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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 42 - 4ème trimestre 1993
VERS PLUS DE CLARTE Le rapport sur les conditions de l’aide apportée par les collectivités locales aux établissements d’enseignement privé sous contrat, demandé par M. Bayrou, au début du mois de septembre, à une commission présidée par le doyen Vedel et comprenant un conseiller d’Etat (président de section) et un président de chambre à la Cour des comptes , était attendu avant la fin novembre. Il ne sera remis que le 12 décembre. Mais, deux jours après, c’est-à-dire mardi 14, le ministre de l’Éducation nationale informe le Sénat de son contenu et demande l’inscription d’urgence et la discussion immédiate de la proposition de M. Bourg-Broc portant révision d’un article de la loi Falloux. Cette discussion avait été interrompue en juin par la clôture de la session ordinaire et le président de la République avait refusé d’inscrire cette question à l’ordre du jour de la session extraordinaire. Après un débat houleux, la proposition est adoptée le 15 au matin. Vendredi 17, on en est déjà à la journée de protestation des laïcs (vraisemblablement la première d’une longue série ! ) On n’a pas chômé cette semaine et on doit féliciter M. Bayrou de sa détermination et de son esprit de décision, il n’est pas abusif de dire qu’en une semaine le climat a complètement changé. Normalement, l’affaire devrait en rester là, puisqu’on imagine difficilement M. Balladur donnant son contre-seing à une demande de seconde lecture formulée par le président de la République en vertu de l’article 10 de la Constitution. Reste l’intervention du Conseil constitutionnel ; elle semble improbable, peu motivée, même si le comportement de cette institution est peu prévisible. Les leçons du rapport Vedel. Le rapport a le mérite d’être parfaitement clair, accessible même à ceux qui ne sont pas des juristes professionnels, assez court : 30 pages environ, si on exclut les annexes - ce qui montre le peu de fondement de l’argument selon lequel un plus grand délai était nécessaire pour que les sénateurs socialistes en prennent connaissance. Il répond aux questions posées sur le régime juridique en vigueur, la pratique des collectivités locales et enfin l’état du patrimoine et le coût de sa réhabilitation. A vrai dire, si on exclut le dernier point où sont présentées des données chiffrées, jusque-là peu accessibles, le rapport met très bien les données en place mais il ne contient aucune révélation inattendue. Il permet simplement de préciser ce qu’on savait déjà sous une forme assez vague. D’abord, quant au premier point, il s’agissait de mesurer les contraintes qu’impose un article de la loi Falloux (l’article 69) - un article et non toute la loi - dont il est demandé révision et non abrogation, comme on le raconte. Ce texte du 15 mars 1850 prescrit que "les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’Etat un local et une subvention annuelle sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement..." Cette restriction s’expliquerait ainsi : "il est connu que, dans l’intention de l’auteur du texte, l’article ... qui limite l’étendue des aides ... procédait de la crainte que des aides excessives puissent nuire à l’indépendance de ces écoles à l’égard de l’Administration et donc d’une certaine défiance quant à l’aide de la puissance publique en matière d’enseignement" (p. 2), et ailleurs on nous dira que les subventions étaient limitées "sans doute pour ne pas faire perdre aux établissements privés leur caractère propre" (p. 22). Comme le note sobrement mais pertinemment le rapport, depuis la loi Debré de 1959 qui fait prendre en charge par l’Etat les frais de fonctionnement des établissements sous contrat, l’argument, puisque seule reste concernée une catégorie plus limitée de dépenses, n’a plus de portée : si l’enseignement privé s’est placé sous la tutelle étatique contre finances, c’est il y a 30 ans et non pas maintenant ! Le texte en question constitue un singulier écueil dans le brouillard législatif. Alors que la loi Astier de 1919 autorise pleinement les subventions des collectivités locales pour l’organisation des enseignements technique, industriel et commercial, que la loi Rocard (du 31 décembre 1984) donne explicitement la même faculté pour l’enseignement privé agricole, demeure cet article de la loi Falloux (et encore plus de la loi Goblet de 1886 qui interdit explicitement toute subvention à l’enseignement privé en matière immobilière). Cet empilement de textes législatifs, de champs d’application distincts, mais voisins, votés tout au long d’un siècle suscite à la fois un malaise intellectuel - comment justifier des traitements si différents ? - et une confusion qui donne prise à une activité jurisprudentielle ininterrompue ! Un point doit être tenu pour établi : la loi Falloux n’a aucunement été rendue caduque par la législation ultérieure : "Sur le principe même de la non-abrogation de l’article 69 par la législation subséquente, le Conseil d’Etat n’eut l’occasion de trancher qu’en 1990, par une décision du 6 avril prise contrairement aux conclusions du commissaire du gouvernement... C’est plus récemment encore que le Conseil d’Etat a eu l’occasion de trancher dans une matière importante, qui prêtait sérieusement à controverse... en décidant qu’il était applicable aux aides accordées par les régions, collectivités territoriales créées plus d’un siècle après l’intervention de la loi Falloux" (p. 3). Dans cette jungle législative, avec des dispositions très contraignantes, les collectivités locales qui souhaitent aider l’enseignement privé doivent procéder "dans le clair-obscur juridique" (p. 15) et faire appel à des procédures biaisées. Achats de matériel d’équipement (téléviseurs, magnétoscopes) ou remise en état des installations de chauffage. Les collectivités locales considèrent qu’elles sont libres de financer les cantines scolaires, les équipements sportifs" (p. 17-18). Quant à la base de référence sur laquelle calculer le 1/10e, ce problème est à peu près réglé par un arrêt du Conseil d’Etat du 20 avril 1950 ; il reste le cas des locaux dont l’usage est mixte. Toutes les autorités compétentes et soucieuses d’aider l’enseignement privé en sont réduites à manifester une grande ingéniosité pour contourner l’écueil. La mise à disposition d’un local avec bail "emphytéotique" (à très long délai) est toutefois limitée par l’exigence que le local soit utilisé pour le compte de la collectivité territoriale dans le cadre de sa mission d’enseignement : un arrêt très récent du tribunal administratif (2 novembre 1993) impose des conditions extrêmement restrictives en la matière. Malgré toutes ces difficultés, la pratique des collectivités locales est beaucoup plus floue que l’interdit de principe :"la moitié des départements qui ont répondu à l’enquête (de la commission) verseraient des subventions couvrant de 10 à 40 % des dépenses d’investissement des établissements privés" (p. 18). Pourquoi, dans ces conditions, ne pas en venir à la transparence et autoriser que soit fait sans détour ce qui le serait de façon dissimulée ? Quant aux besoins auxquels répond cette aide, le rapport Vedel nous apporte des éléments chiffrés (encore que de façon approximative) peu connus jusqu’à maintenant. Si on extrapole à partir des établissements scolarisant 93 % des élèves qui ont répondu à une enquête diligentée par le ministère de l’Education nationale - encore que les résultats soient extrêmement variables d’une académie à l’autre, ou selon l’ordre d’enseignement - on constate que le coût total des travaux de remise en état serait de l’ordre de 3,8 à 5,3 milliards, dont à peu près la moitié concernerait des travaux afférents à la sécurité (par exemple installation de portes coupe-feu), de dispositifs de sécurité et d’alarme. La somme est élevée et elle montre un besoin réel ; elle n’a rien d’exorbitant. Signalons que la rénovation d’un seul lycée dans le 6e arrondissement a nécessité une participation du conseil régional de 113 millions (chiffre indiqué sur tous les panneaux annonçant l’opération). Elle ne signifie nullement que les propriétaires des bâtiments les ont laissés tomber en ruines, comme le dit aimablement M. Charasse. Sans entrer dans le détail de cette partie technique (p. 24-31), la conclusion est sans équivoque. M. Bayrou peut invoquer non seulement l’argument de la justice en faveur de son projet, mais celui de la grande nécessité. La trêve est finie Que deux jours après le vote par le Sénat de la loi, qui n’avait pas à revenir à l’Assemblée qui l’avait votée en juin, une grève soit déclenchée, des manifestations organisées, et qu’on voie le président de la République dire qu’il est "surpris, offusqué et choqué" qu’on ait bousculé le Parlement, c’est très édifiant. D’abord la raison de ce tumulte est en définitive très mesquine. Car si on veut défendre la sacro-sainte laïcité, qu’est-ce que cette modification à côté de la loi Debré ? On s’acharne sur un point mineur simplement par principe, car il est l’un des derniers déséquilibres qui portent préjudice de façon intolérable à l’enseignement privé. M. Balladur a eu raison en une phrase des arguments du camp laïc : comment une commune serait-elle autorisée a subventionner sur ses deniers propres presque n’importe quoi, une association culturelle ou un club de football, mais pas une école ? Personne n’y a répondu, sinon par des diatribes contre l’école à deux vitesses, c’est-à-dire contre la simple existence de l’enseignement privé. Mais peu importe. Depuis le mois de juin, l’offensive est programmée. Ceux qui ont pu penser que le refus d’inscrire la proposition de M. Bourg-Broc à l’ordre du jour de la session extraordinaire était motivé par le désir de ne pas abréger les vacances des parlementaires ou par le souci de dépassionner le débat en seront pour leurs frais. La question était en quelque sorte réservée pour des jours meilleurs... qui viendraient tôt ou tard. D’ailleurs, depuis des semaines, les lycéens et collégiens de banlieue s’entraînaient sous les prétextes les plus futiles à défiler dans les rues de la capitale. Ils apporteraient le 17 décembre une masse appréciable aux manifestants (de l’ordre de 20000). Faut-il ajouter que les protestataires ont bénéficié d’une très large publicité gratuite sur les grands médias ? La chaîne FR3 s’est particulièrement distinguée. Dès midi, on apprenait que de nombreuses écoles primaires avaient été fermées. On faisait appel à une institutrice (si j’ai bien compris la directrice) d’une école située rue de la Glacière parlant de l’appui unanime des parents - ou presque unanime - à 99 % au moins !) à la grève et un père de la Fédération de gauche apportait son témoignage. On semblait avoir oublié que la nécessité de maintenir l’école ouverte et d’avoir une garderie est une obligation légale, dont le non-respect constitue une grave faute professionnelle. Bref le style de présentation de l’événement était digne de l’époque stalinienne. De même, le délai de cinq jours pour un préavis de grève est totalement passé sous silence ! Quelles conséquences en tirera le gouvernement ? Je suis curieux de le savoir. Il semble que, dans les procédés employés pour donner plus d’ampleur au mouvement, on n’ait reculé devant rien et qu’on soit allé beaucoup plus loin qu’en 1968. Le Figaro du samedi 18 décembre (p. 7, col. 3-4) rapporte qu’à Mulhouse "plusieurs centaines d’élèves de l’enseignement public, encadrés par des adultes, enseignants, parents ou autres militants laïques ont envahi le groupe scolaire Jeanne d’Arc en brandissant des banderoles... et que l’établissement a subi d’importants dégâts". Si tel est le cas, il s’agit purement et simplement d’une opération qui s’apparente à la guerre civile et le fait est sans précédent. Quiconque a entendu quelques-uns des propos tenus par ceux qui dirigeaient les manifestations a dû être frappé par le climat de haine qui s’en dégageait, haine d’autant plus virulente qu’elle avait été plus longtemps contenue. MM. Julien Dray, Mélenchon et surtout Charasse se sont surpassés. Il est d’ailleurs remarquable que le parti socialiste, seule formation politique à être présente, en plus de l’inévitable mais fantomatique MRG, ne figure dans la principale manifestation (celle de Paris) que par l’intermédiaire de ces personnalités. Ni M. Rocard, ni M. Fabius ne se montraient. On laissait ceux connus comme les plus sectaires tenir te haut du pavé. Tout ceci n’est vraisemblablement pas le fruit du hasard et j’ai bien peur que la rue de Solférino ait perdu la direction des opérations... Le gouvernement paye cruellement sa crédulité sur les bonnes intentions de M. Mitterrand et sa mansuétude à l’égard des grands médias publics dont on a fini par oublier que s’il vous flattent souvent, ils sont toujours prêts à vous trahir à la première occasion qui s’offrira. Pour ne pas être accusé de chasse aux sorcières, on a le résultat mérité. Fallait-il alors croiser le fer ? D’une certaine façon, puisqu’on avait accepté de reculer en juin, c’était maintenant ou jamais. Au lendemain d’un vote de confiance qui avait donné un résultat massif, mais parfaitement attendu, l’occasion était bonne, et le rapport Vedel venait d’être remis. En sens inverse, depuis six mois, le gouvernement avait fait un "sale travail" (sur les retraites, les remboursements de la sécurité sociale, etc.) sans résultat appréciable et il est manifeste que les accords du Gatt qu’il venait de conclure ne suscitaient pas l’enthousiasme d’une grande partie de son électorat il fallait apaiser certains de ces éléments en leur donnant satisfaction sur une question subsidiaire ; au moment où on se trouvait affaibli pour les affrontements futurs. Que ces accords aient reçu la bénédiction de M. Mitterrand ne signifie pas qu’il en ait quelque reconnaissance, sentiment étranger aux comportements politiques. Mais ce qui est certain, c’est que si on voulait agir, il fallait agir vite, il est tout à fait dérisoire de parler de défense des droits du parlement, quand on pense que le rapport Vedel n’offrait aucun argument aux adversaires de la réforme et qu’on avait débattu 50 heures en juin avant de passer toute une nuit cette semaine à délibérer à nouveau. Il ne fallait pas que la session ordinaire soit close avant que la question n’ait été tranchée. Dès lors qu’il avait choisi d’agir, M. Bayrou a eu raison d’agir vite. La clarté, aussi, ailleurs. Au moins la situation a-t-elle l’avantage de faire tomber certains masques. D’aucuns pourront difficilement se prévaloir de leur prétendue grande tolérance à l’égard de l’enseignement privé. Nous savons qu’ils en sont d’irréductibles adversaires et qu’ils l’acceptent simplement faute d’avoir la force nécessaire pour l’étrangler. La clarté n’est pas seulement apportée en matière législative mais dans les positions des uns et des autres, y compris celles du président de la République. C’est toujours une bonne chose, tant on se nourrit d’illusions. Il serait bon que la même clarté soit apportée au sujet d’autres questions, qui elles aussi concernent la laïcité et le respect de l’ordre public. La première est l’affaire dite du foulard islamique. C’est le 7 octobre que M. Gonnot "rappelle qu’une élève d’école primaire à Noyon porte le foulard islamique et surtout refuse de participer aux activités sportives, et notamment de suivre les cours de natation" et il notait que dans le département de l’Oise, il y a "peu de réactions, une léthargie en quelque sorte des services de l’Etat" et avouait sa crainte "devant les réactions qui se manifestent dans l’environnement de l’école". Le ministre se contente de répondre par de bonnes paroles (le nombre de cas semblables est très réduit même s’il y a "quelques cas que nous suivons très attentivement") à un parlementaire très prudent dans son expression. Le 20 octobre, c’est M. Chénière qui s’était distingué par son attitude courageuse en 1989-90, qui l’interroge à nouveau : il évoque "plus de 700 jeunes musulmanes poussées par leurs familles qui veulent imposer partout en France l’expression visible de leur différence". Il s’élevait contre l’article 10 de la loi Jospin relatif à la liberté d’expression des élèves et demandait " des mesures énergiques à caractère législatif pour rétablir dans nos établissements la laïcité que nous