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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 32 - 2ème trimestre 1991
UNE BOURSE, POURQUOI FAIRE ? Il pourrait sembler superflu et même inapproprié d’instituer une bourse visant à proposer des manuels de biologie aux élèves de l’enseignement secondaire, tant est importante la production des éditeurs spécialisés en ce domaine de l’exploitation des programmes pédagogiques. L’impérialisme doctrinal et théorique qu’exercent à travers ces ouvrages certaines écoles de pensée peut expliquer qu’un certain malaise puisse naître de la présentation orientée et tendancieuse à des consciences neuves et mal protégées de certaines applications de la science dans le cadre de la biologie humaine. Qu’il s’agisse de l’exploitation de la génétique ou de l’usage de substances hormonales de synthèse, elles traduisent trop souvent la contrainte d’une vision ou d’une interprétation absolutiste et univoque des phénomènes ; elles se substituent arbitrairement à un processus d’analyses et d’examens comparés rigoureux et soucieux d’objectivité qui devrait apporter à l’élève toutes les ressources d’une détermination personnelle et d’un libre choix d’option fondé sur des arguments scientifiques indiscutables et sur une conception personnelle de la morale. L’exécution des programmes pourrait être assurée dans un total respect des consciences. N’importe-t-il pas alors que de tels ouvrages puissent être offerts au libre arbitre des familles ? Telle est l’intention qui nous anime en proposant à celles-ci des documents de référence et de qualité réalisés par les meilleurs et couronnés pour leur valeur scientifique et leur objectivité dans la prospective de la dimension humaine qu’ils peuvent apporter à l’enjeu de la formation des hommes. Recteur P. MAGNIN M. Jean CAZENEUVE, Président du Jury de nos Prix, vient de publier aux Éditions PERRIN le livre "ET SI PLUS RIEN N’ETAIT SACRÉ". Il est rare qu’un ethnologue et sociologue spécialiste (notamment) du rôle des rites dans les sociétés comme celle des Zunis, ou des problèmes de la communication médiatique s’élève délibérément au-dessus des questions débattues par des spécialistes. C’est pourtant ce qu’a su faire Jean Cazeneuve, qui, à l’instar de ces grands penseurs de notre siècle que sont Claude Lévi-Strauss ou Jacques Soustelle, sait instruire tout le public cultivé à partir de sa profonde réflexion sur les sociétés humaines. En d’autres termes, les titres et la renommée de savant de l’auteur ne doivent nullement intimider le lecteur. M. Cazeneuve - qui a dirigé TF1 autrefois - montre qu’il est un excellent spécialiste de la communication, non seulement dans sa dimension théorique, mais aussi dans ses aspects pratiques. A chacun le plaisir et le soin de découvrir cet ouvrage si riche et si vif. Mais dans ce texte, éclairé par une profonde connaissance de Max Weber, Durkheim, Mauss ou Levy-Bruhl, où il est montré qu’à vouloir proscrire le sacré on risque de lui substituer de lamentables contrefaçons, il faut signaler les pages consacrées au système des stars, aux idoles du stade vraiment divinisées (les citations avancées sont probantes) ou aux cultes de la vie politique. Toutes ces données convergent vers une leçon qu’on peut résumer ainsi : en profanant Notre-Dame, on offrit un temple sacrilège à la Déesse Raison, puis aux mascarades de Robespierre en l’honneur de l’Etre Suprême. A l’occasion de son Assemblée Générale, le 4 avril, à Lyon, l’A.R.L.E. (Association Rhodanienne pour la Liberté de l’Enseignement), avait demandé à notre Président de donner une conférence sur le sujet suivant : Non, à la disparition du pluralisme scolaire. Le texte qui suit est constitué d’extraits de cette conférence reproduits en plein accord avec l’A.R.L.E. ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ Tout d’abord une définition : le pluralisme s’oppose au système du monopole. Il y a pluralisme lorsque les parents peuvent choisir l’établissement scolaire auquel ils confient l’éducation de leurs enfants (ou pour les jeunes adultes majeurs, choisir eux-mêmes), et cela sans préjudice financier. Le pluralisme recouvre le principe du libre choix et la faculté de créer des écoles. Voilà le principe dont nous pensons qu’il doit actuellement être défendu en France. Que ce principe soit en quelque sorte la mise en œuvre d’un droit fondamental de l’homme, qu’on apparente souvent à juste titre à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression, est un fait reconnu. Des textes fondamentaux de portée internationale lui confèrent ce statut. Ceci donne à la défense du pluralisme scolaire une espèce de légitimité morale, sinon juridique. Je citerai seulement l’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) : "Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental... Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants." Dire que le pluralisme scolaire est un principe affirmé par des textes presque sacrés est rassurant, mais ce n’est pas un motif sérieux pour se mettre en mouvement pour le défendre. La raison essentielle réside dans le fait qu’il est indispensable à la préservation des libertés individuelles. D’ailleurs les régimes totalitaires ne s’y sont pas trompés : ils ont toujours établi un monopole d’enseignement à leur profit. Ce lien du pluralisme scolaire et de la liberté individuelle fut très nettement perçu par Condorcet, qui s’exprime sur ce problème en termes particulièrement nets. Le ressort du raisonnement qui fonde l’opposition au monopole scolaire est simple "Tout pouvoir de quelque nature qu’il soit, est naturellement ennemi des Lumières". Disons qu’il est porté à l’intolérance et à l’abus des moyens dont il dispose pour régir les opinions. Les textes de Condorcet, dont nous avons déjà parlé dans cette Lettre ont exactement deux siècles. Ce qui était vrai hier ne l’est-il plus aujourd’hui ? Tout au contraire. Je pense que les conditions qui sont celles de la France contemporaine rendent encore plus indispensable le pluralisme scolaire. 1 - Nous vivons dans une société où le rôle de l’État va constamment en se renforçant (notamment à travers son aspect d’Etat providence). C’est dire que son pouvoir est de plus en plus menaçant. J’ajouterai que cette société va très naturellement vers l’uniformisation et la centralisation. Si on veut éviter cette tyrannie bienveillante que Tocqueville redoutait dans l’avenir des démocraties, il est de première urgence que soient préservées toutes les dispositions qui maintiennent quelques éléments d’autonomie et de diversification. Ce qui était vrai hier l’est a fortiori aujourd’hui. 2 - Par ailleurs, la crise extrêmement grave que subit l’institution - 1/3 de divorces - a entraîné une régression considérable dans l’influence familiale. Ceci concerne même les familles qui ne sont pas directement atteintes par cette crise. Que ce soit par souci, compréhensible, de ne pas trop s’éloigner des pratiques habituelles ou pour n’importe quelle autre raison, le fait est là : l’influence de la famille s’est beaucoup restreinte, à tel point que si on ôte aux parents la possibilité de choisir l’établissement scolaire auquel ils confient leurs enfants, il ne reste presque plus rien d’elle. Corrélativement, il y a la perte de prestige des "autorités morales" : l’Eglise ose à peine exercer son magistère. Beaucoup de clercs s’expriment comme s’ils redoutaient de choquer l’opinion publique. Diminution de l’autorité familiale, baisse de prestige des Églises, il ne reste pratiquement rien pour contrebalancer la toute-puissance de l’État si on porte atteinte au pluralisme scolaire. 3 - Rien ou presque, parce que pour régler les opinions, les diffuser et les gouverner, demeurent ces redoutables puissances que sont les médias et notamment le plus puissant d’entre eux, la télévision ! Ces médias qui vivent dans l’éphémère, nous font oublier chaque semaine ce qu’ils présentaient comme la question essentielle - l’événement d’importance historique - de la semaine précédente. Médias à la fois manipulateurs et manipulés qui risquent, par le caractère presque exclusif de leur influence, de créer une génération sans mémoire, sans constance, sans caractère ni capacité de résistance, sans plus de fermeté dans la volonté que d’ordre dans la pensée. Non que ceux qui fabriquent les médias soient plus mauvais que d’autres, mais parce qu’ils obéissent à la loi du genre, qu’ils sont soumis à une logique qui leur est propre. Or les médias ne nous offrent qu’une apparence de pluralisme. Les sommes nécessaires pour créer et développer un système d’information efficace sont d’un ordre tel qu’il est, dans certains cas, assez fictif de parler de la liberté qu’a le citoyen particulier de "faire connaître ses idées au public". Les médias sont soumis au contrôle des financiers (les agents de publicité) et au contrôle de l’Etat. A ceux qui douteraient du caractère très fictif de leur pluralisme, je suggère de confronter les divers bulletins d’information de la télévision : dans les sujets retenus (ou exclus) et dans les commentaires, il y a une très grande uniformité et souvent tel bulletin ne fait que reprendre les titres d’un "grand quotidien du soir". C’est stupéfiant de ressemblance, même dans la mise en page. Ces médias, dont la vocation était primitivement de nous informer, s’érigent volontiers en maîtres à penser ; ils nous donnent des leçons de morale. Mais comment le leur reprocher alors qu’ils sont presque les seuls à le faire et qu’ils remplissent ainsi une fonction essentielle ? La nature a horreur du vide : ils occupent une place laissée vacante. Il est trop manifeste que le pouvoir politique qui entretient avec les médias une "relation dialectique" a naturellement tendance à les contrôler. Par des moyens plus ou moins détournés, il y parvient assez facilement dans une large mesure. Je pense qu’il est plus facile d’infléchir presse et télévision qu’un réseau d’écoles indépendantes. Dans les circonstances actuelles, s’il était porté atteinte sérieusement au pluralisme scolaire, il n’y aurait plus aucune institution susceptible de résister à la puissance de l’Etat. L’école constitue éventuellement le dernier refuge qui permette à l’enfant de résister à des influences délétères, à la volonté de modeler sa personnalité. C’est pourquoi plus que jamais le pluralisme scolaire doit être préservé. Mais il est d’autres arguments en faveur du pluralisme scolaire, qui consistent non à se fonder sur des principes, mais à établir ses conséquences bénéfiques. Condorcet notait déjà (dans un rapport sur un projet de décret présenté à la Législative) que si tout citoyen peut librement former des établissements d’instruction "il en résulte pour les écoles nationales l’inévitable nécessité de se tenir au moins au niveau de ces institutions privées". C’était fort bien vu : tout système de monopole est sans efficience ! La découverte de la réalité des pays de l’Est {notamment en matière d’équipement industriel) constitue une preuve sans appel. Ce qui vaut de façon générale s’applique parfaitement aux systèmes d’éducation. Notons qu’en accordant aux défenseurs des régimes totalitaires de l’Est que s’ils échouaient en économie, ils réussissaient mieux dans d’autres domaines, notamment dans l’organisation de l’enseignement, on leur avait probablement beaucoup trop concédé. La réalité serait moins riante qu’on voulait bien nous le dire : l’illettrisme n’est pas un phénomène propre aux pays capitalistes. Il est difficile pour l’instant de faire un bilan exact mais on ne trouve pas là le contre-exemple qui montrerait que certains systèmes de strict monopole sont néanmoins efficaces. Tout le monde sait que la rentabilité du système éducatif français est consternante : de maigres résultats eu égard aux investissements financiers et à la perte de temps pour les intéressés. Mais on ne conserve une idée de ce gâchis, qu’on essaye de nous dissimuler, que parce qu’il y a des termes de comparaison à l’intérieur même de notre société. Et c’est la crainte du résultat funeste de ces comparaisons qui nous préserve encore des pires aberrations. La meilleure façon de s’y prendre pour ruiner toutes les écoles publiques, c’est de supprimer le privé (et tout mécanisme de concurrence entre ces écoles). Sans le pluralisme, la dégénérescence sera inexorable parce que invisible. Nous assistons à l’heure actuelle à une prodigieuse opération pour briser les traditions culturelles et religieuses de la France, pour couper les nouvelles générations de notre passé, pour changer les mentalités comme on disait au beau temps du premier septennat. C’est une révolution culturelle en douceur qui s’effectue sous nos yeux et il ne faut pas s’illusionner : tel était l’objectif prioritaire de ceux qui nous gouvernent. Pour ces idéologues, les transformations économiques ne sont jamais qu’un moyen, ce sont les mentalités qui les intéressent. Cette révolution peut réussir : le pluralisme scolaire est évidemment un obstacle sur son chemin, le dernier rempart de la liberté. C’est pourquoi on s’acharne à le restreindre. C’est aussi pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour le défendre. L’Homme Nouveau, d’une part, Famille Chrétienne, d’autre part, ont publié une lettre ouverte adressée par M. Brunet-Lecomte, membre du C.A. APEL de l’Académie de Versailles, à M. Cerisola, Président de l’UNAPEL, qui nous semble mériter d’être portée à la connaissance de nos adhérents : "Monsieur le Président, * Titre du chapitre : A vrai dire, ce texte, exemplaire par son courage et sa lucidité aura eu quelques effets, car, vraisemblablement pour éviter ce type de reproche, l’intervention de mon éminent collègue, le Professeur Delumeau, et le Congrès de l’UNAPEL plus généralement ont sombré dans l’insignifiant et le soporifique, si j’en crois ma meilleure source d’information, le remarquable article de Josyane Marquier dans l’Homme Nouveau du 2 juin 1991. Je voudrais poser deux questions : 1. Est-il dans la fonction de l’UNAPEL de défendre une certaine conception de l’Europe, celle de M. Delors et des technocrates de Bruxelles, l’Europe supra-nationale qui se distingue radicalement de l’Europe des patries qui a les faveurs d’autres secteurs de l’opinion ? Le choix entre ces deux conceptions relève d’un débat strictement politique. Néanmoins, l’UNAPEL a cru bon de n’inviter au Congrès de Lille que des hommes politiques qui faisaient l’apologie de l’Europe supra-nationale. Lorsque je lis des extraits du discours de M. Jacques Barrot : "l’Europe balaiera les corporatismes, les obstacles... l’Enseignement catholique, parce qu’il a l’audace d’anticiper sur les grandes perspectives européennes, démontrera qu’il est exemplaire, qu’il est à l’avant-garde de l’expérience éducative, etc...", je suis évidemment très reconnaissant à la journaliste qui a eu la force de garder oreilles et yeux ouverts, mais aussi très inquiet sur la confusion des genres. L’UNAPEL n’est-elle qu’une sorte d’appendice du C.D.S. ou de la France unie ? Malgré son entière bonne foi, qui n’est aucunement en cause, M. Barrot ne pouvait qu’échouer dans son entreprise qui consistait à montrer que le "supplément d’âme" se trouvait du côté de l’Europe de Bruxelles ! Non, vraiment, ce n’est pas sérieux, et je ne vois pas en quoi l’évangélisation est concernée par des affaires qui relèvent de la "politique politicienne". Sans quelques discours épiscopaux, notamment celui de Mgr Panafieu, qui oppose à l’Europe des "poings fermés" celle des "mains tendues", il n’y aurait vraiment rien eu de positif dans ce Congrès de l’UNAPEL. 