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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 63 - 1er trimestre 1999
LE RAPPORT MEIRIEU ET LA RÉFORME DES LYCÉES LE RAPPORT MEIRIEU ET LA RÉFORME DES LYCÉES PAR MME GENEVIÈVE ZEHRINGER Monsieur le Professeur, je remercie "Enseignement et Liberté" de m’avoir invitée à exposer le point de vue de la Société des agrégés sur le Rapport Meirieu. Vous avez bien voulu m’expliquer qu’Enseignement et Liberté groupe des personnes qui se sentent concernées par le destin de l’enseignement privé. La Société des agrégés pour sa part est une association loi 1901, qui a pour objet l’étude de toutes les questions qui intéressent l’enseignement, la défense des concours d’agrégation et celle des intérêts matériels et moraux de leurs lauréats. Entièrement indépendante, parce qu’elle ne considère que la nature des décisions relatives à l’enseignement et non l’appartenance de leurs auteurs à tel ou tel gouvernement, et parce qu’elle ne reçoit ni ne demande de subvention, la Société des agrégés groupe près de 12 000 adhérents dont certains exercent dans des établissements d’enseignement privé sous contrat, soit comme fonctionnaires soit comme maîtres du privé - qu’ils aient opté pour ce dernier statut après leur réussite à l’agrégation externe ou l’aient obtenu en se présentant au "CAERPA" qui offre, dans le cadre de l’agrégation interne, des postes réservés aux maîtres du privé. Les établissements privés semblent en effet heureux de pouvoir donner aux familles l’assurance que les élèves sont confiés à des professeurs formés et recrutés pour dispenser un enseignement conforme à des programmes nationaux, préparant ainsi à des examens nationaux, tels que le baccalauréat ou les brevets de techniciens supérieurs, et aux concours nationaux d’entrée dans les grandes écoles. Rendu public le 18 mai 1998 dans sa version définitive, le Rapport Meirieu reste pourtant entièrement d’actualité. Détrompant les trop nombreux observateurs qui jugeaient inutile l’analyse d’un texte destiné, pensaient-ils à rejoindre dans l’oubli tous les rapports précédents, le Ministre a multiplié depuis six mois les marques de son approbation des quarante-neuf "principes" (sic) du Rapport Meirieu, jusqu’à en extraire les onze "principes indissociables" (sic) de la réforme des lycées qui entre en vigueur en septembre 1999 et dont les premières mesures (des allégements de programme considérables dans certaines disciplines) sont connues depuis trois jours. En ce qui concerne la consultation menée par Philippe Meirieu et les conclusions qu’il affirme en avoir tiré, je tiens à souligner immédiatement que les critiques de la Société des agrégés n’ont jamais porté sur l’idée même de poser à des élèves, leurs parents, leurs professeurs, la question "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?" (bien que la question essentielle "Qui peut savoir quels savoirs il convient d’enseigner dans les lycées ?" soit ainsi considérée comme tranchée) mais sur le contenu réel de la consultation et du commentaire qu’en a fait son responsable. Voici par exemple, sous la rubrique "Qu’apprenez-vous au lycée ?", le texte des cinq premières questions du questionnaire distribué aux élèves : "1-1- Dans ce que vous apprenez au lycée, qu’est-ce qui est le plus important ? 1-2- Qu’est-ce que vous jugez important d’apprendre au lycée mais qui vous ennuie ? 1-3- Pensez-vous qu’il y ait un remède possible à cet ennui ? Si oui lequel ? 1-4- Qu’est-ce qui apparaît inutile et sans intérêt dans ce que vous apprenez au lycée ? 1-5- Qu’est-ce que vous souhaiteriez apprendre au lycée et que vous n’y apprenez pas encore ?" Et voici maintenant l’une des trois premières questions posées aux professeurs : "1-3- De quelles qualités nécessaires à une société républicaine et démocratique votre discipline est-elle porteuse ? Citez-en trois essentielles pour vous. Selon vous, quels sont les obstacles, dans votre discipline, à la formation de ces qualités ?" On remarquera le crescendo : non content d’avoir, dans le "questionnaire-élèves" associé à plusieurs reprises l’idée d’"apprendre" à des termes péjoratifs ("qui [...] ennuie", "inutile", "sans intérêt"), le rédacteur des questionnaires diffusés par M. Meirieu en vient à l’idée selon laquelle il y aurait "dans (chaque) discipline" des "obstacles" à la formation des qualités nécessaires à une société républicaine et démocratique ! Faut-il en conclure que, loin de devenir citoyen en s’instruisant, l’on ne s’instruit qu’en étant devenu citoyen, c’est-à-dire que l’on ne s’instruit utilement qu’à condition d’avoir exercé au préalable un contrôle sur le contenu des "savoirs" afin d’en ôter ce qui ferait obstacle à l’idée que se fait tel ou tel du citoyen idéal ? C’est en tout cas une suggestion qui a fait son chemin, puisque l’on trouve dans le texte des "onze principes" ministériels non pas l’idée que toutes les disciplines "permettent" le développement de l’esprit civique - ce que la Société des agrégés aurait approuvé, - mais l’indication que toutes les disciplines "doivent permettre" de développer les qualités civiques, "doivent éduquer" à la responsabilité, etc. "Chargé par le Ministre d’organiser une consultation sur la question "Quels savoirs enseigner dans les lycées ?", M. Meirieu reconnaît d’ailleurs (introduction du Rapport) qu’il a fait porter sa "réflexion" sur les "finalités" de "l’institution scolaire", question qui, en France, relève de la Constitution, laquelle, jusqu’à preuve du contraire, fait de l’enseignement un devoir pour l’État. Or on ne révise pas la Constitution en faisant remplir trois millions de questionnaires, quand bien même ils seraient plus réfléchis et plus faciles à dépouiller que ceux de la consultation Meirieu. C’est bien pourquoi de nombreux adhérents de la Société des agrégés s’inquiètent de ce qu’ils considèrent non plus comme une investigation passablement démagogique sur les contenus et les programmes, mais comme un pseudoréférendum au service d’une altération profonde de la mission du lycée et même de l’institution scolaire. Ils démentent avec indignation l’"enthousiasme" que le Ministre et les organisateurs croient avoir perçu. En effet la suggestion selon laquelle "78 % des lycéens" et "52 % des professeurs", par le seul fait qu’ils ont accepté de remplir des questionnaires, montreraient qu’ils approuvent non seulement le contenu et la conduite mais encore les prétendues conclusions de cette consultation, cette suggestion relève de la désinformation pure et simple. Nous citons ici le témoignage d’un fonctionnaire réquisitionné pour le dépouillement : "Je me suis beaucoup intéressé à la consultation, d’abord par obligation [...]. J’ai alors constaté que certaines réponses étaient, en fait, des refus de répondre, clairement exprimés. Les collègues n’ont pas été dupes du caractère tendancieux des questions posées qui ne permettaient jamais de répondre en termes de contenus précis." Nous précisons de plus que les comités d’organisation académiques avaient recommandé aux chefs d’établissement de veiller à ce que les élèves remplissent leurs questionnaires (ce devait être un acte volontaire) au besoin en présence du professeur principal. Enfin, la Société des agrégés a dû protester vivement contre des pressions exercées sur des jeunes professeurs stagiaires d’I.U.F.M., afin d’obtenir d’eux une participation "volontaire" au dépouillement des questionnaires remplis par les élèves. Nous rappelons notre condamnation des termes de la lettre adressée, le 29 janvier, à ces jeunes stagiaires, par la Direction de l’I.U.F.M. de Créteil. "Conscient de l’effort [...] volontaire que je vous demande, je vous indique que votre participation au dépouillement du questionnaire-élèves [...] donnera lieu à une fiche d’attestation[ ..] qui figurera dans le dossier d’évaluation examiné en fin d’année pour votre titularisation". M. Meirieu prétendait que le rapport final tiendrait très largement compte de la consultation, et des débats prévus à Lyon les 28 et 29 avril. Ce rapport final, nous l’avons sous les yeux les "larges" apports des "travaux en atelier" du 28 avril occupent quelques lignes de ses trente pages ; les vues développées par M. Meirieu dans l’ouvrage "L’École ou la Guerre civile" publié en septembre 1997 près de six mois avant l’ouverture de la consultation... en constituent la quasi-totalité : éducation à la citoyenneté, culture commune, aide aux devoirs, enseignement mutuel des élèves, fondation de "cités scolaires", épreuve sur dossier organisée dans le cadre d’un nouvel examen qui serait la mort douce du baccalauréat. Quant aux opinions, semble-il très diverses, qui ont trouvé à s’exprimer par le biais de la consultation, elles sont chaque fois rapportées aux présupposés de l’ouvrage de référence et leur valeur appréciée à l’aune de leur conformité avec ses thèses : obligé, par exemple, de prendre acte du fait que "plus de 69 % des élèves placent la réussite à l’examen final en tête de leurs objectifs de scolarisation", l’auteur du rapport concède que "ce souhait certes n’est en rien condamnable" (comme si le but d’une consultation était d’approuver ou de condamner les opinions existantes), mais s’empresse de l’attribuer à un sentiment négatif d’incertitude sur la fonction du lycée. Après avoir reconnu que "l’attachement au baccalauréat comme examen final, anonyme et national, est une constante des résultats de la consultation" il définit pour cet examen de nouvelles modalités totalement incompatibles avec le caractère d’un examen final, national et anonyme, telles que la prise en compte de la "participation à la vie de l’établissement" observée chez un élève, prise en compte que le compte rendu ne fait nullement apparaître de la part des élèves qui ont participé à la consultation, s’il est vrai qu’elle est réclamée par quelques professeurs (un sur dix environ). Sur le fond du Rapport Meirieu, la Société des agrégés dénonce une première incohérence : d’une part le Rapport commence avec juste raison par mettre l’accent sur l’idée que les élèves doivent être "informés" (ce qui est certes très insuffisant, car ils doivent en réalité être "instruits") et rendus "exigeants dans leur recherche de la vérité", et il reconnaît également qu’il existe une peur du démantèlement du service public d’enseignement qui s’exprime par "le refus de "programmes-maison", l’attachement à la valeur nationale du baccalauréat, le souci de l’égalité des chances dans l’accès aux études supérieures". Mais d’autre part de nombreux principes, de nature à empêcher les professeurs de dispenser un enseignement national laïque, vont à l’encontre de ces objectifs :
La Société des agrégés refuse catégoriquement que le lycée, reconnu comme "un lieu d’enseignement" puisse être utilisé comme un lieu de prosélytisme. Sans contester la valeur de la solidarité, elle conteste fondamentalement que la recherche du savoir puisse être asservie à un quelconque assentiment collectif. Les élèves doivent être libres de se procurer la connaissance et d’arriver à la vérité autant qu’il est possible, libres le cas échéant de se désolidariser des personnes qui commettent des erreurs même lorsqu’il arrive qu’elles constituent une majorité (Galilée). Chaque élève doit être libre de développer ses aptitudes individuelles par la recherche du savoir et autant qu’il le peut. La Société des agrégés constate d’ailleurs que, selon un sondage réalisé par Anacom du 20 au 24 avril (Le Figaro du 21 mai), 71,7 % des parents attendent de l’école avant tout qu’elle transmette des connaissances, tandis que 19,5 % d’entre eux estiment que son rôle est plutôt de transmettre des valeurs sociales. Même en dehors du corps enseignant, le point de vue développé dans le rapport n’est donc pas majoritaire. En ce qui concerne la question des programmes, la Société des agrégés juge indispensable que les programmes soient "rédigés à l’échelle nationale" mais pour cette raison dénonce la distinction entre "programmes" et "programmation". Il est vrai que le Conseil national des programmes est tombé dans l’excès en prescrivant d’inscrire dans les programmes non seulement les "items" et les "notions" qui les explicitent (ce que la Société approuve), mais aussi un ensemble de "commentaires", ce qui ne veut pas dire qu’il soit bon de refuser toute liste obligatoire d’oeuvres à étudier. Il y a en littérature, en histoire de l’art, un patrimoine culturel dont l’ignorance est un handicap grave même pour des professions autres que l’enseignement. Mais pour que les programmes garantissent aux élèves un enseignement national homogène conduisant au baccalauréat, ils doivent faire plus que "fournir des indications peu nombreuses". Ils doivent être précis, suffisamment développés, comporter des indications de durée, s’accompagner d’instructions relatives à des types d’exercices, tout en laissant le choix des supports, des exemples et de l’ordre d’étude. Il est scandaleux que, pour avoir voulu décharger le ministre de l’Éducation nationale de la responsabilité de fixer des programmes et des instructions véritablement nationaux, le Rapport Meirieu attribue (principe 19) aux conseils d’administration et aux conseils de classes le contrôle du "vocabulaire utilisé", des "méthodes", de la "nature des exercices et des travaux demandés" et même des "contenus d’enseignement". Une telle dérive est d’autant plus inadmissible que cet article 19 passe subrepticement de la notion de "coordination" des enseignements à celle d’"harmonisation" des contenus des disciplines, qui va encore beaucoup plus loin. Car on voit bien en réalité à quoi tend le Rapport Meirieu : non à réduire le coût global de l’éducation mais à réduire la part des dépenses qui incombent à l’État, et à augmenter la part de ces dépenses qui incombe aux collectivités territoriales, éventuellement en échange d’un droit de contrôle des contenus et de la pédagogie, que leur accorde le principe 19. Ces orientations sont inacceptables, la Société des agrégés attend du Gouvernement qu’il désavoue ces orientations, et non pas qu’il procède maintenant à une réforme des lycées qui consiste à diminuer l’horaire hebdomadaire des élèves, tout en augmentant le nombre des disciplines enseignées mais en amputant les programmes correspondants : si une telle réforme catastrophique devait être pratiquée, les élèves, au lieu de connaissances enrichissantes et utilisables, n’auraient accès qu’à un inventaire de broutilles, particulièrement nuisible à ceux qui n’ont que l’école pour s’instruire, tandis que les familles aisées ou éclairées sauront bien où s’adresser pour procurer à leurs enfants les compléments indispensables. Il y aurait encore beaucoup à dire mais je ne voudrais pas parler trop longuement. Maurice Boudot : - Aucun de vos auditeurs, Madame la présidente, n’a trouvé que vous ayez parlé trop longtemps. Question dans la salle : - Combien y-a-t-il d’agrégés en France ? Geneviève Zehringer : - S’il est difficile de dire combien il y a de lauréats de l’agrégation, le nombre de professeurs appartenant au corps de l’agrégation est d’à peu près 36 000. Question dans la salle : - Ce que vous nous avez dit sur le rapport Meirieu est ahurissant. Faut-il souhaiter que le système s’écroule ? Geneviève Zehringer : - Non, je crois qu’il ne faut jamais faire la politique du pire. Quand on nous parle d’expérimentation, on oublie que les élèves seront les cobayes. Ce ne sont pas seulement des êtres humains, ce qui serait déjà à considérer, mais ce sont des être humains en développement. C’est une duperie que de parler d’expérimentation d’un mode d’enseignement puisqu’on ne sait pas ce que l’élève serait devenu d’autre pendant le temps pendant lequel on lui a fait subir l’expérimentation. Contrairement à ce que l’on nous dit, le lycée est actuellement un maillon fort du système éducatif. Il est certain que des élèves sortant de l’école élémentaire arrivent en grande difficulté au collège, cela parce que les instituteurs nombreux qui continuent d’assumer leur mission du mieux qu’ils peuvent en essayant d’apprendre à lire, écrire et compter sont sous une avalanche d’instructions inspirées par une pédagogie idéologique qui est pour eux un désaveu constant. Il y aurait à réfléchir à une reconstruction de l’école élémentaire dans un tout autre esprit que celui de la charte de l’école du XXIe siècle qui dit reconstruire l’école et en réalité veut la détruire. Il y aurait aussi à réfléchir à la reconstruction du collège mais tous ceux qui connaissent le lycée savent que l’enseignement y donne encore satisfaction, grâce justement à des programmes, qui peuvent être pour certains trop amples, mais nationaux et explicites, et grâce à l’abnégation du corps enseignant. Et c’est le lycée que M. Allègre veut transformer en une simple étape de transition ? Marie-Elisabeth Allainmat (USLC - CNGA) : - Je voudrais renchérir sur ce qu’a dit Mme Zehringer car le syndicat de professeurs que je représente, affilié à la CGC, est, comme tous les syndicats d’enseignants, sauf deux, opposé aux projets actuels. Depuis le rapport Meirieu, il s’est passé plusieurs choses inquiétantes. M. Allègre, reprenant exactement toutes les orientations du rapport Meirieu, a sorti un projet provisoire, qu’il a présenté au Parlement en juillet, extrêmement pernicieux parce qu’il a gommé toutes les expressions qui faisaient problème. Par exemple, il n’a pas parlé de culture