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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 27 - 1er trimestre 1990
L’ORGANISATION INTERNATIONALE L’ORGANISATION INTERNATIONALE ENSEIGNEMENT ET LIBERTE est entré en relation avec cette organisation que préside Monsieur Antoine Humblet, ancien ministre de l’éducation de Belgique, à l’occasion du symposium qu’elle a organisé à Genève, en octobre 1989, sur la qualité de l’enseignement. Nous avons souhaité que l’OIDEL participe à la réunion des associations de défense de la liberté de l’enseignement qui s’est tenue à Lyon le 1er février dernier. Son directeur général, Monsieur Alfred Fernandez, y a fait l’intervention suivante : L’OIDEL est une organisation internationale non gouvernementale indépendante des mouvements politiques, des institutions religieuses et des groupes économiques, la seule au niveau international, dont la tâche spécifique est le développement et la défense de la liberté d’enseignement. Fondée en 1985 par 40 hommes politiques, experts en éducation et parents d’élèves, elle compte actuellement des membres dans presque 50 pays des cinq continents. Notre organisation jouit du statut consultatif auprès de l’ONU, de l’Unesco et du Conseil de l’Europe et collabore avec les Communautés Européennes. Nous participons donc, avec droit de parole, aux réunions internationales sur l’éducation et les droits de l’homme, où nous nous efforçons de défendre et de développer cette liberté. Nous insistons toujours sur ce mot développement car, malheureusement, la liberté d’enseignement est le "parent pauvre" des libertés publiques. Permettez-moi de m’attarder un peu sur cela. Attaqué par les collectivistes et les centralistes d’une part, et par bon nombre d’experts en éducation plus soucieux de planification que de liberté, d’autre part, la liberté d’enseignement n’est pas, de facto, considérée comme une liberté publique du même rang que les autres. Cela est grave, préoccupant, car, comment concevoir des libertés d’opinion et d’expression saines, réelles, si l’Etat monopolise l’enseignement : l’information et la formation de base ? Certains affirment qu’il n’y a pas de danger dans un système démocratique, mais cela est inexact. Dans les régimes démocratiques également l’Etat a besoin d’un contre-pouvoir. Sans bornes le pouvoir tend naturellement à dégénérer. Il est inouï que dans un domaine aussi fondamental on continue à admettre le monopole ou quasi-monopole de l’Etat dans l’éducation, comme la chose la plus naturelle du monde. Monopole de droit ou de fait, cela ne change pas beaucoup à la chose. Dans la plupart des pays c’est une réalité : il semble que, sur ce point, la conscience des démocrates et des libéraux se soit endormie. Et c’est également étonnant de voir qu’une grande partie des experts en éducation considèrent avec méfiance cette liberté essayant de prouver qu’elle est nuisible ou qu’elle n’est pas une priorité essentielle. Mais, comment une liberté peut-elle nuire ? Comment peut-on considérer une liberté publique comme non prioritaire ? Certains tentent d’opposer, de manière purement théorique, la liberté de choix des parents à l’égalité, sans tenir compte des expériences réelles comme celle de l’Etat du Massachusetts aux Etats-Unis qui a introduit le choix même au niveau de l’école publique et où cette opposition n’existe pas. D’autres pensent que le choix favorise les riches ; les expériences européennes et américaines prouvent exactement le contraire. D’autres encore craignent que la liberté d’enseignement divise la société, créant des courants d’opinion trop marqués, qui tourneraient à l’affrontement. Mais si cela était généralisé à la société entière, que resterait-il du pluralisme ? Le pluralisme n’est pas dangereux. Le monopole de l’éducation, de facto ou de jure, lui est dangereux. Rien de pire qu’une "vérité éducative de l’Etat". Comme le dit un spécialiste des libertés publiques bien connu, Georges Burdeau, la liberté d’enseignement "est le fondement même des sociétés démocratiques : la diversité des croyances et des conceptions, leur coexistence sous la même obligation de respecter les lois, sont des faits que l’on ne peut méconnaître sans porter atteinte à l’idée même de la démocratie. Le monopole de l’enseignement (de la part de l’Etat) aboutit fatalement à un enrégimentement de la pensée, à sa domestication au service du parti". Dans le même sens s’exprimaient bien avant, des auteurs d’idéologies bien différentes comme Condorcet ou Stuart Mill. Ce dernier, considéré comme l’un des pères fondateurs de la démocratie moderne, n’hésite pas à dire "qu’il est intolérable qu’un gouvernement ait, de jure ou de facto, un contrôle complet sur l’éducation. Posséder ce contrôle et surtout l’exercer est le propre d’un comportement despotique. Un gouvernement qui peut mettre dans un moule les opinions et les sentiments des gens dès l’enfance, peut faire avec eux ce qu’il veut". Aujourd’hui 13 instruments internationaux, de la Déclaration universelle des droits de l’homme à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, protègent cette liberté. Sur le papier, la plupart des Etats ont ratifié ces traités. Mais nombreux sont ceux qui sournoisement grignotent cette liberté. Cela se passe ici, en Europe, dans plusieurs pays dont les constitutions et les lois éducatives établissent clairement la liberté de choix des parents. Cela se fait ordinairement, vous le savez mieux que moi, par des mesures d’ordre administratif ou budgétaire visant la réduction progressive de l’enseignement privé. Je viens de vous décrire les deux tâches prioritaires de l’OIDEL :
La première tâche, la reconnaissance publique de la liberté d’enseignement comme liberté fondamentale demande, tout d’abord, un travail d’approfondissement sur le contenu de la liberté d’enseignement. Ceci est particulièrement urgent maintenant, lorsque le droit international public est en train de prendre forme. Les droits de l’homme ne disposent d’organes de contrôle internationaux que depuis une quinzaine d’années. Après la Déclaration universelle de 48, il a fallu attendre 1976 (soixante-seize) - presque trente ans - pour que les Pactes des droits de l’homme, conventions juridiquement contraignantes, entrent en vigueur. Les organes de contrôle des droits de l’homme sont encore plus récents : l’organe de contrôle du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels n’existe, par exemple, que depuis quatre ans. Un exemple de notre action à ce niveau est le rapport sur la liberté d’enseignement que nous venons de soumettre au Comité chargé de contrôler l’application de ce Pacte, exposant le contenu et la portée de cette liberté dans le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels. Je le répète, nous sommes à un moment crucial dans ce domaine, car le droit international est en train de prendre forme. Cette première tâche, la reconnaissance publique de la liberté d’enseignement comme liberté fondamentale comporte également un travail auprès des média, tendant à l’établissement des réseaux de presse qui informent objectivement sur cette liberté. Nous constituons parallèlement une base de données sur la liberté d’enseignement, ouverte au public, et reliée au Conseil de l’Europe. La deuxième tâche, la défense et le développement de la liberté d’enseignement auprès des gouvernements et des organisations internationales suppose un travail à plusieurs niveaux : · d’abord, intervenir auprès des gouvernements et des organisations internationales utilisant les voies de droit national et international pour élargir ou défendre la liberté d’enseignement. Elles existent et il faut les utiliser. Mais il faut aussi savoir comment les utiliser. L’OIDEL a comme mission d’aider dans ce sens. Je vous donne un exemple : dans le courant du mois de février nous interviendrons devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, pour attirer l’attention des Etats sur cette liberté. Ce sera la première fois que dans cette Commission, le plus grand forum international sur les droits de l’homme, une voix se fera entendre dans ce sens. Parfois aussi nous interpellons directement les gouvernements lorsque des réformes éducatives importantes se mettent en place pour donner notre avis sur les projets de loi. Nous l’avons fait avec la Loi d’orientation de M. Jospin et nous préparons un rapport sur la nouvelle réforme espagnole. · ensuite, cette action en faveur de la liberté d’enseignement, nécessite d’informer l’opinion publique sur l’état de cette liberté dans le monde et sur ses violations. Chers amis, nous sommes une organisation internationale à votre service, nous ne pouvons rien sans vos informations. Je voudrais encore vous dire en guise de conclusion quelque chose que vous savez bien, mais qui est très important : soutenir l’enseignement non-étatique, privé ou libre, est la condition d’existence de cette liberté. Nous ne sommes contre rien, encore moins contre l’enseignement de l’Etat, qui est nécessaire. Mais il faut une coexistence du public et du privé, et une coexistence sans discriminations économiques pour le privé. Il est nécessaire de répéter inlassablement, comme l’affirme la Résolution du Parlement Européen sur la liberté d’enseignement, que : "Les Etats ont l’obligation de rendre possible, également sur le plan financier, l’exercice pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de leur mission dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics correspondants". (Résolution sur la liberté d’enseignement, Parlement Européen, 14.3. 1984, par. 9). Pour cela il faut changer la mentalité de l’Etat : l’Etat doit abandonner ses prétentions à tout régler, à tout diriger, à tout planifier, pour devenir simple garant de la qualité du service. Est-ce une récréation qui nous est accordée ? La préparation du Congrès de Rennes avait-elle absorbé les énergies au point qu’on en oublie de nous préparer la dose de réformes à laquelle nous sommes habitués ? Peut-être. Mais le répit risque d’être illusoire : les choses ont été mises en place de sorte que se développent automatiquement leurs funestes conséquences. Et de plus, s’il n’y a rien de très voyant, on n’arrête pas de multiplier les mesures complémentaires qui rendront plus efficace le dispositif général : un jour on met en place le comité chargé de réviser les programmes qui permettra aux autorités politiques d’imposer leurs volontés sans consulter les spécialistes des dites disciplines (suspects de conservatisme du seul fait de leur compétence), un autre on reprend le projet dit de "réforme des rythmes scolaires" qui bouleverserait le calendrier de la semaine scolaire en mettant en péril le jour consacré à la catéchèse. C’est dire que c’est une récréation bien surveillée ! Que pouvons-nous attendre d’autre lorsqu’on se refuse à tirer les leçons de l’expérience ? A un journaliste qui lui objectait le caractère irréaliste de l’objectif de 80 % d’une classe d’âge accédant au baccalauréat, M. Jospin ne trouvait rien à répliquer, si ce n’est qu’il n’aurait pas proposé cet objectif s’il ne l’avait hérité de ses prédécesseurs, MM. Chevènement et Monory. Et c’est là la très stricte vérité ! M. B. Lettre N° 26 - 4ème trimestre 1989
COMMUNIQUE DE PRESSE DU 24 OCTOBRE 1989 L’affaire du foulard a été un révélateur de ce qu’était devenue fa société française et l’éducation dite nationale. Nous avons essayé de suivre les événements au plus près, sans obtenir dans les médias assez d’échos à nos points de vue et positions. Nous présentons d’abord à nos lecteurs trois textes dans l’ordre chronologique.