2. Mais il y a pire. Passons sur ce que comporte de confusion cette identification de l’ouverture à l’autre avec l’esprit anti-national. Il reste que le thème de ce congrès, la façon dont il devait se dérouler, s’insérait un peu trop bien dans une vaste opération dont la rigueur de son organisation nous donnerait à penser que le K.G.B. n’est pas tout à fait mort et que l’UNAPEL a été vraisemblablement utilisée à son insu. Quant au but de l’opération, il est manifeste : c’est la croisade anti-Jean-Paul II. Car personne ne peut maintenant en douter. Il s’agit bien d’abattre un Pape qui a pour défaut essentiel de défendre le dogme catholique sans compromission, de s’efforcer de convertir, ce qui est réprouvé au nom d’une conception perverse de la liberté de conscience, enfin et surtout d’avoir contribué de façon décisive à libérer les victimes de l’oppression communiste. Il est loin le temps où l’on s’extasiait sur ce premier pape non italien depuis quatre siècles, ce pape "venu de l’Est", "venu du froid", issu de "l’Eglise du silence". Dès lors qu’on a compris qu’il ne tenait pas l’installation des sex-shops ou des "Mac Donald", la diffusion des vidéos série X pour indispensables au progrès de la civilisation et de la liberté, qu’il préservait sur des sujets sensibles, comme l’avortement, la doctrine traditionnelle dont le dépôt lui était confié, ce Pape fut tout juste bon à être jeté aux orties. Ce n’était qu’un Polack abruti, ignorant de la modernité ! Et lorsqu’il persévère, tout est mis en œuvre pour l’empêcher de nuire, jusqu’à l’attentat contre sa vie dont la récidive n’est pas totalement à exclure. Mais il y a aussi et surtout les armes "morales", si j’ose dire : les ignominies de certains périodiques, à côté desquels la Calotte fait figure de publication de la Bibliothèque Rose. Mais aussi, et c’est plus grave puisqu’il s’agit d’un personnage officiel, les déclarations de Mme Véronique Neiertz, secrétaire d’Etat récemment nommée aux "Droits des femmes" (sic), déclarations dans lesquelles l’ignoble le dispute au ridicule : on apprend que par sa condamnation de l’avortement le Pape "insulte" les femmes "dans leur dignité, leur courage et leur détresse". Je suis bien aise d’apprendre que "les femmes n’ont de leçon à recevoir de personne en ce qui concerne les responsabilités de la vie ou le sens des responsabilités familiales". Si j’ai bien compris, pauvre représentant du sexe autrefois dit fort, je ne suis pas jugé capable d’accéder à ce niveau d’autonomie. Mais à côté de ces outrages caractérisés qui ne peuvent qu’écœurer le moins papiste des Français, qu’il soit catholique ou qu’il ne le soit pas, pourvu qu’il soit de bonne foi, il y a les piqûres d’insectes, les petites critiques permanentes dont l’accumulation finit par nous échauffer les oreilles. J’en donnerai un exemple. Alors que je venais d’achever la lecture de la très remarquable encyclique Centesimus Annus, le hasard a voulu que j’ouvre dans une librairie un exemplaire de l’édition de ce texte publié aux éditions du Cerf. Je suis tombé, non sans étonnement, sur la préface que le Père Puel, "dominicain et maître de conférences à l’Université de Lyon II" - ainsi est-il présenté par son éditeur - a cru nécessaire d’ajouter au texte pontifical. Je suis proprement scandalisé par l’insolence du ton condescendant qu’adopte ce religieux pour commenter un écrit du Pape. Ainsi apprend-on (p. XXV) que sur le marxisme "le point de vue du Pape est juste mais partiel" - notons, au passage, le qualificatif "juste" au lieu où on attend "vrai", caractéristique du style communiste comme le savent tous ceux qui ont fréquenté les écrits marxistes - et un peu plus loin, au sujet des passages relatifs à l’athéisme, on dit que le point de vue de Jean-Paul II est "incomplet" (p. XXVI). Ce style "grand seigneur" est proprement insupportable. Je cite de mémoire, car naturellement je n’ai pas fait acquisition de cette édition. Je rappellerai au Père Puel que personne n’oblige un homme à se faire religieux, mais qu’aussi longtemps qu’il reste ecclésiastique, on attend de lui un peu de retenue lorsqu’il commente un texte du Souverain Pontife. J’ajouterai pour mes lecteurs que Pierre Tequi, éditeur, 82 rue Bonaparte, 75005 Paris, publie l’encyclique sans une préface que les talents pédagogiques du Saint-Père, qui a exercé les fonctions d’enseignant (faut-il le rappeler ?) rendent d’ailleurs parfaitement inutile. J’ai voulu donner quelques exemples, qui vont du monstrueux au dérisoire, pour illustrer l’offensive qui vise, à travers le Souverain Pontife, l’Église catholique dans son ensemble et même, plus généralement, la chrétienté. Sans aucun doute, certains y participent sans être conscients de ce qu’ils font. Mais que l’UNAPEL, en raison de la réputation de son principal invité, ait pu se trouver embrigadée, à titre d’auxiliaire subalterne, vraisemblablement contre son gré et par légèreté, dans une vaste opération anti-Pape, cela est proprement affligeant. On me dira probablement que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, que je ne suis pas membre de l’UNAPEL, ni ancien élève de l’enseignement catholique, etc... Je répondrai que, dès lors qu’on a une action publique, on s’expose au jugement de tout le public. En d’autres termes, ceux qui attendent que je me taise seront déçus. Maurice BOUDOT Faute de place, je ne puis consacrer aux problèmes généraux du système éducatif qu’une analyse extrêmement sommaire. Pourtant, il faut dès maintenant prendre date, car il est à craindre qu’on profite des vacances pour mettre en œuvre des projets qu’on dissimule par une présentation particulièrement brumeuse, de sorte qu’à l’automne on sera mis devant le fait accompli et qu’il sera trop tard pour agir et porter remède à une situation pratiquement irréversible. Je me limiterai à deux questions qui suscitent les plus grandes inquiétudes. LE BACCALAURÉAT D’abord le baccalauréat. La première épreuve était à peine achevée que le premier ministre annonce une réforme radicale, aussi floue dans ses modalités qu’expéditive dans son application : tout devait être changé d’ici 1992. Les réactions devaient être diverses. Les syndicats de la F.E.N. divisés comme à l’habitude. Quant à Monsieur le Ministre d’Etat qui peut consacrer toute son attention à la seule Éducation Nationale, il ne manifestait visiblement qu’un enthousiasme limité pour ce projet. M. Jospin a dû apprendre par expérience qu’il est difficile de faire admettre aux enseignants une réforme qui ne présente pas un minimum de sérieux. Toujours est-il que deux jours plus tard, on apprend que le projet n’exprimait qu’une déclaration d’intention et qu’on ne toucherait pas à la forme du Baccalauréat avant 1995. Mais je voudrais poser trois questions : 1. Pourquoi tout cet émoi artificiellement soulevé au milieu des épreuves. Joue-t-on avec les nerfs des candidats ? Veut-on qu’ils doutent de la valeur de l’examen qu’ils sont en train de passer ? J’ai peur qu’on ait bien peu pensé à ces considérations, à moins qu’on ait eu pour dessin pervers de soulever chez les candidats un tel rejet de l’examen qu’ils accueillent avec enthousiasme la première réforme qu’on leur présentera. 2. Quant à la raison qui rendrait urgente la "réforme du baccalauréat", serpent de mer qui resurgit à la fin de chaque printemps depuis au moins vingt ans, on évoque l’impossibilité d’organiser l’examen, ou plus sordidement son coût excessif, ou enfin la désorganisation de l’année scolaire, le rétrécissement du troisième trimestre qu’il entraîne. Mais enfin, qui a découpé de façon absurde l’année scolaire, avec des vacances de printemps trop tardives, soigneusement séparées des fêtes pascales, sinon le Ministre lui-même ? Quant à l’organisation matérielle des épreuves, elle serait un peu moins difficile si on n’avait pas au préalable précipité vers cet examen des masses d’élèves qui n’ont rien à faire au lycée. Bref, on en vient à penser qu’on crée délibérément les conditions qui rendent inorganisable le baccalauréat pour en justifier la suppression. 3. A supposer qu’on réforme le baccalauréat pour le remplacer par un système dit de "contrôle continu", avec des épreuves passées pour l’essentiel dans l’établissement scolaire, jugées par les professeurs habituels du candidat, il est clair que ce système, qui n’offre pas les garanties d’objectivité et d’homogénéité que seul assure le système de l’examen national avec anonymat des copies, réduit le baccalauréat au rôle de simple certificat de fin de scolarité. Ce système est parfaitement concevable - après tout, c’est celui du Japon - mais sous réserve qu’on laisse aux utilisateurs toute latitude pour vérifier le niveau des élèves qui sortent du secondaire. Par exemple, la logique du système exige que les Universités soient autorisées à instaurer des examens d’entrée, ce qui va contre le sacro-saint dogme du refus de la sélection. On peut débattre au sujet des mérites comparés des deux systèmes, mais ce qui n’est pas tolérable c’est qu’on reste assis entre deux chaises, qu’on laisse miroiter une position médiane strictement irréalisable. A moins que le dessein délibéré de tous ces mouvements désordonnés ne soit un considérable accroissement du nombre des bacheliers qu’on inciterait tous à s’engouffrer dans des Universités qui ne peuvent les accueillir et d’ailleurs où beaucoup d’entre eux n’ont rien à faire. Au milieu du marasme général, il y eut une seule parole de sagesse : c’est lorsque Mme Cresson a eu le courage de dire qu’il faudrait peut-être en revenir en matière d’éducation à certaines formes d’apprentissage. Mais ce ne fut qu’un éclair de lucidité : le patron de la F.E.N. lui a vite fait comprendre qu’elle devait abandonner un projet contraire aux intérêts de son syndicat. Aussi s’est-elle résolument engagée dans une direction opposée à celle qu’indiquait ce propos courageux. LA FORMATION DES MAÎTRES Le second problème est la réforme de la formation des maîtres. Les I.U.F.M. (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) répondent à la volonté de donner des formations très voisines à tous les enseignants (de la maternelle au second cycle des lycées), à priver en partie les Universités du soin de cette formation (alors que c’était l’une de leurs missions traditionnelles) et, sous prétexte de donner toute sa place à la pédagogie, d’alléger le bagage de connaissances de sa discipline exigé d’un enseignant. Tout cela pour satisfaire les appétits gloutons du syndicat des Instituteurs, disposer rapidement d’un personnel malléable formé à la hâte, mais qu’on payera naturellement au rabais. Les I.U.F.M. ont été mis en place dans trois Académies à titre expérimental. Aucun document officiel ne nous a informé du bilan de cette "expérience" ; les seuls éléments d’information véhiculés par la rumeur obligent à penser que ce bilan est lourdement négatif. Le projet est la cible d’innombrables critiques bien fondées. Néanmoins, les I.U.F.M. vont être généralisés dès l’an prochain à l’ensemble de la France. Et toute l’opération est conduite dans un total désordre, et dans une quasi clandestinité. On ne sait exactement ni ce que seront les concours de recrutement des enseignants, ni qui dirigera les I.U.F.M., ni quel rôle exact joueront les Universités. Faut-il qu’on ait de noirs desseins pour avancer de façon aussi sournoise ! Et, pendant ce temps, des établissements scolaires, des maternelles aux collèges, brûlent à Meaux ou quelque part ailleurs, en France. Au lycée Faidherbe, à Lille, au collège République de Bobigny, les professeurs se mettent en grève parce qu’il exigent que leur sécurité soit assurée. On nous apprend qu’au collège Hector Berlioz (Paris XVIIIe) un élève casse le bras d’un professeur ; si j’ai bien compris, il n’est pas certain qu’il ait voulu ce résultat ! J’oublie certainement des cas, car assez étrangement les services de M. Jospin ne sont pas très pressés de faire un bilan exact de la situation. Néanmoins, France-Soir pouvait faire son titre essentiel (numéro daté du 12 juin) sur "la révolte des profs battus". Personne ne doute que cette information multipliera les vocations d’enseignants. Mais, nous le savons, l’éducation est pour ceux qui nous gouvernent depuis dix ans "la priorité des priorités". Maurice BOUDOT
Sans doute, les adversaires du baccalauréat, qui confondront (volontairement) examen national et sujets nationaux, vont-ils s’emparer de l’affaire. J’avoue pour ma part ne pas m’étonner que des candidats achètent les sujets (de 100 à 1 000 F ; les prix sont en baisse depuis 89 !) : après tout, quand d’autres rossent leur professeur... M. Geismar, Inspecteur Général et conseiller du ministre, est chargé de rappeler la sévérité des sanctions encourues par les coupables. Nul doute qu’il connaisse les problèmes de répression depuis 1968, mais à l’époque il était de l’autre côté des barricades.
