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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 69 - 3ème trimestre 2000
LES VERITES SUCCESSIVES D’UN ANCIEN MINISTRE LES VERITES SUCCESSIVES D’UN ANCIEN MINISTRE La publication par Claude Allègre du livre d’entretiens avec Laurent Joffrin, sous le titre Toute vérité est bonne à dire (chez Robert Laffont) constitue le testament politique de celui qui fut pendant un peu plus de trois ans chargé de l’Éducation nationale, fonction qu’il occupa de façon assez bruyante, jusqu’au moment où il fut un peu sèchement remercié par un Premier ministre qui était aussi un ami de longue date. L’éclairage apporté par l’ouvrage sur ces années de gestion ministérielle est un document essentiel qui nous permet de compléter notre information et éventuellement de réviser notre jugement. L’image que donne de lui M. Allègre est d’une espèce de météore politique qui ne fait qu’une assez brève mais notable apparition dans le personnel politique. C’est erroné : l’auteur connaît Jospin depuis 1958 dont le rapprochent ses engagements politiques. L’un et l’autre sont membres du nouveau PS depuis 1973 et jouent un rôle important dans les instances du parti. En 1988, Allègre est élu député européen mais démissionne très vite car il trouve les fonctions incompatibles avec la charge de conseiller technique du ministre de l’Education nationale, Jospin. Il a participé au calamiteux congrès de Rennes où il joue un rôle non négligeable chez les adversaires de Fabius. Cette hostilité est d’ailleurs une constante de ses attitudes politique, ce qui lui a d’ailleurs valu d’être convoqué par Mitterrand pour s’expliquer sur les complots antifabiusiens dont il était tenu pour être un animateur ! En fait, à travers des propos marginaux, il apparaît que globalement M. Allègre peut défendre des positions raisonnables. À titre d’exemple, je citerai ce qu’il dit au sujet du désamiantage de Jussieu, opération conduite sous la pression d’un petit groupe gauchiste qui a appliqué de façon aberrante le fameux principe de précaution, en partant de données de base très contestables, alors que d’autres mesures dont la santé publique serait plus bénéficiaire auraient pu être prises, par exemple, une campagne de dépistage de tumeur maligne aurait donné des résultats plus notables. Il y a donc chez ce technicien de la politique une indépendance d’esprit appréciable. Mais lorsqu’il en vient à établir son bilan à la tête du ministère, M. Allègre ne regrette rien, quant au fond. Tout au plus se repent-il de quelques maladresses d’expression. Mais, selon lui, l’affaire serait très claire, il a été sacrifié à un syndicat, le SNES auquel il avait cru pouvoir résister. C’est Mme Vuaillat qui aurait décidé de se débarrasser de ce ministre indocile qui lui barrait la route. L’objectif du SNES est de s’opposer à toute réforme, ou plus exactement, de ne les admettre que dans la stricte mesure où il en tire bénéfice pour ses adhérents ; ce qui est obtenu grâce à l’accroissement de la population scolaire, la baisse du niveau et des avantages multiples dans l’organisation de l’année scolaire. Une réforme sans contrepartie d’avantages est tenue pour un échec ; il va sans dire que des raisons strictement pédagogiques, sans prendre en considération l’intérêt des maîtres n’ont pas lieu d’être. Fort de sa victoire sur M. Bayrou qu’on a pu remettre en place après sa réforme manquée qui consistait à exiger une révision de la loi Falloux, le SNES a cru pouvoir s’imposer d’autant plus facilement à M. Allègre, beaucoup plus proche de lui politiquement. Mais, dès les premières déclarations ministérielles, force est de constater qu’il y a entre les deux parties un conflit violent. Le premier différend éclate au sujet d’un problème en apparence très secondaire : il s’agit du mode de calcul de la rémunération des heures supplémentaires annuelles ; il ne s’agit pas de la rémunération principale des professeurs mais d’une partie des indemnités pour les heures supplémentaires qu’ils effectuent. Pour " régulariser " les choses, M. Allègre décide que l’indemnité sera calculée sur 36 semaines et non plus sur 42, l’argent économisé servant alors à créer des emplois jeunes. Etaient visés essentiellement les professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles, grands consommateurs de ce type d’indemnités, mais dont M. Allègre pense qu’ils ne sont vraiment pas à plaindre. Décision radicalement maladroite car il n’était pas habile d’attaquer les intérêts de la partie la plus efficace du corps enseignant ; quant à faire appel à sa générosité puisqu’il s’agit, par ces économies, de créer des postes destinés aux chômeurs, c’est une singulière illusion sur le sens de la solidarité, même dans un public de gauche ! Mais surtout les effets de cette mesure ont été mal estimés. Son instauration devait faire perdre 100 à 200 francs par mois à certains professeurs ; en réalité pour certains il s’agit d’une réduction de plusieurs milliers de francs. Indépendamment du fait qu’aucune mesure de déflation n’est bien accueillie, cette économie sur le dos des professeurs les plus efficaces ne pouvait que produire le plus funeste effet, et comme le ministre s’enferre dans des calculs approximatifs il est soupçonné des plus noirs desseins. La bataille avec le SNES, syndicat qui n’a pas à son programme la gestion des vaches maigres à l’Education, avait commencé. La critique de l’absentéisme des enseignants devait mettre le feu aux poudres. Une déclaration imprudente dans laquelle le ministre estimait à 12% le taux d’absentéisme, nullement destinée au grand public et divulguée contre son gré, crée le scandale. Aujourd’hui son auteur persiste et signe, simplement il insiste sur le fait que ces absences sont effectivement justifiées. Mais le mal avait été fait avec la première déclaration. Les professeurs se sentent accusés de bénéficier d’un régime de vacances sans aucun doute avantageux, mais dont ils peuvent soutenir à bon droit que ce n’est pas eux qui l’ont exigé, mais qu’il a été forgé par les politiques pour répondre notamment en ce qui concerne les congés de février aux intérêts des stations de sports d’hiver. Quant aux congés individuels pour raisons de santé je ne crois pas qu’ils soient tellement abusifs ; ils sont à peu près les mêmes d’ailleurs que dans l’ensemble de la fonction publique. M. Allègre a effectué sur ce problème brûlant et qui porte à la démagogie un dérapage en présentant des chiffres vraisemblablement excessifs et en donnant l’impression de vouloir dresser le public contre les enseignants. Tous ces problèmes qui ont alimenté les conflits avec les syndicats concernent en définitive strictement l’intendance. Ils ne concernent aucunement l’organisation de l’enseignement et les contenus dont le ministre s’était dit tellement soucieux. Il semble qu’en définitive, il ait usé son énergie sur ces problèmes d’intendance, de sorte qu’on a négligé les questions de contenu et notamment les programmes. C’est sur ces questions qu’il se montre original dans son livre et tout à fait novateur. Certes, on retrouve bien la critique des programmes surchargés, notamment en matière scientifique, mais avec des arguments assez convaincants (l’enseignement se donne comme mission de suivre le développement de la recherche !), pas de sélection par les maths, etc. mais sur l’essentiel le ministre est très réticent en ce qui concerne la correction pédagogique et il est farouchement attaché au principe de la sélection, hostile en définitive au collège unique, sans se prononcer toutefois sur l’organisation qu’il faudrait mettre à sa place. Je citerai à ce sujet le passage essentiel : " les tenants du collège unique poussent parfois leur raisonnement trop loin. En caricaturant, il devrait y avoir un tronc commun jusqu’à seize ans fondé sur l’apprentissage des méthodes ... Ce mélange confus... a conduit par exemple à l’absurde suppression de l’examen d’entrée en sixième. Résultat, 15% des élèves qui entrent au collège ne savent pas lire... Un collège pour tous, c’est une idée noble et généreuse. Mais si on ne sait pas lire, écrire et compter, on ne doit pas passer au collège. On doit continuer à apprendre à lire, écrire, compter... Ce n’est pas en décrétant que 80% des élèves doivent avoir le niveau du bac qu’on résout le problème... ma position est claire. Il n’y a pas d’éducation sans savoirs, il n’y a pas d’acquisition de méthodes sans solides connaissances, pas plus qu’il n’y a d’éducation sans travail, sans contrôle, sans sanctions " (p. 203) On ne saurait qu’approuver. Mais alors pourquoi avoir unifié les filières, permis à tout élève quels que soient ses résultats le passage de classe en classe sans redoublement. J’avoue être très étonné de découvrir un ministre si hostile à tout ce qu’il a fait, alors que toutes les mesures adoptées pendant trois ans n’étaient quand même pas le résultat des pressions du SNES ! Maurice Boudot UN CONSERVATISME SANS ILLUSION, NI NOSTALGIE La publication par Bernard Kuntz du livre intitulé Prof de droite ? (Chez François-Xavier de Guibert), de façon assez provocante, malgré le point d’interrogation dont la portée dubitative reste assez limitée conduit ce responsable du principal syndicat de l’enseignement secondaire qui s’oppose à l’hégémonie de la gauche à articuler sa conception extrêmement nette et non dépourvue d’originalité. Malgré l’accumulation d’un nombre considérable d’ouvrages très récents sur l’école, Bernard Kuntz parvient à être relativement original, tant dans ses méthodes d’analyse que dans les solutions qu’il retient. Ceci nous vaudra d’ailleurs des pages particulièrement énergiques et bienvenues contre des idées fausses qui traînent pourtant fréquemment dans les programmes " libéraux " ! Si notre auteur, qui avait pourtant déjà publié, en collaboration avec le recteur Armel Pécheul, Les déshérités du savoir sur l’école parvient à être assez neuf, c’est d’abord pour avoir très clairement repéré les causes de l’échec pédagogique de la gauche. En effet le développement d’un système éducatif organiquement lié à la pensée de gauche n’est nullement l’effet du hasard : " si chaque gouvernement socialiste s’empresse d’affirmer le caractère prioritaire de l’Education nationale, ce n’est pas uniquement par démagogie, pour donner satisfaction à ses troupes. C’est aussi parce que l’idée d’une transformation de la société par l’école constitue l’un des piliers de la pensée de gauche... si l’école a pour mission de transformer la société, alors l’Etat qui la gouverne, doit par tous les moyens assumer ses orientations et son fonctionnement ". (pp. 14-15) Ceci est manifeste dès Jules Ferry qui très lucidement ne pouvait inscrire son action que dans une perspective de gauche : " la création de l’école laïque obligatoire s’inscrivait dans une logique de conquête définitive du pouvoir. En formulant le projet de l’école, la gauche ébauchait en même temps un projet de société. " (p. 16). De là le constat que l’absence d’une véritable réflexion sur l’éducation dans la pensée politique de droite n’est aucunement le fruit du hasard. Si la droite se voue à la seule gestion d’un présent régi par les nécessités de l’économie, son programme en matière pédagogique ne peut être que très modeste. Il revient à ce qu’on demande que les règles économiques ne soient pas entravées dans le domaine de l’éducation, de là les propositions courantes en la matière : chèque éducation, autonomie des établissements, privatisations. Il faut bien constater que ce programme apparemment raisonnable ne peut que heurter frontalement les convictions les plus profondes de la plupart des enseignants. La droite ne peut avoir que des avantages à ne pas se compromettre en défendant des mesures qui relèvent d’un libéralisme de pacotille en matière pédagogique, selon M. Kuntz. Malgré cet avantage considérable et encore qu’elle ait eut très longuement le pouvoir, car comme le soutient Kuntz, toutes les réformes et d’abord celle qui instaure le collège unique sont inspirées par la gauche, cette gauche n’a pas réussi. Certes le taux de population scolarisée jusqu’à seize ans a considérablement augmenté, ce qui répondait à un besoin réel. Mais on est parvenu à une situation dans laquelle il est difficile de concevoir qu’on fasse plus pour l’école. La part du PIB consacrée à l’éducation est de l’ordre de 7,4%, la durée de la scolarisation de 19 ans (contre 16,7 en 1982) ; ni l’une ni l’autre de ces données ne peuvent être sensiblement modifiées. Est-ce à dire que cet accroissement des taux de scolarisation conduise à une plus grande justice dans la répartition des compétences ? Non, puisque comme le note François Bayrou (cité p. 29) : " dans cette école de l’égalité, vos chances d’aller au terme de l’enseignement secondaire... et d’y être diplômé varient simplement, modestement de 600% ". Quant aux progrès de la culture liés à cette augmentation de la durée de scolarisation, on en peut douter quand on apprend qu’il y a entre 15 et 20% de " mal lettrés " pour reprendre une donnée liée à une classification commode due à M. Bayrou. Ces échecs de l’enseignement de masse ne sont pas tellement attribuables au collège pour tous ; tout simplement ce collège en prolongeant la scolarité donne l’occasion de les révéler. Il se peut que Bernard Kuntz soucieux de défendre l’effort pour le prolongement de la scolarité sous-estime ce qu’il peut y avoir de nocif dans une scolarité assez longue commune à tous les élèves. En fait, c’est au moment où il expose les principes du pédagogiquement correct qu’il les critique : " rien ne sert dans ces conditions de prétendre à tout prix amener la totalité des élèves au même niveau de connaissance. Rien ne sert au nom d’une prétendue égalité de leur imposer à tous le même et unique enseignement " (p.145) L’ouvrage tout entier repose sur la présentation critique d’un ensemble de préjugés couramment admis dans les discussions sur les problèmes pédagogiques. Ce sont les principes du " pédagogiquement correct " qui seront soumis à l’analyse.