Tous ces textes sont relativement anciens, antérieurs au second tour de l’élection de Dreux qui a, en quelque sorte, ponctué le développement de l’affaire. Nous les ferons suivre de quelques remarques sur l’actualité immédiate. COMMUNIQUE DE PRESSE DU 24 OCTOBRE 1989 ENSEIGNEMENT et LIBERTÉ a toujours affirmé que la stricte neutralité de l’école publique, à laquelle trop d’entorses ont été apportées depuis vingt ans, est indispensable à la paix publique. L’Association approuve donc ce qu’exprime de fermeté et de courage l’attitude du principal de Creil, qui refuse dans son établissement le port d’insignes perçus, à tort ou à raison, peu importe, comme marques de prosélytisme par une partie de l’opinion française. Mais elle note également que ces incidents prouvent l’impossibilité d’un monopole d’État sur l’éducation, l’échec de l’assimilation par l’école et la nécessité de la liberté de l’enseignement qui doit permettre à chacun de choisir son école, sous réserve qu’y soient respectées les lois françaises, les principes de notre constitution et les pactes internationaux souscrits par la France. COMMUNIQUE DE PRESSE DU 28 NOVEMBRE 1989 Le Conseil d’État, dont il faut rappeler que sa mission est d’interpréter les textes législatifs et réglementaires et non de faire la Loi, prérogative qui n’appartient qu’au peuple (et "qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum"), ne pouvait que renvoyer M. Jospin à ses responsabilités. Organe qui a l’habitude d’un juridisme strictement abstrait, interrogé sur des questions sottement formulées, il n’avait ni la vocation, ni les moyens, ni l’envie de faire directement la moindre différence entre les religions selon qu’elles appartiennent ou non à la tradition nationale, selon la distinction qu’elles effectuent ou tolèrent entre le spirituel et le temporel, selon leur compatibilité avec les principes fondamentaux de notre pays. En rappelant simultanément la possibilité de réglementations nouvelles, mais aussi la capacité d’appréciation des chefs d’établissement, leur pouvoir disciplinaire - qu’ils exercent en collaboration avec leurs conseils - la Haute Assemblée permet en fait au Ministre de renvoyer la solution du problème à ses subordonnés qui seront vraisemblablement jugés sur leur souplesse d’échine et leur aptitude à étouffer les problèmes. Soumis à de multiples pressions, probablement ils n’auront pas tous le courage dont on a eu au moins un exemple. Nous aurons ainsi des établissements publics à foulard et d’autres - vraisemblablement de moins en moins nombreux - où le foulard sera interdit. Est-ce cela l’autonomie ? M. le Ministre d’État régnera ainsi sur une Éducation qui ne sera qualifiée de nationale que par dérision. Essayez de vous souvenir de ce qu’on nous racontait lorsque a éclaté l’affaire des foulards islamiques ! Ce sont des souvenirs déjà anciens : il faut remonter au début d’octobre, soit deux mois en arrière. La moitié d’un continent trouve le temps de réduire à l’humiliation les régimes communistes qui lui avaient été imposés par l’occupation étrangère, tandis que notre gouvernement (démocratiquement choisi) est incapable de résoudre un problème apparemment limité. Il aurait fallu avoir bien mauvais esprit pour trouver à redire au port du foulard islamique alors qu’on rencontrait dans les universités des étudiants portant soutane (et j’ajouterai pour les curieux des robes de moines bouddhiques dans l’U.E.R. où j’enseigne). Grossier sophisme : on ne peut confondre une Université dont les étudiants sont presque tous des adultes, parmi lesquels des étrangers qui (en principe) ne feront en France qu’un séjour limité, avec des lycées ou collèges, voire des écoles primaires, dont les publics sont constitués d’adolescents ou même d’enfants dont on nous chante à qui mieux-mieux qu’il faut les intégrer, et qui, s’ils ne sont pas déjà Français (ou présumés tels), sont souvent destinés à le devenir automatiquement par la grâce d’un code de la Nationalité passoire. Mais pourquoi en faire un drame ? Après tout, ce foulard n’était-il pas une simple mode vestimentaire, somme toute fort correcte ? Et le Cardinal-primat disait préférer le tchador à la minijupe, ou autre marque de "dévergondage". Noble langage, dont il faut simplement regretter qu’il n’ait pas été tenu beaucoup plus tôt. Faudrait-il croire que certains comptent se glisser comme passager clandestin dans les fourgons de l’Islam ? L’archevêque de Paris, plus prudemment, allait consulter le Recteur de la Grande Mosquée sur la signification de ce voile, ou foulard, etc. Et on eut droit à un débat portant sur la théologie musulmane (avec développements relevant de la linguistique). Que de feinte naïveté, car la signification du "message" était très claire. Fallait-il toutefois monter en épingle un incident très localisé ? Trois élèves dans un collège dont le Principal serait un peu trop rigoriste ; la seule solution aurait été de n’y prêter aucune attention. Après l’interprétation dissimulatrice, c’est le fait lui-même qu’on essaye de minimiser, faute de pouvoir le nier, et c’est ici que va éclater l’impudence du mensonge. Dès le début de novembre, M. Jospin doit reconnaître qu’il y a d’autres cas : il en avoue 10 répartis sur 7 établissements, alors qu’il vient d’inviter à sa table plus de sept chefs d’établissements concernés. Et on apprend que la mode vestimentaire n’affecte pas seulement les élèves, mais aussi les enseignants. On découvre des institutrices voilées. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement d’une mode vestimentaire. Ici on refuse de suivre certains cours, ailleurs on rejette la mixité, ou on exige à la cantine des menus spéciaux (viande Hallal). Les musulmans ne sont pas seuls concernés, mêmes s’ils sont les plus bruyants. Ici les israélites orthodoxes ont leurs exigences au sujet de l’emploi du temps, là les témoins de Jéhovah leurs fantaisies en matière de dessin ! Et, bien entendu, avec l’accord tacite des autorités ministérielles, peut-être même sur leur conseil, on a cédé à ces demandes dans un bon nombre de cas. La société multiculturelle (qu’on tient à nous faire confondre avec la société multiraciale), la voilà ! Il n’y a pas de raison pour que l’escalade s’arrête : on en est pour l’instant aux menaces de mort, aux insultes ordurières, aux plaintes judiciaires contre principaux et professeurs récalcitrants. Je veux bien croire qu’il y ait eu une recrudescence cette année. Mais, enfin, tous ces phénomènes ne sont pas très récents : on ne réaménage pas en une semaine ou deux les menus d’une cantine. C’est dire qu’on a longtemps dissimulé un certain nombre d’incidents. Depuis combien de temps cache-t-on la vérité ? Nous serions curieux d’avoir une réponse précise (en un sens, tout dérive du laxisme post-68). Bien entendu, personne ne nous fera croire que M. Jospin ignorait tout. Sinon, à quoi lui serviraient son corps d’inspection, ses administrateurs locaux ? Le patron de la F.E.N. (dont les positions actuelles me semblent pour l’essentiel très estimables) a dû, lui aussi, être assez bien informé avant le commun des mortels. Alors, pourquoi le Ministre s’est-il tu, et pourquoi a-t-il dû recommander le silence autour de lui ? Pourquoi un tel acharnement à dissimuler l’ampleur du phénomène ? La réponse est évidente : on craignait que M. Le Pen qui demandait aux Français "d’ouvrir les yeux" n’en tire profit ! On a essayé de mettre un tchador bien épais sur la tête de tous les électeurs. On sait le résultat. Moralité, car il y en a toujours une, même pour les grands ministres : l’atermoiement est la pire des stratégies, le mensonge (ou la dissimulation qui revient au même) est toujours puni, celui qui s’acharne à mentir se fait toujours prendre. Le temps de l’expiation a donc commencé. Il y a quelque temps, cinq de mes collègues dont je respecte le courage sans nécessairement partager toutes les idées (ou toutes les illusions) parlaient très judicieusement d’un Munich de la laïcité. A voir M. Rocard, après l’arrêt du Conseil d’État, lancer devant les caméras de télévision un appel larmoyant à la "foi laïque" des enseignants, son dernier rempart, leur demander de faire preuve d’une fermeté dont il ne donne guère l’exemple, alors qu’il devrait savoir que le maintien de la paix civile, dont la neutralité des écoles publiques est une condition, relève de la fonction de souveraineté de l’État, on en vient à penser à un autre événement dont j’ai été témoin tout enfant : la débâcle de 1940. Décidément, l’histoire va très vite en ce moment. le 30 novembre 1989 Je ne vois rien dans ce que nous avons appris ou dans ce qu’ont fait les autorités gouvernementales qui justifierait une appréciation moins sévère de la situation. Nous avions écrit que les incidents de ce type ne remontaient pas au début d’octobre, qu’ils étaient bien antérieurs, qu’on les avait dissimulés. Une preuve incontestable nous a été apportée, vers le 9 décembre, par Madame le Proviseur du Lycée Paul Eluard, à Saint-Denis, qui, dans une émission consacrée à l’immigration, opposant Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie, nous apprit que dans son établissement, quelques élèves portaient le foulard depuis plus d’un an ! On nous recommandait en quelque sorte pour éviter les incidents l’attitude... la plus souple. Personne ne peut douter que ce ne soit là qu’un exemple. Je ne crois pas qu’on encourage la Presse à révéler les incidents. Il nous faut d’ailleurs signaler que M. Jospin vient de nommer un directeur de l’information et de la communication : il s’agit de M. Jean-Michel Croissandeau, rédacteur en chef du Monde de l’Éducation, mensuel qui avait toujours eu des positions favorables à la politique éducative menée actuellement et dont le dernier numéro, dont M. Croissandeau avait la responsabilité, se signalait par un article particulièrement fielleux sur les salaires (naturellement trop inégalitaires et, pour certains d’entre eux, trop élevés) des enseignants. Nous avons compris : désormais, l’information sera bien gardée. Naturellement, l’avis du Conseil d’État dont il faut rappeler qu’il était interrogé sur le port des insignes religieux, en général, et non sur celui du foulard en particulier - et qui par fonction, ne donne un avis que sur les questions qu’on lui pose - n’a rien réglé. Pas plus la circulaire que M. Jospin vient enfin de publier... On en est aux conflits d’interprétation : à lire dans Le Figaro du vendredi 15 décembre un article de Maître Daniel Samson, le Conseil d’État ne tiendrait pas le port du foulard islamique pour contraire aux lois, alors que le terme "foulard" n’est pas dans son arrêt qui répond à une question générale et, selon lui, il va de soi que les Israélites aussi ont le droit non seulement de porter la kippa, mais de s’absenter le jour des grandes fêtes de leur calendrier liturgique... J’ai comme l’impression que les tribunaux administratifs ne chômeront pas dans les temps qui viennent ! Quant au Ministre, il continuera à répartir les responsabilités sur d’autres têtes que la sienne... Je voudrais maintenant poser une question très triviale. Nous avons appris que les jeunes élèves voilées étaient conduites en bibliothèque où elles recevaient, en quelque sorte, des leçons particulières, qu’elles pourraient ultérieurement s’inscrire au Centre d’Enseignement à distance. Ma question est de savoir si on a chiffré le coût financier de ces diverses mesures qui sont prises naturellement au détriment de l’ensemble des élèves. A-t-on pensé à la perte de temps, à la dépense d’énergie, à la fatigue nerveuse de tous les enseignants qui ont dû affronter des circonstances éprouvantes et qui, dans leur immense majorité, ont réagi avec dignité, calme et fermeté ? Venons-en à une dernière question. Chacun sait que l’on se trouve déjà dans l’impossibilité de recruter dans l’Éducation nationale un nombre suffisant de maîtres qualifiés. La situation dramatique à l’heure actuelle s’aggravera encore dans un très proche avenir. Qui osera dire que le nombre des vocations d’enseignants augmentera chez les jeunes étudiants d’aujourd’hui lorsqu’ils voient dans quelles conditions on doit en France exercer son métier si on est, pour son malheur, nommé dans un "Établissement à problèmes" ? Ne nous étonnons pas si l’on voit chuter en quantité et en qualité le nombre des candidats aux concours de recrutement d’enseignants. Mais il y a un avenir, dira-t-on, et il réside dans le projet d’intégrer les enfants d’immigrés. J’avoue ne pas très bien comprendre pour ma part ce que désigne le terme d’intégration dont je ne vois pas quelle autre raison que la volonté de répandre le brouillard peut avoir conduit à le préférer à celui d’assimilation. De toute façon, dans l’immédiat, que va-t-on répondre au Maire de Montfermeil (ou à quelques-uns de ses collègues) qui doit scolariser dans sa commune des classes qui comprennent jusqu’à 90 % d’enfants d’immigrés ? Et qu’entendre par intégration ? Dans un récent numéro (en date du 15.11.89) de sa Revue La Quinzaine Universitaire, le SNALC-CSEN (de loin le plus important des syndicats d’enseignants du secondaire qui ne soit pas lié à la gauche) questionne sur la couverture même : "L’INTÉGRATION EN MARCHE ?". Et, comme en réponse, il donne simplement un extrait du programme d’histoire de Terminale [donc concernant tous les candidats du baccalauréat] publié au Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale du 20.07.89 : "Les rapports entre religions et vie sociale