Lettre N° 31 - 1er trimestre 1991
PERSEVERARE DIABOLICUM En novembre, sous la pression, on avait reconnu le droit des lycéens à la libre expression de leurs opinions à l’intérieur des établissements scolaires, ce qui impliquait le droit de former des associations, de tenir des réunions auxquelles participaient éventuellement des personnalités extérieures. Et comme, selon l’idéologie socialiste, toute reconnaissance d’un droit s’accompagne de l’attribution de moyens, généralement prélevés sur le budget dès lors qu’il s’agit de moyens financiers, on avait annoncé qu’une somme importante - plus de 4 milliards, soit approximativement la moitié du coût de l’opération Daguet ! - serait débloquée pour satisfaire de façon générale les demandes des lycéens. Un décret devait régler les détails. La situation politique a vraisemblablement un peu retardé les choses. Elle aurait dû également changer les perspectives. Lorsque les opérations militaires ont commencé dans le Golfe Persique, le Ministre a jugé bon de multiplier instructions et mises en garde pour que la paix des établissements scolaires ne soit pas troublée par les débats passionnés qui risquaient de tourner à l’affrontement. Il a demandé qu’on interdise la venue d’adultes extérieurs à l’établissement. La présence d’une personnalité comme M. Harlem Désir était tenue pour particulièrement indésirable. Je suis le premier à louer cette sage prudence. Mais la leçon avait-elle été bien comprise ? Avec une éclatante évidence, les faits avaient montré les risques. N’allait-on pas, en conséquence, abandonner certaines orientations prises en novembre ? Il fallait beaucoup de naïveté pour croire que l’expérience porterait ses fruits et que l’idéologie n’aurait pas le dessus. Daté de la veille, le décret annoncé est paru le 19 février au J.O. Certes, dans des formules solennelles, mais d’interprétation floue, le préambule condamne "les actes de prosélytisme et de propagande". Il rappelle qu’on doit respecter "liberté et dignité des autres membres de la communauté éducative". On ne pouvait moins faire ! Mais est maintenu le droit à une expression individuelle et collective des opinions, qui comporte comme le précise le corps du décret le droit de former des associations qui pourront tenir des réunions auxquelles participeront éventuellement des personnalités extérieures, le droit d’affichage, de publication, etc... Bien sûr, on affirme que les associations "ne peuvent avoir un objet ou une activité de caractère politique ou religieux" et le préambule stipule que l’exercice de ces droits "ne saurait permettre des expressions publiques ou des actions à caractère discriminatoire se fondant notamment sur le sexe, la religion, l’origine ethnique". Mais j’aimerais savoir en quoi l’association illustrée par M. Désir - qui se donne précisément pour objet la lutte contre la discrimination - sort des limites de l’épure ? Bref, avec un texte de cette venue on autorise, tolère ou encourage, toutes les dérives ou on se donne le droit d’interdire ce qu’on jugera bon d’interdire. Des mesures de sauvegarde sont prévues, par exemple des interdictions prises par le Chef d’établissement après avis ou information du Conseil d’Administration. Visiblement, on espère qu’elles suffiront à éviter des situations aussi périlleuses que celle que nous avons connue. Mais il est à présumer qu’on verra se multiplier les interminables polémiques, les conflits de procédure, avec le gaspillage d’énergie et les tensions qui en résultent nécessairement. Etait-il bien opportun de charger de telles responsabilités les chefs d’établissement dont le courage, la lucidité et l’habileté risquent d’être constamment mis à l’épreuve, tandis que les autorités ministérielles resteront loin de la mêlée ? A l’usage, les mesures de sauvegarde seront vraisemblablement d’une efficacité nulle. Décidément, il eut été préférable de s’abstenir de promesses imprudentes et, en tout cas, de ne pas publier un décret aussi laxiste. Mais, ligoté par leurs principes si souvent proclamés, nos autorités politiques étaient condamnées à agir comme elles ont agi. Un fait caractéristique met en évidence cette situation. Il est justement souligné dans un remarquable éditorial de M. Frédéric ELEUCHE, paru dans une récente livraison de La Quinzaine Universitaire, revue du SNALC, syndicat qui regroupe des professeurs du secondaire opposés à la politisation : les syndicats politisés ont demandé et obtenu que soit supprimée dans le texte du décret toute référence à la neutralité de l’École. Qu’un ministre socialiste se voie imposer par les organisations qui ont coutume de le soutenir de renoncer à un terme sacralisé par Jules Ferry est tout un programme. La leçon des faits n’a donc pas été tirée. Il ne pouvait en être autrement. Pour l’avenir, on met son espoir dans les mesures particulières pour éviter les situations trop périlleuses. Mais n’est-ce pas se préparer à refuser dans le détail ce qu’on accorde globalement ? Est-ce une façon bien raisonnable de gouverner ? Est-ce aussi un exemple à donner à la jeunesse ? Maurice BOUDOT P.S. : Les palinodies relatives au découpage de l’année scolaire sont si parlantes qu’elles nous dispensent pour l’instant de tout commentaire. M. Roland DRAGO, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), a été élu à l’Académie des sciences morales et politiques. ENSEIGNEMENT ET LIBERTE se réjouit de voir ainsi honoré son Vice-Président, éminent spécialiste de droit public qui a tout au long de son existence manifesté son courage, son sens du bien public, la force de ses convictions et qui met au service de notre association un extraordinaire dévouement et sa remarquable compétence. C’est au nom de tous ses adhérents que je lui adresse nos très vives félicitations. ANNEE 1990 : BILAN ET PERSPECTIVES Monsieur Pierre-Henri PRELOT a obtenu notre grand Prix en juin dernier pour son ouvrage sur LES ETABLISSEMENTS PRIVES D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR. Nous sommes heureux de l’accueillir aujourd’hui dans notre Lettre en publiant le bilan qu’il a bien voulu établir pour nous de l’année 1990 pour l’enseignement. A de nombreux égards, l’année 1990 restera pour l’enseignement, et particulièrement l’enseignement secondaire, une année sombre. ENSEIGNEMENT PRIVE : la querelle des subventions continue Pour l’enseignement privé tout d’abord qui avait cru déduire de la décentralisation le droit de bénéficier librement des subventions d’investissement versées par les collectivités territoriales. Certes, la vieille loi Falloux de 1850, qui proclamait la liberté de l’enseignement secondaire, avait limité volontairement le montant des subventions communales et départementales au dixième du budget annuel des établissements. Mais la loi Debré de 1959 paraissait bien avoir privé d’effet cette vieille régie du dixième qui avait été établie à l’origine pour garantir l’indépendance des écoles privées contre les OPA des communes ou des départements. Autant dire que depuis un certain temps déjà, le danger avait disparu ! Cependant, bien que désuète, cette règle n’avait jamais été abrogée expressément par aucun texte et une légère incertitude subsistait. Ce sont des subventions d’investissement versées par le département d’Ile-et-Vilaine à un établissement privé qui ont donné l’occasion au Conseil d’Etat de fixer les régies applicables, dans un arrêt du 6 avril 1990. Evitant quant à lui soigneusement, comme il aurait pu le faire, d’engager le débat devant la représentation nationale, le ministre a préféré s’en remettre une fois encore au Conseil d’Etat pour régler cette importante question. Contre toute logique, sinon celle d’un juridisme étroit, le Conseil d’Etat a choisi de redonner vie à la règle du dixième, largement contredite par les textes ultérieurs, dépourvue de toute raison d’être, et fort heureusement très peu efficace, tant paraissent nombreux les moyens de la contourner en toute légalité. Comme il l’avait fait quelques mois plus tôt dans l’affaire des foulards islamiques, le Conseil d’Etat s’en est donc tenu dans cette affaire à une position prudente qui ne règle rien dans l’immédiat. Son seul mérite est de rappeler aux intéressés qu’on ne résout pas techniquement, "par le droit", les problèmes fondamentaux de notre société. Mais ces questions d’enseignement privé se trouvent aujourd’hui reléguées au second plan devant le constat du malaise profond qui atteint l’ensemble de nos structures d’enseignement, préfigurant une implosion que l’on sent proche, que l’on craint et qu’on espère malgré tout comme le signe d’un nouveau départ. ENSEIGNEMENT PUBLIC : un découragement croissant Et contrairement à ce que l’on prétend parfois, il ne s’agit pas seulement d’une question d’argent, celui qui manque et qui permettrait par exemple de pallier l’absence ou l’insuffisance des vocations enseignantes. La revalorisation des salaires des enseignants depuis deux ans n’a fait qu’accompagner l’effondrement des recrutements alors qu’on pouvait logiquement penser que, même largement insuffisante, elle permettrait de réduire ou de stopper l’hémorragie. Et il faudrait dépenser des sommes hors de proportion avec les moyens dont le pays dispose pour inverser réellement la tendance. De ce point de vue, le spectacle des manifestations lycéennes de l’automne n’aura sans doute pas contribué à rétablir la confiance dans nos institutions scolaires pas plus que les milliards supplémentaires ne feront de nos lycées le lieu d’instruction et d’échange culturel qu’ils ont cessé d’être. Devant le spectacle donné, il faut du courage pour vouloir enseigner malgré tout. Ainsi, notre pays qui se promet d’avoir de plus en plus d’élèves et d’étudiants, paraît dans le même temps se condamner à avoir de moins en moins de professeurs, de surveillants, de conseillers pédagogiques ou de proviseurs. Et le drame réside moins dans le paradoxe lui-même que dans le rapport de causalité qui paraît s’établir entre l’augmentation du nombre des uns et la baisse de celui des autres. Où se trouve le plaisir d’enseigner sinon dans l’intérêt que porte à vos démonstrations le public qui écoute ? Quel plaisir reste-t-il à s’occuper d’élèves ou d’étudiants complètement démobilisés pour qui la prolongation de la scolarité est le dernier moyen de retarder l’échéance fatale ? Face aux difficultés qu’il rencontre, le professeur consciencieux commence par remettre en cause la qualité de ses méthodes pédagogiques avant de se dire qu’il n’est peut-être pas responsable de tout. Pour que puisse se rétablir la confiance dans l’école, il faudrait peut-être commencer par fixer à celle-ci des objectifs à la mesure de ses réelles capacités. Et ce n’est pas l’insulter que de dire qu’elle ne peut pas tout faire. A quoi sert par exemple de lui prescrire d’amener, d’ici dix ans, 80 % d’une classe au niveau du baccalauréat si l’objectif ne peut être atteint raisonnablement ? Il est des jeunes que l’école ou l’université n’intéressent pas nécessairement et le scandale est que notre société, plutôt que de leur proposer d’autres formes, mieux adaptées, d’intégration, les condamne à l’inexistence. Il serait préférable de rétablir le baccalauréat à un niveau élevé, afin qu’il soit le témoin d’un niveau acquis et ne devienne pas celui d’une durée de scolarisation. Et, parallèlement, de redonner leurs lettres de noblesse à l’apprentissage ainsi qu’aux formations techniques secondaires, aujourd’hui complètement dévalorisées. Pour clore cette réflexion, il me semble qu’il arrive aujourd’hui à l’école la même mésaventure qu’à la grenouille de la fable, qui voulait devenir aussi grosse que le bœuf. Mais l’école ne résume pas la jeunesse et il est illusoire de penser qu’une scolarisation forcenée pourra supprimer la délinquance dans les banlieues ou le chômage des jeunes. Ou qu’un surcroît de "démocratie lycéenne", qui pose d’ailleurs en termes de neutralité du service public, de délicats problèmes juridiques, pourra suffire à rendre aux jeunes la confiance dans un avenir qui ne les attire pas. Pierre-Henri PRELOT LES INQUIÉTUDES DE L’ÉCOLE LIBRE (suite) Dans notre numéro de septembre, nous avons fait écho aux plaintes tout à fait justifiées de l’école libre 1 enfermée depuis 1985, par les soins de M. Chevènement, dans la cadre de la loi Debré de 1959. Les protestations de la victime ont d’ailleurs conduit le bourreau à desserrer quelque peu la corde avec laquelle il l’étrangle : le forfait d’externat a été réévalué et des mesures concernant la titularisation et la rémunération de certains maîtres pourraient entrer en application prochainement. Ces difficultés étaient prévisibles, même si elles étaient niées alors par des responsables de l’enseignement catholique 2 . Quoi qu’il en soit du passé, les élections cantonales, unique rendez-vous prévu avec les électeurs en 1991, ayant été prudemment repoussées en 1992, le petit jeu du chat et de la souris continuera encore vraisemblablement pendant quelque temps. Il faut, naturellement, faire pression sur les pouvoirs publics pour que soit respectée la liberté de choix de l’école. 