commune, mais il a effacé le mot pour prôner la chose. Le 31 juillet, il est sorti un texte qui diminuait le taux des heures supplémentaires. Ce texte, présenté comme un geste civique pour faire faire des économies au pays, est une demande de solidarité adressée aux professeurs et seulement aux professeurs pour financer les emplois de jeunes non qualifiés. Enfin, le plan d’action présenté mercredi dernier, d’abord aux lycéens, naturellement, pour faire passer l’idée que c’est à cause des dernières manifestations que ce plan d’urgence est nécessaire, alors qu’en fait il correspond absolument au projet Meirieu et au texte de projet provisoire présenté devant le Parlement. Le ministère travaille déjà a grands pas dans toutes ces directions, par exemple, dans l’interdisciplinarité, on nous demande nos idées sur des "blocs interdisciplinaires". Le fonds lycéen qui n’est déjà pas employé dans les lycées, depuis sa création par la loi d’orientation de M. Jospin, a été multiplié par deux. Geneviève Zehringer : - En ce qui concerne les fonds, nous sommes opposés au principe du fonds lycéen et des fonds en général parce que ce sont des sommes d’argent dont il est très difficile de contrôler l’utilisation. Ensuite nous avons été beaucoup trop généreuses, Mme Allainmat et moi, en disant que M. Allègre avait présenté au Parlement les onze principes qu’il a tirés du Rapport Meirieu. En réalité il les a présentés à l’Assemblée nationale les 1er et 2 juillet, au Sénat le 11 juillet, seulement aux membres de la Commission des affaires culturelles. En ce qui concerne le décret du 30 juillet qui diminue de 17 % le taux de la rémunération des heures supplémentaires faites par les professeurs, je ne l’évoquerai que pour indiquer, - ce qui est regrettable car s’il y a un endroit où l’on devrait avoir le respect du sens des mots c’est bien au ministère de l’Éducation nationale -, que M. Allègre a commis une inexactitude notoire. En s’appuyant sur l’article 9 de la loi Jospin du 10 juillet 1989, il définit l’année scolaire par le nombre de semaines pendant lesquelles les élèves sont en classe, en oubliant de dire que, si l’on parle de l’année scolaire ainsi comprise, et cela au moins depuis 1912, année des archives les plus anciennes sur le sujet, il n’est jamais arrivé que l’année scolaire compte plus de 38 semaines, et encore je ne suis pas sûre que ce nombre ne soit pas calculé par excès. L’idée de M. Allègre, qui est aussi celle de la loi Jospin, est que les 38 semaines pendant lesquelles les élèves et les professeurs sont en présence sont les semaines de travail et que l’on ne travaille pas entre-temps. C’est là ce qui est faux et critiquable. Voici un simple exemple personnel : reçue à l’agrégation le 7 août, je me rappelle avoir, dès le lendemain, commencé à préparer mes cours. Quand on a un cours à faire à des élèves, heureusement puisque l’on a choisi une discipline que l’on aime, on prépare ce cours. Or M. Meirieu remet en cause notre propre conception de la fonction enseignante, selon laquelle un cours se prépare en fonction des élèves que l’on va avoir, même si le "cours magistral" que le ministère feint de croire encore pratiqué est complètement dépassé. Cela fait quarante ans qu’il y a des instructions qui interdisent à un professeur de parler à des élèves qui se taisent. Un inspecteur qui se rendrait dans une classe et qui trouverait des élèves qui "gratteraient", comme disent les élèves, sans mot dire, ferait des reproches à l’enseignant qui verrait sa note baisser. Ce qui est très important aussi dans le travail d’un professeur c’est la correction des copies. Nous comprenons pour quelles mauvaises raisons M. Meirieu prétend qu’un professeur qui corrige des copies perd son temps. Pour lui c’est un travail inutile. Il déplore dans L’École ou la guerre civile que des professeur acceptent de gâcher des centaines d’heures à corriger des copies. Or pour les élèves, la correction de leurs copies est quelque chose qui leur rend les plus grands services, et ils sont attentifs à ce qui est écrit en marge. Mais cette correction demande des heures de travail, et si l’on ne veut plus de cette conception de l’enseignement c’est parce qu’elle coûte cher - et ce qui le prouve c’est le décret sur les heures supplémentaires. Le décret repose sur une comparaison erronée de la durée actuelle de l’année scolaire avec les durées antérieures. Il est par ailleurs exact que le ministère travaille depuis des mois à diminuer les horaires des disciplines et, pour pouvoir le faire sans que cela devienne scandaleux, prétend qu’il y a des sortes de sujets interdisciplinaires ; va-t-on pouvoir découvrir la démarche expérimentale par le biais de n’importe quelle discipline ? C’est en tout cas ce qui inspire aussi la charte sur l’école du XXIe siècle où l’on dessaisit l’instituteur de sa responsabilité qui est de donner l’enseignement, au profit de toute une gamme de non professionnels de l’enseignement. On nous dit que ce sont les animateurs recrutés par les mairies qui vont faire découvrir les exigences de la science par le biais de la démarche expérimentale. Par exemple en mettant, selon l’expression bien connue "Un poisson rouge dans le Perrier" pour voir s’il survit !
La conférence de Madame Zehringer a été donnée au Palais du Luxembourg, le 24 octobre dernier, lors de la manifestation de remise du Prix d’Enseignement et Liberté. Nous publierons dans le prochain numéro, le texte de la conférence donnée le même jour par M. Jacques Lévy sur l’avenir des classes préparatoires et des grandes écoles. L’INEXORABLE DÉCLIN D’UN DESPOTE M. Allègre ne peut attribuer les difficultés qu’il rencontre à une hostilité qui aurait son origine dans les préjugés des milieux de droite. On avait rarement vu un ministre socialiste accueilli par un tel concert de louanges dans l’ensemble de la presse, et les sondages confirmaient cette faveur de l’opinion. Ses attaques réitérées contre le corps enseignant - notamment sur son absentéisme - sont largement approuvées, même lorsqu’elles reposent sur des données fausses comme le ministre finira par le reconnaître ! On découvre soudain une profonde hostilité d’une large partie du public à l’égard du corps enseignant qu’expliquent et peut-être légitiment les comportements désinvoltes ou aberrants de quelques-uns de ses membres. Très scandaleusement, de la façon la plus démagogique, M. Allègre entretient et exploite ces sentiments pour imposer ses réformes et légitimer une politique qui est celle d’une gauche sectaire et dogmatique. Pour lui, il ne peut y avoir de salut hors d’un nivellement radical. Pendant un certain temps, presque personne n’ose contester la politique Allègre. En septembre 1997, nous étions presque les seuls (hormis les publications professionnelles), avec Rémy Fontaine dans Présent, à nous opposer : je renvoie au n° 57 de cette lettre. Progressivement, d’autres voix se sont fait entendre et de façon de plus en plus critique. L’étrange faveur dont avait bénéficié Claude Allègre au départ fut rompue : on avait enfin compris qu’il ne suffit pas de dénoncer la sclérose des enseignant et l’usurpation des syndicats pour être dans le vrai et mettre en oeuvre une politique efficace. La coalition contre nature de la gauche marxiste et du libéralisme radical fut enfin brisée. L’expérience enleva rapidement toutes les illusions : le fameux colloque, au printemps 98, sur la réforme du secondaire, dont l’organisation était confiée au gourou Philippe Meirieu, malgré la présence d’une claque très "professionnelle", ne pouvait laisser aucune illusion. Hormis la démolition programmée de tout enseignement culturel, rien de sérieux n’était proposé. On eut beau essayer de séduire les lycéens par des allégements de programmes et des promesses plus ou moins feutrées d’examens plus faciles, ils résistèrent aux tentations de la facilité, et, à la fin de l’année, par des manifestations et une agitation sporadique, montrèrent qu’ils n’étaient pas dupes. Ils savaient où les conduisait le chemin de velours préparé par leur ministre : à l’absence de formation et au chômage. Quant à la bonne vieille ficelle selon laquelle, M. Allègre s’opposant aux syndicats, tout ce qu’il propose est bon, elle a fini par s’user. Au minimum, on demande à voir de plus près leurs points de désaccord ...Il est d’ailleurs manifeste, aux yeux des moins avertis, qu’on a échoué à résoudre les problèmes les plus brûlants : imposer ce minimum de sélection qui fasse qu’au cours de leur scolarité certains élèves ne soient pas condamnés à recevoir des enseignements dont ils ne peuvent tirer aucun profit ; éradiquer la violence des établissements scolaires. Sur le second point, nul besoin de commentaire ; la lecture des journaux suffit : on en est - fait nouveau - à tirer sur les principaux de collège ! Quant au niveau, un texte très officiel, signé du directeur de l’enseignement scolaire (M. Toulemonde), et d’une autre personnalité (M. Garnier), conclut, après une classification assez grossière qu’en sixième 20,7 % des élèves "ne maîtrisent pas les connaissances de base" et plus de 38 % les mathématiques. Des tableaux synoptiques montrent qu’en 6 ans ces chiffres se sont accrus presque continûment (en lecture de 11,5 à 20,7, en calcul de 17,4 à 38). Cela prouve que, contrairement à certaines allégations, le niveau n’a nullement monté, mais qu’on a de plus en plus submergé le collège unique sous une marée de cancres. Il est vraiment très regrettable que ce texte d’abord adressé aux seuls recteurs et inspecteurs d’académie, puis sur minitel n’ait pas connu la large diffusion qu’il méritait. Que nous propose M. Allègre ? seulement persévérer dans cette voie, en accélérant le rythme des réformes qui offriront le lycée pour tous (après le collège pour tous). Ce programme bassement démagogique ne trompe plus personne apparemment. Il s’ensuit que les mesures outrageantes contre les classes préparatoires aux grandes écoles, classes par nature "élitistes", et leurs professeurs dont on a réduit les émoluments en faisant appel à leur sens de la solidarité, pour multiplier les emplois de jeunes non qualifiés, n’ont pratiquement trouvé aucun défenseur, si l’on excepte quelques gauchistes attardés, mais ont probablement mis le feu aux poudres. Bien sûr les manoeuvres de division des adversaires de M. Allègre n’ont pas manqué. Au tout début, avec force cajoleries, on essayait de séduire le seul S. N. E. S., totalement orienté à gauche, pour qu’il abandonne tout front commun avec les autres organisations qui pouvaient avoir une orientation très différente. Ce fut peine perdue. L’opinion avait viré de bord : les médias consacraient l’essentiel de leurs informations aux difficultés et aux échecs de la politique de M. Allègre. Le Figaro notamment, encore qu’y traînent quelques articles de mauvais aloi forgés par des journalistes attardés, a consacré une abondante information à la situation dans les établissements des zones sensibles (notamment l’impressionnant journal d’un professeur de collège de banlieue). Enfin, du 4 au 10 février, ce même journal a publié une enquête très documentée, qui montre parfaitement comment le système éducatif s’est effondré, en raison d’une série de réformes inspirées par l’idéologie gauchiste. L’instauration du collège unique en 1975 par M. Haby fut une étape particulièrement catastrophique. La réplique apportée par le "responsable" n’est guère convaincante. Elle montre seulement qu’il a cédé à des pressions convergentes ; certes, ses intentions étaient louables, mais il a manqué d’énergie. Il est manifeste que d’Haby à Allègre il y a une dérive continue, sans aucune rupture. Mais, avec Allègre, la coupe était pleine. Le Monde du 19 février consacre un gros titre à un manifeste anti Allègre que viennent de publier des professeurs, qui peuvent légitimement dire qu’ils représentent 80 % du corps enseignant, et le ton adopté n’est nullement défavorable. Ainsi l’organe de presse le plus influent, qui avait toujours défendu depuis 1968 les innovations pédagogiques, dénoncé les conservatismes, abandonne le navire ! En clair, les "intellectuels" ont décidé la mise à mort de M. Allègre. Le texte évoqué montre que ses réformes ne passeront pas. Il est sans ambiguïté : il dénonce à juste titre la fausse opposition de la réforme moderniste et du conservatisme, alors que le problème est l’adaptation des enseignements à des conditions nouvelles. Ce n’est pas M. Allègre qui peut conduire cette adaptation. D’emblée, le manifeste affirme que "le despotisme haineux et calomniateur de Claude Allègre est insupportable". On ne saurait mieux dire. Maurice Boudot Lettre N° 62 - 4ème trimestre 1998
LA MORTE-SAISON Comme tous les deux ans depuis 1990, la remise du Prix bisannuel et l’assemblée générale ordinaire d’Enseignement et Liberté, suivie cette année d’une assemblée extraordinaire, se sont tenues au palais du Luxembourg, le 24 octobre. Nous donnons dans ce numéro l’essentiel du rapport moral du président, du rapport financier, les résolutions votées lors de ces assemblées générales ainsi que la présentation de l’ouvrage de M. Sylvain Bonnet, par M. Jean Cazeneuve, président du jury, et la réponse du lauréat. Nous publierons prochainement les conférences de Mme Geneviève Zehringer, présidente de la société des agrégés de l’Université, sur le rapport Meirieu et la réforme des lycées, et de M. Jacques Lévy, directeur de l’école des mines de Paris, sur le rapport Attali, l’avenir des grandes écoles et des classes préparatoires, données le même jour. Lorsque ces textes vous parviendront, très vraisemblablement la situation aura peu évolué, car malgré l’aspect bouillonnant de son discours, M. Allègre ne semble pas manifester une grande célérité dans la solution des problèmes. De sorte que je prends le pari que les textes que nous présentons ne seront aucunement caducs lorsque nous les publierons dans cette Lettre. Aucune des questions qu’ils posent n’aura trouvé de réponse d’ici là. C’est le projet de réforme des lycées présentée à l’issue du colloque Meirieu, projet que Mme Zehringer soumet à une analyse critique très documentée, qui a suscité l’émoi des lycéens, plus ou moins encadrés et soutenus par une bonne partie de leurs professeurs. De là a résulté une agitation assez gênante, qui a traîné en longueur et désorganisé la vie scolaire au premier trimestre. Malgré les efforts des organisations à sa dévotion, le ministre n’a jamais pu maîtriser la situation de façon satisfaisante. Mais le caractère indéterminé des revendications des lycéens, qui se contentaient de demander en vrac plus de professeurs, de meilleures conditions d’études et des allégements de programmes, rendait impossible une issue du conflit qui équivaudrait à un " protocole d’accord ". M. Allègre n’est pas sorti grandi de cette épreuve. La vacuité d’un bon nombre de ses propositions, l’inefficacité de la plupart des remèdes qu’il propose sont apparus en pleine clarté, et surtout aux yeux des lycéens. Mais, avec quelques créations d’emplois, quelques aménagements de programmes qui se payeront par un peu plus de dépenses (et donc d’impôts) et encore un abaissement du niveau, il a pu se tirer provisoirement d’affaire. De même que c’est aujourd’hui seulement qu’on constate que la présence d’emplois-jeunes dans l’éducation nationale ne constitue pas une panacée, car on ne sait comment utiliser ces jeunes sans formation, de même c’est seulement dans quelque temps que le bilan des décisions qui ont été prises sera établi. Quant aux attaques contre les grandes écoles et contre ces classes préparatoires dont l’élitisme constitue l’une des cibles favorites de Claude Allègre, elles ont donné lieu à une riposte ardente de leurs défenseurs : pour être brève (car on a un souci particulier des élèves dans ce milieu), la grève des professeur a été très massivement suivie. Ainsi la démonstration était faite - et le soutien de personnalités particulièrement éminentes le confirmait - que si M. Allègre persistait dans ses intentions l’affaire ne serait pas de tout repos pour lui. On ne s’étonnera donc pas si tout est calme sur ce front, mais naturellement on ne saurait rien préjuger à partir de cette accalmie. Les deux problèmes majeurs qui marquèrent la situation jusqu’à la Toussaint n’ont donc nullement évolué. Depuis, aucune donnée marquante si ce n’est une initiative qui n’a pas vraiment retenu l’attention. Sous prétexte de lutter contre les sectes, on renforce les exigences relatives à l’instruction des enfants élevés dans des établissements privés hors contrat (qui ne sont pas une rare exception, contrairement à ce qu’on croit) ou dans leur famille. Ce ne sont plus seulement les connaissances acquises en français et calcul, mais plus généralement l’éducation, le développement de la personnalité et la préparation à " l’exercice de la citoyenneté " qui seront contrôlés. Les parlementaires portés naturellement à retrouver l’unanimité lorsqu’il s’agit de faire une imbécillité n’ont pas hésité à approuver ces dispositions. Il suffit de parler de lutter contre les sectes pour leur imposer le silence. Il semble que personne n’ait encore songé à remarquer qu’un gouvernement malveillant pourrait utiliser contre la liberté de l’enseignement un texte si chaleureusement accueilli par Mme Royal. Bien sûr, ce n’est pas le secrétariat national de l’enseignement catholique qui en fera la remarque. Hors des contrats, point de salut.