avaient léguée nos aînés". La réponse de M. Bayrou évoqua la jurisprudence et l’arrêt du Conseil d’Etat à ce sujet était d’autant plus dilatoire qu’on lui réclamait explicitement des mesures d’ordre législatif, et non de s’abriter derrière le Conseil d’Etat. De toute façon, cette dérobade ne devait pas conduire bien loin. En novembre, en fonction des diverses circonstances qui ne concernaient pas l’Education nationale, on a jugé nécessaire d’agir dans un lycée de Nantua. Mais cette exclusion de trois jeunes adolescentes, qui exigeait la présence d’un sous-préfet, d’un inspecteur d’académie, etc. avait quelque chose d’à la fois ridicule et odieux. Il flotte sur toute cette affaire, fortement médiatisée, au sujet de laquelle j’ai donné dès le début un sentiment sur lequel je ne reviens pas, un parfum d’anticléricalisme qui me déplaît. Après tout, à chacun ou à chacune, sous la pression de sa famille ou non, à dire ce que le Coran exige de lui s’il est musulman. Ce n’est pas moi qui me permettrais de trancher sur la vérité de l’"intégrisme" puisque cette question est relative à une religion qui n’est pas la mienne. Mais en tant que citoyen français, je souhaiterais que de telles pratiques ne se répandent pas dans les écoles publiques qui doivent respecter l’exigence de neutralité et je crois que la meilleure façon d’éviter que la situation s’envenime, c’est effectivement de trancher par voie législative. Au ministre de prendre ses responsabilités, comme il vient de le faire sur une autre question. Ce sera d’ailleurs la meilleure réponse apportée à ceux qui prétendent qu’en révisant la loi Falloux, on laissait le champ libre à toutes les formes d’intégrisme ! Reste une autre question particulièrement exaspérante. A la fin du mois d’octobre, pendant les congés d’automne, une campagne de presse particulièrement odieuse a été lancée contre un proviseur de Montreuil qui exigeait des élèves étrangers qu’ils présentent au moment de leur inscription leur titre de séjour. Loin de le soutenir, les autorités de l’Education nationale le désavouent et condamnent une initiative tenue pour malencontreuse. L’affaire survient après qu’un tribunal administratif de Limoges eut imposé l’inscription d’un Zaïrois mineur sans papiers. La disproportion entre les affaires elles-mêmes et l’ampleur des réactions médiatiques montre qu’il s’agit d’opérations d’agit-prop. On trompera naturellement quelques bonnes âmes, journalistes au Figaro, qui parleront de ce "casse-tête" que sont les clandestins à l’école, posant la question "comment concilier scolarité obligatoire et lutte contre les immigrés sans papiers" (19 novembre p. 8), et une fois de plus on pensera à faire appel à la sagesse du Conseil d’Etat, dont l’existence semble vraiment nous dispenser de l’élection d’un Parlement ! M. Pandraud (le 3 novembre), accusé naturellement de "chasse aux faciès", ce qui désigne tout et rien, demande au ministre que les chefs d’établissement "établissent au moment de l’inscription un dossier comportant l’état civil des élèves, et leur situation vis-à-vis de notre législation au regard de leur titre de séjour...". Je ne vois pas ce qui est scandaleux dans cette démarche ; en revanche, la "chasse au proviseur" déclenchée contre quelqu’un tout au plus coupable d’un excès de zèle était parfaitement ignoble et il est scandaleux que sa hiérarchie n’ait pas réagi. Sur ce point, faut-il une simple circulaire, comme semble le dire M. Pandraud ou une loi, je ne le sais, mais ici aussi le ministre devra décider. Sur la loi Falloux, il a été nécessaire de trancher, même si cette révision ne suscite pas l’enthousiasme des collectivités locales, quelle que soit leur orientation politique, après qu’elles ont été échaudées par l’héritage d’un patrimoine immobilier de l’enseignement public qui exige des travaux importants de remise en état. On comprend que les autorités locales aient l’impression que le pouvoir central se décharge un peu trop aisément sur elles. M. Bayrou a, en définitive, décidé de façon nette. Il lui reste à montrer la même détermination sur des questions qui demandent que les orientations générales de la politique éducative soient affichées en toute clarté. Maurice BOUDOT DES RYTHMES DE VIE AUX RYTHMES SCOLAIRES Pierre Magnin, ancien recteur-chancelier, professeur de pharmacologie médicale et administrateur d’Enseignement et Liberté dès l’origine, vient de publier sous ce titre, aux Presses Universitaires de France, dans la collection Politique d’aujourd’hui, un livre dont le Professeur Pierre Canlorbe, de l’Académie nationale de médecine dit dans sa préface "qu’il est l’œuvre d’un humaniste au sens plénier et originel du terme". A partir des travaux qu’il a conduits sur les rythmes biologiques, le Professeur Magnin démontre qu’il existe un lien réel et indiscutable entre la biologie et l’éducation. Ce qu’il écrit de l’importance de ces rythmes lors de la croissance des enfants doit intéresser :
Humaniste comme l’écrit son préfacier, Pierre Magnin est aussi, au sens classique du terme, un honnête homme qui n’hésite pas à placer les enfants sous le signe "de l’Honneur, de la Fidélité et du Sacré". Lettre N° 41 - 3ème trimestre 1993
SOPHISMES, MENACES ET CHANTAGE L’ONT-ILS EMPORTE ? SOPHISMES, MENACES ET CHANTAGE L’ONT-ILS EMPORTE ? A la veille des vacances, l’événement politique majeur, sortant de la grisaille d’une cohabitation tenue pour "douce", ce fut le refus du président de la République de voir inscrit à l’ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement l’examen de la proposition de révision de la loi Falloux. Cette proposition, due à l’initiative de M. Bourg-Broc, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, avait été bloquée au Sénat qui n’avait pas pu se prononcer dans les délais, en raison de l’obstruction. Où en sommes-nous aujourd’hui dans ce conflit, et comment ont évolué les diverses questions pendantes relatives à l’enseignement ? Une campagne de sophismes Il fallait être bien naïf pour s’étonner du veto présidentiel. Car, enfin, pourquoi les parlementaires socialistes auraient-ils déployé des trésors d’imagination pour retarder l’adoption du texte et triompher bruyamment le 30 juin à 23 heures, au moment où les obstructeurs avaient gagné (selon le mot de M. Bayrou) ? Naturellement pas pour retarder la loi de quelques jours, ce qui eût été se donner beaucoup de mal pour rien. Pourquoi le ton aurait-il monté au point qu’on se croyait revenu aux plus beaux jours du socialisme triomphant de 1981, voire à 1905 ? Pourquoi des personnages, qui tentaient, tel M. Rocard, de se donner une image avantageuse de modération sur les problèmes de liberté de l’enseignement, brisent-ils une image patiemment construite en tenant des propos incendiaires au congrès socialiste de Lyon, ou lors de la séance de "7/7" qui le suit immédiatement ? Bien entendu, ce n’est pas pour obtenir une semaine ou deux de délai. Le veto présidentiel n’a peut-être pas été décidé avant le 30 juin, mais tout se passe comme s’il avait été programmé dans une stratégie savante d’affrontement, mise en œuvre avant cette date. D’ailleurs, c’était un secret de polichinelle qu’on risquait ce veto : deux jours avant, le 28 juin, Le Figaro (p. 6) évoquait cette menace. Tous les arguments sophistiqués de la campagne médiatique pour soutenir ce veto, le justifier et surtout en tirer tous les fruits ont été visiblement écrits avant (même au cas où ils sont publiés après) ! Quels sont les thèmes de cette campagne ? D’abord, que la proposition Bourg-Broc était scandaleuse par les conditions de son adoption : c’est "en fin de session, presque à la sauvette, en faisant délibérer quand les professeurs sont en vacances, c’est-à-dire dans l’incapacité de manifester leur désaccord" (Michel Rocard à TF1). D’ailleurs, on fait savoir que l’Elysée souhaite que le Parlement se donne "un délai de réflexion" et "élabore un texte qui ne se ressente pas des conditions de précipitation dans lesquelles il a été conçu", (d’après Le Monde du 2 juillet, p. 8), alors qu’il n’y a pas urgence et qu’une loi qui a attendu 143 ans pour être révisée peut bien attendre un peu plus. Et l’on voit des commentateurs présenter le projet de révision comme un véritable coup de force de la majorité, une offensive fulgurante et imprévue brisant la paix scolaire, établie par Jack Lang ! On peut supposer que ces commentateurs sont mal informés. Mais il serait assez surprenant que l’Elysée ou M. Rocard ignorent que cette proposition figurait dans le programme de la majorité politique au pouvoir aujourd’hui, qui, lorsqu’elle n’était qu’opposition, d’année en année soulevait le problème, déposait de multiples propositions sinon rigoureusement identiques à celle de M. Bourg-Broc, du moins très voisines d’elle, sans d’ailleurs susciter un tel émoi des ministres socialistes. L’article intitulé "Monsieur Veto" apporte une petite documentation à ce sujet ! Le "délai de réflexion" on l’a donc déjà eu, et il n’y a eu nulle précipitation dans la conception et l’adaptation du projet. Ce premier sophisme débouche immédiatement sur un autre. Peut-être le projet a-t-il été longuement mûri et non moins longuement débattu au Parlement, mais il n’est pas le fruit d’une négociation. Qu’est-ce à dire ? Avec qui fallait-il donc négocier ? En premier lieu, les parents d’élèves d’établissements sous contrat et les représentants de ces établissements ; mais ils ne protestent pas aujourd’hui, et, au début du mois de juin, M. Bayrou avait dû calmer leur impatience. En second lieu, tous les Français concernés indirectement, au moins en ce qu’ils sont contribuables. Mais ils se sont prononcés à l’issue d’une campagne électorale par le choix qu’ils ont fait d’une écrasante majorité de députés favorables à la révision de la loi Falloux. Alors de quoi s’agit-il ? La vérité est manifeste. On aurait souhaité qu’avant d’être présentée au Parlement la proposition ait été soumise au jugement de quelque comité d’experts, chargés de donner une approbation préalable ou de formuler un veto. Cette méthode de "négociation" a toujours eu les faveurs de M. Rocard, quand il était Premier ministre, mais il n’est pas le seul à en avoir fait usage. Elle offre un moyen feutré de contourner la représentation nationale ! Bien entendu, dans cet aréopage auraient figuré des représentants des partis et des syndicats d’enseignants de gauche, bref de vrais amis du Comité national d’action laïque. C’est parce qu’on ne l’a pas fait que pleuvent les accusations d’avoir procédé de façon brutale, dans un esprit de revanche. Encore faut-il expliquer pourquoi il était nécessaire de procéder de façon si précautionneuse. Et c’est ici que commence le troisième sophisme : l’adoption de la proposition de révision de cette loi Falloux qui serait "un des derniers remparts de la laïcité" est un projet d’une droite "extrême", qui n’a pas peur de mériter le qualificatif de "la plus bête du monde". Bête et, semble-t-il, aussi "méchante", écrit-on dans Globe-Hebdo (14 au 20-7-93, p. 16), et Henri Caillavet, ancien sénateur, président du comité Laïcité-République, n’hésite pas devant l’amalgame : c’est du "révisionnisme antilaïque", qui conduirait à un "apartheid scolaire" ; d’ailleurs on apprend que "l’Eglise romaine s’oppose, en toute occasion, aux progrès de l’homme, et, surtout, à la libération des femmes" (!) Abandonnons cet auteur à ses extravagances, car il y a encore plus significatif. C’est l’article de M. Jean-François Hory, le nouveau président du MRG qui est un peu sorti de l’obscurité pendant l’été, lorsqu’on l’a vu sur les écrans de télévision au côté de son nouvel adhérent, M. Tapie. Cet article est publié dans Le Monde (2-7-93, p. 8) sous le titre : "la laïcité, un archaïsme revendiqué". Ce texte était digne d’attirer l’attention de diverses personnes, notamment Gérard Leclerc (dans Le Quotidien de Paris 2-7-93, p. 6). Au moins M. Hory ne cache-t-il pas sa pensée : ce qu’il déplore c’est cette "opinion officielle de droite et de gauche qui, au prétexte de tolérance, arme l’intolérance", car "de toutes parts, remontent dans notre société les mauvais ruisseaux de l’irrationnel et de la religiosité" ; l’Europe de l’Est étant évoquée à titre de mauvais exemple ! Et M. Hory questionne : "Se trouvera-t-il, à la fin, un responsable politique de ce pays pour dire que la République est déjà assez bonne fille en tolérant l’obscurantisme pour qu’on ne lui demande pas en outre de le financer". Le simple fait du pluralisme scolaire écœure M. Hory. Quant à évoquer la décentralisation, la liberté des collectivités territoriales, c’est opposer régions riches et régions pauvres, c’est instaurer la guerre entre les régions où à l’intérieur de chaque collectivité territoriale. Cet argument présenté par M. Malvy dans Le Figaro peut avoir un certain poids auprès des responsables de ces collectivités qui, par couardise, redoutent les débats et la prise de responsabilités. On dresse devant nous un tableau apocalyptique. Et il est alors naturel que les défenseurs d’un projet aussi redoutable soient vilipendés. M. Giansily, président du CNI a-t-il publié un article (fort mesuré) dans Le Quotidien de Paris dans lequel il reprochait à Jack Lang de "tenter d’imposer de nouvelles contraintes aux écoles libres : obligation d’intégrer des handicapés, des enfants d’immigrés", réaction, disait-il, "significative de la haine de Jack Lang à rencontre du système éducatif libéral" et le voilà pris à partie dans Témoignage Chrétien du 2 juillet, qui profite d’ailleurs de l’occasion pour régler son compte à M. de Villiers (qui n’a pas co-signé l’article en question !) : "La libéralisation sauvage reste l’objectif d’une partie de l’UDF (du côté de Léotard, voire de Villiers [...] De Villiers - le roitelet de Vendée - et consorts ont plus d’un plan dans leur sac pour casser "l’école laïque" de la République au profit du privé pas forcément le plus catholique." Des sophismes aux menaces Tout ceci serait parfaitement ridicule si la véhémence des propos ne témoignait pas de la profondeur du sectarisme, de la violence des passions rentrées. En fait, ce n’est pas qu’on craigne que la guerre scolaire soit rallumée, c’est qu’on l’espère. Et on crie d’autant plus fort qu’on veut rejeter sur le camp adverse la responsabilité de la rupture de ce qu’on ne tient que pour un simple armistice, comme ceci va apparaître clairement. La gauche laïque a décidé l’offensive. Pourquoi avoir choisi ce moment et cette question, à vrai dire d’importance mineure ? C’est d’abord qu’en laissant adopter la proposition Bourg-Broc, M. Bayrou a violé un principe sacré : seule la gauche a le droit d’établir la paix scolaire ; elle seule peut accorder tel ou tel avantage (réel ou fictif) à l’enseignement privé. On peut bien grogner lorsqu’on évoque les accords sur la formation des maîtres que Jack Lang a signés avec Max Cloupet, mais, lui, avait au moins le droit de les signer parce qu’il était de gauche. M. Bayrou ne l’a pas parce qu’il n’est que centriste ! On sait que cette attitude trouve un accueil favorable dans de larges secteurs de la hiérarchie religieuse, qui veut surtout ne rien faire qui puisse profiter à la droite. On comprend aisément que la gauche tienne à ce qu’aucun fait ne mette en cause l’idée qu’elle seule peut être dispensatrice de bienfaits pour l’enseignement privé. De là , les vociférations dont elle nous assourdit dans l’occurrence présente. Mais l’autre avantage de cette opposition est que la gauche peut refaire à bon compte son unité sur cette question, même si cette unité est fissurée sur toutes les autres questions. Et c’est ainsi qu’on peut projeter une grande manifestation avec participation de toutes les organisations (de SOS-Racisme aux syndicats d’enseignants...). Encore faut-il pour que ce rassemblement ait quelque crédibilité que ne soit pas trop évident son caractère de basse manœuvre politicienne. C’eut été une suprême maladresse que de mettre en avant MM. Poperen ou Laignel ; aussi les a-t-on peu entendus. Bien sûr tous les socialistes iront de leur petit couplet contre la révision de la loi Falloux (son "aggravation", dit comiquement M. Malvy). Mais, chez certains, la conviction manque un peu : MM. Chevènement ou Lang sont trop intelligents pour se compromettre en donnant trop d’importance au problème. Il reste alors à confier un rôle à des personnages inconnus : Caillavet, en semi-retraite, Hory, un nouveau venu, Pierre Bergé, de l’Opéra-Bastille et de Saint-Laurent, même pas un professionnel. Ils donneront le ton à la campagne médiatique. Et M. Rocard, qui vient d’accéder à la présidence du P.S. devra contraint et forcé endosser l’uniforme, j’allais dire la "livrée", du parfait disciple du Petit Père Combes. Je crois que certains n’auront pas beaucoup pleuré sur son triste sort ! De cette union de la gauche, on a fait une menace qui s’est transformée en argument contre M. Bayrou. Ainsi voit-on écrit dans le Progrès de Lyon (9-9-93, p. 3), quotidien régional de diffusion notable : "Les laïcards" peuvent être reconnaissants à François Bayrou. Son initiative a eu le même effet que celle de la gauche, à son arrivée au pouvoir, voulant instaurer un grand service d’éducation unifiée. Et on nous expliquera que le gouvernement socialiste avait dû renoncer devant la mobilisation des défenseurs de l’école libre et que, dans le contexte actuel, d’appel à manifester de toutes les "organisations laïques", "le camp laïc" espère faire aussi bien, sinon mieux, qu’au début des années 80 les partisans de l’école privée. Et ils étaient nombreux. Je cite ce texte non pour son originalité, mais parce qu’il est représentatif d’une pensée qui s’est répandue - ou plutôt qu’on a répandue - aux quatre coins de la France depuis presque trois mois. Mais, naturellement, même un enfant de chœur sait qu’on n’organise pas une manifestation d’importance en quelques jours. La menace n’avait de consistance, elle n’avait même de sens, et l’unité de la gauche était autre chose qu’une rencontre sans lendemain, que si on disposait d’un délai suffisant, que si l’affaire Falloux n’était pas réglée au début du mois de juillet. L’issue vint du Ciel et la chiquenaude divine mit en marche toute la machine. M. Mitterrand refusa d’inscrire l’examen de la révision de la loi Falloux à l’ordre du jour de la session extraordinaire demandée par Balladur. Il s’expliqua : il acceptait toutes les autres questions, mais, dans ce cas, la loi Falloux avait bien attendu 143 ans, pourquoi pas 3 mois de plus ? Ceci donnerait d’ailleurs au Parlement "un délai de réflexion", ce qui laisse à entendre que les parlementaires sont des écervelés qui doivent être reconnaissants au président de leur donner l’occasion de corriger leur faute ! On s’est interrogé sur la légalité du veto présidentiel. M. Foyer qui a suffisamment travaillé à l’élaboration de la constitution qui nous régit pour être tenu pour le meilleur expert en la matière, publia dans le Figaro du 9 juillet un texte intitulé "Le coup d’Etat du pauvre". Il affirme que la situation est sans équivoque : "Le pouvoir de convoquer le parlement et d’en déterminer l’ordre du jour est un pouvoir lié [...] Dès qu’il est saisi d’une demande du Premier ministre ou de la majorité des députés, le président de la République n’a aucun pouvoir d’appréciation, il doit convoquer sur l’ordre du jour demandé." Mais, à peine peut-on parler d’abus de pouvoir dès lors que M. Balladur a cédé devant les exigences présidentielles. Le délai obtenu, le grand rendez-vous laïc pris pour le 3 octobre retrouvait toute sa signification. Quoiqu’on s’en défende, l’intention était bien de rééditer l’affaire Devaquet avec à peu près le même "timing". Dans quel but ? Faire reculer le gouvernement et déconsidérer la majorité actuelle. Ceci est clairement avoué. Parmi les nombreux textes dont on dispose, je ne retiendrai que le plus significatif, celui de M. Pierre Bergé qui pour louer le président de la République de sauver la laïcité retrouve les accents du poète remerciant Staline d’avoir sauvé la patrie : "En repoussant de plusieurs semaines l’abrogation de la loi Falloux, François Mitterrand nous permet de nous reprendre, de nous grouper et de tout faire pour défendre l’école laïque. Là encore la gauche a déçu, quand elle n’a pas trahi. Il reste à mobiliser l’opinion... "Le 24 juin 1984 fut un jour de deuil pour la France. Donnons rendez-vous au destin un jour du mois de septembre prochain [en fait ce sera octobre] pour dire non à ce projet inique et sauver l’école laïque". Tout est clair, c’est bien de revanche qu’il s’agit et nul doute ne doit subsister sur l’identité du camp qui aura rallumé la guerre scolaire. La drôle de guerre. Ces menaces étaient destinées à faire peur et elles ont eu leur effet. On a bien essayé de nous faire croire que tout rentrerait dans l’ordre en octobre, mais il était clair que le gouvernement préférait pour le moins contourner l’obstacle et éviter l’affrontement à la rentrée dans des circonstances défavorables. En conséquence, tout au long de l’été tombaient des mesures qui étaient en recul par rapport à ce qu’on avait annoncé. Par exemple, la réforme des IUFM qui devait être radicale s’amenuise comme peau de chagrin et sera au bout du compte bien en deçà des propositions de la commission Kaspi (qui a travaillé vite et bien). L’expérience seule nous dira ce qui a été décidé, car tout reste dans le flou, mais j’ai peur que sur ce problème déterminant nos espoirs soient déçus. Par ailleurs, M. Bayrou a pris des décisions très bien venues sur l’organisation de l’enseignement des langues anciennes dans les lycées ; mais il s’agit d’un problème sectoriel. Quant à la loi Fillon "relative aux établissements publics à caractère scientifique" qui devait accorder à titre expérimental un statut dérogatoire avec large autonomie conférée aux universités, elle a été déclarée globalement contraire à la Constitution, sous des prétextes futiles (le législatif abandonnant trop de ses prérogatives et l’indépendance des professeurs, "principe fondamental reconnu par les lois de la République", pouvant être menacée, menace tout imaginaire, mais pièce traditionnelle de la fantasmagorie de gauche !) ; bref, le Conseil constitutionnel a parachevé l’action présidentielle mais du même coup il prive les organisations étudiantes de leur principale raison de se joindre aux manifestations des laïcs. Au terme des vacances, aucune décision d’importance n’aura été prise et comme il a suffi qu’on parle de chasse aux sorcières pour qu’on limite le nombre de changements dans le haut personnel de l’Education nationale, on peut dire que jusqu’à maintenant on s’est contenté de gérer l’héritage de MM. Jospin et Lang en procédant à quelques aménagements de détail. Cette prudence, ou cette timidité, se manifeste dans la présentation de chacun des projets ministériels. M. Bayrou à été invité, le 5 septembre, à la première "heure de vérité" de la saison : il ouvrait le feu et s’est dégagé habilement des pièges tendus par des journalistes agressifs. Mais, à quel prix ? Lorsqu’on l’interroge sur les moyens de rétablir la sécurité dans les écoles, sa réponse peut sembler évasive ; mais est-ce lui qui a la solution du problème et que pouvait-il dire d’autre ? Reste une autre question que le ministre a simplement abordée : l’indispensable réforme du collège unique et la lutte contre l’illettrisme. Comment éviter qu’on scolarise dans des classes hétérogènes et qu’on fasse passer de classe en classe des élèves dont certains sont illettrés ? Certes, M. Bayrou sait remettre à leur place les interlocuteurs qui l’accusent de vouloir "démanteler, casser" le collège unique de M. Haby. En bon professeur de lettres, il sait le poids des mots, mais lorsqu’on l’accuse de vouloir revenir aux "filières séparées", à la sélection, bref de prêcher un retour en arrière, il se croit obligé de se défendre contre cette accusation. Il a très bien compris qu’on ne peut exister politiquement en se donnant l’image d’un rétrograde. Aussi lui faut-il sacrifier aux idées à la mode : on soutiendra contre toute évidence que tous les enfants ont les mêmes capacités, même si les circonstances ont retardé certains ! Bref, un excellent diagnostic, des intentions louables, mais beaucoup de flou lorsqu’il s’agit de proposer des remèdes. L’affaire Falloux a visiblement été prise comme une leçon de prudence par le ministre. Mais qu’a-t-il décidé en la matière, puisqu’il était là, sur les écrans de télévision, pour nous le dire, comme l’avait annoncé M. Balladur ? Une reculade qui n’en est pas une ! On constitue, sous la présidence du doyen Vedel, une commission d’information qui a pour charge exclusive de faire le bilan d’une législation extrêmement complexe sur l’aide que peuvent ou que doivent apporter les collectivités locales à l’enseignement privé pour les dépenses immobilières. Incontestablement, la situation est complexe puisque les choses changent selon l’ordre d’enseignement considéré. Mais M. Bayrou qui a fait devant les caméras un exposé convaincant est apparemment parfaitement informé, et d’ailleurs chaque département ministériel comporte des juristes professionnels capables de répondre, sur de telles questions, aux interrogations des politiques. La nécessité de la commission Vedel n’apparaît pas. Lorsque M. Bayrou a dit : "Nos intentions étaient justes, mais elles n’ont pas été bien comprises", il sait très bien que ce n’est pas la différence entre l’enseignement général et l’enseignement agricole qui a fait difficulté, mais des questions de principe et de choix politique. Ces questions, la commission Vedel ne les résoudra pas si elle reste dans le cadre de sa mission. Tout le monde l’a compris. Il s’agissait de trouver une façon élégante de différer une décision qu’on n’avait pu prendre avant les vacances. M. Bayrou reste attaché à son projet qu’il tient pour "juste" et il n’y a pas la moindre raison de mettre en cause la sincérité de sa conviction, mais on a jugé bon de remettre à des temps meilleurs l’affrontement. Toutefois, la solution trouvée ne peut être que temporaire. Le secrétaire général de l’Enseignement catholique commence à manifester une impatience à laquelle nous n’étions pas habitués. Précisant que "la commission Vedel n’est pas là pour proposer des amendements et qu’une mission d’information peut travailler vite", il annonce que si elle mettait plus d’un mois et demi ou deux mois pour conclure il "commencerait à trouver que c’est long". Il est vrai qu’aujourd’hui il tempère cette étonnante fermeté, il multiplie les engagements qui vont au-devant des demandes de M. Lang : "veiller à répondre en priorité aux besoins à caractère social que l’Enseignement catholique percevrait ..." (Enseignement catholique actualités, n° 185) ! Les adversaires s’observent donc sans s’affronter et il ne se passe rien, comme lors de la drôle de guerre en 1939-40. Mais une telle situation ne saurait être durable. Quelle sera l’issue ? Nul ne peut le dire. Toutefois l’expérience enseigne que qui a commencé à reculer sans gagner un pouce de terrain connaîtra à la fin une vraie déroute. Maurice Boudot On sait que le président de la République a profité de la solennité du 14 juillet pour faire l’éloge de Bernard Tapie et de la loi Falloux. Sur le second point M. Mitterrand a déclaré qu’il n’y avait pas d’urgence à modifier une loi en vigueur depuis près de 150 ans et qu’il avait voulu donner aux parlementaires un temps de réflexion. Sur un ton différent, M. Rocard a dit la même chose lors de sa prestation à l’émission 7/7. En réalité la proposition de loi rédigée par des membres de l’actuelle majorité à l’Assemblée nationale ne fait que reprendre le vœu exprimé par les mêmes parlementaires lors de la précédente législature, alors qu’ils étaient dans l’opposition. Le ministre de l’Education nationale de l’époque leur répondait en substance qu’il estimait qu’il ne fallait pas remettre en cause l’équilibre législatif existant - ce qui, implicitement, condamnait a posteriori le projet Savary - et qu’il appartenait à ces parlementaires de changer la loi dans le cas où il reviendraient au pouvoir. C’est ainsi que M. Jospin, interpellé par M. Préel, le 5 novembre 1990 au Palais Bourbon, répondait : "Quand le Conseil d’Etat interprète les dispositions de la loi Falloux d’une façon qui limite les possibilités de financement des investissements par les collectivités locales, je m’y tiens et je n’ai pas l’intention - si d’autres veulent prendre des initiatives, ils les prendront - de proposer, au nom du gouvernement, une modification de l’équilibre législatif existant. Je ne crois pas que se soit la priorité en matière éducative." (P. 4727 du J.O.) Dans la même enceinte, le 7 novembre 1991, à M. Couanau lui rappelant : "Un amendement a été adopté par le Sénat en vue de permettre aux collectivités locales de participer financièrement aux travaux de construction et de rénovation des lycées, des collèges et des écoles privées. Quelle sera votre attitude à l’égard de cet amendement lorsque nous le reprendrons à l’Assemblée nationale ?", le même ministre d’Etat, ministre de l’Education nationale, répliquait : "J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’il ne relève pas de mon mandat, tel que je l’ai compris et reçu, ni de celui du Gouvernement, eu égard à notre engagement devant les électeurs, de revoir complètement le cadre législatif régissant les relations entre l’Etat et les établissements privés sous contrat. Si l’amendement auquel vous avez fait allusion est discuté dans cette assemblée, nous verrons bien le sens dans lequel les parlementaires souhaiteront se prononcer." (P.5653 du J.O.) Ajoutons, pour ceux qui penseraient perfidement qu’il s’agissait dans ces exemples de propos en l’air, que M. Jospin, écrivant dans le Journal officiel du 23 mars 1992 "Une éventuelle modification de la loi Falloux n’apparaît pas opportune car il ne convient pas de remettre en cause l’équilibre législatif existant", avait eu tout le temps de tourner sa plume dans l’encrier puisqu’il répondait aux questions écrites posées par sept parlementaires entre le 17 juin et le 14 octobre 1991. Mais le plus étonnant est que l’ancienne majorité socialiste avait elle-même envisagé la suppression de la loi Falloux. Peut-on suspecter le témoignage de M. Cérisola, alors président de l’UNAPEL, dans Le Figaro du 9 mai 1992 "J’ai dit à M. Lang que si l’on continue à refuser, comme l’avait fait son prédécesseur M. Jospin, tout dialogue constructif, l’école catholique est menacée d’asphyxie", puis : "M. Lang se dit pragmatique et ouvert au dialogue", et : "il faut que les collectivités territoriales qui le désirent puissent participer davantage aux opérations de construction et de grosse rénovation de nos établissements." Doit-on taxer de naïveté M. Girard, Secrétaire général adjoint de l’Enseignement catholique, déclarant dans Enseignement catholique actualités de janvier 1992 : "La majorité a repoussé l’amendement (abrogeant la loi Falloux) arguant que ce n’était pas le lieu opportun pour insérer cette mesure [...] C’est plus probablement le temps qui n’était pas opportun [...] Un débat à reprendre et à suivre..." Mais comment ne pas faire confiance à l’auteur anonyme d’un article publié dans Le Canard enchaîné du 7 juillet 1993 assurant : "Au printemps 1992, Lang, avait, lui aussi, demandé par écrit à Mitterrand de sacrifier la loi Falloux. Au grand désespoir du ci-devant ministre d’Etat, Mitterrand avait dit non." Que le président de la République n’ait pas retenu ou ait méconnu tout cela est attristant ; que le candidat "naturel" à sa succession n’ait pas voulu faire entendre son "parler vrai" en cette occasion est inquiétant. L. G. La révision de la loi Falloux, visant à autoriser l’aide des collectivités territoriales aux investissements de l’enseignement privé, connaît un sort qui lui est propre : proposition de loi d’origine parlementaire, elle est la seule question en cours d’examen dont le président de la République ait refusé l’inscription à l’ordre du jour de la session extraordinaire. L’extravagance des propos de parlementaires socialistes qui se livraient à des manœuvres d’obstruction, les interventions au congrès de Lyon qui font du laïcisme le plus borné un pilier du socialisme, prouvent que la guerre scolaire a recommencé, et l’identité de l’agresseur est indéniable. On se croit revenu à 1905, à ceci près qu’à l’époque l’enseignement public fonctionnait, alors qu’il est aujourd’hui miné par une politique catastrophique qui a notamment réduit les écoles de banlieue à l’état que l’on sait. La loi Falloux est réservée comme un thème d’agitation - parmi d’autres - pour un automne qui s’annonce chaud dans le secteur de l’éducation. Les responsables de l’Enseignement catholique sont naturellement libres de suivre les autorités politiques qui soutiennent, contre toute évidence, que l’affaire est une simple "déception" et non un incident. le 4 juillet 1993 Nous avons appris avec tristesse le décès de deux anciens administrateurs d’Enseignement et Liberté :