Très habilement, Bernard Kuntz montre que ce sont ces principes qui règlent l’organisation de l’enseignement avec la part considérable accordée à toutes les procédures de remédiation qui tentent, assez vainement, d’éviter les conséquences de l’inégalité des aptitudes et des dons et de maintenir au moins une apparence d’uniformité dans les parcours scolaires. En fait, on aboutit à un gâchis considérable qui fait qu’un élève médiocre se trouve condamné à gaspiller un temps considérable pour n’obtenir qu’une qualification insuffisante sur le plan professionnel, alors que la reconnaissance de son insuffisante aptitude aurait permis de l’orienter différemment. Mais une étape essentielle dans la mise en œuvre de cette pédagogie niveleuse a été franchie lorsqu’on a tenté d’unifier la formation des enseignants de l’école " de base " confiée à un corps unique d’enseignants, objectif imparfaitement réalisé puisque les instituteurs ne sont pas les seuls auxquels est confiée la totalité d’une classe d’âge, mais judicieusement repris par un auteur comme Philippe Meirieu. Toute la pratique de Lionel Jospin n’empêche qu’en dépit des affirmations de principe on a pu identifier les enseignants de l’école de base aux professeurs des écoles. C’est dans ce reste de diversité, soit dans le corps enseignant, soit dans les contenus enseignés ou dans les méthodes, que s’enracinent toutes les pratiques qui autorisent l’adaptation de l’école à des élèves qui, en dépit des dogmes pédagogiques, restent inégaux par leurs dons. Mais ce système ne survit et n’évite l’échec que par l’infidélité aux principes fondamentaux sur lesquels il repose. Dans cette élaboration d’un corps dogmatique constitué de principes qui blessent l’évidence la plus commune, un pas décisif a été franchi lorsqu’on a confondu le collège pour tous, qui est effectivement souhaitable, répondant à un allongement de la scolarité exigé par l’état technique de la société, et le collège unique. C’est faute d’avoir effectué de façon assez nette cette distinction qu’on sera porté à concevoir la prolongation de la scolarité obligatoire comme l’imposition d’une même forme d’école à tous les élèves pendant une période plus longue, confusion qui ne peut qu’être profitable aux dogmes de la correction pédagogique. La distinction du collège pour tous et du collège unique n’est vraiment établie que si on met en cause le premier dogme. En la matière les incertitudes de la pensée de René Haby ont eu des conséquences catastrophiques. Le résultat, c’est ce système éducatif où, faute d’avoir su créer une école adaptée aux capacités de chacun, on soumet tous au même régime de sorte que personne n’apprend plus rien ! D’ailleurs en matière de transmission des connaissances il y a un renoncement de l’école qui au nom du sixième dogme proscrit toute transmission d’un " acquis " classique, ce qui suscite l’opposition radicale de tout un courant communément désigné sous la rubrique de " gauche républicaine " (Debray, Kintzler, Finkielkraut, Coutel) (pp. 119-120). C’est parce que la correction pédagogique impose nécessairement le renoncement à la transmission des fondements de la culture classique qu’elle sera condamnée par certains bons esprits. C’est de là que viendra la révolte qui restaurera l’image du professeur de droite. Il n’est nullement besoin d’attendre le salut d’ailleurs et notamment d’une prétendue restauration de la loi du marché à l’école. N.B. : ce texte était sur le point d’être remis à notre imprimeur, lorsqu’il m’a été donné de prendre connaissance du dialogue publié dans le Figaro magazine de Bernard Kuntz et de Philippe Meirieu. La connaissance de cet intéressant et important document ne me conduit d’aucune façon à réviser mon appréciation. M.B. ETAT DES LIEUX D’UN COLLEGE PUBLIC Avec l’aimable autorisation de l’Association rhodanienne pour la liberté de l’enseignement nous reprenons de larges extraits d’un article publié dans la lettre de l’ARLE N° 39 par un professeur de collège d’un établissement public considéré comme dans la norme. ARLE 40 Montée Saint-Barthélemy 69005 Lyon Il semblerait que les établissements scolaires ne soient plus aujourd’hui des lieux d’études où ceux qui ont envie d’apprendre, apprennent. Il s’agit d’une sorte d’association floue où n’importe qui a son mot à dire et où tous les enfants, quels que soient leurs goûts et leurs compétences doivent entrer et rester coûte que coûte et cela jusqu’à seize ans. Peu importe ce qu’ils apprennent et comment ils l’apprennent ! L’essentiel est de les garder le plus longtemps possible et de retarder leur entrée dans la vie active. Un aperçu des multiples activités proposées dans un collège de notre grande Région et qui pourrait s’intituler : " de l’art d’occuper les enfants scolarisés " est révélateur à ce sujet. Les parents attendent normalement que le collège initie les enfants aux mathématiques, à la physique, aux sciences humaines, aux langues et notamment au français, à tout ce qui fait la substance même des études. Point du tout ! Aujourd’hui ces matières n’ont pas totalement disparu (fort heureusement !), elles sont noyées dans un flot d’activités annexes bien plus attrayantes pour l’enfant parce que plus ludiques et exigeant moins d’efforts. Un élève veut-il s’initier au bridge ? Qu’à cela ne tienne ! Un club de bridge est créé et les enfants peuvent s’y inscrire. Veut-il s’intéresser à l’analyse filmique ? Il en a aussi la possibilité. Désire-t-il suivre un parcours diversifié ? (un thème commun traité par des professeurs de disciplines différentes), des professeurs sont présents pour le guider. Songe-t-il à son avenir ? Des enseignants par le biais du " projet personnel de l’élève " sont là (non préparés d’ailleurs) pour l’entourer, le conseiller, le guider dans telle ou telle direction et prendre éventuellement à sa place des décisions lourdes de conséquences. L’enfant est-il perturbé, comme peut l’être un adolescent ? Aussitôt un professeur de sciences apparaît et l’initie à la sexualité ; il en profite même, s’il s’agit d’une adolescente, pour lui parler de la contraception ou de la pilule du lendemain. Et le SIDA me direz-vous ? Il semble qu’on l’ait oublié ! Vous n’y êtes pas ! Outre l’évocation de la maladie tout au long de l’année, une journée, pas moins, est consacrée à ce qu’on appelle " le Raid Sida ", c’est-à-dire que des enfants quittent leur établissement pour une destination donnée et doivent se repérer seuls dans les rues et ruelles d’une ville pour rencontrer des responsables, capables de répondre à leurs questions. Il n’est pas rare d’ailleurs de trouver le lendemain, jonchant le sol d’une salle de classe quelques préservatifs que des élèves ont laissé traîner et qui donnent lieu à des réflexions égrillardes. L’enfant veut-il faire des échanges avec des étudiants étrangers ? Il lui suffit de s’inscrire au projet " Comenius ". Désire-t-il s’initier à l’écriture théâtrale, à la musique, à la diététique ? C’est encore possible. Tout est possible ! Certains ont même pensé à l’éduquer au triage des déchets... Autre trouvaille délicieuse, à la rentrée 1999, sous l’instigation de Mme Royal, c’est la distribution en début d’année d’un journal pour chaque élève de sixième, journal reconnu par les intéressés eux-mêmes comme " débile " avec des questions du style : " c’est votre premier jour de classe à quelle heure vous êtes-vous levé ? " Ou " si vous étiez un oiseau, quel oiseau aimeriez-vous être ? Un insecte ? une libellule ? un grillon ? un papillon ? ". Ou encore, la création d’études encadrées confiées souvent à des jeunes incompétents qui osent transmettre aux élèves des inexactitudes en mathématiques ou en langues vivantes. Quel gâchis ! Notre éducation nationale, tant admirée autrefois dans le monde entier va très mal. Le navire fissuré prend l’eau de toutes parts et l’on n’arrive pas à colmater les brèches. Les enseignants se lamentent des baisses de niveau et finissent par en rire ou par se révolter. Que dire des élèves de sixième qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter couramment ? Qui ne savent pas faire la distinction entre un substantif et un verbe, un adjectif et un nom ? Que dire des élèves de troisième qui sont incapables de conjuguer correctement un verbe du premier groupe au passé simple, de distinguer un complément d’objet direct d’un sujet inversé ? Que penser d’un élève qui passe d’une classe à l’autre, jusqu’en troisième parce que plus personne ne sait quoi lui proposer ? Le plus simple est évidemment de s’en débarrasser en le poussant vers la sortie. De son avenir on n’en a cure ! Quant à orienter un enfant, cela relève de la quadrature du cercle. Les conseils de classe ne servent pratiquement à rien puisque les professeurs n’ont aucun pouvoir de décision. Par ailleurs, diriger un enfant qui ne possède pas les bases élémentaires du savoir lire et écrire relève du miracle. Les apprentis ont eux aussi besoin de ces bases simples mais solides et du goût du travail bien fait. Or les enfants, depuis leur entrée à l’école n’ont jamais fourni le moindre effort. Tôt ou tard ils sont assurés de continuer leur cursus scolaire même s’ils en sont incapables. Là est l’échec de la nouvelle éducation nationale qui a perdu son objectif principal : apprendre l’effort, la volonté, le courage et le dépassement de soi. Il est évident que ces élèves en perdition, pendant des journées entières assis sur une chaise à écouter des professeurs leur proposer des sujets qui les indiffèrent, se sentent humiliés chaque fois un peu plus par les zéros obtenus et les critiques permanentes dont ils font l’objet. Alors arrive la violence verbale, puis physique, simple d’abord puis plus grave, comme tel élève qui a contraint un de ses camarades à manger des excréments, comme tel autre qui, désireux de se faire de l’argent de poche, a vendu au collège des pistolets à grenailles, comme tel autre enfin qui a donné un coup de poing à son professeur de mathématiques. Ce ne sont pas, à l’évidence, des éducateurs ni des " emplois jeunes " qui feront disparaître cette violence. Il faut pouvoir trouver pour ces jeunes en situation d’échec d’autres structures, capables de les accueillir afin qu’ils puissent s’épanouir et envisager un avenir à la mesure de leurs compétences. Que ceux qui nous gouvernent évitent de jeter de la poudre aux yeux avec des inventions creuses et prétentieuses qui fabriquent de l’illusion. Il serait souhaitable d’abandonner cette école à tronc commun unique sur laquelle beaucoup de non-enseignants se permettent d’agir et de conseiller. La pédagogie est un métier qui ne se réalise pas avec de bons sentiments démagogiques, mais avec une bonne dose d’objectivité, de compétences et d’honnêteté intellectuelle. Lettre N° 67 - 1er trimestre 2000