et politique Des exemples (...) enrichiront les études d’autres parties du programme sans faire pour autant l’objet de questions spécifiques au baccalauréat, à l’exception de l’Islam depuis 1945". J’ai bien peur que la vérité soit là : intégrer c’est traiter de façon privilégiée la culture de ceux qu’on intègre. Si l’on ajoute que S. M. Hassan II, dont la sagesse et la rigueur de pensée doivent faire honte à la plupart des hommes politiques français, vient de refuser l’intégration de ses sujets immigrés en France, avec des arguments extrêmement forts, je souhaite de beaux jours aux projets gouvernementaux. Et, puisque nous sommes chez nous, en France, en terre chrétienne, comme on l’est en tous ces lieux à l’Est de notre continent où s’allument au milieu des manifestants les chandelles qui brûlent devant les Saintes Images, permettez-moi de vous souhaiter un bon Noël, cette fête qui s’adresse aussi bien aux chrétiens qu’à ceux qui ne le sont pas et recevez tous mes vœux pour une Nouvelle Année qui ne sera plus celle du Bicentenaire. Le 18 décembre 1989 Dans notre numéro de juin 1986, nous avions signalé la publication, à l’initiative de la FIVA, Fédération internationale pour la défense des valeurs humaines fondamentales de CITOYEN EN HERBE, manuel d’éducation civique destiné aux élèves de 7e puis, en juin 1987, celle de CITOYEN EN MARCHE destiné aux élèves de 5e. La FIVA publie maintenant, sous le titre de CITOYEN EN GRAINE, une série de quatre manuels d’éducation civique pour les enfants de six à huit ans intitulés JULIE A LA MAISON, JULIE A L’ÉCOLE, JULIE APPRENTIE CITOYENNE et JULIE DÉCOUVRE LE MONDE. Ces ouvrages sont en même temps des manuels scolaires dont les enseignants pourront se servir comme livres de lecture et comme manuels d’éducation civique et des livres de loisir qui permettront aux parents et aux grands-parents d’inculquer aux enfants les règles de la civilité puérile et honnête tout en les distrayant. Ces livres peuvent être commandés à la FIVA, 36, rue Boileau, 75016 PARIS, en joignant un chèque à son ordre de 50 F par volume et en ajoutant 15 F de frais de port. RÉFLEXIONS SUR UNE AUDIENCE... Nous avions signalé, dans notre précédent numéro, l’entrevue entre M. TRINCAL, Directeur adjoint du cabinet de M. JOSPIN, et les Associations de défense de la Liberté de l’Enseignement. Mme WETTSTEIN-BADOUR, qui y participait en tant que Président de l’Union pour la Liberté de l’Enseignement en Sarthe - UPLES -, nous a adressé les réflexions suivantes. Après de longs mois d’attente, nos Associations et Comités de défense de la Liberté d’Enseignement ont été reçus pour la première fois par un représentant d’un Ministre socialiste de l’Éducation Nationale le 29 juin dernier. Dans l’atmosphère feutrée d’observation courtoise qui caractérise ce type d’entretien, M. TRINCAL, Directeur adjoint du cabinet de M. JOSPIN, a ainsi renoué avec une tradition, interrompue en mars 1988, dont le mérite essentiel est, certes, d’établir un dialogue mais surtout de fournir une preuve officielle de notre représentativité. Qu’il existe encore dans notre pays des hommes et des femmes décidés à se battre pour défendre un pluralisme scolaire qu’il est de bon ton de ne plus considérer comme menacé, peut surprendre. Dans ce silence béni que ne troublent même plus les murmures étouffés des dirigeants de l’Enseignement Catholique, quelles peuvent être les doléances - le mot est à la mode - de ces irréductibles venus des quatre coins de la France, qui s’obstinent à vouloir assurer l’avenir d’une liberté dont plus personne ne se préoccupe ? Et, pourquoi demander la modification d’une législation qui donne satisfaction à ses propres victimes ? Lucides et sans complaisance, s’appuyant sur une étude approfondie des textes législatifs actuellement en vigueur réalisée par des juristes dont la compétence ne peut être mise en doute, ces représentants de parents, d’enseignants, de Français de tous âges et de toutes origines, refusent de laisser au pouvoir politique les moyens de porter atteinte à l’exercice de la liberté d’enseignement. LE FAUX DÉBAT Certes les dirigeants actuels évitent soigneusement toute situation conflictuelle avec les responsables de l’enseignement privé. Ils connaissent, par expérience, l’impopularité de cette querelle. Ils ont appris à substituer aux grandes réformes spectaculaires, rapides et brutales, une série de mesures discrètes, appliquées avec une apparente bonne volonté qui en masque les effets dévastateurs. Dans un souci louable d’apaisement, M. TRINCAL lui-même nous a déclaré que tant que les hommes en place resteraient au pouvoir nous n’avions rien à craindre d’eux. Cette étrange remarque, n’est-elle pas, en elle-même, un aveu ? Qu’aurions-nous besoin d’être rassurés sur les modalités d’application de la loi si celle-ci était porteuse de garanties suffisantes ? Le problème qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si un Gouvernement - quel qu’il soit - souhaite ou non interpréter la loi avec bienveillance mais d’obtenir que la législation interdise toute possibilité de porter atteinte à cette liberté fondamentale qu’est la Liberté d’Enseignement. L’ART et LA MANIÈRE d’UNIFIER SANS LE DIRE Les mêmes menaces, que nous n’avons cessé de dénoncer depuis 1984, y compris auprès de M. MONORY Ministre de l’Éducation Nationale de 1986 à 1988, continuent à peser de tout leur poids sur le libre choix des familles. Si les conditions actuelles de nomination des maîtres dans l’enseignement privé peuvent aboutir au démantèlement progressif des équipes éducatives, c’est par le biais des restrictions financières que se réalisera le plus sûrement l’unification du système éducatif français. Sans vouloir être exhaustif, citons quelques points essentiels porteurs d’un danger majeur d’extinction du pluralisme scolaire :
C’est cette dernière mesure qui donne au pouvoir politique l’arme la plus redoutable pour marginaliser l’Enseignement privé. En effet, contraint de trouver dans ses ressources propres les moyens financiers nécessaires pour entretenir et rénover ses bâtiments, comment pourra-t-il - même si on lui octroie un nombre suffisant de maîtres - ouvrir assez d’établissements - en particulier de lycées professionnels et techniques dont les équipements sont particulièrement onéreux - pour maintenir son pourcentage actuel d’élèves scolarisés lorsqu’il va falloir conduire 80 % d’une tranche d’âge au niveau du Baccalauréat ? Il y a tout lieu de croire qu’il n’y parviendra pas. Réduit à l’état de peau de chagrin, il deviendra, peu à peu, faute de moyens, un enseignement hautement sélectif et fermé au plus grand nombre, interdisant ainsi à la plupart des familles de pouvoir y faire accéder leurs enfants. Les hommes actuellement au pouvoir savent que rien ne se bâtit sans ressources et que la restriction financière conduit inexorablement à l’asphyxie. Ils savent que le temps réussira là où la force a échoué. Leur seule difficulté réelle aujourd’hui est de faire accepter cette attente à la base. J. POPEREN n’a-t-il pas écrit, en février 1988, à la suite du Congrès de la FEN où Y. SIMBRON avait repris le vieux slogan "à fonds publics, école publique, à fonds privés, école privée" : "Il faudra bien donner un contenu à la formule de SIMBRON (...). SIMBRON a dit ce que pense la base (...). Comme si les réactions de la base P.S. sur cette question n’était pas en harmonie avec celle de la base de la FEN !". Cette base-là est disciplinée et saura, pour atteindre son objectif, faire taire son impatience. Tels sont les faits, complaisamment occultés depuis cinq ans. A chacune de nos visites au Ministère de l’Éducation Nationale nous avons dénoncé ces mesures législatives inacceptables qui mettent en péril l’avenir d’une des libertés les plus fondamentales : celle pour chaque famille de pouvoir choisir, sans contrainte d’aucune sorte, l’école de ses enfants. Nous poursuivrons inlassablement ce combat ingrat et difficile que nous sommes maintenant seuls à mener. Dans peu d’années, lorsque nos craintes seront, hélas, devenues réalités, nous serons rejoints par tous ceux qui, aujourd’hui, se bercent d’espoirs irréels ou vivent dans le confort des fausses sécurités. Mais que restera-t-il alors à défendre ? Ghislaine WETTSTEIN-BADOUR. Lettre N° 25 - 3ème trimestre 1989
DES DOUTES AUX AVEUX La rentrée scolaire n’a pas beaucoup retenu l’attention. Non qu’elle se soit très bien passée, mais on est résigné aux bavures. Quant aux innovations qu’on pouvait espérer ou redouter, elles sont en définitive assez modestes, de sorte qu’il faut pas mal d’ingéniosité pour les repérer. Et pourtant une (nouvelle) loi d’orientation sur l’éducation avait été votée juste avant les vacances. Il y a lieu de supposer qu’elle était destinée à modifier profondément l’organisation du système scolaire. Rarement, l’examen d’un texte législatif, en principe important, aura aussi peu retenu l’attention de la population ; dans la presse, les commentaires ont été rares. Est-ce à dire qu’il n’y ait rien de neuf ou que les questions relatives à l’école n’intéressent plus ? Je ne le crois pas. LE NIVELLEMENT Faisons la part de ce qui tient à cette résignation ou à ce découragement général qui est lié au sentiment qu’éprouvent non sans raison les Français de ne pouvoir que très peu influer sur leur propre destin. Le fait est qu’intrinsèquement le texte se situait à un tel niveau de généralité ou d’abstraction qu’il était difficile d’en mesurer la portée exacte et de le voir soulever les passions. Est-il pour cela sans importance ? Ce serait une erreur de le penser. Derrière ses formules vagues, se cache un dessein assez précis ; et surtout, en raison de leur caractère vague, elles permettent de recouvrir de la caution législative des mesures très largement laissées au bon vouloir du gouvernement en exercice. Or, il suffit d’examiner d’un peu près ce texte pour constater qu’il légitime et amplifie toute la politique suivie depuis plus d’une année. Il s’agit d’abord d’unifier les niveaux de formation, d’abroger dans le système éducatif tout ce qui de près ou de loin pourrait ressembler à un mécanisme sélectif, à une différenciation entre les types de formation offerts aux élèves. Ceci passe par l’unification dans la formation des maîtres. On s’est très largement avancé dans cette voie. La revalorisation matérielle de la condition des instituteurs était plus qu’indispensable. Il est toutefois très regrettable qu’elle ne se soit pas accompagnée de mesures d’une importance analogue pour les professeurs de lycée et qu’elle s’insère dans un ensemble de dispositions (notamment par la création d’instituts de formation communs à toutes les catégories d’enseignants du premier et du second degré) qui tendent à unifier, au moins en apparence, la formation de tous en l’alignant sur celle des catégories inférieures. On comprend que les agrégés qui n’ont bénéficié pratiquement d’aucune revalorisation, qui ont passé un concours qui semble condamné à une survie précaire, soient plus particulièrement mécontents ! Le simple fait que les étudiants n’aient pas l’assurance que les concours subsisteront assez longtemps pour qu’ils puissent s’y présenter, et qui se voient offrir comme perspective assez vraisemblable celle d’entrer dans ce qu’on appelle dans le jargon administratif un "corps d’extinction", n’est pas de nature à multiplier les vocations pour l’enseignement ! L’un des objectifs essentiels, formulé dans la loi et sans cesse rappelé dans les déclarations officielles, est la "lutte contre l’échec scolaire", entendons par là contre la multiplication des redoublements et des échecs aux examens. Bien entendu ces phénomènes traduisent incontestablement une inadaptation du système scolaire et il est indispensable d’y porter remède. Mais si à côté de quelques mesures peut-être acceptables, dont on ne peut préjuger l’efficacité - comme l’étalement pour certains élèves sur trois ans des cycles de deux ans -, le remède consiste pour l’essentiel à interdire tout simplement les redoublements et à tout faire pour accroître artificieusement la proportion des diplômés, sans se soucier du niveau du diplôme, on n’aura pas réduit l’échec scolaire : on l’aura simplement dissimulé et il continuera ses ravages comme une maladie insidieuse. Ceci a été dit, à de multiples reprises ; mais il est bon de répéter cette vérité élémentaire une fois de plus. Toute la politique de M. Jospin, tout l’appareil législatif, sont orientés vers un objectif largement privilégié : permettre à 80 % d’une classe d’âge d’atteindre le niveau du baccalauréat. Et, pour la première fois, on a vu en France la puissance législative invitée à déterminer ce que sera l’avenir. En son article 3, le projet de loi écrivait : "La nation se fixe comme objectif de conduire d’ici à dix ans l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au niveau du C A P ou du B E P et 80 % au niveau du baccalauréat." Autant écrire dans une loi qu’on fixe comme objectif telle espérance de vie ! Ou encore que le taux de divorce sera inférieur à 2 %, d’ici dix ans ! Cette façon d’inviter le Parlement à déterminer l’avenir serait simplement grotesque et relèverait de la mégalomanie, si elle ne pouvait servir à imposer une série de mesures tenues, non sans raisons, pour les conditions indispensables de l’atteinte de cet objectif revêtu de l’onction législative. C’est ainsi qu’on interdira les redoublements, les orientations vers des filières qui ne préparent pas au