3 Mais, à plus long terme, la survie et le développement de l’école libre dépendent plus d’elle-même que de ses adversaires. Nous souhaitons que les observations, forcément incomplètes, présentées ici contribuent à sa nécessaire rénovation. L’ETAT DES FORCES Pour assurer sa mission, toute école a besoin (nous l’avons suffisamment entendu crier dans la rue récemment) de maîtres et de murs. L’école libre est placée, sur ces deux plans, dans des conditions difficiles. ·Pour les maîtres parce que ceux qui se destinent à l’enseignement public sont rémunérés pendant leur période de formation alors que ceux qui se destinent à l’enseignement privé ne le sont pas. Cette situation inique a évidemment l’avantage de permettre l’accomplissement de vocations héroïques mais l’on peut douter qu’elles soient en nombre suffisant. S’il convient, comme le fait l’enseignement catholique, de demander réparation de cette injustice, il conviendrait que l’enseignement catholique recherchât les moyens de se sauver lui-même. C’est ainsi que pourrait être créé un fonds finançant des bourses pour ceux qui se destinent à l’enseignement libre. De même il pourrait être fait appel aux bonnes volontés, qui ne manqueraient pas, de pré-retraités et d’autres personnes dépourvues d’emploi pour soulager les maîtres d’une partie de leur tâche ou assurer des enseignements. La mise en œuvre de telles idées peut présenter des difficultés mais les résoudre est une affaire de volonté. Cette volonté existe-t-elle ? Faiblement, à en juger par ce qui a été fait pour le financement des constructions. ·Pour les murs, alors que le budget de l’UNAPEL adopté le 11 mai 1986 prévoyait la somme symbolique d’un million de francs pour la participation au financement de la construction d’écoles, ce n’est qu’en 1989 qu’a été diffusé par l’Association d’entraide des établissements privés d’enseignement catholique un appel de fonds auprès du public dont ni l’ampleur ni les résultats n’ont été, à notre connaissance, publiés. Le secrétariat général de l’enseignement catholique vient de lancer à son tour l’Opération Avenir pour construire 100 lycées en 10 ans. Les permanents dévoués qui conduisent la seconde opération ne semblent pas plus ardents que les amateurs distingués qui présidèrent à la première. On pourrait soupçonner les responsables de l’enseignement catholique de n’avoir pas su prévoir les besoins en locaux. Mais cela reviendrait à dire qu’ils ne savaient pas que tes zones rurales se dépeuplaient au profit des agglomérations urbaines et qu’ils n’avaient pas remarqué, dans les années 60 et 70, les constructions réalisées dans l’enseignement public. Si l’enseignement catholique n’a pas su au cours de ces trente dernières années faire appel à ceux, très nombreux, particulièrement parmi ses anciens élèves et parmi les parents d’élèves qui étaient prêts à le soutenir, c’est parce qu’il ne l’a pas voulu. Il ne l’a pas voulu par souci de ménager les pouvoirs en place 4 et pour ne pas avoir à rendre des comptes à ceux qui auraient répondu à ses appels. Sur ce dernier aspect son attitude fait penser à celle de certains dirigeants de groupes industriels ou financiers qui, toutes tendances politiques confondues, préfèrent avoir à faire à l’Etat actionnaire unique plutôt qu’à une multitude d’actionnaires privés. S’ajoute à cela, depuis 1981, dans le cas de l’école comme dans celui de l’entreprise, la préférence de certains pour les solutions collectivistes. Le débat auquel donne lieu actuellement le "projet éducatif" de l’école catholique peut-il s’expliquer de la même façon ? LE PROJET EDUCATIF Au cours des dernières décennies, les écoles catholiques se sont dotées d’un "projet éducatif" présentant la façon dont chaque école conçoit sa mission éducative et entend l’accomplir. Si l’on décèle dans certains de ces projets un effort d’originalité, ils n’en ont pas moins des traits communs. Ils ont aussi une aspiration commune liée à leur caractère chrétien. Plus récemment, l’idée d’un "projet éducatif de l’enseignement catholique" a été avancé par certains. Un dossier publié dans le numéro de mars 1989 d’Enseignement Catholique Documents et intitulé "le projet éducatif de l’enseignement catholique" a fait l’objet, un an plus tard, de deux articles publiés dans Famille Chrétienne. Sébastien Larissa, auteur de ces articles, relevait des expressions du projet telles que "l’école catholique n’est pas d’abord chercheuse de Dieu mais elle est d’abord chercheuse de l’homme" et critiquait l’esprit général du texte consistant, à partir d’un constat de la déchristianisation de notre pays, à dire qu’il n’existe qu’une alternative dont les deux termes sont l’enfermement dans un ghetto ou le renoncement à l’enseignement de la foi. Ces articles créèrent un certain émoi dans les milieux concernés et, au lieu d’être enfouis dans le silence comme il est fréquent dans de telles circonstances, furent à l’origine d’une table ronde organisée par Famille Chrétienne avec le Père Max Cloupet, Secrétaire Général de l’Enseignement Catholique, un directeur d’école libre et un responsable de parents d’élèves. Nous avons renoncé à citer des phrases du compte rendu publié dans le numéro du 13 septembre de cet hebdomadaire car, reflet sans doute d’une situation commençant à évoluer, la pensée des participants semble s’y présenter à travers un kaléidoscope. 5 Notons cependant que le Père Cloupet a précisé que le texte incriminé n’était pas le projet éducatif de l’Enseignement Catholique et que c’était à la suite d’une erreur typographique qu’il avait été présenté ainsi. 6 Enseignement Catholique Documents a publié depuis dans son numéro d’octobre, sous le titre "Identité de l’Enseignement Catholique" et sous la forme d’un lexique, des extraits des principales interventions de Mgr Bernard Panafieu, archevêque d’Aix-en-Provence et président de la Commission épiscopale du monde scolaire et universitaire. LA CROISEE DES CHEMINS Le texte d’introduction du dossier "Identité de l’enseignement catholique" exprime la volonté "d’apporter notre pierre originale au Service national de l’éducation et non pas de nous replier sur nos sécurités ou nos bastilles". On remarque que dans ce texte le terme national a été substitué pour le Service de l’éducation au terme public habituellement utilisé dans l’école catholique. Ce changement nous paraît heureux dans la mesure où l’on pouvait ressentir dans l’expression précédente comme un début d’acceptation du Service public unifié et laïc que nous proposait M. Savary il y a quelques années. Il est vraisemblable que le ministre de l’Education nationale continuera à ignorer la main tendue de l’école catholique pour le service national comme il l’a ignorée pour le service public. D’ailleurs, agir autrement n’entraînerait-il pas de sérieuses perturbations dans le "courant Jospin" au sein du parti socialiste ? 7 A quoi sert-il par conséquent de persévérer dans cette voie ? Sans chercher nullement à violer les consciences des enfants que leurs parents lui confient ni à entrer en guerre avec le gouvernement, il est grand temps que l’école catholique affirme sa finalité et sa personnalité, exige de ceux qui ne partagent pas sa foi le respect de son enseignement religieux et de sa liturgie, du gouvernement la parité avec l’école publique, l’une et l’autre écoles étant financées par l’impôt. Dans une lettre aux parents, le directeur d’un grand collège écrit : "Pour s’être imprudemment et systématiquement mis à la remorque de ce navire avarié (l’Education Nationale), l’Enseignement Catholique découvre à son tour les risques d’asphyxie et de paralysie. Empêtré dans une loi d’il y a plus d’un tiers de siècle, tenu pour parent pauvre, sans même un strapontin dans les lieux décisionnels, il se voit aujourd’hui conduit à protester et réagir avec vigueur". Imprudence n’est pas vice et ceux qui ont été responsables de l’Enseignement Catholique ces trente dernières années ont droit, pour l’avoir maintenu, à la reconnaissance de ceux qui y sont attachés. Ils y auront doublement droit s’ils admettent maintenant, comme certains commencent à le faire, une insuffisance de rigueur dans l’affirmation du caractère propre et un excès de confiance en une évolution favorable du clan laïque. 8 Les "consommateurs d’école libre" ne doivent plus servir de prétexte à l’affadissement des nourritures qu’elle propose. De leur côté, les parents, qui ne sont pas simplement des "partenaires de la communauté éducative" mais les premiers responsables de l’éducation de leurs enfants, doivent assumer leurs responsabilités mieux qu’ils ne le font aujourd’hui. L’UNAPEL, leur union nationale, devra pour cela abandonner le centralisme démocratique qu’elle est, depuis les événements survenus à l’Est, l’une des dernières à pratiquer. Il faut espérer que son président, Alain CERISOLA, aura le courage de le faire, tout comme il a eu celui d’écrire dans "la famille éducatrice" de janvier "Dire et répéter que l’objectif du système éducatif est d’emmener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat est une erreur". P. J. C. 1 Un lecteur nous a fait observer que nous cantonnions notre propos à l'école catholique alors que l'école libre ou école privée compte également des établissements protestants, juifs et musulmans ainsi que des établissements laïques.
Lettre N° 30 - 4ème trimestre 1990
LES 80 %, LES VOILA Soyez rassurés. Je ne ferai pas de triomphalisme. A vrai dire, il n’y a pas lieu. En septembre, je notais que le calme apparent de la rentrée n’avait que le caractère provisoire d’une embellie, puisqu’on tournait le dos à la solution des problèmes fondamentaux, mais je n’annonçais ni l’imminence de l’orage, ni sa violence, ni l’état de désolation qu’il laisserait après son passage, ni que la tempête éclaterait d’abord dans les lycées. LES FAITS Mais que s’est-il donc passé au cours de ces quelques semaines de folie ? D’abord, presque rien, dira-t-on. Simplement, quelques incidents "déplorables", surtout en ce qu’ils risquent de choquer l’opinion. Les bandes qui sévissent depuis longtemps dans les lycées de la région parisienne ajoutent à la liste de leurs exploits habituels (chapardages, violences, trafic de drogue, rackets) des viols. Quel que soit le niveau d’abjection auquel on veut nous habituer, ce n’est pas du meilleur effet dans le panorama d’une France tranquille. Bien vite, jetons le manteau de Noé ! Mais, entraînés par leur mouvement propre, leur penchant à fouiner, les journalistes enquêtent, notamment dans les lycées de la banlieue parisienne. Et, on découvre le pot aux roses : c’est la violence généralisée, des écoles livrées aux saccages, aux règlements de comptes entre bandes rivales, la terreur permanente dans ces champs de bataille qui ne présentent que des locaux délabrés, immondes, lépreux, dans lesquels essaient de se faufiler en rasant les murs de malheureux professeurs qui n’y peuvent rien, et dont on se demande bien ce qu’ils peuvent encore enseigner à des masses d’adolescents hébétés. De mal en pis : je veux bien croire que, selon l’usage, la recherche du scoop ait poussé les médias à l’excès, à la simplification. Je sais, avec certitude, qu’il y a quand même d’autres conditions de vie que celles qu’on nous dépeignait. Mais enfin ce qu’on nous montre est bien réel et on est aux antipodes du tableau idyllique proposé par M. Jospin. Avec effroi, les Français découvrent ce qu’on leur cachait si pudiquement : les conditions dans lesquelles 80 % d’une classe d’âge accédera au baccalauréat. Si c’est là le résultat de la "priorité des priorités" accordée à l’éducation, qu’en serait-il autrement ? Qu’à cela ne tienne. La gauche, qui a plus d’un tour dans son sac, va mettre en branle ses organisations de lycéens pour noyer le poisson. Il est demandé à ces organisations d’encadrer le mouvement et de faire en sorte que les lycéens eux-mêmes réclament de meilleures conditions de travail, la sécurité (donc des surveillants), des professeurs qualifiés plus nombreux, des locaux en meilleur état, bref selon la vieille antienne de gauche, des moyens, c’est-à-dire de l’argent. Cela permettra à M. Jospin d’obtenir éventuellement une rallonge budgétaire et surtout d’éviter qu’on s’interroge sur les défaillances de la hiérarchie académique et de la police (car, en certains cas, les problèmes sont bien, hélas, de son ressort !). Tout ceci est bien sympathique. Le bon peuple est convié par le chœur des journalistes à s’émerveiller de cette "génération morale" qui ne songe qu’à travailler et à demander des surveillants alors qu’en 1968 leurs parents refusaient toute répression... On semble oublier que cette même jeunesse s’insurge contre toute mesure d’ordre et ne propose que des réformes qui visent à supprimer le peu qu’il reste de calme et de discipline. Il va d’ailleurs falloir bien vite déchanter. Qui est chargé de l’opération ? D’abord les diablotins de la F.I.D.L. (à prononcer "fidèle" !), organisation proche de S.O.S. racisme et du P.S. Il se peut d’ailleurs que M. Julien Dray, vrai patron de S.O.S. racisme, ait voulu rappeler au bon souvenir de M. Jospin le rôle de son organisation dans le déroulement des manifestations contre la loi Devaquet (donc dans l’échec de Jacques Chirac). Peut-être a-t-il son jeu personnel... Toujours est-il que l’occasion est donnée de mettre sur orbite médiatique M. Nasser Ramdane qui ravit la vedette à des demoiselles d’Henri IV, lycée décidément un peu trop huppé. Toutefois, à gauche, indépendamment des innombrables factions socialistes, il y a les communistes, qui ne participaient pas au Congrès de Rennes, et qui ne peuvent laisser un mouvement de masse de gauche se développer sans y participer. Or, s’il y a de moins en moins d’électeurs communistes, il reste encore des adhérents aux Jeunesses communistes, qui sont, comme on le verra, fort bien organisées. Des rivalités entre tous ces groupes résulteront les meetings incessants, les réunions houleuses au cours desquelles se chamaillent deux "coordinations", l’une et l’autre nationales, chacune essayant de tirer la couverture à elle. On n’a guère dû travailler dans certains lycées, mais enfin on repensait l’enseignement et on préparait l’action. Vint enfin le 12 novembre, jour tant attendu de la grande manifestation. Les médias tiennent tellement à couvrir l’événement qu’ils participent à son organisation. On donne tout renseignement sur les parkings, les lieux de rassemblement, etc... Dans de telles conditions, comment la manifestation ne serait-elle pas un succès ? Les lycéens convergeront vers Paris de toute la province : ici ou là des maires (d’opposition, comme il se doit) dégagent une subvention pour contribuer au déplacement, ailleurs les lycéens se font menaçants et exigent de la S.N.C.F. sinon la gratuité du moins un tarif réduit. Ainsi Papa qui donne déjà l’argent de poche payera-t-il une seconde fois comme contribuable local et une troisième comme usager de la S.N.C.F. Les répétitions du grand événement avaient montré