Grâce à la généreuse bienveillance de la Présidence du Sénat, nous pouvons tenir au palais du Luxembourg une assemblée générale ordinaire de notre association, qui sera suivie d’une assemblée extraordinaire. Ensuite, nous entendrons deux conférences sur des sujets d’actualité, données par des personnalités particulièrement compétentes, que nous remercions vivement de leur venue. Enfin, avant de clore la réunion, M. Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, président de jury, procédera à la remise du prix d’Enseignement et Liberté. Une fois de plus – la cinquième fois en huit ans – nous devons exprimer au Bureau du Sénat toute notre reconnaissance pour la sollicitude qu’il nous marque en mettant à notre disposition les locaux dans lesquels nous allons passer l’après-midi. Il y a deux ans presque exactement, à guère plus d’une dizaine de jours près, dans le précédent rapport moral, j’avais déploré que, malgré ses intentions louables et la parfaite estimation de la situation qu’il manifestait, M. Bayrou, depuis longtemps ministre, n’ait pas mis le temps à profit pour assurer la liberté de l’enseignement privé et améliorer le fonctionnement du service public. J’étais alors bien imprudent de dénoncer l’inertie ministérielle. Juste quelques mois plus tard, une dissolution, dont je me contenterai de dire qu’elle était imprévue du commun des mortels, déterminait un changement de majorité et portait M. Claude Allègre au ministère de l’Éducation nationale. Peu connu du grand public – il n’est pas membre de parlement, notamment – M. Allègre s’était fait remarquer de milieux plus restreints comme conseiller de M. Jospin et en réalité comme principal inspirateur des réformes entreprises par celui qui était alors ministre de l’Éducation. Les objectifs que poursuit M. Allègre ne pouvaient donc aucunement surprendre. Comme il est nature, il s’agissait de reprendre ce qui avait été décidé dans les grandes lignes et édicté par M. Jospin lui-même. Il s’agirait seulement de compléter et d’appliquer ces décisions. Ce qui, en revanche, surprendra, c’est le rythme et l’ordre des mesures prises, ainsi que le style à la fois brutal et démagogique du nouveau ministre, qui lui vaudra une étrange popularité. Dès la première rentrée des classes qu’il doit assurer, M. Allègre s’en prend au corps enseignant, qui abuserait des congés de formation – que M. Jospin et les autres ministres socialistes ont fortement contribué à institutionnaliser – et des congés de maladie, "qui ne sont pas un droit" soutient-il, avançant des chiffres de taux d’absence manifestement faux, comme il l’avouera plus tard. En même temps, il manifeste sa volonté de rogner sur les vacances des enseignants et d’accroître leur charge de travail. Tout ceci s’accompagne de considérations sur la nécessaire modernisation apportée par le Minitel, l’Internet, qui dispenseraient en quelque sorte de savoir lire et écrire, sous réserve qu’on connaisse la langue anglaise ! Ces propos, d’ailleurs réitérés avec diverses variantes, constituaient une déclaration de guerre aux syndicats d’enseignants, notamment au SNES-FSU, dominant dans le second degré, qui apparaît rapidement comme le premier visé lorsque M. Allègre affirme qu’il faut mettre fin aux pratiques de "cogestion" entre l’administration et les syndicats, pratiques qui profitaient surtout à ce syndicat. Si on ajoute que la "déconcentration" est tout de suite inscrite au nombre des objectifs ministériels et qu’elle pourrait nuire à son pouvoir, on doit conclure que les hostilités étaient ouvertes dès l’arrivée de M. Allègre rue de Grenelle. Initialement, cette attitude devait valoir à M. Allègre la sympathie et l’indulgence de nombreux parents, même parmi ceux qui s’affirment plus proches politiquement de l’opposition que de la gauche : c’est qu’il savaient d’expérience qu’il y a un nombre appréciable d’enseignants incompétents ou désinvoltes ; ils étaient heureux de voir un ministre qui ne se fait pas le défenseur inconditionnel des professeurs. Aussi, il nous a été nécessaire de procéder à un travail d’explication, comme on dit dans certains milieux. A partir du moment où on porte l’attention, non au style, mais aux objectifs de la politique ministérielle, il est clair que nous ne pouvons qu’être radicalement opposés à ces objectifs, comme nous avons essayé d’en convaincre nos lecteurs. On s’étonnera de voir un ministre de la gauche plurielle prendre comme adversaire un corps enseignant qui vote massivement à gauche et le plus pesant des syndicats du secondaire. Mais tout s’explique si on suppose que pour M. Allègre la situation lamentable du système éducatif vient des obstacles qui ont empêché l’application de la politique dessinée par M. Jospin, notamment dans sa loi d’orientation de 1990. Ces obstacles ont été multipliés par l’opposition de diverses organisations à la fois corporatistes et conservatrices. Encore plus que le SNALC – le plus important des syndicats non-marxistes du secondaire – conservateur qui doit avoir aux yeux de M. Allègre l’avantage de jouer franc jeu, la bête noire, ce sera le SNES-FSU, dont on sait que sa direction est fortement influencée par des éléments communistes, et qui masquerait sous un progressisme de façade une bonne dose de conservatisme et de corporatisme. Seuls trouvent grâce à ses yeux le syndicat fédéré à la CFDT (très à gauche pédagogiquement) et une petite organisation née d’une scission du SNES ; mais à eux deux ces syndicats ne représentent guère plus de 20 % des enseignants du secondaire. C’est donc en brisant en priorité les résistances qu’il rencontre dans son propre camp syndicalo-politique que le ministre entend imposer ses volontés. Les reproches de corporatisme et de conservatisme adressés à ceux qui sont du même côté de l’échiquier politique que lui ne sont pas totalement dénués de fondement. Mais enfin, la fonction d’un syndicat n’est-elle pas de défendre ses mandants ; à ce titre, son action ne peut être totalement dépouillée de toute trace de corporatisme. Quant à l’accusation de conservatisme, elle est portée contre tous ceux qui, parce qu’ils estiment avec réalisme la situation, ne sont pas disposés à faire table rase du passé. Ce qui, pas à pas, va ruiner la réputation favorable de M. Allègre, c’est son incapacité de résoudre les problèmes les plus brûlants auxquels il est affronté. L’interminable grève des enseignants de la Seine-Saint-Denis qui ne peuvent exercer leur métier en raison de la violence qui paralyse lycées et collèges l’a beaucoup desservi. Alors qu’en quelques années le nombre d’incidents a été multiplié par dix, il ne trouve à proposer comme remède que l’augmentation du nombre de classes de ZEP. Les promesses non tenues vont également le compromettre. A l’entendre, grâce à ses soins, la dernière rentrée s’était déroulée dans de bien meilleures conditions que les précédentes. Or, que découvre-t-on ? Un mécontentement général des élèves, des professeurs, des chefs d’établissement, fondé dans de nombreux cas sur des données objectives indéniables, mais dans d’autres sur des demandes abusives (par exemple, les classes ne sont pas aussi surchargées qu’on veut bien le dire). Pourquoi nous avoir trompé sur la qualité du résultat obtenu par sa gestion ? Enfin, pourquoi ce ministre qui prétendait disposer d’une panoplie de remèdes souverains, au premier rang desquels figurait la "déconcentration", n’a-t-il pas accélérée leur mise en application ? Ce terme prononcé par M. Allègre comme s’il était son invention propre, je l’ai entendu utiliser en 1986 par M. Monory lorsque le tout nouveau ministre de l’Éducation avait reçu une délégation de notre association : il entendait par là le fait de confier au niveau local toutes les décisions qui peuvent l’être sans remettre en cause le statut des enseignants ou le caractère national des programmes, ce en quoi elle se distinguait d’une radicale régionalisation. J’ose espérer que douze ans après, l’actuel ministre a une conception aussi nette de cette déconcentration dont il parle souvent, sans la mettre en train. Les Français ont fini par remarquer que M. Allègre avait tendance à se payer de mots. Tous ces éléments ont sapé une popularité facilement acquise tandis que les projets de réforme, toutes entreprises simultanément, mais jamais conduites à leur terme, ni évaluées, concernant à peu près l’ensemble des facettes de la vie scolaire – à l’exclusion des universités proprement dites, vraisemblablement tenues pour assez fatiguées par les traitements auxquelles elles avaient été soumises – ont donné le sentiment d’une instabilité générale qui a fini par lasser. La plus connue, la plus avancée de ces réformes est celle des lycées, préparée par un questionnaire adressé aux élèves et aux professeurs de ces établissements et dont les conclusions, d’une validité et d’une signification douteuses, ont été présentées lors du colloque Meirieu qui s’est tenu à la fin du mois d’avril à Lyon. C’est elle qui vient de mettre le feu aux poudres, d’autant plus que M. Allègre avait fait croire que les réformes proposées seraient immédiatement appliquées et efficaces, ce que les lycéens ont perçu comme une tromperie. (Soyons assurés que la première mesure appliquée sera ces fameuses réductions de programme qui ne coûtent rien !) La seconde est une reforme des grandes écoles qui s’inspirerait du rapport rédigé par Jacques Attali et qui mettrait en cause le statut des classes préparatoires tenues pour un repaire de l’élitisme. Le projet est ici moins avancé. Je ne parlerai ni de l’une, ni de l’autre de ces réformes pour la simple raison que nous avons invité des personnalités particulièrement qualifiées pour en parler. Mais l’erreur serait d’oublier que d’autres projets ont été mis en chantier. Je citerai d’abord "la charte pour bâtir l’école du XXIe siècle" qui, sous ce titre pompeux semble n’être qu’un projet d’expérience de l’INRP (Institut national de la recherche pédagogique) pour une nouvelle organisation de l’école primaire, expérience toutefois à conduire sur 2 000 écoles au moins. Je noterai simplement que ce document se désintéresse des contenus de cet enseignement, qui n’aurait pas à être complet puisque la scolarité en collège jusqu’à seize ans est elle aussi obligatoire, qu’il multiplie les intervenants en plus des professeurs des écoles, comme si le budget de l’Éducation nationale qui est déjà passé de 200 à 350 milliards en dix ans était infiniment extensible, et qu’enfin le souci majeur semble être une volonté tenace d’arracher l’enfant à sa famille, puisqu’on présente comme un modèle idéal un temps continu d’école de 8 h 30 à 16 h 45 ou 18 h. Enfin pour faire la jonction avec la réforme des lycées, la présentation au mois de juillet par Mme Royal d’un audit sur les collèges confié à des experts dirigés par le sociologue François Dubet. Rien de très original dans les résultats de cet audit : on y constate la diversité des collèges qui ne seraient pas tous effondrés, mais on note que c’est le plus souvent au prix d’une diversification des filières contraire aux textes. On déplore alors que, si le principe des filières est admis et s’il n’y a plus de filières dissimulées en sixième, il en aille tout différemment en quatrième et troisième : le jeu des options linguistiques ou de classes dites européennes permet d’"homogénéiser" les classes à ce niveau. Au nom de principes d’égalités, ce sont ces pratiques qu’il faut éviter, même si ce sont les entorses aux principes qui ont permis à de nombreux collèges de surnager : "il faut réaffirmer le principe de la carte scolaire et limiter les dérogations" ; les journaux télévisés nous apprennent qu’on travaille à le faire. Bel exemple d’acharnement idéologique. Le rapport Meirieu ne fait d’ailleurs après tout que proposer une extension au lycée des principes qui régissent le collège, dans la mesure du possible. Et l’enseignement privé dans tout cela ? Aucune décision ne le concerne directement. Son statut est préservé, mais naturellement amélioré. Mais du fait qu’il constitue la seule échappatoire à un système uniformisateur presque jusqu’au baccalauréat, il est, sans l’avoir cherché, bénéficiaire de la situation. Ce qui ne justifie pas la bruyante approbation apportée par l’UNAPEL à M. Meirieu. Que pouvait-on faire contre ce rouleau compresseur qui n’hésitait pas à réduire au rôle de figurants et à priver de parole dans les colloques officiels les représentants de respectables organisations ? Mettre en pleine lumière à travers notre lettre les intentions et les méthodes d’un ministre qui avait essayé de capter les faveurs d’un public qui lui était habituellement rebelle. Deux exercices se sont écoulés depuis notre précédente assemblée, le 9 novembre 1996. En 1996, les recettes ont été de 573 000 F, dont 27 000F de produits financiers, les charges de 745 000 F, dont 55 000 F pour le prix attribué cette année et le colloque tenu le jour de sa remise. L’exercice s’est traduit par une perte de 171 000 F. En 1997, les recettes n’ont été que de 378 000 F, dont 14 000 F de produits financiers. Les charges de l’exercice ont été de 721 000 F, avec une perte de 343 000 F. Au 31 décembre 1997, les réserves s’élevaient à 342 000 F. Cette augmentation des pertes, après celles enregistrées en 1994 et 1995 résulte d’une diminution des recettes, avec un maintien des charges à leur niveau antérieur. La diminution des recettes résulte essentiellement de celle du nombre de cotisants, au rythme de 10% en moyenne chaque année. C’est ainsi que les 364 000 francs de cotisations abonnements et dons de 1997 sont à comparer aux 450 000 francs de 1995, les années impaires étant toujours moins bonnes que les années paires qui bénéficient des manifestations telles que celle qui nous réunit aujourd’hui. En ce qui concerne les charges, leur maintien au même niveau résulte de la proposition qui avait été faite par le conseil et approuvée par l’assemblée du 9 novembre 1996 de conserver notre organisation dans son état, tant que le niveau des réserves le permettrait. Les résultats de 1997 ont montré que ce n’était plus le cas. Nos dépenses étant constituées pour environ 60% par les achats nécessaires à la diffusion de notre lettre trimestrielle et à l’envoi des courriers aux adhérents et, pour 40%, au salaire de notre délégué et aux charges sociales correspondantes, nous avons dû procéder à son licenciement, effectif au 30 juin de cette année. Cependant, le départ à la retraite de votre président, la fin de l’activité salariée de votre délégué leur permettent de continuer à assurer l’activité de votre association comme vous pouvez le constater aujourd’hui à condition que vous vouliez bien leur accorder quelque indulgence pour la façon dont ils assument les tâches de secrétariat dans lesquelles ils sont novices. Cependant l’équilibre de nos comptes demandera un effort supplémentaire, par la recherche de nouvelles économies mais aussi par un effort des adhérents, effort de générosité mais aussi effort de rapidité dans leur réponse à nos appels. À la suite du débat, les résolutions proposées par le conseil d’administration ont été adoptées à l’unanimité par l’assemblée. Elles