baccalauréat, qu’on facilitera les examens, qu’on multipliera les pressions afin que la proportion de reçus montre que l’objectif n’est pas hors d’atteinte. Que le nombre de bacheliers s’accroisse chaque année, il n’y a donc pas tellement lieu de s’en étonner : nous avions déjà dit l’an dernier par quels procédés détournés ce résultat est obtenu. Tout ce qui compte, c’est bien entendu de pouvoir afficher des chiffres flatteurs - et, en cela, ce gouvernement n’est pas pire que les précédents, ni meilleur qu’eux - sans trop se soucier de la réalité qu’ils recouvrent. L’UTOPIE On dira que l’accroissement du taux de scolarisation dans le secondaire, l’augmentation du nombre de bacheliers, s’effectuent au détriment du niveau et qu’il n’y a pas grand-chose de commun entre le baccalauréat d’hier et celui d’aujourd’hui, que l’allongement de la durée des études n’a eu que peu de répercussions sur l’amélioration des qualifications. L’objection est banale, bien connue. Naturellement, on a pensé à y répondre. Comme par hasard, au début de l’année, a paru aux Editions du Seuil un ouvrage intitulé le niveau monte. MM. Baudelot et Establet entendaient réfuter, sous une forme un peu paradoxale, ce qu’ils tenaient pour une "vieille idée". Il va sans dire qu’ils apportaient de l’eau à la politique suivie depuis des années en matière d’éducation et dont M. Jospin accélérait le cours. Leur ouvrage doit en quelque sorte garantir sur le plan scientifique que les objectifs ministériels ne sont pas absurdes. Le livre - qui a suscité quelques remous dans la presse - méritait de retenir l’attention. Ses auteurs sont des spécialistes compétents, universitairement établis. Ils relèvent du courant de pensée autrefois illustré par M. Althusser, et dans le domaine pédagogique par Pierre Bourdieu, l’auteur des Héritiers, qui a en quelque sorte constitué le bréviaire de la pédagogie post-soixante-huitarde. L’ouvrage n’est donc pas à négliger : c’est ce qu’on pouvait faire de mieux pour défendre à partir de positions gauchistes la politique néo-socialiste de l’enseignement. Certes, il contient beaucoup d’arguments captieux pour établir, contre l’opinion reçue, qu’il n’y a pas baisse mais élévation du niveau. Montrer à coup de citations, dont la plus ancienne remonte à 1820, qu’il s’est toujours trouvé quelques responsables pour se plaindre de l’insuffisance du niveau, ce n’est pas prouver qu’on a depuis longtemps déploré sa baisse. Quant à s’étonner qu’avec un niveau plus faible, on soit en présence du prodigieux développement qui est celui de la connaissance scientifique contemporaine, cela relève du paralogisme : bien entendu, le savoir peut s’accumuler sans pour cela que les facultés de compréhension qu’en a l’homme se développent. Pascal l’avait déjà noté ! En fait, ce qui gêne les auteurs, qui adhèrent à une idéologie du progrès et qui croient par principe à la plasticité de la nature humaine, c’est que l’intelligence de l’homme soit susceptible de se dégrader, voire simplement condamnée à stagner alors que tout progresse. Et ils évoqueront les performances sportives dont l’amélioration est indéniable. Il serait pour le moins étonnant qu’il n’en aille pas de même des performances intellectuelles : tel est l’un des arguments essentiels qui est avancé. On peut répliquer qu’on fait nettement moins bien en matière de pédagogie mentale que de pédagogie sportive et que le système scolaire en application demande déjà à la nature humaine plus qu’elle ne peut donner. Ce n’est pas sur ce terrain qu’on aboutira à des conclusions assurées. Tournons-nous donc vers les faits. A partir de diverses données, dont les plus importantes sont les résultats obtenus aux tests militaires, les auteurs croient pouvoir conclure à une élévation de niveau moyen en matière d’acquisitions intellectuelles. Ils éprouvent néanmoins le besoin d’insister sur la difficulté qu’il y a à cerner et définir la notion de niveau moyen. Pour eux, l’impression illusoire qu’il y a baisse de niveau (à une étape définie de la scolarité) tiendrait au fait qu’on accueille dans les collèges une proportion d’élèves beaucoup plus importante qu’autrefois. Sans soumettre à la discussion chacune de leurs conclusions, je noterai plus particulièrement deux points. L’idée que les performances de l’école élémentaire, loin de s’améliorer, sont de moins en moins satisfaisantes n’est aucunement réfutée. La baisse du niveau à la fin du cours moyen dans des disciplines fondamentales (lecture, écriture, calcul) n’est pas une simple erreur de perspective tenant à l’accroissement de la scolarisation dans les collèges. Même si l’analphabétisme au sens strict (l’incapacité à reconnaître son propre nom écrit) est en décroissance, l’illettrisme (la difficulté à lire couramment) se maintient à un niveau alarmant ; encore que le phénomène soit difficile à cerner de façon stricte (faute de définition universellement reçue) vraisemblablement les choses se sont nettement aggravées depuis 30 ans. Malgré toute leur ingéniosité, les auteurs sont forcés de reconnaître qu’il y a une proportion d’illettrés de l’ordre de 15 %, que d’ailleurs en aucun pays, aucune politique éducative ne parvient à réduire notablement. Or, comme ils le notent eux-mêmes, la simple existence de cette masse d’illettrés rend utopique l’objectif des 75 ou 80 % de bacheliers, à moins d’un affaissement considérable du niveau du diplôme. Mais qu’en est-il précisément de ce niveau : baisse-t-il comme on le dit (et comme je le pense), est-il stable ou s’améliore-t-il comme on nous inviterait à le croire ? A vrai dire, sur ce point, MM. Baudelot et Establet sont en définitive très fuyants. Ils ne cherchent pas vraiment à garantir la conclusion provocante qu’annonçait le titre de leur ouvrage. Et c’est pourtant là le problème essentiel. Admis que le niveau moyen des connaissances et des aptitudes de l’ensemble de la population s’est accru, - ce qui est bien normal compte tenu de l’effort considérable consenti par la Nation en matière d’éducation, la prolongation impressionnante de la durée moyenne de la scolarité -, il ne s’ensuit aucunement que le niveau moyen des bacheliers s’est maintenu, pendant que leur nombre s’accroissait. Or, c’est de ce dernier niveau que dépend leur aptitude à s’insérer professionnellement, à suivre un enseignement universitaire, etc. ; de même ce niveau peut donner une idée de l’efficacité (plus que douteuse) d’un enseignement secondaire qui s’adresse à des classes très hétérogènes. Pour parler de la façon la plus mesurée, cet ouvrage au titre choquant ne contient aucune réplique décisive à ceux qui depuis des années dénoncent les effets d’une politique de nivellement scolaire. En tout cas, on trouverait difficilement dans leur ouvrage des arguments pour justifier l’objectif des 75 ou 80 % de bacheliers par classe d’âge, qualifié d’emblée d’utopique (notamment p. 57). A partir d’un calcul - qui peut susciter beaucoup de réserves - sur la corrélation entre les dépenses d’éducation et la proportion des bacheliers, les auteurs concluent à un accroissement considérable du coût marginal d’un bachelier. L’objectif des 80 % est économiquement, humainement hors de portée ; ils écrivent : "C’est donc vers l’universel abstrait et l’utopie que nous embarquent les objectifs d’excellence pour tous : la hausse du niveau et l’étoffement de l’élite se heurtent à des limites sociales et économiques" (p. 115). La première difficulté réside dans le recrutement de maîtres qualifiés. Car les chiffres avancés, même s’ils peuvent paraître prodigieux, sont vraisemblablement beaucoup trop modestes. Il faut ne se faire aucune illusion : à supposer constant le niveau du diplôme, pour une même augmentation du nombre de bacheliers, il faut un nombre de maîtres supplémentaires très croissant en fonction du nombre de bacheliers dont on part. On trouve dans l’ouvrage que nous évoquons (p. 115 notamment) des données impressionnantes sur ce phénomène qui n’a rien d’étonnant puisqu’on s’adresse progressivement à des couches d’élèves de moins en moins doués, qui exigent donc un encadrement toujours accru. Sans même parler du fait que les résultats ne seront peut-être acquis qu’au détriment des meilleurs, ceci suffit pour ranger l’objectif des 80 % au rang des utopies. M. Jospin proposait plus de 9.000 postes au concours du C.A.P.E.S. Les jurys n’ont pu lui en fournir que moins de 6.000. Le Ministre peut déplorer leur sévérité. Mais il y a surtout lieu de craindre que la Nation ne soit pas en mesure de fournir le nombre d’enseignants qualifiés exigé par une politique imprudemment ambitieuse, même dans le cas où le métier serait plus attractif qu’il n’est ! Il est frappant que la commission Education du Plan, présidée par René Rémond, vienne de présenter un rapport très dubitatif sur la possibilité d’atteindre les objectifs fixés. Ni la commission, ni son président, ne sont suspects d’être hostiles par principe à la politique mise en œuvre. Et, pourtant, lorsqu’ils concluent que l’objectif des 80 % est irréaliste "à moins d’un effort financier considérable" (beaucoup plus important que celui qui avait été prévu !) et d’"une sensible augmentation de l’efficacité de notre système d’éducation" (je cite d’après l’article de M. Gaussen dans Le Monde du 16 septembre 1989, seule source d’information dont je dispose sur un document dont la publication doit être assez récente) je crois qu’il faut entendre que cet objectif ne sera pas atteint. J’ai peur que parmi les mesures proposées, certaines, sous couvert de développer l’autonomie des établissements scolaires, la part du "contrôle continu", n’aient pour objectif dissimulé que de masquer une baisse du niveau du diplôme. En tout cas, les auteurs du rapport ne sont pas si assurés du maintien du niveau puisque, "sans remettre en cause le principe de l’accès direct des bacheliers à l’Université", ils tiennent pour indispensable que les universités consacrent un trimestre à "orienter et sélectionner (sic) les étudiants". Hier, on a combattu la timide loi Devaquet pour moins que cela ! C’est dire que, progressivement, même les instances officielles en viennent à ranger au nombre des utopies le projet d’obtenir, en l’an 2000, 80 % de bacheliers et presque la même proportion d’étudiants. Pourquoi alors avoir réglé toute la politique de l’éducation sur un objectif - d’ailleurs accepté par tous les partis politiques représentés actuellement au Parlement - dont on devait savoir que sa réalisation était incertaine ? Pourquoi lui avoir donné l’aspect solennel d’une tâche que s’assignerait la Nation ? N’y avait-il pas là une bonne part de démagogie ? Maurice BOUDOT ASSOCIATIONS DE DEFENSE DE LA LIBERTE DE L’ENSEIGNEMENT ENSEIGNEMENT ET LIBERTE entretient des relations suivies avec les associations de défense de la liberté de l’enseignement créées depuis 1983 dans de nombreuses régions. Avec ces associations, nous avons été reçus le 29 juin par Monsieur Trincal, Directeur adjoint du cabinet de Monsieur Jospin, et trois de ses collaborateurs. Nous voulions par cette démarche exprimer notre point de vue sur les atteintes et les restrictions à la liberté de choix des parents pour l’instruction de leurs enfants. En ce qui concerne la situation de l’école libre, les principaux points abordés ont été les suivants :
Nous avons eu la confirmation sans surprise que le gouvernement n’entendait pas revenir sur la procédure de nomination des maîtres (la majorité précédente ne l’avait pas fait non plus et les instances officielles de l’enseignement catholique ne le demandent pas, en dépit des menaces qu’elle fait peser sur l’avenir de l’école libre). Nous avons par contre l’espoir d’obtenir la rectification d’inégalités flagrantes de traitement entre l’école publique et l’école privée telles que celles concernant la prise en compte des documentalistes dans le calcul du forfait d’externat ou la situation des maîtres auxiliaires. Cet entretien aura également permis au ministère de mesurer la vitalité et la détermination de nos associations. Association pour la défense de la Liberté de l’Enseignement (Périgueux) - Association Mosellane de défense de la Liberté de l’Enseignement - Association pour la Liberté de l’Enseignement (Nancy) - Association des Parents d’élèves pour la Défense de l’Enseignement Catholique (Dreux) - Association Rhodanienne pour la Liberté de l’Enseignement - Association Varoise pour la Liberté de l’Enseignement - Comité de Coordination pour la Liberté de l’Enseignement (Nice) - Comités du 4 Décembre (Metz, Nantes et Paris) - Commission Juridique des Comités de Vigilance pour la Liberté de l’Enseignement - Enseignement et Liberté - Union pour la Liberté de l’Enseignement (Le Mans). Ph. G. Lettre N° 24 - 2ème trimestre 1989