que des incidents étaient à redouter. Aussi avait-on pris toutes les précautions convenables avec la collaboration généreuse de la C.G.T. qui prêtait ses "gros bras" (sic) (fait savoureux) et d’un syndicat de policiers proche du pouvoir qui, s’investissant d’une mission particulière de maintenir de l’ordre, envoyait ses adhérents retraités pour encadrer les manifestants et éviter les contacts avec l’autre police (fait scandaleux) ! Bien sûr pour faire bonne mesure, il y avait quelques professeurs, délégués syndicaux qui font profession de défiler. Dès le départ, le gigantesque troupeau qui sautillait, rappait, poussait des cris inarticulés, exhibait des calicots miteux, n’offrait pas un spectacle de très bon augure. A peine la Seine passée avaient lieu les premiers incidents : on taggait et on chapardait tandis que les passants cherchaient au loin un abri. A partir de Montparnasse, ce fut un pillage en règle. Et lorsque le pont de l’Alma s’avéra impraticable, on passa au saccage gratuit. Nulle intervention policière avant une heure tardive. Quant aux bergers volontaires, ils s’étaient évanouis en fumée : ce n’était pas très glorieux de la part de policiers, même retraités ! Ceci n’empêchait pas le Président de la République de recevoir la délégation de lycéens qui s’entretenait avec M. Jospin : mieux vaut s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints. Et, on apprend que M. Mitterrand avoue à ses interlocuteurs qu’il ne sait pas où passe l’argent du budget de l’Education nationale, mais qu’il veut bien leur consentir 4 milliards et demi de supplément, dont l’usage est à fixer en accord avec MM. Rocard et Jospin, comme s’il s’agissait de disposer de sa cassette personnelle et non du budget de l’Etat. A entendre l’espèce de conférence de presse que donnent M. Ramdane et ses copains dans la cour de l’Elysée, sans être plus impressionnés par la fulgurante ascension qu’ils viennent de connaître, à constater leur assurance, on a très vite compris que l’intendance ministérielle suivra et qu’ils viennent de recevoir une onction qui leur permet, sinon de donner, au moins de transmettre des ordres. Ajoutons que l’insolence avec laquelle on éconduira les représentants des lycéens qui ne sont pas de gauche lors des rencontres avec M. Jospin, prouve qu’eux seuls bénéficient de ce pouvoir sacré. COMPLOT OU ACCIDENT J’ai voulu rappeler en détail le déroulement d’un processus présent à toutes les mémoires, mais qui est allé si vite - presque aussi vite que la débâcle de 40 ! - qu’on risque d’embrouiller les phases. Comme toujours, lorsque les faits sont opaques, on hésite sur leur interprétation : est-on en présence d’accidents qu’on grossit parce qu’on tente vainement de les dissimuler, ou d’un complot machiavéliquement ourdi par les socialistes eux-mêmes ? La seconde thèse a ses partisans. Ils expliqueront que tel camp socialiste a voulu nuire à l’autre (M. Fabius à l’axe Rocard-Jospin ou Mitterrand à Rocard, etc...). Je ne doute pas que ces hostilités qui n’ont rien d’imaginaire aient joué un rôle au moment où il s’agissait de rejeter la responsabilité sur le voisin... mais qu’elles expliquent tout, j’en doute. De même il y a, sans doute, des enchaînements d’événements qui sont intentionnels, mais penser que tout était savamment calculé c’est une autre chose. J’ai entendu affirmer que M. Joxe avait délibérément attiré les manifestants dans une souricière puisque aucune manifestation n’a traversé la Seine sur un pont du centre, et que la résistance opposée à leur passage sur le pont de l’Alma devait déclencher leur colère. Tout cela, parce qu’on voulait que la violence des casseurs dissuade les lycéens de toute récidive. Je veux bien croire que le Ministre de l’Intérieur, qui après avoir tout promis n’a toujours rien trouvé à Carpentras, soit capable de pas mal de machiavélisme. Mais pourquoi cette manœuvre qui ne tourne pas à son avantage ? Est-il si dévoué à M. Rocard ? Toutes les hypothèses de ce genre ne sont pas absolument insoutenables, mais pour l’instant très fragiles. Si complot il y a eu, il n’a pas profité à ses auteurs. C’est bien évident. Ni d’ailleurs à une opposition qui ne fut pas à la hauteur de la situation sauf au moment où on a renvoyé les lycéens aux régions, désormais chargées de l’entretien des bâtiments et qu’ils ont trouvé en face d’eux des interlocuteurs dont la vigueur nous a agréablement surpris. Il reste M. Le Pen, le seul homme politique qui ait eu le courage de dire que les 80 % de bacheliers constituait un objectif démagogique, qui voit ses analyses sur les méfaits d’une immigration incontrôlée entièrement vérifiées, tandis que même à gauche les grands journaux publient des textes analogues à ceux qui valent à des membres du Front National des poursuites judiciaires ! Mais, enfin, M. Le Pen ne tire pas les ficelles de S.O.S. racisme et n’administre pas les lycées. Un complot, donc, dont aucun de ceux qui auraient pu l’organiser ne tire profit (à l’exception peut-être du seul M. Dray) ; j’ai déjà dit qu’il y a des machinations qui se retournent contre leurs auteurs. L’hypothèse n’est donc pas totalement exclue, mais elle apparaît assez gratuite. D’autant plus qu’elle est inutile. Les choses s’expliquent plus simplement par la volonté de dissimuler les faits gênants, et de substituer aux questions précises une problématique verbeuse qui noie la difficulté. Technique chère aux socialistes. Par la surenchère due aux rivalités entre les deux coordinations, par l’émergence de groupes qu’on ne contrôle pas, le processus échappe à ceux qui croient le diriger et les mensonges doivent toujours devenir plus gros et plus inefficaces. Aujourd’hui on en est au "mal des banlieues" et à la lutte contre les ghettos : on compte ainsi faire oublier la sécurité dans les lycées. Il fallait une grande gesticulation pour faire passer une grosse dissimulation. Et une fois déclenché, le processus ne pouvait plus s’arrêter. Dans l’état de déliquescence intellectuelle et morale atteint par notre société où les parents refusent d’éduquer, où l’Eglise abandonne son magistère, où les maîtres n’ont plus rien à dire, ou n’osent plus rien dire, où les journalistes tiennent lieu de maîtres à penser, où les hommes politiques sont plus soucieux de leur cote de popularité que d’avoir le moindre dessein, où les "zoulous" sont tenus pour des garnements un peu turbulents, l’usage de la drogue pour une petite peccadille, où les chaînes de télévision vendues aux annonceurs d’un capitalisme sans âme offrent comme leçons des clips décérébrants, où le Ministre de la culture lui-même érige le rap et les tags au nombre des beaux-arts, n’importe quel incident peut révéler l’étendue du désastre et soulever une lame de fond. Il n’y a plus aucune force de résistance pour s’opposer à elle : tout ce qui était susceptible de résister a été systématiquement et volontairement détruit. L’ETAT DES LIEUX Chacun va alors tenter de tirer son épingle du jeu ou de toucher son petit bénéfice. M. Jospin ne sort pas grandi de l’affaire. Il vient d’apprendre à ses dépens qu’on ne calme pas les appétits des lycéens en leur promettant 1 000 surveillants, soit moins de un par lycée (pauvre pion isolé dont on se demande bien ce qu’il fera face aux gangs organisés !). Il ne peut promettre à M. Ramdane ces innombrables professeurs qualifiés dont on exige le recrutement immédiat. Mais il peut avancer la réalisation de quelques projets chers à son cœur : la transformation des lycées en "lieux de vie", le recrutement de professeurs-animateurs au rabais, l’allégement des programmes, la suppression progressive du baccalauréat qu’on réduira à un simple examen interne à l’établissement, que tout le monde réussira car dans les conditions actuelles quel professeur commettra la folie de le refuser à l’un de ses élèves. Tout le monde en sera très content : les jeunes qui n’auront plus à travailler, les parents qui n’auront plus à constater l’échec de leur progéniture et le Ministre aussi qui aura supprimé l’un des derniers repères qui permet de mesurer la dégradation de l’enseignement. Et naturellement, tous ces bacheliers iront dans des Universités qui se tireront d’affaire comme elles pourront ; mais on aura gagné quelques années de répit. Les membres de deux coordinations vont "cogérer" les activités socio-culturelles ; ils exerceront leur pesante tutelle dans les lycées, champs clos de leurs querelles et dépenseront leurs milliards. Mais il y a ceux qui perdent sur tous les tableaux : les chefs d’établissement qui voient leur autorité encore rognée. Les professeurs surtout ceux qui, syndiqués à gauche, ont cru habile de faire un bout de chemin avec leurs élèves, le 12 novembre. Eux n’ont pas obtenu un sou et devront attendre des mois les audiences officielles. Il se peut qu’il y ait du côté de la F.E.N. et du S.G.E.N. quelques explications orageuses entre la direction et ses mandants. Plus gravement, le spectacle offert va tarir le recrutement d’enseignants qualifiés. Qui peut encore vouloir exercer ce métier, à moins d’avoir une âme de kamikaze ? Ajoutons que ceux qui attendaient de la seule décentralisation le remède miracle découvrent qu’elle consiste surtout à faire payer aux régions des bâtiments que la police nationale ne protège pas. Beau marché de dupes. La crise est provisoirement résolue. Chacun peut se frotter les mains de s’en tirer à si bon compte. Mais nous n’avons pas vu le pire, nous sommes encore loin des 80 %. Tous, pourtant, refusent de voir le désastre d’un système inadapté, reposant sur des principes absurdes. Ils courent, donc, inexorablement à leur perte. Maurice BOUDOT LIBERTE D’ENSEIGNEMENT : LA PRISE DE CONSCIENCE DES PAYS DE L’EST Le compte rendu du Symposium organisé à Genève a été préparé par M. Alfred Fernandez, Directeur Général de l’OIDEL, qui a la très grande obligeance d’en autoriser la publication. J’ai cru opportun de modifier le texte sur les deux points suivants : d’abord pour abréger considérablement le résumé de ma propre communication, qui développait des idées que j’ai déjà présentées pour l’essentiel dans cette Lettre. Ensuite pour évoquer quelques interventions passées sous silence par M. Fernandez par souci d’être bref. Afin d’éviter toute confusion, les passages modifiés ou insérés par mes soins sont en italique. Je crois devoir ajouter que si le nombre des pays de l’Est représentés peut sembler un peu limité, c’est que certains intervenants annoncés - dont Madame Cornéa - ont été dans l’impossibilité de se déplacer. M.B. Le Symposium d’éducation de Genève organisé par l’OIDEL en collaboration avec les associations Enseignement et Liberté (France) et Movimento Popolare (Italie), et avec le soutien du Conseil de l’Europe, a rassemblé fin octobre près de 120 experts en éducation, parents d’élèves et responsables politiques de 15 pays d’Europe (Ouest, Centre et Est). Le symposium, qui a été présidé par les anciens Ministres de l’Education de Belgique et de France A. Humblet et R. Haby, avait comme thème : Liberté d’enseignement et démocratie dans les pays d’Europe centrale et orientale. Le Ministre italien de l’Education G. Bianco, Président du Comité des Ministres de la CE, et le Sous-Secrétaire Général des Nations Unies pour les droits de l’homme, M. J. Martenson, ont envoyé des messages. Prenant la parole lors de l’ouverture du symposium, K. Skorzynska, Directrice pour les affaires de l’enseignement privé et l’innovation du Ministère de l’Education polonais, a relevé que "dans le processus de passage d’une société totalitaire à une société démocratique, deux attitudes sont à développer en priorité : la capacité de s’associer dont Tocqueville disait que dans les pays démocratiques, c’est une capacité fondamentale de laquelle dépendent les progrès de toutes les autres, et la capacité de participer à la création de communautés locales, champ d’action des associations". Les nouvelles lois adoptées en Pologne vont dans ce sens. Le projet de nouvelle loi d’éducation garantit l’autonomie de l’école en tant que communauté d’élèves, de parents et d’enseignants, le respect du droit des parents à éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et politiques et la création des conditions juridiques indispensables pour organiser et gérer les écoles non publiques. Il prévoit également des subventions de l’Etat à hauteur de 100 % en faveur des écoles non-publiques et l’enseignement des langues des minorités nationales. Il existe déjà actuellement de nombreuses initiatives visant à la restauration de l’enseignement libre en Pologne. Toutes se distinguent par un type de gestion démocratique et par une grande influence des parents. Les parents qui entreprennent ces initiatives se réclament le plus souvent d’un système de valeurs qui, comme le chrétien, met en évidence la personne humaine. LES RAPPORTS ENTRE DEMOCRATIE ET LIBERTE D’ENSEIGNEMENT Le Vice-président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, J. Alvarez Vita, a souligné l’importance des libertés éducatives dans le cadre d’un développement harmonieux de l’être humain. Montrant le lien entre liberté d’enseignement et liberté d’expression, il a estimé qu’une démocratie saine ne peut exister sans liberté d’enseignement. M. Boudot, Président d’Enseignement et Liberté, montre comment la majorité des penseurs de la Révolution (à quelques notables exceptions près) était hostile à la liberté de l’enseignement qui est plus contraire à leur concept de la démocratie qu’appelée par elle. De là naîtra une tradition vivace qui laisse des traces encore aujourd’hui : le monopole étatique instauré par Napoléon survivra à l’Empire et ne sera que lentement grignoté. La liberté de l’enseignement, dont il y a lieu de distinguer diverses composantes, reste encore mal assurée. M. Martinez, Professeur à l’Université de Valladolid, dresse le tableau de la situation juridique de la liberté de l’enseignement en Espagne. Il est à noter que les solutions adoptées sont assez proches de celles retenues en France ; toutefois, sur des points