la loi a été votée, ce qui est important ce sont les décrets d'application et les circulaires qui les accompagnent. Tout le reste n'est que littérature – c'est le cas de le dire -.Et qu'est-ce que nous constatons: c'est que la loi étant votée, le gouvernement a assez tendance à l'interpréter à sa façon et à en faire souvent une interprétation libre... En tant qu'ancien professeur de langues, je vous dirai que les interprétations libres, je n'aime pas tellement cela ; j'aime mieux qu'on se tienne le plus près possible du texte.

 

Les moyens financiers d'abord

:

la nouvelle loi, je le rappelle, prévoit la mise en place d'une limite budgétaire stricte pour la conclusion des contrats. Cela est très important, car la loi CHEVENEMENT précise qu'il est interdit de conclure des contrats même s'ils répondent à un besoin manifeste, si les crédits correspondants ne figurent pas dans la loi de finances.

En conséquence, le respect du choix des parents n'est plus garanti que dans certaines limites: celles que la loi de finances détermine un an à l'avance.

La décision du Conseil Constitutionnel, il est vrai, a atténué d'une manière non négligeable la portée de cette règle en précisant que le nouveau texte ne fait pas obstacle à la modification en cours d'année du montant des crédits par une loi de finances rectificative, en cas d'évolution des données qui servent de base au calcul des crédits. Mais c'est une possibilité, ce n'est pas une obligation. Tout dépend finalement de la bonne volonté du gouvernement, ce qui est, vous en conviendrez, une garantie bien mince.

Vous me direz peut-être qu'il suffit pour régler ce problème de prévoir au départ, dès la loi de finances, des moyens suffisants pour répondre aux besoins. Malheureusement, tout est prévu, si j'ose dire, pour que les prévisions de départ ne soient pas réalistes. Car, comment calcule-t-on ce qui est nécessaire à l'enseignement privé: on le calcule en fonction des résultats de l'année précédente. Or la loi de finances est élaborée au mois d'août, c'est-à-dire avant les résultats de la rentrée suivante; c'est-à-dire qu'en définitive il y a deux ans de décalage entre les besoins que peut exprimer l'enseignement privé et les éventuels crédits supplémentaires ou inscrits à la loi de finances de l'année suivante. Ainsi, pendant deux ans l'enseignement privé peut continuer à avoir des effectifs trop importants pour pouvoir les accepter ; et, de ce fait, à partir du moment où les effectifs sont trop importants, les élèves s'en vont dans l'enseignement public… C.Q.F.D… c'est ce que veut le gouvernement…

Voilà ce qui, à mon avis, est très, très grave et c'est pourquoi je vous demande aux uns et aux autres de bien vouloir me faire parvenir certaines anomalies que vous pourriez constater dans vos communes ou dans vos établissements j faites les moi parvenir suffisamment tôt avant la discussion de la loi de finances pour que je puisse en faire part à la Haute Assemblée et au gouvernement. Hélène MISSOFFE également, j'en suis sûr, sera heureuse d'avoir vos indications car cela nous permettra de dire que le gouvernement n'est pas honnête avec ce qu'il avait promis puisque les besoins sont ceux que nous exposerons et non pas ceux que le gouvernement aurait exposés, d'autant plus que, souvenez-vous, il y avait autrefois un comité de conciliation, et ce comité de conciliation permettait justement de savoir quels étaient les besoins qui pouvaient s'exprimer au niveau de l'enseignement privé; ce comité de conciliation a été supprimé et nous avions proposé que l'on substitue à ce comité de conciliation un comité des sages, en quelque sorte, dans lequel siègeraient des représentants du Conseil d'Etat, de la Cour des Comptes, etc.., donc des gens qui étaient tout à fait "en dehors du coup", mais qui allaient juger exactement si oui ou non il y avait une adéquation entre les besoins et les crédits.

Donc, aucun organisme national de concertation, et c'est ainsi que la loi de finances sera amenée inévitablement à se fonder comme je vous l'ai dit -sur une situation vieille de deux ans.

A partir du moment où les écoles privées ne pourront plus conclure de conventions nouvelles, elles seront asphyxiées. Je l'ai dit déjà, et je le rappelle une fois de plus, la politique du gouvernement socialiste est la politique du garrot, c'est-à-dire qu'au début cela serre peu; puis, peu à peu, cela serre davantage et, à la fin, cela vous étouffe: il faut que tout le monde en soit conscient. Au travers de la loi de finances c'est l'asphyxie progressive des écoles privées à laquelle nous risquons d'aboutir.

Et maintenant je passe à la question du respect de l'identité des établissements

Plusieurs dispositions de la nouvelle loi semblaient menacer le caractère propre des établissements privés. Tout d'abord, comme vous le savez, la nouvelle loi – tout en maintenant le droit pour les écoles privées de conserver leur caractère propre, - supprime la disposition de la loi GUERMEUR précisant que les maîtres sont tenus de respecter ce "caractère propre". Pour ma part, dès le début, j'avais observé que la suppression de ces aspects de la loi GUERMEUR était vraiment sans portée. J'avais écrit dans mon rapport que le projet CHEVENEMENT ne supprimait pas cette obligation, mais la ramenait simplement de l'explicite à l'implicite. Le Conseil Constitutionnel, sur ce point, a tranché sans ambiguïté en faveur de cette interprétation. Il a précisé dans ses décisions que l'abrogation de la disposition de loi du 25 novembre 1977, imposant aux maîtres, enseignant dans les classes sous contrats d'association, l'obligation de respecter le caractère propre de l'établissement, n'a pas pour effet de soustraire les maîtres à cette obligation. Mais, je garde le meilleur pour la fin… ; la nouvelle loi modifie les règles relatives au choix des maîtres, exerçant dans les classes sous contrat d'association; et cela est encore une chose sur laquelle il faut beaucoup insister.

Ainsi, j'ai eu l'occasion, l'autre jour, de poser une question d'actualité à Monsieur CHEVENEMENT et, comme il n'était pas là, c'est Monsieur JOXE qui m'a répondu; qui m'a répondu, naturellement, à côté. En réalité, comme vous le savez, depuis la loi GUERMEUR l'initiative du recrutement des maîtres appartenait aux chefs d'établissement; les maîtres étaient nommés par le Recteur sur proposition de la Direction de l'établissement. Le Chef d'établissement avait donc la possibilité de constituer une équipe homogène autour du projet éducatif de l'établissement. Or, cela a été supprimé. Désormais, les maîtres sont nommés en accord avec la Direction de l'établissement, l'administration aura donc un rôle déterminant.

Le Conseil Constitutionnel n'a pas annulé cet aspect de la nouvelle loi, mais dans sa décision, il a cherché à poser des verrous afin d'interdire toute interprétation de la loi qui serait contraire à la liberté de l'enseignement. Il a précisé qu'au cas où l'administration proposerait systématiquement à la direction des candidatures incompatibles avec le "caractère propre" de l'établissement, le juge de "l'excès de pouvoir", c'est-à-dire les tribunaux administratifs pourraient valablement être saisis, l'administration n'a donc pas le droit de chercher à forcer la main des chefs d'établissement et je vous expliquerai que, là encore, c'est un blocage.

Le Recteur, ou l'Inspecteur d'Académie, propose un maître. Le Directeur dit non; bien: il n'y a pas de maître. Le Recteur – ou l'Inspecteur d'Académie – propose un deuxième maître; le Directeur dit non : toujours pas de maître.

Je pense que là encore c'est un mauvais coup qui est porté à l'enseignement libre car que je ne vois pas très bien de quelle manière on pourrait accepter un professeur qui affiche des idées totalement différentes de celles qui sont enseignées dans l'établissement. Mais, à l'inverse, des directeurs risquent d'être obligés de céder au chantage. Le mot n'est pas trop fort. Le Ministre m'a répondu à ce moment là, "oui, mais vous voyez toujours les choses d'une façon extrême !" Cela peut arriver et c'est pourquoi je suis bien obligé de le dire.

Troisième grand sujet d'inquiétude : le rôle des collectivités locales... et je sais que dans la salle sont présents un certain nombre de maires : ils savent l'inquiétude qui est du côté des établissements, comme du côté des communes.

En effet, Monsieur le Président, lorsque j'ai rapporté ces quelques articles de la loi CHEVENEMENT sur l'enseignement privé, je rapportais en même temps tous les autres articles sur les transferts de compétence en matière d'enseignement aux communes, aux départements Et aux régions. Donc, il y a les deux à la fois et il faut se dire qu'à partir du 1er janvier 1986, et même à partir du 1er septembre 1985, les élus municipaux vont être confrontés à des problèmes énormes… Je ne vous cacherai pas que je suis inquiet; très inquiet parce que depuis une quinzaine de jours, je constate des difficultés considérables et cela dans les petites communes. Surtout je vous en prie, ne regardez pas le problème de l'Enseignement privé seulement de PARIS et à la dimension des grandes villes voyez le aussi à la dimension des petites communes où il est beaucoup plus difficile à régler…

Je me demande si, là encore, le gouvernement ne va pas essayer de tourner la décision du Conseil Constitutionnel, car dans une circulaire récente, le Ministre a précisé – écoutez-moi bien - "que lorsque la commune aura donné un avis défavorable, il faudra des raisons impérieuses, au regard du besoin scolaire, pour que le contrat soit signé"... Il s'agit déjà du contrat. Or, qu'est-ce que cela veut dire "des raisons impérieuses" ? A première vue, rien, car il a toujours fallu des raisons impérieuses pour obtenir un contrat. En réalité c'est une manière discrète d'indiquer aux Autorités compétentes, aux Préfets et aux Recteurs, qu'il faut, autant que possible, refuser les contrats si la commune n'est pas d'accord. C'est clair : Or, cela, c'est la circulaire ; ce n'est pas la loi. Autrement dit, la loi sera appliquée de la manière la plus restrictive possible, ou même ne sera pas appliquée du tout ; et je dois ajouter que l'enseignement privé va rencontrer encore d'autres difficultés dans ses rapports avec les collectivités locales, tout d'abord pour les contrats d'association futurs. La commune où est située l'école ne sera désormais tenue de prendre en charge les dépenses de fonctionnement de cette école que pour les élèves domiciliés sur son territoire ; le Conseil d'Etat vient de le confirmer et cela je vais vous l'expliquer, car je crois que c'est un des points forts de la discussion qui va avoir lieu, dans les prochaines semaines, entre les communes.

La commune A a un établissement privé ; la commune B envoie des élèves dans l'établissement privé de la commune A; la commune A paie, puisqu'il y a une convention, pour les élèves de sa commune; par contre, elle demande à la commune B qui envoie des élèves dans cet établissement de bien vouloir prendre en charge le coût des élèves qu'elle y envoie. Alors là, je vous assure que même les mieux disposés, sont très réticents et qu'il va falloir, Mesdames et Messieurs, Monsieur le Président -et là je compte beaucoup sur vos associations -non pas pour faire pression sur les maires, mais pour leur expliquer qu'en définitive on en revient exactement à la situation antérieure et que surtout ce qu'il faut constater -et ce que chacun des maires doit reconnaître -, c'est qu'il est indispensable de faire en sorte que l'égalité des chances demeure et l'égalité des chances passe toujours par l'égalité des moyens.

Le problème ne se posera pas, et c'est heureux, pour l'enseignement secondaire : les collèges et les lycées. La nouvelle loi risque d'entraîner des difficultés dans un autre domaine. Depuis 1977, la loi prévoyait que les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat d'association étaient prises en charge sous forme d'une contribution forfaitaire versée par élève et par an; elle précisait également que les personnels non enseignants restaient soumis au droit privé. Or, ces mesures sont supprimées par la nouvelle loi dans le cas de l'enseignement primaire.

Le nouveau texte prévoit seulement que les dépenses de fonctionnement sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public, c'est-à-dire que cela permet aux communes de prendre en charge directement les dépenses de fonctionnement en cause, que ce soit par des prestations en nature ou par la réalisation de certaines tâches par le Personnel Communal lui-même. Donc, là encore, source de conflits. Je l'ai toujours dit depuis le début de la discussion de cette loi, ce sont des conflits permanents auxquels nous allons assister, car comment voir si les prestations en nature correspondent à ce que normalement aurait pu représenter la dotation forfaitaire... Il y aura, là encore, des communes qui accepteront de faire ce qu'il faut, et puis d'autres qui discuteront.

Je l'ai dit à Monsieur CHEVENEMENT : « ce n'est pas nous qui essayons de rallumer la guerre scolaire, c'est vous qui le faites d'une façon permanente et par les dispositions que vous êtes amenés à faire prendre par votre majorité parlementaire.

Enfin, pour les classes maternelles, le Conseil d'Etat a rappelé, le 31 mai, que les communes n'étaient plus obligées de les subventionner, mais, dernier coup dur si l'on peut dire, c'est un projet de loi qui est passé totalement inaperçu, à vous tous: c'est le projet de la loi que j'ai rapporté il y a trois semaines et qui consistait en la création d'établissements publics à la seule diligence du gouvernement là où il le souhaiterait...

Je dois vous dire que je me suis battu. En effet, qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie d'abord qu'il y a 522 communes dans lesquelles il n'y a qu'un établissement privé. Monsieur CHEVENEMENT m'a répondu "vous savez bien que c'est un problème politique"… et je l'ai très bien compris : pour ces 522 communes, il sera possible à l'Etat de créer, sans l'accord de la commune, un établissement public dans toute commune de son choix, c'est-à-dire que, comme je le lui ai dit, on peut très bien en arriver à cette absurdité de créer un établissement public où déjà l'enseignement est parfaitement couvert par un établissement privé et de doubler les dépenses, et en même temps de faire mourir et l'un, et l'autre, faute d'effectifs.

Tout cela n’est pas sérieux ; c'est pourquoi j'ai obtenu tout de même deux amendements importants : que ces créations d'établissements publics nouveaux soient conformes au schéma prévisionnel des formations..."schéma prévisionnel des formations", voilà encore un terme barbare... Cela signifie tout simplement que désormais il y aura une instance de concertation au niveau de la région, entre la région et les départements, pour déterminer là où l'on doit mettre des établissements, ce que l'on doit y faire. C'est un verrou important. Deuxième verrou… j'ai obtenu que cette création soit également compatible avec l'organisation normale de l’enseignement dans la commune en question.

Or, lorsqu'il s'agit des schémas prévisionnels des formations doit-on tenir compte du droit des familles à choisir un type d'établissement plutôt qu'un autre ? Une confirmation nette a été donnée dans les débats. Un de mes collègues avait posé la question suivante "les capacités d'accueil de l'enseignement public seront-elles un argument que l'administration pourra opposer aux demandes de contrat ?" et Monsieur CHEVENEMENT a répondu très clairement : "Les capacités d'accueil des établissements d'enseignement public ne sont pas opposables en tant que telles; elles n'ont d'ailleurs jamais été opposées aux demandes de mise sous contrat : "le besoin scolaire résulte non pas d'un accueil insuffisant dans les écoles, lycées ou collèges publics, mais du choix effectué par un certain nombre de familles, d'un genre particulier d'éducation". Voilà au moins une réponse qui nous donne satisfaction car vous voyez que nous avons, là encore, fait œuvre utile et qu'il était indispensable de faire dire au Ministre - qui d'ailleurs est très parcimonieux en ce qui concerne ses déclarations - de le faire aller au fond des choses afin de nous éclairer.

Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs... j'ai essayé de faire le tour des principales difficultés de la loi CHEVENEMENT. Comme vous avez pu le constater, certaines des mesures les plus graves contenues dans ce texte ont été largement atténuées ; mais un bon nombre d'incertitudes subsistent. De quels moyens financiers disposeront les établissements privés ? Quelle sera l'attitude des communes ? Quel sera le statut des maîtres ?

Bien des questions restent posées ; ces questions, au fond, se résument en une seule: la loi sera-t-elle vraiment respectée dans sa lettre et dans son esprit ? Encore une fois, je crois qu'il faut rester très prudent et très vigilant. Je crois aussi qu'il faut réfléchir pour l'avenir aux améliorations que l'on pourra apporter un jour, je l'espère, à la législation actuelle. Qu'on me comprenne bien : je ne voudrais surtout pas un bouleversement de l'édifice constitué par les lois successives et par les décisions importantes du Conseil Constitutionnel; tout cela doit être préservé, mais je crois qu'il est possible de parvenir à certaines améliorations pour consolider à la fois la liberté et la paix scolaire.

Un premier thème de réflexions, et c'est à vous que je m'adresse, Monsieur le Président et à tous vos invités et à tous vos amis, pourrait être le financement des établissements privés. En superposant à la loi DEBRE les lois de décentralisation on en est arrivé à un système très compliqué 4 échelons: Etat, région, département, commune interviennent dans le financement des dépenses de fonctionnement : cela fait beaucoup et cela multiplie les risques de conflit.

Il me semble - et je n'ai pas d'idées bien arrêtées là-dessus et j'essaie d'y réfléchir -...il me semble donc qu'il doit être possible de mettre au point un système plus simple et plus stable.

Toujours dans le domaine des moyens financiers, je crois qu'il serait bon d'instituer une sorte de "Haute Autorité" qui serait notamment chargée d'évaluer de manière impartiale les besoins des différents établissements publics et privés et d'informer, aussi objectivement que possible, le Parlement au moment du vote de la loi de finances. Mais avant que cette "Haute Autorité" ne soit créée, je vous demande d'être mes informateurs.

D'une manière ou d'une autre, il faut trouver une formule pour que le choix des familles soit respecté.

Un deuxième thème de réflexion est l'enseignement supérieur. Je crois qu'il serait bon d'étudier la possibilité, peut-être, d'étendre le système des contrats à l'enseignement supérieur ; non seulement cela, mais beaucoup d'autres choses encore. Cela existe pour l'enseignement supérieur agricole, et pourquoi pas dans d'autres domaines ?

Si dans l'enseignement supérieur on introduisait un peu plus d'émulation, davantage de choix pour les étudiants et leurs familles, je crois que notre système universitaire s'en trouverait grandement amélioré. Il faudra un jour ou l'autre aborder cette question. Voici quelques domaines où des progrès seraient possibles.

Or, vous me direz peut-être qu'à l'heure actuelle je rêve tout haut : c'est vrai, pour l'instant il faut surtout protéger les acquis et faire en sorte que l'esprit de la loi tel qu'il résulte des décisions du Conseil Constitutionnel soit respecté; mais si nous parvenons à sauvegarder les acquis, ils seront une base pour l'avenir.

Alors, comme mon ami PEYREFITTE l'a exposé "Ne touchez pas à l'enseignement" ; moi, je vous dirai "Ne touchez pas à la liberté de l'enseignement".

 

 

EXPOSE du Dr. Günter PAUL (R.F.A),

Avocat International a FRANCFORT - Président du " Mouvement d'Action pour le libre choix de l'école"

 

Monsieur le Président m'a présenté à vous. Je suis Günter PAUL. Je viens d'Allemagne, exactement de FRANCFORT au milieu de la Hesse. Je me trouve invité à cause de la position que je prends dans des mouvements et des associations de parents et de professeurs pour la défense de la liberté de l'enseignement.

 

LE SYSTEME SCOLAIRE EN ALLEMAGNE

 

Le système scolaire en Allemagne est certainement bien différent du système français. Les données principales sont les suivantes :

  • L'école commence à l'âge de 6 ans. Une première étape de 4 ans s'appelle l'école primaire (Grundschule). Cette première étape se trouve dans tous les Länder de la fédération allemande. En principe, à ce stade on n'apprend aucune langue étrangère.

  • A l'âge de 10 ans un élève a normalement la possibilité de choisir entre deux écoles différentes. Tous ceux qui veulent passer le baccalauréat fréquenteront un lycée pour une durée de 9 ans. Ceux qui cherchent à entrer dans une profession dont le niveau n'exige pas des études universitaires peuvent choisir pour une durée de 6 ans une école nommée "Realschule" qui correspond sensiblement à la filière technique française. Pour tous les autres élèves dont le niveau est moins élevé, il y a la Hauptschule qui dure normalement 5 ans. Le système des trois écoles s'appelle le système des écoles traditionnelles.

  • Depuis 15 à 20 ans existe, à côté de ce système traditionnel, un système nouveau introduit par des pédagogues et sociologues du parti socialiste en Allemagne. C'est pourquoi on trouve les écoles de ce type particulièrement dans les Länder de la fédération allemande où le parti socialiste assume la responsabilité du gouvernement. Cette école nouvelle s'appelle Gesamtschule (école commune). Il y en a deux formes différentes : un système intégré qui s'appelle école commune intégrée (integrierte Gesamtschule) et une école commune additive (additive Gesamtschule).

     

    L'école commune "additive" ressemble au système traditionnel, mais présente l'inconvénient d'être une première étape d'intégration des trois écoles: ces trois écoles, séparées du système traditionnel, se trouvent en effet réunies dans un seul grand établissement.

     

    L'idée de l'école commune (intégrée et additive) est la prolongation de l'éducation commune. Particulièrement dans la forme intégrée, il y a des cours communs pour tous les élèves, qu'ils soient forts ou faibles. Un nombre très limité de cours différents reflète une éducation de lycée, une éducation de Realschule ou une éducation de Hauptschule.

     

    A l'heure actuelle en Allemagne 3 % seulement des élèves fréquentent des écoles privées. Tout le reste va à l'école publique. Dans toute la fédération allemande l'école publique est entièrement gratuite. On ne paye rien, même pour les livres et tout le matériel d'éducation. La qualité des écoles publiques est très bonne; elle est souvent meilleure que celle des lycées privés. Souvent, nous autres allemands pensons qu'il ne faut envoyer les enfants dans les écoles privées qu'en cas de difficultés familiales (divorce, etc..) ou si l'enfant n'apprend pas bien.

     

    C'est pourquoi le changement du système de l'école publique, imposé par les socialistes dans certaines Länder exerce une influence directe sur la qualité de l'école dans l'Allemagne toute entière. Les parents qui s'engagent en faveur de la qualité de l'éducation de leurs enfants sont sérieusement affectés par ce développement nouveau. Ils craignent tous que celui-ci entraîne une réduction considérable du niveau et de la qualité scolaires.

     

    L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

     

    L'organisation de l'enseignement supérieur après le lycée est très simple en Allemagne: il y a des universités générales et des universités techniques. Dans l'université générale on peut faire des études dans toutes les matières avec une seule exception: les matières techniques et les études d'ingénieur. La condition de base nécessaire pour être admis dans une université est le dip1ôme du baccalauréat. En principe chaque élève ayant passé le baccalauréat peut étudier ce qu'il veut. Il a le choix illimité. Mais comme il y a un trop grand nombre d'élèves ayant passé le baccalauréat, il est devenu nécessaire de limiter l'accès de l'université à ceux qui ont obtenu les meilleurs résultats au baccalauréat.

    Le système n'est pas juste du fait que chaque école a un baccalauréat différent.

    L'enseignement universitaire est très libre. En principe chaque étudiant peut faire ce qu'il veut. Seule l'obtention du diplôme est subordonnée à quelques épreuves pendant les études. La durée des études n'est pas limitée.

     

    COMPETENCE DE L'EDUCATION SCOLAIRE EN ALLEMAGNE

     

    Il n'y a pas de compétence centrale pour l'éducation scolaire en Allemagne. Les Länder sont compétents pour les lois et l'administration scolaires. Le gouvernement ou le parlement fédéral n'ont aucune compétence en ce domaine. Les Länder ne sont même pas obligés de s'arranger entre eux pour qu’un enfant puisse changer d'école (par exemple, de la Hesse à la Bavière, au Hanovre ou à la Westphalie).

    Ainsi, chaque Land a un système différent d'enseignement. Cela commence avec l'enseignement dans les écoles primaires. Cela se continue avec les écoles secondaires (Haupschule, Reaschule, lycée, etc..). Même la structure des lycées diffère d'un pays à un autre. Si les parents passent d'un Land à l'autre, les enfants ont de grandes difficultés à fréquenter une école similaire et à continuer leur enseignement dans la même classe. Souvent il leur faut redoubler une classe pour s'adapter au nouveau système.

    Chaque enfant en Allemagne doit aller à l'école à partir de 6 ans jusqu'à 16 ans. Pendant les quatre premières années, il doit fréquenter l'école primaire. Il n'y pas de choix. Il y a des écoles commençant avec le français ou le latin comme première langue. Mais la plupart des lycées commencent avec la langue anglaise. Rares sont ceux qui commencent avec le français.

