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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 63 - 1er trimestre 1999
LE RAPPORT MEIRIEU ET LA RÉFORME DES LYCÉES LE RAPPORT MEIRIEU ET LA RÉFORME DES LYCÉES PAR MME GENEVIÈVE ZEHRINGER Monsieur le Professeur, je remercie "Enseignement et Liberté" de m’avoir invitée à exposer le point de vue de la Société des agrégés sur le Rapport Meirieu. Vous avez bien voulu m’expliquer qu’Enseignement et Liberté groupe des personnes qui se sentent concernées par le destin de l’enseignement privé. La Société des agrégés pour sa part est une association loi 1901, qui a pour objet l’étude de toutes les questions qui intéressent l’enseignement, la défense des concours d’agrégation et celle des intérêts matériels et moraux de leurs lauréats. Entièrement indépendante, parce qu’elle ne considère que la nature des décisions relatives à l’enseignement et non l’appartenance de leurs auteurs à tel ou tel gouvernement, et parce qu’elle ne reçoit ni ne demande de subvention, la Société des agrégés groupe près de 12 000 adhérents dont certains exercent dans des établissements d’enseignement privé sous contrat, soit comme fonctionnaires soit comme maîtres du privé - qu’ils aient opté pour ce dernier statut après leur réussite à l’agrégation externe ou l’aient obtenu en se présentant au "CAERPA" qui offre, dans le cadre de l’agrégation interne, des postes réservés aux maîtres du privé. Les établissements privés semblent en effet heureux de pouvoir donner aux familles l’assurance que les élèves sont confiés à des professeurs formés et recrutés pour dispenser un enseignement conforme à des programmes nationaux, préparant ainsi à des examens nationaux, tels que le baccalauréat ou les brevets de techniciens supérieurs, et aux concours nationaux d’entrée dans les grandes écoles. Rendu public le 18 mai 1998 dans sa version définitive, le Rapport Meirieu reste pourtant entièrement d’actualité. Détrompant les trop nombreux observateurs qui jugeaient inutile l’analyse d’un texte destiné, pensaient-ils à rejoindre dans l’oubli tous les rapports précédents, le Ministre a multiplié depuis six mois les marques de son approbation des quarante-neuf "principes" (sic) du Rapport Meirieu, jusqu’à en extraire les onze "principes indissociables" (sic) de la réforme des lycées qui entre en vigueur en septembre 1999 et dont les premières mesures (des allégements de programme considérables dans certaines disciplines) sont connues depuis trois jours. En ce qui concerne la consultation menée par Philippe Meirieu et les conclusions qu’il affirme en avoir tiré, je tiens à souligner immédiatement que les critiques de la Société des agrégés n’ont jamais porté sur l’idée même de poser à des élèves, leurs parents, leurs professeurs, la question "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?" (bien que la question essentielle "Qui peut savoir quels savoirs il convient d’enseigner dans les lycées ?" soit ainsi considérée comme tranchée) mais sur le contenu réel de la consultation et du commentaire qu’en a fait son responsable. Voici par exemple, sous la rubrique "Qu’apprenez-vous au lycée ?", le texte des cinq premières questions du questionnaire distribué aux élèves : "1-1- Dans ce que vous apprenez au lycée, qu’est-ce qui est le plus important ? 1-2- Qu’est-ce que vous jugez important d’apprendre au lycée mais qui vous ennuie ? 1-3- Pensez-vous qu’il y ait un remède possible à cet ennui ? Si oui lequel ? 1-4- Qu’est-ce qui apparaît inutile et sans intérêt dans ce que vous apprenez au lycée ? 1-5- Qu’est-ce que vous souhaiteriez apprendre au lycée et que vous n’y apprenez pas encore ?" Et voici maintenant l’une des trois premières questions posées aux professeurs : "1-3- De quelles qualités nécessaires à une société républicaine et démocratique votre discipline est-elle porteuse ? Citez-en trois essentielles pour vous. Selon vous, quels sont les obstacles, dans votre discipline, à la formation de ces qualités ?" On remarquera le crescendo : non content d’avoir, dans le "questionnaire-élèves" associé à plusieurs reprises l’idée d’"apprendre" à des termes péjoratifs ("qui [...] ennuie", "inutile", "sans intérêt"), le rédacteur des questionnaires diffusés par M. Meirieu en vient à l’idée selon laquelle il y aurait "dans (chaque) discipline" des "obstacles" à la formation des qualités nécessaires à une société républicaine et démocratique ! Faut-il en conclure que, loin de devenir citoyen en s’instruisant, l’on ne s’instruit qu’en étant devenu citoyen, c’est-à-dire que l’on ne s’instruit utilement qu’à condition d’avoir exercé au préalable un contrôle sur le contenu des "savoirs" afin d’en ôter ce qui ferait obstacle à l’idée que se fait tel ou tel du citoyen idéal ? C’est en tout cas une suggestion qui a fait son chemin, puisque l’on trouve dans le texte des "onze principes" ministériels non pas l’idée que toutes les disciplines "permettent" le développement de l’esprit civique - ce que la Société des agrégés aurait approuvé, - mais l’indication que toutes les disciplines "doivent permettre" de développer les qualités civiques, "doivent éduquer" à la responsabilité, etc. "Chargé par le Ministre d’organiser une consultation sur la question "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?", M. Meirieu reconnaît d’ailleurs (introduction du Rapport) qu’il a fait porter sa "réflexion" sur les "finalités" de "l’institution scolaire", question qui, en France, relève de la Constitution, laquelle, jusqu’à preuve du contraire, fait de l’enseignement un devoir pour l’État. Or on ne révise pas la Constitution en faisant remplir trois millions de questionnaires, quand bien même ils seraient plus réfléchis et plus faciles à dépouiller que ceux de la consultation Meirieu. C’est bien pourquoi de nombreux adhérents de la Société des agrégés s’inquiètent de ce qu’ils considèrent non plus comme une investigation passablement démagogique sur les contenus et les programmes, mais comme un pseudoréférendum au service d’une altération profonde de la mission du lycée et même de l’institution scolaire. Ils démentent avec indignation l’"enthousiasme" que le Ministre et les organisateurs croient avoir perçu. En effet la suggestion selon laquelle "78 % des lycéens" et "52 % des professeurs", par le seul fait qu’ils ont accepté de remplir des questionnaires, montreraient qu’ils approuvent non seulement le contenu et la conduite mais encore les prétendues conclusions de cette consultation, cette suggestion relève de la désinformation pure et simple. Nous citons ici le témoignage d’un fonctionnaire réquisitionné pour le dépouillement : "Je me suis beaucoup intéressé à la consultation, d’abord par obligation [...]. J’ai alors constaté que certaines réponses étaient, en fait, des refus de répondre, clairement exprimés. Les collègues n’ont pas été dupes du caractère tendancieux des questions posées qui ne permettaient jamais de répondre en termes de contenus précis." Nous précisons de plus que les comités d’organisation académiques avaient recommandé aux chefs d’établissement de veiller à ce que les élèves remplissent leurs questionnaires (ce devait être un acte volontaire) au besoin en présence du professeur principal. Enfin, la Société des agrégés a dû protester vivement contre des pressions exercées sur des jeunes professeurs stagiaires d’I.U.F.M., afin d’obtenir d’eux une participation "volontaire" au dépouillement des questionnaires remplis par les élèves. Nous rappelons notre condamnation des termes de la lettre adressée, le 29 janvier, à ces jeunes stagiaires, par la Direction de l’I.U.F.M. de Créteil. "Conscient de l’effort [...] volontaire que je vous demande, je vous indique que votre participation au dépouillement du questionnaire-élèves [...] donnera lieu à une fiche d’attestation[ ..] qui figurera dans le dossier d’évaluation examiné en fin d’année pour votre titularisation". M. Meirieu prétendait que le rapport final tiendrait très largement compte de la consultation, et des débats prévus à Lyon les 28 et 29 avril. Ce rapport final, nous l’avons sous les yeux les "larges" apports des "travaux en atelier" du 28 avril occupent quelques lignes de ses trente pages ; les vues développées par M. Meirieu dans l’ouvrage "L’École ou la Guerre civile" publié en septembre 1997 près de six mois avant l’ouverture de la consultation... en constituent la quasi-totalité : éducation à la citoyenneté, culture commune, aide aux devoirs, enseignement mutuel des élèves, fondation de "cités scolaires", épreuve sur dossier organisée dans le cadre d’un nouvel examen qui