DE JACK LANG A CLAUDE ALLEGRE ET RETOUR ! DE JACK LANG A CLAUDE ALLEGRE ET RETOUR ! Rien de nouveau sous le soleil socialiste ! Nommé ministre de l’Éducation nationale après Claude Allègre, Jack Lang avait déjà occupé ce ministère pendant un an du 2 avril 1992 au 29 mars 1993. Gardant parallèlement la Culture (où il s’était illustré avec les " grands travaux " mitterrandiens), il avait succédé alors à l’Éducation à Lionel Jospin, qui avait déjà à ses côtés comme conseiller spécial chargé du supérieur, Claude Allègre. Le successeur de Jospin-Allègre C’est d’ailleurs sur un projet de réforme du supérieur, contesté par les étudiants, que le ministère Jospin était tombé. Dès le 23 avril, Jack Lang suspendait cette réforme, puis la modifiait légèrement et la faisait adopter sans problème, montrant ses aptitudes pour la diplomatie politicienne et le consensus mou. En janvier 1993, il réussissait un nouveau " coup " : il signait un accord qualifié d’" historique ", avec l’Enseignement catholique sur la formation des maîtres du privé, les alignant sur ceux du public, mettant ainsi fin à un contentieux qui durait depuis le début de la " guerre " public-privé de 1981-84. Ce fut le fameux accord Lang-Cloupet dont nous avons dit en son temps le danger pour l’ enseignement catholique. Entre-temps, Jack Lang avait dès avril 92 remanié une autre réforme Jospin, elle aussi contestée, celle des lycées. Il avait rétabli le système d’options et tenté de mettre à " égalité de dignité " voies scientifiques et littéraires. La réforme cependant a fait long feu, son successeur François Bayrou, en adoptant une autre, elle-même remaniée ensuite par Claude Allègre. Jack Lang a également pris des mesures anticipant celles du tandem Allègre-Royal : relance des ZEP " seconde génération ", développement des langues en primaire, introduction du suivi individualisé en collèges, lancement de l’idée d’internats nouveau modèle pour les enfants en difficulté de vie, lancement d’une " journée nationale des parents ", plan de modernisation de l’administration ministérielle avec début de " déconcentration ", introduction d’appelés dans les écoles préfigurant les " emplois-jeunes ". En revanche, il avait signé un accord sur la formation continue des enseignants, " une exigence et un droit ", un peu mis à mal ces dernières années faute de moyens de remplacement. En mars 1993, enfin, à quelques jours de la chute du gouvernement socialiste, il avait prévu une relance des enseignements artistiques qui n’a pu être mise en œuvre. Le successeur d’Allègre De Lang à Lang - comme de Jospin-Allègre à Allègre -, l’histoire socialiste se répète donc dans un cycle particulièrement vicieux. On peut reprendre ici ce que nous écrivions après son arrivée à la rue de Grenelle à la suite de Jospin (Lettre n° 36) : " Il n’y avait pas besoin d’être grand clerc pour prévoir que M. Lang ne voudrait pas écorner sa popularité par des réformes aussi malencontreuses et mal accueillies que celles décidées par son prédécesseur. A peine nommé à la tête de l’Éducation nationale, il annonce qu’il diffère la réforme des premiers cycles universitaires dont la seule annonce avait jeté les étudiants dans les rues et qu’il gomme les aspects les plus choquants de la " rénovation " des lycées. " Est-ce à dire que le nouveau ministre va s’engager dans une voie différente de celle choisie par son prédécesseur, qu’il fondera son action sur d’autres principes, comme l’avait fait, en apparence au moins , M. Chevènement qui s’était attiré à bon compte une popularité auprès des maîtres après l’intermède Savary-Legrand en rappelant que l’école a pour fonction de transmettre savoir et apprentissage ? Probablement non. M. Lang n’en a pas le temps, ni les moyens, et rien ne prouve qu’il en ait la volonté. " Le système mis en place au fil des années a son inertie. Comme une machine emballée, il ne peut s’arrêter. Il faudrait un extraordinaire courage politique et probablement une conjoncture autre que celle que nous connaissons pour changer notablement sa trajectoire. N’attendons rien de semblable dans l’immédiat. Tout au plus peut-on espérer qu’on différera ou atténuera les modifications institutionnelles les plus choquantes, œuvres de M. Jospin. " Les données sont aujourd’hui les mêmes : il suffit de remplacer le nom de son prédécesseur : Allègre au lieu de Jospin-Allègre. A deux ans de l’élection présidentielle, Lang ne jouera pas plus au " kamikaze " qu’il ne l’a fait entre avril 1992 et mars 1993. Sa mission est simplement de veiller à " garder " l’électorat enseignant, traditionnellement à gauche, mais dont les derniers manifestants brûlaient leur carte d’électeur en promettant à Jospin de ne pas voter pour lui s’il continuait à vouloir passer en force. Allègre et le Mammouth Allègre restera quant à lui comme un ministre atypique, quelque peu mythomane, avec certaines lueurs de lucidité et de courage dans un délire idéologique de réformes spectaculairement funestes. Si tous les ministres de l’Éducation, ou presque, depuis 68, ont connu manifestations de rue et mouvements d’enseignants ou d’étudiants, peu ont vécu ce point de non-retour où toute tentative pour relancer le dialogue était vouée à l’échec. Dans sa dernière prise de parole publique au Sénat, il a encore lancé cet avertissement : " Au-delà de la personnalité du ministre, c’est la modernisation du pays qui est en jeu... Beaucoup de réformes ont été enterrées dans l’Éducation nationale, toujours par la même méthode. " Lorsqu’il a succédé à François Bayrou, ministre très politicien, attaché au consensus mou, soupçonné même de " co-gérer " l’Éducation nationale avec le SNES (principal syndicat d’enseignants très à gauche), Claude Allègre s’est mis rapidement à dos tout ce grand monde corporatiste, parlant d’abord de " dégraisser le mammouth Éducation nationale, trop souvent traité d’Armée rouge ". Puis, il visera directement les syndicats dont il taxera les membres de " révolutionnaires du statu quo ", lançant notamment : " La cogestion avec le SNES, c’est fini ! ". Sans parler de ses sorties sur l’absentéisme des enseignants, sur l’intégrisme de la moitié des maîtres auxiliaires enseignant l’arabe, sur le " fatras " des programmes, etc. Autant de " petites phrases " plus ou moins sympathiques, mais qui en resteront au niveau des mots, la machine continuant de s’emballer et de s’engraisser dans une surenchère de réformes multiples et variées (du primaire, du collège, du lycée, de l’enseignement professionnel, de la carte scolaire...), réformes toutes désastreuses parce que demeurant avant tout dans la logique d’un étatisme incompétent et inconséquent. Un constat réaliste Il est intéressant à cet égard de constater combien ce totalitarisme touche jusqu’à l’enseignement libre à travers la réaction d’un directeur d’école sous-contrat à l’occasion d’une " information aux familles " pour la grève générale du 16 mars dernier : " La prochaine réforme des lycées, qui vient après tant d’autres, a mis le comble à l’exaspération. Non seulement elle se fait dans l’improvisation (programmes, horaires, moyens, nouvelles disciplines, délais toujours dans le flou, alors que les prévisions de rentrée sont demandées pour le 22 mars !), mais les généreux objectifs avoués (égalité des chances, parité garçons-filles dans les études scientifiques, adaptation de l’enseignement à l’entreprise, etc...) cachent en réalité une profonde misère... " Le fond du problème, auquel il n’est répondu que par des replâtrages, est que le Ministère est débordé par l’inflation des dépenses et la baisse de niveau liées aux conditions d’enseignement dans les secteurs difficiles, sans compter l’effet pernicieux de certaines théories éducatives. Les solutions imposées vont dans le sens de l’égalisation des exigences par le bas, afin que tous les élèves, sans distinction, réussissent au moins un " petit quelque chose " dont on dira qu’il correspond à un niveau " très suffisant ". C’est ainsi que l’on a bonne conscience. " Dans toutes les disciplines, à tous les degrés, poursuit ce directeur, le problème est le même : suppression du travail à la maison en primaire et utilisation de la méthode globale, passage automatique en classes supérieures, classes de latin et de grec qui ne doivent plus s’intéresser qu’au " culturel " sans apprentissage de fond de la langue, aide individualisée au détriment de l’horaire global, géométrie vectorielle supprimée en seconde, suppression de la dissertation exercice trop élitiste, etc. Et de conclure : " L’hétérogénéité des classes sans seuil de limites maximum ou le mélange des niveaux sans contrôle des effectifs ne peut qu’accentuer problèmes et malaises. C’est toujours ainsi que les choses se passent quand on s’interroge sur les conséquences sans le faire sur les causes. " La malédiction du Mammouth Si toutes les réformes, depuis des années, ont été enterrées ou ont tourné en eau de boudin, c’est bien aussi pour cette raison essentielle et non pas seulement à cause de la " méthode " dénoncée (ci-dessus) par Allègre. Loin de s’attaquer aux racines profondes du mal, on s’en est toujours pris à ses effets, dans une " logique de prothèse ", sans doute bien intentionnée, mais incapable d’assouplir les membres sclérosés du Mammouth. Que reste-t-il du long passage de François Bayrou à l’Éducation nationale ? Que reste-t-il et que restera-t-il des réformes Allègre eu égard aux ambitions utopiques affichées au départ avec l’aide du fameux rapport Meirieu (Lettre n° 63) ? Que reste-t-il déjà du projet de rénovation du collège présenté l’an dernier par Ségolène Royal (alors ministre délégué à l’enseignement scolaire), qui visait notamment à " prendre en compte la diversité des élèves, aiguiser l’appétit d’apprendre et améliorer la qualité de la vie à l’intérieur des établissements " ? Cela fait tristement sourire dans le contexte barbare qui règne actuellement dans tant d’écoles, surtout lorsqu’on entend " la " ministre expliquer gravement ce point rousseauiste de " sa " réforme qu’elle jugeait sans doute capitale : « Je souhaite que tous les mots qui peuvent marquer un élève - passable, médiocre, etc. - disparaissent des bulletins trimestriels au profit de commentaires constructifs, qui mettent l’accent sur les défauts mais aussi la qualité et les compétences de chaque élève. » Peu importe au demeurant le contenu de ces réformes au départ comme à l’arrivée. Car derrière le concept de lycée light par exemple (allégement des programmes, réduction d’horaires, suivi individualisé...) demeure intrinsèquement la lourdeur graisseuse du Mammouth qui rend dérisoire toute velléité de changement (en son sein). Et fait même que le monstre s’enlise toujours davantage dans les sables mouvants des réformes ministérielles crachant de plus en plus d’illettrés, de délinquants et de chômeurs, bref de " mal-appris " selon le mot de Bayrou. C’est la logique infernale qui, de plan Chevènement en plan Jospin-Allègre et de plan Bayrou en plan Allègre (pour ne parler que des derniers), nous conduit à l’échec scolaire toujours plus cuisant de la " Déséducation nationale ", chantier permanent de Pénélope, dont on mesure depuis des lustres les vertus d’autodestruction ! Chaque ministre est condamné ainsi à pousser inutilement " sa " réforme au sommet de son mandat, comme le boulet de Sisyphe dont on sait qu’il retombera inévitablement . Chaque ministre doit ainsi recommencer sans fin cette comédie de la réforme inédite et inutile : c’est la malédiction du Mammouth ! De réforme en réforme, elle l’engraisse toujours plus dans l’obésité suicidaire et la mène au malheur. Et si après l’égalité on essayait la liberté ? Comme les papillons reviennent se brûler aux ampoules électriques qui les attirent, tous les soi-disant réformateurs de l’Éducation nationale reviennent lamentablement échouer sur les mythes idéologiques de l’étatisme, de l’intégration et de l’égalité scolaires. Incapables d’avouer, de reconnaître, de discerner et combattre les causes majeures de l’échec tenace de l’Institution, de son diabète à haut risque. De l’autre côté, parents et professeurs s’en prennent à ces Sisyphes successifs et à leurs réformes-placebos, en réclamant toujours plus de moyens en personnels et en argent, comme des diabétiques qui se révolteraient contre un traitement, non parce qu’il est ridiculement inadapté ou hors-sujet, mais parce qu’il tente quelquefois (maladroitement) de diminuer leur sucre ! C’est le cercle vicieux entretenu par les ministres et les syndicats depuis des décennies, qui exclut systématiquement l’hypothèse et l’expérience de la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire l’affranchissement de l’école du syndicalisme, du pédagogisme, du freudisme, de la marxisation, etc. pour lequel nous combattons.