    La nouvelle loi de la Hesse pour les classes 5 et 6 changera ce système. Les élèves n'auront plus la possibilité de choisir un lycée ayant la langue française ou la langue latine comme première langue. Voilà qui ne vous fera probablement pas plaisir.

    Les différences dans les Länder dépendent principalement des conceptions idéologiques des partis politiques. Les Länder ayant un gouvernement conservateur n'ont pas beaucoup changé le système d'école traditionnelle. Mais ils ont cependant installé, comme offre additionnelle aux parents et aux élèves, des écoles du système nouveau, c'est-à-dire des écoles communes intégrées et additives.

    La structure des lois et de l'administration scolaires dans les Länder, dont le gouvernement est socialiste, ont suivi une conception tout à fait différente. Ils ont considéré les idées nouvelles comme la seule vérité et ils ont essayé de tuer le système traditionnel. Ils ont pris toutes les mesures possibles pour le remplacer par le système nouveau. Leur politique a comme but d'introduire un seul système d'école unifiée. C'est particulièrement le gouvernement de la Hesse qui a annoncé il y a 20 ans qu'en quelques années l'école unique serait dans toute la Hesse l'école "commune intégrée". Grâce au combat des parents en Hesse, organisé dans le Hessischer Elternverein dont j'ai l'honneur d'être le Président, le gouvernement de la Hesse n'a pas encore réussi après 20 ans de lutte. Mais la menace est toujours là.

    Dans quelques circonscriptions limitées, l'intégration de l'enseignement dans un système unique est déjà effective.

     

    L'ECOLE ET LES FINANCES

     

    On peut dire à juste titre qu'en Allemagne le financement de l'école ne donne pas lieu à un débat. Même les écoles privées reçoivent un financement considérable de l'Etat. Il s'agit d'une compensation forfaitaire qui couvre au moins 70 % des dépenses.

     

    L'ENSEIGNEMENT RELIGIEUX

     

    Les relations de l'enseignement avec les églises sont différentes dans chaque Land de la Fédération Allemande. Dans la plupart des Länder, il y a un régime de séparation comme en Hesse. Pour vous donner un exemple, je vous décris brièvement la situation dans le pays où j'habite: on y donne des leçons religieuses catholiques et protestantes. Il y a des professeurs qui sont spécialisés en cette matière tout à fait de la même façon que d'autres professeurs sont spécialisés pour les mathématiques, les langues, les sciences naturelles, etc...

    Il y a 15 ans, on a discuté vivement le point de savoir si l'Etat pouvait permettre la prière du matin dans toutes les écoles. Quand j'étais élève dans un lycée à FRANCFORT, entre 1951 et 1960, dans les premières années on a connu la prière du matin une fois par semaine. Puis on a changé. On n'a fait cette prière qu'à des occasions particulières. A la fin, dans les dernières années, la prière n'était plus permise.

    Plus personne ne demande sérieusement en Allemagne que les écoles publiques reviennent à la pratique des années passées. Mais il se crée de plus en plus d'écoles privées religieuses, cela veut dire des écoles privées catholiques ou des écoles privées protestantes.

     

    NEUTRALITE DE L'ENSEIGNEMENT

    En principe, il existe un droit des parents et des élèves à recevoir un enseignement neutre. Ceci est même un droit garanti par la constitution fédérale et celle de chacun des Länder.

    Mais si la théorie est bonne, la pratique est mauvaise. La plupart des jeunes professeurs d'aujourd'hui ont fait leurs études dans les années 68-75 qui étaient une période universitaire extrêmement politisée. On croyait qu'il fallait changer la société par l'enseignement. Le résultat est que beaucoup de professeurs ne délivrent pas un enseignement neutre. Tout au contraire. Il y a un grand nombre d'enseignants marxistes ou d'autres positions politiques. Cependant, la majorité des professeurs respecte la neutralité.

    Les parents ont à ce sujet une possibilité limitée de contrôle. Ils peuvent porter plainte contre un enseignant qui n'observe pas la neutralité. Des parents font souvent usage de ce droit. Malheureusement, souvent aussi ils n'en ont pas le courage. Ils craignent de nuire à leurs enfants en prenant une position critique contre un professeur qui n'observe pas l'obligation de neutralité.

     

    LE CHOIX DES PROFESSEURS PAR LE CHEF D'ETABLISSEMENT

     

    Dans les écoles publiques, qui représentent 97 %, c'est en principe le Ministre d'Education de chaque Land qui choisit seul les professeurs. Les parents n'ont aucune influence sur ce choix: ils n'ont rien à dire.

    Seules les écoles privées, qui ne regroupent que 3 % des élèves, ont la possibilité de choisir librement leurs professeurs. Les écoles sont organisées sous la forme d'associations. Le choix des enseignants est effectué par les dirigeants de l'association (le plus souvent des parents ou des anciens élèves) sur la base d'une proposition faite par le chef d'établissement.

     

    CONCLUSION

    Le système allemand d'enseignement est caractérisé principalement par sa décentralisation. Ainsi, le risque d'une mainmise rapide et totale de l'Etat sur l'enseignement à l'échelle nationale n'existe pas en République Fédérale.

    Des idées de réforme circulent dans les Länder sans qu'aucun grand mouvement national ne se dessine. Cependant, de plus en plus deux conceptions s'opposent :

    • celle des partisans de la liberté de choix de la part des parents pour les cycles primaire et secondaire, et des étudiants pour l'enseignement supérieur

    • celle des pédagogues politiciens qui veulent former la jeunesse suivant leurs conceptions idéologiques.

    Ces deux conceptions s’affrontent au sein même de l'enseignement public.

    Notre association considère que cette dernière idée de l'enseignement et de l'éducation des jeunes conduit à la mise en cause de toutes les libertés et à former une nation totalitaire.

    En fait, le problème de l'enseignement en Allemagne est posé en termes simples et la sauvegarde de la liberté y est dégagée de toutes les influences religieuses ou autres qui le compliquent ailleurs. Le choix pour la liberté s'y présente presque à l'état pur.

    Notre défense de la liberté du choix de l'école intéresse donc tous nos voisins. Notre association recherche la coopération avec tous ceux qui souhaitent que les crédits publics affectés à l'enseignement pour la jeunesse soient attribués d'une manière qui assure la plus grande liberté de choix. Peut-être une action européenne dans ce sens aurait-elle une certaine efficacité ?

    Je vous remercie beaucoup de l’intérêt et de la patience avec laquelle vous avez suivi mon petit récit et de l’indulgence avec laquelle vous avez supporté le grand nombre de fautes que j’ai commises aussi bien vis-à-vis de la grammaire que de la prononciation françaises. Comme je sais combien vous autres Français aimez votre langue je vous en demande mille fois pardon.

     

     

    PREMIER DEBAT

     

    Monsieur BOUDOT

     

    Monsieur le Sénateur, encore que vous ayez consacré l'essentiel de votre exposé à l'enseignement privé, j'aimerais d'autant plus vous poser quelques questions relatives à l'enseignement public que je suis moi-même professeur dans l'enseignement public et que de nombreuses personnalités représentatives de ce secteur sont présentes dans la salle.

    Pour l'enseignement public, les premières mesures à prendre ne sont-elles pas l'abrogation de la carte scolaire et la diversification des enseignements à partir de la sixième ?

     

    Monsieur SERAMY

     

    Monsieur le Président, en ce qui concerne la suppression de la carte scolaire c'est un peu ce à quoi on aboutit en ce moment ; car, à partir du moment où les collectivités locales sont amenées à participer au financement de l'enseignement c'est qu'elles peuvent avoir aussi la faculté de ne pas respecter la "carte scolaire"…

    Je voulais dire que la suppression de la carte scolaire implique naturellement un financement global et c'est pourquoi je le dis - et je tiens à le répéter - il faut absolument que nous en arrivions à un financement par élève ; il ya bien des chèque-vacances, il pourrait bien y avoir le chèque-élève, le chèque-éducation…

    J'ai fait voter par le Sénat, et par l'Assemblée Nationale la réforme en ce qui concerne l'enseignement public, pour les frais de fonctionnement des collèges: c'est le département qui recevra l'enveloppe globale et qui répartira ensuite dans tous les établissements. Mais il faut aller plus loin et c'est pourquoi je travaille actuellement à l'institution du chèque scolaire. Dans certaines communes on va vous demander par élève 3.000 F, dans telle autre 4.000 F et dans telle autre 9.000 F. Donc il faut essayer d'arriver à une égalité de traitement, car tant que nous n'en serons pas là il n'y aura pas l'égalité des chances entre l'enseignement privé et l'enseignement public, entre tous les élèves de France. Il faut absolument en arriver à cette mesure d'uniformisation, mais grâce à un crédit global judicieusement réparti.

    Deuxième réponse, vous m'avez parlé de la diversification de l'enseignement dès la sixième... Vous avez raison, il faut absolument diversifier les enseignements, d'autant plus que nous sommes arrivés à une époque où justement il ne s'agit pas de faire de la sélection par l'échec mais, bien au contraire, de donner une priorité à l'orientation ; et, à partir du moment où les élèves sont orientés, c'est une sélection naturelle à laquelle je souscris tout à fait. La a élection par orientation, c'est là un des facteurs essentiels de la démocratisation de l'enseignement.

     

    Monsieur BOUDOT

     

    Merci beaucoup, Monsieur le sénateur. Permettez-moi encore une ultime question qui concerne l'enseignement supérieur. : En matière d'autonomie des enseignements supérieurs, et notamment des universités, la première mesure à prendre - la plus importante peut-être n'est-elle pas de donner à ces universités le droit de recruter les étudiants et aux étudiants le droit de choisir leur université ?

    Actuellement, un arrêté extravagant, publié le 15 mars par le Directeur Général des Enseignements Supérieurs, risque, s'il peut être appliqué - il est tellement difficile à appliquer qu'on peut espérer qu'il ne le sera pas! - d'interdire aux étudiants de choisir librement leur université.

    En tout état de cause, les universités n'ont pas le droit de choisir leurs étudiants. Comment, alors, parler de responsabilité s'il n'y a pas de liberté ? Aussi longtemps que les établissements d'enseignement supérieur ne pourront pas choisir les étudiants selon les critères qui leur seront propres et qu'elles détermineront librement, on ne pourra les mettre en accusation et dire qu'ils obtiennent de mauvais résultats.

    Etes-vous favorable à l'instauration d'une totale liberté de recrutement : les étudiants choisissent librement leur université qui sélectionne ses étudiants, comme elle l'entend ?

     

    Monsieur SERAMY

     

    Monsieur le Président, j'y suis d'autant plus favorable que j'ai commis une proposition de loi dans laquelle ce souhait est exprimé d'une manière parfaitement claire. La répartition des étudiants ne peut être confiée au seul ordinateur. Les inscriptions universitaires semblent aujourd'hui se faire dans les pires conditions. Mais j'espère que, d'ici quelque temps, nous aurons l'occasion d'en reparler et de faire voter ce texte par un gouvernement nouveau; c'est pourquoi, d'ores et déjà, j’ai déposé cette proposition de loi sur le bureau du Sénat.

     

    Un interpellateur

     

    Monsieur le Sénateur-Maire va me pardonner d'avoir donné l'occasion à un professeur, simple Conseiller Municipal, de n'être pas tout à fait d'accord avec lui en ce qui concerne les réformes. Vous avez dit que chaque Ministre avait eu l'intention d'accrocher une réforme à son nom ; vous allez entendre quelques propos que j'ai retenus hier à la Salle Médicis du Sénat. En réalité, à mon avis, depuis des décennies, il n'y a pas eu plusieurs réformes dans l'enseignement français. En fait, il n'y a qu'une seule réforme, insidieusement installée, qui progresse à petits pas: c'est la réforme d'inspiration marxiste Langevin-Wallon. Je ne sais pas si en Allemagne il ya des cousins germains de Langevin-Wallon, mais quand j'ai entendu parler de l'école commune, j'ai reconnu comme une sœur le tronc commun de l'enseignement français.

     

    Monsieur BAYET, Président de la Société des Agrégés

     

    J'ai beaucoup apprécié, Docteur PAUL, votre exposé et je voudrais, à partir de l'exemple que vous avez donné en Allemagne, dire quel est mon sentiment au sujet je m'en excuse auprès de Monsieur le sénateur SERAMY -de ce que je considère, moi, comme les dangers de la décentralisation vis-à-vis du service de l'Education Nationale, de l'instruction publique nationale.

    Qu'est-ce qui nous a été dit ? Il nous a été dit que selon qu'un Land est de couleur socialiste, ou de couleur chrétienne démocrate, le système scolaire n'est pas le même. Dans l'un on a la "Gesamtschule" obligatoire, dans d'autres on a des possibilités de choix au niveau de ce que vous appelez la Sème classe, c'est-à-dire, pour nous, l'entrée en 6ème.

    Un deuxième point que vous avez fait remarquer, c'est qu'il est très difficile de passer d'un Land à un autre, puisque suivant le Land, on peut en classe de sixième apprendre, dans les uns, le latin ou le français et dans d'autres, il n'y a pas cette possibilité on est obligé d'apprendre l'anglais… Vous avez dit que très souvent les élèves étaient pénalisés et devaient redoubler une classe pour s'adapter à un nouvel enseignement.

    Je dis que si on appliquait ce système en France, il y aurait un risque évident de désagrégation de l'unité nationale, et l'on regretterait très vivement le système français qui, malgré ses inconvénients, a au moins le mérite d'assurer, dans l'ensemble des établissements scolaires, ce que j'appellerai un - minimum scientifique commun -, surtout s'il est couronné, à la fin de chaque cycle, par un examen qui n'est pas délivré à l'intérieur des établissements.

    Je suis de ceux qui se méfient comme de la peste de l'autonomie des établissements, notamment publics, car cette autonomie des établissements publics désintègrerait l'instruction publique, et surtout priverait le professeur de sa liberté fondamentale, c'est-à-dire de celle de délivrer son enseignement dans sa classe avec ses élèves, dans sa discipline, selon une règlementation nationale et sous le seul contrôle des autorités administratives et pédagogiques.

    J'ajoute que, comme il a été dit tout à l'heure à propos des propositions qui pourraient être faites dans le cadre d'une alternance politique moi je ne me place pas sur le plan politique, mais comme les élections sont proches il est normal que les organisations interrogent les responsables politiques ces responsables ont dit très clairement, en ce qui concerne un certain nombre de formations, qu'ils abrogeraient la loi SAVARY pour l'enseignement supérieur, et c'est tant mieux parce que la loi SAVARY qu'est-ce que c'est ?... C'est un enfant bâtard, ou légitimé de la loi Edgar FAURE de 1968. Il faut voir où sont les responsabilités - Eh bien, je voudrais que le même engagement soit pris en ce qui concerne au moins la partie de la réforme HABY qui concerne le collège unique, car le collège unique cela a été la pire erreur, en matière d'éducation nationale, qui ait été faite sous le précédent septennat.

     

    Monsieur SERAMY

     

    Monsieur le Président, le seul ennui c'est que nous subissons la décentralisation et qu'il faut la vivre et la vivre au mieux. Mais il est bien certain que l'autonomie pédagogique ne m'a jamais semblé être la bonne formule car on ne peut faire tout partout, n'importe comment et par n'importe qui et ne pas avoir un minimum de connaissances et d'enseignements communs et nécessaires car, sinon, de quelle manière pourrait-on passer d'un établissement dans un autre ? Si vous relisez ce que je disais à Monsieur Christian BONNET lors de la première loi, vous pourriez constater que je n'étais pas favorable à la décentralisation en matière d'enseignement: c'était le seul domaine qu'on ne pouvait pas décentraliser.

    Or, en fait, qu'est-ce qu'il se passe : on n'a pas décentralisé au niveau de la pédagogie; on a décentralisé tout ce qui coûtait quelque chose c'est une autre affaire…et c'est pourquoi nous ne sommes pas très satisfaits. On a décentralisé les bâtiments, les frais de fonctionnement, etc.… L'Etat décide, la commune paye. Je suis tout à fait d'accord avec vous, je dis que la décentralisation de l'enseignement est une erreur, car elle mène aux difficultés que nous connaissons. Il faut donc essayer qu'au moins nous ayons une certaine homogénéité en ce qui concerne le minimum garanti; car si on arrivait au "minimum garanti" ce serait déjà important. Mais ce n'est pas à cela que l'on est en train d'aboutir.

    Vous avez entendu Monsieur CHEVENEMENT faire de très belles déclarations, auxquelles je souscris d'ailleurs tout à fait : apprendre à lire, à écrire et à compter ; très bien! Mais, dans le même temps, il supprime les enseignements de soutien. Enfin il a lancé ce hochet publicitaire qui s'appelle "l'informatique dans toutes les écoles" une énorme fumisterie, car vous savez très bien que tout cela ne signifie rien et que, de toute manière, cela va coûter fort cher.

     

    Un Professeur à l'Université de PARIS-NORD

     

    Je voulais faire un petit commentaire général: je crois qu'on n'échappe pas à l'époque à laquelle on vit et, en particulier, je crois qu'à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, tous les pays développés au moins ont subi la même évolution.

    On ne peut pas échapper au fait qu'après la seconde guerre mondiale, le système éducatif a eu à traiter, en particulier au niveau du collège, du lycée et de l'enseignement supérieur, un beaucoup plus grand nombre de "clients" qu'avant la seconde guerre mondiale. Et ce qui est vrai en France, l'est aussi aux Etats-Unis, en Allemagne et au Japon.

    Je sais qu'il y a un grand nombre d'attaques contre le collège unique, et je crois qu'elles sont justifiées, surtout de la façon dont on a essayé de le faire fonctionner avec des maîtres quelquefois fort peu qualifiés puisqu'on a été les recruter au niveau inférieur pour les injecter dans un cycle qui, précédemment, était celui du lycée. Mais je ne crois pas que le collège unique ou le moule commun de la période qui va entre 10 et 15 ans soit nécessairement une mauvaise chose.

    Au Japon, pour la période qui va de 10-11 à 15-16 ans, c'est un collège unique qui fonctionne ; mais ensuite il y a deux niveaux différents de scolarisation de second cycle : l'un qui correspond grosso modo à ce qui existe dans tous les pays développés : d'un côté le lycée et de l'autre côté un enseignement plus technique. Mais cela change au niveau de l'enseignement supérieur. Au Japon, tous ceux qui ont suivi le cycle long dans l'enseignement secondaire ont le baccalauréat enfin, 95 ou 90%. Mais, par contre, il y a un examen et un concours d'entrée dans tout ce qui est l'enseignement supérieur.

    En ce qui concerne le lycée ou le collège, les situations sont différentes de ce qu'elles étaient avant la seconde guerre mondiale et que l'on dise que c'est Langevin-Wallon ou que sais-je, de toute façon on n'est pas dans la même situation et peut-être y a-t-il des reflets politiques là-dedans.

    Nous sommes en fait depuis 1965 dans une situation trouble du système éducatif et on ne peut pas évacuer le mouvement qui en France, chez nous, s'appelle Mai 68, mais qui a eu lieu dans tous les pays je veux dire que cela a eu lieu aussi dans les collèges américains; d'ailleurs, les Américains se posent beaucoup de questions quant au niveau auquel se trouve maintenant leur système éducatif. On ne peut pas évacuer la période 68-85, qui a vu des professeurs être formés dans un système éducatif très politisé. Monsieur PAUL disait que les maîtres qui arrivent dans le système éducatif sont souvent fortement politisés; mais c'est vrai dans tous les pays.

    Les problèmes qui sont ceux du système éducatif français existent, mais je crois qu'on a tendance à les maximiser pour des raisons que je n'arrive pas tellement à comprendre.

    On aurait intérêt à améliorer la qualité de l'encadrement, le niveau de formation des maîtres, et ceci est vrai dans tous les cycles, bien évidemment y compris à la maternelle.

     

    Un interpellateur

     

    Monsieur le Sénateur, vous avez très bien, tout à l'heure, décrit le processus de nomination des maîtres selon la loi DEBRE et tel qu'on peut l'envisager maintenant, et vous avez très bien démontré à quelle situation de blocage nous pouvions arriver et, d'autre part, de quelle manière nous pourrions arriver, probablement, mais avec beaucoup de temps probablement aussi, à sortir de ce blocage par des procès, pour non respect de la lettre, ou de l'esprit de la loi.

    Cela étant, est-ce qu'il ne faudrait pas souligner dans le même temps très fortement que les directeurs qui ne voudront pas accepter tel candidat proposé par les recteurs devront motiver leur refus. Ceci me paraît de première importance, car en droit c'est ce qu'on appellerait volontiers le renversement de la charge de la preuve; c'est-à-dire que le Directeur n'a donc plus l'initiative de la recherche de recrutement comme ferait tout chef d'entreprise qui cherche quelqu'un apte à remplir un poste donné.

    Ne devons-nous pas craindre, plus encore même que les problèmes financiers, les problèmes moraux et les problèmes de personnalité des professeurs ? Ne pourront-ils pas, sous un certain contrôle de syndicats puissants que nous connaissons, introduire dans nos établissements privés, et notamment confessionnels, des maîtres que nous ne voudrions pas et pour lesquels, je le répète, les directeurs devront motiver le pourquoi de leur refus ?

    Or, je crois avoir entendu il y a quelques jours qu'une nouvelle loi allait passer, assimilant au racisme le fait, par exemple, qu'on refuse quelqu'un parce qu'il est homosexuel. N'est-ce pas également quelque chose qu'il faut redouter ?

     

    Monsieur SERAMY

     

    Je crois que nous ne pouvons que souscrire à ce que vous avez dit ; il est bien certain qu'il faudra apporter la preuve. Pour l'heure, on attend le décret en gestation. Que sera-t-il ? Nul ne le sait encore malgré les affirmations de large concertation -avec qui ? -Mystère !

    Et je puis vous dire que je suis comme Saint-Thomas je ne crois que ce que je vois.

     

    Monsieur le Doyen NATTER

     

    Monsieur le Sénateur, je suis à la fois Doyen d'une Faculté libre : la Faculté libre de PARIS et, de surcroît, Maître de conférences à la Sorbonne. Et je voudrais vous exprimer les difficultés que nous éprouvons sur certains points pour le fonctionnement de ces Universités libres et pour l'application complète de la liberté qui nous est reconnue par la loi. Elle concerne en particulier le problème des examens et des diplômes.

    Dans la situation actuelle, nous avons des conventions avec des universités de l'Etat qui, dans certains cas, fonctionnent bien et, dans d'autres cas, fonctionnent moins bien. Il y aurait donc là à rechercher une solution qui soit pratique et satisfaisante.

    Il y a quelques années, Madame SAUNIER-SEITE, envisageait la possibilité de dénationaliser les diplômes universitaires qui, à l'heure actuelle, sont garantis par l'Etat, mais une garantie qui, en fait, ne signifie pas grand chose du fait que d'une université à l'autre le contenu et l'orientation, et l'esprit de ces diplômes, sont très différents. Alors, pour ma part, je souhaiterais que pour l'avenir on envisage cette possibilité effective de dénationaliser les diplômes et que chaque Université décerne ses DEUG, ses licences, ses doctorats et qu'on s'aperçoive très rapidement de la qualité des uns et des autres, alors qu'à l'heure actuelle il y a une sorte de tromperie à placer sous le même label de qualité garantie par des fonctionnaires du Ministère de l'Education Nationale, et non pas des Universitaires, des diplômes qui, sous le même nom, ont des valeurs tout à fait différentes.

     

    Monsieur SERAMY

     

    La dénationalisation de tous les diplômes : certainement pas.
    Il faut faire une distinction entre eux : ni du tout Etat, ni du tout Universités, et c’est pourquoi je vous renvoie au débat que nous avons eu sur justement les problèmes de l'Université et sur ma proposition de loi.

     

    EXPOSE de Monsieur W.W. HALSEY (Etats-Unis)


    Resident Director School Year Abroad (SYA),RENNES

    Merci beaucoup de m'avoir invité parmi vous.

    Quand Monsieur André LABAT m'a convié à venir vous parler de l'enseignement aux Etats-Unis, j'ai d'abord hésité sachant que je serai certainement très pris à cette époque de l'année scolaire. J'ai fini par accepter une invitation qui me flattait et qui m'intriguait à la fois, mais je ne savais pas, au mois de mars, combien mes réticences étaient justifiées ! Car ce n'est que depuis lors que m'étant donné la peine d'étudier pour la première fois, je vous l'avoue, les différents aspects de notre système, j'ai compris la complexité et la difficulté de la tâche que mon nouvel ami m'avait proposée.