Courtois et affable, il écoutait attentivement tous les points de vue mais restait inébranlable dans ses convictions quand la survie de l’Enseignement catholique était en jeu. Il avait tout de suite compris l’intérêt qu’il y avait pour la liberté de l’école à rassembler tous ses partisans et avait ainsi largement contribué à la création d’Enseignement et Liberté. Lettre N° 40 - 2ème trimestre 1993
DIX ANS APRES Fondée le 10 mai 1983, notre association vient d’atteindre son dixième anniversaire, hélas endeuillé par la disparition de l’un de ses administrateurs, qui avait été présent parmi nous dès le premier jour. En ce temps, M. Savary tentait de faire passer son projet de loi sur l’intégration de l’enseignement privé dans un grand service public, unifié, en même temps qu’il entreprenait la mise au pas de l’enseignement public par l’application du plan Langevin-Wallon, bible des communistes et de leurs alliés depuis la Libération, dont les idées étaient reprises dans une phraséologie destinée à séduire les soixante-huitards. Il nous apparut avec évidence que la défense de l’enseignement privé ne pouvait être confiée aux seuls organismes membres du Comité national de l’Enseignement catholique, qui avait d’ailleurs déjà manifesté une déconcertant timidité et qui statutairement ne pouvait regrouper que les seuls "acteurs" de l’Enseignement catholique, alors que beaucoup d’autres citoyens se sentaient concernés par les principes mis en jeu dans la défense de la liberté de l’enseignement privé. Il nous apparut également que le problème, encore qu’il ait revêtu des formes diverses, était un : la liberté devait être également défendue pour l’enseignement privé et dans l’enseignement public. Ces considérations nous ont conduits à créer notre association, non confessionnelle, indépendante des partis et des organisations plus institutionnelles et dont la vocation est nécessairement sectorielle, que nous pouvons soutenir, aiguillonner et souvent blâmer. Notre seule arme : les idées que nous diffusons (par nos propre moyens, car la majorité des grands médias ne font aucune allusion à nos activités) et que nous partageons, pour une très grande part , avec d’autres associations de province avec lesquelles nous collaborons. Notre seule originalité est peut-être d’insister plus que d’autres ne le font sur les problèmes soulevés par la liberté dans l’enseignement public, liberté qui se confond bien souvent avec sa neutralité. Dix ans après, nous sommes toujours là, avec une situation financièrement très saine, sans avoir bénéficié de la moindre subvention publique (que nous n’avons d’ailleurs jamais sollicitée) grâce à la fidélité de nos adhérents que je dois remercier. Il est absolument impossible de mesurer le bilan de notre propre action, pour la simple raison que nous avons constamment agi dans le même sens que d’autres. Mais je pense, sans vanité, que nous avons apporté une contribution non négligeable en imposant à des "autorités" récalcitrantes l’organisation des grandes manifestations de 1984. Depuis, nous avons exercé une attention vigilante pour dénoncer les plus graves dérives qui risquaient de mettre en jeu l’indépendance même de l’enseignement privé. Simultanément, nous avons été presque (en dehors d’organisations comme le SNALC) les seuls à dénoncer certaines exploitations scandaleuses du service d’enseignement public à des fins politiques. Où en sommes nous aujourd’hui ? L’essentiel a été préservé et le gouvernement actuel tentera peut-être d’améliorer un peu la situation. Mais il n’y a pas lieu de s’illusionner :la complaisance de la majorité du Comité national de l’Enseignement catholique pour M. Lang (ou Jospin) et la timidité du gouvernement tirent dans le même sens ; on ne reviendra pas sur les "acquis" socialistes en matière législative. S’il y aura vraisemblablement révision de la loi Falloux de sorte que ne soient plus limitées les subventions des collectivités locales aux investissements immobiliers de l’enseignement privé sous contrat, c’est aussi qu’il ne s’agit pas d’une loi socialiste ! M. Bayrou, qui a le sens de la mesure et une authentique expérience d’enseignant, gommera les aspects les plus choquants du baccalauréat style Lang (les notes capitalisables pendant cinq ans, le système d’options défavorable aux langues anciennes, etc.). Il a d’autre part tenu des propos très judicieux sur les méfaits du "collège unique" instauré par M. Haby. Mais, entravé par un terrible héritage, solidaire d’un gouvernement qui, même lorsqu’il corrige les décisions, améliore les textes, essaie de prouver qu’il ne fait aucunement "table rase du passé" (socialiste), au point que les Français commencent à se demander pourquoi ils ont voté en mars, il est peu vraisemblable que M. Bayrou puisse aller très loin, à supposer qu’il le veuille. Par exemple, je n’attends pas pour demain la révision de la loi Jospin du 10 juillet 1989 qui, selon la jurisprudence, autorise le port de tchador dans les écoles publiques, ou limite les pouvoirs des chefs d’établissement en matière de discipline de sorte qu’ils ne peuvent faire face à ce développement de la violence et de la délinquance dans les écoles qui est devenu le problème majeur du système éducatif. Je pense qu’en dépit des promesses électorales les IUFM ne seront ni supprimés, ni "profondément modifiés" alors que de telles mesures (qui satisfont d’ailleurs une partie de la clientèle traditionnelle de la gauche modérée) ôteraient l’essentiel de leur venin aux déplorables accords Lang-Cloupet de janvier. J’avais fait de cette décision la pierre de touche de la volonté d’agir des nouveaux gouvernants. J’ai bien peur de devoir bientôt conclure que l’épreuve a été négative... Force est de constater que les velléités de nos gouvernants ne sont guère encouragées par certains "partenaires". J’en trouve un indice dans l’interview accordée au Figaro du 19-20 juin (p. 10) par le secrétaire général de l’Enseignement catholique : si on doit constater un net progrès par rapport au temps où le P. Cloupet nous expliquait qu’il n’avait aucune visée qui relevât du prosélytisme en ce qui concerne la défense du caractère propre : "L’Enseignement catholique n’a de raisons d’exister que par son caractère propre, parce qu’il doit proposer à tous sans l’imposer à aucun sa vision chrétienne du monde", en revanche demeure la même volonté de pactiser avec l’adversaire. A la question de savoir si, à l’heure où le Parti socialiste et les organisations "laïques" se mobilisent contre les propositions de loi actuelle, une résurgence de la guerre scolaire est à craindre, il est répondu : "Je reste très attentif aux maladresses qui, de la part de l’Enseignement catholique, pourraient rallumer cette guerre. Je suis tout à fait ouvert aux précautions qu’il faudrait prendre pour manifester l’état d’esprit dans lequel nous sommes : nous n’avons jamais voulu la guerre scolaire, nous ne la voulons pas, pas plus aujourd’hui qu’hier..." Nous en sommes bien persuadés ! Mais alors pourquoi s’attribuer par anticipation la responsabilité de "maladresses", pourquoi cette défense contre les accusations sans fondement. Dans le combat en question, on sait qui était l’agresseur, l’agressé n’a pas à se justifier de s’être défendu. L’agneau de la fable lui-même ne se laissait pas aussi facilement "culpabiliser". On comprend aisément que les politiques ne soient pas disposés à voler au secours d’organisations tellement timorées. C’est dire qu’il nous reste encore beaucoup à faire. Maurice BOUDOT BILAN DE DIX ANNÉES D’INCERTITUDES Les délégués de l’UNAPEL réunis à Saint-Malo les 5 et 6 juin ont entendu, avec satisfaction, le nouveau ministre de l’Education nationale souhaiter que le parlement supprime, le plus tôt possible, les obstacles législatifs au financement par les collectivités locales des constructions des écoles privées sous contrat avec l’Etat. Quelques jours auparavant l’on avait appris que le SNEC-CFTC, l’un des trois syndicats de professeurs de l’enseignement catholique, le plus important et le seul à avoir combattu résolument le projet Savary il y a dix ans, déposait un recours devant le Conseil d’Etat, contestant la légalité du décret pris le 18 mars, en application de l’accord passé entre le P. Cloupet et M. Lang le 11 janvier pour la formation des maîtres du privé. Alors, faut-il partager la satisfaction des uns et croire le P. Cloupet affirmant que le "souci participatif" de l’enseignement catholique au service public d’éducation n’emportait pas "un abandon de service spécifique", ou considérer avec les autres que, pour des raisons financières ou idéologiques, l’école libre a renoncé à sa liberté ? Pour répondre à cette question nous proposons à nos lecteurs d’examiner tour à tour :
Chronique des relations entre l’école libre et l’Etat
Elle fut déclenchée par le projet de loi de M. Savary "relatif aux rapports entre l’Etat, les communes, les départements, les régions et les établissements d’enseignement privé" qui traduisait la promesse faite en 1981 par M. Mitterrand de créer un "grand service public laïc, unifié, d’enseignement". Au moment le plus critique, les réactions des représentants de l’école catholique furent les suivantes :
Le chanoine Guiberteau, secrétaire général de l’Enseignement catholique, annonçait le même jour, dans une conférence de presse, une stratégie en deux temps pour un projet de loi inacceptable comportant une démarche auprès du Premier ministre puis des réactions à caractère national. Cette démarche, une délégation conduite par le chanoine Guiberteau la fit le 15 mai, publiant ensuite un communiqué "soulignant son opposition au dernier point en débat : la fonctionnarisation des maîtres, mais prenant acte des apaisements verbaux donnés par le Premier ministre sur les points vitaux". On sait, selon le récit qu’en a donné le cardinal Lustiger dans Le Monde du 5 juin, qu’il y eut de la part de Pierre Mauroy "manquement à la parole donnée", "dans la nuit du 22 mai". C’est en effet durant cette nuit que M. Laigniel, instrument bien involontaire de la Providence, persuada ses collègues socialistes de durcir le projet de loi en accélérant le processus d’intégration des maîtres du privé dans le public. Devant ce durcissement, l’UNAPEL comprit qu’elle ne serait plus en mesure "d’endiguer la colère des parents" et se résolut à organiser la manifestation qui, à Paris, le 24 juin, provoqua la démission de M. Savary, la chute du gouvernement Mauroy et le premier échec de la majorité arrivée au pouvoir le 10 mai 1981. ·des dispositions simples et pratiques Successeur de M. Savary, M. Chevènement, auteur de ces dispositions, disait qu’elles "représentaient tous les points positifs du projet Savary" et qu’il "n’avait pas eu besoin de forcer ses principes laïques pour les prendre". Les dirigeants de l’Enseignement catholique admirent ces dispositions qui abrogeaient celles plus favorables de la loi de 1971 sur le besoin scolaire et de la loi Guermeur de 1977, se déclarant à de nombreuses reprises satisfaits de la loi Debré, tel M. Vaujour, président de l’UNAPEL, dans une lettre du 4 septembre 1987 : "Nous estimons que la loi de 1959, dans son état actuel, a fait l’objet d’un large consensus transcendant les clivages politiques. Elle doit demeurer, dans son état actuel, la loi fondamentale qui régit les rapports de l’enseignement privé avec les pouvoirs publics." Ils crurent ou feignirent de croire qu’un consensus avait été trouvé pour que les écoles catholiques participent au "service national de l’éducation", se déclarant surpris (communiqué de l’UNAPEL du 1er février 1988) quand resurgissaient les slogans du laïcisme. ·la loi, toute la loi C’est afin de "ne pas permettre que le large consensus obtenu sur ces textes (la loi Debré) soit mis en question" (rapport d’orientation du 21 octobre 1987 de M. Vaujour) que l’UNAPEL s’interdit toute intervention dans les campagnes électorales et s’opposa, pendant la période de la cohabitation, à l’abrogation du décret du 12 juillet 1985 sur la nomination des maîtres et à l’aboutissement d’un amendement sénatorial autorisant les collectivités locales à financer les investissements immobiliers des écoles privées. En ce qui concerne la nomination des maîtres, lors d’un entretien avec nos amis de Nantes (Comité du 4 décembre) de Lyon (ARLES) et du Mans (UPLES), le 8 janvier 1988, le P. Cloupet leur affirma que l’on pouvait "vivre avec les textes Joxe - Chevènement, même s’ils présentent quelques dangers" et les assura qu’en cas d’alternance en mai 1988, un éventuel pouvoir socialiste "n’oserait pas s’attaquer à l’Enseignement catholique". Peu après il écrivait : "J’ai maintes fois déclaré que l’école catholique se veut une force de proposition et se sent lavée de toute volonté de prosélytisme." Le numéro d’Enseignement catholique actualités qui publiait ces propos rendait à M. Savary, qui venait de mourir, l’hommage suivant : "De juin 1981 à juillet 1984, l’Enseignement catholique a cheminé avec M. Savary sur des voies difficiles, semées d’embûches, où se mêlaient (sic) le désir de rénovation du système scolaire à un aménagement de la liberté scolaire au sein d’un service unifié. L’honnêteté, la rigueur morale, le respect des différences, le sens de la négociation, le goût de la démocratie dont a su faire preuve M. Savary resteront exemplaires pour les partenaires de cette rude période." ·rien que la loi M. Jospin, qui fut ministre de l’Education nationale de 1988 à 1992, aura-t-il droit, quand son heure sera venue, à un aussi bel éloge dans Enseignement catholique actualités ? En tout cas, la plus élémentaire justice demande qu’on lui reconnaisse une admirable constance dans son attitude envers l’école libre pendant ces années. Au reproche qui lui était fait, particulièrement au Parlement, d’étrangler financièrement l’école libre il répondait imperturbablement qu’il appliquait la loi, rien que la loi et toute la loi (en espèce la loi Falloux de 1850 et la loi Debré de 1959) en rappelant à ses interlocuteurs que les représentants de l’école catholique ne demandaient rien d’autre depuis 1985. Interpellé sur les retards de paiement du forfait d’externat, il rappelait les précédents des années 70 ; accusé de rompre la parité entre le public et le privé en n’appliquant pas à ce dernier les dispositions nouvelles qu’il prenait pour le premier, il répondait, quand il s’agissait de mesures administratives, que des discussions à ce sujet étaient en cours avec les représentants du privé et, quand il s’agissait des mesures législatives, que c’était au Parlement et non au gouvernement d’en prendre l’initiative. La suppression, dans le budget de 1991, des crédits de la loi Barangé de 1951 qui constituaient un appoint non négligeable pour les écoles primaires, le refus renouvelé au début de la même année du gouvernement de modifier la loi Falloux sur les financements des investissements, et le décalage grandissant entre les moyens mis à la disposition de l’école publique et ceux de l’école privée finirent par susciter chez les responsables de l’Enseignement catholique une inquiétude à laquelle nous fîmes écho dans les numéros du troisième trimestre 90 et du premier trimestre 91 de La Lettre d’Enseignement et Liberté. Après l’annulation par le Conseil d’Etat des arrêts du gouvernement sous-évaluant depuis 1982 le forfait d’externat et le succès des rassemblements organisés par l’école libre en province puis à Paris, le 5 avril 1992, l’arrivée d’un nouveau gouvernement dirigé par M. Bérégovoy et chargé, si l’on en croit la plupart des commentateurs, de limiter les dégâts lors des élections législatives, permit fort opportunément d’apaiser les tensions avec la signature de l’accord Cloupet-Lang, le 13 juin 1992. Un accord historique ?
Dans le numéro de juin 1992 de notre Lettre, notre président, analysant cet accord, concluait que l’Enseignement catholique avait accepté des conditions désavantageuses sur tous les points en contrepartie de sa reconnaissance par un gouvernement de gauche. Nous n’avons pas changé d’avis.