Lettre N° 66 - 4ème trimestre 1999
MAIS QUE DEVIENT L’ECOLE CATHOLIQUE ? MAIS QUE DEVIENT L’ÉCOLE CATHOLIQUE ? Le passage à l’an 2000 a donné lieu évidemment à toutes sortes de fantaisies et de vaticinations diverses. Le côté positif de la chose est de constater que nos concitoyens se rendent compte qu’une étape importante de notre civilisation est en cause. Plus ou moins confusément, en effet, beaucoup s’interrogent sur l’avenir et, du coup, sur ce que deviendront leurs enfants. L’avenir de la civilisation chrétienne est en jeu Malgré l’attitude lénifiante du pouvoir en place, les problèmes de l’éducation se posent chaque jour avec plus d’insistance. Les résultats médiocres, pour ne pas dire désastreux, de l’Éducation nationale apparaissent aux yeux des principaux intéressés, c’est-à-dire des parents, et tous ont le sentiment qu’il faut agir, et vite, pour éviter de sacrifier une génération et, à sa suite logique, toute notre civilisation. Même sans le dire, ceux qui s’inquiètent ainsi ressentent que c’est bel et bien la civilisation chrétienne qui est en cause, celle qui a façonné notre monde occidental depuis 2000 ans. Pour les parents chrétiens, se pose plus fortement encore la question de savoir ce que devient l’école à laquelle ils confient l’éducation de leurs enfants et qui porte le nom de "catholique". Ils constatent que, depuis une vingtaine d’années, l’école qu’ils avaient choisie parce que catholique s’est transformée sans le dire en une simple école privée offrant au mieux des cours de catéchèse au contenu plus ou moins respectueux de la doctrine de l’Église et bien souvent facultatifs. Avant d’analyser les raisons de cette décadence et de poser les conditions de la renaissance de cette école, il faut bien voir que tous nos concitoyens, et pas seulement les catholiques, sont concernés par la question. Ne sommes-nous pas tous héritiers d’une même culture chrétienne et n’est-ce pas cette communauté dans l’héritage, voulu ou accepté, qui a généré la France ? Au moment où il est devenu à la mode de déplorer les pertes de repères de nos jeunes, sans d’ailleurs chercher vraiment à y remédier, les principes sur lesquels repose la véritable école catholique ne sont-ils pas les meilleurs garants du chemin à suivre pour notre humanité ? Si les lois du Décalogue, renouvelées par l’Evangile, étaient connues et appliquées, qu’aurait-on à faire des fameux droits de l’homme, de l’enfant, puis aujourd’hui de la femme ? Or, en matière d’éducation catholique, la référence essentielle est d’autant plus accessible qu’il ne s’agit pas seulement de concepts philosophiques, mais d’une personne, le Christ, qui est intervenu dans l’histoire de l’homme il y a 2000 ans pour laisser son message inouï : "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie". Dans ce contexte, le mot "éducation" qui signifie "conduire vers" prend son sens le plus entier. L’école catholique est-elle fidèle à sa mission ? Pour les catholiques, il est donc encore plus regrettable de devoir constater la situation actuelle largement laïcisée de leur école. Comme explication, certains invoquent la loi Debré de 1959 qui aurait accordé par contrat à cette école ses moyens financiers d’existence en échange de l’abandon de son caractère propre catholique. N’en déplaise à ceux qui propagent cette thèse - et ils sont nombreux, hélas, même au sein de l’enseignement catholique - cela est entièrement faux comme l’atteste la présence d’établissements qui ont su garder leur caractère authentiquement catholique tout en étant sous contrat. La vérité, plus cruelle, oblige à dire que le mal n’est pas venu de contraintes extérieures à l’institution, légales ou autres, mais de l’intérieur même de l’enseignement catholique où, sous des formes diverses et jour après jour, la spécificité qui distinguait l’école catholique de l’école publique et laïque, et aussi de l’école simplement privée, s’est complètement délitée. Si l’on s’interroge sérieusement sur les causes de cette dérive, il faut citer en premier lieu le déclin de la foi et de la religion catholiques dans notre pays où, outre la diminution du nombre des croyants, on constate chez beaucoup de ceux qui se déclarent catholiques une propension à inventer leur foi, leur religion et leurs rites personnels sans guère se soucier des règles de l’Église ; il est normal que les milieux de l’enseignement catholique n’aient pas été épargnés par cette tendance générale. La deuxième cause, étrange à beaucoup d’égards, réside dans l’attitude des responsables de l’Enseignement catholique qui, dès le lendemain de la manifestation nationale du 24 juin 1984 à Paris, se sont montrés nettement plus attachés à démontrer leur concours diligent au service de l’Éducation nationale qu’à conserver à leurs écoles leur spécificité catholique. On se souvient à ce propos de l’acceptation complaisante des lois Joxe-Chevènement et surtout des accords Cloupet-Lang, désastreux sur le plan financier et davantage encore dans le domaine du caractère propre puisqu’ils avaient pour but de confier à l’État laïque la formation des maîtres. Or, personne ne contestant que l’enseignement catholique qui scolarise plus d’un élève sur cinq - et dans de bonnes conditions de résultats - participe largement et loyalement à l’éducation des jeunes Français, l’attitude des responsables n’en apparaît que plus surprenante. Plus étrange encore est de constater qu’ils n’ont jamais exigé, en contrepartie de leurs abandons successifs, ni l’attribution des moyens financiers prévus par la loi, ni le droit d’intervenir en tant que partenaires dans l’élaboration des programmes scolaires même les plus sensibles comme celui de l’éducation sexuelle, si bien que penser aujourd’hui qu’ils vont aller jusqu’à accepter, à l’instar du service public, la distribution de la "pilule du lendemain" dans les écoles de l’Église n’est réellement pas leur faire un procès d’intention... Conséquent avec son obsession d’être avant tout partie prenante du service national de l’Education, l’Enseignement catholique s’est évertué à ouvrir les portes de ses écoles aux enseignants, aux parents et aux élèves, non seulement sans s’inquiéter de ce que ceux-ci venaient y chercher, mais encore avec le souci d’atténuer le caractère catholique pour paraître encore plus accueillant. Cette émulation quantitative avec un service public laïque, alors même que la clientèle authentiquement catholique se réduisait en nombre et en convictions, ne pouvait évidemment conduire qu’à l’assimilation que nous déplorons aujourd’hui. En bref, après avoir accepté la formation des maîtres dans les I.U.F.M d’inspiration marxiste et après avoir plus récemment sollicité de l’État la quasi-fonctionnarisation de ces mêmes maîtres, les responsables de l’Enseignement catholique ne sont pas loin d’avoir tout bonnement appliqué de leur propre chef ce que M. Savary avait vainement tenté d’imposer en 1984. En tout cas, pour les parents catholiques qui sont les observateurs les plus concernés et donc les meilleurs juges en la matière, il est clair que peu d’écoles répondent aujourd’hui à la définition du caractère propre posée par le Concile et qui consiste à "(...) ordonner toute la culture humaine à l’annonce du salut de telle sorte que la connaissance graduelle que les élèves acquièrent du monde, de la vie et de l’homme, soit illuminée par la foi". De fait, dans la plupart des établissements, c’est la notion même, pourtant canonique, de l’appartenance aux institutions de l’Église qui semble avoir disparu. Des raisons d’espérer Alors, faut-il désespérer ? Non évidemment pour le catholique pour qui l’espérance est une vertu théologale, mais aussi pour celui qui est peut-être simplement à la recherche d’une route dont il sait qu’elle aboutit autre part qu’au néant. Aux deux, les évêques français ont fourni en 1992 les raisons de l’espoir. En effet, lorsqu’il a fallu procéder à cette époque à la révision des statuts de l’enseignement catholique, la Conférence épiscopale réunie à Lourdes prenant la mesure de cette perte de substance du caractère propre de l’école a imposé à ces statuts un Préambule magistral. Ce document promulgué le 14 mai 1992 par la Conférence réaffirme clairement le principe du caractère ecclésial de l’école catholique et pose les conditions de son renouveau en faisant appel, entres autres, aux définitions du dernier Concile et de la Congrégation romaine pour l’Éducation catholique. Il est évidemment impossible ici de faire l’analyse complète de ce Préambule, non pas du fait de sa longueur d’à peine quatre pages, mais plutôt de l’étendue et de la profondeur de l’aggiornamento qu’il prescrit. Si l’on en compare le contenu à ce que tous les observateurs de bonne foi constatent sur le terrain au sein de l’école catholique d’aujourd’hui, le document représente une demande instante et précise de conversion qui pourrait être ainsi résumée : "École catholique, deviens ce que tu es ! " Et, de fait, se référant notamment au droit canonique, la Conférence appelle tout simplement l’école à respecter l’esprit et les règles de l’institution. Une phrase doit particulièrement retenir l’attention dans le contexte de cet exposé : sous le titre "Service de la Nation", on peut lire " l’Enseignement Catholique se veut ouvert à tous ceux qui acceptent son projet éducatif ". C’est bien la première fois depuis 20 ans que des responsables de l’école catholique ont le courage de préciser que si cette école offre effectivement un accès à tous, cette ouverture impose préalablement à ceux qui veulent y entrer, enseignants, parents et élèves, d’avoir accepté le caractère propre catholique de l’établissement. Le projet éducatif visé par la Conférence et explicité par elle dans le Préambule représente, en effet, l’application pratique de ce que prescrit l'Église pour qu’une école puisse être appelée catholique : fondé sur "la mission même de l’Église", on doit y trouver "fusionnées harmonieusement la foi, la culture, la vie..." ; obligatoire, il doit être présenté à chacun avant toute décision d’entrée dans l’établissement et tous doivent le respecter. C’est bien là que naît l’espérance : finie l’absence de projet éducatif, finies les rédactions délibérément vagues de projets "éclairés" (?) par "les valeurs de l’homme" (?) ou autres formules n’engageant à rien. Enfin, la situation est claire : l’École catholique doit être choisie pour ce qu’elle est ; ce n’est pas à elle à se laïciser pour pouvoir convenir à notre monde déchristianisé. Le vrai problème reste de savoir si ce Préambule, âgé maintenant de 7 ans, a été suffisamment pris au sérieux par l’institution et s’il est réellement en cours d’application. Ceci est un autre débat. Jean Proudhon Jean Proudhon, administrateur d’Enseignement et Liberté, est président de l’association MISSION POUR L’ECOLE CATHOLIQUE. Il est l’auteur de L’école catholique, une chance pour le troisième millénaire. Cet ouvrage peut nous être commandé au prix de 139 F franco.