    En effet, le système d'enseignement public aux Etats-Unis est le plus ancien et le plus important du monde, comptant près de quarante millions d'élèves dans quatre vingt six mille écoles primaires et secondaires, réparties parmi seize mille districts plus ou moins indépendants dans cinquante états différents, chacun avec ses propres statuts. Ajoutez au colosse de l'enseignement public vingt sept mille écoles privées avec leur six millions d'élèves et vous commencez à comprendre l'immensité du sujet. Sans parler des trois mille cinq cents universités et autres établissements d'enseignement supérieur, tous indépendants, avec un effectif total de quelques douze millions d'étudiants.

    Il est bien évident qu'en vingt minutes, je ne pourrai pas vous expliquer en détail tout ce qui se passe actuellement dans chaque secteur d'un domaine aussi vaste et complexe. Je me propose donc de me borner à trois questions fondamentales :

    • La diversité et l'uniformité qui existent dans les structures de base

    • Financement de ces structures

    • Un coup d'œil rapide sur les problèmes et les projets de réforme actuels.

     

    1.- LA DIVERSITE ET L'UNIFORMITE QUI EXISTENT DANS LES STRUCTURES DE BASE

    Quand j'ai commencé à préparer cet exposé, j'ai pensé à l'histoire de l'éléphant et des aveugles indiens. Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire; elle est archi-connue aux Etats-Unis ; mais j'ai pensé à cela parce qu'il ne faut pas se laisser piéger comme les aveugles qui essayaient de s'expliquer ce que c'était qu'un éléphant : l'un qui touchait aux flancs de l'animal prétendait qu'un éléphant était comme un mur; l'autre qui tâtait sa jambe disait que c'était plutôt comme un arbre; et un troisième qui se trouvait avec la queue entre ses mains restait persuadé qu'un éléphant n'était qu'une espèce de grosse corde.

    Le système américain n'est ni mur, ni un arbre, ni une corde mais un grand ensemble d'éléments les plus divers.

    Dans mon texte, d'ailleurs, le mot "système" est entre guillemets, car ce n'est qu'un terme approximatif qui risque de tromper. Qui dit "système" pense sans doute "centralisation" ; or, les caractéristiques les plus frappantes de l'enseignement américain (après son immensité) sont sa diversité et son extrême décentralisation. Il n'existe pas un "système" unique pour tous les Etats-Unis, mais un grand nombre de systèmes parallèles pour les écoles publiques, avec à côté une multitude d'écoles privées totalement indépendantes les unes des autres et de presque tout contrôle centralisé.

    Il faut se dire au départ une chose fondamentale : même dans les écoles publiques, le pouvoir du gouvernement fédéral est relativement faible aux Etats-Unis. Il ne joue aucun rôle dans la gestion des écoles ; il ne paie aucun professeur ; il n'impose aucun programme scolaire, aucun examen, aucun diplôme. C'est à chacun des 50 états qu'incombe la responsabilité d'établir les grandes lignes de l'enseignement public sur son territoire, et ce sont les conseils d'administration élus dans chacun des seize mille (16.000) districts qui en assurent le fonctionnement.

    Etant donné une structure de base aussi décentralisée, il n'est pas étonnant qu'il y ait autant de différences de statuts d'un Etat à l'autre. Quelques exemples en donnent l'idée :

    • l'école est obligatoire dans tous les états, mais il y en a où les objecteurs de conscience ne sont pas soumis à la loi.

    • l'âge minimum pour le début de la scolarité, obligatoire, varie entre 5 ans et 8 ans.

    • dans la plupart des états, les jeunes sont obligés de rester à l'école jusqu'à l'âge de 16 ans ; mais l'âge minimum pour la fin de la scolarité obligatoire varie entre 13 et 18 ans.

    • le nombre d'heures de cours obligatoire varie entre 4 et 7 heures par jour.

    • le nombre de jours de classe par an exigé par la loi varie entre 150 et 190.

    Les écoles publiques

    Il existe des écoles publiques secondaires qui se spécialisent dans un domaine comme la science ou les études commerciales, par exemple, et j'ai même lu cette semaine un article assez étonnant : il paraît qu'il existe maintenant, depuis quelques mois à NEW YORK, une école publique pour les homosexuels ; c'est assez effarant, mais c'est pour vous dire à quel point la diversité peut être poussée. Mais, malgré le fait qu'il existe ces écoles spécialisées, la très grosse majorité sont à vocation universelle. C'est-à-dire qu'elles proposent dans le même établissement une formation intellectuelle pour ceux qui souhaitent continuer leurs études au niveau universitaire, un programme d'études techniques pour ceux qui comptent entrer dans la vie active dès la sortie de l'école, et un programme "général" pour les élèves qui ne savent pas encore quelle voie prendre.

    Ces "High schools" se trouvent dans les grandes villes (10 %), dans des régions rurales, où les districts peuvent s'étendre sur des centaines de "miles" autour de l'école (56 %), ou dans la banlieue des grandes villes (34 %). A peu près la moitié des élèves sont scolarisés dans les écoles de banlieue.

    Il y a des écoles qui comptent jusqu'à 5.000 élèves, d'autres qui n'en ont que 50. Il y en a où presque tous les élèves vont jusqu'au diplôme de fin d'études et où la majorité continue à l'université et d'autres où la moitié quitte l'école en cours de route.

    Globalement 75 % des jeunes vont au diplôme high school, 47 % poursuivent leurs études dans un établissement d'enseignement supérieur. Je pense à l'intervention de ce Monsieur qui était assis à gauche, là; il est vrai que depuis la deuxième guerre mondiale, il y a eu beaucoup de progrès dans ce domaine; en 1945, il n'y avait que 50 %, je crois, qui terminaient leurs études secondaires et 21 %, à peu près, qui continuaient à l'Université.

    Les écoles privées

    Passons maintenant aux écoles privées qui fonctionnent à côté, et souvent en concurrence amicale avec les écoles publiques. Là aussi le sujet est vaste, les Etats-Unis étant le pays du monde où il existe le plus grand nombre d'écoles privées et où (si je ne m'abuse) leur pourcentage par rapport aux écoles publiques est le plus élevé aussi.

    En tout, il y a à peu près vingt sept mille écoles privées, soit 24% de toutes les écoles primaires et secondaires. Y sont scolarisés à peu près six millions d'élèves, soit 13 % de l'effectif total. Je dis bien "à peu près", car nous ne savons pas exactement combien de petites écoles peuvent exister : bien que fonctionnant en toute légalité, certaines refusent de répondre aux sondages effectués par les autorités d'Etat ou par les associations d'écoles privées. Ce manque de précision dans nos statistiques témoigne en soi, et de façon assez éloquente, d'un régime qui a tendance à échapper aux contrôles centralisés, c'est le moins qu'on puisse dire.

    Le monde des écoles privées est donc très diversifié, mais on peut quand même classifier ces établissements en 4 catégories générales :

    • la catégorie la plus importante est celle des écoles catholiques. Elles sont au nombre de dix mille et comptent quelques trois millions d'élèves. Elles dépendent du diocèse, emploient beaucoup d'enseignants ecclésiastiques, et ont des classes assez chargées avec des effectifs qui peuvent monter à quarante élèves ou plus.

    • après les écoles catholiques, le groupe le plus important est celui des chrétiens évangéliques qui ont fondé -et cela c'est extraordinaire -entre cinq et dix mille écoles depuis une quinzaine d'années seulement. Ils ont à peu près six cent mille élèves auxquels ils donnent une formation basée sur l'interprétation littérale de la Bible. Ces écoles se méfient profondément de toute autorité extérieure à leur église, d'où le vague dans nos chiffres.

    • les autres écoles religieuses (Luthériennes, hébraïques, épiscopaliennes et autres) sont au nombre de deux mille cinq cents, avec environ cinq cent mille élèves, surtout dans le cycle primaire.

    • la dernière catégorie est la moins importante en nombre, mais peut-être la plus importante en ce qui concerne le rôle joué par ses anciens élèves dont le Président KENNEDY, le Président ROOSEVELT, etc... C'est celle des écoles dites "indépendantes". Nous évitons le mot "privée" car c'est un adjectif avec des résonnances d'exclusivité, et ce sont des écoles qui se veulent ouvertes à tout élève ayant les capacités intellectuelles pour suivre leur programme d'études.

    Ces écoles non confessionnelles sont sélectives et, en général, d'un excellent niveau intellectuel. Les effectifs des classes sont restreints (12 à 18 maximum) ; l'enseignement y est individualisé dans la mesure du possible et la quasi totalité des élèves continue leurs études au niveau supérieur, souvent dans les meilleures Universités.

    Les écoles indépendantes sont au nombre de mille et comptent environ trois cent cinquante mille élèves.

    Toutes les écoles non publiques - qu'elles soient religieuses ou non-confessionnelles – jouissent d'une liberté parfaite en ce qui concerne le choix des programmes, le recrutement des professeurs, la pédagogie, la gestion. Comme n'importe quelle autre société ou association, elles doivent respecter, bien sûr, la Constitution des Etats-Unis et les lois qui en découlent, ainsi que les normes de sécurité et d'hygiène publiques imposées par les autorités locales, mais elles sont libres de dispenser l'enseignement qui leur paraît le plus valable, de la manière qui leur semble la plus efficace.

    A vrai dire, elles ne sont soumises qu'à une loi fondamentale celle du marché. Etant donné qu'elles dépendent de leurs clients pour leur soutien financier, il faut qu'elles proposent un "produit" qui trouve des "acheteurs". Pour la plupart des écoles non-publiques, et certainement pour toutes celles qui se trouvent dans la catégorie des "indépendantes", le "produit" recherché par les élèves, et leurs parents, c'est une éducation morale et intellectuelle de haut niveau dispensée dans une ambiance agréable où les différences et les personnalités de chacun sont respectées. C'est une formation qui doit donner aux élèves plus de confiance en eux-mêmes, et un certain entraînement au "leadership" ; et c'est surtout une formation qui doit leur ouvrir les portes des meilleures universités.

    Dans une grande mesure, ce sont les exigences des Universités et la rude concurrence pour se faire admettre dans les plus connues qui garantissent la qualité des établissements secondaires. Il est évident que dans certaines écoles publiques, ou même dans certaines écoles privées, on peut choisir un programme très léger, comprenant quelques heures seulement d'anglais et de maths élémentaires, complétées par un cours de chant ou d'auto-école mais, et c'est vrai, l'élève qui ambitionne d'obtenir une place à HARVARD ou a STANFORD a intérêt à faire quatre années d'une langue étrangère et de pousser l'étude des mathématiques, de l'anglais, de l'histoire et des sciences physiques et naturelles aussi loin que possible.

    Le pourcentage de reçus au baccalauréat n'est pas affiché chaque année pour la simple raison qu'il n'y a pas de baccalauréat ni d'autre examen de ce genre; mais les parents et les élèves étudient avec attention la liste des Universités accueillant les diplômés de leurs écoles, quand les Universités annoncent leurs décisions vers le 15 mai, chaque année.

    Voilà donc une description rapide des écoles publiques et privées fonctionnant aux Etats-Unis. Vous avez vu qu'elles sont extrêmement nombreuses et diverses, et, pourtant, il existe chez nous un accord pour ainsi dire unanime sur leur rôle dans une démocratie et sur la forme que l'enseignement qu'elles dispensent doit prendre. Ce sont les écoles qui ont "américanisé" les vagues successives d'immigrants qui ont créé notre pays; ce sont les écoles qui sont censées donner à chacun aujourd'hui les mêmes possibilités de réussite.

    Ouvrez le prospectus de n'importe quelle école ou université privée ; consultez la charte de l'office d'éducation de n'importe quel Etat, et vous verrez la description d'une organisation qui ne varie que peu d'une école à l'autre, et vous trouverez partout exprimés les mêmes objectifs pédagogiques, le même idéalisme social.

    Pour vous donner quelques exemples, un établissement public en Californie se propose d'assurer à ses élèves, non seulement indépendance d'esprit et réussite dans l'acquisition des connaissances de base, mais encore le goût de la compétence économique et professionnelle, les vertus civiques, l'efficacité dans les relations humaines, l'élévation morale, l'épanouissement physique et spirituel, et l'ouverture de l'esprit aux valeurs esthétiques et de la culture générale.

    Comme si cela ne suffisait pas, cette école promet par surcroît de développer en ses élèves la capacité de prendre des décisions raisonnées, de résoudre des problèmes, et de "s'auto-évaluer", en vue du développement continu de leur propre esprit !

    Avouez que le programme est ambitieux ! !

    Une autre école, à 5.000 kilomètres de la Californie, au Nord de B0STON, est fière de publier chaque année les objectifs de son fondateur, rédigés en 17B2, mais considérés comme toujours aussi valables de nos jours. Je cite le fondateur :

    "Considérant en effet que d'une part la bonté sans connaissances demeure insuffisante et faible et que, d'autre part, la science sans conscience peut être dangereuse, il ne faut jamais cesser de cultiver les deux conjointement… science et bonté réunies étant les qualités indispensables à celui qui souhaite servir l'humanité. "

    et aux responsables actuels de l'école d'ajouter :

    "Maintenant arrivée au début du troisième siècle de son existence, Exeter est fière de réaffirmer l'idéal qui anima son fondateur. Comme par le passé, l'Académie d'Exeter ouvre son enseignement sur les liens essentiels unissant la morale et le savoir, afin que ses étudiants puissent un jour servir utilement leur pays et l'humanité. "

    Vous avez dû remarquer qu'on parle souvent de la formation morale. C'est un point capital ; car, à divers degrés, toutes les écoles américaines - publiques, religieuses ou indépendantes - se donnent la tâche d'y veiller. Trois thèmes sont constants : l'importance de chaque individu et de son épanouissement ; la formation de son caractère : indépendant, tenace, débrouillard, et honnête de préférence et l'importance du service dû à la société.

    Une autre constante dans les écoles américaines, moins profonde peut être, mais intéressante cependant c'est leur façon de s'organiser. C'est presque partout une organisation traditionnelle qui ne dérouterait aucun européen parachuté dans une école du Wyoming ou de l'Alabama. La journée est divisée en "heures" de 50 minutes environ ; les élèves, groupés pour la plupart selon leur âge, vont d'une classe à l'autre, chargés de cahiers et manuels.

    Dans les meilleures écoles, les effectifs sont restreints (12 à 15 élèves environ), les professeurs sont actifs et exigeants ; les discussions, sur un sujet préparé toujours à l'avance, sont animées et constructives. Dans les écoles moins favorisées les effectifs sont plus importants (entre 25 et 35, ou même 40 élèves), les professeurs et les élèves peut-être moins motivés, les cours plutôt "magistraux" et peut-être moins stimulants.

    Les élèves étudient quatre ou cinq matières et ont, en général, 16 à 25 heures de cours par semaine. Dans les meilleures écoles, le travail personnel exigé de l'élève chez lui est important -jusqu'à 4 ou 5 heures tous les soirs. Dans les moins bonnes écoles, par contre, très peu de travail est demandé à l'élève à la maison.

    Le sport joue un rôle important et il existe aussi dans toutes les écoles de nombreux clubs et autres activités, tel le journal de l'école, la revue littéraire, la station-radio, l'orchestre, la chorale, ou le conseil des élèves. Dans toutes ces activités les jeunes sont encouragés à prendre d'importantes responsabilités et à confronter des problèmes concrets. Pour ne donner qu'un seul exemple, c'est au rédacteur (ou à la rédactrice) en chef du journal -toujours un élève de première ou de terminale -de motiver son équipe de journalistes néophytes; de veiller à ce que tous les articles soient remis en temps voulu, d'en assurer la mise en page, l'impression et la distribution. Sans parler du côté gestion; il faut vendre de la publicité pour payer l'impression du journal. Il ya un numéro du journal des élèves à peu près tous les mois dans les petites écoles, tous les quinze jours dans les écoles de cinq cents élèves ou plus, et tous les huit jours dans les écoles ayant une bonne tradition journalistique dans les universités le journal des étudiants est un vrai quotidien. Là, j'ai apporté quelques exemplaires du journal de mon école aux Etats-Unis qui paraît à peu près tous les quinze jours. Cela en est un autre ; celui-là sort toutes les semaines. Ce sont les élèves qui le font; ils font tout. Là, c'est une école qui a, à peu près, mille élèves. Il est à remarquer aussi que cette formation pratique se poursuit en dehors de l'école. Ce n'est pas pour rien qu'on dit que les Américains sont entreprenants : 75 % des lycéens ont un emploi à temps partiel les après-midi et les week-ends. Et nombreux sont les élèves qui travaillent bénévolement dans les hôpitaux, les asiles, ou dans les quartiers déshérités de leurs villes. Il y a même de plus en plus d'écoles qui exigent maintenant un minimum d'action sociale pour l'obtention du diplôme de fin d'études.

    La fin des études secondaires est toujours célébrée par une grande cérémonie de remise de diplômes, et de distribution de prix, en présence des parents, des professeurs et de personnalités locales ou même nationales, selon l'école. Cette cérémonie revêt un caractère sacré, rituel, dans toute école, et c'est en quelque sorte le seul rite de passage que notre culture réserve à ses jeunes, leur conférant ainsi le statut d'adulte, quel que soit leur âge.

    Il y a donc des points communs entre les écoles, tant dans la forme que dans le fond. Pourtant, elles ne sont pas égales aux yeux des parents. En effet, tous les sondages, depuis une quinzaine d'années, nous indiquent que les parents d'élèves sont de moins en moins satisfaits des écoles publiques. Pourquoi ? Ils accusent :

    - le manque de discipline allant parfois jusqu'à la délinquance grave,

    - la baisse de ressources financières,

    - le syndicalisme militant des professeurs, dans certaines villes,

    - le pouvoir diminué des conseils locaux pour établir leurs budgets,

    - et le manque de travail personnalisé dans les écoles à vocation universelle groupant plus de deux milles élèves.

    De plus en plus, les gens se tournent vers les Écoles non publiques, écoles qu'ils considèrent comme des havres d'ordre et de rigueur intellectuelle, dont les dimensions humaines permettent aux professeurs qui aiment leur métier de bien s'occuper de chaque élève, quel que soit son niveau.

    Je vous ai fait remarquer déjà l'étonnant succès des écoles "évangéliques" depuis une quinzaine d'années. Partant de zéro, elles comptent maintenant peut-être six cent mille élèves. De même, le nombre d'élèves dans les écoles de la catégorie "indépendante" a augmenté de 24% depuis 1973 tandis que celui des élèves inscrits dans les écoles publiques a baissé de 18% pour la même période.

    Les écoles publiques ne sont pas près de disparaître, loin de là... et nous, qui travaillons dans les écoles indépendantes, sommes contre tout projet de loi qui les affaiblirait davantage. Mais la tendance est tout de même significative.

     

    2.- FINANCEMENT DES ECOLES

     

    Nous avons beaucoup parlé de structures, de philosophie et d'objectifs d'une grande Élévation. Revenons un peu sur terre pour discuter du côté matériel de l'affaire. Comment sont financées ces structures ? Qui, dans la société américaine, est censé subventionner les bonnes idées de nos meilleurs pédagogues ? Comme pour le reste, il y a bien sûr, deux systèmes parallèles : le financement des écoles publiques, et celui des écoles non-publiques.

    Les écoles publiques

    En ce qui concerne les écoles publiques, traditionnellement les revenus provenaient des impôts fonciers de leur localité... un système qui avait pour résultat de créer de grosses inégalités entre les écoles des villes prospères et celles de localités où les valeurs immobilières étaient moindres.

    Ces inégalités, hélas, existent toujours, mais la tendance actuelle est de les réduire en répartissant maintenant les fonds destinés à l'enseignement, non pas au niveau local, mais de plus en plus au niveau de chaque état.

    Les écoles privées

    La situation financière des écoles privées est totalement différente. Deux points essentiels à retenir au départ :

    1. Les écoles privées ne reçoivent pour ainsi dire aucune subvention de leur Etat, ni du gouvernement fédéral

    2. Bien que les frais de scolarité puissent monter à10.000 dollars par an pour un internat, le coût moyen par élève et par an dans les écoles privées est élevé que celui des écoles publiques

    Les écoles privées ne peuvent en aucun cas donc être considérées comme des réserves de familles aisées. Ce sont souvent des gens très simples qui y envoient leurs enfants, en faisant peut-être des sacrifices personnels considérables. N'oubliez pas que les écoles sont chères car justement parce qu'elles ne reçoivent aucune subvention de l'Etat, et que les familles paient leurs impôts locaux, qu'elles profitent de l'école publique gratuite ou non. Pour nous, c'est simple : il y a un dicton américain qui dit: "on ne peut pas conserver son gâteau et le manger aussi." Ce n'est pas parce qu'on ne prend jamais le bus ou le train qu'on se fait rembourser les impôts destinés à subventionner les transports en commun -et d'ailleurs le train n'a pas de subvention aux Etats-Unis -.Ce n'est pas parce qu'on envoie ses enfants dans des écoles payantes qu'on se fait rembourser l'argent destiné aux écoles publiques et gratuites. Pour avoir le choix, pour rester libres et indépendantes, les familles américaines savent qu'elles doivent payer, et elles ne reculent pas devant le sacrifice.

    Pour couvrir les frais de scolarité, les familles modestes sont obligées de prendre un deuxième emploi, ou de manger moins bien, ou de se priver de vacances et d'autres luxes, ou bien de faire rouler le vieux char familial une année de plus. J'ai même entendu parler récemment d'une famille qui a vendu sa maison pour pouvoir garder ses enfants à l'école privée !

    Mais il n'y a pas que les familles qui font l'effort. Toute école qui se respecte fait tout ce qu'elle peut pour faciliter l'accès aux enfants bien doués de familles modestes.

    Ce sont les écoles les plus fortunées qui peuvent se permettre d'être les plus généreuses bien sûr. A SAINT- PAUL's SCHOOL, un internat dans le New Hampshire, par exemple, la participation payée par les parents ne couvre qu'un tiers du coût réel de l'enseignement dispensé. Tous les élèves, donc, bénéficient automatiquement d'une sorte de bourse, payée par les revenus des investissements de l'école et par des dons d'amis et d'anciens élèves. En plus, l'école a accordé l'année dernière une bourse supplémentaire à 30% de ses élèves. A peu près 10 % du budget, soit plus d'un million de dollars, est consacré à l'aide financière aux familles chaque année.

    Les chiffres sont encore plus élevés au niveau des universités. A PRINCETON, par exemple, où les frais de pension et de scolarité s'Élèvent maintenant à plus de 15.000 dollars par an, 13.000 dollars sont mis de côté chaque année pour aider les boursiers... 50 % des étudiants.

    Pourquoi les anciens élèves – et souvent les parents d'élèves aussi - donnent-ils si volontairement, si généreusement, à l'ALMA MATER ? Il y a d'abord une raison pratique, d'ordre fiscal. En effet, les dons aux associations à but non lucratif (églises, hôpitaux, musées, organismes charitables comme la Croix Rouge, écoles, universités) sont, depuis 1939, exempts d'impôts. Cela veut dire que pour quelqu'un qui paie 50% de ses revenus à l'Etat en impôts, chaque dollar qu'il offre à son école ne lui coûte vraiment que 50 cents. Mais les avantages fiscaux n'expliquent pas entièrement le phénomène des donations volontaires. Après tout, il faut quand même sortir les 50 cents, ou les 50.000 cents, ou les 50 millions de cents de sa poche !

    Non, pour comprendre vraiment la mentalité américaine, il faut revenir à ce que je disais au sujet des objectifs de l'enseignement et de la vie à l'école aux Etats-Unis. Il n'y a pas que l'intellect qui compte, mais le caractère aussi. Tout simplement, pour des millions de lycéens et d'étudiants aux Etats-Unis, l'école C'EST LA VIE, pendant 4 à 8, ou même 12 ans.