LE BICENTENAIRE ET L’ÉCOLE Je demande à mes lecteurs de contenir l’irritation légitime qui peut naître en eux de voir aborder ici un thème dont la présence est vraiment devenue obsessionnelle. Mais, dans le tintamarre général, il nous était d’autant moins possible de rester silencieux que les institutions scolaires participent activement à la célébration du Bicentenaire de la Révolution ! La journée du 21 mars - celle du Printemps ! - était plus particulièrement consacrée à la célébration du Bicentenaire de la Révolution Française et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Par télex d’un service ministériel - le S.I.D.R.E. (ceci ne s’invente pas !) -, les professeurs des écoles, collèges et lycées, se voyaient requis, dans une démarche toute bonapartiste, pour lire et commenter, dans toutes les classes, en tout ou partie, quelques lignes de Condorcet dont je pense qu’elles auraient pu être mieux choisies. Le Monde de la Révolution Française, mensuel de circonstance, au demeurant bien documenté, est coédité, sous le patronage de la très officielle mission du Bicentenaire, par le quotidien bien connu et par les Comités Liberté, Égalité, Fraternité, eux-mêmes émanations de la Ligue française de l’enseignement et de l’éducation permanente et de la Ligue des Droits de l’Homme. On y trouve évoquées les innombrables activités scolaires, péri ou parascolaires qui tournent autour du Bicentenaire. Il y a de tout : du spectacle de qualité et du colloque savant jusqu’à la mascarade ridicule et abêtissante. La Révolution ne laisse pas la moindre place libre dans l’espace culturel. Tout ce qui en France pense, ou du moins bavarde à défaut de penser, s’est mis à l’heure de la célébration. Naturellement, l’école a été la première envahie. Cette célébration n’est pas sans poser quelques problèmes. Qu’une société savante consacre ses travaux à la Révolution, que les éditeurs multiplient les ouvrages sur l’événement, que les libraires les diffusent au point qu’ils envahissent tous les rayons de leur boutique, et même que les marchands du temple profitent de l’aubaine (de la cuvée du bicentenaire au caleçon révolutionnaire...), il n’y a lieu ni de s’en étonner, ni de s’en émouvoir, même si en telle occurrence particulière on aurait souhaité plus de dignité dans l’évocation d’événements sérieux et même tragiques. Tout ceci est dans l’ordre des choses, produit d’une activité de nos concitoyens qui doit rester libre précisément aux termes de la Déclaration des Droits ! Mais qu’on mette l’institution scolaire dans son ensemble, plus spécialement l’école élémentaire et les collèges, au service de la célébration du Bicentenaire, était-ce opportun, est-ce acceptable ? Telle est la question que je veux poser. QUE CÉLÉBRER ? COMMENT CÉLÉBRER ? Au risque d’étonner, je dirai qu’on pouvait et même qu’on devait demander à l’École de participer à la célébration du Bicentenaire. Nous avons souvent insisté ici sur le fait qu’une éducation authentique exigeait un minimum d’enracinement ; il va donc sans dire qu’elle doit inclure la connaissance des grands événements de l’histoire nationale. La Révolution est sans conteste l’un d’eux. Quel que soit son bilan, même si elle a laissé les Français divisés, et divisées aujourd’hui encore les opinions à son sujet, il était inconcevable de passer sous silence son Bicentenaire sous prétexte de respecter la neutralité des opinions. Et si célébrer est plus que donner à connaître, avec ce que ce terme implique d’approbation, il était raisonnable de célébrer la Déclaration de l’Homme et du Citoyen. Non que ce texte soit parfait, au-dessus de toute critique. On peut trouver qu’il est très incomplet, ce que pensent tous les défenseurs des "droits nouveaux" que proclameraient des déclarations plus récentes (jusqu’à la Déclaration Universelle de l’O.N.U.), ou juger cette déclaration peu novatrice, ou la condamner pour son incohérence ou parce qu’elle reposerait sur une conception erronée de la notion de droit, de la nature de l’homme et de ses rapports avec la société, ce qui est le point de vue d’une multitude de bons esprits. Mais, quoi qu’il en soit, la déclaration du 26 août 1789 est bien le texte sur lequel peut se faire l’accord minimum. En France, même ceux qui ne sont aucunement prêts à la sacraliser, revendiquent en son nom, qu’ils s’inquiètent de voir mis en cause le principe de non-rétroactivité des lois (art. 8), limitée la libre expression des pensées et opinions (art. 11), mal assuré le contrôle des citoyens sur leurs contributions (art. 14), ou le droit de propriété (art. 17). Ce qu’on reproche le plus fréquemment aux révolutionnaires eux-mêmes, c’est de n’avoir pas respecté leurs propres principes. Et Pékin aussi, malgré la critique marxiste des droits "formels" bourgeois, s’est enflammé pour des principes analogues à ceux de la Déclaration. Je ne blâmerai donc nullement la place accordée à la célébration de la Déclaration. Ceci étant dit, la tâche qu’on s’était assignée était très délicate et je ne suis nullement sûr qu’elle ait été menée à bien. Il fallait célébrer dans la vérité, et célébrer avec mesure, sans penser aux profits électoraux. Célébrer dans la vérité, cela veut dire ne pas dissimuler les côtés honteux de la Révolution, des massacres de Septembre au génocide de Vendée. Que la Révolution soit un "bloc", selon l’expression de Clemenceau, ou qu’elle ne le soit pas, peu importe. Il y a un minimum de logique des événements révolutionnaires et on ne peut sans mensonge isoler une partie - la Déclaration des Droits par l’Assemblée Nationale - du tout dans lequel elle s’insère. Ce serait d’ailleurs pure illusion que de croire qu’il y a une phase tranquille de la Révolution à laquelle succéderait beaucoup plus tard, en 1792 ou 93, la phase terroriste. Certes, la glorification de la contrainte, le caractère systématique de la terreur, datent de l’installation des Jacobins au pouvoir ; mais, dès le 20 juin 1789, la Révolution est violente. On lanterne ferme à Paris à partir du 14 juillet ; il n’y a guère de liberté d’expression pour les journaux contre-révolutionnaires tandis que l’anarchie s’installe sur l’ensemble du Royaume ; très tôt le Tribunal du Châtelet siège sous la contrainte de la populace qui massacre à la sortie ceux qui viennent d’être acquittés ! Qu’on arrête de nous bercer avec de douces romances. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est peut-être une grande chose ; il n’en demeure pas moins qu’elle est proclamée au milieu des larmes et du sang et violée dès sa proclamation. La vérité exige qu’on le dise. Elle exige aussi qu’on signale que cette Déclaration rassemble beaucoup d’idées qui traînent depuis plus d’un siècle dans l’œuvre de multiples penseurs, qu’elle est peu novatrice par rapport aux déclarations des États américains qui viennent alors de proclamer leur indépendance, avec l’aide de Louis XVI d’ailleurs. Les principes qu’elle énonce de façon si solennelle sont en fait mis en œuvre depuis un siècle dans certains États civilisés, comme l’Angleterre. Simplement, la "glorieuse révolution" anglaise de 1688-89 les applique de façon plus raisonnable et sans cette enflure qui semble être le vice le plus fondamental de l’esprit français, de sorte qu’on a su éviter et la violence terroriste et de contredire immédiatement les principes dont on vient d’assurer qu’ils étaient sacrés. Il faudrait dire enfin que la France ne date pas de 1789, que la Nation existait avant - la chose et même le mot -, qu’on n’est pas passé le 14 juillet, ou à quelque autre date emblématique "des ténèbres à la lumière". Plus personne ne songe à le nier parmi les esprits un tant soit peu informés. Mais c’est là aller contre la croyance fondamentale qui règle toute l’action des révolutionnaires : ils pensent pouvoir et devoir reconstruire à partir de rien toutes les institutions. "Du passé faisons table rase", l’ordre qu’exprime ce vers del’Internationaleappliqué dès 1789. Cette croyance définit ce qu’on a nommé le constructivisme. Elle est la caractéristique de notre révolution ; elle est ce qui en elle fait horreur aux traditionalistes, de Burke à Hayek ; elle est aussi ce qui explique l’indulgence que manifestent à son égard les plus compromettants tyrans (de Staline à Mao et à quelques autres). De cette folie constructiviste, je ne donnerai qu’un exemple qui n’a rien d’extrême, mais qui est significatif et a, pour nous, l’avantage de concerner le problème de l’éducation. Il s’agit d’un texte extrait du rapport sur l’instruction publique présenté par Gilbert Romme le 20 décembre 1792. Après avoir condamné toutes les institutions (collèges, universités, bibliothèques, etc...), à l’exception du seul Collège de France, qui en près d’un demi-millénaire a bénéficié d’un étrange traitement de faveur de tous les pouvoirs, Romme dénonce un enseignement qui "étouffe le génie, en prolonge l’enfance... ne laisse que le sentiment de son ignorance, ou une suffisance ridicule". Il conclut en trois lignes, "aucune deses anciennes institutions ne peut être conservée, leurs formes sont trop discordantes avec nos principes républicains, et trop éloignées de l’état actuel de nos connaissances" 1 La vérité exigeait donc qu’on dise que la France n’a pas commencé en 1789, que la Déclaration des Droits n’est pas un texte à nul autre pareil, que la Révolution enfin ne se réduit pas à sa proclamation. Ceci interdisait de sacraliser le texte de la Déclaration. Il faut pour cela la courage d’aller non seulement contre la mode actuelle, mais contre une tradition très ancienne puisqu’elle remonte à la Révolution elle-même. Il y a ceux, comme le montagnard régicide Bouquier, qui avec cynisme réduisent l’enseignement à celui de la Déclaration (projet de décret du 24 Germinal An II, in Baczko, p. 425) : "La République ne doit à ses enfants que l’enseignement gratuit des sciences qui leur sont nécessaires pour exercer les droits du citoyen et en remplir les devoirs". Même un modéré, comme Talleyrand, retrouve une religiosité à laquelle un passé épiscopal qui ne semble pas encombrer sa mémoire ne le prédispose nullement. L’instruction, dit-il, doit apprendre à connaître, défendre, perfectionner la Constitution et les principes de la morale. La défendre en s’y préparant par des exercices militaires, et, si Talleyrand n’exclut nullement que la Constitution puisse être améliorée, il écrit aussi qu’"il faut que la Déclaration des droits et les principes constitutionnels composent à l’avenir un nouveau catéchisme qui sera enseigné dans les plus petites écoles du royaume." (rapport de Septembre 1791, in Baczko, p. 116). Catéchisme, le mot est lâché et il ne l’est pas à la légère. C’est chez un auteur comme Rabaut-Saint-Etienne (girondin victime de la Terreur !) - cet ancien pasteur qui semble ne pas se passer de ne plus prêcher - que le mot trouve toute sa résonance. Dans un projet présenté à la Convention en Décembre 1792, et reçu avec tant de faveur qu’on en décide l’impression immédiate, Rabaut explique que le but, ce n’est pasl’instruction publique (la communication des connaissances), maisl’éducation nationale (c’est-à-dire l’imposition de sentiments communs à tous les citoyens) : "L’enfant qui n’est pas né appartient déjà à la patrie". Il faut que notre éducation prenne modèle sur celle des Crétois ou de "ces Spartiates qui passaient leurs jours dans une société continuelle". Tout simplement, eu égard aux circonstances, nous n’arriverons pas à atteindre ce modèle sublime. Mais ceci ne doit pas nous dispenser de faire des Français "un peuple nouveau", "de renouveler la génération présente", en formant celles qui vont venir, comme le dit notre auteur en des termes qui évoquent Mussolini ! Comment procéder ? Par quelque chose qui unit le prêche dominical à la composition scolaire ! Je cite quelques extraits : Dans chaque canton, un édifice sera bâti ; il "portera pour inscription : Temple national". Dans l’attente de la construction d’un édifice suffisant pour contenir tous les habitants, on se servira de l’église... Et comme Rabaut doit avoir entendu parler de quelques destructions d’édifices religieux, il croit bon d’ajouter : on se réunira "même aux champs dans la belle saison" ! Le dimanche sera consacré à l’édification moralo-patriotique de toute la population : "il sera donné une leçon de morale aux citoyens assemblés". La leçon est prise "dans des livres élémentaires approuvés par le Corps Législatif" (pas de déviationnisme !). "Chacun de ces exercices commencera par la lecture alternée de la Déclaration des droits et de celle des devoirs" (in Baczko, p. 298-300) (Notons au passage que Rabaut parle d’une déclaration des devoirs qui n’existe pas quand il écrit). "A chaque exercice, il sera chanté des hymnes à l’honneur de la patrie, de la liberté, etc...". "Tout enfant âge de 10 ans sera tenu de savoir par cœur la Déclaration des droits et celle des devoirs et les principaux hymnes civils". Les officiers municipaux constitués "officiers de morale" (sic) veillent à l’organisation de l’examen. Dès leur ratification par le peuple les principes constitutionnels seront "rédigés en forme de catéchisme et tout enfant âge de 15 ans sera obligé de les savoir par cœur". Rabaut-Saint-Etienne n’a visiblement pas oublié son ancien état. Il a simplement changé de "catéchisme". Au centre du nouveau, la Déclaration des Droits. S’il ne n’agit pas là de sacralisation et de religiosité, je ne sait vraiment pas ce que signifient ces termes. Célébrer sans sacraliser, c’est donc aller contre une tradition très ancienne puisqu’elle apparaît pendant la Révolution elle-même. LE SYLLOGISME RÉPUBLICAIN Cette lecture de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui voit dans ce texte comme un nouvel évangile, centre dogmatique d’une nouvelle religion, est reprise, amplifiée, par ceux qui simultanément créent l’école laïque de notre siècle et assurent le régime de la troisième République. Ils confirment cette lecture par l’interprétation de la Révolution qu’ils imposent. Ils justifient enfin le rôle qu’ils donnent à l’école dans la glorification des droits de l’homme et de la Révolution française par une argumentation assez stupéfiante que j’appellerai pour faire simple le