serait la mort douce du baccalauréat. Quant aux opinions, semble-il très diverses, qui ont trouvé à s’exprimer par le biais de la consultation, elles sont chaque fois rapportées aux présupposés de l’ouvrage de référence et leur valeur appréciée à l’aune de leur conformité avec ses thèses : obligé, par exemple, de prendre acte du fait que "plus de 69 % des élèves placent la réussite à l’examen final en tête de leurs objectifs de scolarisation", l’auteur du rapport concède que "ce souhait certes n’est en rien condamnable" (comme si le but d’une consultation était d’approuver ou de condamner les opinions existantes), mais s’empresse de l’attribuer à un sentiment négatif d’incertitude sur la fonction du lycée. Après avoir reconnu que "l’attachement au baccalauréat comme examen final, anonyme et national, est une constante des résultats de la consultation" il définit pour cet examen de nouvelles modalités totalement incompatibles avec le caractère d’un examen final, national et anonyme, telles que la prise en compte de la "participation à la vie de l’établissement" observée chez un élève, prise en compte que le compte rendu ne fait nullement apparaître de la part des élèves qui ont participé à la consultation, s’il est vrai qu’elle est réclamée par quelques professeurs (un sur dix environ). Sur le fond du Rapport Meirieu, la Société des agrégés dénonce une première incohérence : d’une part le Rapport commence avec juste raison par mettre l’accent sur l’idée que les élèves doivent être "informés" (ce qui est certes très insuffisant, car ils doivent en réalité être "instruits") et rendus "exigeants dans leur recherche de la vérité", et il reconnaît également qu’il existe une peur du démantèlement du service public d’enseignement qui s’exprime par "le refus de "programmes-maison", l’attachement à la valeur nationale du baccalauréat, le souci de l’égalité des chances dans l’accès aux études supérieures". Mais d’autre part de nombreux principes, de nature à empêcher les professeurs de dispenser un enseignement national laïque, vont à l’encontre de ces objectifs :
La Société des agrégés refuse catégoriquement que le lycée, reconnu comme "un lieu d’enseignement" puisse être utilisé comme un lieu de prosélytisme. Sans contester la valeur de la solidarité, elle conteste fondamentalement que la recherche du savoir puisse être asservie à un quelconque assentiment collectif. Les élèves doivent être libres de se procurer la connaissance et d’arriver à la vérité autant qu’il est possible, libres le cas échéant de se désolidariser des personnes qui commettent des erreurs même lorsqu’il arrive qu’elles constituent une majorité (Galilée). Chaque élève doit être libre de développer ses aptitudes individuelles par la recherche du savoir et autant qu’il le peut. La Société des agrégés constate d’ailleurs que, selon un sondage réalisé par Anacom du 20 au 24 avril (Le Figaro du 21 mai), 71,7 % des parents attendent de l’école avant tout qu’elle transmette des connaissances, tandis que 19,5 % d’entre eux estiment que son rôle est plutôt de transmettre des valeurs sociales. Même en dehors du corps enseignant, le point de vue développé dans le rapport n’est donc pas majoritaire. En ce qui concerne la question des programmes, la Société des agrégés juge indispensable que les programmes soient "rédigés à l’échelle nationale" mais pour cette raison dénonce la distinction entre "programmes" et "programmation". Il est vrai que le Conseil national des programmes est tombé dans l’excès en prescrivant d’inscrire dans les programmes non seulement les "items" et les "notions" qui les explicitent (ce que la Société approuve), mais aussi un ensemble de "commentaires", ce qui ne veut pas dire qu’il soit bon de refuser toute liste obligatoire d’oeuvres à étudier. Il y a en littérature, en histoire de l’art, un patrimoine culturel dont l’ignorance est un handicap grave même pour des professions autres que l’enseignement. Mais pour que les programmes garantissent aux élèves un enseignement national homogène conduisant au baccalauréat, ils doivent faire plus que "fournir des indications peu nombreuses". Ils doivent être précis, suffisamment développés, comporter des indications de durée, s’accompagner d’instructions relatives à des types d’exercices, tout en laissant