Il avait tous les dons. Sa réussite fut exemplaire. Diplomate, homme d’État, historien, penseur politique, journaliste. On n’oubliera jamais ses livres, Le mal français, Les chevaux du lac Ladoga et tout ceux qu’il consacra, et avec quel talent, à la Chine depuis Quand la Chine s’éveillera. Membre de l’Académie française à cinquante-trois ans, élu plus tard (1987) à l’Académie des sciences morales et politiques. Une facilité déconcertante, un excessif goût du travail bien fait, une jeunesse durable, un goût apparent de la vie. De sa carrière politique, il avait su tirer des leçons, ce que d’autres, avant lui, n’avaient pas su faire. Les deux volumes de C’était De Gaulle montraient un observateur subtil mais aussi un penseur souvent sévère. Derrière toutes ces façades brillantes, il y avait l’homme. L’homme inquiet de l’avenir du monde, l’homme sensible et secret. Son plus grand livre fut peut-être La société de confiance où il s’avère le successeur de Rousseau et de Tocqueville et qui cherche une clef du sort des sociétés. Tout s’est passé, dans ces derniers mois, comme s’il s’était fixé un délai. Celui de terminer le troisième volume de C’était De Gaulle et d’achever la préparation du spectacle qu’il avait conçu avec Alain Decaux, L’homme qui a dit non. Il assista aux premières représentations. Nous savons tous que son courage égalait son sens de la destinée, sa pudeur et sa confiance dans ce qui élève l’homme. Roland Drago La Fédération internationale pour la défense des valeurs humaines fondamentales a organisé un colloque, le 27 octobre, à Paris, sur ce thème. Un document rassemblant l’essentiel des interventions de cette journée est disponible au prix de 50 francs, en s’adressant à : FIVA 36 rue Boileau 75016 Paris. Tél et fax : 01 46 51 63 36
Lettre N° 65 - 3ème trimestre 1999 (2)
L’ÉCHEC EN LECTURE Comme lors de chaque rentrée scolaire, nos Ministres associés nous présentent leurs objectifs pour l’année qui s’ouvre. Y figure en bonne place la volonté de lutter contre l’échec, en particulier en lecture. Il s’agit là, en effet, d’une priorité nationale car, si 80% des élèves obtiennent leur Baccalauréat, cela n’empêche pas la moitié d’entre eux d’être des illettrés. M. JOSPIN l’avait lui-même clairement reconnu lorsqu’il était Ministre de l’Éducation Nationale. Il écrivait alors que "moins d’un élève sur deux arrive au Collège avec une maîtrise suffisante de la lecture" 1 La situation ne s’est guère améliorée depuis. En effet, en décembre 1997 2 le Directeur de l’Évaluation et de la Prospective annonçait que 62% des élèves de 6ème soumis aux évaluations de septembre ne savaient pas lire correctement et précisait que, parmi eux, 10% ne lisaient rien et 50% lisaient sans pouvoir utiliser les consignes contenues dans le texte. Mme ROYAL en septembre 1998, lors des "États Généraux de la lecture", nous apprit que 20,7% des élèves de 6ème ne maîtrisaient pas suffisamment les "compétences de base", sans autre indication. Cette imprécision entraîna des interrogations sur l’importance réelle du désastre qui firent dire, semble-t-il, à un proche collaborateur des Ministres qu’il serait certainement plus simple de ne pas publier dans l’avenir les résultats des évaluations. Il va donc devenir difficile de situer le Français sur l’échiquier des connaissances en ce domaine d’autant plus que notre pays refuse de participer aux travaux de l’OCDE sur cette question qui l’irrite. Absente du rapport de 1997, la France en 1995, sous le ministère de M. BAYROU , quitta l’évaluation entreprise juste avant la publication des résultats. Les mauvaises langues - mais faut-il les croire ? - prétendirent que la France se classait à l’avant-dernière place des pays participants avec 40% de Français ne maîtrisant pas suffisamment l’écrit pour s’intégrer dans la vie socioprofessionnelle, score évidemment peu glorieux. Quelle que soit la valeur que l’on accorde aux chiffres, la triste réalité est là : un nombre considérable de familles constatent que leurs enfants lisent mal, écrivent mal, n’ont aucune notion de l’orthographe et sont incapables de faire preuve de rigueur et de méthode dans l’exécution d’un travail. Si cette situation est plus fréquente dans les milieux défavorisés, elle sévit à tous les niveaux de la pyramide sociale. Comme de la peste au Moyen Âge, personne n’est à l’abri du fléau. La responsabilité des pédagogies. La raison en est simple. Les pédagogies mises en œuvre pour apprendre à lire aux enfants condamnent à l’échec 50% d’entre eux, indépendamment de tout déficit intellectuel. Il est possible désormais, grâce aux progrès des technologies non invasives de l’imagerie médicale, de savoir comment le cerveau opère pour apprendre à lire. Les conclusions que l’on peut tirer de ces travaux démontrent, que cela plaise ou non aux grands maîtres de la pédagogie contemporaine, que seules les méthodes de type alphabétique sont conformes aux exigences du fonctionnement cérébral. On peut dire aujourd’hui que la science justifie le bon sens. En effet, si l’on ne fournit pas à l’enfant la connaissance du lien qui unit les graphismes de sa langue aux sons qu’ils représentent, il devra impérativement le découvrir seul pour pouvoir intégrer les éléments identifiés dans des ensembles sémantiques porteurs de sens. Il lui est impossible d’opérer autrement car le cerveau ne peut pas traiter le mot comme une image. Il ne sait pas retenir la forme d’un mot dans son entier. Il n’est pas possible de développer ici cette question mais il faut savoir que ce mécanisme de base qui conduit à l’assemblage de signes graphiques et d’unités sonores élémentaires est identique dans toutes les langues quelles soient phonogrammiques, comme les langues alphabétiques, ou idéogrammiques. La moitié environ des enfants en âge d’apprendre à lire sont capables de réussir cet assemblage complexe sans aide et apprendront donc à lire quelle que soit la méthode utilisée mais les autres commettront de multiples erreurs dans ce travail d’apprentissage du code de la langue qui leur interdiront de lire correctement ou de comprendre ce qu’ils lisent. Mais quelles sont donc ces pédagogies destructrices ? Toutes les méthodes d’apprentissage qui partent de textes ou de phrases abordés dans leur ensemble, même si elles aboutissent ultérieurement à l’apprentissage des lettres et des syllabes, représentent un danger majeur car elles contraignent le cerveau à découvrir seul la manière dont il faut découper et associer les éléments de base sonores et graphiques de sa langue. Or, contrairement à ce que l’on croit trop souvent, les pédagogies d’inspiration globale sont pratiquement lesseules utilisées actuellement dans l’enseignement Public etl’Enseignement Privé sous contrat d’association. Une totale désinformation règne sur ce point et doit être impérativement combattue. La méthode semi-globale est présentée comme une pédagogie distincte de la globale offrant sur elle l’avantage de réintroduire l’apprentissage des lettres et des syllabes. Il s’agit là soit d’un véritable abus de confiance intellectuel soit d’une méconnaissance totale des règles élémentaires du fonctionnement cérébral. En effet, les méthodes semiglobales débutent toutes par une approche globale pendant un temps plus ou moins long avant d’introduire la découverte des lettres. Ce parcours, inversé par rapport aux attentes du cerveau, tire tout son danger du fait que si l’enfant doit commettre des confusions de sons et de lettres, celles-ci surviendront dès le début de l’apprentissage. Quelques semaines de globale sont aussi dangereuses pour les sujets à risques que l’usage prolongé d’une méthode globale pure. Quant à la dernière née des méthodes dites "rénovées", appelée "lecture par hypothèses", sa démarche pédagogique présente des caractéristiques qui méritent d’être connues. Placé dès le début de l’apprentissage devant un texte l’enfant doit en "construire le sens". Une phrase d’un document émanant de conseillers pédagogiques éminents en traduit bien l’esprit : "L’important n’est pas de "deviner" juste, mais de se mettre l’esprit aux aguets, d’avoir des attentes à l’égard du texte que l’on va découvrir" 3. Pour répondre à ces "attentes", il faut en effet "découvrir" le sens des mots en les comparant à d’autres déjà rencontrés et peu à peu trouver le code qui permettra de "deviner" les mots inconnus. On imagine sans peine le désarroi de ces 50% d’enfants strictement "normaux" qui rentrent en C.P. avec des difficultés pour identifier les sons, reconnaître les formes et les orienter dans l’espace. Cette pédagogie surréaliste, authentiquement globale, présentée comme la quintessence de la prise en compte de "la dimension affective du langage" a été adoptée par un grand nombre d’enseignants. Elle a même souvent supplanté la maintenant très classique "semiglobale" et, fait particulièrement grave, nombreux sont les maîtres qui croient naïvement utiliser une méthode alphabétique parce qu’ils reviennent à un moment ou l’autre de l’apprentissage à la notion de lettres et de syllabes ! On comprend ainsi pourquoi tant d’enfants sont, dès leur entrée au C.P., condamnés à rejoindre le camp des illettrés. Ce ne sont pas les divers psychothérapeutes vers lesquels ils seront majoritairement dirigés qui changeront quoi que ce soit à cette situation. Tout juste pourront-ils les aider à minimiser les conséquences de leur échec et mieux l’accepter mais est-ce vraiment le but à atteindre ? Les solutions. Il est possible, si on le veut vraiment, d’arrêter aujourd’hui ce massacre des Innocents. Mais il faudrait pour cela que l’Éducation Nationale cesse de camper sur ses certitudes, qu’elle accepte de s’ouvrir aux connaissances de son époque et qu’elle cherche à comprendre non seulement comment l’homme réagit aux stimulations sociales mais aussi comment son cerveau procède pour apprendre. C’est apparemment trop lui demander. Seules l’intéressent actuellement les conclusions des linguistes et des psychosociologues. Cette situation d’isolement du monde enseignant qui vit dans un univers hermétiquement clos n’est pas propre à notre pays. Aux États-Unis où les difficultés d’apprentissage de l’écrit sont considérées comme un problème de santé publique, les chercheurs se demandent comment procéder pour que leurs travaux soient enfin pris en considération par les pédagogues. Pourtant un espoir nous vient de Californie qui après 10 ans d’utilisation généralisée des pédagogies dites "rénovées" a constaté qu’elle arrivait en dernière position dans le classement des États de l’Union en matière de maîtrise de l’écrit. L’organe législatif décida alors d’inciter les enseignants à abandonner ces pédagogies du "whole language" et de privilégier l’apprentissage alphabétique. C’est bien en effet au Législateur d’agir en ce domaine. Il n’est pas acceptable que l’Éducation Nationale qui absorbe à elle seule un budget qui représente la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu, exclue, à cause de son ignorance ou de son idéologie, la moitié des élèves qui lui sont confiés et fasse ensuite payer ses échecs à la Sécurité Sociale qui rembourse des prestations d’orthophonie et de psychothérapies qu’un apprentissage correct de la lecture aurait permis d’éviter. Certes, les faits sont têtus et les réalités finissent un jour par s’imposer mais combien de générations faudra-t-il encore sacrifier avant de vaincre l’obscurantisme ? Enseignement et Liberté ne peut rester muette devant cette situation et demande à toutes celles et tous ceux qui peuvent apporter leurs connaissances, leur expérience ou leur témoignage en ce domaine de participer au groupe de travail qu’elle organise sur ce sujet. Drame personnel et problème de société, l’échec en lecture ne sera pas vaincu par affrontement direct avec un "mammouth" que les flèches n’atteignent pas mais par l’information qui, peu à peu, fera son chemin. Les édifices ne s’écroulent que lorsqu’ils sont profondément lézardés. A nous d’aider le temps à faire son œuvre. Dr Ghislaine WETTSTEIN-BADOUR NOUVELLES DE L’ASSOCIATION Lors de sa réunion du 9 juin dernier, le conseil d’administration d’Enseignement et Liberté a coopté deux nouveaux membres :