Un protocole, signé le 11 janvier 1993 par les mêmes signataires, portait sur la prise en charge des frais occasionnés par la formation des maîtres des établissements secondaires privés, sous la forme d’une prestation en nature assurée par les instituts universitaires de formation des maîtres, de fâcheuse réputation. Dans le numéro daté de mars, nous expliquions quoi ce protocole conduisait à un alignement idéologique du privé sur le public, tout en maintenant une sélection par l’argent au profit de ce dernier. Le Comité national de l’enseignement catholique a, lors de sa réunion du 9 janvier, autorisé, par 30 voix contre 6 et 6 abstentions, le P. Cloupet à signer l’accord du 11 janvier. Alors que cet accord était préparé depuis deux ans, son examen avait été rajouté à l’ordre du jour au dernier moment et la plupart des membres du Comité prirent connaissance du texte pendant la réunion. Cet accord a suscité de très fortes critiques dans la presse (l’Homme Nouveau, Famille chrétienne, etc.) Les associations qui agissent avec nous depuis dix ans en faveur de la liberté d’enseignement ont également réagi, en particulier en diffusant une "lettre ouverte au P. Cloupet" de Mme Wettstein-Badour, présidente de l’Union pour la liberté d’enseignement en Sarthe. Cette association avait, sur la foi des assurances que lui avait données le P. Cloupet, apporté son soutien à l’accord qu’il avait signé en juin 1992. Dans sa lettre du 22 janvier, Mme Wettstein-Badour écrit notamment au P. Cloupet : "C’est donc de vous que viendra la réalisation de ce grand service unifié et laïc dont rêvait M. Savary" et "Vous nous avez trompés." Le SNEC-CFTC pour sa part, comme nous l’avons indiqué au début de cet article, a introduit un recours devant le Conseil d’Etat pour les motifs suivants indiqués dans le texte que nous publions dans le présent numéro. L’UNAPEL, fort occupée par l’exploitation d’une enquête sur les rythmes scolaires, fit preuve pendant ce temps d’une discrétion remarquable. Son président, M. Toussaint, dont l’élection en 1992 avait pourtant fait espérer que l’opinion largement majoritaire à la base serait mieux prise en compte, tout en reconnaissant, dans le numéro de février de La Famille éducatrice que "ces nouvelles mesures ne sont pas totalement satisfaisantes. En effet la formation dite scientifique des futurs enseignants sera organisée dans le cadre des Instituts universitaires de formation des maîtres souvent critiqués pour leur fonctionnement..." et en appelant à rester vigilant, n’en considérait pas moins que ces accords constituaient des "avancées certaines".
En réponse aux critiques dont il était l’objet, le P. Cloupet rédigea un argumentaire en date du 18 février, sur le relevé de conclusions signé le 11 janvier. ·A ceux qui se demandent s’il n’eût pas été préférable d’attendre les élections législatives, pour négocier plus favorablement avec la nouvelle majorité, il est répondu que les décrets réglementant les concours de recrutement devaient paraître au plus tard dans le courant du mois de mars si l’on voulait, comme cela était indispensable, organiser les premiers en 1994. Cette justification est honorable, mais les faits ne la confirment pas à ce jour. Dans la plupart des cas, en effet, l’Enseignement catholique n’est pas en mesure de répondre aux demandes de ceux qui souhaitent se présenter aux concours en 1994 et par conséquence, s’inscrire en année préparatoire à la prochaine rentrée. ·Il explique ensuite comment est assuré l’exercice du libre choix du chef d’établissement dans le recrutement des enseignants. Il oublie pourtant de dire que cette liberté est limitée et que son exercice rencontrera bien des difficultés. Elle est limitée puisque les lauréats des concours publics perdent (à l’exception des agrégés) l’option pour l’enseignement privé qui leur était ouverte jusqu’alors. Elle sera difficile à exercer car le chef d’établissement ayant besoin de deux professeurs, courra, s’il ne retient que deux candidats, le risque de n’avoir qu’un ou pas du tout de lauréat et, s’il en retient plus de deux, celui d’avoir plus de lauréats que de postes à pourvoir. ·En ce qui concerne la formation proprement dite des maîtres, l’auteur présente comme découlant d’une loi de 1990 le fait que les IUFM "ont la responsabilité de veiller à la cohérence et à la qualité de la formation des maîtres de l’enseignement public et de l’enseignement privé", alors que pour ce second enseignement c’est évidemment l’accord du 11 janvier 1993 qui leur a donné cette responsabilité. Il signale que "l’accord n’interdit nullement à l’enseignement privé de suggérer (aux IUFM !) de recourir pour ses propres maîtres au service d’une université catholique", ajoutant que le financement n’est pas acquis dans ce cas, mais qu’il s’agit d’une difficulté générale relative à la reconnaissance de l’enseignement supérieur privé qu’une convention ultérieure pourrait aménager ! ·En ce qui concerne le déroulement de carrière et plus précisément le fait que le candidat maître de l’enseignement privé ne sera rémunéré que pendant sa deuxième année de formation alors que celui de l’enseignement public peut l’être dès la première année, il est indiqué que ceux qui remplissent les conditions requises pour une bourse d’étude pourront en bénéficier (!) et expliqué que les "allocations" dont bénéficient les candidats maîtres du public sont réservées pour pallier le déficit du recrutement de la fonction publique" et que, par conséquent, le candidat maître du privé "ne peut évidement y prétendre". ·les raisons de l’accord La faiblesse de cet argumentaire qui, même s’il "ne se veut pas exhaustif", aborde pour les esquiver les principales conséquences pratiques du protocole du 11 janvier, est telle que l’on ne fera pas à son auteur l’injure de penser qu’il lui accorde beaucoup de crédit. S’il a accepté de confier la formation des maîtres du secondaire aux IUFM c’est parce que, nous le citons, l’accord du 13juin 1992 "manifestait la reconnaissance par le gouvernement de la contribution que l’Enseignement catholique apporte au système éducatif français, et donc au service de la nation. A nos yeux, le pluralisme scolaire devenait un bien pour ceux-là même qui l’avaient, il y a peu, condamné. Une ère nouvelle s’ouvrait comme possible dans nos relations avec les pouvoirs publics" (Enseignement catholique documents, février 1993) ou encore "entreprise audacieuse, mais sans prétention que l’Enseignement catholique se devait de lancer au moment de son histoire où il se voit enfin justement apprécié comme contribuant utilement à l’évolution du système éducatif français". Cet éditorial du P. Cloupet, du numéro d’avril d’Enseignement catholique actualités, ne fait pas allusion à la création de la Sorbonne ou à celie de la Congrégation des frères des écoles chrétiennes, mais aux accords Cloupet-Lang. Nous devons à nos lecteurs la suite et la fin du paragraphe dont nous venons de citer le début : "Les multiples défis qui sont adressés à celui-ci (le système éducatif) nous concernent, nous avons à les entendre d’abord dans une écoute studieuse et avec un regard attentif ; en prenant la peine d’une parole commune qui doit être hardie et traduire au mieux la flamme de la passion qui anime nos vies d’éducateurs." On comprend que, rapprochés d’aussi vastes perspectives, les inconvénients qu’il pourrait y avoir à confier la formation des maîtres du privé à des pédagogues imprégnés de marxisme et à ne rémunérer qu’un an les futurs maîtres du privé ne sont que quelques épines sur un chemin semé de roses. Des lendemains qui chantent On peut partager la confiance du P. Cloupet dans les fruits de l’accord qu’il a signé avec M. Lang, tout comme l’on peut penser que le rapprochement de ces deux entreprises en difficulté que sont l’Education nationale et l’Enseignement catholique se terminera comme souvent par un dépôt de bilan conjoint. Nous examinerons cette alternative sous les aspects suivants :
La construction d’un grand service public d’éducation avec la participation de l’Enseignement catholique est-elle une réponse appropriée aux "défis de notre temps", comme diraient ses promoteurs ? Evidemment non ; elle représente, bien au contraire, une formidable régression par rapport à la revendication de libre choix de l’école que le multiculturalisme à la mode ne peut que renforcer. La plupart des spécialistes de l’éducation pensent aujourd’hui, y compris au sein des instances internationales officielles, que "le droit à l’école" doit se concrétiser non plus par le financement de l’offre c’est-à-dire des établissements d’enseignement, mais par celui de la demande, c’est-à-dire des usagers. Des pays comme la Suède et la Russie qui ont une longue expérience du socialisme ou du centralisme démocratique s’orientent vers le chèque scolaire. Le plus sûr résultat de la création d’un grand monopole public d’éducation serait le développement d’un secteur totalement privé, d’écoles de riches que l’Enseignement catholique rejette avec indignation mais avec compréhension puisque, si l’on trouve, par exemple, dans le numéro de mai de Famille éducatrice, revue de l’UNAPEL, un article sur la section d’enseignement général et professionnel adapté du collège Saint-Benoît à Moulins, on y trouve aussi les publicités de sept châteaux - écoles ainsi que de quelques instituts dépourvus de tourelles, mais disposant de parcs de 2 à 15 hectares.
Ce caractère propre reconnu aux établissements catholiques ayant passé contrat avec l’Etat signifie que, conformément à des décisions de justice et contrairement aux affirmations de certains responsables de l’Enseignement catholique, l’école catholique n’est pas ouverte à tous, mais seulement à ceux (maîtres, parents et élèves) qui acceptent de respecter ce caractère propre (avec ce que cela peut ou devrait comporter d’instruction religieuse et de participation aux offices). Une déclaration du P. Cloupet publiée dans le journal La Croix du 20 janvier dernier est révélatrice de cet état d’esprit : "On me dit qu’il n’y a pas 10 p. 100 des parents d’élèves qui, de fait, viennent pour des raisons proprement chrétiennes. Cela m’est égal." On comprend mieux dans ces conditions comment il a pu accepter que les maîtres soient formés dans les IUFM.
Tout compromis est l’expression d’un rapport de forces selon le raisonnement marxiste. L’accord Cloupet-Lang en est un exemple, tout comme la motion proposée par la direction du Syndicat des enseignants qui rassemble les militants socialistes de feu la FEN au congrès constitutif qui vient d’avoir lieu à Nantes : "Le réalisme impose aux laïcs d’en prendre acte : le financement de l’enseignement privé sous contrôle est irréversible. Ils doivent s’inscrire, à ce propos, et avant qu’il ne soit trop tard, dans le seul débat qui soit d’actualité : les conditions impérieuses de l’association de l’enseignement privé au service public d’éducation et les exigences liées à la notion de mission de service public." Ce texte a été renvoyé au "débat avec les adhérents", les délégations de l’Ouest l’ayant trouvé trop accommodant ! Faut-il voir dans ce genre de réaction la cause de la décision prise par l’Episcopat de proroger d’un an le mandat de secrétaire général du P. Cloupet ? Cela lui donnera peut-être l’occasion d’écrire comme en mai 1991 : "Notre position d’associé" nous avait semblé mériter un autre traitement, partenaire, nous ne pouvions pas prévoir être encore tenus pour adversaire." Conclusion Les accords Cloupet-Lang sont un coup dur pour la liberté d’enseignement et pour l’école libre. Compromis opportuniste, ils ne dureront qu’un temps, soit que, comme le note Le Monde du 8 juin avec une satisfaction contenue, "les plus fidèles partisans de l’enseignement "libre" ont pris la mesure de la responsabilité de l’enseignement privé, au point de l’inscrire, au moins implicitement, dans le cadre d’un grand service public. Comme une sorte de victoire posthume, et paradoxale, d’Alain Savary, qui avait tenté en vain cette synthèse", soit que le droit des parents à donner à leurs enfants l’éducation de leur choix l’emporte finalement. L’exemple de la loi Debré de 1959 peut donner quelque espoir. M. Ferry qui fut un des négociateurs au nom des APEL, en a donné dans le numéro de décembre 1991 d’Enseignement catholique documents un récit instructif. Il explique fort clairement que cette loi avait été conçue par des énarques "serviteurs de l’Etat par essence" qui "avaient naturellement tendance à conforter et renforcer le pouvoir dudit Etat et donc à suspecter l’exercice d’une liberté, fondamentale certes, mais contestée par l’idéologie de la gauche politique et syndicale et surtout consacrant le dualisme du système éducatif". Il indique que ce texte fut "jugé tout à fait insuffisant, ambigu, restrictif, dangereux et même contradictoire en certaines de ses dispositions" par l’UNAPEL et que les amendements présentés à la demande de celle-ci par des députés "se heurtèrent à un rejet quasi systématique". Enfin il conclut à "la volonté délibérée de l’amener (l’enseignement privé) à s’intégrer à l’enseignement public et, en le renforçant, d’éliminer toute concurrence, de conforter le monopole de celui-ci". En dépit de ce caractère intégrationniste et grâce aux nombreux dévouements que continue de susciter l’école libre, ainsi qu’à l’atténuation des effets nocifs de la loi Debré apportée par la loi Guermeur, la liberté de l’enseignement a pu être préservée, même s’il n’a pas été fait toujours et partout un plein usage de cette liberté. Ce précédent nous permet d’espérer que, si nous en avons la volonté, le combat du recrutement et de la formation des maîtres de l’enseignement libre n’est pas perdu en dépit de l’accord Cloupet-Lang. L’enseignement libre connaît d’autres difficultés et son avenir dépend aussi des solutions qui leur seront apportées. Nous évoquerons seulement, en conclusion, celle du financement de la construction et du gros entretien des bâtiments. M. Bayrou est favorable sur le fond à l’abrogation de la loi Falloux qui limite à 10 % de leur montant les participations des collectivités. Dans la forme, il renvoie l’enseignement libre, tout comme le faisait M. Jospin, aux législateurs. Cette volonté de laisser l’initiative au Parlement qui n’est pas plus le comportement le plus fréquent de l’actuel gouvernement qu’il ne l’était des précédents, n’est cependant pas totale puisqu’il est de notoriété publique que c’est à la demande du ministre que la proposition de loi réserve aux établissements privés sous contrat les nouvelles possibilités de financement. De même, M. Bayrou a précisé qu’il faut "envisager des dispositions qui garantissent que l’aide publique restera bien dans le domaine public". Cette précaution, d’ailleurs légitime, pourrait conduire un jour des collectivités à revendiquer comme leur appartenant des constructions qu’elles auraient financées entièrement ou presque entièrement. C’est en recherchant, comme il ne semble pas qu’il l’ait fait très efficacement jusqu’à présent, des financements privés, en particulier sous la forme des dons des personnes physiques, que l’Enseignement catholique pourra espérer rester propriétaire des biens immobiliers nécessaires à l’exercice de sa mission. Souhaitons que les événements que nous venons de vivre ainsi que ceux que nous allons vivre soient pour chacun de nous l’occasion de réfléchir et d’agir. Souhaitons aussi que ceux à qui il appartient de le faire se posent, dans le style familier au P. Cloupet, la question : Quel secrétaire général, pour quel enseignement catholique ? Lucien GORRE Les raisons du recours du SNEC-CFTC Le SNEC a introduit un recours devant le Conseil d’Etat contre le décret du 18 mars 1973 relatif à la formation des maîtres parce qu’il ne lui paraissait pas conforme à l’article 15 de la loi Debré sur deux points :