le choix des supports, des exemples et de l’ordre d’étude. Il est scandaleux que, pour avoir voulu décharger le ministre de l’Éducation nationale de la responsabilité de fixer des programmes et des instructions véritablement nationaux, le Rapport Meirieu attribue (principe 19) aux conseils d’administration et aux conseils de classes le contrôle du "vocabulaire utilisé", des "méthodes", de la "nature des exercices et des travaux demandés" et même des "contenus d’enseignement". Une telle dérive est d’autant plus inadmissible que cet article 19 passe subrepticement de la notion de "coordination" des enseignements à celle d’"harmonisation" des contenus des disciplines, qui va encore beaucoup plus loin. Car on voit bien en réalité à quoi tend le Rapport Meirieu : non à réduire le coût global de l’éducation mais à réduire la part des dépenses qui incombent à l’État, et à augmenter la part de ces dépenses qui incombe aux collectivités territoriales, éventuellement en échange d’un droit de contrôle des contenus et de la pédagogie, que leur accorde le principe 19. Ces orientations sont inacceptables, la Société des agrégés attend du Gouvernement qu’il désavoue ces orientations, et non pas qu’il procède maintenant à une réforme des lycées qui consiste à diminuer l’horaire hebdomadaire des élèves, tout en augmentant le nombre des disciplines enseignées mais en amputant les programmes correspondants : si une telle réforme catastrophique devait être pratiquée, les élèves, au lieu de connaissances enrichissantes et utilisables, n’auraient accès qu’à un inventaire de broutilles, particulièrement nuisible à ceux qui n’ont que l’école pour s’instruire, tandis que les familles aisées ou éclairées sauront bien où s’adresser pour procurer à leurs enfants les compléments indispensables. Il y aurait encore beaucoup à dire mais je ne voudrais pas parler trop longuement. Maurice Boudot : - Aucun de vos auditeurs, Madame la présidente, n’a trouvé que vous ayez parlé trop longtemps. Question dans la salle : - Combien y-a-t-il d’agrégés en France ? Geneviève Zehringer : - S’il est difficile de dire combien il y a de lauréats de l’agrégation, le nombre de professeurs appartenant au corps de l’agrégation est d’à peu près 36 000. Question dans la salle : - Ce que vous nous avez dit sur le rapport Meirieu est ahurissant. Faut-il souhaiter que le système s’écroule ? Geneviève Zehringer : - Non, je crois qu’il ne faut jamais faire la politique du pire. Quand on nous parle d’expérimentation, on oublie que les élèves seront les cobayes. Ce ne sont pas seulement des êtres humains, ce qui serait déjà à considérer, mais ce sont des être humains en développement. C’est une duperie que de parler d’expérimentation d’un mode d’enseignement puisqu’on ne sait pas ce que l’élève serait devenu d’autre pendant le temps pendant lequel on lui a fait subir l’expérimentation. Contrairement à ce que l’on nous dit, le lycée est actuellement un maillon fort du système éducatif. Il est certain que des élèves sortant de l’école élémentaire arrivent en grande difficulté au collège, cela parce que les instituteurs nombreux qui continuent d’assumer leur mission du mieux qu’ils peuvent en essayant d’apprendre à lire, écrire et compter sont sous une avalanche d’instructions inspirées par une pédagogie idéologique qui est pour eux un désaveu constant. Il y aurait à réfléchir à une reconstruction de l’école élémentaire dans un tout autre esprit que celui de la charte de l’école du XXIe siècle qui dit reconstruire l’école et en réalité veut la détruire. Il y aurait aussi à réfléchir à la reconstruction du collège mais tous ceux qui connaissent le lycée savent que l’enseignement y donne encore satisfaction, grâce justement à des programmes, qui peuvent être pour certains trop amples, mais nationaux et explicites, et grâce à l’abnégation du corps enseignant. Et c’est le lycée que M. Allègre veut transformer en une simple étape de transition ? Marie-Elisabeth Allainmat (USLC - CNGA) : - Je voudrais renchérir sur ce qu’a dit Mme Zehringer car le syndicat de professeurs que je représente, affilié à la CGC, est, comme tous les syndicats d’enseignants, sauf deux, opposé aux projets actuels. Depuis le rapport Meirieu, il s’est passé plusieurs choses inquiétantes. M. Allègre, reprenant exactement