    L'école est une petite communauté qui offre à ses membres non seulement les études, mais les distractions, les sports, la formation professionnelle et les contacts humains. Les liens d'amitié qui s'y créent entre étudiants et avec les professeurs durent la vie entière. C'est à l'école pour certains, à l'université pour d'autres, qu'on se prend en charge, qu'on découvre sa vocation professionnelle, qu'on trouve même son épouse ou son époux. En grande partie la suite de la vie est décidée pour des millions d'Américains chaque année au sein de leur école.

    L'école nous aide donc à trouver notre voie, et nous donne les moyens intellectuels et personnels pour y réussir. Nous en sommes conscients. Nous en sommes reconnaissants. Chacun selon ses moyens, nous essayons de faire en sorte que la tradition continue pour ceux qui nous suivront.

    Très souvent ce sont les anciens boursiers qui s'avèrent les plus généreux, car ils tiennent à ce que d'autres jeunes bénéficient des mêmes possibilités. "Mon école (ou mon université) m'a fait confiance, a misé sur moi," disent-ils. "C'est avec plaisir que je repaie ma dette". Ils donnent volontiers de leur vivant, et ils n'oublient pas l'ALMA MATER quand ils s'en vont dans l'autre monde. Récemment, un ancienélève d'un internat près de BOSTON qui n'était pas revenu à l'école depuis 1920- a légué 20 millions de dollars (20 milliards de centimes !) pour fonder à perpétuité une bourse destinée à payer tous les frais d'études et de voyage pour seize élèves de son Etat, le Montana… et cela pendant quatre années d'internat et quatre années d'université par la suite, à HARVARD de préférence !

    En 1982 une seule personne a laissé 77 millions de dollars à HARVARD et 38 millions de dollars à l'UNIVERSITE WASHINGTON à St-LOUIS.

    Il n'y a pas de mystère: la qualité dans l'enseignement coûte cher; les meilleures écoles américaines sont riches et elles font tout pour maintenir leur situation favorisée. Tous les ans, tous les anciens élèves (même ceux qui ont §t§ renvoyés -ils aiment parfois prouver qu'ils ont réussi dans la vie "quand même" -)1 de toutes les écoles sont sollicités; et chaque école a un service à plein temps qui s'occupe de ce qu'on appelle discrètement le "développement", autrement dit la quête des fonds, en permanence. Mais si les meilleures écoles sont riches, ce n'est pas pour autant -et j'insiste sur ce point -qu'elles sont réservées uniquement aux riches. Au contraire, elles ouvrent leurs portes à tous ceux qui ont les moyens - INTELLECTUELS - de tirer un maximum de profit de leurs études et de leurs activités extra-scolaires, et elles font tout pour y faire entrer un maximum d'élèves de régions et d'origines différentes.

    Cela tient à trois raisons :

    • premièrement, une raison fiscale. Les écoles qui refusent l'entrée aux noirs et autres minorités raciales risquent de perdre leur statut fiscal d'association, exempte d'impôts et habilitées à recevoir des dons également exemptés.

    • deuxièmement, et plus important, une raison pédagogique: nous sommes persuadés qu'une école représentative de l'ensemble de la société est par définition meilleure que celle où les élèves manqueraient de contacts avec des élèves et des professeurs d'origines et de points de vue différents des leurs.

    • troisièmement, et là c'est la raison la plus importante: une raison sociale. Nous considérons qu'il est de notre devoir d'essayer de compenser, si peu que ce soit, les torts infligés jadis et jusqu'à nos jours aux races minoritaires, notamment dans les écoles. Je vous rappelle que la Cour Suprême des Etats-Unis n'a déterminé qu'en 1954 que le système d'école séparée pour les élèves noirs et les élèves blancs n'était pas conforme à la Constitution des Etats-Unis et que, même 10 ans après cette décision historique, il restait plusieurs états dans le Sud de notre pays où pas un seul élève noir n'était admis dans une classe d'élèves de race blanche. La situation n'est toujours pas brillante ; il reste encore des progrès à faire, mais les écoles privées, plus à l'abri des influences politiques et moins contraintes par les impératifs géographiques que les établissements publics, sont bien placées pour aider... .et elles font ce qu'elles peuvent.

    Quelquefois, cette volonté de favoriser le brassage social donne lieu à des initiatives assez extraordinaires. Par exemple, dans la petite école de la banlieue de SAN FRANCISCO où j'ai travaillé pendant trois ans avant de venir en France, un des membres de notre Conseil d'Administration, un Ecossais, a proposé un jour de payer à un élève une bourse complète pendant sept ans. Ses conditions ? Il fallait que le candidat fût à la fois :

    1.- membre d'une minorité raciale,

    2.- extrêmement brillant,

    3.- de famille nécessiteuse... et

    4.- handicapé physique, par dessus le marché.

    Je n'étais pas très optimiste au départ, mais j'ai contacté toutes les écoles publiques primaires dans un rayon d'une vingtaine de miles autour de notre école, leur demandant de me proposer leurs meilleurs élèves pour la bourse. J'ai reçu une bonne douzaine de candidatures ; et nous avons choisi une petite fille remarquable. Mexicaine, elle avait 11 ans à l'époque et s'appelait Antonia ESTRADA. Sa maîtresse d'école nous disait qu'elle n'avait jamais vu une élève aussi brillante en 28 ans de carrière. A la maison, elle ne parlait que l'espagnol avec son père, tailleur, et sa mère, femme de ménage, qui, eux, ne parlaient pas un mot d'anglais. Malgré cet énorme désavantage linguistique, elle a eu le meilleur résultat de tous nos candidats cette année là à l'examen d'entrée en vocabulaire et compréhension de l'anglais. C'était extraordinaire. Notre choix a donc été facile, et les résultats aussi bons qu'on pouvait l'espérer. Antonia a fait d'excellentes études, et 7 ans plus tard elle entre au mois de septembre à STANFORD. Je la vois bien un jour médecin, avocate, ou juge. Le handicap physique ? Je trouvais qu'Antonia parlait avec un léger zézaiement… ! "Handicap" qui a suffi pour satisfaire les exigences de notre mécène. Il ne faut jamais être trop rigide !

    Il est certain qu'il faudra des milliers et des milliers d'Antonia pour créer une société où la justice règnera à 1OO %. Un cas n'est qu'une goutte d'eau dans la mer mais chaque goutte comptera; et ce qui importe c'est que chaque individu et chaque communauté scolaire n'oublient jamais d'apporter à ceux qui en ont besoin l'aide qui leur permettra de développer au plus haut niveau toutes les capacités que Dieu leur adonnées.

     

    3.-UN COUP D'ŒIL RAPIDE SUR LES POSSIBILITES ET PROJETS DE REFORMES ACTUELS

    Je vous ai promis de parler un peu de ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis dans le domaine de l'enseignement. Je vois que le temps passe; mais je tâcherai cependant de résumer rapidement les grandes tendances. Tout d'abord, il faut savoir qu'en 1983 le Secrétaire à l'Education a publié un rapport qui portait le titre provocateur "Une Nation en Danger". Ce cri d'alarme a attiré l'attention du grand public sur les problèmes et les défaillances de l'école publique... et a provoqué un véritable déluge d'études, de "livres blancs", de projets de réforme de l'enseignement américain.

    Déjà, 43 états sur les 50 ont adopté des mesures en vue d'améliorer l'enseignement secondaire: meilleurs salaires et meilleure formation pour les professeurs, journées ou années scolaires plus longues nombre de matières obligatoires augmenté, etc...

    Le Président REAGAN, pour sa part, qui s'intéresse énormément à l'enseignement, a proposé deux lois :

    • la première donnerait aux parents la possibilité de déduire de leurs impôts fédéraux les frais de scolarité payés aux écoles privées. Mais ce projet de loi n'a pour ainsi dire aucune chance d'être adopté dans la conjoncture actuelle étant donné que c'est une mesure qui coûterait à WASHINGTON des sommes immenses tandis que le plus gros problème du Gouvernement REAGAN est son énorme déficit; de plus, les écoles indépendantes sont hostiles à cette initiative.

    • La deuxième mesure a plus de chance d'être adoptée par les Etats car elle ne coûterait rien parce qu'elle a le soutien du plus grand syndicat d'enseignants. Cette réforme donnerait aux parents la possibilité de dépenser l'argent destiné à l'éducation de leurs enfants dans l'école publique de leur choix. Ce qui mettrait les écoles en compétition pour les crédits qu'elles reçoivent maintenant automatiquement, ce qui favoriserait en même temps l'amélioration des niveaux d'étude et permettrait des innovations pour attirer les familles.

    Je vous ai dit qu'il y a eu des centaines de rapports mais de ceux que j'ai pu lire, le plus sérieux, le plus compréhensif, le mieux conçu est celui du professeur Ernest BOYER, Président de la Fondation CARNEGIE pour le progrès de l'enseignement. Les réformes qu'il propose sont pleines de bon sens. Notamment, il conseille aux établissements secondaires de :

    - redoubler d'efforts pour bien enseigner l'anglais,

    - augmenter le niveau et le nombre de matières obligatoires

    - et d'exiger de chaque élève du travail bénévole au service d'autrui

    Le rapport du Professeur BOYER est doublement intéressant, car la fondation dont il est responsable propose de subventionner les écoles qui se portent volontaires pour mettre en pratique les réformes suggérées.

    « Je suis persuadé », écrit le Professeur BOYER, « que le seul moyen de soutenir le mouvement actuel pour améliorer notre enseignement est d'encourager la réforme au niveau de chaque école, les ordres venant du haut de la hiérarchie ont tendance à créer plus de confusion que de réforme ! »

    Il y en a qui prétendent que ce nouvel enthousiasme pour la réforme n'est qu'un phénomène culturel passager, qui revient à peu près tous les dix ans, une ruée vers les sciences après Spoutnik dans les années 50, ouverture à toutes les pédagogies laxistes pendant les années 60, retour aux disciplines et à la rigueur traditionnelles pendant les années 70, et nous en sommes maintenant à "l'excellence,"…le nouveau mot d'ordre parmi nos éducateurs.

    Personnellement, je ne suis pas très optimiste ; d'une part, une réforme profonde dans l'enseignement demanderait 8 à 10 ans, tandis que le cycle politique tourne beaucoup plus rapidement 2 ans ou 4 ans -et, d'autre part -et là j'en finis -, les dimensions du problème me font penser, une fois de plus, à notre éléphant, car réformer l'enseignement, c'est un peu essayer de laver l'éléphant : c'est un projet très ambitieux qui donne rarement des résultats satisfaisants.

    On verra bien...

    Merci beaucoup !

     

    EXPOSE de Monsieur L.A. STRUIK (Pays-Bas)

    Secrétaire General du Conseil Néerlandais pour l’enseignement Catholique - LA HAYE

    Après l'introduction d'un grand pouvoir, c'est le mot pour mon petit pays, je ne parlerai pas du système éducatif néerlandais sur un point trop technique, mais sur la naissance de la liberté de l'enseignement, la réalisation un peu, et le visage actuel de la liberté de l'enseignement.

    Comme pour chaque pays, le système éducatif des Pays-Bas est le résultat d'une longue évolution historique qui reflète le développement d'une mentalité spécifique. Aussi, faut-il revenir en arrière pour comprendre la situation actuelle de l'enseignement aux Pays-Bas.

     

    UN BREF RAPPEL DU PASSE

     

    En 1850, deux partis politiques principaux s'opposaient : "les libéraux" et "les protestants" ; les catholiques, en tant que tels, n'étaient pas encore organisés politiquement. Cela sera bien le cas vers la fin du dix-neuvième siècle.

    Au début du XXème siècle, à côté des partis libéral et chrétiens confessionnels, apparaît, comme dans les autres pays européens, un parti socialiste. Toutefois, celui-ci, plus proche des conceptions social-démocrates que du marxisme orthodoxe, ne prônait pas des nationalisations et militait simplement pour un aménagement de la société.

    En 1848 la constitution proclame la liberté d'enseignement, c'est-à-dire, la liberté juridique donc, l'abolition du monopole scolaire de l'Etat. Dorénavant les particuliers n'avaient pas besoin d'une licence pour fonder une école.

    En 1900 est décrétée l'obligation scolaire, ce qui marque le début d'une âpre lutte scolaire qui durera jusqu'en 1917…

    Entre 1888 et 1918, gouvernements chrétiens et gouvernements libéraux se succèdent. Dans presque toutes les élections, le problème scolaire joue un rôle de premier plan.

    Différentes lois scolaires dans cette période apportent chaque fois de légères améliorations à la situation de l'école privée dont les tenants insistent pourtant avec une énergie croissante pour réclamer le traitement égal de l'école publique et de l'école privée, aussi en matière financière.

    Vers 1917, les proportions numériques entre les différents partis étaient telles que l'opportunité se présenta de proclamer ce qu'on considéra la vraie liberté d'enseignement : c'est-à-dire, la liberté non seulement "de droit", mais liberté effective.

    Cela mena à la révision de 1917 de la constitution. Adoptée à l'unanimité, après une ample préparation à laquelle participaient tous les partis politiques, fut introduit le principe constitutionnel de l'égalité financière entre l'enseignement public et l'enseignement d'initiative privée.

    Appliqué d'abord à l'enseignement élémentaire seulement ce principe a successivement, sur une période d'une dizaine d'années, été étendu à tous les niveaux d'enseignement : cela fait que le régime scolaire des Pays-Bas est jusqu'à présent unique au monde : nulle part ailleurs, je crois, l'école privée n'est, comme chez nous, financée à cent-pour-cent par l'autorité publique : dépenses de personnel, dépenses de fonctionnement et aussi, sous certaines règles, dépenses d'investissements.

    Il faut noter que la loi sur l'enseignement primaire qui a mis en pratique la réforme constitutionnelle et aussi toutes les autres lois qui l'ont suivie, règlementant les autres types d'enseignement font simplement allusion à l'école d'initiative privée, sans mentionner spécialement l'école catholique ou protestante ou neutre ou privée.

     

    LE SYSTEME D'EDUCATION HOLLANDAIS

     

    La division de l'enseignement en deux ensembles distincts - enseignement public et enseignement privé - caractéristique du système néerlandais, aussi n'a guère d'importance en ce qui concerne la structure de l'enseignement, car les lois et règlements d'application garantissent, dans la même mesure, la qualité de l'un et de l'autre.

    Cette division constitue toutefois une des raisons pour lesquelles de nombreuses dispositions légales mettent tant l'accent sur la qualité de l'enseignement.

    Ce système a été façonné pendant plus de soixante ans avec un sens prononcé de détail, comme le veut le tempérament ou le caractère néerlandais et on le préserve dans tous ses prolongements avec un certain zèle et ténacité.

    Il est vrai que les Néerlandais craignent toute forme possible de pédagogie d'Etat. Le principe constitutionnellement garanti de la liberté de l'enseignement les protège à cet égard, d'autant plus qu'il s'accompagne d'une garantie de concrétisation matérielle de cette liberté : devant les caisses des pouvoirs publics, l'enseignement libre et l'enseignement public sont rigoureusement égaux sur le plan financier.

    La parité financière des enseignements public et privé, instaurée par la Constitution, ne représentait au départ qu'un compromis fragile entre des partis qui l'interprétaient diversement et lui attribuaient des nuances différentes. Mais ce compromis est finalement devenu un accord stable et durable que plus aucun intéressé ne se risque à mettre en jeu.

    Même lors de la révision générale dont la Constitution a fait l'objet en 1984, il n'a pas été possible de modifier ce compromis (nommé dans notre histoire constitutionnelle "la Pacification"), sinon sur de très rares points de détail. On avait trop peur que tout changement terminologique ne cachât quelque intention fâcheuse visant à modifier fondamentalement le système éducatif en tant que tel.

    Ce système, on peut le résumer comme suit :

    1. Le Gouvernement veille d'une manière constante à l'enseignement public aussi bien qu'à l'enseignement privé. L'enseignement peut être dispensé librement, sous réserve de la surveillance des pouvoirs publics.

    2. Les pouvoirs publics assurent un accès suffisant à un enseignement public qui respecte la religion et les convictions de chacun.

    3. L'enseignement public et l'enseignement privé sont placés sur un pied d'égalité devant les caisses publiques.

    4. L'enseignement privé doit, pour être financé par les pouvoirs publics, satisfaire à des conditions qui garantissent sa qualité aussi efficacement qu'est garantie celle de l'enseignement public, mais qui respectent, en particulier, sa liberté quant au choix des moyens d'enseignement et à la nomination des enseignants.

    Comme je l'ai déjà fait remarquer, entre 1840, à peu près, et 1917, la vie politique aux Pays-Bas a été placée dans une large mesure sous le signe de la "guerre scolaire". Celle-ci a eu une grande influence sur la formation des partis politiques, de même qu'elle a été l'élément moteur de l'organisation de la société selon des axes déterminés par les diverses convictions philosophiques et religieuses. Ce n'est que vers 1950 que ce critère organisationnel de - on peut nommer -"cloisonnement" a commencé à perdre progressivement de sa rigueur dans différents domaines. Mais, en matière d'enseignement, il est resté en majeure partie intact jusqu'à ce jour.

    Aux Pays-Bas, la liberté de l'enseignement découle directement de la liberté de religion et de croyance, une notion qui s'entend au sens actif la liberté de professer sa religion et ses convictions, la liberté non seulement d'avoir, mais encore de propager des opinions différentes de celles qui ont généralement cours -la liberté, par voie de conséquence, de donner une éducation et un enseignement conformes à ses opinions.

    Ainsi, le droit à la liberté de l'enseignement, tel que ce droit est consigné dans la Constitution, représente-t-il un ensemble formé de la liberté d'inspiration, de la liberté des parents de choisir les professeurs de leurs enfants, de la liberté des écoles de choisir les moyens d'enseignement, etc...

    Les pouvoirs publics - y compris le législateur - sont confrontés à cet ensemble de libertés. Il ne leur appartient pas de se prononcer sur la valeur matérielle des convictions des citoyens, et encore moins de traiter ces derniers diversement en fonction de ces convictions. Les pouvoirs publics doivent régler la coexistence au sein de la communauté nationale en observant une stricte neutralité; sans faire de discrimination d'après les convictions des membres de cette communauté.

    Si les pouvoirs publics se tiennent en principe à distance, c'est à la guerre scolaire qu'on le doit. Je pense que cette distanciation des pouvoirs publics constitue la cause la plus profonde de la paix scolaire qui règne aux Pays-Bas depuis plus de soixante ans, de même qu'elle explique que l'unité de la nation n'ait pas été menacée malgré les déséquilibres quantitatifs (globalement parlant, l'enseignement néerlandais est 70% privé et seulement 30% public).

    Aux termes de notre article 23 de la Constitution, "l'enseignement fait l'objet des soins incessants du gouvernement". Notez que, avant la modification de notre Constitution de 1917, le texte en question disait que l'enseignement public faisait l'objet des soins incessants du gouvernement. Donc il veille tout autant à l'enseignement privé qu'à l'enseignement public. L'enseignement doit être vu comme une unité à laquelle le gouvernement porte une attention sans partage.

    La soi-disante "Pédagogie d'Etat" aussi bien que la mise des écoles sous la tutelle des universités sont exclues aux Pays-Bas. En effet, le deuxième paragraphe de l'article de notre Constitution précise : "L'enseignement peut être dispensé librement, sous réserve de la surveillance des pouvoirs publics et, en ce qui concerne les formes d'enseignement, spécifiées par la loi, de l'examen de la compétence et de la moralité des enseignants".

    La surveillance des pouvoirs publics se rapporte uniquement à l'observation des dispositions légales. Le législateur a voulu édifier un cadre pour des questions comme la description des types d'écoles, la définition de leurs relations mutuelles, les conditions auxquelles doivent répondre les examens, les certificats d'aptitude que doivent détenir les enseignants, le salaire des enseignants, le nombre d'heures de cours hebdomadaires, la valeur des diplômes dans la vie active, l'âge d'admission des élèves et les exigences en matière de protection de la santé et des bonnes mœurs. Ce cadre légal est le même pour l'enseignement public et pour l'enseignement privé.

    Au sein de la structure générale qui vient d'être esquissée, chaque école fonctionne conformément à son propre projet éducatif d'établissement. En vertu des différentes lois relatives à l'enseignement, les écoles doivent arrêter ce projet dans un "plan d'études" ou un "plan scolaire intégral".

    Les écoles privées sont placées sous la direction de leur propre conseil de gestion scolaire. Les écoles publiques dépendent, pour la plupart, des municipalités. Et aussi du gouvernement national.

    On peut dire que le système d'enseignement néerlandais est conçu dans une large mesure à partir de la base, c'est-à-dire à partir de l'école considérée isolément, où se déroule le processus éducatif, et en fonction de la situation locale. En d'autres termes, notre enseignement reste dans la tradition de l'organisation politique des Pays-Bas où la commune autonome occupe une place importante.

    Quant à l'intervention des pouvoirs publics dans les activités sociales - où se range l'enseignement privé- il y a certaines expressions d'une tradition sociale bien faite pour soutenir l'idée de l'école autonome. Des expressions comme celles des calvinistes qui ont assujetti la théorie de "la souveraineté dans chaque sphère" ; des catholiques parlant sur le principe de subsidiarité et aussi des socialistes, dans le souci de promouvoir la participation des citoyens à la gestion du pays, plaident souvent pour une décentralisation des compétences administratives.

    On pourrait se demander si la philosophie qui sous-tend le système éducatif néerlandais n'a pas engendré une multitude difficilement maîtrisable d'écoles, minant en définitive l'unité de l'enseignement. En effet, les Pays-Bas comptent plus de vingt mille écoles, pour une population très diversifiée sur le plan des conceptions philosophiques et religieuses; cette population se compose, selon les estimations, de près de 40% de catholiques et d'un peu plus de 30 % de croyants se rattachant à l'une ou l'autre des familles du protestantisme, le reste englobant essentiellement les areligieux ou les autres minorités. Le risque de création d'une structure scolaire inextricablement diversifiée est donc évident.

    La réalité, heureusement, apparaît comme moins menaçante. C'est, pour commencer, que le législateur a l'habitude de régler au niveau national toutes les questions importantes qui concernent la liberté de l'enseignement. En second lieu, l'administration centrale a entouré de tant de règles le principe de l'égalité financière qu'elle a même fini un peu par provoquer-la bureaucratie aidant -une certaine rigidité.

    De surcroît, il existe aux Pays-Bas également une sorte de carte scolaire, en ce sens que les familles de pensées coopèrent sur le plan de l'organisation, tant dans leurs sphères d'activité propre qu'au niveau national. Les écoles qui relèvent des municipalités donnent une forme concrète à cette coopération au sein de l'Union des communes néerlandaises; les écoles privées, quant à elles, coopèrent par le truchement soit du Conseil Néerlandais des écoles catholiques, soit du Conseil Néerlandais des écoles protestantes, soit enfin du Conseil Néerlandais des écoles privées, ce dernier regroupant toutes les écoles privées non protestantes ni catholiques. Le Ministre, ou le département de l'Education, a coutume de se concerter, au sujet de la législation envisagée et de la planification de sa politique, avec les organisations précitées, c'est-à-dire avec les familles de pensées qui déterminent l'inspiration de l'enseignement.

    Il est fréquent que, dans chacune des organisations, les écoles se mettent d'accord pour harmoniser leur action, dans des domaines tels que les conditions d'admission des élèves, la création de nouvelles sections et bientôt l'utilisation optimale d'équipements informatiques.

    Ces facteurs font que le système éducatif néerlandais demeure viable et cohérent malgré les nouveaux défis qu'il lui faut relever, à savoir l'insuffisance des fonds publics, l'impact accru des allochtones, la perte d'identité qui affecte un peu les grands courants philosophiques et religieux, et la participation de tous les membres de la communauté scolaire au devenir de l'école.

    Tout corps constitué non lucratif (associations, fondations, paroisses, ordres religieux) créé dans le but d'enseigner, peut être reconnu comme comité de gestion d'une école privée. La municipalité est chargée de dresser annuellement un plan des écoles primaires.

    Les autorités doivent accorder leur autorisation à la création d'une école primaire privée si à son ouverture elle compte un certain nombre d'élèves selon le nombre d'habitants de la municipalité, généralement établie sur base de signature des parents et par des prévisions statistiques. Il existe bien entendu des mesures prévenant la création inconsidérée des écoles.

    Les bâtiments et l'équipement sont donnés en possession aux autorités scolaires, mais doivent être restitués aux autorités publiques s'ils ne servent plus à des fins scolaires. Les enseignants reçoivent la même rémunération et jouissent des mêmes avantages que les professeurs des écoles d'Etat. Les dépenses sont couvertes par la municipalité qui est remboursée par le gouvernement central suivant un système assez compliqué.