Leur nomination sera soumise à la ratification de la prochaine assemblée générale. Leurs ouvrages peuvent nous être commandés au prix de 139 francs franco chacun. Le conseil a en outre décidé :
1 Rapport accompagnant la loi d’orientation du 10 juillet 1989 Lettre N° 64 - 2ème trimestre 1999
ATTALI ET L’AVENIR DES GRANDES ECOLES ET DES CLASSES PREPARATOIRES LE RAPPORT ATTALI ET L’AVENIR DES GRANDES ECOLES ET DES CLASSES PREPARATOIRES Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, je suis très honoré d’avoir été appelé à prendre la parole devant vous. Le thème qui m’a été proposé est " Le rapport Attali et l’avenir des grandes écoles et des classes préparatoires " . Je voudrais d’abord vous rappeler un certain nombre de données concernant les grandes écoles, après m’être présenté. J’appartiens au Corps des mines, mais j’ai fait l’essentiel de ma carrière dans l’enseignement supérieur et la recherche, dans un cadre un peu particulier qui relève du ministère de l’Industrie. J’ai commencé par passer quinze ans à l’école des mines de Saint-Étienne et, depuis longtemps déjà, je suis à l’école des mines de Paris. L’école des mines de Paris a contribué à mettre sur pied une association qui s’appelle la Conférence des grandes écoles. Elle joue, je crois, un rôle assez important et a la particularité d’avoir 50% de ses membres seulement qui appartiennent au ministère de l’Éducation nationale. C’est un groupe qui permet d’avoir une bonne vision de ce qu’est l’enseignement supérieur technique et de gestion dans le pays et qui, en même temps, de par sa position un petit peu indépendante, a une liberté de parole que d’autres n’ont peut-être pas Quelques mots d’abord sur les grandes écoles, puisque l’on en parle beaucoup, en particulier dans le rapport Attali. C’est un terme qui recouvre une réalité qui n’est pas bien connue et qui évoque, en général, des institutions emblématiques qui sont l’École polytechnique, l’École nationale d’administration et l’École normale supérieure ou HEC. Mais, en dehors de ce champ de vision, dans lequel entrent peut-être aussi les écoles d’application de l’X, le terme grandes écoles n’évoque pas vraiment ce qui correspond à la réalité. Je conviendrai sans difficulté que ces écoles emblématiques jouent un rôle très particulier et que c’est pour cette raison que ce sont elles qui sont attaquées le plus fréquemment, mais il faut savoir que derrière il y a tout un ensemble d’établissements qui ont des caractéristiques intéressantes. Historiquement, ces écoles étaient des écoles professionnelles qui se sont développées à partir du XVIIIe siècle puisque l’École des ponts et chaussées a été créée en 1747 et celle des mines de Paris en 1783. Cette notion d écoles professionnelles de haut niveau, appelées à fournir à l’industrie des cadres supérieurs, est antérieure à la Révolution et correspond à une réalité économique et au fait que les établissements d’enseignement qui existaient à l’époque n’avaient pas pour vocation de former des professionnels. Dans les statuts de l’école des mines de Paris, la mission de l’école consistait à cette époque à fournir des cadres à l’industrie minière et dans l’arrêt du roi du 19 mars 1783, figure une expression que j’aime beaucoup qui est la mission de cet établissement de fournir à l’industrie minière des " directeurs intelligents ". Je reprends à mon compte cette mission que je crois d’une grande modernité. Les écoles se sont développées au XIXe siècle et il y a eu une mutation assez sensible de la mission vers la formation d’ingénieurs disciplinaires : chimistes, électroniciens, de nos jours informaticiens. Le grand mouvement de création des écoles date de la fin du XIXe siècle. L’École centrale a été créée en 1829, avec une mission que je trouve aussi assez jolie qui consiste à fournir " des médecins des ateliers et des fabriques " . C’est différent de l’École des ponts et chaussées ou de celle des mines de Paris mais c’est aussi, une manière très imagée de dire ce que font les ingénieurs, l’idée de l’École centrale étant de fournir des ingénieurs à l’industrie privée alors que les autres écoles étaient en lien très étroit avec les services de l’État. Je vais insister sur ce point de la relation avec l’État. Il est tout à fait clair, toutes les analyses conduisent à cette conclusion, que le prestige associé aux formations d’ingénieurs est une conséquence du lien qu’a établi l’École polytechnique entre la formation d’ingénieurs et l’accès à des postes de haut niveau dans l’appareil de l’État. C’est lié à la structure de la société française. Ce prestige résulte en partie du fait que l’entrée dans ces établissements relève d’un concours, la notion de concours étant elle consécutive à la Révolution et étant devenue d’ailleurs une modalité fondamentale d’accès à la fonction publique, ce que je crois personnellement tout à fait essentiel dans le fonctionnement de la République. Le prestige en question a rejailli sur l’ensemble des écoles et l’on peut constater que, à l’heure actuelle, dans la plupart, si ce n’est la totalité, des pays industrialisés le nombre des étudiants candidats à des études scientifiques et à des études d’ingénieur a diminué drastiquement, depuis cinq ans, à l’exception de la France. Ce n’est pas que la technologie ou la science soient véritablement plus populaires en France qu’ailleurs, mais le fait de faire des études d’ingénieurs, des études scientifiques prédispose à avoir un statut social enviable. Donc, de ce point de vue, comme je pense aussi que la possession d’un bon potentiel scientifique et technique est importante pour un pays, je pense que le système est plutôt un atout pour la France. À l’heure actuelle, en 1998, il y a un peu plus de 200 formations d’ingénieurs qui sont habilitées par la commission des titres d’ingénieurs, selon une procédure qui consiste à soumettre le dossier pour expertise et avis à la commission des titres, la décision revenant pour le secteur public au ministre de l’éducation nationale. Ceci ne veut pas dire qu’il y ait plus de 200 établissements car certains, dont le mien, délivrent plusieurs diplômes d’ingénieurs. Depuis 1989 où le président de la République avait annoncé, au cours d’une allocution dans un collège d’Evry, que le nombre des diplômés ingénieurs serait doublé d’ici à 1997, ce doublement a été pratiquement acquis grâce à la création massive d’une part d’écoles d’ingénieurs dans les universités, soit sous forme d’établissements avec une relative autonomie, soit simplement des unités d’enseignement et de recherche avec quelques dérogations et également par la création et l’ouverture d’écoles privées qui ont apporté une contribution très sensible au nombre des diplômés ingénieurs en France. Nous avons un petit peu brouillé les cartes en créant cette association, la Conférence des grandes écoles, puisque bien entendu il nous a fallu trouver une définition des grandes écoles. Il est bien évident qu’une admission sur la base du prestige et de la réputation pose quelques petits problèmes même si cette dimension n’est pas du tout absente des procédures d’admission à l’association. Nous avons insisté sur des éléments structuraux. Le premier est l’autonomie de l’établissement, avec un budget bien identifié, car il est bien évident, comme le montre l’expérience d’universités étrangères où il y a des départements d’ingénierie, que lorsqu’il faut discuter le budget d’une formation d’ingénieurs et le comparer au budget d’une formation de germanistes, la lutte est inégale, car, de toute façon les études d’ingénieur coûtent très cher, beaucoup plus cher, en tout cas, que celles de bien d’autres disciplines. Le fait d’avoir un budget bien identifié est, pour nous, important, car, sans budget, on ne peut pas assurer une qualité de l’enseignement suffisante. D’ailleurs c’est aussi un critère retenu par la commission des titres d’ingénieurs pour donner son habilitation. Le deuxième critère est d’avoir une taille suffisante. En effet il y avait des écoles qui avaient des effectifs très faibles. Nous avons fixé un minimum qui est de 50 élèves par an, ce qui est encore un peu de l’homéopathie. Troisième caractéristique, il faut que le directeur soit nommé et non pas élu par ses pairs. Cela nous paraît très important dans la mesure où une école d’ingénieurs est un établissement qui doit avoir des relations très actives avec l’extérieur et en particulier avec des partenaires industriels. Il faut que l’on puisse identifier un responsable capable de faire passer un certain nombre de messages dans son institution. Enfin, et c’est l’essentiel, le recrutement doit se faire sur une base de numerus clausus. Il y a un certain nombre de places disponibles et le recrutement se fait au mérite sur la base de concours, d’examens, avec plus de candidats que de places offertes d’où une certaine sélection. Il y a actuellement à la Conférence des grandes écoles cent trente écoles d’ingénieurs et trente écoles de gestion. Sur ces cent trente écoles d’ingénieurs, à peu près quatre-vingt relèvent du ministère de l’Education nationale, et sont d’ailleurs regroupées dans une conférence interne au ministère qui s’appelle la CEDEFI. Il y a à peu près une trentaine d’écoles publiques qui ne dépendent pas du ministère de l’Education nationale mais de ministères techniques tels que la Défense, l’Industrie, l’Agriculture et, naguère, les Télécommunications. Il se trouve d’ailleurs que la plupart des école les plus prestigieuses sont dans ce groupe. Incidemment, M. Allègre avait manifesté, de manière très active, le souhait d’avoir au moins la cotutelle de l’ensemble des établissements publics d’enseignement supérieur. Il n’a pas obtenu cette cotutelle, mais simplement d’être associé à la tutelle de ces établissements, sachant d’ailleurs que, d’une manière générale, les établissements en cotutelle ont beaucoup de mal à fonctionner. Quant aux écoles de commerce, la plupart sont des écoles privées ou semi-privées dépendant des chambres de commerce. Il y a donc une grande diversité, le tout fournissant à la nation à peu près 20000 diplômés par an. Ceci est assez mal connu, parce que l’ensemble du système est un peu occulté par ces institutions emblématiques, auxquelles je suis par ailleurs extrêmement attaché. Cette occultation fait que les évolutions extrêmement rapides et très spectaculaires du système sont passées inaperçues. Par exemple le développement de la recherche, 20% de la totalité des docteurs en France étant constitué actuellement de doctorants qui ont préparé leur thèse dans les écoles. Il en est de même pour l’internationalisation : il n’y a pas d’école qui n’ait des accords d’échange de professeurs et d’étudiants, la recherche ayant joué un grand rôle dans l’internationalisation. La conférence des grandes écoles a d’ailleurs passé des accords engageant l’ensemble de la collectivité avec des établissements