La base juridique de ce recours est la suivante : La loi 59.1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’Etat et les établissements d’enseignement privés modifiée a, notamment, institué le principe de l’égalisation des situations des maîtres titulaires de l’enseignement public et des maîtres justifiant du même niveau de formation, habilités par agrément ou par contrat à exercer leur fonction dans des établissements d’enseignement privés liés à l’Etat par contrat. L’article 15 de la loi 59.1557 dispose en effet que : "Les possibilités de formation des maîtres titulaires de l’enseignement public sont applicables également et simultanément aux maîtres ... habilités par agrément ou par contrat à exercer leur fonction dans des établissements d’enseignement privés liés à l’Etat par contrat". "Les charges afférentes à la formation initiale et continue des maîtres susvisés sont financées par l’Etat aux mêmes niveaux et dans les mêmes limites que ceux qui sont retenus pour la formation initiale et continue des maîtres de l’enseignement public. Elles font l’objet de conventions conclues avec les personnes physiques ou morales qui assurent cette formation dans le respect du caractère propre visé à l’article 1er et des accords qui régissent l’organisation de l’emploi et celle de la formation professionnelle des personnels dans l’enseignement privé sous contrat". La formation des enseignants de l’enseignement libre sous contrat est assurée par des associations de formation instituées par l’enseignement privé (UNAPEC et ARPEC) suivant des conventions passée avec l’Etat qui n’exerce qu’un contrôle pédagogique et financier ; les maîtres de l’enseignement public sont, conformément à la loi d’orientation n° 89.486 du 10 juillet 1989 modifiée, formés dans des établissements d’enseignement supérieur dénommés Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) où ils reçoivent deux années de formation préalable à la titularisation. L’article 4.3 du décret n° 93.776 du 18 mars 1993 précise que les candidats inscrits sur une liste d’aptitude bénéficient d’une année de formation, correspondant à la seconde année de formation dispensée aux lauréats de concours de l’enseignement public dans "les IUFM". "Le contenu et l’organisation de la formation dispensée avec le concours d’un IUFM, ainsi que les charges auxquelles elle donne lieu, font l’objet d’une convention entre le recteur, 1’IUFM et les représentants des établissements". Ces dispositions caractérisent une violation de l’article 15 de la loi 59.1557 du 31.12.1959 :
Terrassé par une crise cardiaque à son domicile alors qu’il semblait se rétablir rapidement d’une intervention chirurgicale, André Jacomet nous a quittés à la fin du mois d’avril. Entré au Conseil d’Etat au lendemain de la guerre, il dirige de nombreux cabinets ministériels et accède aux fonction de Commissaire du Gouvernement. Il sera secrétaire général de l’administration en Algérie de 1958 à 1960. Après avoir exprimé son anxiété devant le destin qui attendait la communauté française et les Algériens qui avaient courageusement pris le parti de la France, et sa tristesse de voir insuffisamment préparé ce qui était pour eux un rapatriement et un exil, André Jacomet quitte la fonction publique et entre dans le secteur privé. Sans prendre position sur le fond des choses, ceci montre qu’André Jacomet alliait à la grande modération de ses positions, le courage, le sens de l’honneur et de l’humain. Au terme d’une très brillante carrière dans l’industrie, qui le conduit à occuper les fonctions de directeur général adjoint de Pechiney, André Jacomet exercera à partir de 1978 les fonctions de Conseiller d’Etat. Il appartenait au petit noyau des créateurs d’Enseignement et Liberté. Nous perdons en lui un ami d’un inlassable dévouement, qui acceptait les tâches les plus ingrates et qui nous apportait de sages avis toujours mesurés et éclairés. Lettre N° 39 - 1er trimestre 1993
UNIFORMISATION OU SEGREGATION ? UNIFORMISATION OU SEGREGATION ? En application de l’accord de juin, un nouveau protocole vient d’être signé le 11 janvier 1993. Il apporte une réponse au problème de la prise en charge par l’Etat des frais occasionnés par la formation des maîtres des établissements secondaires privés. Il est proprement consternant que le secrétaire général de l’enseignement catholique ait cru devoir accepter les conditions extravagantes qui lui étaient imposées : la formation scientifique des maîtres de l’enseignement secondaire privé est confiée aux I.U.F.M. (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres), tandis que leur formation pédagogique relèvera de la responsabilité conjointe des I.U.F.M. et des organismes de l’enseignement catholique qui en étaient traditionnellement chargés (les A.R.P.E.C.). On sait ce que devient une responsabilité conjointe lorsque l’un des deux partenaires a des moyens de pression sur l’autre. Sans aucune garantie, l’enseignement privé renonce à son autonomie, se soumet aux exigences de l’unification en remettant la formation de ses maîtres à la structure la plus étatique et la plus contestée qui soit : les I.U.F.M. au risque d’y perdre son caractère propre. Créés en application de la Loi Jospin du 10 juillet 1989, ces instituts, d’abord introduits à titre expérimental dans 3 académies, ont été progressivement généralisés (sans qu’ait été rendue publique une évaluation sérieuse de leurs résultats), malgré le discrédit suscité par ce qu’on a pu savoir de leur fonctionnement. Leur mission officielle est d’assurer la formation de tous les maîtres de l’enseignement public. Sans qu’on l’affirme clairement, ils répondent donc à l’objectif de création d’un "corps unique" d’enseignants jusqu’au baccalauréat (au moins) qui est le plus grand vœu du syndicat des instituteurs, principaux bénéficiaires de cette création. En réalité, ils ont deux fonctions : d’abord, porter un peu remède à la crise du recrutement d’enseignants en proposant de substantielles allocations (environ 6000 F. par mois) à leurs élèves qui doivent, en contrepartie, s’engager à enseigner. Ensuite, justifier les augmentations de traitement accordées aux instituteurs (désormais dénommés "professeurs des écoles"), progressivement alignés sur les professeurs certifiés du secondaire, puisqu’on sait que les échelles de rémunération de la fonction publique dépendent essentiellement du niveau de recrutement, lui-même mesuré par le nombre d’années d’études post-baccalauréat : au niveau baccalauréat imposé pour les instituteurs par Jean ZAY en 1937 a succédé en 1979 le niveau D.E.U.G. (bac + 2) et aujourd’hui, le niveau licence (bac + 3) : il fallait des organismes susceptibles de délivrer des semblants de licences aux futurs instituteurs ! Cette mission (avouée ou dissimulée) est en fait fort mal remplie. Leur création n’a pas multiplié les vocations d’enseignants. Les rapports des I.U.F.M. avec les universités qui assuraient la formation scientifique des maîtres du secondaire sont très mal définis. De là l’hostilité qu’ils rencontrent, d’autant plus grande que plus de 90% des "formateurs" des I.U.F.M. sont d’anciens professeurs d’école normale d’instituteurs, qui n’ont pas une compétence suffisante dans une discipline quelconque pour l’enseigner au niveau supérieur. Ceci explique peut-être que ces formateurs se réfugient dans la pédagogie et soumettent les élèves professeurs à des séances qui combinent le jargon didactique à "l’infantilisation humiliante". Moyens dérisoires, statut indéterminé, les I.U.F.M. qui essaient de recouvrir sous un sigle unique des formations très diverses assurées hors d’eux, sont le type de l’organisation étatique, bureaucratique qui prétend tout réglementer sans avoir les moyens d’exercer son contrôle. Très naturellement, ils sont devenus le conservatoire de tout ce que le gauchisme a suscité en matière de pédagogie. C’est précisément à ces véritables dinosaures de l’idéologie de 68, qu’on va confier la formation des maîtres de l’enseignement catholique secondaire (et particulièrement la totalité de leur formation scientifique, c’est-à-dire relative à la discipline à enseigner) que les I.U.F.M. sont bien incapables d’assurer par leurs propres moyens. Soyons néanmoins certains que ceux qui les dirigent auront à coeur d’uniformiser public et privé, comme ils tentaient d’unifier primaire et secondaire. Ainsi sera mis en place le "grand service public d’enseignement unifié et laïc" dont parlait M. SAVARY. On pourrait au moins espérer que l’enseignement privé tire quelque bénéfice de sa soumission, il n’en est rien. Certes, on peut relever quelques petits avantages, par exemple, les maîtres du privé conseillers pédagogiques recevront une indemnité, les A.R.P.E.C. se verront accorder une dotation financière fixée selon des principes équitables. Mais ce sont là des broutilles, car sur l’essentiel il n’est pas mis fin à la ségrégation dont est victime le privé. Au contraire, elle est aggravée. Certes des concours de recrutement des maîtres du privé sont créés. Il est dit que "les épreuves de ces concours seront organisées le même jour, en même temps que les épreuves des concours publics correspondants. Les sujets et les jurys sont communs. Pour s’inscrire à ces concours, les candidats justifient des conditions requises pour s’inscrire... aux concours de l’enseignement public". On s’étonnerait de voir distinguer deux concours si proches par leur contenu s’il n’était immédiatement précisé que nul "ne peut s’inscrire, à la même session, au concours destiné aux maîtres du privé et au concours public correspondant". Les lauréats des concours publics perdent le droit d’option pour l’enseignement privé, (à l’exclusion des agrégés qui à vrai dire, représentent moins de 10% du corps enseignant du secondaire dans le public !). Si on ajoute que les maîtres auxiliaires n’auront plus accès aux échelles d’adjoints d’enseignement, on voit que la ségrégation entre public et privé est accentuée. L’assurance d’avoir des titulaires dans le secondaire privé est payée à un prix d’autant plus fort que les candidats-professeurs soumis aux mêmes obligations qu’ils se destinent au public ou au privé ("ils bénéficient d’une formation organisée selon des principes analogues" dit-on) ne profitent pas des mêmes avantages selon les cas. Ainsi l’essentiel, à savoir l’attribution d’une allocation d’étude dès la première année d’I.U.F.M. est réservée aux candidats de l’enseignement public. Je cite : "les étudiants qui se préparent aux concours d’accès aux listes d’aptitude aux formations de maîtres des établissements privés (c’est-à-dire, l’équivalent du C.A.P.E.S.) ne pourront demander à bénéficier des allocations d’enseignement, réservées à ceux qui s’engagent à se présenter aux concours publics". On ne saurait mieux faire pour manifester la volonté d’exclusion du privé. Uniformisation ou ségrégation, demandions-nous ? La réponse est claire : on a à la fois, l’une et l’autre. On dira qu’il n’y a rien à faire puisque le principal intéressé consent, qu’on ne peut être plus royaliste que le roi, mais comme il est prévu qu’en cas de modifications relatives à la formation ou au recrutement des enseignants de l’enseignement public, "les dispositions de l’accord seront adaptées", la solution s’impose. Les I.U.F.M. sont honnis dans de vastes secteurs de l’enseignement public. Le nouvel accord LANG-CLOUPET donne une raison supplémentaire de les supprimer, et qu’on ne nous dise pas que cela fera une réforme de plus, car ces organismes ne sont pas encore vraiment mis en place. Ainsi, par la simple abrogation d’un article de la loi JOSPIN de 89, on aura libéré et le public et le privé. Qui n’est pas capable de cette petite décision ne sera vraiment capable de rien. Maurice BOUDOT Le syndicat national des lycées et collèges a fait part aux partis politiques de ses revendications avant les élections. En ce qui concerne la formation initiale des professeurs de l’enseignement secondaire, le S.N.A.L.C. estime que les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (I.U.F.M.) dès leur création, ont fait faillite et que l’échec des I.U.F.M. conduit soit à leur suppression pure et simple, soit à une refonte profonde de leurs structures, de leur esprit et de leur contenu, en concluant que il faudra faire vite et fort, car la situation actuelle est intolérable. Les réponses des partis sur cette question que le S.N.A.L.C. avait placée en tête sont les suivantes. Nous les publions avec son aimable autorisation. Parti communiste : Nous avons depuis longtemps préconisé la création d’établissements d’enseignement supérieur de formation des maîtres. Mais force est de constater que !es I.U.F.M. ... ne répondent pas ... au besoin de formation au plus haut niveau de tous les maîtres, de la maternelle au baccalauréat. Y répondre suppose d’accroître considérablement leurs moyens, leurs contenus et de démocratiser réellement le système de rémunération des élèves. Parti socialiste : Les I.U.F.M. après quelques hésitations naturelles au démarrage d’un projet d’une telle ambition, ont maintenant trouvé leurs marques. Leur création est un progrès considérable ; tous les enseignants pourront recevoir une formation disciplinaire et une formation professionnelle, et vont le faire en partie de manière commune. Génération écologie n’a pas répondu au S.N.A.L.C. Les verts sont favorables au principe des I.U.F.M. , mais restent très sceptiques quant à leur fonctionnement. Pour leur amélioration ... une large concertation dans la transparence des acteurs concernés est indispensable. L’U.D.F affirme que il est tout à fait possible de mieux traiter les enseignants. En commençant par leur assurer une formation initiale décente et exempte de toute démagogie. Le R.P.R. dont la réponse n’aborde pas la question de la formation des maîtres, juge que le moment est venu d’appeler l’ensemble des acteurs du système éducatif à un bouleversement des habitudes, des structures et des comportements. Le C.N.I. n’aborde pas non plus directement la question mais veut rompre avec le modèle socialiste imposé à l’éducation nationale depuis la libération. Parti républicain : pour leur offrir une carrière plus ouverte et mieux personnalisée nous voulons réformer la formation des maîtres et mieux l’intégrer à l’université. Il nous paraît indispensable de réaffirmer la primauté des connaissances et de redéfinir la pédagogie. Les I.U.F.M. ont montré leurs dysfonctionnements. Il faut revenir à une réelle qualité de la formation pédagogique initiale des professeurs. Front national : Pour restaurer la qualité du corps enseignant, on commencera par supprimer les I.U.F.M. , beaucoup trop coupés des universités et confiés aux doctrinaires de la pédagogie. Le pédagogisme ne doit pas effacer le savoir. Nous avons tenu à citer très largement la réponse des partis au S.N.A.L.C., pour permettre à nos lecteurs de juger de l’opportunité qu’il y avait pour l’enseignement catholique à confier la formation de ses maîtres aux I.U.F.M.. L’analyse spectrale des réponses met en évidence que plus un parti est fidèle au marxisme plus il est favorable aux I.U.F.M. Si aucun des partis hostiles au marxisme n’exprime la moindre approbation des I.U.F.M. on aimerait être sûr que tous les programmes impliquent bien, comme le demande le S.N.A.L.C., soit la suppression pure et simple, soit une refonte profonde des structures, de l’esprit et du contenu des I.U.F.M. Nous l’avons demandé et c’est le cas de celui qui nous a été communiqué par le R.P.R., prévoyant de dissocier la formation des instituteurs de celle des professeurs du second degré et d’assurer la formation théorique des uns et des autres au sein des universités. Le C.N.I. nous a fait part de sa volonté de mettre fin à la désastreuse expérience des I.U.F.M.. Dans le peu de temps dont nous disposions, nous n’avons pas reçu d’autres précisions. Faut-il enfin rappeler que le président de Combat pour les valeurs (qui accorde son label à des candidats) annonçait que "pour les I.U.F.M. l’onction du père Cloupet pourrait bien être l’extrême onction" ! Le communiqué de presse "consternant", que nous avons adressé à nos adhérents nous a valu un bon nombre de réactions presque toutes approbatrices, certaines avec des nuances, d’autres véhémentes. Celle que nous reproduisons ci-dessous, avec l’autorisation de son auteur, nous paraît exprimer fidèlement la peine et l’émotion de la plupart de nos correspondants. Monsieur, Vous trouverez ci-joint un chèque de 150 F., quoique je pourrais me désintéresser de l’avenir de l’école libre. En effet j’ai 82 ans, et, pas de descendants. Il n’empêche que je suis indignée, consternée par l’accord signé récemment. J’en connais, en partie, la teneur lue dans un rapport fait par un sénateur : il est accablant pour les I.U.F.M. Je ne puis croire que !e père Cloupet ignorait cela, et, aussi, qu’il avait affaire à un négociateur très astucieux. De plus, nul ne peut ignorer ses opinions "de gauche", laquelle a toujours été anticléricale. Cela ne date pas d’hier, du début et, même, bien avant, du siècle. Cela a été oublié - volontairement ou non - par les bons chrétiens qui ont voté pour les adversaires de notre religion, avec toutes les conséquences qui en ont résulté. Lors de la manifestation de l’école libre, sans laquelle celle-ci aurait disparu, il était évident que nous n’étions pas soutenus par le clergé, le haut en particulier. Ce qui, à l’époque, m’a bien étonnée, quand je l’ai compris, naïve que j’étais. Le père Cloupet le serait-il aussi ? J’en doute. Alors, on peut se poser des questions. Pourquoi n’a-t-on pas attendu d’avoir un ministre plus favorable, ce qui ne saurait tarder, selon les prévisions ? J’en arrive à me demander si ce résultat lamentable n’est pas souhaité par une partie, des soi-disant défenseurs de l’école libre, qui agissent en catimini, pour sa disparition. Il reste à espérer que cet accord consternant - ce n’est pas exagéré - pourra être renégocié, avec d’autres partenaires, vous compris. Vous voudrez bien excuser cette trop longue lettre, mais je ne puis taire ce que je pense. Veuillez croire, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Mme F.G. - Charente-Maritime P.S. Pas besoin de reçu : je ne paye pas d’impôt.