    La création d'écoles secondaires est basée sur un "plan d'écoles" établi annuellement et valable pour les trois années suivantes. Ce plan est établi sur base de prévisions statistiques. Son but déclaré est la répartition équilibrée des écoles selon leur type et leur confession.

    Il est à remarquer que ces règlementations généreuses ont été établies pour une période de croissance et d'expansion.

    Aujourd'hui, alors que nous assistons à une diminution du taux de naissances et, par conséquent, à une diminution de la population scolaire, certains chez nous réclament une nouvelle législation, mieux adaptée à une période de régression.

    Il faut souligner que l'expérience néerlandaise dans le domaine du pluralisme scolaire a été plus que le résultat d'un triomphe politique. Elle prenait racine dans la conviction même que la liberté accordée aux citoyens par l'Etat serait simplement théorique (ou formelle) dans la plupart des cas si ce même Etat n'octroyait pas les moyens matériels nécessaires à la mise en pratique de cette liberté.

    Il y a aussi certains accords et conventions internationaux. Je veux mentionner :

    - L'Accord International de Sauvegarde des droits économiques, sociaux et culturels

    - La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales

    - L'Accord International sur les droits civiques et politiques

    On peut dire que dans le système juridique néerlandais, ces accords internationaux, tous ratifiés par le gouvernement, font partie de la législation nationale et la Constitution Néerlandaise reconnaît la supériorité hiérarchique des règlementations internationales sur les lois nationales.

    Cela signifie tout d'abord que ces dispositions internationales constituent une barrière juridique à un éventuel non-respect de ces règlementations de la part des autorités nationales ou à une action administrative qui va à l'encontre de celle-ci.

    En second lieu, cela sous-entend que les règlementations énoncées dans les conventions sont minimales, ce qui, explicitement, ne tend pas à ramener une situation nationale qui dépasse à ces minima.

    On constate de plus en plus aussi par moyen des accords internationaux une mise en pratique des droits "classiques" fondamentaux qui suppose la non-intervention de l'autorité publique, ainsi qu'un organe destiné à remplir les conditions matérielles indispensables à une meilleure mise en pratique de ce droit.

    Les droits classiques fondamentaux sont également appelés "droits de protection" et les droits sociaux sont appelés "droits de promotion". Ainsi, les autorités ont, par exemple, subventionné pendant un certain temps chez nous la construction d'églises, de façon à promouvoir la liberté de culte sur laquelle elles doivent s'abstenir d'empiéter et qu'elles doivent protéger.

    On peut dire que déjà en 1917, dans "l'Expérience Néerlandaise", l'Etat assurait ce droit de promotion aux citoyens dans le domaine de l'enseignement en 'subvenant à la totalité des besoins financiers des écoles privées selon les mêmes critères que ceux appliqués aux écoles officielles. C'était, on peut dire, le "droit de promotion" avant la lettre.

    Je suis, bien sûr, conscient du fait que certains pays ont adhéré aux traités et aux conventions mentionnés ci-dessus, tout en déclarant explicitement qu'ils ne se mettaient pas dans l'obligation de soutenir financièrement l'enseignement privé pour autant.

    Enfin, je veux attirer votre attention spéciale sur l'intérêt - c'est aussi déjà mentionné – que le Parlement Européen a récemment donné à la liberté de l'enseignement et de l'éducation en votant la "Résolution-Lüster" demandant entre autres que soit reconnu sur le territoire de la Communauté Européenne que le droit à la liberté de l'enseignement implique l'obligation pour les Etats-membres de rendre possible, également sur le plan financier, l'exercice pratique de ce droit et d'accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l'exercice de leur mission et à l'accomplissement de leurs oblig3tions dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics correspondants.

    Comme je vous l'ai déjà dit, la solution néerlandaise a été retenue – avec une certaine modestie comme une sorte d'exemple dans de nombreux pays. C'est vrai, nous avons essayé, sur invitation, de l'exporter et déjà en 1921, il y a un Secrétaire Général de l'Enseignement Catholique au Pays-Bas qui s'est rendu en Autriche afin de promouvoir notre solution dans des salles de conférence et des églises. Il y a un résultat que la hiérarchie autrichienne s'est vue divisée à ce sujet, que les hommes politiques catholiques se sont attirés des ennemis et que le gouvernement a discrètement prié mon prédécesseur de quitter le pays immédiatement.

    J'espère que mon intervention, ici, n’aura pas les mêmes conséquences fâcheuses...

    Merci.

    DEUXIEME DEBAT

     

    Un interpellateur

     

    Je serais très heureux si les trois orateurs pouvaient expliquer brièvement comment est organisée dans leur pays respectif la formation professionnelle et technique, c'est-à-dire la formation des ouvriers qualifiés et la formation des techniciens.

     

    Monsieur HALSEY

     

    Je ne suis pas très qualifié pour traiter ce problème, mais je sais qu'il existe des lycées techniques, comme en France, surtout dans les grandes villes. On peut, dès l'âge de 14 ans, choisir cette voie. Autrement, dans les écoles à vocation universelle dont je vous ai parlé tout à l'heure, il existe aussi des cours du genre "mécanique", des cours d'atelier, que les élèves peuvent suivre en même temps que les cours traditionnels. Et je crois ne pas me tromper en disant que les diplômes n'ont pour ainsi dire aucune valeur; ce qui compte c'est la formation sur le terrain; c'est beaucoup moins structuré en France où vous avez un système d'apprentis qui est très suivi, etc... Tout cela, on ne l'a pas chez nous.

     

    Docteur PAUL

     

    En Allemagne, le système est comme j'ai essayé d'expliquer. Nous avons des universités techniques qui s'occupent avec toutes les questions techniques et des ingénieurs… et il faut le baccalauréat pour avoir un avenir dans ces universités. J'ai expliqué cela aussi. En dessous de ce niveau, il y a des écoles techniques spéciales qui donnent un degré qui n'a pas le rang d'une université ; il suffit d'être passé par la "Realschule" pour y être admis.

     

    Monsieur STRUIK

     

    Ça dépend chez nous; cette question est technique et un peu compliquée pour y répondre complètement.
    Chez nous il y aune division légale, globale, entre 12 et 16 ans pour la formation générale et la formation professionnelle technique; après, entre l'âge de 16 ans jusqu'à 18 ans, il y a différents types de formation professionnelle sur le plan de la technique

     

    Madame MORANGE-TOURNIS

     

    Il y a un siècle, nous ne parlions pas tous le français. Aujourd'hui, la France entière parle notre langue. Mais l'Europe sociale est en marche. Dans l'Europe, garderons-nous la langue française, ou la langue allemande, ou la langue anglaise ?

     

    Monsieur BOUDOT

     

    Je suppose que la question est posée à tous les orateurs …Comme personne ne semble décidé à répondre, je me contenterai de remarquer qu'on ne peut songer à imposer une langue de force à l'ensemble de l'Europe. La pluralité des langues ne fait pas obstacle ni à la construction européenne, ni à l'unité de notre civilisation européenne.

     

    ALLOCUTION de CLOTURE de Monsieur Maurice BOUDOT

     

    Les conférenciers nous ont présenté trois systèmes éducatifs pratiqués dans des pays proches du nôtre en ce qu'ils sont tous gouvernés par les principes de la démocratie libérale. Ces trois systèmes - je n'emploie le mot système que pour faire simple et il faudrait le mettre entre guillemets, comme le notait M. HALSEY, car en certains cas l'organisation de l'enseignement n'a rien de systématique - sont entièrement différents les uns des autres et très éloignés du système français.

    De cette confrontation, nous pouvons tirer de nombreuses leçons. Je me contenterai d'en noter deux :

    1. Il n'y a pas lieu de s'étonner si l'on a pu constater que chacun de ces systèmes était fortement marqué par des caractères qui appartiennent à l'histoire propre au pays qui le pratique. De là, la variété des formes que prennent les problèmes qu'ils doivent affronter. Ainsi en est-il notamment pour le problème de la liberté de l'enseignement. Alors qu'en France, ce problème est fortement marqué par la "querelle religieuse" qui naît à la Révolution, en Allemagne il ne l'est aucunement; dans ce dernier pays la question de la liberté de l'enseignement n'a aucune dimension confessionnelle. Le cas des Pays-Bas est en quelque sorte intermédiaire : les questions religieuses affectent les problèmes d'organisation de l'éducation plus tard qu'en France (vers 1848) et sous une forme moins virulente.

    Toutefois, malgré la variété des situations historiques et la diversité des solutions adoptées, les mêmes problèmes fondamentaux surgissent qui touchent aux principes de l'organisation générale des sociétés. L'existence de cours de religion dans l'enseignement public ne dispense pas l'Allemagne de rencontrer le problème de la liberté de l'enseignement, mais sous une forme telle qu'il est sans rapport avec le pluralisme en matière de croyances religieuses. Il n'y a que les Etats-Unis qui, apparemment, sont préservés des difficultés en ce domaine par le caractère délibérément libéral de l'organisation de leurs établissements d'enseignement.

    Il faut en conclure qu'on serait aveugle si on se limitait, en France, à résoudre les problèmes les plus criants sous leur forme actuelle et, par exemple, si on croyait avoir établi définitivement la liberté de l'enseignement dès lors qu'on a garanti la survie d'établissements confessionnels privés. L'existence d'une fraction du corps enseignant fortement 'marxisé, qui peut se trouver aussi dans l'enseignement privé et qui a décidé d'utiliser ses activités professionnelles pour continuer à modifier, selon ses vœux, la société contre le gré des citoyens, n'est pas un problème propre à l'Allemagne! Déterminer un enseignement idéologiquement neutre ou conforme aux vœux des parents est un problème qu'il faut donc poser dans toute sa généralité.

    2.- La seconde leçon consiste à reconnaître qu'on nous a présenté aujourd'hui des modes d'organisation qui peuvent être retenus comme des exemples instructifs et aucunement comme des modèles.

    Ils ne sont pas des modèles en ce sens que tous doivent affronter certains problèmes qui sont engendrés par la civilisation contemporaine et résolvent imparfaitement ces problèmes. Ainsi, dans tous les cas présentés, une certaine médiocrisation de l'enseignement est dénoncée. De même, quoiqu'à des degrés divers, on dénonce son caractère inadapté. On se tromperait donc lourdement en croyant résoudre certaines difficultés par le simple fait qu'on essaierait d'imiter en France l'un de ces "modèles".

    Mais il y a plus. Certains "systèmes" rencontrent des problèmes qu'ignore le système français. Ainsi, pour ce qui concerne le changement d'établissement en Allemagne, lorsqu'on passe d'un Land à l'autre. Lorsqu'on parle en France de "régionalisation" de l'enseignement ou lorsqu'on propose de conférer à chaque établissement une large autonomie en matière de contenus enseignés, on ne doit pas ignorer que ces propositions conduiraient à susciter des difficultés que nous avons la chance d'ignorer aujourd'hui. Chaque système a ses avantages, mais il arrive que les avantages qui lui sont propres se payent, et souvent leur prix est assez élevé. Croire au système parfait relève naturellement de l'utopie.

    On dira que l'exemple américain prouve que l'absence de toute centralisation est parfaitement compatible avec une similitude dans le contenu des enseignements suffisante pour que les "usagers" ne subissent aucune gêne du fait de l'autonomie. Certes, mais c'est là le fruit d'une longue tradition qui fait qu'en quelque sorte des établissements tous indépendants se sont autorégulés pour servir un idéal national commun. Ce système vit de ce qu'il faut bien appeler l'esprit d'un peuple. Il est d'usage de caricaturer le système américain et de dénoncer son caractère socialement injuste. Dans la remarquable description qui en a été faite, on nous a clairement montré comment ce reproche était sans aucun fondement. Mais le système américain ne fonctionne sans injustice et de façon efficace que parce qu'est répandu dans la population un certain type d'attitude (souci de faire le bien, de contribuer de façon active à la pérennité de certaines institutions associatives, etc.) et parce qu'il y a un large consensus au sujet des valeurs que la collectivité nationale doit préserver.

    Le système américain se nourrit du civisme et du patriotisme propres au peuple américain, eux-mêmes enracinés dans l'éthique protestante. Qu'on l'en suppose détaché et il dépérirait; il deviendrait à la fois socialement injuste et anarchique. C'est dire qu'on ne peut le transposer brutalement, sans transposer aussi un certain type de neutralité, ce qui est naturellement totalement impossible. Je ne dis pas que les Français ne sont ni civiques, ni patriotes, ni même qu'ils le sont moins que les Américains; je dis simplement qu'ils le sont autrement. Et ce seul fait suffit pour rendre inimaginable l'instauration rapide en France d'une organisation de l'enseignement qui imiterait l'organisation américaine. En ce sens encore, nous n'avons que des exemples, et non des modèles.

    Peut-être, dans l'immédiat, avons-nous plus de leçons à tirer d'un exemple plus proche du nôtre, comme l'est celui des Pays-Bas. Ce qui séduit en ce cas, c'est que les principes fondamentaux de liberté sont mieux préservés, non seulement parce qu'ils sont inscrits dans la Constitution, ce qui est naturellement souhaitable, mais parce qu'on a su inventer des dispositions techniques pratiques et assez simples qui garantissent leur sauvegarde. Dès lors qu'il y a accord sur les principes, comme c'est le cas dans la population française contemporaine, les problèmes réels sont à poser au niveau de la technique législative ou règlementaire. Sous ce rapport, nous avons beaucoup à apprendre de l'exemple hollandais, encore qu'on ne nous ait pas caché que sous certains aspects le système était compliqué.

    Il appartient à chaque nation de résoudre les problèmes afférents à la liberté de l'enseignement selon son génie propre, en partant de la situation qui est la sienne et qui résulte de sa propre histoire. Depuis un quart de siècle, la France était parvenue à des solutions équilibrées qui ont été mises en cause par les malheureuses initiatives prises depuis 1981.

    L'occasion lui est ainsi donnée d'essayer, non seulement de restaurer l'équilibre qu'elle avait atteint, mais de perfectionner les solutions qu'elle avait inventées. Elle peut tirer profit des exemples étrangers naturellement pour éviter les erreurs qui auraient pu être commises ailleurs, mais aussi positivement pour adopter des dispositions dont l'expérience a prouvé qu'elles étaient fécondes.

    Souhaitons qu'elle le fasse à sa façon, sans imiter servilement ce qui nous vient de l'étranger, mais en tirant les leçons des expériences qui ont pu être faites ailleurs.

Lettre N° 8 - 2ème trimestre 1985

Détails
Créé le mardi 2 avril 1985 17:07

RIEN N’EST JOUÉ...
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE du 11 JUIN 1985

Le nombre des participants à notre colloque du 11 juin, les échos qu’il a eus dans la presse écrite et parlée ont contribué au nécessaire éveil de l’opinion, car la liberté de l’enseignement et la liberté dans l’enseignement sont toujours menacées.

RIEN N’EST JOUÉ... ainsi que le dit Monsieur PEYREFITTE, dont nous publions l’allocution prononcée à l’ouverture du colloque.

Mais ce colloque a aussi permis de réfléchir aux solutions qui pourraient être mises en œuvre. La qualité des interventions de M. W.W. HALSEY II pour les Etats-Unis, du Docteur PAUL pour la République Fédérale d’Allemagne, de MR. L.A. STRUIK pour les Pays-Bas et du Sénateur SERAMY pour la France, justifie pleinement la publication que nous en préparons pour la rentrée.

En prologue au colloque s’est tenue l’Assemblée Générale d’ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ qui a permis de faire le bilan de ses dix-huit premiers mois d’existence. Nous publions le rapport moral qui y a été présenté par Monsieur BOUDOT et approuvé à l’unanimité des participants.

RIEN N’EST JOUÉ...

Mesdames.
Messieurs,

L’an dernier, pendant cinq mois, de la fin de janvier à la fin de juin, du défilé de Bordeaux à la fête parisienne de la liberté, près de 4 millions de marcheurs ont exprimé leur volonté collective, avec la sérénité des justes.

Dans notre pays, qui a pourtant connu tant de bruits et de fureurs, jamais une marée humaine n’avait atteint une pareille hauteur, jamais ne s’était produit un pareil phénomène de civilisation. Depuis la foule en liesse venue fêter la libération de Paris le 26 août 1944 sur les Champs-Elysées, seuls trois autres rassemblements ont eu une ampleur comparable :

  • le 30 mai 1968, sur les mêmes Champs-Elysées,
  • le 4 mars 1984, à Versailles,
  • le 24 juin 1984, vers la place de la Bastille,

A chacune de ces trois manifestations on peut dire que le destin a vacillé. Celle de 1968 a sifflé la fin d’une récréation qui n’avait que trop duré. La deuxième, celle de Versailles, a fait taire un moment les extrémistes de la laïcité et a failli permettre aux négociateurs de trouver le chas de l’aiguille par lequel on pourrait faire passer le compromis. Mais ces extrémistes ayant réussi, au dernier moment, à durcir le texte au mépris de la parole donnée par le gouvernement aux évêques ; le troisième rassemblement, celui de la Bastille, a fait voler en éclats, d’abord le projet de loi liberticide et ensuite le gouvernement lui-même qui l’avait préparé.

A ceux qui ont participé à ces journées, on aurait envie, si on ne craignait pas l’emphase, d’appliquer le mot de Goethe à Valmy - que Napoléon devait reprendre, treize ans après, à Austerlitz - "Vous pourrez dire : j’y étais".

Par leur détermination calme, ils ont - nous avons, puisque j’imagine que nous y étions tous - détourné le fleuve de l’histoire.

A Versailles, Mgr Lustiger avait demandé : "Qui êtes-vous ?". Le pouvoir s’imaginait peut-être que l’école libre n’intéressait que quelques curés attardés, quelques politiciens réactionnaires, quelques privilégiés, désireux d’élever leurs enfants dans du coton. Or, il suffisait de suivre ces manifestations - particulièrement celle de la Bastille - pour constater que toutes les catégories sociales s’y côtoyaient, et que les plus modestes étaient les plus nombreux.

Les manifestants récapitulaient tous les points cardinaux, toutes les provinces, tous les âges, toutes les professions, toutes les couches de la population. Ils illustraient vraiment le mot de Bernanos "il n’y a pas de peuple de gauche et de peuple de droite ; il n’y a qu’un peuple de France"... C’était bien le "peuple de France" : il avançait en masses souriantes comme pour une communion solennelle.

Que voulaient ces millions de Français ?

Sur nos 10.000 écoles libres, plus de 9.000 sont catholiques. Assistons-nous donc à une recrudescence des luttes de la fin du XIXe siècle entre cléricaux et anticléricaux ? Non. Pourquoi les rues auraient-elles été pleines de militants catholiques, alors que les fidèles sont si rares dans les églises ? C’est que le conflit n’oppose absolument pas les catholiques aux non-catholiques, ni même les parents des élèves de l’enseignement privé aux parents des élèves de l’enseignement public. Il oppose les militants d’une laïcité devenue un engagement partisan en faveur d’un monopole sur lequel ils ont mis la main, à tous ceux qui sont inquiets de voir l’enseignement public se dégrader et qui constatent que l’enseignement libre est, comparativement, épargné.

Beaucoup de ceux-là même qui ont confié leurs enfants à un établissement public tiennent à pouvoir, s’il le fallait, retirer leurs enfants de l’enseignement public pour les mettre dans un établissement privé. Tous revendiquent le droit pour les familles de décider elles-mêmes de l’éducation qu’elles donneront à leurs enfants.

Au fond, ce qu’ils réclament, c’est moins l’enseignement libre, que la liberté du choix de l’enseignement. Ils refusent de se voir condamnés à l’établissement unique qui pourrait céder à la tentation de l’endoctrinement. Ce qui ne veut pas dire que tous y cèdent ni même que beaucoup y cèdent. Mais c’est un risque contre lequel chacun veut pouvoir se prémunir. Ils repoussent donc un système irresponsable et aveugle, où les maîtres sont nommés par ordinateur, où les élèves sont affectés par quartier, selon l’adresse de leurs parents. Ils rejettent l’omnipotence de syndicats qui ne sont que les courroies d’entraînement de partis marxistes.

La gauche, en voulant accroître encore son emprise sur l’éducation, déjà si lourde par le fait de ces syndicats, touchait ainsi, sans l’avoir prévu, au point le plus sensible.

Un de ses membres s’est écrié à la tribune de l’Assemblée Nationale : "la liberté à sauvegarder ce n’est pas celle des parents, mais des enfants. En démocratie c’est à l’État d’y veiller"... La majorité de l’Assemblée Nationale a vivement applaudi ; le gouvernement n’a pas émis la moindre réserve à l’égard de cette thèse. Or, le pays profond n’est pas de cet avis ; il estime que l’enfant n’appartient pas à l’État et que les responsables de son éducation sont d’abord, non pas des fonctionnaires, mais ses parents.

Une pancarte à Montparnasse le 24 juin m’avait frappé. Elle traduisait naïvement cette conviction : "touchez pas à nos enfants"... Cela ne vous rappelle rien ?

Après tous, nos enfants valent bien nos "potes".

Par des moyens démocratiques, - les seuls qui soient dignes d’un peuple adulte -, les Français ont remporté l’an dernier une grande victoire. Ils ont condamné l’exécutif, à son plus haut niveau, à se déjuger. Le Président a fini par comprendre qu’il ne suffit pas que des réformes soient légales. Encore faut-il qu’elles soient légitimes, c’est-à-dire qu’elles répondent à la volonté profonde de la nation. Surtout quand elles touchent à des droits fondamentaux. Surtout quand elles mettent en cause les consciences.

Donc, l’idéologie a brusquement reculé devant la manifestation claironnante du sentiment profond des Français. Tous les sondages concordaient depuis des années - et continuent de le faire. Ils offrent, d’une année à l’autre, une remarquable constance : deux Français sur trois, ou trois Français sur quatre veulent le maintien de l’école libre. Plaise au ciel que sur tous les problèmes nationaux règne un pareil consensus!

Mais jamais, sur aucun front, la liberté n’est assurée d’une victoire définitive. Rien ne nous dit que la reculade du gouvernement est autre chose qu’une trêve tactique. Tout nous confirme au contraire que nous n’avons rien perdu pour attendre.

Mon ami Seramy, qui connaît ces questions parfaitement, vous le dira tout à l’heure plus savamment que je ne pourrais le faire. Moins de six mois après le retrait du projet Savary, Jean-Pierre Chevènement déposait devant l’Assemblée un nouveau texte ; les communes recevaient un pouvoir discrétionnaire sur l’autorisation des établissements privés, et l’administration recevait un droit d’entrave sur le libre recrutement des maîtres. De plus en prévoyant que l’enseignement serait dispensé selon les règles de l’enseignement public, le texte pouvait conduire, par une application très littérale, à remettre en cause ce qui est fondamental, c’est-à-dire le "caractère propre" des écoles privées, pourtant reconnu par ailleurs.

Il a fallu qu’en janvier dernier, le Conseil Constitutionnel annulât, au nom de l’unité de la nation, le droit de veto des communes sur de nouveaux contrats d’association, pour que la menace la plus grave fût écartée. Alors, il faut se poser !a question : est-ce que le pouvoir n’en finira jamais avec ses tentatives d’empiétement ? Pense-t-il, oui ou non, à réitérer une attaque en règle ? On a mis un couvercle sur la marmite, mais le bouillon continue de mijoter ; de temps en temps la vapeur s’échappe...

Vous vous souvenez du meeting du Bourget, par exemple, où les militants de la laïcité, qui avaient été exaspérés par l’appui populaire qu’avait reçu l’école libre menacée, avaient conspué le Premier ministre Mauroy et le ministre de l’Éducation Nationale Savary, jugés trop mous et trop temporisateurs. On a vu la suite...

Le désir d’intégration dans le "Service public laïc et unifié" est resté intact, même si les moyens sont devenus plus habiles et plus sournois. Ne nous faisons pas d’illusions ! Dès la prochaine rentrée, par le biais de restrictions à l’indépendance pour la nomination des maîtres, la situation faite aux écoles libres risque de s’aggraver.