aussi prestigieux que l’université de Berkeley où le MIT aux États-Unis mais également avec bien d’autres. Tout cela est en contradiction avec les reproches qui sont habituellement formulés à l’égard du système, le seul véritablement fondé étant d’être sélectif. Je ne sais pas si nous ne pouvons pas revendiquer cette caractéristique, mais il faut savoir que ce n’est pas dans l’air du temps et que ce ne sera d’ailleurs jamais dans l’air du temps, un système sélectif ne pouvant pas être populaire par définition. Je voudrais indiquer d’ailleurs que nous avons des relations extrêmement étroites avec les universités. C’est ainsi que dans l’ensemble des grandes écoles , il n’y a actuellement que cinquante pour cent des élèves qui sont passés par les classes préparatoires, les autres étant admis soit directement après le baccalauréat, soit sur titre universitaire. De même, dans le personnel enseignant, si nous avons besoin de professionnels, de gens qui aient d’autres profils que le profil académique, la majorité des enseignants permanents et la quasi-totalité de ceux des écoles dépendant de l’Éducation nationale sont des professeurs d’université, recrutés après avis des sections compétentes du CNU. Enfin, nous ne pouvons pas faire de recherche si nous ne sommes pas cohabilités avec une université, en particulier en ce qui concerne les DEA. Par exemple, à l’école des mines, nous avons quatorze DEA cohabilités avec une dizaine d’universités. Ces relations sont donc extrêmement intenses, même si elles se font au niveau du terrain et non pas au niveau politique. Cela me fournit une transition pour parler du rapport Attali car vous vous souvenez sans doute qu’au mois de juillet 1997 la mission Attali avait été constituée pour faire des préconisations sur le rapprochement entre les grandes écoles et les universités. Je voudrais, avant de décrire les principales caractéristiques du rapport Attali rappeler un événement politique qui n’était pas sans importance pour nous, la réunion de l’ensemble des directeurs d’école, le 9 juillet 1997, à l’initiative du ministre de l’Education nationale, avant le lancement de la mission Attali, au cours de laquelle M. Allègre nous a expliqué qu’il était hors de question pour lui de supprimer les classes préparatoires et les grandes écoles. Cette précision n’était pas totalement inutile quand on avait écouté les déclarations du conseiller spécial de M. Jospin qu’il avait été. Le discours a consisté à nous rassurer sur le plan existentiel, mais à nous demander tout un tas de choses qui, je m’empresse de le dire, étaient frappées au coin du bon sens. Par exemple on nous a demandé de nous rassembler en réseaux, car, pour tout un tas de raisons, une optimisation des moyens, une amélioration de la visibilité, l’existence d’une poussière de petits établissements qui présentent de nombreux avantages par ailleurs, mais aussi quelques inconvénients, font que nous n’avons aucune peine à suivre cette recommandation puisque nous avions de nous-mêmes anticipé avec le réseau des écoles centrales, celui des écoles des mines, des sciences du vivant etc.. La deuxième recommandation était de faire plus d’international. Cela demande de préciser dans quelles conditions mais, comme dans la plupart des écoles l’on essaye d’augmenter les effectifs des étudiants venant d’autres pays, cela me paraît de bonne politique. Dans le cas de l’école des mines, qui est celui que je connais le mieux, nous avons vingt pour cent d’étudiants étrangers dont l’essentiel se trouve dans les formations après diplôme, doctorats et formations spécialisées alors que les formations initiales comptent cinq à six pour cent d’étudiants étrangers ce qui est très supérieur à ce que font bien des universités. En tout cas, bien supérieur à ce que font la plupart des universités étrangères car, en Europe, en dehors de l’Angleterre et de la France, la plupart des pays ont très peu d’étudiants étrangers, pour des raisons linguistiques ou autres. Autre recommandation, faire plus de formation continue, être plus impliqués dans la formation des cadres industriels. Pourquoi pas. Voilà tout un tas de choses qui nous ont été dites au mois de juillet 1997 et que nous avons acceptées et reprises à notre compte. Le rapport Attali a une ambition beaucoup plus large et traite de l’enseignement supérieur dans vingt ans. Je pense effectivement que, compte tenu de la composition de la commission, limiter son rôle à des recommandations pratiques sur le rapprochement des grandes écoles et de l’Université était un peu limité et la mission s’est élargie. Le rapport Attali comporte une introduction qui est purement idéologique sur l’organisation de l’enseignement supérieur. On sait qu’aux États-Unis c’est un système avec un certain nombre d’universités d’État mais la plupart, les plus prestigieuses, sont des universités privées. Pourquoi n’aurait-on pas un système comme celui-ci ? Le rapport Attali préconise très fortement de ne pas adopter un tel système mais de choisir que l’État assure l’égalité des chances. On peut mettre derrière ce vocable beaucoup de choses mais il faut savoir que la pression politique s’exerce, toutes tendances confondues, pour que de plus en plus de jeunes puissent accéder à un système qui a les caractéristiques de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire à un enseignement post baccalauréat, l’intention étant d’augmenter le niveau de connaissances de la population dans son ensemble. Je pense que cet objectif est totalement incontournable et la meilleure preuve est que tous les pays développés ont fait ce choix politique, y compris l’Angleterre. Je me rappelle personnellement avoir rencontré, à l’époque de Mme Thatcher des responsables du British Council qui avaient annoncé qu’ils s’engageaient dans cette voie et lorsque que je leur ai demandé pourquoi ils faisaient cela, la réponse a été parce que tout le monde le fait. C’est un petit peu léger mais politiquement il est impensable de ne pas augmenter sensiblement les possibilités d’accès au système post baccalauréat. Il est d’ailleurs remarqué dans le rapport Attali que compte tenu de ce type de pressions, en dépit de toutes les critiques qui peuvent être faites au système dont nous disposons, il a fait face avec un succès qui doit être pris en considération, même si, évidemment, il y a tout un tas de choses à améliorer. C’était un système très complexe : mais quand on veut accueillir la moitié d’une classe d’âge il faut obligatoirement que le système soit adapté à des profils extrêmement divers, je dirais même à des niveaux extrêmement divers. Quant aux grandes écoles, il est écrit dans le rapport Attali que " ce sont des machines à reproduire les élites " . Si l’on s’en tient aux chiffres bruts, c’est un fait incontestable. C’est ainsi que 70 % des élèves de l’École des mines viennent de ce qu’il est convenu d’appeler les classes favorisées, professions libérales, enseignants du secondaire et du supérieur. Ce chiffre est à peu près stable depuis vingt-cinq ans. Tout cela pourrait justifier beaucoup de commentaires mais quelles sont les propositions de réforme du rapport Attali ? Tout d’abord l’un des objectifs recherchés est d’avoir une meilleure intelligibilité européenne de notre système de diplômes. C’est la raison pour laquelle lors de la manifestation à la Sorbonne qui était une suite spectaculaire du rapport Attali, à l’occasion d’un soi-disant huit centième anniversaire de la Sorbonne, au mois de mai dernier, une déclaration a été signée par les ministres de l’Éducation nationale d’Allemagne, d’Italie, de Grande-Bretagne et de France. Cette déclaration a manifesté l’intention des quatre gouvernements de faire des efforts pour mettre en place le fameux 3,5,8 correspondant à des diplômes à bac plus trois, bac plus cinq et bac plus huit. Jusque-là rien de très compromettant sinon que lorsque l’on arrive à la réalisation pratique cela pose des problèmes. Cette tendance n’est pas critiquable mais tout dépend de la façon de la mettre en oeuvre, car, comme le disent les Anglo-Saxons, " le diable est dans les détails " . La deuxième remarque est que les premiers cycles universitaires ont beaucoup de mal à fonctionner. Le modèle recommandé explicitement par M. Attali est le modèle des classes préparatoires. Donc la grande crainte des classes préparatoires est de passer dans l’enseignement supérieur, ce qui est fait en partie, mais pas pour les professeurs. Je dois dire que si c’est ce qui se fait ce n’est pas ce qui est écrit dans le rapport Attali. Dans le rapport Attali il est écrit que les classes préparatoires sont le modèle, qu’il faut le transposer au premier cycle des universités, que ça demandera beaucoup de moyens et que tant que ces moyens ne sont pas affecté aux universités, l’on ne touche pas aux classes préparatoires. En ce qui concerne les grandes écoles, il est précisé qu’elles doivent rester le lieu de formation des élites techniciennes. Je ne sais pas ce que veut dire les élites techniciennes mais le rapport Attali reconnaît explicitement le caractère d’utilité, comme outil de formation des élites, des grandes écoles. Enfin il y a un chapitre particulier concernant l’X et l’ENA et plus précisément les relations entre ces deux institutions et la haute fonction publique. Le recrutement de ses hauts fonctionnaires est un problème qui concerne l’État français. La préconisation du rapport Attali est de déconnecter la formation X, ENA ou tout au moins X du recrutement des hauts fonctionnaires et de dire qu’on ne peut pas recruter un haut fonctionnaire qui n’ait pas au minimum cinq années d’expérience professionnelle. Cette remarque de bon sens me paraît difficilement contestable, toutefois, dans le contexte français, si cette mesure était effectivement mise en oeuvre, il est bien évident que le standing intellectuel de la fonction publique française s’alignerait sur celui des autres pays, c’est-à-dire bien au dessous de ce qu’il est actuellement, ce qui est un choix politique et une conséquence mécanique de cette recommandation Maintenant quelles sont les perspectives d’avenir ? Mme Zehringer l’a bien souligné, il y a un décalage considérable entre les déclarations du ministre de l’Éducation nationale et ce qui se passe sur le terrain ou même ce qui peut se passer à court terme. Pour ceux qui ont vu leurs heures supplémentaires diminuer de 17% il s’est effectivement passé quelque chose, mais il y a tout un tas d’annonces qui ont été faites et qui n’ont pas été suivies d’effets. En ce qui concerne les classes préparatoires, il y a effectivement un bureau des classes préparatoires qui est rattaché à la Direction générale des enseignements supérieurs, donc on peut dire que les classes préparatoires sont passées dans le supérieur. Mais, ce qui est le plus important c’est que les professeurs des classes préparatoires soient des professeurs du secondaire. Comme l’avait dit un autre ministre, il ne faudrait pas que les seigneurs de l’enseignement secondaire soient remplacés par les prolétaires de l’enseignement supérieur. Tant que les professeurs des classes préparatoires resteront des professeurs de l’enseignement secondaire, je considère, ce qui n’est peut-être pas le sentiment des professeurs des classes préparatoires, que ces classes ne sont pas franchement menacées. Nous avons périodiquement des escarmouches en ce qui concerne l’organisation des concours. Jusqu’à présent personne n’a remis en cause ni le principe des concours ni même le principe des concours multiples. Dans