Lettre N° 38 - 4ème trimestre 1992
ALLOCUTION DE M. CHAMANT. Monsieur Chamant, Vice-Président du Sénat, a bien voulu présider la remise des prix d’Enseignement et Liberté, le 22 septembre. A cette occasion il a prononcé l’allocution suivante. Nos lecteurs trouveront ensuite les exposés du professeur Czartoryski et de Monsieur Fernandez, présentés à la même réunion. Monsieur le Président, Laissez-moi vous dire combien je suis sensible à votre propos de bienvenue. Je suis ici par délégation, le Président Poher n’ayant pas la possibilité de venir jusqu’ici ce soir, m’a demandé de le représenter ce que je fais avec un grand plaisir que, d’ailleurs je ne cherche pas un seul instant à dissimuler car je suis depuis son origine l’un des adhérents de l’association qu’a lancée avec tant de vigueur et conduit avec tant de dynamisme, "Enseignement et Liberté" , que préside Monsieur Boudot. A ses côtés, je salue les éminentes personnalités qui nous entourent, le professeur Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, Monsieur Alfred Fernandez représentant Monsieur le ministre Antoine Humblet qui était ministre en Belgique, le professeur Paul Czartoryski de l’Académie polonaise des sciences, Monsieur le recteur Pierre Magnin et vous toutes et tous, Mesdames et Messieurs qui avez bien voulu vous déranger pour assister à la remise du Prix qui a été décerné par décision du jury constitué à partir de l’association Enseignement et Liberté. Pourquoi ai-je adhéré dès l’origine, à cette association ? Pour des raisons qui se passent de tout commentaire, bien entendu. Je suis depuis très longtemps, hélas pour mon état civil, membre du Parlement, d’abord député, maintenant sénateur, et mes convictions n’ont pas changé. Les choses sont ainsi. On peut porter un jugement critique sur cette attitude, un peu de crispation, diraient ou penseraient certains, mais les choses sont ainsi, je n’ai pas changé de conviction et je suis un de ceux qui n’ont cessé de militer en faveur de l’application dans les faits et dans les lois de la vraie liberté de l’enseignement. Nous avons gagné beaucoup de batailles, ensemble. Et je me souviens très bien du rôle éminent, joué par l’association Enseignement et Liberté au moment des grandes manifestations de l’année 1984. Manifestations auxquelles dans ma région j’ai participé, manifestation à l’ampleur nationale à laquelle bien sûr, avec plusieurs centaines de parlementaires j’ai participé. Mais tout ceci n’a été possible, me semble-t-il, ce succès populaire n’a été possible qu’à partir du moment où quelques hommes, quelques femmes, ont pris la décision de sensibiliser l’opinion sur l’importance de ce problème. Et à cet égard, je puis le dire, puisque j’en étais le témoin depuis l’origine, l’association Enseignement et Liberté a parfaitement joué son rôle. Elle a eu une action décisive, déterminante dans des moments difficiles. Mais tout n’est pas réglé, et de loin. Car vous savez, les libertés ne sont jamais conquises facilement et pour l’éternité, ça va de soi. C’est un perpétuel combat qu’il s’agit de conduire étant attentif à tous les obstacles qui se présentent sur notre route, toutes les embûches qui ne manquent pas de nous être tendues et par conséquent, plus que jamais dans la conjoncture dans laquelle nous sommes, nous avons besoin d’être vigilants. Car tout n’est pas gagné. Nous avons marqué des points : la plus grande pensée du règne socialiste, à savoir un enseignement unifié et laïc, grâce à notre résistance et grâce à notre combat collectif n’a pas pu être mise en œuvre. Nous sommes passés très près de la défaite, mais ceci dit il ne faut pas se faire des illusions, sur le chemin où nous nous sommes engagés, il y a encore des efforts à accomplir. Je suis un ancien élu local ; jusqu’au mois de mars j’étais le président du Conseil général de mon département et j’ai, naturellement, volontairement cessé mes fonctions, laissant aux plus jeunes le soin de les assumer. Donc j’ai été longtemps un élu local, et nous savons que les collectivités locales n’ont aucune espèce de latitude sauf celle donnée par la loi Falloux qui pour l’époque était sans doute considérable et qui aujourd’hui ne va plus très loin. Elles n’ont aucune latitude pour aider au financement des investissements immobiliers réalisés par les établissements d’enseignement libre. On ne peut pas, telle est la jurisprudence du Conseil d’Etat qui applique la loi, on ne saurait le lui reprocher d’ailleurs, aller au delà de 10 % des montants des investissements. J’ai pris dans mon département, et encore l’année dernière, quelques libertés avec l’application de la loi Falloux. Comme j’ai eu un préfet bienveillant, il n’a pas frappé de nullité la délibération du Conseil général pour deux établissements d’enseignement privé situés dans l’Yonne, et qui sont particulièrement prospères. J’ai fait décider par mon Conseil général un effort qui allait très au delà de 10 % du montant des investissements publics que ces établissements entendaient réaliser. Mais, nous sommes sur le fil du rasoir. Il suffit du représentant de l’Etat pour ne pas accepter la délibération, et si nous voulons aller plus loin, nous risquons la censure du conseil d’Etat et nous savons quelle est sa jurisprudence, d’ailleurs je ne le lui reproche pas. Je connais des conseillers d’Etat, pourquoi pas, ils appliquent la loi et par conséquent, nous avons là quelque chose d’important à accomplir, à mon avis dans les mois qui viennent : c’est la liberté totale donnée aux collectivités locales d’aider, dans la mesure où elles le jugeront possible, aux financements des investissements immobiliers des établissements d’enseignement privé. C’est la prochaine grande conquête et nous ne serons jamais assez nombreux pour essayer de l’imposer par la voie la plus démocratique qu’il soit, c’est-à-dire par la voie législative. Pour l’heure, la porte nous est fermée, pas ici au Sénat, bien entendu, nous avons voté à plusieurs reprises une proposition de loi tendant à accorder cette liberté aux collectivités locales, mais le gouvernement a toujours refusé de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée, au demeurant d’ailleurs, à l’Assemblée, telle qu’elle est composée maintenant, nous aurions été battus. Attendons les temps meilleurs, en priant le Ciel que ces temps ne tardent pas à venir. Je vous dis cela uniquement pour vous indiquer encore une fois que nous ne pouvons pas nous arrêter en si bon chemin. On a évité le pire, j’en suis persuadé, mais ça n’est pas suffisant. Il faut être vigilant et il faut essayer d’aller au-delà des conquêtes actuelles, et tout ça dans le respect des applications des libertés telles que nous les concevons. Qu’est-ce que c’est qu’une liberté à laquelle on ne donnerait pas les moyens de s’exprimer ? Ce serait une liberté formelle (c’est très cher aux marxistes, cette notion de liberté formelle), ça n’a rien de commun avec la conception que nous avons nous-mêmes de la liberté. La liberté d’enseignement en Pologne Le Professeur Paul CZARTORYSKI, docteur en droit, après avoir enseigné la philosophie à l’université catholique de Lublin, est depuis 1957 professeur à l’Institut d’histoire des sciences de l’académie polonaise des sciences. Directeur du Centre de recherche, Coperniciennes dans ce même Institut, il a édité les œuvres complètes de Nicolas Copernic. Il a été de 1981 à 1990 membre du conseil consultatif de Solidarité. Il est Président du Comité National Polonais des Ecoles du monde uni (United World Colleges). LES STRUCTURES Au cours des trois dernières années, un nombre relativement important d’écoles non-gouvernementales a surgi spontanément à côté du réseau des écoles d’Etat. Ce phénomène fut possible grâce à une législation libérale, qui permet la fondation d’écoles indépendantes, pourvu qu’elles suivent un programme de base, menant au baccalauréat et commun à toutes les écoles du pays. Parmi les écoles non-gouvernementales, on peut distinguer des écoles dites "sociales", qui appartiennent à des associations ou des fondations à but non-lucratif, et des écoles dites "privées", appartenant à des petites compagnies privées, ou, très rarement, à des individus. Les écoles dites "sociales" ont tendance à s’associer entre elles : le groupe le plus nombreux, qui en somme a initié tout ce mouvement dans les années 80 forme une association éducative nommée S.T.O. (voir les rapports de l’O.I.D.E.L 3.3 : Les écoles fondées par la S. T. 0. en Pologne. Rapport de mission, 1990). Des écoles non-gouvernementales existent dans toutes les plus importantes agglomérations urbaines ; leur répartition est telle, qu’elles sont pratiquement accessibles à tous les intéressés. En principe, toutes ces écoles ont droit à une subvention de la part de l’Etat, au niveau équivalent au coût moyen d’un élève dans les écoles d’Etat. Ceci, évidemment est insuffisant ; une taxe supplémentaire payée par les parents est donc indispensable. Cette taxe varie en fonction du standard de l’école et de ses frais ; comme point de repère, on peut dire qu’elle équivaut de 1/3 à 2/3 d’un salaire moyen, c’est donc un grand fardeau pour la famille. Ces frais sont au moment présent le facteur principal qui limite le nombre des écoles non-gouvernementales. LES PROGRAMMES Les programmes actuels des écoles polonaises sont "encyclopédiques", surchargés, visant à la préparation des élèves au lycée, tandis qu’en réalité parmi ceux qui sortent des écoles primaires, 50 % terminent leur éducation au niveau des écoles de formation professionnelle élémentaire ; 30 % vont aux écoles techniques professionnelles du niveau secondaire, et seulement 20 % arrivent au lycée. La formation professionnelle présente un problème formidable, car à l’état actuel elle est la prolongation d’une économie totalitaire périmée, qui est en déroute : cette formation est donc en train de produire des "chômeurs potentiels". D’autre part, les programmes des lycées sont à leur tour surchargés d’informations inutiles. Pour les jeunes c’est le manque d’espérance et de perspectives. Le chômage, qui est à 12 % environ, atteint en premier lieu les étudiants qui sortent des écoles et des universités et ne trouvent pas de travail, surtout dans leur spécialité. Leurs attitudes sont souvent passives, issues des réminiscences d’un Etat qui fournissait tout, y compris l’emploi, et qui récompensait le conformisme et la passivité. D’autre part, en voyant le décalage entre les salaires et le niveau de vie à l’Occident et dans leur propre pays, ils s’impatientent et ils voudraient avoir tout à la fois. Une réforme radicale de l’enseignement est donc en préparation. Elle envisage pour les mêmes sujets la création successive de programmes alternatifs, approuvés par le Ministère, laissant aux professeurs la possibilité de choix. Le même concerne les manuels. Ceci donnerait à l’enseignement un trait dynamique, assurant une évolution continue. On envisage aussi des activités extra-scolaires. Le tout vise à apprendre aux élèves à profiter des sources d’informations modernes et à leur donner une formation humaine et une habilité de coopération avec leur entourage. On espère pouvoir introduire ce programme d’un seul coup au cours des trois années prochaines. LES DIFFICULTES ET LES PERSPECTIVES. Mais il faut souligner que, pour le moment, le système scolaire est en difficulté surtout à cause du déficit budgétaire, menant à des économies des dépenses publiques dans les domaines de l’éducation publique et des services médicaux. On estime qu’au moment présent 10 % des frais scolaires des écoles d’Etat sont remboursés par les parents, tandis que les écoles elles-mêmes sont obligées pour survivre de gagner de leur propre initiative 10 % encore. On prétend aussi qu’un grand nombre d’enfants arrive le matin à l’école sans avoir pris leur petit déjeuner. Mais ceci, d’autre part, donne naissance à toutes sortes d’initiatives liées aux écoles d’Etat, qui ressemblent à ce qu’on fait dans le domaine des écoles "sociales" ou privées. Un libéralisme marqué autorise les professeurs des écoles d’Etat, sous certaines conditions, à expérimenter avec des programmes préparés par eux-mêmes, qu’on appelle des "programmes d’auteurs". D’autre part, l’élimination successive (par voie de concours) de directeurs qui étaient des anciens membres du parti, vise à supprimer l’atmosphère autoritaire entre instituteurs, élèves et parents, qui empoisonnait les écoles. Il faut ajouter que deux lycées d’Etat - un à Varsovie et un à Gdynia - vont entrer l’année prochaine dans le système du Baccalauréat international. Dans ce contexte, les écoles non-gouvernementales frayent le chemin de la réforme. Paul Czartoryski Des changements dans des systèmes éducatifs L’O.I.D.E.L. est une organisation non-gouvernementale qui défend la liberté d’enseignement dans le monde, depuis presque 10 ans. Je voudrais vous parler très directement de ce que je viens de vivre à Genève, la semaine dernière lors de la Conférence Internationale d’Education. Je suis agréablement surpris - je suis cette conférence depuis un certain temps - des tendances qui se dessinent actuellement dans l’enseignement et qui vont dans le sens de ce qui était depuis longtemps proposé par tous ceux qui sont en faveur de la liberté de l’enseignement. Je veux parler de questions comme le projet scolaire, l’autonomie des centres, le besoin d’une planification différente de l’enseignement. Il y a un nouveau climat inauguré par la conférence "Education pour tous" de l’UNESCO de 1990 qui a surtout tenté de repenser le rôle de l’Etat dans l’éducation. Je crois que c’est le point central. L’Etat ne peut plus tout faire, l’Etat doit travailler pour encourager le développement de la société civile au niveau de l’éducation. J’aimerais vous parler un peu en détail, de trois changements qui me semblent fondamentaux. Le premier, c’est celui de la Suède. Le pays change radicalement de point de vue et essaie de trouver un système de qualité, dans la diversité des établissements et dans le développement de l’école privée, de l’école d’initiative sociale que tout un chacun peut promouvoir. D’autre part la Russie se lance dans un vaste programme de changements sociaux qui commence justement par l’éducation et par la mise en pratique du chèque scolaire. Je vous parle de législations qui ont été déjà adoptées, pas seulement de projets de lois. Vous pouvez imaginer qu’il ne doit pas être très facile de faire adopter une telle loi dans ce pays étant donné la composition actuelle du Parlement. La Grande-Bretagne est le troisième pays que je voudrais évoquer. Vous savez que le Royaume Uni depuis 1988, a commencé une réforme de l’enseignement consistant à rendre le pouvoir à l’utilisateur, c’est-à-dire aux parents. Tous les parents des écoles publiques qui le souhaitent, peuvent prendre en charge l’école et la gérer, aussi bien administrativement que financièrement. L’actuel ministre de l’éducation vient de faire publier un livre blanc sur l’éducation dont l’objectif est de rendre les utilisateurs maîtres de l’éducation. Je pense que ce sont des nouvelles qui vont vous réjouir et, comme je l’ai dit tout à l’heure, je sens un vent nouveau qui souffle un peu partout. Les planificateurs ne croient plus au pouvoir de la rationalité qui peut tout faire et tout promouvoir, mais pensent qu’il faut compter avec la société civile. Je suis convaincu que dans les années qui viennent nous allons voir de grands changements dans les systèmes éducatifs. Alfred Fernandez, Dans la vie du système éducatif, il n’y aurait rien à signaler hormis la décrépitude qui s’accélère, la mise en place feutrée des plus inquiétants projets de M. Jospin (sur la formation des maîtres, la réforme de l’enseignement supérieur), sans deux événements qui ont retenu l’attention des médias. Il s’agit de l’opération "les enfants de France pour la Somalie" et de l’arrêt du Conseil d’Etat relatif au port du "foulard islamique" (plus communément dénommé "tchador") dans les établissements publics d’enseignement laïque. Ces deux événements ne concernent que marginalement le contenu de l’enseignement, ses méthodes et son organisation générale. C’est l’indice que, dans notre société, l’école compte surtout par ce qui ne concerne pas les missions propres qui lui étaient traditionnellement dévolues. Pour les profanes dont je suis, l’opération "riz" a brutalement commencé son existence médiatique peu avant le jour "J" fixé au 20 octobre, Un document, en date du 12 octobre, du Ministère de la Santé et de l’Action humanitaire exposait en huit pages son contenu : "Il est important de donner une nouvelle dimension à l’aide pour la Somalie en y associant chaque famille française et plus étroitement encore chaque enfant". Avec "le soutien du Ministère de l’Education, la Poste, la S.N.C.F. et France 2" le Ministère de la Santé avait décidé, au cours d’une "journée nationale" baptisée "les enfants de France pour la Somalie" de sensibiliser "chaque enfant, écolier et lycéen, au drame qui touche la Somalie... Chaque enfant sera invité à apporter dans son école un paquet de riz". Cette "mobilisation" (sic) doit permettre de récolter 6000 tonnes de riz, qui seront acheminées à Mogadiscio. On nous annonçait que "ce moment de solidarité permettra de nourrir 1 million d’enfants somalis pendant un mois". Dans un style tout militaire, notre Napoléon de la bienfaisance écrivait : "le 20 octobre, chaque enfant apportera son paquet de riz à l’école. Il le videra lui-même dans un sac de 20 Kg... Les sacs seront rassemblés par le personnel de l’école...