Or, le plus grave, c’est que nous n’avons plus la capacité de soulever l’indignation populaire. On peut se battre contre une loi spectaculaire. On peut faire appel au peuple pour un texte de cette dimension. Mais comment voulez-vous soulever l’opinion sur une circulaire d’application, sur l’interprétation restrictive donnée à un texte ? Il faut donc rester vigilant si l’on veut que la liberté, que nous avons reconquise l’an dernier et qui nous a été reconnue, reste une liberté effective.

Chacun, dans le grand public, a compris que le slogan l’argent public à l’école publique ; l’argent privé à l’école privée signifiait tout simplement l’asphyxie de l’école privée. Les marxistes connaissent bien l’opposition entre "liberté réelle" et "liberté formelle"...

Peut-on reconnaître la liberté de l’enseignement comme une liberté constitutionnelle, mais la vider de son contenu en décidant que cette liberté, seuls les riches pourraient en profiter ? Cette liberté qui serait réservée aux riches serait un leurre, sans l’intervention financière de l’État.

Dans le monde industrialisé d’Occident - les témoins venus de l’étranger, que vous avez auprès de vous, vous le diront tout à l’heure avec plus de précision - la France serait bien la seule nation à imposer un monopole d’État à l’enseignement, comme elle est déjà la seule, d’ailleurs, à avoir imposé un monopole d’État au crédit et à la majorité des entreprises de la grande industrie. Chez nos 9 partenaires européens, cette querelle de la laïcité fait l’effet d’un anachronisme absurde. Interrogez des députés européens au Parlement de Strasbourg ; ils vous diront tous qu’il n’y a pas un de leurs pays, où l’État ait créé, ou même ait tenté de créer, un "Service public laïc et unifié de l’Éducation Nationale." Chez certains, comme la Belgique ou les Pays-Bas, les écoles libres financées par l’État rassemblent plus d’élèves que les écoles publiques.

L’Italie ? C’est un cas un peu différent. Elle nous administre une sorte de preuve a contrario - la baisse de qualité dans l’enseignement public pousse des élèves de plus en plus nombreux vers le secteur privé, qui n’est pas encore subventionné, et la qualité devient une sorte de privilège, de luxe. Quelle réforme croyez-vous qu’on envisage ? La nationalisation totale ? Point du tout. Mais le libre accès des enfants dans l’école de leur choix.

Telle est en effet la voie de l’avenir : la liberté de choix entre l’école publique et l’école privée doit être absolument garantie, pour que chacun puisse faire élever ses enfants dans des écoles où ne sera pas foulé aux pieds ce que leur famille leur a appris à respecter, à aimer, à croire.

Mais il faudra aller sans doute beaucoup plus loin : nous sommes le seul pays au monde (en dehors des pays dits "socialistes", naturellement) où tout l’enseignement est centralisé et géré - théoriquement - par le Ministre, mais, en fait, par un syndicat bénéficiant d’un monopole : la Fédération de l’Éducation Nationale. Ce monopole a été quelque peu contrarié lors des dernières élections professionnelles par la percée de Force Ouvrière, mais la Fédération de l’Éducation Nationale reste largement majoritaire, omniprésente et omnipotente.

Notre éducation est devenue une sorte de machinerie monstrueuse, ingouvernable, ruineuse. Chaque élève, dans un établissement public, coûte beaucoup plus cher à l’État qu’un élève dans un établissement privé. Il faut d’abord délivrer l’école publique de la bureaucratie et de la syndicalocratie qui se renforcent mutuellement.

Si l’école libre, avec moins de moyens, réussit mieux c’est parce qu’elle est plus libre, tout simplement, parce que chaque établissement peut définir ses buts, ses méthodes, tout en restant en contact avec les familles et en étant responsable devant elles.

Ce qu’il faut, ce n’est pas étatiser l’enseignement libre ; c’est libérer l’enseignement d’État. Il faut que souffle un esprit nouveau.

"L’Instruction publique" de Jules Ferry a été remplacée par "l’Éducation Nationale" des syndicats politisés. Seules auraient pu leur faire contrepoids les organisations de parents d’élèves.

Or, la Fédération de l’Éducation Nationale a pris en otage la principale association des parents, réduite au rang de filiale peu encombrante. La toute-puissance des syndicats, leur corporatisme étroit, leurs mots d’ordre - souvent marxisants - ne pourront être efficacement combattus que par la création d’une nouvelle légitimité, la dévolution aux parents de la réalité du pouvoir éducatif.

Il n’est pas légitime qu’un Service Public s’exerce hors du contrôle des citoyens ; s’il est vrai que le Service Public c’est avant tout le service du public, les citoyens devraient en être les bénéficiaires, et non les sujets.

Or, sous le couvert de la laïcité, l’État socialiste entend les assujettir à un monopole. Libérer l’École, en la rendant aux parents et aux enfants, est une priorité pour demain ; un des pivots de ce "projet de responsabilité" pour la société française, qui devra être adopté, aussitôt que possible, par les citoyens.

L’enseignement n’est pas d’abord fait pour les enseignants mais pour les enseignés ; et en regard de ce principe, finalement, comme il est vain, le débat entre l’école publique et l’école privée... Est-ce que l’école de la République ne devrait pas donner l’exemple de la liberté ? Alors, que tous nos efforts soient tendus vers un seul but : "Des écoles libres... pour un pays libre".

Alain PEYREFITTE
de l’Académie Française.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE du 11 JUIN 1985

RAPPORT MORAL de M. Maurice BOUDOT

Notre association a été fondée, au milieu de l’année 1983, au moment même où l’Assemblée nationale examinait en première lecture le projet de loi SAVARY relatif aux enseignements supérieurs. Ce projet allait être adopté malgré une courageuse bataille d’amendements conduite par l’opposition parlementaire, malgré la censure du Conseil constitutionnel qui devait l’amputer de quelques articles sans lui ôter son venin, enfin malgré la vigoureuse opposition des professeurs et des étudiants libéraux, réunis pour la première fois depuis 1968, en dépit du misérable slogan qui voulait que toujours s’oppose l’enseignant naturellement "exploiteur" à l’enseigné aussi naturellement "exploité". Souvenez-vous. C’était aux Invalides, il y a deux ans seulement, lorsqu’un gouvernement, surpris de rencontrer des résistances, ne trouvait d’autre réponse que d’opposer les C.R.S. aux professeurs et aux étudiants. Deux ans, et ce temps nous semble déjà lointain. Le souvenir des 30.000 manifestants des Invalides est éclipsé par celui de la foule, dont la réunion est sans précédent historique et qui permettait de compter près de deux millions de participants à la triomphale journée du 24 juin 1984. C’est pourtant, sous des formes diverses, du même combat qu’il s’agit, et l’escarmouche initiale était comme l’annonce de l’engagement décisif.

Je ne me suis permis cette brève évocation historique que pour en tirer deux leçons relatives à la démarche de notre association.

  • Notre association est née au moment même où la bataille était engagée. Il nous fallait donc à la fois développer l’association et agir. Il ne fut pas toujours facile de poursuivre simultanément ces deux objectifs. Nous avons souvent travaillé dans la hâte. Ainsi s’explique, par exemple, telle lettre d’information qui comprend, outre d’abominables fautes d’orthographe, une erreur en ce qui concerne l’itinéraire que nous recommandons à nos adhérents pour qu’ils puissent se rendre à la manifestation de Versailles ! Le résultat est peut-être imparfait, mais je crois que nous n’avons manqué ni l’un, ni l’autre, de nos deux objectifs. Certainement pas le développement d’enseignement et liberté, puisque nous sommes parvenus à réunir plus de 25.000 adhérents, chiffre dont on doit dire, sans aucune forfanterie, qu’il est exceptionnel et qu’il nous a situés aux tout premiers rangs parmi les organisations associatives. Nous n’avons pas plus négligé l’action effective comme j’aurai à le dire.
  • La seconde leçon est la suivante. Comme en témoigne notre manifeste, nous accordons une égale attention à la liberté de l’enseignement privé et à la liberté dans l’enseignement public. A nos yeux, les problèmes sont liés. Mais, dans le combat engagé, nous n’avons pas, si j’ose dire, la direction des opérations : elle appartient à l’adversaire. En présence de l’avalanche de projets de réforme qui déferlent sur le système éducatif, surtout depuis 1981, nous ne pouvons que constater qu’il y a un ordre des priorités, un ordre d’urgence des problèmes qui se trouve être aussi l’ordre de leur importance. Ainsi, depuis le début de l’année 1984, le problème cardinal, c’était celui de l’enseignement privé. C’est dans ce domaine que la menace était la plus grave, la plus imminente. C’est cette question qui soulevait le plus d’intérêt angoissé dans l’opinion publique, c’est elle qui permettait de mobiliser les énergies. C’est sur ce terrain qu’une riposte avait le plus de chance d’être couronnée de succès, comme elle l’a été.
  • Accorder à la question de l’école libre toute la place qu’elle exigeait était la condition d’une action efficace. On ne peut d’aucune façon y voir le signe que nous nous désintéressions des problèmes concernant l’enseignement public. Comment le ferais-je, puisque j’enseigne dans une université et que je suis donc bien placé pour connaître le triste sort de ces établissements ? Je voulais faire ces remarques pour répondre aux inquiétudes de ceux qui auraient pu avoir le sentiment que notre action était en quelque sorte déséquilibrée, accordant trop d’intérêt à un domaine au détriment d’un autre. C’était simplement là le fruit des circonstances. Et comme dans l’avenir également nous aurons à nous adapter aux circonstances, il n’est pas à exclure que nous soyons conduits à faire pencher la balance dans un tout autre sens, privilégiant alors ce qui concerne l’enseignement public.

Telles sont les deux leçons que je vous avais annoncées. Venons-en maintenant à un examen plus précis de notre action passée.

Faut-il rappeler que nous ne sommes ni un syndicat d’enseignants, ni une association de parents d’élèves. Nous ne sommes pas plus une fédération d’organisations de ce type, comme l’est en revanche le Comité national laïque, dont nous n’avons pas l’intention de constituer un jour en quelque sorte l’image symétrique. C’est dire qu’encore moins que lui, nous n’avons qualité pour participer à une négociation officielle ou officieuse ! Personne ne nous y invite et nous n’éprouvons de ce fait nul dépit. Nous ne sommes pas plus habilités à déposer par exemple des recours devant les juridictions administratives lorsque certains établissements privés sont victimes de décisions scandaleuses. C’est dire que notre action est par nature limitée dans les formes qu’elle veut revêtir. Nous ne représentons que nos adhérents mais à travers eux tout un secteur de l’opinion publique. Cela seulement, mais c’est déjà beaucoup. Pour un mouvement d’opinion, tel que le nôtre, le simple fait d’exister, et que son existence soit connue - et croyez-moi, elle n’est pas passée inaperçue - c’est déjà une forme d’action. Le nombre des adhésions mesure la profondeur de l’engagement à défendre certaines idées.

Mais pour défendre ces idées, encore faut-il les faire connaître. C’est pourquoi, pour l’essentiel, notre action a consisté à diffuser nos idées. Dressons un bref bilan en ce domaine.

Il y a notre lettre d’information mais aussi notre manifeste qui a été diffusé à plus de 850.000 exemplaires. Chiffre considérable, si l’on songe qu’il a dû ainsi atteindre plus de 5 % des foyers français. Certains de nos adhérents recevant une nouvelle fois ce manifeste nous ont fait amicalement remarquer que notre gestion n’était pas rigoureuse. En fait, l’élimination des envois doubles est plus coûteuse que l’envoi lui-même dont le destinataire fait bien souvent bénéficier un ami. Même si l’appel à adhérer n’était naturellement pas toujours suivi d’effet, la diffusion par elle-même faisait connaître nos idées. Nous avons ainsi contribué au gigantesque effort de mobilisation de l’an dernier. Toutes les fois où l’occasion leur en a été donnée, le Président et les Administrateurs ont publié des articles dans la presse nationale : Le Figaro, à plusieurs reprises et en des moments décisifs, Le Figaro Magazine, La Lettre de la Presse, Famille Chrétienne, ont notamment bien voulu les accueillir. Qu’ils en soient remerciés, comme doit l’être Radio solidarité où nous avons à plusieurs reprises pris la parole. Est-il bien nécessaire d’ajouter qu’en revanche je n’ai eu à décliner aucune invitation de la télévision ou de radios officielles ? Nous avons publié 18 communiqués de presse envoyés à plus de 200 destinataires. Il n’a pas dépendu de nous qu’ils ne recueillent pas plus d’écho. Enfin, nous avons participé aux manifestations de Versailles et de Paris. Chaque fois nous avions obtenu, bien tardivement à vrai dire, l’autorisation de défiler sous notre propre bannière. Je crois que nous étions la seule organisation à laquelle cette autorisation ait été accordée.

C’est dire que notre action est loin d’être négligeable. Je crois qu’elle fut efficace. Même s’il est impossible de mesurer avec précision le rôle que nous avons pu jouer dans la mobilisation qui devait aboutir à la journée du 24 juin et sans nous donner le ridicule de nous en attribuer la gloire, nous pouvons dire que nous avons contribué, selon nos moyens, au succès de cette journée.

Nous avons toujours eu souci d’entretenir les meilleures relations avec les associations régionales ou nationales dont les objectifs sont les mêmes que les nôtres. Nous avons multiplié les contacts avec leurs responsables pour qu’il n’y ait aucune concurrence entre nous, mais convergence de nos activités.

Nous avons aussi résolu de façon satisfaisante le problème de nos rapports avec les syndicats d’enseignants et avec les associations de parents d’élèves. Il ne pouvait aucunement s’agir de leur faire concurrence. Nous devions simplement les soutenir dans leurs actions, lorsque leurs objectifs étaient les nôtres. Les soutenir, même si nous n’approuvions pas, au jour le jour, chacune des décisions prises, ou plus encore l’absence de décision. Les soutenir sans nous substituer à ces organisations qui ont leur rôle propre, distinct du nôtre sans nous substituer à elles à moins qu’elles soient incontestablement défaillantes. Pourquoi cacher aujourd’hui que nous avons été inquiets lorsque nous avons vu l’U.N.A.P.E.L. d’alors différer trop longtemps la manifestation nationale dont la nécessité était patente et hésiter longtemps avant de franchir le pas ? Nous l’avons dit et notre voix, qui se joignait à beaucoup d’autres, fut entendue. Nous avons fait cela, et fort heureusement, nous n’eûmes rien d’autre à faire.

Cette politique de calme résolution ne nous a pas empêché de conserver l’indépendance de nos jugements que nous n’avons jamais hésité à exprimer publiquement. Elle fut toujours la nôtre par le passé. Elle restera la nôtre dans l’avenir.

·Tel est le bilan de l’action passée dont nous n’avons pas à rougir. Tournons-nous vers l’avenir. Chacun sait que la situation actuelle est incertaine, ambiguë, mouvante, insaisissable, et de ce fait même extrêmement dangereuse. Certes, vraisemblablement, il n’y aura pas de décision majeure avant la prochaine échéance législative. Mais le risque réside précisément en ce qu’on essaie de faire croire aux Français que, pour l’essentiel, les problèmes les plus graves sont résolus.

Pour ce qui concerne l’enseignement privé, la décision la plus grave, celle qui était irréversible, la fonctionnarisation des maîtres, est pour l’instant évitée. Mais subsiste le problème des conditions de leur nomination et, par la voie des décrets on essaie aujourd’hui de reprendre d’une main ce que l’on a dû concéder de l’autre sous la pression populaire. De plus, le principe du budget limitatif ayant été très imprudemment accepté par l’enseignement catholique, chacun sait que les établissements privés sont financièrement étranglés, que leur essor est entravé, et que les parents se trouvent en fait dépossédés de la liberté de choisir l’école de leurs enfants faute de places dans le privé. Nous regrettons vivement que les représentants officiels de l’enseignement privé ne fassent pas connaître avec force les difficultés qu’ils rencontrent dans les prétendues négociations au sujet des décrets. Pour notre part, nous les porterons à la connaissance de nos adhérents et nous ferons en sorte que l’opinion soutienne toutes les actions qui seront entreprises pour que, conformément à la loi et aux importantes décisions du Conseil constitutionnel, la liberté de l’enseignement soit effective en France. Nous l’avons fait lors du refus par le Ministre d’une convention pour les classes préparatoires de Stanislas. Aussi, est-ce avec un grand plaisir que nous vous annonçons que le Tribunal administratif a jugé la semaine dernière que les conditions nécessaires à la signature d’une convention étaient bien remplies par Stanislas. Nous interviendrons aussi, si nous pensons pouvoir le faire utilement, dans d’autres domaines. C’est ainsi que nous étudions actuellement les conditions dans lesquelles le plan "Informatique pour tous" s’applique ou plutôt ne s’applique pas à l’école libre.

En ce qui concerne l’enseignement public, la situation est encore plus ambiguë. Le mouvement d’opinion, qui s’est développé l’an dernier, a contraint M. Chevènement à changer de discours. Mais le discours ne suffit pas, même s’il est relativement satisfaisant. Il est salutaire de dire que l’école a pour première mission de diffuser l’instruction. Encore faut-il qu’il en soit effectivement ainsi. Les raisons sont nombreuses de craindre que les beaux discours n’aient qu’un seul but : endormir la vigilance des Français, enfin éveillés à l’importance des problèmes du secteur éducatif. Nous demandons que ces discours soient suivis de décisions effectivement appliquées. Nous demandons plus spécialement que soit abrogée la carte scolaire, qu’au niveau des collèges et des lycées au moins, les parents aient une certaines latitude de choix entre les établissements et que des voies différenciées, adaptées aux capacités et aux goûts des élèves, soient instaurées. Pour les universités, l’application de la loi Savary se heurte à une forte opposition des Universitaires, comme en témoigne un manifeste en voie de diffusion. Nous demandons que cette application soit différée et que les Universités n’aient pas à voter de nouveaux statuts, ce que beaucoup d’entre elles se refusent à faire. De même, doit être abrogé le scandaleux arrêté qui confie aux Recteurs le soin de répartir les étudiants entre les universités. Il faut que chaque université ait pleine latitude de recruter les étudiants selon les modalités qu’elle choisira. Si cette faculté ne lui est pas accordée, elle n’aura ni liberté, ni responsabilité. C’est sur ce point essentiellement que se pose le problème de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur public.

Sur tous ces problèmes nous serons vigilants et nous éclairerons l’opinion publique.

·A l’extrémité commune du passé et du futur est le présent. Le présent, c’est pour nous ce colloque qui témoignera de notre vitalité et qui nous permettra d’estimer le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir si l’on veut un enseignement qui soit libre et adapté aux besoins de notre société. Je tiens à souligner que le succès de ce colloque est dû au travail de M. le Conseiller Jacomet et de l’équipe si efficace qu’il a su réunir autour de lui. Qu’ils en soient vivement remerciés.

Je veux aussi remercier l’ensemble du Conseil d’administration qui a su si habilement conduire nos activités et celui qui a mis en place un dispositif d’action efficace, Philippe Gorre. Les remercier de leur dévouement, de leur sincérité et avant tout, de leur si cordiale amitié. Enseignement et liberté c’est l’œuvre de chacun d’entre nous, c’est une œuvre collective, c’est la leur d’abord.

Je dois enfin exprimer notre gratitude envers les personnalités éminentes qui ont accepté de participer à notre Comité d’Honneur. Le prestige de leurs noms, l’autorité morale que conférait leur patronage, ont, sans aucun doute, constitué un élément déterminant pour le développement de notre Association.

Lettre N° 6 - 4ème trimestre 1984

Détails
Créé le mardi 2 octobre 1984 17:07

LES MOTS ET LES CHOSES
LES CLASSES PRÉPARATOIRES DE STANISLAS
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
LA VIE DE L’ASSOCIATION

Les MOTS et les CHOSES

M. CHEVENEMENT a bien voulu rappeler que le but de l’institution scolaire est d’abord de transmettre des connaissances, qu’il est hautement souhaitable qu’à l’entrée au collège les élèves sachent lire et qu’il est même désirable que les rudiments de la lecture soient acquis au terme du cours préparatoire. Il affirme aussi qu’aucune éducation n’est possible si on n’exige pas de ceux qu’on éduque un minimum d’effort. Il soutient qu’on ne peut viser exclusivement l’égalité des résultats atteints par les élèves, qu’il faut encourager les meilleurs, ne pas sacrifier la qualité de l’enseignement et il en vient à prôner l’élitisme républicain.

Ces propos, fort bien présentés à vrai dire, car M. CHEVENEMENT se préserve constamment du jargon dont les discours pédagogiques nous ont donné trop d’exemples, méritent-ils vraiment d’être relevés ? En d’autres temps, ils auraient constitué le fond du discours des Prix qu’un Ministre peu inspiré serait allé prononcer dans quelque obscur lycée de province. Il n’y a rien de contestable parce que tout est évident au point d’être banal.

·Faut-il que la réflexion sur les fins de l’éducation soit tombée bien bas pour que ces propos attirent l’attention, suscitent des réactions assez passionnées d’approbation ou d’indignation ? Le fait est qu’ils tranchent sur tout ce qui était habituellement dit. Nous n’aurons pas la cruauté de les mettre en parallèle avec le discours que tenaient les socialistes, il y a peu de temps encore. M. CHEVENEMENT se voit contraint aujourd’hui de brûler tout ce qu’on adorait hier dans son parti. C’est trop manifeste pour qu’on ait besoin de s’appesantir.

Naturellement, le Ministre rencontre à gauche de nombreux esprits bien moins déliés que le sien qui s’attachent aux vieux fantasmes et ne comprennent pas qu’il est plus que temps de changer au moins de discours. Le dernier exemple en date nous est fourni par M. Edmond MAIRE qui, persuadé de son universelle compétence, a bien voulu nous faire part de ses idées en matière d’éducation. Nous apprenons ainsi que soutenir que "tout est dans le savoir et la transmission des connaissances" est blâmable, parce qu’alors "les élèves ne semblent pas exister". Admirons le raccourci qui tient lieu de pensée à M. MAIRE : celui qui transmet un savoir à quelqu’un nie l’existence de celui auquel il transmet ce savoir. Il est vrai que M. MAIRE craint aussi qu’on "nie la pédagogie", cette sublime science dont chacun sait qu’on peut mesurer les progrès récents au fait que les résultats obtenus aujourd’hui en certains domaines comme l’apprentissage de la lecture, sont très inférieurs à ceux qu’ils étaient il y a cinquante ans !

Que le nouveau discours ministériel ait quelques effets urticants à gauche, nous ne nous en étonnerons pas. Il n’y a pas lieu non plus de s’étonner de voir quelques porteurs d’eau se montrer en l’occurrence plus socialistes que le C.E.R.E.S. Les lecteurs du FIGARO (1.2 septembre 1984, page 17) ont pu apprendre que "l’enseignement de la seule intelligence" est "socialement injuste": "ce critère unique avantage les enfants des familles cultivées, des classes aisées où l’on manie plus facilement les concepts que les outils. Dans les H.L.M on lit plus facilement les B.D. que Claudel". Que les élèves restent tous à lire leur B.D. et qu’ils ignorent Claudel, au nom de l’égalité ! Ce morceau de prose est signé de M. STOLERU - dont il est inutile de rappeler qu’il fût Ministre avant le 10 mai - qui manifestement se trouve en plein accord de pensée avec M. LEGRAND. Nous savions de longue date que les théories gauchistes en matière d’éducation avaient contaminé une large fraction de la classe politique. Le mal est plus rebelle qu’on ne pouvait le croire.

Il est bien entendu absurde de tenir pour suprêmement habile une tentative de contournement de M. CHEVENEMENT par sa gauche. Le seul problème qui mériterait d’être posé, sur le plan de l’analyse politique, est de savoir pourquoi il tient un tel langage. Une fois la part faite des choix qui lui sont personnels ou qui appartiennent en propre à la tendance politique qu’il anime, la raison est simple. Le discours de l’autre gauche, de cette gauche désormais archaïque représentée par l’équipe SAVARY ne passait plus. Il ne passait plus auprès du grand public qui avait pris conscience, en partie à l’occasion de la réflexion qu’avait suscitée le mouvement en faveur de l’enseignement libre, de la faillite de toute une politique éducative régie par les idées de gauche, mais dont il faut reconnaître qu’elle ne date pas du 10 mai même si sa mise en œuvre s’est accélérée après cette date. Il ne passait plus également auprès de ce corps enseignant qui, en grande partie, réprouvait les idées pédagogiques de ces socialistes pour lesquels il constituait néanmoins une clientèle électorale intéressante.