portaient sur : • le quitus de leur gestion aux administrateurs, • le renouvellement pour quatre ans des mandats d’administrateurs de MM. Roland Drago, Claude de Flers et Pierre Magnin, • la ratification de la cooptation de M. Jacques Narbonne, conseiller d’Etat honoraire, • l’autorisation donnée au conseil d’administration d’ouvrir à nouveau des concours en vue de l’attribution de prix, avec une dotation de 100.000 francs, et d’une bourse de 50.000 francs à l’auteur d’un manuel scolaire. ASSEMBLEE GENERALE EXTRAORDINAIRE Rapport du conseil d’administration Nous vous avons réunis en assemblée générale extraordinaire afin de vous proposer de modifier, en le simplifiant, l’article cinq de nos statuts qui fixe les catégories de membres de notre association. Nos statuts en distinguent trois grandes catégories : • les membres actifs, répartis eux-mêmes en cinq catégories, selon le montant de leur cotisation, avec un minimum qui est actuellement de 250 F. Les membres actifs sont membres de droit de l’assemblée générale. • les membres associés qui versent une cotisation dont le montant est actuellement de 50F. • les membres d’honneur. La distinction faite par nos fondateurs entre membres actifs et membres associés avait pour objectif de permettre la réunion d’une assemblée générale rapidement et pour un coût modéré, si le besoin s’en faisait sentir. La distinction ainsi faite entre ceux qui participent de droit à l’assemblée générale et ceux qui y participent sur invitation ne semble pas pertinente, à l’usage, puisque les uns et les autres ont toujours été conviés jusqu’à présent. La répartition des membres actifs en cinq catégories avait pour objet de proposer une sorte de barème à ceux qui nous apportaient leur soutien et de les mettre à l’abri des critiques de l’administration fiscale, qui admettait sans discuter à l’époque que les cotisations fussent déduites du revenu imposable et le contestait parfois pour les dons. Cette répartition a également perdu sa justification, puisque l’administration fiscale refuse au contraire maintenant de prendre en compte les cotisations, au motif qu’elles ont une contrepartie, en ne retenant que les seuls dons. La résolution suivante a ensuite été adoptée à l’unanimité : Résolution L’assemblée générale extraordinaire, après avoir entendu la lecture du rapport du conseil d’administration ,décide de substituer à l’actuel article cinq des statuts la rédaction suivante l’association se compose : 1) de membres actifs, personnes physiques ou morales intéressées à la réalisation des buts de l’association, qui adhèrent aux présents statuts, sont agréés par le conseil d’administration et versent une cotisation annuelle dont ce dernier fixe le montant. 2) de membres d’honneur (le reste sans changement)
REMISE DU CINQUIEME PRIX D’ENSEIGNEMENT ET LIBERTE Jean Cazeneuve Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l’association Enseignement et Liberté, présidée par Maurice Boudot avec la précieuse collaboration de Philippe Gorre a créé un prix bisannuel destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage qui contribue à la défense de la liberté d’enseignement et à son exercice dans la société actuelle. Le jury que j’ai l’honneur de présider a eu la grande douleur de perdre cette année un de ses membres, le très regretté Lucien Gorre, qui était d’ailleurs un des fondateurs d’Enseignement et Liberté. Le jury maintenant comprend, avec moi, mon confrère Roland Drago, membre de l’Institut et les professeurs Yves Durand, Pierre Magnin et Armel Pécheul, tous trois recteurs chanceliers honoraires. Le jury a décidé unanimement de décerner le prix 1998 à M. Sylvain Bonnet, auteur d’un livre intitulé PROF et publié aux éditions Robert Laffont. L’auteur est lui-même " prof " et , plus précisément, agrégé de lettres classiques, il enseigne en Normandie dans un collège des environs de Bayeux. Il aime son métier, mais doit affronter dans cet établissement et plus particulièrement dans la classe de quatrième technique, des élèves plutôt turbulents. Il ne s’agit pas d’un établissement à problèmes, ni même d’une banlieue spécialement difficile ; il nous parle, et c’est un des intérêts du livre, d’une population scolaire qui n’est pas celle dont on rend compte dans les médias, quand il y a eu des actes de violence. Dans cette classe on ne relève ni l’usage ni le commerce de la drogue, ni d’actes de délinquance à proprement parler. Il s’agit là d’élèves qui sont issus de famille normales, dont les pères, la plupart du temps, ont des emplois, mais où les parents ne s’occupent guère de leurs enfants, les laissant sans éducation. L’auteur nous décrit leur grossièreté d’une façon tout à fait détachée, et avec beaucoup de talent. Le récit est tout à fait vivant, ce qui fait d’ailleurs que son livre est agréable à lire et se lit même avec passion. Que font ces élèves ? Ils crachent par terre, c’est la grande mode. Et pendant la classe, ils interpellent le professeur, ils se lancent des injures, avec des mots très crus, sans aller jusqu’à la violence. Que peut-on faire dans un tel cas ? L’auteur du livre a essayé plusieurs choses qui n’ont pas toujours été sans résultat, mais cela est toujours difficile. Il s’agit là d’un cas, sans doute plus répandu qu’on ne le croit, parce que l’on n’en parle pas, en l’absence de violence caractérisée. Un des grands intérêts de ce livre est de nous révéler l’existence de cette population scolaire. Ces jeunes, mal élevés et grossiers, ne s’intéressent pas du tout aux études, n’aiment pas la lecture, maîtrisent mal le langage. Il s’agit, dans le cas de cette quatrième, de ce que l’on appelle généralement une classe dépotoir, certains, mais nous ne les suivrons pas, disent même une classe poubelle. Ces jeunes n’ont probablement aucun avenir scolaire. M. Bonnet ne se contente pas de décrire fort bien ce qui se passe dans ce collège, il cherche aussi à détecter les causes du mal et proposer éventuellement des moyens pour corriger cette situation. Il s’intéresse en particulier au problème de l’orientation et surtout s’alarme du fait que l’on a cessé de valoriser la réussite scolaire, comme si cela était exigé par une sorte de démagogie égalitariste ; il critique aussi le principe du collège unique. En définitive à la fois par ce qu’il nous apprend, par ses diagnostics, par les propositions qu’il fait pour améliorer la situation, ce livre méritait bien le Prix que je vais avoir le plaisir de lui remettre au nom d’Enseignement et Liberté. Sylvain Bonnet Je vous exprime toute ma reconnaissance. Lorsque j’ai commencé à écrire, je ne m’attendais pas du tout à me retrouver ici, face à vous. Je réagissais à une nécessité personnelle, ayant découvert brutalement, parce que je venais d’un établissement beaucoup plus protégé que celui que je fréquente actuellement, une certaine forme de souffrance scolaire. J’ai éprouvé le besoin d’exprimer des situations que je jugeais insupportables, non pas seulement pour moi, mais pour les élèves qui s’y trouvaient plongés. Après la phase d’écriture et son aboutissement à quelque chose qui me semblait avoir un sens et être présentable, ce livre m’a permis de faire l’expérience des relations avec un éditeur, en la personne de Bernard Fixot, et avec une maison d’édition, et celle de la fréquentation des médias. L’attribution de ce Prix est une grande satisfaction. Dans la situation que je continue à vivre actuellement, étant toujours dans le même établissement et les choses ne s’étant pas arrangées - je pourrais même dire qu’elles vont de mal en pis, parce qu’aucune solution véritable ne peut être apportée dans l’état actuel de notre organisation - ce Prix est pour moi une raison d’espérer. Je vous en remercie infiniment.
Lettre N° 61 - 3ème trimestre 1998
LA DEMAGOGIE NIVELEUSE EN ACTION LA DEMAGOGIE NIVELEUSE EN ACTION Ceux qui attendaient que les oppositions auxquelles se heurte l’application de la politique de Claude Allègre, oppositions qui viennent notamment de larges secteurs du personnel enseignant, conduisent le ministre à en tempérer les principes fondamentaux ou au moins à ralentir le rythme de leur application, doivent revenir de leurs illusions. D’une année à l’autre, cette politique restera la même. Tout simplement, on étendra le champ d’application des principes qui la régissent. La preuve nous en est apportée par diverses initiatives portées à notre connaissance pendant les vacances, car, contrairement à la coutume, il semble qu’on ne se soit guère assoupi, cet été, dans les hautes sphères du ministère. De façon permanente, on a eu la preuve que n’avaient changé ni le ministre, ni sa politique. Par là, on peut déjà deviner ce que sera la prochaine année scolaire. Le baccalauréat Au mois de juin, alors que se passaient les épreuves écrites de l’examen, la mission de la communication du ministère a publié une brochure, au demeurant très claire et bien constituée, qui présentait des données chiffrées sur la session. On y apprenait, notamment, que le nombre des candidats s’était légèrement accru (635 000), même si les effectifs des baccalauréats généraux sont très légèrement en baisse (par opposition aux baccalauréats technologiques ou professionnels). On n’oubliait pas, au passage, d’indiquer le coût moyen national par candidat (de 244 F à 464 F, selon le type de baccalauréat, et le tarif des indemnités des correcteurs, dont on verra qu’il n’a rien d’excessif !). L’idée qui devait nécessairement se dégager de ce développement est que le baccalauréat revient très cher, et la lecture d’une partie ultérieure, intitulée les coulisses du baccalauréat (p. 19 et 21), qui est un modèle d’exposé, laissera, inévitablement, le sentiment que l’organisation du baccalauréat est un dispositif très compliqué qui met à contribution et dissipe des ressources humaines considérables. Ce qui est en cause, alors, ne concerne que les parties "immergées" du dispositif : pour le reste, tous ceux - élèves ou parents - qui sont au contact des établissements scolaires savent quelles perturbations sème l’organisation du baccalauréat au troisième trimestre. La question : le jeu en vaut-il bien la chandelle ? naît naturellement. Ne pourrait-on pas sans inconvénients majeurs supprimer le baccalauréat ? Pour être honnête, il faut dire que la comparaison de notre système d’évaluation avec ceux de nos voisins européens, objectivement conduite, ne conclut aucunement en faveur d’un système tout différent (avec, notamment, une place privilégiée au contrôle continu). Néanmoins, l’intérêt de cet examen dont le poids est si lourd est une question pendante. Ce qui va lui donner toute son acuité, c’est le bilan de la dernière session, bilan inconnu mais que les rédacteurs de la magnifique brochure dont nous parlons avaient tous les moyens de prévoir. Il devait y avoir en 1998 une augmentation sensible de la proportion des admis, supérieure à 80 %, qui atteint et dépasse même les taux qui ont fait du baccalauréat 1968 un cru légendaire. On dira que ceci change peu par rapport au 76,7 ou 77 % de 1997, lui-même issu d’une progression continue sur plusieurs années. Mais, d’abord, il y a une sorte de hiatus, assez difficilement explicable et qui n’est vraisemblablement pas une variation aléatoire. Tout laisse à penser qu’on a mis en oeuvre divers dispositifs pour améliorer le taux de succès (choix des sujets, composition des commissions de conciliation chargées de rédiger les instructions aux correcteurs, ou les barèmes dans certaines disciplines, composition "équilibrée" des jurys). Faute d’informations suffisantes, et déjà de données précises sur l’accroissement du taux de succès selon les séries, je suis incapable de faire autre chose que formuler des hypothèses. Mais ce 80 % ne me semble pas le pur fruit du hasard. Or, sans céder à une sorte de mystique des nombres, on peut dire que, lorsque le taux de succès au baccalauréat atteint 80 %, l’examen change de nature : il perd une partie de sa signification et tend à devenir une simple formalité. Ce ne sont pas les lauréats qui sont couronnés de lauriers, mais les recalés qui sont offerts à la réprobation générale. Très naturellement, on en vient à penser que le système aurait dû les repérer et les éliminer antérieurement, donc qu’intrinsèquement le baccalauréat est inutile. En tout cas, cet examen, qui coûte si cher et dont l’organisation gaspille tant d’énergie, ne peut conserver toutes les fonctions qu’on lui attribue bien souvent. Il n’est pas un discriminant de la valeur de l’enseignement, dans une classe déterminée ou un établissement donné. On ne peut mesurer la valeur d’un lycée selon son simple palmarès, établi à partir de taux de résultat au baccalauréat. On a pu multiplier les objections contre ce genre de palmarès. Le Monde de l’éducation (septembre 98, p. 25-29) livre à la critique d’un forum cette idée d’un palmarès des établissements qu’il avait lui-même lancée six ans plus tôt. Parmi tous les arguments avancés qui sont loin de me paraître décisifs, il y a une objection indubitable à l’idée d’évaluer les établissements selon les taux de réussite au baccalauréat. Robert Ballion la formule en écrivant que "alors que le taux de réussite au bac avoisine les 80 % (...) ce critère perd beaucoup de sa capacité de différenciation" : affirmation incontestable. Lorsqu’on se souvient de la campagne contre le baccalauréat, lors du colloque Meirieu au printemps dernier, on ne peut éviter de penser que les résultats du baccalauréat avaient cette année quelque chose de providentiel, que dis-je, de presque miraculeux. Et, c’est ainsi qu’en encourageant la démagogie, ou simplement en négligeant de soutenir ceux qui s’y opposent on annihile tout classement, les titres étant également engloutis dans un même néant. Les heures supplémentaires En passant de ces considérations sur le baccalauréat aux diatribes qui ont suivi la publication, le 7 août, d’un décret sur le taux de rémunération des heures supplémentaires, je ne change pas vraiment d’objectif. Il s’agit toujours de montrer comment la politique de M. Allègre est régie par la démagogie. Mais il s’agit d’une autre variante de ce comportement. La démagogie en cause, c’est celle qui s’exerce aux dépens des enseignants, plus exactement des professeurs du secondaire, dépeints comme des privilégiés, grassement payés pour un travail limité qu’ils accomplissent de façon désinvolte. M. Allègre a trouvé la racine de sa popularité auprès de nombreux parents, souvent de droite, dans ses attaques grossières et mal fondées au sujet de l’absentéisme des enseignants : les sondages le manifestent. Alors, sans une finesse, parfaitement inutile en ce cas, il renouvelle l’opération. Cette fois, on va montrer que les professeurs sont de véritables sangsues budgétivores, très économes de leurs efforts. Quelle idée de protester contre une baisse des heures supplémentaires qui arrondissent leur traitement et dont ils sont si avides, alors que des chômeurs cherchent en vain un emploi modeste pour subsister ! Voyons ce qu’il en est exactement. En vertu de son statut, un professeur doit un service hebdomadaire, mesuré en heures de cours : 15 pour un agrégé, 18 pour un certifié. Je