toutes les orientations du rapport Meirieu, a sorti un projet provisoire, qu’il a présenté au Parlement en juillet, extrêmement pernicieux parce qu’il a gommé toutes les expressions qui faisaient problème. Par exemple, il n’a pas parlé de culture commune, mais il a effacé le mot pour prôner la chose. Le 31 juillet, il est sorti un texte qui diminuait le taux des heures supplémentaires. Ce texte, présenté comme un geste civique pour faire faire des économies au pays, est une demande de solidarité adressée aux professeurs et seulement aux professeurs pour financer les emplois de jeunes non qualifiés. Enfin, le plan d’action présenté mercredi dernier, d’abord aux lycéens, naturellement, pour faire passer l’idée que c’est à cause des dernières manifestations que ce plan d’urgence est nécessaire, alors qu’en fait il correspond absolument au projet Meirieu et au texte de projet provisoire présenté devant le Parlement. Le ministère travaille déjà a grands pas dans toutes ces directions, par exemple, dans l’interdisciplinarité, on nous demande nos idées sur des "blocs interdisciplinaires". Le fonds lycéen qui n’est déjà pas employé dans les lycées, depuis sa création par la loi d’orientation de M. Jospin, a été multiplié par deux. Geneviève Zehringer : - En ce qui concerne les fonds, nous sommes opposés au principe du fonds lycéen et des fonds en général parce que ce sont des sommes d’argent dont il est très difficile de contrôler l’utilisation. Ensuite nous avons été beaucoup trop généreuses, Mme Allainmat et moi, en disant que M. Allègre avait présenté au Parlement les onze principes qu’il a tirés du Rapport Meirieu. En réalité il les a présentés à l’Assemblée nationale les 1er et 2 juillet, au Sénat le 11 juillet, seulement aux membres de la Commission des affaires culturelles. En ce qui concerne le décret du 30 juillet qui diminue de 17 % le taux de la rémunération des heures supplémentaires faites par les professeurs, je ne l’évoquerai que pour indiquer, - ce qui est regrettable car s’il y a un endroit où l’on devrait avoir le respect du sens des mots c’est bien au ministère de l’Éducation nationale -, que M. Allègre a commis une inexactitude notoire. En s’appuyant sur l’article 9 de la loi Jospin du 10 juillet 1989, il définit l’année scolaire par le nombre de semaines pendant lesquelles les élèves sont en classe, en oubliant de dire que, si l’on parle de l’année scolaire ainsi comprise, et cela au moins depuis 1912, année des archives les plus anciennes sur le sujet, il n’est jamais arrivé que l’année scolaire compte plus de 38 semaines, et encore je ne suis pas sûre que ce nombre ne soit pas calculé par excès. L’idée de M. Allègre, qui est aussi celle de la loi Jospin, est que les 38 semaines pendant lesquelles les élèves et les professeurs sont en présence sont les semaines de travail et que l’on ne travaille pas entre-temps. C’est là ce qui est faux et critiquable. Voici un simple exemple personnel : reçue à l’agrégation le 7 août, je me rappelle avoir, dès le lendemain, commencé à préparer mes cours. Quand on a un cours à faire à des élèves, heureusement puisque l’on a choisi une discipline que l’on aime, on prépare ce cours. Or M. Meirieu remet en cause notre propre conception de la fonction enseignante, selon laquelle un cours se prépare en fonction des élèves que l’on va avoir, même si le "cours magistral" que le ministère feint de croire encore pratiqué est complètement dépassé. Cela fait quarante ans qu’il y a des instructions qui interdisent à un professeur de parler à des élèves qui se taisent. Un inspecteur qui se rendrait dans une classe et qui trouverait des élèves qui "gratteraient", comme disent les élèves, sans mot dire, ferait des reproches à l’enseignant qui verrait sa note baisser. Ce qui est très important aussi dans le travail d’un professeur c’est la correction des copies. Nous comprenons pour quelles mauvaises raisons M. Meirieu prétend qu’un professeur qui corrige des copies perd son temps. Pour lui c’est un travail inutile. Il déplore dans L’École ou la guerre civile que des professeur acceptent de gâcher des centaines d’heures à corriger des copies. Or pour les élèves, la correction de leurs copies est quelque chose qui leur rend les plus grands services, et ils sont attentifs à ce qui est