essentiels, c’est la constitution elle-même qui les détermine, ce qui, à notre avis, offre le maximum de garantie. LES PERSPECTIVES DES PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE E. Huebschmann, Directrice-adjointe à la Theresienschule de Berlin, l’unique école privée existante en RDA sous le régime marxiste, après avoir expliqué les difficultés de son école sous l’ancien régime, a souligné qu’après l’unification, l’Allemagne a une responsabilité particulière envers l’union européenne et doit jouer un rôle central dans le rapprochement entre les différents peuples d’Europe. En ce qui concerne son pays, la récente unification doit avoir lieu non seulement au niveau économique mais aussi culturel. Dans la ex-RDA, après 40 ans d’endoctrinement, l’enseignant doit apprendre aux élèves à être capables d’assumer leur existence individuelle. "Le bon enseignant - a conclu Mme Huebschmann - est le garant de la liberté et de la démocratie". Selon J. Kotasek, Doyen de la Faculté de Pédagogie de l’Université Charles de Prague, en Tchécoslovaquie le 1er juillet une loi a autorisé la création d’écoles dégagées de la tutelle de l’Etat. "Depuis, plusieurs dizaines d’écoles primaires ont ouvert leurs portes". Dans ce pays, l’essor de l’école privée s’appuie sur un constat d’échec du secteur public. "Non seulement l’enseignement est faible" note J. Svec, Vice-Recteur de l’Université de Bratislava, "mais les classes, avec 40 élèves en moyenne, sont surchargées. Aussi le Gouvernement est-il décidé à soutenir les écoles privées, qui lui apparaissent comme la solution la plus rapide à la crise de l’enseignement". En Pologne, le combat pour la liberté de l’enseignement est déjà ancien. Président de l’Association civique pour l’éducation (STO), qui a créé la plupart des écoles privées en Pologne, W. Starzynski en rappelle les étapes en ces termes : "Un groupe de plusieurs personnes s’est réuni à Varsovie en 1987, pour rompre le monopole d’Etat dans le domaine de l’éducation. Nous étions persuadés qu’il ne fallait pas brûler les anciennes écoles mais en fonder de nouvelles, tout en respectant les lois en vigueur". Actuellement STO anime 92 écoles dans toute la Pologne, 56 écoles primaires et 36 lycées. Ces écoles sont fréquentées par près de 5 000 enfants. LA MISE EN GARDE DES PAYS OCCIDENTAUX : LA LIBERTE N’EST PAS SEULEMENT UN PRINCIPE FORMEL Les participants des pays occidentaux ont mis en garde les citoyens de l’Europe centrale et orientale contre les dangers d’une liberté purement formelle comme celle qui existe dans plusieurs pays. Ainsi G. Guermeur, un des pères de la liberté de l’enseignement en France, a stigmatisé "l’hypocrisie des gouvernements qui gravent dans le marbre les grands principes de la révolution de 1789... tandis qu’ils mènent une guerre sainte pour interdire la pratique. Le moyen pour eux est très simple : il suffit de supprimer les moyens financiers pour que le choix d’une autre école que celle de l’Etat soit aussi pour la famille le choix du sacrifice financier. Liberté formelle, oppression réelle, tel est, de plus en plus, le lot de nos démocraties, soumises, maintenant, à la soft-idéologie, moins voyante mais plus insidieuse, fidèlement servie par toutes les forces politiques ou syndicales qui trouvent un intérêt commun à exercer un monopole sur l’éducation des enfants et sur l’information des citoyens". Sur la même question s’est exprimé W. J. V. van Katwijk, Président de l’Association Européenne des Parents d’élèves de la Communauté Européenne : la liberté d’enseignement est la base d’une société démocratique, elle suppose le choix aussi bien au niveau formel que réel. "Il est important de faire un contrat social, - a poursuivi van Katwijk - un compromis entre politique et société sur le droit du choix entre public et privé" comme il a été fait aux Pays-Bas. Le système doit être flexible, le gouvernement doit éviter une trop grande réglementation et l’Etat doit subvenir aux besoins des écoles publiques et privées. Monsieur Sixtus Sexton, Directeur de l’Education Unit, présente l’objectif des réformes du système anglais d’éducation : il estime qu’il faut garantir le libre choix de l’école (soumis aux seules lois du marché) et libérer les écoles de la tutelle des autorités publiques et que le rôle du gouvernement doit se réduire à la distribution dans des conditions équitables des crédits qui résultent de la collecte de l’impôt. Le Recteur Jaumotte, de l’Université Libre de Bruxelles, expose comment la Belgique en est venue à instaurer un système éducatif à la fois neutre et pluraliste, qui respecte la liberté de l’enseignement et le choix des parents. Ce système qui va être modifié pour tenir compte des communautés linguistiques est très satisfaisant ; il a le seul défaut d’être coûteux. Selon Ch. L. Glenn, Directeur du Bureau de l’égalité du Département d’Education du Massachusetts, "pour vraiment éduquer, éduquer pour la liberté, il faut aborder les questions essentielles de l’existence, en évitant les conflits paralysants sur les fondements et le contenu de l’éducation. Cela sera seulement possible, en encourageant une réelle diversité entre les écoles, sur la base du choix des parents et des professeurs parmi des alternatives scolaires pleines de signification. Les enseignants doivent pouvoir travailler dans des écoles qui partagent leurs valeurs et leurs objectifs, et les parents doivent pouvoir choisir des écoles qui partagent leurs valeurs. Parents, professeurs et élèves doivent pouvoir former une communauté : ceci c’est la meilleure formule pour la réforme de l’éducation dont nous avons un urgent besoin. Alfred FERNANDEZ
Lettre N° 29 - 3ème trimestre 1990
L’EMBELLIE ? La rentrée scolaire vient d’avoir lieu dans une conjoncture exceptionnellement favorable au Ministre de l’Éducation Nationale. L’attention des Français était d’abord réservée à la grave crise internationale que nous traversons ; il est de plus vraisemblable que, par civisme, les critiques que pouvaient susciter certains aspects de la politique intérieure - notamment la politique éducative - auront été tempérées. Au total, cette rentrée n’aura pas été plus difficile que beaucoup d’autres. Certes, on s’est trouvé en présence du cortège habituel de récriminations et de multiples difficultés ponctuelles ont été signalées. Mais le fait est qu’il n’y a pas eu (du moins à notre connaissance) de problème majeur. A vrai dire, il n’y avait pas non plus d’innovation marquante du système éducatif qui prenne effet cet automne. "Sans faire de triomphalisme", le Ministre manifestait une satisfaction évidente et portait, au sujet de l’avenir, un diagnostic optimiste. Ce n’est pas faire preuve d’un scepticisme excessif que d’avoir un jugement beaucoup plus réservé. Au mieux, il y a une apparence d’embellie, qui ne concerne d’ailleurs que certains secteurs. Attendons la rentrée des universités pour faire un bilan global ! Il serait tout à fait abusif de conclure du calme actuel que l’éducation nationale est sur la voie du rétablissement. Tous les problèmes majeurs restent, en effet, totalement irrésolus. Il semble qu’on ait fini par reconnaître que le problème le plus grave, dont la solution détermine en fait tout l’avenir du système éducatif, est celui du recrutement d’un nombre suffisant d’enseignants qualifiés. Ce qui exige naturellement des crédits. Admettons qu’un effort compatible avec les exigences budgétaires ait été fait quant au nombre de créations d’emploi. Encore fallait-il trouver des candidats dignes d’être recrutés. On sait que là se situe la difficulté majeure, qui prend un tour dramatique dans certaines disciplines pour lesquelles on est obligé de recourir à des auxiliaires sans qualifications, dans certains cas à peine francophones. Les causes de cette situation sont multiples et complexes. La médiocrité des traitements offerts a, sans doute, un grand rôle ; mais ce n’est pas le seul facteur. La perte de prestige des enseignants, la limitation de leur indépendance (par le rôle croissant accordé aux "équipes"), l’incertitude de leur avenir sont également des causes importantes. Or, on ne voit pas en quoi les mesures prises ou annoncées pourraient améliorer notablement la situation. Certes, il y a une revalorisation des rémunérations ; mais si elle est importante pour les instituteurs, elle est beaucoup plus faible à des niveaux supérieurs. Elle est pratiquement nulle pour les professeurs agrégés. Croit-on encourager la préparation de concours difficiles, sanctionnant de longues formations, en donnant aux candidats l’impression qu’ils auraient une situation financièrement (et moralement) équivalente en suivant une voie beaucoup plus aisée ? Il est vrai qu’on prolonge assez inutilement la formation des instituteurs (pour justifier les rattrapages indiciaires !), que l’un des objectifs des futurs I.U.F.M. (Instituts universitaires de formation des maîtres) est de former dans les mêmes établissements tous les enseignants du primaire et du secondaire comme si on voulait les confondre, et que les nouveaux instituteurs se dénommeront "professeurs d’école", petite mesure destinée à symboliser qu’on tend vers le fameux corps unique d’enseignants réclamé depuis des années par le Syndicat National des Instituteurs. Un système qui repose sur une telle volonté de nivellement, sans aboutir toutefois à la stricte égalité qu’aurait inéluctablement produite le "corps unique" suscitera inévitablement de graves difficultés pour le recrutement aux niveaux de qualification supérieure. C’est essentiellement à ces niveaux que la carrière d’un enseignant se trouvera en concurrence avec d’autres carrières plus rémunératrices. Ainsi agira la loi du marché qu’on semble ignorer. On pourra dissimuler le mal, recevoir les candidats aussi médiocres soient-ils ; je ne pense pas qu’on espère favoriser ainsi la qualité de l’enseignement ! Toujours est-il qu’envisagé sous le seul aspect numérique le problème du recrutement n’est aucunement résolu. Dans une interview accordée au Figaro (le 10 septembre), M. Jospin note que pour la seconde année consécutive "le nombre d’enseignants recrutés est supérieur à celui de ceux qui partent à la retraite". On pourrait même ajouter qu’on est passé d’un excédent de 650 personnes en 1989 à un excédent de 1 000 cette année. Chiffres positifs certes, mais qui restent dérisoires au regard des besoins. Ne nous abusons pas ; si, malgré un accroissement important du nombre des admis à certains concours (comme le CAPES : 30 % en un an), on arrive tout juste à maintenir l’équilibre, c’est parce que le nombre de départs à la retraite - phénomène prévisible depuis longtemps - s’accroît rapidement. Lorsqu’on songe que le nombre des enseignants est actuellement de 800 000, qu’on doit l’accroître considérablement si l’on veut conduire 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, le chiffre de 1 000 enseignants en plus reste dérisoire. Il l’est même au regard des 60 000 élèves supplémentaires dans le second degré, qu’attend cette année M. Jospin. (Ce chiffre reste d’ailleurs incertain, tandis que celui des auxiliaires nécessaires est inconnu !) Telle est la situation en ce qui concerne l’aspect strictement quantitatif du problème. Quant à la qualité de la formation des maîtres, il est difficile de juger de ce qu’elle deviendra sans idée précise du contenu des futurs I.U.F.M. chargés de se substituer à toutes les institutions existantes. Or après avoir affirmé qu’il fallait d’abord privilégier la formation pédagogique sur l’apprentissage des disciplines à enseigner, et avoir attaqué avec une véhémence exceptionnelle les représentants des professeurs qui s’opposaient à lui comme nous l’avons dit dans notre dernier numéro, M. Jospin semble sinon revenir en arrière, du moins se complaire dans le flou, au nom de l’esprit expérimental et de la volonté de concertation. Est-ce simple façon de différer la décision, de contourner l’obstacle, ou a-t-il pris la mesure des réactions hostiles qu’il avait suscitées ? Car lorsque l’Académie des Sciences qui n’est pas mue, pour autant que je sache, par des passions politiques hostiles au socialisme écrit que "l’acquisition des connaissances dans les disciplines à enseigner par les futurs professeurs doit rester prédominante", elle reprend les idées qui avaient déclenché la colère du Ministre. Rien n’est donc assuré en ce qui concerne la qualité du recrutement, mais je crois que rien non plus n’est définitivement perdu. On ne peut donc considérer que le problème du recrutement soit en voie de solution. En ce qui concerne les objectifs du système éducatif et la détermination de méthodes efficaces pour atteindre ces objectifs, on n’a pas plus progressé. Comme presque tous ses prédécesseurs, mais de façon encore plus caractérisée, M. Jospin est animé par l’idéal égalitaire qui était celui du plan Langevin-Wallon. Donner à tous les jeunes la même éducation le plus longtemps possible ; le 80 % de bacheliers est en quelque sorte l’aboutissement naturel de cette démarche. Ceci exige l’abrogation de toute sélection, de toute orientation autoritaire (et on essaye de limiter la disparité des filières), de tout barrage. On repousse tout ce qui évoque l’élitisme ; le mot lui-même est proscrit, même accompagné du qualificatif "républicain". On sait combien de choses ont été faites sur cette voie. Je dirais même que l’essentiel du chemin est parcouru. Restait toutefois à supprimer un certain nombre de difficultés. C’est à quoi tendent nombre de mesures prises récemment. Enlever l’essentiel du pouvoir de décision en matière d’orientation et de redoublement aux professeurs (qui sont par situation des arbitres impartiaux) pour le confier à des conseils dans lesquels les parents sont prépondérants, c’est une décision démagogique dont l’effet est prévisible. Il en va de même de la substitution du contrôle continu (passé dans les établissements) aux épreuves anonymes d’un concours national. Elle était prévue pour une partie des épreuves de certains baccalauréats. Le projet de