passe sous silence diverses considérations - par exemple, décharges pour classes nombreuses - qui modifient cette règle, mais ne touchent pas à l’essentiel. Si son service est plus lourd, on lui paiera des heures supplémentaires. Le taux de rémunération est déterminé selon des principes assez simples et très rationnels. On prend en considération la rémunération moyenne d’un enseignement du grade considéré ( entendons par-là la moyenne entre la rémunération sur dix mois d’un débutant et celle d’un fonctionnaire en fin de carrière dans ce grade ) on la divise par le nombre d’heure dues : on a ainsi le montant de l’heure-année, calculé sur dix mois. M. Allègre a cru opportun de modifier ce mode de calcul, sous prétexte qu’on calculait jusque-là les heures supplémentaires sur 42 semaines théoriques, alors que l’année scolaire n’est que de 36 semaines et qu’il avait besoin d’argent pour financer les emplois jeunes ! Ce qui revient à réduire de près de 20 % la rémunération de ces heures : mesure extravagante prise sans consulter les représentants des personnels. On peut se demander si un ministre qui prend une telle mesure qui devait être, naturellement, qualifiée de provocation ne s’est pas laissé emporter par son humeur. Mais d’abord il conserve quelques alliés dans les rangs syndicaux : le SGEN-CFDT qui applaudit à toute mesure qui restreint la hiérarchie, ensuite "le syndicat des enseignants", petite organisation constituée de dissidents du SNES, qui n’ont pas voulu quitter la FEN avec leur syndicat. Qu’importe que ces organisations ne représentent qu’à peine 20 % des professeurs, d’autant plus que les seuls qui sont visés et atteints sont les enseignants du second degré, tandis qu’instituteurs et professeurs des écoles ne sont nullement concernés. Enfin, M. Allègre sait très bien que, dans le grand public, les attaques contre les personnels enseignants trouvent des oreilles favorables : il suffit de lire les articles consacrés par la presse modérée à une question comme celle dont nous parlons pour s’en convaincre. La partie était donc jouable... je ne dis pas qu’elle a été gagnée, mais, pour l’instant, avec une grève remise par le syndicat le plus important et des négociations engagées, un peu sous la contrainte, la situation reste indécise. C’est que M. Allègre veut exploiter les ambiguïtés des positions de ses adversaires. Que demandent-ils ? À l’exclusion du SNALC, le seul syndicat d’opposition dont la conduite soit franche, non pas simplement qu’on ne baisse pas d’autorité des rémunérations, mais qu’on supprime totalement les heures supplémentaires, en créant des postes obtenus à partir de leur regroupement, ce qui est totalement utopique, car, en divisant les heures d’enseignement dans une discipline donnée, un établissement donné, par le service d’un professeur, on ne tombe pas nécessairement sur un nombre entier ! C’est du reste de cette division que résultent inévitablement certaines heures supplémentaires. Et je passe sous silence le cas des professeurs absents temporairement ou de façon durable, et dont il faut que leurs collègues assurent le service en heures supplémentaires ! C’est aussi ce qui justifie qu’un fonctionnaire ne puisse refuser d’assurer les deux premières heures-années qu’on lui demande (au-delà, il faut qu’il donne son accord). Mais, ce qui est saumâtre, c’est que ce sont ces heures obligatoires qui voient leur rémunération baisser. Et pourtant, quel tissu de sophismes employé par le ministre, et qu’il serait si facile de déchirer ! D’abord, tout le décompte en termes de semaines ne correspond qu’à des approximations et à aucun texte existant. Ensuite le fait qu’on s’attaque d’abord aux heures obligatoires. (Les autres conserveraient-elles leurs rémunérations ?). De plus, on oublie de dire qu’un poste assuré en heures supplémentaires (ce qui est le cas lorsqu’un fonctionnaire est en congé de longue durée) offre à l’État l’occasion de faire de substantielles économies. Enfin, ce fait souvent noté par ceux qui en sont victimes que l’État est le seul employeur qui rémunère nettement moins les heures supplémentaires que les heures normales. Bref, c’est une méchante querelle, mais la mauvaise foi ministérielle pouvait tenter de s’opposer à une certaine hypocrisie de quelques syndicats, en s’appuyant sur une vieille rancœur d’une partie de la population. Ici encore, c’est un bel exemple d’usage de la démagogie. Les manuels scolaires La remise du rapport de Dominique Borne, inspecteur général d’histoire, sur les manuels scolaires, a donné au ministre l’occasion de tempêter une fois plus. Lorsque M. Borne écrit (je cite selon un quotidien) que "un quart à un tiers des manuels scolaires comportent parmi leurs auteurs un membre des Corps d’inspection" et que "un nombre non négligeable des groupes chargés de la rénovation des programmes sont auteurs ou co-auteurs de manuels", je ne saurai le désapprouver. Faut-il rappeler qu’un prix d’Enseignement et Liberté a jadis couronné l'ouvrage de Mme Hélène Huot, Dans la jungle des manuels scolaires, qui dénonçait de semblables connivences. Toutefois, il faut noter qu’il est naturel que des inspecteurs figurent au nombre des auteurs de manuels. La connivence commence si, par exemple, ils abusent de leur pouvoir pour imposer leurs manuels, ou si des fuites permettent à certains éditeurs d’être informés de réformes avant les autres, etc. Dans son rôle d’ange exterminateur M. Allègre est beaucoup plus exigeant : tous sont suspects, sauf le ministre qui dénonce ces livres qui fixent le niveau des programmes - mais quelle autre procédure proposer pour fixer un "usage" interprétant les programmes ? - ou "gavent les enfants de sujets complètement inutiles". Le thème des programmes surchargés, démentiels, est toujours bien reçu. On dénoncera le poids et le prix de ces manuels... au moment où les parents viennent d’être contraints d’ouvrir leur porte-monnaie ! Mais Murielle Frat (in Le Figaro, 9 septembre 1998, p. 25) met au pilori d’autres coupables : les professeurs qui sont inondés de spécimens gratuits (500000 "cadeaux" annuels) qui alourdissent le prix des livres, choyés bien sûr parce qu’ils sont les prescripteurs et qu’ils jouissent d’une totale liberté pour "choisir les bouquins qu’ils imposeront à leurs classes", ce qui n’est que très partiellement vrai. Des propos aussi virulents m’autorisent à formuler une remarque : la distribution de spécimens gratuits est une procédure légitime puisqu’on ne peut demander au professeur qu’il consacre une part importante de son budget à l’achat de multiples manuels simplement pour éclairer son choix. Quant au système qui lui laisse une certaine liberté, il est nécessaire au pluralisme. Le choix est clair : ou ce système, ou celui où un manuel est imposé par quelque autorité émanant d’un État centralisé, avec tout ce qui s’ensuit pour la liberté d’opinion. Je sais les excès auxquels ont conduit les mécanismes de la publicité. Je sais aussi que dans une société de consommation riche comme la nôtre, on a pris la déplorable habitude de faire des livres scolaires qui satisfont tous les instincts ludiques et, en même temps, étourdissent plus qu’ils n’instruisent. Je sais aussi que la concurrence entre éditeurs peut être biaisée, néanmoins je ne vois pas ce qui rend légitime cette attaque virulente du ministre, tout de suite relayé par des journalistes, contre des ouvrages qui ont des défauts, mais qui n’ont pas que des défauts. À moins qu’on ne leur reproche secrètement d’apporter, peut-être avec maladresse, mais d’apporter quand même, quelques connaissances à la population scolaire. Si on voit le peu de place qu’occupe l’apprentissage des connaissances dans les objectifs de l’école, selon les projets ministériels, il y a tout lieu de le penser. La lecture de la "charte" relative à la réforme de l’école élémentaire et intitulée "bâtir l’école du XXIe siècle" le donne à penser. Mais c’est là une autre question qui nous arrêtera ultérieurement. Maurice Boudot Lucien Gorre faisait partie de ce groupe très limité de personnes, diverses par leurs fonctions, leur formation, leur âge et même leurs opinions, que des convictions communes avaient conduit à se réunir et à fonder notre association, pour défendre la liberté d’enseignement, et qui commencèrent en mai 1983 à recruter des adhérents et à diffuser leurs idées. Cet ingénieur civil des Mines, Commissaire contrôleur général honoraire des assurances et ancien chef du corps de contrôle des assurances, m’a toujours impressionné par sa discrétion, sa modestie, mais aussi par la vivacité d’une intelligence qui était également un modèle de rigueur. Homme de convictions, et d’un courage qu’il avait prouvé, en juin 1940 et par son engagement dans la 1e armée lors de la dernière guerre, on pouvait compter sur sa fidélité. Malgré l’affaiblissement de sa santé, il a tenu jusqu’à la fin à être présent aux séances de notre conseil d’administration. Il avait bien voulu également assurer la charge de membre du jury des prix. Enseignement et Liberté lui doit beaucoup et salue, aujourd’hui, sa mémoire. Comme tous les deux ans, depuis 1990, le prix d’enseignement et liberté sera remis à son lauréat par M. Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, président du jury, le samedi 24 octobre, à 18 heures, au palais du Luxembourg. Cette manifestation sera suivie d’un rafraîchissement et précédée :
Ces questions appellent la plus grande vigilance de la part des défenseurs de la liberté d’enseignement. Nos deux invités sont particulièrement bien placés pour leur apporter les informations et les réflexions sur lesquelles ils pourront fonder leur action. Les destinataires de cette Lettre, ainsi que l’ensemble de nos adhérents, ont reçu ou vont recevoir, par un courrier séparé, une invitation à cette réunion. Nous enverrons également une invitation aux personnes intéressées dont nos lecteurs voudraient bien nous communiquer l’adresse, en y joignant leurs propres coordonnées. Lettre N° 60 - 2ème trimestre 1998
L’EXEMPLE DE LA SEINE SAINT-DENIS L’EXEMPLE DE LA SEINE-SAINT-DENIS L’habitude a émoussé nos réactions : à intervalles de plus en plus rapprochés, nos quotidiens nous apprennent que des établissements scolaires sont mis dans l’impossibilité de fonctionner par des agressions ciblées, que les élèves sont victimes de la violence, qu’on est dans l’incapacité de les protéger et enfin que les enseignants sont sauvagement agressés. Ces actes se multiplient et s’aggravent : un jeune est tué dans une rixe entre bandes rivales à Aulnay, un autre en classe par balle à Tourcoing. On s’en attriste, mais on ne s’en étonne plus. Qu’élèves, professeurs et parents soient indignés dans leur grande majorité, on le sait déjà, mais on sait aussi que les manifestations de leur colère sont souvent sans lendemain.
Alors, quoi de neuf en Seine-Saint-Denis ? Simplement que les incidents ont eu lieu à un rythme tellement accéléré qu’en quatre ans le nombre des incidents, allant des violences verbales au port d’armes ou à l’incendie, a été multiplié par 10 (de 294 à 2975) (Valeurs actuelles, numéro 3206, p. 34). Ils ont eu une telle intensité et les premières réactions officielles ont été si molles qu’elles n’ont aucunement apaisé la colère des partenaires de ces écoles empêchées de fonctionner, tout au contraire. Si on ajoute que les syndicats de gauche (notamment le S.N.E.S.) sont en conflit avec le ministre, tout est en place pour un mouvement important et durable, souvent animé par des militants syndicaux d’extrême-gauche, mais qui ont su regrouper sous leur houlette des forces venant d’ horizons très différents. Au début d’avril, au bout de quelques semaines, on en était déjà à la cinquième manifestation, dont certaines regroupent plus de 10000 participants. Il est vrai que les deux ministres chargés de l’Education nationale sont débordés par la situation. Se dire " consternés " au lendemain du drame de Tourcoing et estimer " inadmissible que des élèves puissent introduire des armes dans des établissements scolaires ", tout en se déchargeant sur le ministre de l’intérieur du soin " de mettre en place un dispositif de contrôle approprié aux abords des établissements ", c’est une réponse bien faible, d’autant plus qu’à la fin du mois d’avril, M. Allègre s’indigne à l’idée qu’on puisse proposer d’installer dans les écoles des portiques de sécurité (comme aux Etats-Unis ), sous prétexte que dans notre pays la violence n’appartenant pas à notre culture ne peut être qu’importée ! Dès le 30 mars, les propositions de Claude Allègre, portant sur la création d’un nombre limité de postes d’enseignants, ont été repoussées, une nouvelle manifestation organisée. On voit se multiplier, par dix au moins, les postes promis. Ceci n’empêche pas une autre manifestation le 3 avril, alors que la veille un certain nombre de collèges et de lycées ont été visités par des casseurs, les chefs d’établissements rossés, les équipements saccagés - 60000 francs de dégâts dans un seul de ces établissements - et un responsable de la police dira qu’il a préféré ne pas intervenir de crainte d’aggraver la situation. L’évêque du département - tellement prêt à la repentance- nous apprend qu’il " ne baisse pas les bras ". Grand bien lui fasse. Mais, dans la même page du Figaro (p. 6 du 7 avril), à côté de cette opinion, on recueille l’avis de Pierre Bernard, maire de Montfermeil, qui peut rappeler qu’il avait alerté les autorités ministérielles sur la situation catastrophique et qu’il refusait d’inscrire dans les écoles les enfants d’immigrés clandestins, ce qui lui avait valu de passer en correctionnelle (pour incitation à la discrimination raciale), comme le souhaitait M. Jospin, qui était alors ministre de l’Education. Aujourd’hui les faits prouvent qu’on aurait dû tenir compte de cet avertissement bien fondé ! Pendant tout le mois d’avril, la situation restera bloquée. Confortés par le soutien des élèves, des médias, dans une certaine mesure des parents, qui ne s’inquiéteront vraiment qu’à l’approche des examens, les professeurs ne veulent pas sortir de la grève sans assurances. Les offres de M. Allègre se feront de plus en plus alléchantes. Le nombre des créations de postes se multipliera à un rythme voisin de celui connu par les incidents ces dernières années. Rien n’y fit. Les professeurs ne cédèrent pas. Ils avaient conscience d’avoir le droit pour eux et que l’État leur devait d’abord la sécurité. Mais aussi, parce que sous la pression des vieilles habitudes syndicales ils semblent être déroutés dès qu’il n’est plus question de formuler leurs revendications en termes quantitatifs de création de postes. Pourtant d’autres idées cheminent. Mme Royal dit que ce département montre la nécessité " d’un pilotage " individualisé de chaque établissement scolaire ", expression qui annonce un enseignement à contenu variable selon les circonstances locales, ce qui va soulever de vives réticences des enseignants, attachés aux normes nationales. Chacun restera sur ses positions et le conflit ne s’éteindra qu’au cours du mois de mai, à la veille des examens et de la coupe du monde qui ira précisément dans le département sinistré.