Il fallait satisfaire et l’opinion et les enseignants. M. CHEVENEMENT leur a fait aisément plaisir avec quelques paroles. Sur ce plan nous nous garderons de lui adresser le moindre reproche. Après tout, il y a quelques vérités élémentaires dont il est bon qu’elles soient rappelées de temps en temps, surtout lorsqu’elles ont longtemps été effrontément niées. Mais les paroles ne suffisent pas ; il faut que les actes suivent. Or, si nous considérons ce qui est fait, et non ce qui est dit, le bilan est beaucoup plus inquiétant.

·Commençons par l’enseignement public, auquel le Ministre entend accorder tous ses soucis pour mieux manifester sa volonté de dédramatiser le problème du privé.

On nous abreuve de déclarations d’intentions, d’annonces de projets qui vont du rétablissement du B.E.P.C. à la restauration de l’enseignement de l’histoire à l’école primaire. Tout ceci est assez touchant, mais reste bien vague et souvent ambigu. Je prends comme exemple le dernier projet connu, celui relatif à l’instruction civique. Je reconnais bien volontiers que, sans prétendre transformer les collégiens en spécialistes du droit constitutionnel, il est hautement souhaitable qu’ils sachent comment est choisi un Maire, qu’ils n’ignorent pas tout des fonctions d’un Député ou qu’ils sachent que le Président de la République est élu pour 7 ans. Il n’y a pas de quoi faire toute une affaire du rétablissement de ce type d’enseignement, comme le fait la télévision officielle. Et comme certains, non sans raison, ont dit qu’il fallait éviter qu’il y ait là matière à propagande politique, on voit les Officiels du Ministère venir nous assurer qu’on n’enseignera que des principes généraux sur lesquels il y a un suffisant consensus - du type des droits de l’homme - et se défendre de façon si confuse qu’ils en sont suspects. Comme si un enseignement qui vise à la simple connaissance des mécanismes qui régissent la vie publique dans notre Société devait nécessairement se diluer dans des considérations générales relevant de la philosophie politique dont il est difficile d’éviter qu’elle soit idéologiquement impartiale. C’est ainsi que l’anodin devient suspect.

Mais mon reproche essentiel reste qu’on ne fait rien et que du même coup la situation empire. Il ne faut pas oublier que M. SAVARY avait mis sur ses rails un train de mesures destinées à être appliquées progressivement. Les plus notables étaient la réforme des collèges inspirée par M. LEGRAND et la loi des enseignements supérieurs. M. CHEVENEMENT n’est revenu sur aucune de ces mesures, même pas sur la première qui pouvait être abrogée par simple voie réglementaire. La proportion des collèges LEGRAND ira donc en croissant, sans qu’on semble d’ailleurs se soucier d’établir un bilan de "l’expérience LEGRAND". Les Universités sont fermement invitées à multiplier les nouveaux premiers cycles dont la pédagogie est réglée par le refus systématique de toute sélection. Est-ce un progrès de l’élitisme républicain ? Non seulement la thèse d’État est supprimée, mais les candidats qui la préparent actuellement et ne la soutiendront pas dans un bref délai n’auront plus les droits qu’assurait dans le passé la possession du Doctorat d’État (à savoir, la possibilité de briguer un poste de Professeur d’Université). Cette mesure, qui constitue un déni de justice est-elle donc un moyen d’encourager les talents comme on prétend le faire ?

Ne rien faire c’est donc laisser le mal s’étendre. Ne nous laissons pas abuser par les mesures parcellaires, bruyamment annoncées. Elles ne sont que de la poudre aux yeux comme les beaux discours.

·Quant à l’enseignement privé, les quelques "mesures pratiques" annoncées depuis le mois de juillet, en cours d’examen au Parlement, se sont transformées en un dispositif législatif bien agencé. Certes, il a fallu renoncer aux mesures les plus provocantes. Mais on a conservé des armes redoutables. Le système des crédits limitatifs, l’insertion de l’enseignement privé dans les schémas prévisionnels permettent d’interdire à tout moment l’extension du secteur privé. La procédure de nomination des maîtres donne les moyens d’empêcher la constitution d’équipes cohérentes. Malgré la volonté gouvernementale de procéder de façon silencieuse il y a eu suffisamment de débats, de prises de position, pour qu’on sache à quoi s’en tenir. Je ne reviendrai donc pas sur un certain nombre de points.

Affirmer que le Gouvernement s’est donné des armes pour entraver l’extension de l’enseignement privé et gêner son fonctionnement, ce n’est pas engager un procès d’intention. D’abord, l’accumulation des armes prouve la volonté d’agresser. Ensuite, dès maintenant, le Gouvernement se sert des armes qui sont à sa disposition. Il y a d’abord le fait massif que constitue la faible dotation en postes d’enseignement qui a été accordée à l’enseignement privé. Faute de capacités suffisantes, cet enseignement a dû refuser des élèves qu’il était prêt à accueillir. Pour de nombreux parents, la liberté du choix de l’école est restée une fiction. Mais il y a aussi des difficultés qui pour être plus limitées n’en sont pas moins significatives. Je pense naturellement à l’affaire des classes préparatoires du Collège STANISLAS dont M. GORRE retrace par ailleurs l’historique.

Il serait regrettable qu’on n’y voie qu’un problème particulier concernant dans un seul établissement un secteur d’enseignement particulièrement "élitiste" et qu’on en conclue qu’il n’y a pas lieu qu’on se batte pour STAN ! Rappelons que ces classes ont un siècle d’existence, qu’à une époque où le fait n’était pas coutumier le collège STANISLAS avait décidé de préparer certains de ses élèves aux concours d’écoles publiques, qu’ont été ainsi formés de nombreux hauts fonctionnaires et parmi eux de nombreux Maîtres éminents de l’Université publique.

Pourquoi s’acharne-t-on à entraver le fonctionnement de ces classes ? Simplement, parce qu’elles constituent un secteur prestigieux pour le privé, parce qu’elles lui permettent d’apprécier et de faire apprécier sa valeur par une concurrence loyale qu’elles établissent avec les établissements publics lors de concours dont, pour l’essentiel, l’organisation relève de l’État. On comprend que M. CHEVENEMENT ne soit pas disposé à céder en ce cas. Parce qu’il est élitiste il ne peut supporter ce qu’il peut y avoir d’élitiste dans l’enseignement privé.

·Le recul tactique, les paroles apaisantes, ne doivent pas nous dissimuler la continuité des desseins. L’offensive a été stoppée, elle peut reprendre à n’importe quel moment si l’assaillant croit en tirer un bénéfice de quelque ordre que ce soit.

On sait maintenant que la décrispation n’a qu’un temps.

Maurice BOUDOT, le 5 décembre 1984.

 

Les classes préparatoires de STANISLAS

STANISLAS est le seul établissement privé catholique de PARIS assurant la préparation aux grandes écoles d’ingénieurs et de gestion des élèves issus de l’enseignement secondaire.

Depuis 1951, époque des lois BARENGE et MARIE en faveur de l’école libre, STANISLAS avait passé, avec l’approbation de Monsieur LAPIE, Ministre Radical Socialiste de l’Éducation Nationale à l’époque, un accord avec le lycée SAINT-LOUIS pour le fonctionnement de ces classes préparatoires.

Cet accord, qui laissait à STANISLAS la responsabilité de l’inscription des élèves, lui donnait aussi la possibilité de recruter ses professeurs parmi ceux du prestigieux lycée SAINT-LOUIS leur rémunération restant à la charge de l’État.

Après que Monsieur SAVARY, en refusant de tenir un engagement pris par un de ses prédécesseurs au Ministère de l’Éducation Nationale, eut contraint STANISLAS à fermer ses classes préparatoires pendant l’année scolaire 1983-1984, Monsieur CHEVENEMENT met tout en œuvre pour les détruire après leur réouverture en octobre 1984.

En inaugurant la rubrique "Pour la liberté de choix des parents", que nous annoncions dans le précédent numéro de la Lettre, par le cas de STANISLAS, nous avons bien conscience des différences que crée la nature de l’enseignement dispensé entre ces classes préparatoires et les classes primaires ou secondaires des milliers d’écoles qui constituent la substance de l’enseignement libre à travers tout le territoire.

Le cas de STANISLAS n’en est pas moins exemplaire de la continuité d’une volonté de destruction de ces écoles.

Il est aussi exemplaire par la fermeté des représentants de STANISLAS qui ont préféré fermer les classes préparatoires pendant une année scolaire plutôt que d’accepter un statut préfigurant celui prévu par le projet de loi de Monsieur SAVARY et qui ont réussi à rouvrir ces classes avec un financement uniquement privé.

Les OBSERVATIONS de la COUR des COMPTES

A l’occasion d’une inspection du lycée SAINT-LOUIS en 1977, la Cour des Comptes fit observer qu’il conviendrait de mettre en conformité le statut particulier de STANISLAS avec celui défini postérieurement par la loi DEBRE de 1959.

Conformément à la demande de la Cour des Comptes, un Protocole d’Accord fut signé en 1980 entre le Recteur de l’Académie de PARIS, en tant que représentant du Ministre, et le collège STANISLAS.

Ce Protocole établissait, sans la moindre ambiguïté, qu’au régime contractuel existant serait substitué celui de droit commun du contrat d’association pour la rentrée scolaire de 1983.

Après avoir laissé sans réponse les demandes répétées de mise en application du Protocole, Monsieur SAVARY, reniant l’engagement de son prédécesseur, prétendit, en mai 1983, imposer un statut d’établissement d’intérêt public (E.I.P.) que l’on retrouvera quelques mois plus tard dans le projet de loi auquel il a attaché son nom.

Après en avoir référé aux Autorités responsables de l’enseignement catholique et, en particulier, à Monseigneur HONORE, le collège STANISLAS refusa de donner au gouvernement la possibilité de se targuer d’un précédent, préférant la fermeture des classes préparatoires et la dispersion de ces classes, qui eut en effet lieu en octobre, 1983 dans des lycées parisiens.

La RÉSISTANCE à l’ARBITRAIRE

Grâce à la générosité de particuliers et d’entreprises, 8 classes préparatoires ont pu être rouvertes en septembre 1984.

Parallèlement, en décembre 1983, STANISLAS a demandé l’extension aux classes préparatoires du contrat d’association qui est le sien pour l’enseignement secondaire.

Ce n’est que le 9 juillet 1984 que le Préfet de PARIS, agissant pour le compte du Ministre de l’Education Nationale, répondit négativement à cette demande d’extension en arguant du fait que les Professeurs proposés n’avaient pas sollicité leur nomination.

STANISLAS fit alors appel au Comité Départemental de conciliation qui a pour mission d’arbitrer ce type de conflit. Par lettre du 26 juillet, STANISLAS fournissait à l’Administration toutes les informations prouvant que les conditions nécessaires à l’extension du contrat étaient remplies :

  • Mise en conformité des locaux (qui avaient été curieusement jugés non conformes après la rupture du contrat avec le lycée SAINT-LOUIS).
  • Nombre de candidatures des futurs élèves manifestant le besoin scolaire reconnu.
  • Titres des professeurs recrutés.

Lors de la réunion du Comité de Conciliation, tenue le 3 octobre, et sans qu’aucune précision complémentaire n’ait été demandée à la suite de la lettre du 26 juillet, l’ensemble des participants se prononça en faveur de l’extension du contrat, à l’exception du seul représentant de la Fédération de l’Éducation Nationale (F.E.N.).

Le représentant de la Préfecture déclara pour sa part "l’Administration estime que, en l’état actuel du dossier, la situation de certains professeurs assurant l’enseignement dans les classes préparatoires, ne paraît pas conforme aux conditions imposées par les textes en vigueur et que, en conséquence, il n’apparaît pas possible d’accorder l’extension du contrat aux dites classes préparatoires".

STANISLAS a depuis introduit un recours devant le Tribunal Administratif et obtenu que celui-ci use de la procédure d’urgence.

Grâce à cette procédure, le jugement devrait être rendu dans huit mois. Il sera, nul n’en doute, favorable à STANISLAS, mais le Ministère fera appel devant le Conseil d’État, nul ne peut en douter malheureusement.

Cet appel étant suspensif et les procédures de ce type devant le Conseil d’État ayant une durée moyenne de trois ans, le gouvernement dispose de cinq années pour étrangler financièrement les classes préparatoires.

Lucien GORRE.

 

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

LES DEUX CAMPS

La journée du jeudi 13 décembre marque un nouveau tournant du combat entre ceux qui veulent imposer le grand service public laïc et unifié et ceux qui défendent la liberté de l’école.

La majorité du Sénat a amendé le projet de loi de M. CHEVENEMENT après l’avoir déclaré, selon l’expression d’un de ses plus éminents représentants "tout aussi pernicieux et inopportun" que le projet SAVARY.

Dans un communiqué, l’U.N.A.P.E.L. dénonce les comités de vigilance qui font "des interprétations erronées d’une partie des textes actuellement en discussion devant le Sénat".

Le même jour, des parents d’élèves de Loire-Atlantique, alertés par ces comités de vigilance, ont installé, comme ils l’avaient fait au mois de juin, une école libre sur l’esplanade de la gare Montparnasse.

Quelques heures après, la police les en chassait par la force.

Pour sa part, l’U.N.A.P.E.L. "s’oppose à une agitation qu’elle estime aujourd’hui néfaste pour la cause qu’elle défend" en affirmant sa volonté "de voir régler les problèmes que posent encore les textes CHEVENEMENT dans le cadre des débats parlementaires et des concertations prévus".

ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ unit dans le même hommage la majorité sénatoriale et les parents de NANTES.

ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ appelle chacun à choisir son camp en se prononçant par tous les moyens que la Constitution autorise pour le texte qui vient d’être adopté par le Sénat.

Paris, le 13 décembre 1984.

 

INFORMATIONS GENERALES

DANS LA PRESSE :

• Dans "MADAME FIGARO" du 17.11.84, à la question de Karine CIUPA lui demandant "les parents du privé doivent-ils être totalement rassurés ?", Jean-Pierre CHEVENEMENT a répondu "En réalité, les parents du privé n’ont jamais eu lieu d’être inquiets".

Le reste de l’entretien confirme bien l’identité de la démarche de Monsieur CHEVENEMENT et de celle de Monsieur SAVARY : certains raccourcis ont été jugés impraticables et l’allure est plus lente, mais l’objectif reste le même.

DÉCLARATION d’UN MINISTRE :

• L’objectif de Monsieur SAVARY puis de Monsieur CHEVENEMENT est-il compatible avec un idéal de liberté ?

Telle n’est pas l’opinion de Madame Georgina DUFOIX, alors Secrétaire d’ÉTAT auprès du Ministre des Affaires Sociales et de la Solidarité Nationale, chargé de la famille, de la population et des travailleurs émigrés, s’exprimant à la tribune de l’Assemblée le 6 avril 1984.

En effet, en réponse à une question d’un député communiste dénonçant la collecte, par une entreprise, d’informations sur la vie privée et les opinions politiques des candidats à un emploi, Madame DUFOIX a répondu en dénonçant ces pratiques comme autant d’atteintes à la liberté (en précisant par la suite que lesdites pratiques n’étaient connues que par voie de presse).

Elle a ajouté "ces atteintes à la liberté sont moins visibles que d’autres qui suscitent d’immenses manifestations. Mais si elles sont moins spectaculaires, elles sont plus pernicieuses, plus dangereuses, beaucoup plus graves au regard des libertés de la personne".

Tout lecteur qui nous dira quelles sont les immenses manifestations qui ont été suscitées dans la période précédant le 6 avril par des atteintes bien visibles à la liberté, recevra autant d’exemplaires de ce numéro de la Lettre d’ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ qu’il le souhaite pour le distribuer à ses amis.

Encore deux précisions :

  • Madame DUFOIX a été promue Ministre à part entière dans le Gouvernement de Monsieur FABIUS.
  • Notre citation est extraite du JOURNAL OFFICIEL du 7 avril, page 1218.

MANIFESTATION

La PÉTITION NATIONALE pour une MEILLEURE ÉCOLE1 est une Association qui s’efforce de rassembler des idées concrètes pour améliorer notre système éducatif.

Déjà, à la fin du printemps, la P.N.M.E. avait organisé un colloque avec sept Professeurs, auteurs de livres récents sur l’école.

Le 16 octobre, une nouvelle réunion rassemblait autour de M. FOUGERE, Conseiller d’Etat, deux anciens Ministres, MM. BEULLAC et HABY, le Recteur BOURSIN et Madame MOURAL, Inspectrice Générale de l’Education Nationale et M. de VULPILLIERES, Maître de Requêtes au Conseil d’Etat.

Il s’agissait de montrer les difficultés de fonctionnement de l’administration de l’Éducation Nationale, surtout dans ses rapports avec la F.E.N. et de rechercher les moyens d’y remédier. Certes, ces moyens doivent être définis, mais il y faudra avant tout une forte volonté politique.

BIBLIOGRAPHIE

Dominique de La MARTINIERE vient de faire paraître une "Lettre ouverte aux Parents qui refusent le massacre de l’Enseignement"2. Ce titre provoquant est l’expression de son indignation qui fait suite à une profonde inquiétude ressentie depuis des années. Certes, cela fait plusieurs mois que nous lisons le témoignage de Professeurs criant leur angoisse devant l’état de délabrement de notre système éducatif. Mais pour lui qui regarde les choses de l’extérieur avec la longue expérience d’un grand commis de l’État, il s’agit d’abord de contester la double dictature d’une administration monstrueuse et d’un syndicalisme monopolistique pour leur opposer le pouvoir parental.

Très largement documenté, il analyse avec une cruelle précision des faits qu’il est difficile de mettre en doute et recherche avec lucidité les causes de cette situation aux conséquences tragiques pour l’avenir de la Nation. Et ce, pour aboutir à la conclusion qu’il faudra arriver à une reconstruction complète dont il définit les fondements essentiels.

Ce livre est un document très utile non seulement pour les Parents, mais aussi pour tous les adhérents d’ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ.

 

LA VIE DE L’ASSOCIATION

CONSEIL D’ADMINISTRATION

Monsieur Roland DRAGO, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris, et Monsieur Henri de La VILLE BAUGE, Vice Président de la Fédération de Paris des APEL, ont été cooptés au Conseil d’Administration.

ADHÉSIONS :

Les adhérents recevront au début d’année un appel pour le renouvellement de la cotisation.

Les bulletins d’adhésion et d’abonnement ci-dessous sont donc exclusivement destinés à des personnes qui n’ont pas encore adhéré.

Bien entendu, leur adhésion vaudra pour 1985.


1 3, rue Logelbach - 75017 Paris - Tél. : 227.04.85
2 Editions Albin MICHEL - 218 pages - 55,00F. - août 1984

Lettre N° 5 - 3ème trimestre 1984

Détails
Créé le lundi 2 juillet 1984 17:07

JANUS OU GRIBOUILLE ?...
REMARQUES À L’ATTENTION DES ADHÉRENTS ET ABONNÉS
INFORMATIONS GENERALES
LA VIE DE L’ASSOCIATION

JANUS ou GRIBOUILLE ?...

Le retrait de la loi SAVARY, l’engagement d’une procédure (désormais avortée) de réforme de la Constitution, la démission d’Alain SAVARY, le changement de gouvernement, le départ des ministres communistes, nous n’imaginions pas que notre manifestation du 24 juin déclencherait une telle suite de conséquences. La preuve est donc apportée que la protestation populaire, lorsqu’elle atteint un certain niveau d’intensité dans son expression, peut faire reculer un gouvernement pourtant acharné à réaliser ses desseins. Car c’est bien d’un recul qu’il s’agit, et même d’une déroute dont on cherche en vain à masquer la véritable nature.

La manifestation nationale, trop longtemps différée, imposée par la base à une direction craintive, a emporté une victoire dans une bataille décisive. Il faut le dire et il faudra le répéter, toutes les fois où il sera utile de le faire. Mais il serait dramatique de céder à l’illusion que le danger a disparu, d’oublier les responsabilités dans cette affaire ou de se tromper sur les intentions de ceux qui nous gouvernent.

Pour apprécier la situation actuelle, il nous faut revenir sur l’enchaînement des événements qui se sont déroulés depuis des mois. Ils ont déjà donné lieu à tant de commentaires qu’on peut craindre de lasser en proposant une analyse supplémentaire. Elle est toutefois nécessaire, dans la perspective qui est la nôtre, car avec le recul du temps on peut éclairer quelques points laissés dans l’ombre.

·Qu’est-ce qui a conduit le Président de la République à changer radicalement d’attitude, à décider le retrait du projet de Loi SAVARY ?

La chronologie fournit quelques indices pour déterminer la réponse la plus plausible à cette question.

Du 24 juin au 12 juillet, date de la fameuse allocution présidentielle, il y a trois semaines. Pendant cette période, nulle manifestation nouvelle, nul événement majeur si ce n’est la déclaration du Pape le 28 juin qui rappelle les positions fondamentales de l’Église sur le problème de l’enseignement confessionnel - positions qui étaient parfaitement connues - et le conflit avec le Sénat qui va en s’aggravant.

Que fait le Pouvoir? Est-il décidé à tenir compte de la protestation populaire dont il a cherché très maladroitement à minimiser l’ampleur par les décomptes fantastiques de Gaston DEFERRE ? Aucunement ; il le dit très clairement et le manifeste par ses actes. M. MAUROY n’exprime pas sa seule opinion lorsque, le 3 juillet, il affirme qu’il n’y a pas lieu d’amender le projet SAVARY tenu pour "une loi de concorde et de paix". Deux jours plus tard, le Chef de l’État affirmera qu’il a toujours encouragé les choix de M. MAUROY et qu’il ne faut pas dissocier leurs responsabilités. Sur le problème de l’école, il n’y aurait, à l’en croire, qu’un simple malentendu. M. MITTERRAND dénonce "la médiocre politique" qui s’est emparée du problème et condamne ceux qui, sous le nom de liberté, défendent leurs "privilèges". Il en vient jusqu’à soutenir que ce sont les lois DEBRE qui avaient "blessé dans leurs convictions des millions de Français". Il ne renoncera donc sur aucun point ; "Il ne se laissera pas intimider par les invectives et les obstructions".

Incontestablement, le langage est celui de la radicalisation plus qu’il ne le fut à aucun moment. Non seulement le langage, mais les actes, comme le prouve l’attitude à l’égard du Sénat.

Que demande le Président de la Haute Assemblée ? Rien d’autre, en premier lieu, qu’un délai suffisant pour l’examen sérieux des textes qui lui sont soumis, au premier rang desquels figure la loi SAVARY. On sait quel accueil il reçoit. On décide le 30 juin que le Parlement est convoqué en session extraordinaire pendant tout l’été et le gouvernement affirme sa volonté de voir réglées dans les 3 mois toutes les questions en cours d’examen. Jusqu’à la journée du 12 juillet, la querelle sur le calendrier des travaux s’aigrit : après avoir puni le Sénat comme une classe chahuteuse par une privation de récréation, on en vient au point où se profile la menace du recours aux ordonnances !...

Quant à la proposition sénatoriale de soumettre à référendum le projet SAVARY, non seulement on lui oppose l’argument très douteux de son anticonstitutionnalité, mais on la présente comme un "coup politique", "une manœuvre de retardement qui renforcera l’antiparlementarisme et l’extrémisme de droite" et ses auteurs sont qualifiés de "démagogues qui mettent en péril un édifice toujours fragile : la démocratie parlementaire". Je ne fais que citer des propos tenus à l’Assemblée Nationale le 6 juillet et dont on se demande comment ils n’auraient pas à s’appliquer à M. MITTERRAND lorsqu’une semaine plus tard il proposera à son tour un référendum !... D’ailleurs, M. MITTERRAND lui-même tourne en dérision l’initiative sénatoriale et n’hésite pas à dire : "si un référendum était à faire, ce serait auprès des enseignants du privé." Admirons la formule révélatrice des intentions de son auteur : l’argument de la prétendue inconstitutionnalité est subalterne ; tout simplement, un référendum sur la question scolaire est totalement inopportun.