décret n’a été retiré au dernier moment que sous la pression des associations de professeurs spécialistes. En fait il s’agissait d’un simple ballon d’essai ; l’objectif final était la substitution à l’examen national anonyme d’un baccalauréat d’"établissement" qui permet toutes les pressions sur ceux qui le décernent, interdit toute comparaison du niveau d’un établissement à l’autre, et ne peut que susciter une baisse du niveau. Non seulement on veut que tout cursus scolaire devienne un chemin de velours, mais aussi que toute estimation de l’efficacité du système soit impossible. On cherche ainsi à proscrire tous les repères objectifs. C’est compréhensible lorsqu’on sait le peu d’efficacité du système, l’effroyable gâchis qu’il suscite. L’an dernier une vaste opération d’évaluation des acquis scolaires avait été effectuée (au niveau du C.E. 2 et de l’entrée en 6ème). Les résultats en étaient catastrophiques. Elle sera poursuivie cette année mais les résultats ne seront plus publiés sous forme centralisée ! C’est un aveu. Malgré ces tentatives de dissimulation, demeurent des faits qui constituent des signes indéniables. Nous venons d’apprendre que les services de la Défense Nationale estiment à 30 000 appelés par classe le nombre de ceux qui sont atteints d’illettrisme. On peut ouvrir un débat tout académique sur la définition de l’illettrisme. Mais qu’importe sa conclusion ! En bref, malgré une scolarité qui s’étend sur dix ans dans la majorité des cas (au lieu de six ou sept il y a trente ans), 30 000 ne maîtrisent pas la lecture courante. Comme ce chiffre concerne les seuls garçons, cela constitue près de 10 % de l’ensemble. Si l’on ajoute que seulement 20 % de jeunes Français devraient ne pas atteindre le niveau du baccalauréat, on reste rêveur. Quoi qu’on prétende, je ne crois pas très réalistes les objectifs qu’on s’est assignés. La multiplication des échecs (nullement exclusifs d’incontestables succès dans des cas individuels) était inévitable. La seule parade est alors la dissimulation. L’absurdité des objectifs visés, la multiplication des situations d’échec, la faible rentabilité du système sont en fait des conséquences immédiates du refus d’une authentique libéralisation. Certes l’enseignement privé voit son statut maintenu et sa situation à peu près préservée. On accorde même à tous les collèges et lycées (publics) une prétendue autonomie puisqu’ils sont conviés à élaborer des projets d’établissement qui "donneront collectivement un sens à l’action éducative [de l’établissement]". Enfin, on attend beaucoup de la régionalisation, dont un volet consiste naturellement à demander aux collectivités locales d’apporter une contribution financière à l’enseignement en échange d’une certaine tutelle qui leur serait accordée. Si tout n’est pas à réprouver - loin de là - dans la régionalisation, elle ne constitue pas la panacée que certains veulent y voir. Elle n’est aucunement une garantie de libéralisation. L’Université de Lyon III en a fait la sinistre expérience lorsqu’on a vu le maire de Lyon, au mépris de toute réserve, la sommer de prendre des sanctions contre "un quarteron de prétendus universitaires [qui] auraient consacré leurs travaux à la falsification de l’Histoire" (l’anonymat n’étant d’ailleurs levé qu’en un cas !). Je ne crois pas que, récemment, une autorité politique nationale ait pris une telle attitude. Confier l’école aux autorités politiques locales n’est pas une mesure qui entraînera automatiquement une plus grande liberté des partenaires du système, ni une plus grande efficacité, ni sa diversification. Il y a des roitelets d’autant plus despotiques que leur fief est petit, des administrations mesquines et tatillonnes parce que leurs administrés sont peu nombreux. Il est souvent aussi difficile de se libérer de l’autorité locale que de l’autorité nationale. Ce n’est pas là une spéculation purement abstraite. L’expérience anglaise confirme ce que nous disons. Rappelons qu’en Grande-Bretagne la gestion des écoles (primaires et secondaires) est confiée aux collectivités locales qui les gèrent à travers les "Local education authorities". Le système est au moins aussi oppressif, gaspilleur, uniformisateur que le système "napoléonien" que nous connaissons. Ce sont ces despotismes locaux que le gouvernement de Mme Thatcher veut abattre. La mesure essentielle, mise en œuvre actuellement, consiste à donner aux établissements un "droit de sortie", c’est-à-dire le droit pour le Conseil gérant l’école de sortir du système, d’acquérir une totale indépendance par rapport à l’autorité locale, en conservant une subvention calculée de sorte que soit respectée l’égalité des dépenses par élève (d’un niveau donné). Il semble que la suppression des interventions de la bureaucratie locale soit prisée et la réforme (dénoncée naturellement par les travaillistes) bien accueillie par de larges secteurs de la population. Mais, dira-t-on, tout ne revient-il pas à cette autonomie des établissements que concrétiseraient les "projets éducatifs" ? Je ne le crois pas. L’autonomie des établissements rencontre de justes limites. Il ne saurait être question de donner n’importe quel contenu à l’enseignement, de fixer arbitrairement le niveau, d’improviser en fait de méthode, sous peine de voir s’effondrer l’enseignement et l’anarchie se substituer à la diversité souhaitée. Il semble qu’aux Etats-Unis on ait pris conscience du problème. Un article récent du Wall Street Journal (2/2/90) notait un double mouvement. D’une part, on exige un libre choix de l’école, les établissements scolaires s’administrant librement. Ce libre choix qui s’applique à l’intérieur du secteur public est un droit des parents reconnu dans un nombre croissant d’Etats. On attribue aux écoles une liberté de gestion. (Il arrive que cette gestion soit confiée aux Universités, ainsi au Massachusetts). On espère que celles qui seront les mieux gérées, qui adopteront les meilleures méthodes, exerceront un pouvoir d’attraction sur les autres. Mais, en même temps, on demande l’instauration d’un système national d’examens et de contrôle de niveau, que laisse prévoir le président Bush, ce qui n’avait jamais existé jusque-là. Ce ne sont aucunement des vœux contradictoires, mais parfaitement complémentaires. Le choix de l’école n’a de sens que s’il y a un étalon commun. Faute d’en disposer, comment déterminer quelle est la meilleure école accessible ? La véritable libéralisation, condition pour améliorer l’efficience du système, réside dans cette combinaison d’un instrument de contrôle national avec une marge d’autonomie à déterminer dans l’usage fait des moyens accordés. On voit qu’on est aux antipodes du projet d’établissement et de l’illusoire régionalisation. Maurice BOUDOT. 7 ANS APRÈS, LES INQUIÉTUDES DE L’ÉCOLE LIBRE Il y a sept ans, au moment de la rentrée scolaire 1983, M. Savary préparait le projet de loi qui porte son nom afin de noyer l’école libre dans le "grand service public unifié" que M. Mitterrand avait promis de créer. La mobilisation de tous les défenseurs de la liberté de l’enseignement qui s’est traduite, entre autres, par la création d’Enseignement et Liberté a abouti à une vague de manifestations, la plus importante que notre pays ait connue, qui a entraîné le retrait du projet de loi et la chute du gouvernement qui l’avait élaboré. Après cette victoire dont le caractère populaire n’avait échappé à personne, et surtout pas au Président de la République, les dirigeants de l’enseignement catholique ont manifesté une grande volonté de parvenir à un accommodement durable. C’est ainsi qu’ils ont accepté, en émettant quelques réserves, les "mesures simples et pratiques" de M. Chevènement nommé ministre de l’Education nationale en remplacement de M. Savary. Ces mesures présentaient pourtant un danger évident, en faisant dépendre le choix de leurs maîtres par les établissements privés du bon vouloir des rectorats. Un autre danger, moins apparent, résultait du fait que l’enseignement privé était ramené au régime de la loi Debré de 1959, les aménagements et améliorations qui lui avaient été apportés depuis, en particulier par la loi Guermeur, étant effacés. Aujourd’hui, l’enseignement catholique, en particulier par la voix de l’Abbé Max Cloupet, son Secrétaire Général, exprime sa déception de ne pas être reconnu comme le partenaire de l’enseignement public qu’il voudrait être au sein du "service public d’éducation". Ces plaintes n’ont pas pour origine des conflits entre les rectorats et les écoles privées pour le choix des maîtres : les difficultés de recrutement, aussi bien dans le privé que dans le public, et le souci très réel du gouvernement de ne pas donner aux parents d’élèves l’occasion de descendre dans la rue comme il y a sept ans expliquent que ces conflits n’aient été ni nombreux ni graves. D’ailleurs, le manque de discernement, la pusillanimité de certains directeurs d’établissements privés, la volonté de faire passer la réussite scolaire avant l’éducation chez les uns, celle de pousser l’ouverture aux autres jusqu’à l’oubli du caractère chrétien chez d’autres, permettent l’entrée de suffisamment de loups dans la bergerie sans que le ministère ait besoin d’en introduire. En fait, les difficultés d’aujourd’hui résultent du blocage législatif et réglementaire auquel se trouve confronté l’enseignement privé. Non content de lui imposer le moule d’une loi de 1959 on lui impose aussi, comme vient de le rappeler le Conseil d’État, pour le financement de ses travaux immobiliers, la loi Falloux de 1850 M. Jospin, dont les naïfs auraient pu attendre qu’il invoquât à cette occasion "la force injuste de la loi", a au contraire affirmé à plusieurs reprises qu’il n’entendait pas proposer au Parlement de modifications à la législation relative à l’enseignement privé. En ce qui concerne les mesures qu’il pourrait prendre sans faire appel au Parlement, la situation n’est guère meilleure : c’est ainsi que la loi sur l’enseignement agricole privé de 1986 attend encore des décrets d’application. Les difficultés financières bien réelles de l’enseignement catholique qui portent en particulier sur les salaires des directeurs d’écoles privées, celui des documentalistes, la formation des maîtres et la construction de bâtiments pourront-elles être résolues dans le secret des cabinets ou faudra-t-il que les parents d’élèves et tous ceux qui sont attachés à la liberté d’enseignement fassent, comme il y a sept ans, entendre leur voix ? P.J.C
Lettre N° 28 - 2ème trimestre 1990
REMISE DES PRIX D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ REMISE DES PRIX D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ C’est au Palais du Luxembourg, en présence de Monsieur Alain POHER, Président du Sénat, et de Monsieur Paul SERAMY, Vice-Président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat, que les six premiers lauréats d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ ont reçu les prix et les mentions que nous attribuions pour la première fois. Notre assemblée générale du 1er février avait décidé la création de Prix destinés à récompenser des travaux et des ouvrages traitant de la liberté de l’enseignement sous tous ses aspects, que ce soit historique, juridique, économique, politique ou bien encore sociologique. Monsieur Jean CAZENEUVE, membre de l’Institut et membre de notre Comité d’Honneur, préside le jury constitué en outre de deux personnalités extérieures à notre Association, Monsieur le Recteur Yves DURAND et Maître Jean-Marc VARAUT, ainsi que de trois représentants du Conseil d’Administration, Monsieur le Professeur DRAGO, Monsieur Lucien GORRE et Monsieur le Conseiller André JACOMET. Avant la remise des Prix s’était tenue notre Assemblée Générale. Nous publions ci-après le rapport moral présenté par Monsieur Maurice BOUDOT ainsi que les décisions adoptées par l’Assemblée. Tout au long de l’année qui nous sépare de notre dernière Assemblée générale, l’Ecole a été mêlée contre son gré à des affaires qui la débordaient amplement. Aujourd’hui, c’est le tumulte né à Carpentras qui y trouve des échos puisqu’on cherche dans telle ou telle Université ceux qui, par leur idéologie, auraient pu inspirer, fût-ce de façon lointaine, ces actes ignobles, ce qui donnera vraisemblablement prétexte à ce qu’il faut bien appeler une chasse aux sorcières. Mais, souvenons-nous. L’année avait commencé avec l’affaire du foulard islamique, qui devait agiter l’opinion, diviser les familles politiques et spirituelles, et surtout révéler les contradictions d’une idéologie qui entend soutenir simultanément que toutes les différences sont respectables et que les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme sont universellement reconnues. Avouons que si ces parents, peut-être manipulés (n’avez-vous pas remarqué combien les fameux foulards ont soudainement disparu ?) n’avaient pas à imposer la loi de leur religion exigeante à une école publique qui se veut neutre, on doit par ailleurs reconnaître qu’ils avaient quelques raisons de s’inquiéter de l’éducation qui est donnée dans une société dont l’affaissement moral peut être mesuré par le fait qu’au moment même où on s’indigne des profanations, on offre comme nourriture spirituelle au public la diffusion à une heure de grande écoute de Tenue de soirée ! Sur cette affaire, qu’on aurait naturellement étouffée sans l’exemplaire courage du principal de Creil, nous nous sommes exprimés en temps utile. Nous l’avons fait, sans déroger à nos principes, et nous manifesterons à l’avenir le même souci de préserver notre liberté d’expression. Mais les problèmes que nous venons d’évoquer ont, en quelque sorte, agressé l’Ecole de l’extérieur, sans la concerner directement et exclusivement ; leur acuité prouve d’ailleurs l’imprudence qu’il y avait à vouloir ouvrir l’école sur la cité, à en faire un "lieu de vie". Mais qu’en est-il des problèmes strictement scolaires ? La vérité nous oblige à dire qu’il n’y a eu aucun événement spectaculaire en ce qui concerne le statut de l’enseignement privé. Mais