Les aveux du ministre Rien n’est donc résolu quant au fond, mais on peut tirer au moins de toute cette histoire deux enseignements positifs. D’abord, les réactions des acteurs, tous victimes, a permis de mettre en pleine lumière une situation qu’on essayait de dissimuler ou dont on atténuait la gravité. Ensuite, tout à fait à la fin du mois, juste avant le colloque sur les lycées dont nous parlons plus loin, et la huitième manifestation programmée, M. Allègre invité à l’émission Droit de cité, interrogé sans complaisance par le directeur du Monde, M. Colombani et par M. Poivre d’Arvor a dû en quelque sorte passer aux aveux, malgré quelques fanfaronnades( " depuis trente ans, aucun ministre n’est allé en Seine-Saint-Denis, le dernier c’était Haby " alors que M. Haby ne fut ministre qu’en 1974 !) D’abord sur les causes du phénomène, sans inutile pudeur, M. Allègre assigne comme facteur prépondérant, la présence dans certains établissements d’une proportion qui peut aller jusqu’à 65% d’enfants d’étrangers qui ne parlent pas le français chez eux. Il est clair que dans ces conditions, surtout avec la rivalité entre bandes qui marquent leur territoire (et qui regroupent des mineurs de plus en plus jeunes) et les phénomènes de violence qui s’ensuivent, l’enseignement est presque impossible. On nous apporte des données globalement prévisibles, mais désormais incontestables. Plus personne ne veut, ni ne peut enseigner ou encadrer dans ces conditions. Inutile de créer des postes, car on n’arrivera pas à les pourvoir, faute de candidats ; à la rigueur on aura quelques auxiliaires et encore ! En deux ans, le nombre d’agrégés en Seine-Saint-Denis est passé de 400 à 100. Sur 187 établissements, 80 sont sans infirmières, car il n’y a pas de candidats. Les gens s’en vont dès qu’ils sont nommés et ce sont les emplois- jeunes eux-mêmes qui ne peuvent être pourvus : les personnes recrutées disparaissent le lendemain de leur nomination ! Et il n’y a pas lieu de s’en étonner : les fonctionnaires de l’Education nationale, sont " des héros " dans ce département. C’est dire que la simple création de postes, réclamée par les syndicats, ne serait d’aucune façon un remède. Et j’avoue que sur ce point, je suis d’accord avec le ministre ; de même lorsqu’il soutient que la tension en milieu scolaire n’est que le reflet de la société et donc que" l’éducation civique ne supprimera pas les fusils à pompe ". (Mais pourquoi avoir essayé de nous faire croire le contraire ?) Mais c’est du côté des remèdes que les choses vont se gâter. Certes, il ne sert à rien de déplorer qu’on soit dans cette situation alors que le ministère de la Ville date de 1985, même si ceci montre seulement l’insouciance des titulaires successifs de ce portefeuille. Quant à l’idée que l’immigration soit un bien, soutenue par M. Allègre, elle est extrêmement contestable. Mais là n’est pas le problème, pas plus que n’est en question l’incidence des mesures de régularisation des clandestins, car ce qui est en cause, c’est pour l’essentiel, la scolarisation d’élèves nés en France et donc destinés à devenir des électeurs français, même s’ils savent mal notre langue encore que scolarisés jusqu’à 16 ans au moins. Or, M. Allègre n’a rien d’autre à nous proposer que la multiplication et le renforcement des Z.E.P. qui consistent pour l’essentiel à réduire le nombre d’élèves par classe et à motiver les enseignants par des avantages de carrière, éventuellement à aménager les programmes, ces zones étant définies sur des bases territoriales. Cette politique de discrimination positive, ou au moins de diversité, n’est vraiment pas à la mesure de la difficulté. De même, il ne sert à rien de soutenir que nous n’avons pas la culture de la violence, celle du Far-West, et que la violence est importée par les films, les jeux vidéo. Cette croisade sans être inutile, ne touche que marginalement le phénomène. La " déconcentration départementale ", selon le modèle que Jules Ferry a retenu pour les écoles normales d’instituteurs n’a rien d’une panacée !
Une expérience à tenter Je pense qu’il faut bien une diversification des cursus, une scolarisation à plusieurs vitesses comme on le dira. Mais qu’elle ne peut être fondée ni sur des critères d’origine ethnique, naturellement, ni sur des critères territoriaux. Le défaut du système des Z.E.P., c’est qu’on assigne d’autorité un enseignement particulier à des élèves selon le domicile des parents, alors que certains pourraient suivre un enseignement d’un autre type. Il s’ensuit une fuite par divers stratagèmes (dont fait partie le recours à l’enseignement privé) de tous les élèves dont on peut espérer un niveau convenable qui essayent d’échapper au filet de la carte scolaire. En même temps est entretenue la division en cités qui seront les bases du recrutement des bandes et des classes. Il faut briser cette logique du territoire. Comment procéder ? Il faut qu’au même lieu, ou en des lieux très voisins soient éventuellement dispensés deux types d’enseignement, recouvrant l’enseignement ordinaire et celui dispensé dans les Z.E.P. ; c’est selon leur capacité que les élèves seraient orientés vers l’un ou vers l’autre. Le critère pour l’école élémentaire serait la connaissance de la langue courante, pour le collège celle de l’écriture, de la lecture et des données fondamentales de la grammaire de cette langue. Bien entendu, la répartition n’aurait aucun caractère définitif : un élève progressant suffisamment pourrait passer de l’enseignement du type Z.E.P. a l’enseignement normal, en général en subissant un certain retard. Je pense que l’objection majeure qu’on me fera est qu’ainsi on introduit une sélection précoce. Sans aucun doute, mais il s’agit de constater une situation de fait. Mieux vaut la sélection selon les capacités que la répartition sur critère territorial qui fait que la Z.E.P. risque de n’être que la façade scolaire de la zone de non droit ...je ne vois aucune autre méthode pour accroître les chances d’assimiler ceux qui le veulent et le peuvent. La situation à laquelle l’école est affrontée n’est qu’une forme nouvelle d’un problème qu’elle a rencontré à plusieurs reprises : l’école de Jules Ferry scolarisait de jeunes paysans dont les parents avaient peu de confiance envers l’institution et auquel le patois était plus familier que le français. Elle a éradiqué les patois dont l’usage était interdit, même dans les cours de récréation. Après tout, les jésuites y imposaient bien l’usage du latin ! Dès la libération de l’Alsace, à la fin de la dernière guerre, il a fallu appliquer des dispositifs particuliers pour les élèves qui, pendant plus de quatre ans, avaient reçu un enseignement en allemand. La mise en place d’un double cursus, sous la direction du recteur Prélot, a résolu le problème en peu d’années. Lorsque autour de 1960, la France a fait appel à une immigration massive, ont été instaurés des dispositifs d’alphabétisation et d’apprentissage du français destinés à des adultes. Même s’ils ne firent pas merveille, leurs résultats ne sont aucunement négligeables. De façon plus précise, on doit d’ailleurs noter que les premières générations d’enfants d’immigrés, qui vivaient pourtant dans des conditions incomparablement moins favorables que celles qu’on connaît aujourd’hui, ont beaucoup mieux réussi dans leurs cursus scolaires, souvent prolongés à des niveaux élevés, que leurs successeurs. * Pourquoi alors ces difficultés qui vont en s’aggravant ? Les difficultés de la vie économique n’ont, à mon avis, qu’un rôle mineur dans cette évolution. L’essentiel, c’est un repli " communautaire " de plus en plus marqué, non pas suscité, mais encouragé par toute l’idéologie qui anime les travailleurs sociaux et certains personnels de l’éducation nationale. Le sentiment qu’on ne leur offre, à travers les Z.E.P. qu’un enseignement " bas de gamme " ne peut que renforcer ces réactions C’est pourquoi je pense qu’à tout compte faire mieux vaudrait un enseignement franchement à deux vitesses, dont une filière aurait pour fonction d’alphabétiser et d’enseigner la langue nationale, qui ne pénaliserait pas les meilleurs et - pourquoi pas - donnerait peut-être aux autres le désir de mieux travailler. Enfin, il nous ferait clairement savoir quels élèves ont, dans ces populations immigrées, le souci de s’intégrer. Maurice Boudot La frénésie de réforme qui anime M. Allègre, assez étonnante si on songe que des dispositifs essentiels de l’éducation nationale ont été mis en place, il y a moins de dix ans, lorsqu’il conseillait M. Jospin alors ministre de l’Education, fait se succéder en une semaine un colloque sur les lycées et la présentation du rapport de M. Attali sur les grandes écoles. L’un et l’autre relèvent plus du catalogue d’intentions que des décisions effectives, mais ils indiquent clairement la voie qui va être prise.
Les lycées Le colloque sur les lycées, piloté par M. Meirieu, fondé sur la synthèse des réponses à ce questionnaire lancé en janvier dont nous avons déjà parlé, s’est tenu à Lyon les 28 et 29 avril. Le rapport final du comité d’organisation se présente comme un document de 28 grandes pages sur papier glacé. À en croire le journal Le Monde, dont on sait les orientations politiques, les propositions Meirieu auraient été accueillies avec enthousiasme par les congressistes, par les organisations syndicales d’enseignants ou les associations de parents. C’est peut-être vrai des congressistes, ce qui prouve que M. Meirieu sait préparer sa salle. Pour les organisations d’enseignants si on excepte le SGEN-CFDT et quelques organisations squelettiques, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y a des réserves, si ce n’est une opposition véhémente et que les organisations dont on se méfiait le plus étaient " interdites de parole ". L’enthousiasme vient surtout des parents d’élèves du privé, auxquels la prudence aurait dû pourtant conseiller une certaine réserve ! Mais que sont donc ces propositions si enthousiasmantes ? Elles sont en définitive un peu plus modérées et plus floues qu’on ne pouvait le redouter. Le questionnaire lancé auprès des élèves, des parents, et des enseignants, dont l’organisation laisse beaucoup à désirer, a été dépouillé dans des conditions scandaleuses : on a fait appel à des stagiaires des IUFM dont le volontariat était un peu incliné puisque cette " participation au dépouillement... donne lieu à une fiche d’attestation qui figure dans le dossier examiné pour [leur] titularisation ", hypocrite chantage particulièrement méprisable que nous révèle Mme Zehringer, présidente de la Société des agrégés. Néanmoins certaines données sont apparues de façon si aveuglante qu’on n’a pu les dissimuler. M. Meirieu pensait que son rapport sur le questionnaire lui permettrait de tordre le cou au baccalauréat. Il n’en n’a rien été : la majorité des élèves tiennent au maintien d’un examen final anonyme et national et pour 69% d’entre eux la réussite à cet examen est en tête de leur objectif de scolarisation. Certes, il y a chez les élèves un certain nombre de voeux divergents et contradictoires, mais l’essentiel est que le baccalauréat n’est pas condamné. Il reste à M. Meirieu à introduire subrepticement (principe 26) des pratiques qui videraient de son contenu l’anonymat de l’examen, comme de prendre en compte " la participation à la vie de l’établissement " dont, par nature, l’estimation ne peut-être anonyme ! Ou bien à créer une " épreuve sur dossier personnel interdisciplinaire ", travail d’une vingtaine de pages, regroupant trois approches disciplinaires, passé devant un jury d’au moins deux membres, dont on ne sait qui la demande, épreuve qui prendrait la place de l’épreuve anticipée de français. Cette épreuve (principe 27) ne peut que détruire le caractère anonyme de l’examen et, dans les faits, son organisation sera impraticable. Les propositions de M. Meirieu sont pompeusement présentées sous la forme d’une série de 49 principes à travers lesquels on retrouve les orientations essentielles de son ouvrage, l’Ecole où la guerre civile encore que soient perdues en cours de route les propositions les plus extrémistes qu’il contenait. Le rôle du colloque était simplement de montrer que ,spontanément, les partenaires de l’école se retrouvaient en accord avec ce qu’on avait écrit six mois auparavant. Ce qui diverge trop notablement de cette bible est passé sous silence, dissimulé ou contourné. L’un des thèmes majeurs, c’est le rôle secondaire des spécialisations au lycée. Certes on ne peut tout à fait abroger les filières, mais on réduit leur importance et on affirme gravement, comme si on avait pénétré dans le domaine de la théologie que " le lycée est unique " que c’est le même lycée qu’il s’agisse du lycée classique ou du lycée professionnel... encore que dans les faits avec le projet d’établissement des diversifications désordonnées s’introduisent ! Cette unité s’affirme par la place centrale de cette culture générale commune à toute les sections. Comme le remarque très justement Mme Zehringer, M. Meirieu oublie d’abord que le lycée venant après la période d’enseignement obligatoire, il n’y a plus lieu de donner un tel développement à la culture générale commune. Dans les faits, on incorpore à cette culture commune, outre français, histoire, géographie, la philosophie (qui devrait apparaître même au baccalauréat professionnel), l’éducation physique, l’expression artistique (c’est nouveau) et l’éducation civique, juridique et politique (principe 8). Ce dernier objectif est assez inquiétant, avec d’autres données (comme la fonction conférée à l’histoire d’éclairer les enjeux de notre société) : " la société des agrégé discerne dans ce projet de culture commune composée de savoir et de savoir-vivre comme une tentation totalitaire consistant à faire modeler par l’institution scolaire le citoyen idéal ". Le lycée tendrait à devenir un lieu de prosélytisme et non d’instruction. Le titre du rapport (quels savoirs enseigner aux lycées ?) est en fait bien mal choisi : tout ce qui concerne le contenu des disciplines est négligé. * Heureusement, certains caractères de ce qui est nommé " culture générale " obligeront à la ranger au nombre des utopies. Comment élargir ainsi son contenu, multiplier ses constituants et la faire tenir dans un horaire limité ? Car M. Meirieu est formel : les élèves doivent être présents 35 heures par semaine au lycée et certainement pas plus. Sur ces 35 heures, un certain temps est consacré à des travaux dirigés, à une aide personnalisée etc.. Je ne sais pas combien de temps sera consacré par exemple à l’expression artistique... si on veut que toutes les parties de la culture générale soient sanctionnées, avec un horaire de cours qui devrait être réduit ! Tout ceci est impraticable. Ajoutons que ces lycées dont chacun devrait comporter toutes les filières (pour éviter la ségrégation sociale, principe 12) seront des monstres quant aux effectifs. Telle est l’inévitable conséquence de principes comme l’exclusion de toute orientation irréversible. En guise de culture générale, on a une rhapsodie qui surchargera les programmes au moment où on affirme la nécessité de les alléger. Ajoutons d’autres absurdités : le simple fait de prévoir 35 heures de présence des élèves exigerait un accroissement des locaux (de l’ordre du sixième) : les conseils régionaux n’auront qu’à payer ! Du côté du service des enseignants, avec l’obligation d’assurer des " permanences d’aide personnalisée ", il est alourdi. Il est extraordinaire de voir combien le modèle du professeur- larbin qui attend que l’élève daigne recourir à lui a du succès dans certains milieux gauchisants ! Ces travaux dirigés ne sont nullement une innovation de M. Meirieu. Ils existent déjà avec des horaires, des effectifs précis. Qu’il soit bon d’accroître leur place, peut-être, mais ce n’est pas une raison pour ne pas entrer dans les détails et pour briser les structures existantes. Il est à craindre qu’on veuille accroître le service des enseignants (qui travailleront plus de 35 heures) et transformer leur rôle en celui de simples animateurs. M. Meirieu ne tient-il pas pour improductif le travail qui consiste à corriger des copies ? Sur cette question, des oppositions déterminées se sont déjà manifestées, et l’accueil du rapport Meirieu n’a pas été si favorable qu’on a bien voulu nous le dire. Et d’ailleurs, malgré la confiance qu’on lui témoigne, M. Meirieu n’est pas encore ministre. Lorsque M. Allègre a surgi, le dernier jour, il a naturellement tenu un discours qui ne pouvait que rassurer celui qui avait piloté la consultation et dirigé le colloque. Il se dit " ravi " de ce qui fut affirmé et " prend l’engagement que ces messages ne resteront pas sans lendemain. " Mais, si on nous dit que " les programmes futurs seront moins contraignants ", qu’au lycée " toute orientation doit être réversible ", que " il faut rapprocher les lycées professionnels et les lycées d’enseignement général et technologique " et que cela peut se faire par la " culture commune ", qui a été définie, le ministre ne s’engage guère plus. Tout au contraire, il annonce que " la rénovation du lycée ne verra le jour qu’en octobre 1999 ". Sous quelle forme ? On l’ignore. On sait juste qu’il ne s’agira ni d’un projet de loi, ni d’une grande circulaire. Jusque-là seule une " petite circulaire " serait publiée à la rentrée 1998 pour mettre en oeuvre une partie de la réforme, dont on ignore le contenu. Comme l’ont bien noté des syndicalistes (de gauche) personne ne peut dire ce que M. Allègre veut reprendre des 49 propositions ; il semble par ailleurs qu’il n’y ait plus aucune urgence. Le ton attristé du Monde, tellement séduit précédemment par le discours Meirieu, qui rapporte la fin du colloque ne peut nous tromper : il n’a aucunement tenu ses promesses. Qu’est-ce qui explique le recul du ministre qui diffère et reste flou sur le contenu de la réforme (selon le titre du Monde) ? Vraisemblablement, qu’il estime qu’il se débat dans une situation difficile et ne voit pas la nécessité de faire surgir de nouveaux problèmes. Or, il a déjà pu prendre la mesure de quelques-unes des oppositions qu’il allait rencontrer et deviner les difficultés pratiques liées à la mise en application de cette réforme dont nous avons donné quelques exemples Je ne crois pas que l’on soit en droit de conclure que Claude Allègre est " plus modéré " que son conseiller. C’est vraisemblablement que chargé de l’organisation effective de l’enseignement, il a plus le sens des réalités que le théoricien utopiste auquel il s’est adressé. Le danger est donc vraisemblablement différé et on peut s’interroger sur la nature exacte de la menace. Mais ceci est très loin de signifier que toute crainte serait futile. On pourra toujours évoquer le colloque de Lyon pour justifier telle ou telle mesure funeste. L’épée de Damoclès est suspendue sur nos têtes.