écrit en marge. Mais cette correction demande des heures de travail, et si l’on ne veut plus de cette conception de l’enseignement c’est parce qu’elle coûte cher - et ce qui le prouve c’est le décret sur les heures supplémentaires. Le décret repose sur une comparaison erronée de la durée actuelle de l’année scolaire avec les durées antérieures. Il est par ailleurs exact que le ministère travaille depuis des mois à diminuer les horaires des disciplines et, pour pouvoir le faire sans que cela devienne scandaleux, prétend qu’il y a des sortes de sujets interdisciplinaires ; va-t-on pouvoir découvrir la démarche expérimentale par le biais de n’importe quelle discipline ? C’est en tout cas ce qui inspire aussi la charte sur l’école du XXIe siècle où l’on dessaisit l’instituteur de sa responsabilité qui est de donner l’enseignement, au profit de toute une gamme de non professionnels de l’enseignement. On nous dit que ce sont les animateurs recrutés par les mairies qui vont faire découvrir les exigences de la science par le biais de la démarche expérimentale. Par exemple en mettant, selon l’expression bien connue "Un poisson rouge dans le Perrier" pour voir s’il survit !
La conférence de Madame Zehringer a été donnée au Palais du Luxembourg, le 24 octobre dernier, lors de la manifestation de remise du Prix d’Enseignement et Liberté. Nous publierons dans le prochain numéro, le texte de la conférence donnée le même jour par M. Jacques Lévy sur l’avenir des classes préparatoires et des grandes écoles. L’INEXORABLE DÉCLIN D’UN DESPOTE M. Allègre ne peut attribuer les difficultés qu’il rencontre à une hostilité qui aurait son origine dans les préjugés des milieux de droite. On avait rarement vu un ministre socialiste accueilli par un tel concert de louanges dans l’ensemble de la presse, et les sondages confirmaient cette faveur de l’opinion. Ses attaques réitérées contre le corps enseignant - notamment sur son absentéisme - sont largement approuvées, même lorsqu’elles reposent sur des données fausses comme le ministre finira par le reconnaître ! On découvre soudain une profonde hostilité d’une large partie du public à l’égard du corps enseignant qu’expliquent et peut-être légitiment les comportements désinvoltes ou aberrants de quelques-uns de ses membres. Très scandaleusement, de la façon la plus démagogique, M. Allègre entretient et exploite ces sentiments pour imposer ses réformes et légitimer une politique qui est celle d’une gauche sectaire et dogmatique. Pour lui, il ne peut y avoir de salut hors d’un nivellement radical. Pendant un certain temps, presque personne n’ose contester la politique Allègre. En septembre 1997, nous étions presque les seuls (hormis les publications professionnelles), avec Rémy Fontaine dans Présent, à nous opposer : je renvoie au n° 57 de cette lettre. Progressivement, d’autres voix se sont fait entendre et de façon de plus en plus critique. L’étrange faveur dont avait bénéficié Claude Allègre au départ fut rompue : on avait enfin compris qu’il ne suffit pas de dénoncer la sclérose des enseignant et l’usurpation des syndicats pour être dans le vrai et mettre en oeuvre une politique efficace. La coalition contre nature de la gauche marxiste et du libéralisme radical fut enfin brisée. L’expérience enleva rapidement toutes les illusions : le fameux colloque, au printemps 98, sur la réforme du secondaire, dont l’organisation était confiée au gourou Philippe Meirieu, malgré la présence d’une claque très "professionnelle", ne pouvait laisser aucune illusion. Hormis la démolition programmée de tout enseignement culturel, rien de sérieux n’était proposé. On eut beau essayer de séduire les lycéens par des allégements de programmes et des promesses plus ou moins feutrées d’examens plus faciles, ils résistèrent aux tentations de la facilité, et, à la fin de l’année, par des manifestations et une agitation sporadique, montrèrent qu’ils n’étaient pas dupes. Ils savaient où les conduisait le chemin de velours préparé par leur ministre : à l’absence de formation et au chômage. Quant à la bonne vieille ficelle selon laquelle, M. Allègre s’opposant aux syndicats, tout ce qu’il propose est bon, elle a fini par s’user. Au minimum, on demande à voir de plus près leurs points de désaccord ...Il est d’ailleurs manifeste, aux