syllogisme républicain de l’école. C’est en cela qu’ils vont beaucoup plus loin que les Conventionnels et se montrent beaucoup plus subtils qu’eux. Il faut une certaine naïveté pour s’en tenir aux protestations de neutralité de Jules Ferry. Si le fondateur de l’école laïque était vraisemblablement un sceptique, ceux qui l’entourent ne voient dans la neutralité "qui fut toujours un mensonge, qu’un mensonge nécessaire" selon l’aveu lâché par Viviani en 1904 (dans L’Humanité). A côté de Paul Bert, d’un scientisme fanatique ("les religions n’ont pas qualité pour parler de morale, car elles reposent sur des bases fausses... L’école religieuse, c’est l’école de l’imbécillité, l’école du fanatisme... l’enseignement laïque développe l’activité, la science, le progrès..." dit-il dans un discours de 1879), il y a tout un groupe constitué d’hommes qui conservent de leur origine protestante un esprit religieux, même s’ils sont passés du simple antichristianisme à une religion du progrès, au "culte de l’homme". Il y a, au premier rang, Ferdinand Buisson, opposant au second empire, qui deviendra Directeur de l’enseignement primaire ; Jules Steeg, député, puis Inspecteur Général ; Félix Pécaut auquel est confiée la direction des écoles normales de St-Cloud et de Fontenay qui doivent former les formateurs d’instituteurs. Il y a plus près de nous Jules Payot, Recteur d’Aix, et enfin à une date beaucoup plus récente Albert Bayet, professeur de Sociologie à la Sorbonne, Président de la Ligue de l’enseignement, qui meurt en 1961 - et qui n’a donc pas pu faire partie de l’équipe mise en place par Ferry - mais que je dois citer ici parce que par son idéologie et par le rôle qu’il a joué, il est le digne successeur de ceux que j’ai précédemment nommés. Ce qui est d’abord frappant, c’est le rôle du triumvirat Buisson-Steeg-Pécaut. Ils tiennent entre leurs mains tous les leviers de commande. La contre-réforme a porté ses fruits chez ces protestants : tout est organisé pour imiter ce modèle. Rien ne doit entraver les décisions prises au sommet ; vraiment, en matière d’efficacité, on n’a rien à envier aux Jésuites ! Or, tous sont des esprits religieux ; auteurs de manuels à destination des élèves ou des instituteurs, il diffusent une idéologie qui manque peut-être de rigueur mais qui n’en est pas moins prégnante et qui a eu une influence considérable. On a peu pris à la légère l’expression de "foi laïque" créée par Buisson, reprise par Payot qui soutient que le laïque croit en l’homme comme le chrétien croit en Dieu et insiste sur le fait que "sa croyance est un acte de foi", que si "elle a pour elle des raisons très fortes... elle ne peut être prouvée comme un théorème". Lorsque dans son cours de morale, Payot nous dit que "devenir un agent volontaire de l’Énergie Inconnaissable, en voie d’évolution vers une conscience... de plus en plus haute, voilà notre destinée, et notre bonheur sera proportionné à notre effort pour la réaliser pleinement", ce qu’il nous propose ne vaut probablement rien, philosophiquement parlant. Pas plus que ne valent les développement humanistes où on ne parle que de croire en la Science, en l’homme ou au progrès. Il n’y a guère de distance de Payot à Buisson qui écrivait : "Il n’y a pas de choses divines qui ne soient humaines. C’est au cœur de l’humanité que réside le divin." Mais il faut bien comprendre, qu’aussi floue que soit cette religion, elle a été conçue pour faire concurrence et s’opposer aux religions révélées et en premier lieu aux religions chrétiennes. Si on hésitait sur cette conclusion, rappelons que le 10 juillet 1869, Buisson, en exil en Suisse, écrivait à Hugo qu’il fallait "une entreprise laïque et philosophique pour combattre le catholicisme en France" et qu’on ne pouvait se fier au protestantisme, qu’il fallait donc "tenter d’opposer à l’évangile de la superstition l’évangile de la science et de la conscience", "habituer la population à se détacher du prêtre pour venir à nous". Pour Buisson au moins, l’école d’apparence neutre de Jules Ferry n’était qu’un moyen de réaliser cette entreprise de déchristianisation. Buisson a parfaitement compris qu’on ne supprime vraiment que les institutions sociales que l’on remplace et, quant à la réalisation, on est cent coudées au-dessus du pitoyable culte robespierrien de l’Être Suprême ! C’est en cela qu’il n’est pas un simple disciple de Condorcet, comme on l’a dit. Il va sans dire qu’en matière éthico-politique, le texte fondamental de l’évangile de cette nouvelle religion sera la Déclaration des droits. On comprend dans quel esprit elle sera abordée : comme un texte sacré. Cela est suffisamment évident pour qu’il soit inutile d’insister. Reste une dernière question à poser : s’il s’agit de fonder une nouvelle religion, avec son nouvel évangile, est-ce bien à l’école d’en célébrer le culte et d’en préserver le dogme ? C’est là où les partisans de la foi laïque, ou de la religion de la science, de l’homme et du progrès, vont justifier une réponse affirmative par un argument fallacieux, mais très habile, qu’ils opposent aux partisans de la stricte neutralité. C’est cet argument que j’ai nommé le syllogisme républicain de l’école : l’école est fille de la Révolution ; la Révolution dérive de la Déclaration des droits, il appartient donc à l’école de célébrer le culte de la nouvelle religion, construite autour de cette déclaration. On comprend alors l’importance vraiment extraordinaire accordée par la Troisième République à l’histoire de la Révolution. Il s’agissait d’abord de donner une image de l’événement qui le rende globalement acceptable. Par exemple, on parle le moins possible du génocide de Vendée et on présente aux enfants le modèle de Bara, prétendument tué par de cruels Chouans (voir dans le Monde de la Révolution la remarquable iconographie qui ne pouvait qu’inspirer la haine des Chouans), alors qu’on sait aujourd’hui qu’il a été vraisemblablement victime de voleurs de chevaux ! (ce que néglige de dire la publication à laquelle nous venons de faire allusion). De même on oublie de dire que, sous prétexte de la supériorité morale de notre régime républicain, nous portons dans toute l’Europe une guerre dont elle ne s’est peut-être jamais relevée. En gros, on tente d’expliquer que la Terreur est un tragique dérapage, suscitée par les nécessités de la guerre, les complots, les résistance des rétrogrades. Si on loue Danton, défenseur de l’unité nationale, on accable Robespierre et les autres terroristes : expliquer leur attitude n’est pas les excuser. Il fallait enfin montrer que l’école est l’œuvre de la Révolution. L’attention la plus vigilante est apportée à la préservation de cette lecture des faits. La publication des Origines de la France contemporaine de Taine crée un tel choc que pour laver le sacrilège, la ville de Paris, (alors très à gauche) crée à la Sorbonne la Chaire d’Histoire de la Révolution confiée à Aulard, instaurateur de cette lecture dogmatique. Mais il adviendra de cette institution, ce qu’il en advient de toutes celles soumises à la discussion critique des hommes de science : quelles que soient les pressions du pouvoir, le dogme s’effrite, la chaire passe entre les mains de Mathiez, laudateur de l’incorruptible, beaucoup moins sévère pour la Terreur que son prédécesseur, ne serait-ce que parce qu’il la voit réactivée dans cette révolution bolchevique pour laquelle il éprouve beaucoup de sympathie. Et l’histoire de cet enseignement restera étroitement liée à notre histoire politique. François Furet, dans Penser la Révolution française (Folio, 1978), a présenté un remarquable bilan de toute cette histoire de l’historiographie de la Révolution. L’ATTERRANT BILAN DE LA RÉVOLUTION Je crois que personne ne me contestera lorsque j’écris que la Troisième République (et celles qui lui ont succédé) apportait un soin vigilant à tout ce qui concernait l’enseignement de l’histoire de la Révolution. En revanche, on me trouvera un peu excessif lorsque je dis qu’on s’acharne à faire de l’école la fille de la Révolution et que l’objectif est de donner une dimension religieuse à l’enseignement. Il me faut donc me justifier et je le ferai au moyen de quelques citations (c’est moi qui y souligne certaines expressions). Toutes sont extraites d’ouvrages de morale destinés aux enfants des écoles primaires (ou plutôt à leurs maîtres, dont il vont guider les leçons). Lorsque Jules Payot écrit à propos de l’instituteur : "Aimons et respectons notre libérateur, il affranchit l’enfant du monde matériel" n’est-ce pas le dépeindre comme une espèce de prêtre laïque ? Je n’ai jamais prôné l’irrespect des maîtres d’école, mais un professeur de Sociologie en Sorbonne, auteur de manuels élémentaires, est-il bien justifié d’écrire "Dans une République, il n’y a pas de profession plus belle et plus noble que celle d’instituteur". [Qu’en est-il sous une monarchie ?] "C’est pourquoi il n’y a pas pour un enfant de faute plus grave que de se conduire mal avec son instituteur", à moins que l’instituteur n’ait un caractère sacré ? Enfin, ce texte ahurissant du même auteur : "Autrefois, lorsque la France était gouvernée par des rois, il n’y avait presque pas d’écoles. Les rois qui trompaient le peuple et le rendait malheureux disaient "A quoi bon instruire les petits Français ? Le jour où ils seront instruits, nous ne pourrons plus les tromper facilement". C’est pourquoi les rois ne faisaient jamais construire d’écoles. [Et Charlemagne dont on ventait par ailleurs les mérites ? Il est vrai que les rois en question sont les derniers Bourbons !] Mais depuis que la République existe en France, ... on construit partout des écoles." Je veux bien que, pour se mettre à la portée des jeunes enfants (en l’occurrence ceux du cours élémentaire), on simplifie les choses, mais ceci ne justifie aucunement qu’on leur mente avec une telle effronterie ! Car il s’agit bien d’un mensonge. S’il est vrai que la Troisième République a construit l’école laïque élémentaire dont nous déplorons aujourd’hui le mauvais fonctionnement, le bilan de la Révolution de 1789 en matière scolaire a été terriblement négatif. Elle est essentiellement destructrice des institutions existantes. Les créations dont nous lui sommes redevables (les écoles centrales qui donneront les lycées, l’Ecole normale supérieure, Polytechnique, etc...) sont postérieures à Thermidor et même, pour l’essentiel, elles datent de l’Empire, qui d’ailleurs se préoccupe plus de la formation des cadres administratifs et techniques (c’est-à-dire des lycées et des universités), que de l’enseignement primaire abandonné aux congrégations religieuses dont le Concordat a permis le retour. Dans le champ de ruine, il est facile à Napoléon de céder à sa manie centralisatrice et à son goût de l’organisation despotique ; qui a laissé des traces jusqu’à nos jours. L’école était domestiquée, comme d’ailleurs de son côté l’Église. Je crois que ce qu’on pardonnait le moins à Taine était d’avoir révélé dans ce processus l’une des origines de la France contemporaine. On peut naturellement moduler le bilan, mais personne aujourd’hui ne met en doute le fait que jusqu’à Thermidor au moins il est désastreux. Le taux d’alphabétisation - tel qu’il ressort notamment de la signature des actes de mariage - assez élevé en 1789, s’effondre : il faut attendre à peu près un siècle pour qu’on retrouve les chiffres de la fin de l’Ancien Régime. La situation est à peine meilleure dans l’enseignement secondaire. Le Monde de l’Education (n° 3, p. 19) reconnaît objectivement que lorsqu’on passe des collèges aux Écoles centrales de 1789 à 1799, il y a 75 % d’élèves en moins. Et s’il se console en disant que "le niveau monte" dans cet enseignement, c’est pour ajouter qu’il y a un tel hiatus entre l’enseignement primaire et les écoles centrales que le système fonctionne mal. Dès 1795, une loi autorisera la création d’institutions d’éducation secondaire privées ; la nécessité oblige à la tolérance ! Pourquoi cet échec ? C’est que pratiquement toute l’éducation (à l’exception des écoles militaires) était entre les mains de l’Église catholique. Déjà l’expulsion des Jésuites en 1762 a créé des problèmes, mais les Oratoriens, les Frères Ignorantins ont progressivement occupé les places vacantes. La volonté de déchristianisation, le rejet par le Clergé de sa constitution civile, la volonté de construire des institutions absolument neuves à partir de rien, rendent très largement compte du bilan négatif. Dès septembre 1791, un modéré comme Talleyrand, dans son Rapport à la Constituante, s’alarme de la situation ; il note par exemple que "presque partout les Universités ont suspendu leurs opérations" (in Baczko, p. 108). Et la situation naturellement ira en empirant jusqu’à Thermidor. Mais il y a une autre cause : l’extraordinaire divergence des révolutionnaires eux-mêmes sur ce que doit être l’éducation. Pour simplifier les choses, à un extrême l’homme des lumières, le libéral, Condorcet, dont 5 Mémoires sur l’Instruction Publique viennent d’être réédités dans les Classiques de la Révolution, (sous l’égide notamment de la Mission du Bicentenaire, qui pour une fois a fait œuvre utile !). Condorcet peut indigner par la violence de son antichristianisme ; il ne se grandit pas par certaines lâchetés (son silence pendant les massacres de Septembre, qui désole tellement E. et R. Badinter) ; sa croyance au "progrès" affirmée jusqu’à son dernier jour, au milieu des pires circonstances, sera jugée touchante