Comment en une semaine pourra-t-il changer totalement d’avis ? Faut-il supposer que M. MITTERRAND, retenu par un scrupule excessif, que lui imposait une lecture très restrictive de l’article 11, n’avait pas songé plus tôt qu’on pouvait accéder à la demande sénatoriale en modifiant la Constitution ? Ce serait lui faire injure de lui attribuer une méconnaissance d’une Constitution qu’il a charge de garder. Faut-il supposer qu’au cours d’une brève entrevue, M. GISCARD d’ESTAING a pu le convaincre de prendre cette initiative pour restaurer l’unité nationale ? Mais on est étonné de voir l’actuel Chef de l’État accorder tant de crédit aux conseils de son prédécesseur. Faut-il supposer que, la retraite au bord du Jourdain aidant, M. MITTERRAND a compris la portée d’une protestation populaire dont il se décide enfin à tenir compte ? Mais pourquoi avoir attendu si longtemps et donner d’abord l’impression qu’on agissait en sens contraire ?

Aucune de ces explications n’est satisfaisante. Il nous faut donc chercher ailleurs. Probablement les choses se sont-elles passées ainsi : M. MITTERRAND sait que la radicalisation est coûteuse et risquée pour un Pouvoir très affaibli depuis les 17 et 24 juin ; mais il sait qu’est également coûteuse et risquée, compte tenu de l’état des forces politiques, une démarche d’apaisement qui ne prend un sens que dans un processus de recentrage. Il a d’abord choisi la radicalisation, mais un obstacle en apparence mineur l’arrête. C’est l’attitude du Sénat qu’on essaye vainement de faire taire à coup de menaces.

Les problèmes de calendrier deviennent alors tout à fait essentiels. Le Pouvoir comptait en finir avant la rentrée ; il espérait qu’après la période estivale la question scolaire appartiendrait au passé pour sa phase législative. Les risques de voir à l’automne l’agitation repartir de plus belle seraient ainsi minimisés. Calcul dérisoire, illusion qu’on ne peut prêter à de fins politiques, dira-t-on. Mais ne vivent-ils pas d’illusions ceux qui ont cru qu’ils obtiendraient du Sénat le vote désiré sur la révision de l’article 11 ?

La radicalisation était donc plus coûteuse que prévu, son succès de plus en plus incertain. Mieux valait prendre l’autre parti qui présentait quelques avantages, d’abord celui de se débarrasser de l’encombrant M. MAUROY, dont étrangement le nom ne sera pas prononcé dans l’allocution du 12 juillet, alors que l’article 89 de la Constitution précise que l’initiative de sa révision revient au Président de la République "sur proposition du Premier Ministre". (Savoir si le départ des communistes était prévu ou voulu est une question sur laquelle je n’ai aucune lumière).

Restait alors à monter un dispositif ingénieux pour donner l’impression qu’on cédait beaucoup, alors qu’on reculait au minimum pour faire croire à un virage décisif du septennat ; alors qu’on se contentait d’embrouiller les problèmes, enfin pour déconcerter l’Opposition et contraindre provisoirement au silence les plus résolus défenseurs de la laïcité. Ce fut fait, non sans talent, reconnaissons-le.

Mais si tel est le fond des choses, et je ne vois pas quelle autre hypothèse avancer, il y a quelques leçons à tirer. D’abord, la protestation populaire n’a pas été vaine. Le Pouvoir a dû reculer et s’il doit maintenant masquer ses intentions c’est un signe de sa faiblesse. Ensuite, le mouvement populaire a eu d’autant plus d’efficacité qu’il a trouvé un relais institutionnel. Sans le 24 juin, le Sénat n’aurait pas eu la détermination qui est la sienne. Mais sans le Sénat, les effets de la manifestation auraient été bien moindres. C’est dire que dans la défense des libertés, on ne doit pas se priver du concours des institutions qui contribuent à les sauvegarder, sous le futile prétexte d’éviter toute récupération politique.

Enfin et surtout, il faut se souvenir que M. MITTERRAND jusqu’au 12 juillet s’est radicalisé. Il l’a fait aussi longtemps qu’il a cru pouvoir le faire sans trop grand risque pour l’avenir de son septennat. Il y avait non seulement intention manifeste, mais bien plus qu’un commencement d’exécution, une tentative que seules les circonstances ont fait avorter. On ne lui attribuera donc aucun mérite dans sa brutale conversion, inquiétante d’ailleurs en ce qu’elle manifeste l’imprévisibilité de son comportement. Le repentir peut être tardif, encore faut-il qu’il soit sincère. Très manifestement cette dernière condition n’est pas remplie.

·D’ailleurs, quelles décisions étaient portées à notre connaissance dans l’étrange allocution du 12 juillet ?

Deux décisions totalement distinctes : le retrait de la loi SAVARY de l’ordre du jour du Parlement et l’engagement d’une procédure de révision par référendum de l’article 11 de la Constitution relatif à la procédure référendaire. Deux décisions entre lesquelles une confusion délibérément entretenue a laissé croire qu’existaient des rapports autres que ceux qui les liaient vraiment, qu’on a présentées comme complémentaires alors qu’elles se contredisaient.

Donnons acte à M. MITTERRAND qu’il n’a jamais explicitement promis un référendum sur le problème de l’enseignement privé. D’emblée il a d’ailleurs à peu près annoncé le contraire. Au projet SAVARY qui n’existait plus - et qui ne pouvait donc donner lieu à référendum - succéderait un autre projet de loi qui porterait "sur des points qui relèvent à l’évidence des procédures habituelles". Formule dont je ne vois pas ce qu’elle signifie sinon l’exclusion du référendum. Dans l’entretien du 14 juillet, il se refuse à promettre un référendum sur la question scolaire. Si la révision constitutionnelle est adoptée c’est lui qui décidera des circonstances dans lesquelles l’application de la procédure référendaire est opportune. On n’apprendra rien de plus, si ce n’est que cette procédure ne s’appliquera pas au problème de la peine de mort qui "n’est pas compris dans la définition constitutionnelle des libertés publiques" alors qu’étrangement les socialistes ont coutume de présenter l’abolition de cette peine comme l’un de leurs acquis en matière d’extension des libertés (de celles des victimes, supposé-je) ! Certes, Laurent FABIUS affirmera un mois plus tard le contraire, mais sa déclaration tardive est si manifestement destinée à fléchir le Sénat, tellement conditionnelle (c’est au seul cas où la question de l’école "poserait pour les Français un grave problème de conscience" qu’elle serait soumise à référendum) qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte.

Nous sommes donc éclairés : la révision constitutionnelle n’était pas destinée à résoudre le problème de l’école. Tout simplement, la querelle scolaire avait fait sentir à M. MITTERRAND l’opportunité d’un élargissement de la procédure référendaire. Il était naturel qu’il présentât en même temps que la mesure d’apaisement (le retrait de la loi) son projet de révision constitutionnelle. Bien sûr, on a pu aussi laisser entendre que le retrait de la loi SAVARY n’était définitif que sous réserve d’une acceptation de la loi de révision. Mais ce marchandage s’apparentait trop au chantage pour qu’on osât insister sur ce thème...

Si nous retenons cette vision des choses - et il faut le faire en l’absence d’un engagement formel d’appliquer la procédure référendaire à la question scolaire -, dès le 12 juillet le problème constitutionnel est totalement dissocié de cette question. Demander alors à ceux qui avaient pensé qu’un référendum pouvait préserver la liberté de l’enseignement de voter la révision pour ne pas se contredire est un argument de mauvaise foi, puisque précisément ils n’auraient pas le référendum qu’ils voulaient.

D’ailleurs, s’il s’agissait simplement d’apaiser la querelle scolaire, des deux mesures annoncées le 12 juillet, il y en avait une de trop. Le retrait de la loi SAVARY rendait inutile la révision constitutionnelle. En revanche, la révision n’aurait été efficace que si on avait appliqué la procédure référendaire à cette loi. J’aurais aimé qu’on nous annonçât qu’elle n’était retirée de l’ordre du jour du Parlement que pour être soumise au Peuple. Il est étrange que M. MITTERRAND n’ait pas été curieux du résultat. Une démission au lendemain d’un référendum négatif aurait été d’ailleurs un digne départ pour M. SAVARY. Il en est allé autrement, ce qui prouve que M. MITTERRAND redoutait un rejet solennel et définitif par le Peuple des projets socialistes en matière d’éducation.

Bref, avec ces deux décisions distinctes, François MITTERRAND donnait l’impression de céder deux fois. En apparence, il nous submerge sous une avalanche de bienfaits. Que fait-il en réalité ? Il reprend d’une main ce qu’il nous donne de l’autre. Contraint de reculer sur la question scolaire, il fait de ce recul une occasion de voir réaffirmée sa légitimité et ses pouvoirs considérablement renforcés. De là l’invention de ce référendum "à blanc", de caractère nettement plébiscitaire, dont l’un des avantages était non pas de rendre possible l’autre référendum, voulu par les Français et demandé par le Sénat, mais de permettre de l’éviter. Ainsi s’explique le rejet des propositions, faites par l’opposition, de soumettre la révision constitutionnelle à l’approbation du Congrès.

Si l’on examine son contenu, le projet de révision constitutionnelle apporte au problème de la sauvegarde des libertés publiques une solution extravagante. Soyons sérieux. Qui, dans un régime comme le nôtre, dans une conjoncture du type de celle que nous connaissons, peut menacer les libertés ? Nul autre qu’un gouvernement choisi par le Président de la République et soutenu par la majorité de l’Assemblée Nationale. A tort ou à raison c’est bien lui que les Français soupçonnent. Or, qui aurait le pouvoir de recourir au référendum pour préserver les libertés ? Nul autre que le Président de la République qui en a seul l’initiative. Jusqu’à nouvel ordre un passé de pyromane n’habilite pas à entrer dans le corps des sapeurs pompiers. Pour être honnête, la loi de révision devait pour le moins prévoir une initiative conjointe, par exemple un référendum décidé par le Président de la République à la demande du Sénat ou avec son accord.

Rien de semblable n’a été proposé parce que le but réel de la révision était seulement d’accroître les pouvoirs du Président de la République. Vraisemblablement, M. MITTERRAND pensait à l’éventualité où il se trouverait en présence, en 1986 ou avant, d’une Assemblée hostile. Il se préparait pour cette occurrence une arme beaucoup plus redoutable que le pouvoir de dissoudre.

Le problème de la révision constitutionnelle était donc posé en termes tels qu’il n’avait plus aucun rapport avec la question scolaire. Il était devenu un problème d’équilibre des pouvoirs et, à mon sens, la solution négative qui lui a été apportée était la seule acceptable. Il faut beaucoup d’aplomb pour continuer à dire, comme le fait M. JOSPIN, que l’opposition a refusé ce qu’elle avait demandé : un référendum n’égale pas n’importe quel autre référendum.

Concluons vite, puisque la question "n’est plus d’actualité" comme le constatait l’orateur communiste à l’Assemblée pour justifier que son groupe vote une révision qu’il venait de condamner !

Le Pouvoir a utilisé la question scolaire comme un simple prétexte pour tenter, à son occasion, une opération politique qui devait assurer de meilleures conditions de survie au Président de la République au cas où les prochaines législatives lui seraient défavorables. Je suppose que, lorsqu’il dénonce la politisation du débat scolaire, M. DANIEL pense à cela.

· Achevé l’épisode référendaire, où en sommes-nous !

Un seul point est acquis : le retrait de la Loi SAVARY, encore qu’on n’ait aucune assurance qu’elle ne renaîtra pas de ses cendres, un jour ou l’autre, avec un nouveau parrain. M. CHEVENEMENT a fait part de sa volonté d’aller vite pour régler les problèmes urgents. Mais en matière d’éducation, l’urgence est une notion toute relative. Les universités ne vivent-elles pas depuis 8 mois sous le régime d’une loi incomplète dont le Conseil Constitutionnel a condamné les dispositions indispensables à son application (à savoir, le mode de désignation des Conseils), sans qu’on semble avoir hâte de remplacer ces textes ? Décidément, les lacunes juridiques ne font pas peur à nos gouvernants et, en guise de constructions, M. SAVARY n’aura laissé derrière lui que des édifices inachevés.

Néanmoins, on essaiera vraisemblablement d’adapter la Législation en vigueur aux transferts de compétences qu’entraîne la loi de décentralisation, en utilisant la procédure réglementaire qui permet d’agir en catimini. Hier, on nous disait que c’est l’incompatibilité des lois DEBRE-GUERMEUR avec la loi de décentralisation qui rendait indispensable qu’on leur substitue une loi nouvelle ; aujourd’hui M. LAIGNEL nous apprend qu’on peut actualiser la législation en vigueur par de simples décrets et M. CHEVENEMENT proteste quand on lui attribue l’intention de déposer une nouvelle loi ("je n’ai rien dit de tel", LE MONDE, 28 août). Nous aimerions savoir où est la vérité.

Cette adaptation par décret comportera des pièges. On nous répète sans cesse que l’enseignement privé doit renoncer à ses privilèges, "comme la possibilité accordée au seul privé de créer des postes" (A. LAIGNEL, Le QUOTIDIEN de PARIS, 21 août 1984). Naturellement, il s’agit là d’une description extravagante de la situation actuelle, puisqu’il n’y a création de postes que s’il y a besoin scolaire reconnu.

Faute de venir à bout de l’enseignement privé, au moins peut-on espérer entraver son développement, lui interdire de faire face à l’afflux de demandes nouvelles qu’il a connu cette année. La concurrence sera "planifiée", soyons-en assurés. Comptons sur l’inventivité de nos socialistes pour multiplier les pièges, imprévisibles par nature, puisque c’est la condition de leur efficacité. C’est dire que ceux qui ont en charge de suivre le problème devront redoubler de vigilance et que l’opinion publique ne doit pas se laisser endormir par les propos lénifiants.

Mais ira-t-on au fond de la question, lui apportera-t-on une solution définitive ? Vraisemblablement non, et le candide espoir qu’entretiennent certains défenseurs du privé sera déçu. Je suis assez étonné de voir qu’on se réfère à la récente déclaration de M. LAIGNEL, dont je viens de citer une formule, comme si son auteur y répudiait les principes qui sont les siens. Certes, le ton patelin, dans le goût du jour, est nouveau ; mais sur le fond M. LAIGNEL ne renie rien.

Il y aurait, selon lui, deux logiques pour résoudre le problème. Celle de "l’intégration", qui consiste à absorber l’enseignement privé dans un service public unifié, en lui laissant une marge d’autonomie plus ou moins restreinte (c’est moi qui commente) et celle de la séparation "schématisée par la formule "fonds privés pour l’école privée"".

L’intégration déplaît aux laïcs ; elle a été refusée par le privé, alors que la loi SAVARY la lui proposait à des conditions avantageuses qu’acceptaient les laïcs "parce que c’était un gouvernement de gauche qui le leur demandait" (à croire que les laïcs au lieu de suivre leurs convictions obéissent à des considérations de basse politique !). On est heureux d’apprendre au passage que la loi SAVARY était une loi d’intégration, ce qui était nié, il y a trois mois. Toujours est-il qu’il reste la seule logique de la séparation qui, d’ailleurs, a toujours eu les faveurs de M. LAIGNEL, car elle est "très libérale" et "correspond aux souhaits de beaucoup de gens". (Faut-il supposer qu’on est libéral du simple fait qu’on n’interdit pas l’enseignement privé ?). Tout ceci est parfaitement cohérent. On attend la conclusion : supprimons sans délai toutes les aides publiques à l’enseignement privé. Naturellement, elle ne vient pas. M. LAIGNEL n’a quand même pas envie de saborder son parti. Il accepte donc d’attendre ; sur ce point sa position s’est effectivement modifiée. Toutefois, il est certain qu’on restera dans l’instabilité, puisque la rigueur des temps interdit de s’installer dans le système séparatiste : "la question de la définition des rapports entre le public et le privé resurgira un jour ou l’autre". Je ne serais pas étonné que M. LAIGNEL pense au lendemain d’une victoire aux prochaines législatives.

·Nous sommes prévenus.

L’occasion manquée, dont M. LAIGNEL est si navré de voir que le privé n’a pas su la saisir, c’est la loi SAVARY. Il n’y en aura pas d’autre, si ce n’est les lois "séparatistes" dont on rêve. Tout ce qui sera proposé, quel qu’en soit l’habillage, relèvera de la disposition transitoire, même si on soutient mensongèrement le contraire. Il est temps que certains milieux cessent de rêver. Il n’y aura pas de solution définitive et satisfaisante de la question scolaire aussi longtemps que gouvernera le parti de M. LAIGNEL.

Il y a eu recul du Pouvoir, non volonté réelle d’apaisement.

Maurice BOUDOT, le 5 septembre 1984.

P.S. - On aura compris que cet article était prêt pour l’impression, lorsque M. CHEVENEMENT a rendu publiques ses intentions.

Sa déclaration ne comporte aucun élément imprévu et ne nous conduit sur aucun point à modifier notre analyse. Vraisemblablement, on restera dans le provisoire, avec quelques aménagements progressifs du statu quo dont il est à craindre qu’ils soient tous défavorables à l’enseignement privé. Mais tout jugement définitif doit être différé jusqu’au moment où les intentions du Ministre se traduiront en textes précis.

Pour l’instant, nous éviterons soigneusement d’entrer dans le jeu de la propagande qui veut nous faire croire que la bonne volonté du gouvernement lui a permis de trouver très rapidement une solution équitable des problèmes en suspens. Ces problèmes sont en réalité, ou différés, ou éludés. On est beaucoup plus pressé de nous faire croire qu’on les a déjà résolus que de les résoudre réellement.

Il faut beaucoup de candeur pour se réjouir bruyamment de voir disparaître les mesures les plus intégrationnistes de la loi SAVARY. N’était-ce pas prévisible depuis le 12 juillet ? M. CHEVENEMENT avait-il un autre choix ?

Nous n’accorderons donc pas à cette déclaration plus d’importance qu’elle n’en mérite.

Remarques à l’attention des adhérents et abonnés

  • Des dispositions fiscales et les règles de fonctionnement des P.T.T. nous obligent, comme toutes les associations, à distinguer l’abonnement à notre lettre de l’adhésion. Quelques adhérents nous écrivent en s’étonnant de ne pas recevoir la Lettre alors qu’ils ont tout simplement oublié de s’abonner.
  • Afin de permettre aux distraits de réparer leur oubli, nous diffusons ce numéro de la Lettre, dans la limite autorisée par les règlements évoqués ci-dessus, à des adhérents non abonnés. Que ceux qui voudront bien s’abonner précisent, en nous retournant leur bulletin, qu’ils sont déjà adhérents. En cas de doute de leur part, nous vérifierons et leur renverrons leur chèque d’abonnement s’il fait double emploi. Que ceux qui souhaitent ne recevoir aucun papier veuillent bien nous pardonner et transmettre celui-ci à quelqu’un de leur entourage.
  • Nous remercions les adhérents qui nous ont signalé que la lettre Nr.4 leur était arrivée avec retard. Nous leur demandons d’en faire autant pour celle-ci qui devrait être distribuée pour le 30 septembre 1984.

 

INFORMATIONS GÉNÉRALES

I - COMMUNIQUES DE PRESSE DIFFUSES DEPUIS LA LETTRE N° 4

COMMUNIQUE N° 15 (du 20 juin 1984)

"Contre le monopole de l’école, ENSEIGNEMENT et LIBERTE invite ses adhérents à participer à la manifestation du 24 juin 1984.

Rassemblement à 13 h 00 rue de l’Arrivée, au coin de la Place du 18 juin 1940."

COMMUNIQUE N° 16 (du 13 juillet 1984)

"La volonté populaire, clairement manifestée les 17 et 24 juin, et le Sénat, dont la résistance était indomptable parce qu’elle donnait un cadre institutionnel à l’expression de cette volonté, ont contraint le Pouvoir à une retraite dont l’habileté de sa présentation ne saurait dissimuler le caractère humiliant.

ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ se réjouit de cette première victoire mais ne se laissera pas griser par ce succès :

  1. Le retrait du projet de la loi relatif à l’enseignement privé est un désaveu si cinglant et si outrageant pour MM. MAUROY et SAVARY, qui s’acharnaient, par les procédés les plus brutaux, à en accélérer l’adoption, qu’on ne peut concevoir qu’ils n’aient pas déjà présenté leur démission à celui qui les a désavoués.
  2. Il importe de réclamer dès maintenant au Président de la République, qui prétend demander au peuple de lui donner les moyens de le faire, de soumettre à référendum le futur projet sur l’enseignement privé.

On peut douter de sa volonté en la matière puisque le Président de la République parle de "points qui relèvent à l’évidence des procédures habituelles". On peut donc redouter que le référendum annoncé, sur la Constitution, n’ait pour but que d’en éviter un autre, désiré par les Français, qui leur permettrait de se prononcer en toute clarté sur l’ensemble des questions concernant l’enseignement privé.

La plus grande vigilance s’imposera dans la période nouvelle qui s’est ouverte hier."

COMMUNIQUE N° 17 (du 31 août 1984)

"Les "propositions" de Monsieur CHEVENEMENT relatives à l’enseignement privé constituent une simple déclaration d’intention et on ne pourra entièrement les juger que lorsqu’elles auront été complétées par des textes précis.

Elles n’apportent pas les conditions d’un apaisement définitif de la question scolaire mais manifestent qu’après la déroute qu’il a subie, le Gouvernement éprouve le besoin de conclure, à des termes favorables, une trêve qu’il pourra toujours remettre en cause lorsque les circonstances lui seront moins funestes.

Toutes les modifications qu’on projette d’apporter au statu quo (crédits limitatifs, soumission à la carte scolaire, mise en place de commissions de concertation, etc...) sont faites au détriment de l’enseignement privé. Elles reprennent ou évoquent en filigrane des dispositions contenues dans la loi SAVARY. Dans un premier temps elles empêcheront le développement de l’enseignement privé ; dans un second temps elles viseront à l’enserrer dans un réseau de contraintes étatiques.

Faute de pouvoir réaliser brutalement ses desseins, le Gouvernement adopte la stratégie du grignotage."

II - LIBERTÉ DE CHOIX DES PARENTS

Nous combattons pour que cette liberté existe dans l’école publique et dans l’école privée. L’étape législative, dans la direction du grand service public laïc unifié, ayant échoué, il faut s’attendre au déclenchement d’une guérilla administrative dans le même but.

Nous demandons à nos lecteurs de nous adresser toutes les informations dont ils peuvent avoir connaissance sur les atteintes portées au libre choix de l’école par les Parents en raison de l’insuffisante capacité d’accueil ou de difficultés d’inscription.

III - DERNIÈRE NOUVELLE

Monsieur CHEVENEMENT, nouveau Ministre de l’Éducation Nationale, nous a annoncé des mesures "simples et pratiques". Sans attendre l’énoncé de ces mesures, il nous a paru nécessaire de faire, au moyen de cette lettre, un bilan des événements antérieurs. Bien entendu, si la situation le demande, nous la compléterons au cours du trimestre par un numéro spécial.

LA VIE DE L’ASSOCIATION

ORGANISATION :

  • Le secrétariat d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ est désormais assuré, sous la responsabilité de notre Délégué Général, Monsieur François GIROUX, par Mademoiselle Janine DEDIEU.
  • Nous sommes toujours à la recherche d’un nouveau local pour y établir nos bureaux. Il peut s’agir d’un local d’habitation ou d’un local commercial de deux pièces dans un quartier central de Paris.

ACTIVITÉS :

  • Monsieur CHAUVIN, Président de la Commission Sénatoriale et Rapporteur du projet de loi SAVARY, a reçu notre Président le 5 juillet 1984. Monsieur BOUDOT lui a naturellement exposé les raisons de notre opposition à ce projet de loi.
  • A l’occasion de l’Assemblée Générale qui se tiendra au mois de mars 1985, le Conseil d’Administration a l’intention d’organiser un colloque sur la liberté de l’enseignement.

ADHÉSIONS

  • Certains adhérents nous ont envoyé des listes de personnes à contacter. Nous les en remercions et demandons à tous ceux qui le peuvent de bien vouloir faire la même chose.
  • A la fin du mois d’août, ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ compte environ 26.000 adhérents. Nous allons, dans les mois qui viennent, lancer une campagne pour le renouvellement des cotisations anciennes.

Plus d'articles...

  1. Lettre N° 4 - 2ème trimestre 1984
  2. Lettre N° 3 - 1er trimestre 1984
  3. Lettre N° 2 - 4ème trimestre 1983
  4. Lettre N° 1 - septembre 1983

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