(qui chargera les camions avec les enfants)". La marchandise sera "chargée à bord du navire en partance pour Mogadiscio" qui "arrive vers le 20 novembre. La distribution du riz sera assurée sur place par l’UNICEF". Pendant une semaine, pratiquement toutes les chaînes de télévision n’ont parlé que du déroulement de l’opération, ou lui ont consacré la majeure partie des bulletins d’information, pour la plus grande gloire de M. Kouchner. Le riz était mis en sacs, chargé, transporté à Marseille. A grand renfort d’images, toute la France pouvait le suivre à la trace. Quelques voix élevaient de timides protestations, remarquaient qu’au moment où notre agriculture est en ruines, on aurait pu penser à l’envoi de produits d’origine française et non de riz importé. Elles étaient rabrouées, sommées de se taire. Toute espèce de doute sur le bien-fondé de l’opération, son organisation, était tenue pour sacrilège. Il fallait donner à la quête, applaudir, admirer sous peine d’être ridicule, odieux, ignoble. Toute cette opération médiatique a occupé sinon l’esprit, du moins les yeux et les oreilles des Français. Je ne serai pas démenti si j’affirme que, dans sa conception, l’opération relève de l’enfantillage. Demander à chaque écolier d’apporter son paquet de riz, de le vider dans le sac de 20 Kg, qui sera collecté, convoyé, c’est absurde du point de vue de la gestion. Pourquoi ne pas aller au bout de la démarche, et pour mieux sensibiliser les enfants, exiger que les sacs de riz soient vidés sur le sol de la classe et son contenu ramassé grain par grain ! Laissons de côté le problème de mélange des riz - les Somaliens affamés seront moins difficiles que des Français repus -, néanmoins le fait qu’on ait dû faire appel à la troupe pour reconditionner les sacs de riz mal collectés fut la première bavure. Tout ceci était touchant, mais les images naïves dissimulaient mal la gestion catastrophique. Conditionnement et transport n’étaient pas gratuits : même s’ils étaient offerts ou assurés par des bénévoles, économiquement ils ont un coût. Tout cet effort dispersé, mieux utilisé, aurait pu accroître le volume de l’aide. Mais l’essentiel était de sensibiliser les petits Français et d’offrir de belles images qui tournaient à la plus grande gloire du fameux ministre, cela se ferait-il sur le dos des populations aidées. Par les méthodes utilisées pour l’exploiter, l’opération relève des procédés totalitaires. Il fut un temps où il n’était pas question de mettre en cause ni le but, ni le choix effectué, ni les méthodes appliquées. Toute réserve était tenue pour un indice d’inhumanité. M. Lang - dont il faut reconnaître qu’il fut discret en cette occurrence - avait approuvé (par circulaire du 9 octobre) et en quelque sorte mis l’éducation nationale à la disposition de l’aide humanitaire, les médias amplifiaient le tumulte. Dans ces conditions aucune opinion divergeant de la pensée officielle ne pouvait s’exprimer et être communiquée au grand public. Dans un très remarquable article de Présent (en date du 21 octobre) M. Le Gallou était en droit de dénoncer "le totalitarisme humanitaire où les enfants sont pris en otage". Qui tient à la fois les médias et l’éducation nationale gouverne les esprits de façon absolue. Il avait suffi qu’un ensemble de facteurs suscite un consensus peut-être d’ailleurs temporaire, parmi les principaux journalistes pour que s’évanouisse toute possibilité de débat. Qu’on n’aille pas me dire que la noblesse de la fin visée (humanitaire) justifie les moyens. Il n’est aucun tyran qui n’ait habillé ses pires turpitudes de mots très nobles. Staline jouant au bon grand-père dans sa roseraie (dans la chute de Berlin) s’était créé une image de cœur sensible. Qu’en l’occurrence présente, les raisons invoquées ne cachent pas des desseins aussi noirs, cela va sans dire ! Mais il est des procédés qu’il vaut mieux proscrire, compte tenu de l’usage qui en a été fait. Ainsi l’appel à l’émotion des masses, à la sensibilité irréfléchie des enfants qui n’ont pas les moyens intellectuels de comprendre les problèmes auxquels on les affronte. Le choix du pays à aider en priorité était imposé de façon autoritaire par une autorité gouvernementale, sans débat préalable, sans justification rétrospective. Pourquoi pas la Bosnie européenne, plus près de nous ? M. Boutros Ghali (qui n’est qu’un fonctionnaire chargé d’exécuter et non de décider) avait dit qu’il souhaitait voir l’Afrique privilégiée, mais alors pourquoi pas le Libéria où les chefs d’Etat destitués sont suppliciés en public, ou le Zaïre dont la situation est consternante ? Et que sont devenus ces Ethiopiens dont on nous parlait tant ? Pourquoi abandonner à leur sort ces chrétiens du sud du Soudan, livrés à la famine et sur lesquels on ne diffuse des reportages que de façon quasi clandestine ? Pourquoi cette Somalie où la France n’a jamais exercé la moindre responsabilité, pays qui fut longtemps (jusque vers 1960) partiellement sous mandat international ! Nulle autre raison si ce n’est qu’on a plus d’images de ce pays et que la misère n’y est vraisemblablement pas plus profonde qu’ailleurs, mais beaucoup plus voyante. Il s’agissait de trouver les meilleures conditions d’un grand "charity-business-show". M. Kouchner chargeant lui-même, le 6 décembre, à Mogadiscio, un sac de riz des écoliers est à ranger dans la catégorie des clips ! Il y a quelque chose d’inquiétant dans ce pouvoir des images. Elles se sont substituées à l’argumentation. Enfin nous devons bien dire qu’il y avait quelque chose de mensonger dans toute cette propagande. C’était au moins un mensonge par omission que de ne pas dire que la famine somalienne a des causes essentiellement politiques. Elle est la conséquence de l’anarchie qui a suivi l’effondrement d’un Etat (qui fut non sans sympathie pour le bloc de l’Est). A cette situation, dont la France n’est ni responsable, ni coupable, il est peu vraisemblable qu’il y ait des remèdes exclusivement humanitaires. L’envoi de forces armées, sous le commandement des U.S.A., semble montrer que l’illusion s’est dissipée. Il est vrai qu’elle se fait en vertu d’un principe très flou "d’ingérence humanitaire", d’application incertaine et qui risque un jour d’être générateur de conflits sanglants. Mais le fait est qu’aujourd’hui on a dû constater que l’humanitaire ne pouvait pas tout. Le riz des écoliers français, à peine débarqué, qu’on ne pouvait distribuer, appelait naturellement l’arrivée d’hommes en armes. Je ne dis pas que ces récentes décisions sont à condamner. Mais ce qui l’est, c’est qu’on ait malhonnêtement dissimulé l’aboutissement prévisible des opérations d’aide alimentaire. M. Kouchner a cru bon de rencontrer (en personne, si j’ai bien compris) un "seigneur de la guerre", c’est-à-dire l’un de ces pillards qui louent à prix d’or des escortes armées et vivent aux crochets des écoliers français, ou des esprits pieux d’ailleurs. Cette façon de favoriser l’achèvement de l’opération du 20 octobre suscite le malaise. Mais bien plus encore la présence sur les lieux pour "couvrir" l’arrivée des forces américaines d’une autre armée de journalistes, avec le caractère tapageur de leur installation, le luxe de leurs moyens, est proprement écœurante. Sans respect pour la dignité de l’homme, la misère est réduite en spectacle. C’est bien pourquoi, dès l’origine, il ne fallait pas jouer sur des images porteuses d’émotions, sans réflexion, participer à un processus qui débouche sur des méthodes qui relèvent plus du conditionnement que de l’éducation. Au moment où l’école publique est transformée en une espèce d’ouvroir de la nouvelle religion humanitaire, elle renonce à ce qui était tenu pour une de ses fonctions propres : préparer ses élèves à être intégrés au corps des citoyens. Comme dans le cas précédent, ni les enseignants, ni les organisations qui les représentent ne sont en cause dans cette nouvelle affaire. Il s’agit d’un arrêt du Conseil d’Etat, siégeant en section du contentieux, qui annule l’article 13 du règlement intérieur du collège Jean Jaurès de Montfermeil interdisant le port du foulard islamique, et la décision du conseil d’administration, approuvée par le Recteur de l’Académie de Créteil, qui excluait trois élèves en application de cet article. Cette décision du 14 octobre 1992, venait en appel d’un précédent jugement du tribunal administratif qui avait conclu en sens contraire. Apparemment, elle contredit l’avis donné en assemblée générale à la demande de M. Jospin le 27 novembre 1989. A trois ans d’écart les conclusions sont pour le moins différentes. Rappelons brièvement l’affaire. A l’automne 1989, l’exclusion d’élèves du collège de Creil, parce qu’elles refusaient de renoncer au foulard islamique, avait suscité de tels remous dans l’opinion et divisait la gauche elle-même, que M. Jospin courageux, mais pas téméraire avait tenté de laisser au Conseil d’Etat le soin de trancher. D’où cette demande d’avis. L’auguste assemblée avait formulé un avis si mesuré qu’elle renvoyait au ministre la responsabilité de la décision. Dans les considérants, indépendamment des textes les plus généraux - y compris la déclaration des droits de l’homme et du citoyen -, l’Article 10 de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, votée selon le vœu de M. Jospin, jouait un rôle majeur. Ce texte prescrit que "dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement". Le Conseil d’Etat concluait que "le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec la laïcité dans la mesure où il constitue la manifestation de la liberté d’expression... Mais que cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils sont portés... Ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande...". Et il était ajouté que "le port des insignes d’appartenance religieuse peut, en cas de besoin, faire l’objet d’une réglementation pour appliquer ces principes". Le 12 décembre 1989, M. Jospin publiait une circulaire surtout remarquable par le désir du Ministre de renvoyer la responsabilité aux autorités détentrices du pouvoir disciplinaire "chargées d’apprécier si le port d’un insigne religieux" constitue dans telle circonstance "une faute". Or, c’est ici qu’intervient le récent arrêt. Constatant que le règlement du collège Jean Jaurès de Montfermeil dispose que "le port de tout signe distinctif, vestimentaire ou autre, d’ordre religieux, politique ou philosophique est strictement interdit", le Conseil d’Etat affirme que "ledit article constitue une interdiction générale et absolue en méconnaissance des principes ci-dessus rappelés" (principes qui se réduisent à l’article 10 de la loi Jospin avec les commentaires apportés dans l’avis de 89). Argument qui n’est pas sans valeur. Mais quand il est affirmé qu’il n’est "ni établi, ni allégué", dans la décision d’exclusion que le port du foulard ait "le caractère d’un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande..." il est très manifeste qu’on veut donner de l’avis de 1989 une interprétation si restrictive qu’elle autorise n’importe quoi, au point qu’elle semble démentir cet avis. On n’empêchera pas le grand public de tirer une leçon rudimentaire de ces péripéties judiciaires. Le Conseil d’Etat semble autoriser aujourd’hui ce qu’il interdisait hier. On conclura qu’au terme d’une longue bataille (car l’exclusion remonte à 1990) le foulard islamique est autorisé. Les chefs d’établissement soucieux de prendre leur responsabilité, d’affirmer leur autorité, seront découragés. L’affaire est partie de Montfermeil, cité symbolique, du collège Jean Jaurès (au nom symbolique !), à tort ou à raison on lira dans toute cette affaire un acte qui vise à dépouiller l’école de sa fonction d’intégration. Je sais qu’elle remplissait très mal cette fonction. Je ne crois pas que cela soit suffisant pour justifier qu’on l’en prive totalement. A cette situation, il n’est qu’un remède : modifier les textes législatifs qui donnent tant de "droits" aux élèves qu’il devient juridiquement périlleux d’interdire par réglementation quoi que ce soit. En d’autres termes, abroger la loi Jospin du 10 juillet 1989, ou, du moins, très rapidement réécrire son article 10. Voilà une tâche urgente pour la prochaine assemblée. C’est à nous de demander sur ce point des engagements précis aux candidats, de même que nous leur demanderons d’autoriser les collectivités locales à aider au financement des investissements immobiliers de l’enseignement privé, dans des conditions autres que celles prescrites par la loi Falloux. Maurice Boudot, le 6 décembre 1992 P.S. Les événements qui se déroulent depuis le débarquement militaire prouvent, si besoin était, qu’on avait raison d’inciter à la prudence dans l’utilisation de la générosité des enfants. L’Etat, bien entendu, repasse à la Région la charge des frais de reconstruction. ·A Sevran (Seine Saint-Denis) les professeurs des collèges étaient en grève la semaine dernière pour protester contre l’agression dont a été victime l’une de leurs collègues et l’insécurité permanente. On leur a promis quelques surveillants supplémentaires, alors qu’on a l’impression que la situation exigerait plutôt l’envoi de casques bleus dans les cours de récréation. ·Le 30 novembre, à Saint-Etienne (Loire) , au lycée polyvalent d’Alembert, un lycéen a été poignardé ! Il ne s’agit pas d’un mauvais coup accidentel, mais d’un épisode des affrontements entre bandes rivales qui se poursuivent à l’intérieur du lycée. ·M. Lang qui veut que les écoles restent des "oasis de paix" - souhait très louable, mais de telles oasis sont-elles concevables si la paix ne règne pas aussi à l’extérieur des enceintes scolaires ? - nous promet des études surveillées et même des internats. Très bien. Mais n’est-ce pas trop tard : qui acceptera de surveiller ? ·Enfin, notre ministre vient de proposer (le 15 décembre) une réforme du baccalauréat, à vrai dire applicable seulement en 1995. Comme cette réforme semble ne pas supposer le vote d’une loi, mais de simples décrets, il n’est pas certain qu’elle voie le jour. En dehors de l’habillage flatteur bien connu ("mettre fin à la tyrannie de la section C et des mathématiques"...), la réforme annoncée (qui évacue habilement la question controversée du contrôle continu) se distingue par le fait que les candidats ajournés pourront conserver leurs notes supérieures à la moyenne pendant cinq ans ! Des candidats qui mettent cinq ans pour passer le baccalauréat, cela laisse rêveur. Mais si on veut 80 % de bacheliers, il faut bien s’en donner les moyens. M. B.
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