ou ridicule. Mais quel que soit notre jugement sur sa personnalité, qui comporte de larges zones d’ombre, il faut reconnaître la force, la valeur et la modernité de sa théorie de l’instruction. Condorcet entend limiter l’intervention de l’État à la seule instruction, c’est-à-dire à la communication des connaissances. L’instruction publique doit être purement rationnelle, sans mythe ni religion (op. cit., p. 61). Aller au-delà, prétendre éduquer, c’est d’abord outrager les droits des parents, car l’éducation ne se gradue pas comme l’instruction et elle sera complète par nature si elle n’est pas nulle (p. 58-9). Une religion imposée par l’éducation publique serait un "joug" et Condorcet écrit que les préjugés que l’on prend dans l’éducation domestique trouvent "leur remède" dans une "sage instruction qui répand les lumières", "ceux donnés par la puissance publique sont une véritable tyrannie". D’où les conséquences qu’en tire Condorcet : une instruction publique limitée à la seule communication des connaissances, l’existence d’une école privée légitime et nécessaire comme aiguillon pour l’école publique, l’absence d’obligation scolaire, mais en revanche la gratuité et un mode d’organisation qui fasse qu’aucun citoyen ne puisse se plaindre d’être privé des moyens de s’instruire. On peut contester telle disposition mineure, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un projet animé du souci permanent de préserver les libertés individuelles. Comme le nomme Catherine Kintzler dans la très intéressante introduction qu’elle donne à ces textes, Condorcet fut un critique permanent de ces admirateurs du modèle spartiate, lecteurs hâtifs du Contrat Social de Rousseau, qui ne rêvent que de formation d’un homme nouveau et d’une éducation nationale de type collectiviste. Nous avons vu un exemple avec Rabaut-Saint-Etienne. Un autre se trouve chez Le Peletier de Saint-Fargeau, ce régicide panthéonisé parce qu’il n’avait survécu que d’un jour à sa victime. Son projet est lu à la Convention par Robespierre lui-même, le 13 juillet 1793, le jour même de la mort de Marat. Extrayons quelques éléments d’un texte qui ne relève pas de l’humour sinistre. Tout d’abord, Le Peletier se désole de voir l’enfant échapper jusqu’à six ans à la "vigilance du législateur". Ainsi naissent préjugés et inégalités. Mais, on ne peut rien y faire. L’éducation commune commencera le plus tôt possible, c’est-à-dire vers 5 ans, pour durer 6 à 7 ans. Elle comporte l’internat ; elle sera strictement commune : "même nourriture, mêmes vêtements, même instruction, mêmes soins" pour tous les enfants. Obligatoire, sinon immédiatement, du moins après un bref délai qui n’est concédé que pour tenir compte des résistances de la population. L’enfant est littéralement arraché à sa famille. Cette éducation se fait aux frais de la République. Il est prévu un impôt progressif pour pourvoir à cette dépense, de sorte que ce sont essentiellement les riches qui payeront. Il est vrai qu’on se demande ce qu’ils auront à payer, car on fait travailler les enfants ; dans les champs, bien sûr, mais aussi sur les routes où "on leur fera ramasser et répandre des matériaux" (de 6 à 11-12 ans !). Je passe les détails. Disons simplement qu’un enfant doit produire plus qu’il ne coûte pour son entretien. L’enfant touchera seulement un dixième du produit de son travail (pour lui donner des habitudes d’économie, supposé-je). Et les instituteurs dont les élèves sont les plus travailleurs, c’est-à-dire rapportent le plus, sont financièrement récompensés. Bien entendu, les moments de détente sont employés à la gymnastique, et aux exercices militaires. Quant au contenu de l’instruction intellectuelle, manifestement Le Peletier ne s’en soucie guère et s’en remet aux autres travaux de la Convention. Je n’ai rien inventé (les textes sont dans Baczko). Je crois qu’on est rarement allé aussi loin dans l’horreur. Au moins les pires exploiteurs capitalistes du travail des enfants obéissaient-ils à leurs intérêts sans avoir l’hypocrisie de prétendre suivre le sublime modèle spartiate, comme le fait le ci-devant Marquis. Entre Condorcet et les Spartiates, il n’y avait pas de conciliation possible. Et c’est pourquoi le bilan de la Révolution est consternant en matière d’éducation. Le malheur a voulu que pendant quelques années ce soit les Spartiates qui fassent l’histoire. Mais, selon le mot de Marx, ceux qui font l’histoire ignorent l’histoire qu’ils font. Ils ont cru que les Français avaient besoin de cette liberté des Anciens, toute faite de participation collective ; en fait, la France aspirait à cette liberté des Modernes faite de sécurité et de préservation d’une sphère de liberté pour l’initiative privée, qu’a si bien décrite Benjamin Constant. Cette tragique méprise les a conduits à n’écrire dans notre histoire que des pages de sang. Toute cette histoireest bien difficile pour être comprise des jeunes enfants. Mais ce n’est pas une excuse pour qu’on la dissimule sous une couche de mensonges connue c’est le cas depuis cent ans. Si la célébration du Bicentenaire doit avoir lieu à l’École, il faut qu’elle se déroule dans la vérité et la mesure, sans qu’on sacralise ce qui, pour être respectable, n’en est pas pour autant sacré. Et pour cela il faut rompre avec une certaine tradition et avec le mode médiatique. Il n’est pas certain que cela ait été fait. Maurice BOUDOT 4-5 juin 1989 - Ces lignes ont été écrites au moment même où les héritiers de nos Spartiates d’hier écrasent à Pékin sous les chars ceux qui ont cru aux valeurs lentement tissées de notre vieille civilisation européenne. COMPOSITION DU CONSEIL D’ADMINISTRATION Dans notre précédent numéro du mois de mars, nous avons, à la suite d’une erreur de composition, omis de nommer Monsieur André Labat au nombre des Administrateurs dont l’Assemblée Générale du 1er février a renouvelé le mandat. Nous lui présentons, ainsi qu’à tous nos lecteurs, nos bien vives excuses. Le temps est venu de tracer un bilan de la situation. Toutefois, je puis être très bref. Au terme d’une année, les traits de la grande politique éducative que nous promettait M. Jospin restent toujours aussi flous. Les longues palabres auxquelles on s’est livré n’ont pas donné les fruits qu’on en espérait. Elles ont surtout été l’occasion dé faire apparaître les conflits catégoriels. C’est une suite de projets annoncés en fanfare et vite retirés devant les oppositions qu’ils suscitent (création d’un corps spécifique des professeurs de collège, modification du régime de l’Agrégation qui vise à sa dégradation, etc...). Que reste-t-il de tout cela ?
Pendant ce temps, la chape de plomb des instances bureaucratiques et politisées tombe sur tout le système éducatif. Ce n’est pas ainsi que la France préparera l’avenir de sa jeunesse. M.B.
1 Ce texte d'un rapport à la Convention est extrait du recueil intitulé : une éducation pour la démocratie présenté par B. Baczko (Paris, Garnier, 1982, p. 271-2). Nous citerons désormais ce précieux ouvrage sous le sigle "Baczko" Lettre N° 22 - 4ème trimestre 1988
DIEU A L’ECOLE "Dieu à l’école publique ? 66 % des Français sont pour !" Sous ce titre accrocheur, qui dénotait une excellente maîtrise des techniques médiatiques, le Figaro-Magazine du 1er Octobre1988 (p. 164-7) présentait les résultats d’un sondage de la SOFRES. Les méthodes employées pour recueillir les avis étaient peut-être discutables, mais d’autres enquêtes d’opinion ont donné des résultats convergents ; il n’y a donc pas lieu de les contester. De quoi s’agissait-il ? D’une simple suggestion, présentée avec beaucoup de prudence par le Cardinal LUSTIGER, de donner l’instruction religieuse dans les édifices scolaires, à des moments prévus par l’horaire scolaire, au cas où la révision des rythmes scolaires conduirait à mettre en cause la liberté du mercredi. Il a suffi que par ailleurs le même Cardinal LUSTIGER déplore l’analphabétisme religieux qui nous fait étrangers à notre propre culture, à notre histoire (cf. l’interview accordée au Monde du 5 octobre) pour que s’ouvre l’un de ces débats où les polémiques blessantes, les accusations insidieuses succèdent à la confusion générale. Quelques épisodes Annexes (l’affaire du film de Scorese ou celle de la pilule R.U. 486) aideront à "faire monter la mayonnaise". Et pourtant, considérée sur le plan des principes, l’affaire est très simple et peut facilement être réglée. UNE LIBERTE RECONNUE Rappelons quelques données historiques. La loi Jules Ferry de 1882 prévoit que "les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en dehors du dimanche, afin de permettre aux parents de donner, s’ils le désirent, à leurs enfants une instruction religieuse en dehors des édifices scolaires". Cette disposition concerne naturellement les seules écoles publiques, mais il faut aussi noter qu’elle concerne les seules écoles primaires. L’enseignement secondaire, quant à lui, connaît depuis longtemps une situation différente : l’instruction religieuse, naturellement facultative, y est dispensée dans les locaux scolaires. Cette mesure concernait à l’origine les seuls lycées de garçons ; elle fut étendue aux lycées féminins vers 1960, avant que la mixité soit généralement appliquée. Mais l’instruction religieuse n’y fait pas partie des programmes et elle ne donne naturellement lieu à aucune épreuve d’examen. Faut-il essayer d’obtenir plus, ne pas se satisfaire de ce que certains appellent "l’os du jour de congé", ou se résigner à moins, ou encore chercher autre chose ? A mon avis, il serait insensé de le faire. Une liberté essentielle a été reconnue, sans que pratiquement personne n’ose la mettre en cause de façon franche. Il faut la préserver plutôt que de poursuivre des mirages et rêver, par exemple, d’une extension du régime concordataire propre à l’Alsace-Lorraine. En fait, la question n’aurait pas été posée sans la latitude laissée aux pouvoirs locaux de "réaménager" la semaine de travail scolaire et de substituer le samedi au mercredi. Cette proposition répondait beaucoup plus au souhait des parents (et accessoirement des enseignants) d’allonger les week-ends, aux intérêts des marchands de vacances qu’au souci de l’équilibre physique et psychologique des enfants. Proposer le samedi comme jour de liberté pour l’instruction religieuse, c’était offrir aux Eglises un marché de dupes, quand on sait que le "droit aux vacances" est pour bon nombre de nos compatriotes un droit plus sacré que beaucoup d’autres. Il est parfaitement compréhensible et non moins légitime qu’elles aient repoussé l’offre, même si le dossier était embarrassant à plaider puisqu’il forçait à reconnaître le peu de ferveur d’une partie de leurs fidèles. Ce n’est pas nous qui leur reprocherons la vigueur de leur réaction ; tout au contraire. Fallait-il aller plus loin, prendre en considération d’autres solutions comme celle qui consisterait à intégrer dans les horaires scolaires un enseignement religieux dispensé dans les locaux des écoles primaires ? Même si les Français y sont favorables et si les objections de principe à cette mesure sont assez fragiles, il est assez dangereux de s’engager bien loin sur cette voie. On prête inutilement le flanc à l’accusation de ne pas faire le partage très clair entre "ce qui relève de la compétence de l’école et ce qui relève de chaque individu", comme l’a dit M. SIMBRON, au nom de la F.E.N. (article déjà cité du Figaro-Magazine.). On risque aussi de multiplier d’inutiles frictions. D’ailleurs, le Cardinal LUSTIGER a été prudent : rappelant en quelque sorte qu’il n’était pas demandeur dans cette affaire, il s’est contenté d’affirmer que d’autres solutions pourraient être prises en considération si toutes les parties prenantes s’accordaient sur elles. C’était peut-être déjà trop en dire pour certains accusateurs vétilleux ! En tout cas, il n’a nullement demandé que la catéchèse soit intégrée dans les programmes scolaires (ce que refuse également de la façon la plus claire le Pasteur MONSARRAT), encore moins que l’instruction religieuse donne lieu "à des appréciations sur le livret scolaire, à des points aux examens de fin d’année", à la différence du Grand Rabbin SITRUK. L’ANALPHABETISME RELIGIEUX Il n’y avait pas motif à soulever une tempête à propos d’une question réglée depuis longtemps. Ce qui a relancé le débat, ce sont les considérations du Cardinal sur le caractère alarmant de la chute de la culture religieuse des jeunes, ce qui soulève une question entièrement distincte de la précédente, encore qu’on ait tout fait pour entretenir la confusion dans l’opinion publique. Les faits, tout d’abord. Il est incontestable que la jeunesse contemporaine manifeste dans notre société une stupéfiante ignorance non seulement du contenu des grandes religions qui nous sont les plus proches, mais aussi du rôle qu’elles ont pu jouer dans notre histoire, dans notre culture. Le Monde (en date du 10 novembre) pouvait intituler "l’analphabétisme religieux" un article qui apportait de nombreux éléments d’appréciation. Ni l’art, ni la littérature, ni l’histoire, ni la philosophie ne sont compréhensibles à des esprits ainsi mutilés. Tout ceux qui enseignent ont constaté le phénomène. Je sais d’expérience que certains textes de philosophie classique peuvent présenter des difficultés d’explication pour des étudiants qui ne saisissent pas les allusions aux débats religieux qu’ils contiennent. Et je ne parle pas de subtilités théologiques. Bientôt, on se sentira obligé de rappeler aux débutants