Les grandes écoles Moins d’un mois après rapport et colloque sur l’organisation des lycées, était publié le rapport rédigé par une commission présidée par Jacques Attali qui devait être pour l’essentiel consacré aux grandes écoles et à leur rapport à l’université et qui en définitive s’intitule " pour un modèle européen d’enseignement supérieur " ce qui témoigne d’un déplacement du centre de l’étude. Et comme il semble qu’il n’est pas aujourd’hui de rapport sans colloque, le samedi 23 et le dimanche 24 mai, un colloque a eu lieu sur l’harmonisation des cursus universitaire des pays européens. Ce colloque prit comme prétexte la célébration du huit-centième anniversaire de la Sorbonne, festivité qui prenait quelques libertés avec l’histoire puisqu’en général sa fondation est renvoyée à une date un peu plus tardive (1215 ou, à la rigueur, 1208). Mais le goût des célébrations est tel que ceci autorisait bien quelques coups de canif dans la chronologie. Or, le rapport Attali note que la dualité des universités et des grandes écoles est une " exception française " et il propose simultanément une réforme des grandes écoles et des cursus universitaires, pour les rapprocher les unes des autres, et tous ensemble les harmoniser à des normes communes aux divers systèmes européens d’enseignement supérieur. C’est sur le rapport Attali qu’entend s’appuyer le ministre lorsqu’il propose un nouveau découpage en 3,5,8 : trois ans pour la licence, cinq pour la maîtrise, huit pour le doctorat, le DEUG disparaissant en tant que tel, la scolarité des IUT étant prolongée d’un an. Les motifs invoqués sont divers : on va du fait que la maîtrise en quatre ans ne s’est pas imposée au taux d’échec du DEUG en deux ans (est-ce une raison pour faire perdre un an de plus à une masse de jeunes ?) Il y a aussi le fait que le niveau bac + 3 qui est généralement reconnu sur le plan professionnel et non bac +2 ( est-ce sérieux ? Certaines coutumes sont peut-être à modifier). Mais la justification essentielle c’est le souci de se conformer au modèle prépondérant en Europe. J’avoue ne pas donner beaucoup de poids à ce dernier argument, si l’objectif et de favoriser la mobilité des étudiants : les divers systèmes mis en place qui assurent des équivalences, ou des validations de cursus, fonctionnent assez bien et, quand il y a des difficultés à les appliquer, elles ne tiennent pas simplement au découpage des cursus, mais à la place donnée à chaque discipline, variable d’un pays à l’autre, et à la forme prise par la sanction des acquis. Pour avoir traité concrètement des problèmes de ce type, je puis assurer que leur difficulté est très variable selon les cas, et qu’il arrive que le transfert d’une université française à une autre, en cours de cursus, soit plus difficile que, par exemple, le passage de Bologne à Paris ! En fait, les difficultés de la mobilité des étudiants sont essentiellement d’ordre linguistique et je ne vois pas d’autre remède que l’amélioration des performances des enseignements de langue, à moins de suivre M. Attali qui écrit : " pour que la méconnaissance de la langue française ne soit plus un obstacle à la venue d’étudiants étrangers, une partie des enseignements devra être assurée en anglais et au besoin par des enseignants non francophones " (p. 57-8). Je ne suis pas sûr que cette solution qui réduit le rôle de la France à la fourniture de l’hôtellerie soit de nature à améliorer notre image de marque culturelle (en réalité, on le devine, c’est un enseignement européen en anglais que vise M. Attali, comme le ministre qui rêve d’une formation d’étudiants itinérants à travers l’union européenne ainsi qu’au Moyen Age... mais se dispense d’ajouter que la place du latin serait occupée par l’anglais.) Manifestement, l’harmonisation du découpage des études supérieures est très largement un prétexte pour légitimer une nouvelle réforme, alors que l’instabilité institutionnelle est depuis trente ans le régime permanent sous lequel vivent les universités. Dans une très large mesure, les grandes écoles ont su se préserver de ces vagues de désordre, ce qui n’est pas dire qu’elles soient restées immuables, sclérosées. Indépendamment du fait qu’un certain nombre sont de création récente, elles se sont sagement adaptées et ont ouvert leur recrutement mais dans les limites du raisonnable. En quoi font-elles problème à l’heure actuelle ? Ce n’est pas qu’elles n’offrent pas de débouchés à leurs élèves. Sous cet aspect, elles sont incomparablement plus performantes que les universités. Mais elles jouissent d’une large autonomie qui déplaît à tous ceux qui souhaitent une gestion autoritaire du système éducatif. On ne peut pas dire qu’elles privent les université des meilleurs étudiants, car le privilège universitaire de la collation des grades conduit de nombreux élèves des grandes écoles à s’inscrire dans les universités ou ils figurent invariablement parmi les meilleurs éléments. La vraie raison de l’hostilité qu’elles suscitent, c’est qu’elles sont sélectives et que leur succès rend évidentes par contraste les causes des échecs des universités. C’est pourquoi, depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, on voit périodiquement revenir des projets pour les modifier, les mettre en tutelle..... Sélectives puisqu’on entre par concours(avec numerus clausus) dans ces écoles. Et elles le sont même doublement puisque pratiquement il n’y a de succès au concours que pour les élèves des classes préparatoires, où on est admis après une sélection, en général sur dossier, sélection effectuée par les professeurs de ces classes et qui peut être dans certains cas très sévère (en fonction de la " réputation " de la classe, connue des initiés parmi lesquels beaucoup d’élèves). Un tel système qui forme l’essentiel des élites ne peut que rendre plus éclatantes les imperfections de l’enseignement supérieur de masse. Indépendamment de leur caractère sélectif, ces classes préparatoires se voient reprocher d’être coûteuses (75000 francs par élève et par an, alors qu’un étudiant de premier cycle ne coûte que 35000 francs). Il est vrai qu’en ce dernier cas, on peut craindre de mettre son argent dans un panier percé, vu le taux d’échec. Sur ce dernier point M. Attali a le remède " tout étudiant devra être assuré de pouvoir quitter l’enseignement supérieur avec un diplôme à valeur professionnelle, s’il est prêt à accomplir les efforts nécessaires pour en obtenir un " (p 12) et, avec un conditionnel, ceci est répété (p 52) " nul étudiant ne devrait quitter l’enseignement supérieur sans un diplôme s’il est prêt à accomplir les efforts nécessaires pour en obtenir un ". En fait, hors ce truisme pas de propositions pour remédier aux vices de l’enseignement universitaire que M. Attali voit bien. Alors pourquoi vouloir toucher au régime des grandes écoles qui ont au moins le mérite de fonctionner de façon satisfaisante ? Simplement parce que les grandes écoles non seulement sont sélectives mais sont devenues, depuis 1900, de plus en plus sélectives. Alors que le nombre d’élèves de l’université a été multiplié par 40, celui des écoles d’ingénieurs ne l’est que par 15. " La sélection de ces écoles est donc allée en se renforçant " (p 25). J’ajouterai que le phénomène est ici sous-estimé, car sont comptés parmi les grandes écoles de nouveaux établissements qui ne sont pas tous de première catégorie. Et M. Attali dresse un tableau apocalyptique de ce qui nous menace avec la mondialisation libérale : on distingue entre produits haut de gamme et produits de masse, " c’est-à-dire une hiérarchisation par l’argent de l’offre d’enseignement supérieur. En haut, des pôles d’excellence attirant sur la base d’une sélection très sévère, les étudiants de qualité et solvables, les capitaux et les enseignants venus du monde entier. En bas un enseignement de masse " (p 16). Mais la sélection est-elle un mal en soi ? Les grandes écoles ne sélectionnent pas sur critères financiers, pour autant que je sache. Certes, mais l’auteur du rapport s’efforce d’illustrer sur ce cas la fameuse doctrine des " héritiers de Bourdieu " : les grandes écoles sont " une machine de reproduction des élites " (p 4) ; elles reçoivent en priorité des enfants de cadres de l’État qui " bénéficient dès l’enfance d’un soutien scolaire privilégié et d’une information privilégiée sur les avenues et les impasses du labyrinthe éducatif ", élèves qui viennent d’une dizaine de lycées en majorité, et M. Attali pense même qu’ils ont commencé leur scolarité dans une ou deux centaines d’écoles maternelles, conséquence dont je lui laisse la responsabilité (p 41-2). Certes, il n’y a pas lieu de s’étonner si les enfants d’enseignants sont les mieux conseillés et guidés... et je ne vois pas en quoi ceci est un mal ! Que le phénomène s’accentue, naturellement, car la promotion sociale, souvent déjà réalisée dans les générations adultes ne peut que se cumuler. En revanche, je ne pense pas qu’il il y ait lieu de craindre que de nombreux groupes sociaux n’aient pas la moindre chance d’être représentés dans les élites économiques ou administratives. Quant au rapprochement des grandes écoles et des universités, M. Attali propose comme un moyen un système d’équivalence, qu’on pourrait peut-être perfectionner assouplir, mais qui existe déjà (p 64). Quant à la mesure qui consiste à mettre un terme au maintien des classes préparatoires dans les lycées, pour les transférer dans les universités dès que celles-ci auront les moyens budgétaires d’organiser des enseignements en petits groupes (p 79) c’est absurde. Ces moyens, dans bien des cas les universités les ont déjà, et il existe même des cursus avec des groupes de travaux dirigés squelettiques. Il n’en demeure pas moins que par le rythme de travail exigé des élèves, par le caractère contraignant ou libéral de l’organisation, une classe préparatoire n’a rien à voir avec un premier cycle. Réduire les classes préparatoires à de simples groupes de premier cycle à statut spécial serait les dénaturer et, à terme, les vouer à une mort certaine, et, avec elles, condamner les grandes écoles. J’hésite à croire que ce soit vraiment le voeu secret de M. Attali. M B LA BELLE LEÇON D’EDUCATION CIVIQUE Au moment même où on proclame la nécessité de donner une éducation civique à tous les élèves, notamment à tous les lycéens, la télévision, à la suite des élections régionales, leur offrait un étrange spectacle : ils ont pu voir les élections des présidents de conseil régional perturbées, ces assemblées être le lieu de violences, des personnes régulièrement élues bafouées, insultées, contraintes à la démission. En certains cas, ces présidents, encore une fois régulièrement élus, être mis dans l’impossibilité d’exercer leurs mandats. À Lyon, Montpellier, Amiens, ces scènes ce sont renouvelées, mais aussi à Rouen ou dans la région Centre. En Bourgogne, un candidat, malheureux en définitive, se vantait devant les caméras d’avoir mis en place un dispositif pour entacher le secret d’un scrutin, scrutin secret au terme du droit. Qui a songé alors à rappeler que le résultat obtenu au terme d’un vote, dont la régularité formelle est incontestable, est à la base de toutes les vertus civiques des régimes démocratique ? Mais on a vu mieux : tandis que dans diverses villes de province les élèves étaient invités à manifester contre les élus (avec leurs professeurs ?), à Paris, on organisait une manifestation de lycéens, heureusement assez vite dispersée, entre deux tours de scrutin, sur le boulevard des Invalides, à deux pas du Conseil régional . Quel responsable politique s’en est scandalisé ? On se croyait non à une leçon d’éducation civique, mais à une rétrospective de 1793 ou de 1917. M B Éric Mirieu de Labarre, maître de conférences à l’université Montesquieu de Bordeaux, a succédé, il y a un mois, à Philippe Toussaint en tant que président de l’Union nationale des parents d’élèves de l’enseignement libre. Contrairement à l’habitude (Philippe Toussaint avait déjà fait exception en se présentant une première fois, sans succès, contre le candidat désigné par les bureaux de l’enseignement catholique), deux candidats étaient en compétition pour la présidence de l’UNAPEL. Une telle compétition paraît préférable à la situation qui a prévalu pendant longtemps, quand une minorité " éclairée " imposait ses représentants à une base docile - et plus démocratique -. Le nouveau président enseigne le droit public, spécialité précieuse pour l’école catholique alors que, la tentative de révision de la loi Falloux ayant échoué, ses difficultés financières demeurent et s’amplifient. La volonté qu’il a exprimée, selon Denis Lensel dans Famille chrétienne du 4 juin, que " toutes les familles aient la liberté de choix de l’école de leurs enfants " et le sentiment qu’il a que " il existe à l’intérieur de l’école catholique une certaine timidité à l’égard des pouvoirs publics " nous paraissent parfaitement fondés. Les difficultés de l’école catholique ne se limitent pas aux seuls aspects financiers. C’est ainsi que la tension persiste avec le SNEC-CFTC à propos du statut des maîtres (notre numéro 55 de mars 97). Plus inquiétant, peut-être, est le découragement qui gagne certains de ceux qui sont attachés depuis toujours à l’école catholique. Une lettre à ses donateurs, datée de ce mois, de l’AEE d’Ile-de-France qui collecte des fonds pour aider les écoles dans le besoin exprime, courageusement, la lassitude de correspondants qui se plaignent de la " disparition progressive du caractère catholique des établissements " ou de " l’ouverture des écoles à n’importe qui ". Nous doutons que la réponse des auteurs de cette lettre ait convaincu tous ses destinataires, tant il est vrai que les dégâts causés dans l’enseignement catholique pendant trente ans par " l’esprit de mai 68 " sont importants. Mais si l’on veut le soutien de tous, il faut au moins que ceux qui ont des responsabilités au sein de l’école libre ne portent pas atteinte à son unité. Il est parfaitement clair que la réunion des 800 000 parents d’élèves de l’école libre au sein de l’UNAPEL a été un élément déterminant du rejet du projet Savary. Nous avions signalé (numéro 52 de juin 96) les propos de Pierre Daniel, secrétaire général de l’enseignement catholique, menaçant l’UNAPEL de lui retirer son statut de " seule association de parents d’élèves ". M. Daniel a la hantise de " l’infiltration " dans l’enseignement catholique de sympathisants du Front national et, horresco referens - le latin est de circonstance - de traditionalistes. Lui qui veut une " école ouverte à tous " frémit à l’idée que des gens d’un avis différent du sien puissent exercer des responsabilités sans être sous sa férule. Ses amis n’hésitent pas à coller ces étiquettes à ceux qui lui déplaisent. Souhaitons que ses tuteurs sachent, à l’instar de Salomon, donner raison à celle qui préfère laisser son enfant à une autre plutôt que de le faire couper en deux. Lucien Gorre
Lettre N° 59 - 1er trimestre 1998