en un domaine aussi sensible - et qui laisse à certains un cuisant souvenir depuis 1984 - on peut agir de façon discrète, mais assez efficace. Disons que depuis un an, on assiste à une action de grignotage et de harcèlement. Je note deux tentatives significatives ; mais si aucune n’a vraiment abouti, soyons assurés qu’elles peuvent être reprises : la première sous le prétexte apparemment bénin (et donc incontestable) de réaménager la semaine scolaire visait (en proposant un échange déloyal) à supprimer en fait le temps prévu pour que les parents qui confient leurs enfants à l’école publique puissent faire assurer leur éducation religieuse. C’était revenir sur une garantie acquise depuis Jules Ferry ! Cette tentative a été heureusement stoppée. Il n’en est pas exactement de même pour la seconde, beaucoup plus perfide. Elle a consisté à susciter un avis du Conseil d’Etat sur les subventions d’investissement accordées par les collectivités locales à l’enseignement privé. Le Conseil ne pouvait que renvoyer à la législation existante, et notamment la loi Falloux de 1850, qui les plafonne très strictement. Il est assez cocasse de voir les socialistes s’abriter derrière une loi si ancienne tenue jusque-là pour réactionnaire. Mais ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il n’y eut naturellement aucun projet de loi d’origine gouvernementale pour remédier à cette situation et donner aux collectivités locales la faculté de contribuer au développement de l’enseignement privé. C’est une proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat qui cherche à trouver un remède à cette impasse juridique. Ce qu’on note en ces deux cas, dont le rapprochement est significatif, c’est la volonté de gêner au maximum une institution qu’on tient pour adverse et lui faire sentir qu’elle est sous contrôle permanent sans toutefois déclencher l’offensive. Quant à l’enseignement public, il poursuit à un rythme accéléré l’inexorable dégradation qui est la simple conséquence des principes contenus dans la loi que M. Jospin a fait voter au milieu d’une regrettable inattention. C’est avant tout la formation et le recrutement des enseignants qui sont atteints. La mise en place des instituts universitaires de formation des maîtres est en fait un moyen de réaliser la dernière étape du plan Langevin-Wallon, une même formation pour tous les maîtres de l’école primaire à la fin du secondaire ou encore selon le slogan de 1968 "un seul corps de la maternelle au Collège de France". La formation des instituteurs sera peut-être allongée sans qu’on soit assuré que ceci suffise à la rendre meilleure : en revanche, celle des professeurs perdra beaucoup de sa qualité. En même temps se multiplient, notamment dans l’enseignement supérieur, les recrutements latéraux dans de nouveaux corps au statut incertain, recrutements qui n’offrent pas toutes les garanties d’équité souhaitables. Il en résulte une grave altération de la formation des maîtres et des conditions d’exercice du métier d’enseignant. Ce n’est qu’à moyen terme que les effets se feront sentir, lorsqu’il sera trop tard. Jusque-là, on espère parer en apparence aux difficultés les plus criantes, c’est-à-dire réussir à "caser" des flots d’étudiants toujours plus nombreux, puisqu’on s’acharne au nom du refus de l’exclusion à condamner toute sélection. Bien entendu, l’énormité des difficultés rencontrées conduira inévitablement le gouvernement à imposer de façon autoritaire ses solutions. Ainsi en est-il pour la restructuration des Universités d’Ile-de-France. On nous parle déjà de pratiquer une "sectorisation douce", absurde principe qui consiste à assigner aux étudiants leur université en fonction de leur lieu de résidence. Comme on le voit, le tableau qu’on peut faire de la situation n’a rien d’encourageant. Mais il n’y avait pas de fait suffisamment caractéristique pour entreprendre à partir de lui une action. C’est pourquoi nous nous sommes essentiellement attachés à rappeler, en chaque occurrence, les principes fondamentaux qui sont les nôtres. Dans cette perspective, la décision que vous aviez prise de créer les Prix d’Enseignement et Liberté était particulièrement opportune. Elle a été mise en application. Je ne veux pas anticiper sur le rapport de M. CAZENEUVE, mais je crois pouvoir dire que la qualité de certains travaux, la variété des perspectives qu’ils éclairent montrent qu’il y a lieu d’encourager des recherches qui nous permettent de dépasser le niveau des événements éphémères. Il s’ensuit que nous jugeons qu’il sera peut-être bon de renouveler cette initiative, sans pouvoir prendre d’engagement strict à ce sujet. Certes, les ressources de notre association ne sont pas inépuisables, l’organisation du concours est une tâche matérielle lourde et complexe et enfin les travaux de qualité demandent du temps pour être réalisés. Il s’ensuit qu’on ne peut concevoir au maximum qu’un rythme biennal. C’est ce qui vous sera proposé tout à l’heure dans une résolution. Qu’il me soit permis pour l’instant d’adresser mes plus vifs remerciements aux membres du jury qui se sont joints aux administrateurs désignés et qui ont bénévolement mis au service de notre initiative leur prestige, leur compétence et leur temps. Je veux parler de M. Jean CAZENEUVE, du Recteur Yves DURAND et de Maître Jean-Marc VARAUT. Notre association leur doit beaucoup. Enfin, je dois vous rappeler que nous avons adhéré à l’OIDEL 1 qui regroupe sur le plan international des associations qui ont des buts comparables aux nôtres. Ceci nous a notamment permis de nouer des contacts avec certains pays de l’Est. Nous aurions également voulu aider matériellement (par l’envoi de livres) le plus malheureux de ces pays, celui qui était le plus atteint dans son âme, la Roumanie ; nous n’avons pas encore pu mettre à exécution notre dessein et d’ailleurs les récents développements politiques dans ce pays justifient pleinement notre prudence. Mais nous espérons bien réaliser un jour ce projet pour l’instant différé. S’il me faut conclure ce rapport sur une note optimiste, elle sera la suivante. En octobre, je me rendrai à Genève pour participer au colloque de l’OIDEL consacré à la liberté d’enseignement dans les pays de l’Est. Qu’on soit assuré que j’y vais beaucoup moins avec le dessein d’enseigner aux autres ce qu’ils doivent faire que pour recevoir leurs leçons. Ceux qui ont d’abord le droit de parler de liberté, ce sont ces peuples qui ont souffert de l’un des plus monstrueux systèmes d’oppression qu’ait conçu l’esprit d’hommes pervertis et qui ont su s’en libérer parce qu’ils étaient animés d’une force spirituelle. Dans ce monde plein de bruits et de fureur, dans cet univers forgé sur le mensonge, la seule lumière qui puisse nous guider, c’est celle qui vient de l’Est. Maurice BOUDOT. Après avoir approuvé le rapport moral sur l’activité en 1989 ainsi que les comptes du même exercice, l’assemblée générale a renouvelé les mandats d’administrateurs de Messieurs Lucien GORRE, André JACOMET et Pierre MAGNIN 2. L’Assemblée Générale a ensuite adopté à l’unanimité la résolution suivante, relative au renouvellement des Prix d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE : "L’Assemblée Générale autorise le Conseil d’Administration à ouvrir de nouveau un concours en vue de l’attribution de Prix récompensant des travaux, études ou publications consacrés à la liberté de l’enseignement. L’Assemblée décide d’affecter à ces Prix une dotation de 120 000 F. Le Conseil d’Administration déterminera le règlement des Prix et choisira le jury. Le nombre et le montant des Prix seront décidés par le jury dans les limites de cette dotation en fonction de la qualité des travaux qui lui seront soumis. Cette autorisation est valable pour une durée de trois ans". Nous remercions ceux de nos lecteurs qui auraient conservé des coupures de presse faisant état de la remise de nos Prix d’avoir l’amabilité de nous en adresser une copie. Nos lecteurs trouveront en page intérieure la liste des lauréats et le commentaire fait par Monsieur CAZENEUVE de leurs ouvrages lors de la remise des Prix. LAURÉATS des prix d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ attribués, pour la première fois, le 11 juin 1990, en présence de Monsieur Alain POHER, Président du Sénat, par Monsieur Jean CAZENEUVE, membre de l’Institut, Président du jury : LE GRAND PRIX DE 50 000 F A Monsieur Pierre-Henri PRELOT pour sa thèse de doctorat sur l’enseignement supérieur d’initiative privée et, plus particulièrement, pour le livre qui en a été tiré et qui a été publié par la Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence sous le titre suivant : Les établissements privés d’enseignement supérieur. Ce volume de 330 pages apporte beaucoup de clarté sur des problèmes très complexes. C’est un travail juridique bien informé, bien construit, qui traite de l’enseignement supérieur privé sous toutes ses formes et du point de vue historique, politique et technique. Parmi les sujets abordés, on peut citer le régime des examens, l’homologation des diplômes, les relations avec l’Etat, etc. L’auteur fait preuve de beaucoup de rigueur et d’une grande objectivité. Son livre comble une lacune. Il sera fort utile, et il répond parfaitement aux intentions de ce grand prix. DES PRIX EX AEQUO DE 20 000 F CHACUN A Madame Hélène HUOT pour son livre : Dans la jungle des manuels scolaires, publié aux éditions du Seuil. Il aborde d’une façon un peu polémique, mais toujours bien argumentée, un problème important qui ouvrira à des discussions utiles. A Monsieur Marcel LAUNAY pour son livre intitulé : l’Eglise et l’Ecole en France aux XIXe et XXe siècle, qui a été publié aux éditions Desclée. Il traite de ce sujet historique en faisant une large place à des textes qui sont toujours bien choisis et reliés d’une façon tout à fait logique. DEUX MENTIONS A Monsieur André DAUTERIBES pour sa thèse sur Les idées politiques d’Edouard Laboulaye. Une aide de 10 000 F lui sera accordée s’il publie, à partir de ce travail, un livre dans lequel se trouvera la partie de sa thèse qui était consacrée à l’enseignement. A Monsieur Charles GLENN pour son manuscrit : Le choix de l’école en France. Une subvention de 10 000 F lui sera accordée pour l’édition d’une traduction en français de son livre, écrit en anglais : Parental choice of schools in six nations. Donc, nous aiderons à publier une traduction de ce livre qui est intéressant et qui mérite bien d’être traduit. LE PRIX SPECIAL DE L’INFORMATION A Monsieur Denis LENSEL pour les articles qu’il a publiés sur l’enseignement dans Le Quotidien de Paris au cours de l’année 1989, et plus particulièrement, ses articles sur la loi d’orientation de l’éducation et sur les facultés libres. Ces articles tout à fait remarquables ont bien mérité d’être distingués et récompensés par ENSEIGNEMENT ET LIBERTE. Monsieur CAZENEUVE, s’adressant à l’auditoire, et plus particulièrement aux adhérents d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE, a conclu cette manifestation en ces termes : Voilà donc décernés ces prix, pour un montant assez important. Il serait, je crois, intéressant, si vous pouviez le faire, de renouveler plus tard, tous les deux ans, ces prix qui encouragent des travaux. Comme vous l’a dit le Président BOUDOT, nous avons vraiment reçu cette année de très nombreux ouvrages, soit des livres publiés, soit des manuscrits, qui étaient de grande qualité. Nous n’avons eu que l’embarras du choix et nous souhaitons que ces prix encouragent des auteurs à écrire et publier des ouvrages d’un aussi grand intérêt et contribuant à la défense d’une liberté essentielle. Le 19 avril, en réponse à une question orale de M. BOURG-BROC, député R.P.R., qui l’interrogeait sur des projets ministériels relatifs aux I.U.F.M. (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) et qui rappelait que le président de l’association des professeurs de philosophie de l’enseignement public affirmait que "c’est une illusion de croire qu’une technique pédagogique peut compenser un manque de contenu", en d’autres termes qu’on peut enseigner ce qu’on ignore, M. JOSPIN, ministre d’Etat, s’est livré à une attaque d’une violence qui frise l’insulte contre l’un des fonctionnaires placés sous son autorité : "Il ne souhaiterai[t] pas à [ses] enfants le professeur de philosophie que vous citez" - professeur soudain privé de sa qualité de président d’une association professionnelle reconnue et représentative - et déclare qu’il "n’est pas le seul à avoir éprouvé un certain frisson en lisant cela." (!) (p. 481 du J.O. des débats de l’A.N..) Effectivement, dans Le Monde de l’Education de mai, (p. 13) devenu comme nous l’avions annoncé le Journal Officiel du Ministère de l’Education nationale, il s’est trouvé un plumitif pour manifester que M. JOSPIN n’était pas seul : on y évoque, comme dans l’hémicycle, l’ombre de Socrate, compté au nombre des partisans des sciences de l’éducation contre les savoirs (pauvre Socrate, que de ciguës ne te fera-t-on pas boire !), et on va jusqu’à comparer l’association professionnelle des professeurs de l’enseignement public à "n’importe quel lobby betteravier". Je demanderai simplement à celui qui utilise cette comparaison - et qui est aujourd’hui plus souvent sur les plateaux de télévision, dans les salles de rédaction ou dans les antichambres d’éditeurs que dans les salles de cours - quel intérêt financier défend l’Association dont je parle (qui a d’ailleurs des positions convergentes avec celles d’une multitude d’autres associations professionnelles). Cette affaire manifeste la volonté de mettre au pas tous ceux qui ne sont pas d’accord avec les positions gouvernementales et qui le disent clairement. Pour parvenir à ce résultat, on use de n’importe quel procédé : l’insulte, la complicité indigne des médias. Soyons assurés que ce processus d’asservissement moral et intellectuel du corps social se poursuivra. (à suivre) M. BOUDOT 1 Organisation Internationale pour le Développement de la Liberté d'Enseignement. Plus d'articles... |