que si Descartes s’efforce de démontrer l’immortalité de l’âme, c’est qu’elle constitue un dogme fondamental du christianisme. Nulle intelligence des guerres de religion, si on ignore tout de la Réforme, et comment parler de celle-ci lorsqu’on n’a aucune connaissance des différends portant sur l’organisation de l’Eglise ou sur les questions dogmatiques ? Comment comprendre Pascal sans savoir ce qu’on entend par la grâce ? Et Voltaire lui-même n’est intelligible que lorsqu’on sait ce que sont les religions révélées qu’il combat. Il est à redouter qu’au moment où on commémorera le bicentenaire de la Révolution, beaucoup de jeunes Français ne disposent pas des éléments nécessaires pour comprendre l’émoi suscité par la Constitution Civile du Clergé. A quoi attribuer cette déculturation en matière religieuse ? Mettre en accusation les programmes ou ceux qui les appliquent, c’est-à-dire les maîtres, qui par laïcisme voudraient dissimuler ou minimiser l’importance du phénomène religieux est très sommaire. Après tout, à une époque où le laïcisme souvent chargé d’anticléricalisme était plus actif qu’aujourd’hui, l’école primaire publique parlait du baptême de Clovis, des croisades ou des guerres de religion ; on peut dire qu’elle en parlait peu ou que le discours tenu manquait souvent d’équité ; on ne peut soutenir qu’il n’existait pas. Les vraies causes sont ailleurs. Il y a d’abord la décision d’accorder la priorité dans l’enseignement aux questions d’actualité et de ne pas le centrer sur le monde européen. Sous prétexte d’impartialité, on finira par consacrer autant de temps à la civilisation chinoise qu’à la nôtre ; sous prétexte d’adapter au monde contemporain, on laisse tout le passé dans l’oubli. L’enseignement d’une histoire thématique, qui néglige les repères chronologiques et fait comme si l’essentiel commençait en 1789 a exercé des effets dévastateurs. Il est formateur d’individus déracinés, sans mémoire, sans histoire, égarés sur une immense planète où ils ne savent plus repérer la place qui leur a été naturellement préparée par la civilisation à laquelle ils appartiennent. Cet enseignement ne pouvait prédisposer à la culture religieuse du simple fait que les religions sont faites de traditions et qu’au moins dans la civilisation occidentale leur influence a fortement décru à l’époque contemporaine : on traite difficilement d’histoire du 19ème siècle sans parler des questions religieuses, mais s’il s’agit d’histoire du Moyen-Age il n’est pas du tout question d’en traiter. Ce facteur a joué un rôle essentiel dans une déculturation dont il y a lieu de noter qu’elle ne concerne pas la religion de façon exclusive ou prioritaire. On serait stupéfait de constater les erreurs ou les ignorances des étudiants bacheliers lorsqu’on les interroge sur les données les plus rudimentaires relatives aux connaissances scientifiques des générations passées. C’est la faillite de toute une conception de l’enseignement qui se manifeste ici sous un aspect particulier. Mais il y a aussi dans ce cas des facteurs d’un tout autre ordre qui ont exercé une influence considérable. C’est d’abord la chute très rapide de la pratique religieuse, du nombre des vocations sacerdotales et de la qualité intellectuelle du clergé. Il va sans dire que même si on ne la pratique pas, une religion sera d’autant mieux connue et d’autant mieux compréhensible qu’elle sera pratiquée par une fraction plus importante de ceux qu’on côtoie. Ensuite, il y a la crise de la catéchèse, ce qu’il faut bien appeler son déplorable état. Je sais bien que l’instruction religieuse n’est pas la culture religieuse, mais le mauvais état de la première peut constituer une circonstance défavorable à la diffusion de la seconde. Je ne suis pas certain que les élèves issus de l’école libre ne manifestent pas, eux aussi, quoique naturellement à un moindre degré, de regrettables défaillances de leur culture religieuse. Il faut donc reconnaître que les autorités ecclésiastiques ont une lourde part de responsabilité dans le phénomène qu’elles déplorent aujourd’hui. L’HISTOIRE DES RELIGIONS Au milieu de ce débat a surgi, on ne sait trop d’où, l’étrange proposition d’introduire dans les programmes des collèges et lycées publics un enseignement spécifique d’histoire des religions. Passons sur ce qu’il y a de déraisonnable à proposer, chaque fois qu’une lacune est constatée, l’introduction d’une nouvelle discipline (pourquoi pas l’histoire des sciences, la logique ou la linguistique, à leur tour ?) quitte à déplorer le lendemain la surcharge des programmes, et considérons l’opinion des Français au sujet de cette proposition, telle qu’elle apparaît dans un sondage de la SOFRES, rapporté par Le Monde (numéro déjà cité). Ils lui sont très nettement favorables, encore qu’ils n’éprouvent pas leur propre inculture religieuse puisqu’il s’en trouve une nette majorité pour soutenir qu’ils sont rarement gênés pour apprécier un monument en raison de leur inculture religieuse. (J’aimerais bien qu’on complète l’enquête en les interrogeant sur les scènes de l’Ecriture qu’ils ont reconnues s’ils ont eu la chance d’admirer les mosaïques de Monreale !) Quant au contenu de cet enseignement, aussi généreusement qu’imprudemment, ils souhaitent majoritairement qu’il ne se limite pas à l’histoire du catholicisme, ni même aux religions existant en France, mais qu’il s’étende à toutes les "grandes (?) religions du monde" dont on aurait à comparer "les ressemblances et les différences". Ils semblent inconscients du caractère démesuré de leur ambition. Visiblement, ce bel œcuménisme prolonge pour eux la réunion d’Assise. C’est lorsqu’on en vient aux buts visés à travers cet enseignement qu’il y a lieu de s’inquiéter. Il est normal que très peu songent à "favoriser (ainsi) la croyance religieuse" (6 % seulement). Mais aussi améliorer sa culture générale ou mieux connaître ses racines constituent des objectifs moins visés que les fonctions proprement morales de l’enseignement de l’histoire des religions. Viennent en tête (à égalité) le développement du "sens des valeurs morales (honnêteté, fidélité, etc)" et le fait qu’en apprenant à "comprendre d’autres religions, les jeunes seront plus tolérants". Double erreur. Si la religion peut fonder une morale, et même selon beaucoup de penseurs si elle constitue son unique fondement possible, je ne pense pas que beaucoup de croyants des différents cultes acceptent de la voir réduite à la simple fonction de "postulat de la raison pratique", pour parler comme KANT. Quant à la tolérance, qui est un principe éminemment respectable qui doit régir les relations inter-personnelles et la vie politique, elle résulte d’un choix délibéré et non de la simple connaissance des religions. Il y a peut-être un fond commun, mais aussi des différences entre elles, tant dans les dogmes que dans les modalités des cultes, dans les rites et même dans ce qu’elles prescrivent comme conduite digne d’être louée. Si l’on excepte le cas du polythéisme ancien, naturellement intégrateur et qui du coup accusait les chrétiens d’intolérance parce qu’ils ne se contentaient pas de voir leur Dieu accueilli comme Dieu de la Cité, comme un parmi d’autres, les monothéismes se sont constitués très normalement, sinon comme intolérants - ce qui est une page tragique de leur histoire - du moins comme exclusifs. M. GAUSSEN (dans le numéro du Monde déjà cité) se félicite de voir les jeunes générations "pionnières d’une "nouvelle laïcité" faite davantage d’intégration que d’exclusion, de culture que de croyance". C’est avouer sans ambages que la culture religieuse telle que certains la conçoivent doit faire le lit de l’incrédulité. Heureusement les ministres des différents cultes ont été beaucoup plus prudents, à l’exception du recteur de la Mosquée de Paris qui rêve d’un enseignement "pluri-religieux" qui serait comme un lotissement de l’enseignement de l’histoire des religions entre les différents cultes. Concluons. Accorder une plus grande attention au phénomène religieux dans les programmes des diverses disciplines ? Oui, sans doute. Un enseignement spécifique de l’histoire des religions ? Non. Je crains que si Dieu déserte les lieux du culte qui lui sont consacrés et qui, au moins pour les Eglises, ne sont pas surencombrés, pour franchir le seuil de l’Ecole, il ne s’y retrouve comme un petit écolier auquel on essayera d’enseigner quelque vague culte robespierrien de l’Etre suprême. Maurice BOUDOT Un de nos administrateurs, nous a adressé des Etats-Unis les observations suivantes sur les rapports entre l’école et l’instruction religieuse. C’est un très ancien sujet de controverse aux Etats-Unis, mais il est très atténué aujourd’hui du fait que le secteur public de l’Education s’impose une laïcité rigoureuse. On n’imagine plus un seul principal ou maître d’école qui laisserait percer dans son établissement la moindre référence à quelque confession ou attitude spirituelle que ce soit. S’il manquait à la règle il s’exposerait à une critique immédiate, voire même à un recours judiciaire entrepris par un parent d’élève mauvais coucheur ou par un élu local qui se voudrait le gardien farouche de la Constitution. Car toute l’affaire découle de la lettre des Premier et Quatorzième Amendements à la Constitution qui promettent à la foi la neutralité religieuse de l’Etat, et des collectivités publiques en général, et l’exercice sans entrave de la liberté de pensée comme l’un des droits fondamentaux du citoyen. Les conflits ont été nombreux, vifs et même homériques, avant d’en arriver là où l’on en est, mais de ces débats presque éteints quelques braises parfois sont ranimées et l’on peut rappeler à cet égard la tentative du Président Reagan en 1982 de faire remettre en honneur une prière du matin dans les écoles élémentaires. Il s’agissait, dans l’esprit du Président, d’amorcer un renouveau des bonnes vieilles traditions populaires auxquelles tout le monde tient au fond beaucoup. Le projet n’eut pas de suite et la raideur du parti pris de laïcité absolue dans l’enseignement public paraît en fait surprenant lorsque l’on considère que les Américains sont plutôt religieux de nature, qu’ils invoquent volontiers le Seigneur et les textes sacrés, qu’ils font prêter serment sur la Bible (la version dite "King James" et pas une autre...) à leurs grands commis et qu’enfin ils conservent religieusement le "In God We Trust" imprimé depuis toujours sur leurs bank notes. Quoi qu’il en soit, l’instruction religieuse est scrupuleusement bannie et ignorée dans l’Ecole Publique et les familles américaines doivent, en présence d’une telle réserve, se préoccuper seules de la formation spirituelle de leurs enfants. Les parents sont bien entendu aidés en cela par les innombrables organisations culturelles de ce pays, les associations d’objets variés, les mouvements de jeunesse de toutes inspirations. Les églises bien sûr et les congrégations religieuses, les sectes même dont l’Amérique a toujours été riche. Les familles peuvent aussi confier leurs enfants à l’enseignement privé où aucune restriction d’aucune nature ne peut légalement exister dans l’organisation d’une instruction religieuse liée à un enseignement général. Dans ce cas chacun choisit l’école de ses vœux, laquelle n’est jamais gratuite (les exceptions relèvent presque de la bienfaisance, d’ailleurs assez répandue) et toujours relativement onéreuse, car l’école libre est en principe exclue de toute contribution fédérale ou locale (les exceptions ne sont pas rares, mais elles sont précaires et visent des situations spéciales). Ces écoles peuvent ne pas être confessionnelles et offrir seulement des commodités matérielles à leurs élèves pour que ces derniers reçoivent, souvent dans leurs propres locaux, une formation spirituelle facultative. Elles peuvent être au contraire confessionnelles et dans ce cas l’instruction religieuse fait partie des programmes. Et là encore, l’instruction et l’assistance aux offices peuvent être obligatoires (Sectarian Schools) ou bien simplement facultatives (Non Sectarian Schools). Toutes les situations et nuances sont possibles et dépendent des souhaits exprimés par les parents et des moyens qui peuvent être mis en œuvre. En général d’ailleurs, toutes ces écoles privées, où les parents jouent un rôle actif, soit individuellement, soit par le truchement des associations d’ancien élèves (Alumni), font entrer l’instruction religieuse dans un ensemble de dispositions éducatives déployées dans une ambiance de bonne tenue morale et civique combinée à des méthodes strictes d’enseignement. Les Américains sont-ils satisfaits de la prudente et froide neutralité religieuse de l’école publique ? Peut-être, encore que beaucoup regretteraient plutôt l’effacement de "valeurs" anciennes qui ont, pensent-ils, fait ce pays. Il ne semble pas en tout cas que l’on milite vraiment pour un retour à des pratiques (la prière collective par exemple) qui ont donné lieu à tant de disputes. Le grand sujet du moment est, avec le recrutement et la formation convenable des maîtres, l’amélioration progressive de l’instruction générale d’une masse d’enfants issus de milieux culturels très variés dont la scolarisation obligatoire pose des problèmes très complexes. Voilà donc ce que je crois avoir aperçu de la question de la formation spirituelle du petit Américain et finalement, je ne crois pas avoir découvert une situation tellement originale dans nos sociétés occidentales. André LABAT Plus d'articles... |