une logique d’économies, il serait beaucoup plus économique d’avoir un seul concours qui soit une banque de notes dans laquelle toutes les écoles puiseraient. D’abord ce ne serait pas très sympathique pour les candidats et ensuite cela supposerait que les programmes de recrutement des écoles sont tous les mêmes. Je crois pouvoir dire que, à l’heure actuelle, la pluralité des concours n’est pas remise en cause. Jusqu’à quand, je n’en sais rien mais elle n’est pas remise en cause. Je pense que le système des classes préparatoires qui est quand même, même s’il ne fournit pas la totalité de nos étudiants, l’épine dorsale de notre système, pour le moment, n’est pas directement menacé, mais, là comme dans d’autres domaines, nous ne savons pas ce qui peut arriver demain En ce qui concerne les écoles elles-mêmes, là où le bât peut blesser c’est dans le domaine budgétaire car, comme je l’ai indiqué, les écoles coûtent cher, qu’il s’agisse de celles qui dépendent du ministère de l’Éducation nationale ou des autres écoles. Pour bien montrer que tout le monde est bien conscient de cela, les statistiques publiées par le ministère de l’Éducation nationale évaluent le coût des ingénieurs formés à l’Université à 90.000 francs par élève et par an. M. Allègre avait revendiqué la constitution d’un budget coordonné de l’enseignement supérieur qui serait placé sous son autorité. Il aurait été l’interlocuteur unique du ministère du Budget pour son ministère et les autres, à l’instar de ce qui se fait pour le budget de la recherche. Eh bien ceci n’a pas été mis en place. A partir du moment où il n’a pas le contrôle du budget des grandes écoles qui ne sont pas dans son ministères et que, d’autre part, même dans le cadre de son ministère j’ai cru comprendre que dans le cadre des contraintes budgétaires générales les écoles n’avaient pas droit à un traitement de faveur, je considère que le système est d’une grande stabilité. J’ai l’habitude de dire que parmi les gens qui nous gouvernent il y a énormément de parents d’élèves et que ces parents d’élèves sont finalement intéressés à ce que leurs enfants puissent accéder à des institutions donnant une formation de très bonne qualité. Donc, au risque de vous décevoir un petit peu et de décevoir une partie des corps enseignants des établissements avec lesquels je suis en contact, j’ai tendance à dire que le système se porte plutôt bien, que sa notoriété internationale augmente de jour en jour, parce que nous avons trouvé des solutions à des problèmes qui se posent dans les universités et qui y sont pratiquement insolubles et donc que les grandes écoles sont plutôt une structure d’avenir qu’un legs de l’histoire. Roland Drago : Monsieur le directeur vous avez vu que l’on vous a écouté avec une attention qui était très remarquable et qui était à la hauteur de ce que vous avez dit. Non seulement je crois que l’on peut avoir de l’espoir pour le maintien du système des grandes écoles en France parce qu’elles sont justement des systèmes d’excellence et qu’à ce niveau-là, comme tout le monde le comprend, c’est l’excellence qui compte. Je vous pose une seule question : je ne me rappelle plus si le rapport Attali a abordé la question de l’enseignement supérieur court, c’est-à-dire le problème des IUT, de leur extension, de leur transformation. Jacques Lévy : Pour autant que je m’en souvienne je n’en ai pas vu de mention spécifique. Le terme d’IUT doit bien figurer quelque part, mais c’est pour dire qu’il faudrait simplifier tout cela pour entrer dans un système 3, 5, 8. Je voudrais d’ailleurs ajouter que ce 3, 5, 8 correspond bien à un standard international. Si l’on regarde comment sont formés les ingénieurs en Allemagne, en Belgique, en Hollande, au Danemark, en Italie, en Espagne, en fait dans toute l’Europe sauf la France et la Grande-Bretagne , on a un système 3, 5 mais qui est ou 3 ou 5 et non pas 3 plus 2. Ce qui est préconisé dans le rapport Attali c’est 3 pour tout le monde, avec ensuite le choix entre continuer deux ans pour avoir une formation professionnelle et continuer cinq ans pour faire un doctorat. Ce n’est pas du tout le standard européen et comme M. Attali nous a fait l’amitié de venir parler devant l’assemblée générale de la Conférence des grandes écoles, je lui ai fait cette remarque et il m’a répondu : " Les Européens viendront à ce standard ". Patricia Gallimard (déléguée générale de l’Association des parents pour la promotion de l’enseignement supérieur libre - APPESL-) : - Vous dites que le système des classes préparatoires n’est pas remis en cause pour l’instant mais dans la mesure où le ministre désire le rapprocher du premier cycle universitaire n’avez-vous pas peur que au contraire ce soient les premiers cycles universitaires qui absorbent les classes préparatoires, un petit peu de la même façon qu’une préparation à HEC à Dauphine qui est intégrée dans un DEUG MASS ? Jacques Lévy : Premièrement le rapport Attali ne recommande pas l’absorption des classes préparatoires. Il y est écrit les classes préparatoires seront absorbées par les premiers cycles universitaires quand ils auront les moyens de fonctionner par petits groupes, par classes de quarante, etc. qui sont les caractéristiques des méthodes pédagogiques de la taupe. Il y a un élément sur lequel j’avais attiré son attention, qui me paraît très important et qui n’est pas du tout mentionné dans son rapport, qui est de savoir quels sont les enseignants qui vont enseigner dans ces petits groupes de quarante. Car chacun sait que le travail de professeur de classes préparatoires est un travail à temps plein avec heures supplémentaires. Quand on fait cela, et d’ailleurs certains professeurs de classes préparatoires le regrettent un peu, il est absolument exclu de faire de la recherche. Or la gestion des personnels des universités est faite essentiellement sur leur performance dans la recherche. Ce n’est pas un problème français mais un problème de tous les systèmes universitaires, en particulier dans les pays développés. Non seulement il faudrait donner les moyens aux universités de se structurer en groupes de quarante, mais il faudrait convaincre les universitaires que dans leur statut on admet que des gens qui ne font que de la pédagogie puissent atteindre les grades supérieurs car, sinon, on n’aura que des débutants ou des gens proches de la retraite qui accepteront de faire les premiers cycles. Donc cette réforme qui me paraît alors pour le coup extrêmement brutale ne me semble avoir aucune chance d’aboutir à court terme. Même s’il y a beaucoup de gesticulation, je pense que dans l’état actuel des choses, mais je parle avec beaucoup de précaution parce que le ministre est capable de faire aboutir tout un tas de choses, que c’est tellement compliqué que cela n’a aucune chance d’aboutir. Je vous rappelle qu’il y a eu une alerte très sérieuse en 1981 qui consistait à dire " on supprime les classes préparatoires et on les remplace par une année d’orientation qui serait la première année d’université ". C’était assez subtil parce que cela permettait de mettre une sélection en fin de première année d’université puisque c’est impossible de la mettre au baccalauréat. Mais une chose à laquelle l’on n’avait pas pensé c’est que, et cela était l’un des arguments qu’a fait valoir mon prédécesseur Pierre Lafitte pour parer le coup, et cela a été très efficace, la répartition sur le territoire des classes préparatoires est beaucoup plus large que la répartition des universités. Une telle mesure aurait conduit à supprimer des classes des classes préparatoires dans des villes où il n’y a que cet élément d’enseignement supérieur. Je peux vous garantir que, quelle que soit la couleur du député de cette ville, il se serait opposé avec la dernière vigueur à la suppression des classes préparatoires du lycée de cette ville. Ce que je viens de dire est toujours valable, même s’il y a un peu plus d’universités. Donc pour tout un tas de raisons, personnellement je considère que le système des classes préparatoires est extrêmement stable. D’ailleurs je voudrais rappeler qu’il y a eu une réforme très importante des classes préparatoires qui a été mise en place il y a longtemps, puisque la première année du concours qui nous a donné des étudiants était le concours de 1997, qui s’est faite en plein accord avec la direction des enseignements supérieurs et qui a pour effet de donner à un candidat les mêmes chances d’entrer dans les écoles les plus prestigieuses quelle que soit la filière choisie, ce que l’on ne peut pas, compte tenu de l’inertie du système, changer du jour au lendemain. Professeur Vladimir Kourganoff : Professeur honoraire à la Sorbonne, j’ai publié dès 1972 un ouvrage La Face cachée de l’Université où je dénonçais déjà le recrutement des professeurs d’université basé uniquement sur les travaux de recherche, sans aucun égard pour l’intérêt, l’aptitude, l’expérience de l’enseignement surtout pour les années du premier cycle. Je pense que l’on peut réformer l’Université dans le sens qui serait souhaitable en y distinguant les différentes fonctions. Paul Allard (Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France) : Dans votre présentation des écoles d’ingénieurs appartenant à la Conférence vous avez fait un état de leur santé qui est bonne, notamment en précisant que vous n’étiez pas inquiet sur les flux d’entrée qui se confortaient d’année en année, alors que l’on observe que dans tous les pays du Nord de l’Europe et même du sud une désaffection des jeunes à l’égard des études supérieures scientifiques et techniques. Il n’y a pas très longtemps nous avons entendu M. Vincent Courtillot qui est venu nous dire que dans l’université française il y avait actuellement une diminution de 30% des effectifs dans les disciplines scientifiques et techniques. Y a-t-il dans cette évolution un sujet d’inquiétude pour les grandes écoles ? Jacques Lévy : Sur ce point comme sur d’autres je ne suis pas très inquiet, mais c’est au prix d’acrobaties qui ne sont pas très satisfaisantes pour l’esprit. Autrement dit, en schématisant, si l’on annonçait que tous les élèves qui entreront à l’Ecole des mines feront des études pour être ingénieurs d’exploitation des mines, il n’y aurait plus de candidats. Il faut donc faire ressortir, en particulier pour les étrangers, qu’entrer dans une école d’ingénieurs c’est acquérir sur la base d’une formation scientifique et technique, mais aussi d’une formation générale la capacité à exercer des responsabilités, en étant caricatural, à être un chef. Mais il faut bien faire ressortir aussi, et même les Anglo-Saxons y sont venus, qu’un ingénieur ne peut plus faire toute sa carrière sans avoir à changer plusieurs fois d’affectation et de type de travail. Il faut donc que sa formation le prépare à cette mobilité géographique et intellectuelle, maintenant totalement inévitable. Notre programme consistait à préparer les élèves à ces évolutions rapides. Pour la petite histoire, je voudrais dire en dix secondes que, tout à fait par hasard, je suis tombé sur une définition de l’ingénieur à la française, qui me paraissait extrêmement pertinente, sous la plume du président américain du MIT en 1903, disant qu’un ingénieur doit être un " man of influence ". Si nous voulons effectivement continuer à attirer des jeunes gens de valeur, puisque nous prenons dans les cinq pour cent meilleurs étudiants d’une génération, il faut que nous leur disions qu’ils seront des hommes d’influence.
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