yeux des moins avertis, qu’on a échoué à résoudre les problèmes les plus brûlants : imposer ce minimum de sélection qui fasse qu’au cours de leur scolarité certains élèves ne soient pas condamnés à recevoir des enseignements dont ils ne peuvent tirer aucun profit ; éradiquer la violence des établissements scolaires. Sur le second point, nul besoin de commentaire ; la lecture des journaux suffit : on en est - fait nouveau - à tirer sur les principaux de collège ! Quant au niveau, un texte très officiel, signé du directeur de l’enseignement scolaire (M. Toulemonde), et d’une autre personnalité (M. Garnier), conclut, après une classification assez grossière qu’en sixième 20,7 % des élèves "ne maîtrisent pas les connaissances de base" et plus de 38 % les mathématiques. Des tableaux synoptiques montrent qu’en 6 ans ces chiffres se sont accrus presque continûment (en lecture de 11,5 à 20,7, en calcul de 17,4 à 38). Cela prouve que, contrairement à certaines allégations, le niveau n’a nullement monté, mais qu’on a de plus en plus submergé le collège unique sous une marée de cancres. Il est vraiment très regrettable que ce texte d’abord adressé aux seuls recteurs et inspecteurs d’académie, puis sur minitel n’ait pas connu la large diffusion qu’il méritait. Que nous propose M. Allègre ? seulement persévérer dans cette voie, en accélérant le rythme des réformes qui offriront le lycée pour tous (après le collège pour tous). Ce programme bassement démagogique ne trompe plus personne apparemment. Il s’ensuit que les mesures outrageantes contre les classes préparatoires aux grandes écoles, classes par nature "élitistes", et leurs professeurs dont on a réduit les émoluments en faisant appel à leur sens de la solidarité, pour multiplier les emplois de jeunes non qualifiés, n’ont pratiquement trouvé aucun défenseur, si l’on excepte quelques gauchistes attardés, mais ont probablement mis le feu aux poudres. Bien sûr les manoeuvres de division des adversaires de M. Allègre n’ont pas manqué. Au tout début, avec force cajoleries, on essayait de séduire le seul S. N. E. S., totalement orienté à gauche, pour qu’il abandonne tout front commun avec les autres organisations qui pouvaient avoir une orientation très différente. Ce fut peine perdue. L’opinion avait viré de bord : les médias consacraient l’essentiel de leurs informations aux difficultés et aux échecs de la politique de M. Allègre. Le Figaro notamment, encore qu’y traînent quelques articles de mauvais aloi forgés par des journalistes attardés, a consacré une abondante information à la situation dans les établissements des zones sensibles (notamment l’impressionnant journal d’un professeur de collège de banlieue). Enfin, du 4 au 10 février, ce même journal a publié une enquête très documentée, qui montre parfaitement comment le système éducatif s’est effondré, en raison d’une série de réformes inspirées par l’idéologie gauchiste. L’instauration du collège unique en 1975 par M. Haby fut une étape particulièrement catastrophique. La réplique apportée par le "responsable" n’est guère convaincante. Elle montre seulement qu’il a cédé à des pressions convergentes ; certes, ses intentions étaient louables, mais il a manqué d’énergie. Il est manifeste que d’Haby à Allègre il y a une dérive continue, sans aucune rupture. Mais, avec Allègre, la coupe était pleine. Le Monde du 19 février consacre un gros titre à un manifeste anti Allègre que viennent de publier des professeurs, qui peuvent légitimement dire qu’ils représentent 80 % du corps enseignant, et le ton adopté n’est nullement défavorable. Ainsi l’organe de presse le plus influent, qui avait toujours défendu depuis 1968 les innovations pédagogiques, dénoncé les conservatismes, abandonne le navire ! En clair, les "intellectuels" ont décidé la mise à mort de M. Allègre. Le texte évoqué montre que ses réformes ne passeront pas. Il est sans ambiguïté : il dénonce à juste titre la fausse opposition de la réforme moderniste et du conservatisme, alors que le problème est l’adaptation des enseignements à des conditions nouvelles. Ce n’est pas M. Allègre qui peut conduire cette adaptation. D’emblée, le manifeste affirme que "le despotisme haineux et calomniateur de Claude Allègre est insupportable". On ne saurait mieux dire. Maurice Boudot Tweet |