DES NUAGES MENAÇANTS M. Allègre était un homme heureux. À son entrée au ministère, il a bénéficié d’un état de grâce prolongé ; pendant tout un semestre, il ne s’est heurté à aucune difficulté sérieuse ; il avait - et conserve encore aujourd’hui - une cote de popularité favorable, à laquelle contribuent de nombreux électeurs qui se disent de droite et qui ont été notamment séduits par ses fracassantes déclarations hostiles aux enseignants ( et on peut mesurer par là la gravité du contentieux qui oppose de larges segments de la population au corps enseignant ). Depuis le début de l’année, le vent a brutalement viré. Il serait, certes, très excessif de parler de l’imminence d’une tempête. Les vagues de mécontentement étaient notables, mais nullement convergentes, ni dans leur motivation, ni dans les publics qu’elles affectent. Les conditions qui créent un péril sérieux n’étaient donc pas remplies. Mais, au fil des semaines, on a dû constater que la popularité du ministre reposait sur des bases extrêmement fragiles. Tenir ses promesses et ne pas inquiéter inutilement La première difficulté a surgi lorsque que des syndicats d’instituteurs ont décidé une grève en deux vagues, les uns le 20 janvier, les autres le 1er février, tant est profonde l’animosité qui oppose les diverses confédérations . La revendication essentielle concernait l’accélération notable de l’intégration des instituteurs dans le corps des " professeurs des écoles " . Bien entendu, la principale différence entre les uns et les autres, comme ce sont plu à le répéter les grévistes, réside dans les émoluments: les uns gagnent, par mois, près de 2000 francs de plus que les autres, alors que " tous font le même métier, dans les mêmes conditions ". Si on en restait là, on conclurait inévitablement à une inégalité sans justification. Il y a bien une différence entre les deux corps : elle se trouve dans la formation que reçoivent leurs membres. Elle est plus longue et, en théorie plus complète, pour les professeurs des écoles. C’est en 1989 que M. Jospin décide de leur imposer une formation dans les I.U.F.M. qu’il vient de créer. L’objectif réel est de rapprocher leur formation de celle des professeurs de collège certifiés, ( du moins quant à sa longueur ) ce qui justifie que soit pratiquement annihilée toute différence de traitement entre ces deux groupes et constitue un mouvement essentiel dans une démarche qui vise à l’unification des diverses catégories d’enseignants. Mais, bien entendu, la nouvelle formation ne peut concerner que les personnels nouvellement recrutés. Pour les " anciens " instituteurs il faut prévoir une intégration progressive dans le corps le plus avantageux, sous diverses conditions. Cette situation strictement inévitable ne pouvait qu’être génératrice d’amertume, quand on sait que certains devront attendre jusqu’en 2014 cette intégration, qu’on présentait comme une amélioration déjà acquise de la situation des instituteurs. Même, si au sens strict, on ne revient pas sur ce qu’on a promis, on a laissé miroiter une amélioration illusoire et on récolte une terrible déception. Faut-il rappeler que M. Allègre était le principal conseiller de M. Jospin lorsque ces choses se sont faites. Il lui reste à moraliser les foules en rappelant à ceux qui grognent qu’ils ne sont pas à plaindre puisque assurés de la conservation de l’emploi ! Pour le moins, une plus grande prudence dans le discernement du possible et du souhaitable aurait-elle permis d’éviter une situation aussi périlleuse. Mais il est d’autre cas où par des propos inconsidérés, on semble prendre plaisir à susciter l’inquiétude des personnels enseignants ou des étudiants. La longue grève des I.U.T. qui constituent l’un des rares secteurs de l’enseignement supérieur qui ouvre aux étudiants des perspectives d’emploi constitue un exemple typique. Bien sûr, la décision ministérielle de revenir sur une réforme décidée par son prédécesseur qui rendait plus difficiles des examens dont les élèves sont les premiers à tenir à ce qu’ils ne se dévalorisent pas trop sur le marché du travail ( ce qui prouve qu’ils sont spontanément opposés au laxisme lorsque les enjeux sont transparents ) fut un facteur prédominant pour déclencher le mouvement. Mais les déclarations inutilement provocantes qui laissaient à penser que l’on voulait tordre le cou aux I.U.T. ont aussi joué leur rôle. Pourquoi les avoir qualifiés de " premier cycle de luxe ", sous prétexte que le coût de la scolarisation dans ces établissements est effectivement élevé, alors qu’ils sont efficaces dans la préparation à la vie active ? Pourquoi les qualifier de " bastion du conservatisme ", pourquoi de façon plus générale avoir proclamée sa volonté d’unifier tous les premiers cycles ? Tous ces propos ne pouvaient qu’envenimer la situation. Ces provocations paraîtront dérisoires quand on voit qu’elles n’aboutiront qu’à la réunion de tables rondes qui donneront une apparence honorable aux reculades auxquelles sera contraint le ministre pour apaiser le conflit. Un exemple encore plus significatif et qui concerne un problème incontestablement plus simple que celui posé par les I. U.T. est constitué par les dénégations auxquelles se croit obligé M. Allègre le 20 janvier, deux semaines avant une grève programmée dans les lycées : " Je n’ai aucunement l’intention de supprimer le baccalauréat.... Je ne veux pas davantage supprimer les classes préparatoires aux grandes écoles..... Je n’ai pas l’intention de régionaliser [ le CAPES ] " et pour les mutations des enseignants, il s’agirait d’une simple " déconcentration ", destinée à traiter les professeurs de façon plus humaine. (J’emprunte le texte de ces démentis à un article publié dans Le Figaro le 21 janvier.) Si le ministre se sent forcé de saper les raisons avancées pour légitimer une grève qu’il redoute, faut-il en conclure que ce mouvement n’avait pour causes que des craintes qui relèvent du fantasme ? Pas du tout, car des déclarations imprudentes, des indices convergents donnaient à penser, en toute impartialité, qu’il avait bien projeté de réaliser au plus tôt tout ce dont il nie aujourd’hui avoir eu l’intention. Nous allons dire bientôt ce que sont ces indices. Mais, ici encore, il faut noter que c’est pour avoir soulevé, peut-être inutilement, des inquiétudes, légitimes à mon sens, qu’on a multiplié les obstacles sans qu’aucune décision irrévocable n’ait été prise. Une étonnante grève Le 3 février a eu lieu, dans les lycées, une grève qui fut très correctement suivie. Appelaient à ce mouvement le S.N.E.S. , syndicat nettement majoritaire, qui appartient à la F.S.U. ( de gauche ), le syndicat national F.O. des lycées et collèges, particulièrement vigilant et perspicace au sujet de tous les projets relatifs au contenu des enseignements, mais dont il faut bien dire que son importance numérique n’est pas à la hauteur de la rigueur de ses analyses. Mais, à côté de ces syndicats dont on ne s’étonne pas qu’ils appellent à la grève, figuraient aussi le S.N.A.L.C. dont les positions sont très différentes ( dont je me demande s’il n’appelait pas à la grève pour la première fois ), auquel s’était joint la C.N.G.A.. Seuls absents : le S.G.E.N.- C.F.D.T., grand amateur d’extravagances pédagogiques depuis 1968, et le S.E.-F.E.N. , micro syndicat nouvellement créé, dont la fonction est surtout d’assurer la présence de la F.E.N. avec laquelle a rompu le S.N.E.S. dans les lycées. Bref, tout le monde sauf les représentants de ce qu’on appelait pendant un temps la seconde gauche et qui, numériquement, représente moins de 20% des professeurs. La grève fut correctement suivie ( la moitié à peu près des professeurs si on effectue une pondération des diverses estimations ), surtout si on tient compte du fait que beaucoup de ceux qui étaient appelés devaient être tenus pour des novices en matière de grève ! Le plus extraordinaire, c’est que cette quasi-unanimité a été à peine relevée, ou, quand elle le fut, a paru suspecte. Beaucoup d’articles écrits à l’époque laissent entendre que cette grève est le fruit du corporatisme, que les professeurs de lycée ne se mettent d’accord que pour défendre leurs intérêts ! Il fallait avoir bonne vue pour discerner ces motifs corporatifs, car c’est la défense d’une certaine conception de l’enseignement qui était essentiellement mise en avant. Certes, dans la mesure où était également visée par les grévistes la régionalisation du système des mutations, on a pu penser avec une certaine vraisemblance que certains syndicats ( notamment le S.N.E.S.) défendaient le système centralisé des mutations qui leur permet, au niveau des commissions paritaires nationales, d’avoir une influence notable sur les décisions. Et tout un public s’est félicité de voir éclater un conflit personnalisé entre M. Allègre et Mme Vuaillat qui dirige le S.N.E.S.! Que le poids des syndicats soit souvent excessif dans l’éducation nationale, ce n’est pas nous qui en doutons ; de même je pense que ces syndicats n’ont pas la vocation de " cogérer " le système éducatif avec le ministère. Mais c’était faire porter le débat sur un aspect qui n’avait rien d’essentiel dans les motivations de ceux qui appelaient à la grève : le problème des procédures de mutations n’était qu’une forme très particulière que revêt le projet de supprimer le caractère national du statut des professeurs de lycée, de leur recrutement par concours national ( agrégation ou CAPES ), des examens qui sanctionnent l’enseignement secondaire ( le baccalauréat ), des programmes. Leur crainte c’était de voir progressivement dévalorisé l’enseignement secondaire, sous prétexte que celui-ci ne doit pas viser l’acquisition de connaissances, au profit de la " formation à une citoyenneté lucide ". Les attaques systématiques contre l’idée qu’on doit étudier des disciplines précises et distinctes ne pouvait que donner des fondements à ces craintes. Ce fut le mobile fondamental de cette grève dans laquelle les professeurs avaient le sentiment de contribuer à sauvegarder un ilôt d’enseignement qui avait maintenu un minimum de sérieux, surtout si on le juge en le comparant à ce qui se fait par ailleurs. Cette grève avait donc un caractère très singulier par les raisons qui la motivaient. On peut s’en assurer par la lecture de la littérature qui la justifiait. J’ai sous les yeux un tract de F. O. -- au demeurant fort bien fait -- où je découvre des extraits très caractéristiques de la prose de M. Meirieu, collaborateur influent du ministre. Il écrivait dans le Progrès de Lyon ( du 2 10 97 ) que " les objectifs de l’école obligatoire ne sont plus aujourd’hui d’actualité ". Dans l’un de ses ouvrages il accuse " l’arrogance de l’intelligence rationaliste " d’avoir " érigé en absolu la valeur de vérité " qualifiée de " valeur d’exclusion ". Ailleurs, il écrit " l’acquisition des connaissances est génératrice d’exclusion ". Toutes ces citations autorisent M.Meirieu à conclure que les programmes sont trop chargés, la part des disciplines trop grande et à dénoncer le baccalauréat qu’il faudrait, faute de pouvoir le supprimer, ce qui serait pourtant le meilleur moyen de mettre fin à l’émulation qu’il fait régner parmi les élèves des lycées, modifier profondément, en y introduisant une large part de contrôle continu ! J’aurais pu citer d’autres textes, par exemple l’analyse de la société des Agrégés qui, en raison de ses statuts, n’avait pas à appeler à la grève mais qui refuse de donner comme fonction des études de " permettre d’accéder à une citoyenneté lucide à l’âge de 18 ans ", et non pas d’étudier des disciplines déterminées mais tout au plus de préparer à " une approche centrée sur des savoirs disciplinaires précis ". Toutes les données convergent : les motifs corporatifs n’ont joué qu’un rôle très subalterne. Dans le cas de certaines organisations, ils étaient même totalement absents. De toute façon, si la réforme du système des mutations était refusée, c’est parce qu’on y voyait l’indice d’un désir de régionaliser l’ensemble des carrières, depuis le recrutement. Et ce qui est repoussé dans la régionalisation, c’est qu’on craint qu’elle serve à masquer l’abandon de ces normes strictes qui ont pu éviter aux lycées de sombrer totalement et les ont un peu préservés par rapport à ce qui était le sort commun des collèges. Une grève originale par les forces qu’elle mettait en mouvement, également par ses motivations si on s’en tient aux affirmations de ceux qui y participaient. Mais qu’est-ce qui avait poussé à ce mouvement d’une envergure non négligeable ? De façon étonnante, de simples projets et non des décisions effectivement prises. Ces projets exprimés, comme des intentions, notamment par M. Allègre lui-même, à diverses occasions depuis qu’il avait accédé aux responsabilités, prenaient un aspect particulièrement menaçant qui montrait que leur réalisation était manifestement très proche depuis qu’avait été lancée le 8 janvier une vaste consultation, conduite sans méthode ( on pouvait par exemple participer à un groupe donnant une réponse collective et envoyer une réponse individuelle, réponses anonymes mais avec des éléments permettant de percer l’anonymat dans certains cas ) et qui sera dépouillée par des groupes hétéroclites sans garantie de l’objectivité de leur méthode, objectivité visiblement tenue pour une " valeur d’exclusion ". Si l’organisation et le dépouillement ôtent tout sérieux au résultat de cette consultation, les questions posées étaient biaisées de sorte qu’on soit assuré d’obtenir les résultats qu’on souhaitait . Un exemple suffisamment probant, à lui seul : je citerai simplement une déclaration solennelle du Bureau de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public : on demande à tous les élèves s’ils " s’ennuient " à l’école ou encore ce qu’ils jugent " inutile et sans intérêt dans leurs études ". Comment croire à la " sincérité républicaine " d’un ministère qui appelle à juger l’institution scolaire, les programmes, les enseignants, alors qu’il veut en même temps créer en première une éducation à la citoyenneté : " peut-il y avoir une citoyenneté lucide sans une citoyenneté instruite ? " ajoute ce texte. Aujourd’hui, les résultats dépouillés par les élèves des I. U. F.M. non contraints, mais vivement incités, reviennent au niveau des rectorats. Ils sont ce qu’on pouvait prévoir . Peut-être un peu plus modéré qu’on l’attendait. Il est vrai que quand M. Meirieu, chargé de " piloter " l’opération, commente avec mesure ces résultats ( ce vendredi 13 mars, page 13 du Figaro), peut-être a-t-il à l’esprit les réactions que ce questionnaire a suscitées ou précipitées. Et les promesses ( notamment au sujet du maintien du baccalauréat, à titre d’examen national anonyme ) qu’a dû faire le ministre pour apaiser les inquiétudes et détendre la situation. C’est dire qu’on peut caresser l’espoir que la consultation finisse en queue de poisson lors du colloque qui doit la clore à Lyon à la fin du mois d’avril. Ce qui, après tout, est un sort assez commun en ce genre de matière. Un inquiétant conseiller J’ai l’impression que la découverte de M. Meirieu, conseiller très écouté du ministre qui a joué un rôle directeur dans cette consultation et qui entend à partir d’elle réformer les lycées, n’a pas joué un rôle apaisant. C’est qu’on peut juger M. Meirieu sur pièces : ce professeur de sciences de l’éducation à l’université de Lyon II a beaucoup publié et ses intentions sont très explicites. Certes il met en garde contre l’identification du personnage officiel qu’il est devenu avec le chercheur qu’il continue d’être. Il proteste avec véhémence lorsqu’on lit la politique de M. Allègre pour les lycées comme si elle était la simple mise en application des théories de Philippe Meirieu. Je pense ces protestations sans fondement. Il est évident que cet homme ne procède pas à l’aveuglette et qu’il n’est pas un opportuniste, mais un doctrinaire qui a fourni à M. Allègre la doctrine qui lui manquait. M. Kuntz, notamment, a raison de décrypter les intentions ministérielles à partir des écrits de M. Meirieu. Le dernier livre publié ( en collaboration avec un journaliste ) - l’école ou la guerre civile - ne concerne pas directement les lycées, mais ce qu’il appellera l’école de base qui devrait intégrer à la fois les écoles élémentaires et les collèges. Mais d’autres écrits récents, comme l’envers du tableau et des remarques incidentes permettent facilement de conclure de ce qui est écrit dans l’école ou la guerre civile à la doctrine de Meirieu en ce qui concerne les lycées. Cette école élémentaire correspondrait à la phase de la scolarisation obligatoire, dont le début devrait être reporté de six à trois ans ( le projet de faire commencer l’école plus tôt est commun à tous les théoriciens qui ont des penchants autoritaires ). Mais, comme il est dit, il faut inventer l’école obligatoire, car actuellement elle ne l’est pas ( p. 19 ) : seule l’est l’instruction - ce qui est exact. Mais notre auteur veut mettre fin à cette distinction : la scolarisation deviendrait obligatoire et si elle peut être assurée dans des établissements privés, encore faut-il s’assurer que ceux-ci n’effectuent aucune sélection, sur quelques critères que ce soit ( p. 95 ) . Ne pas obliger à la scolarisation, c’est tenir pour essentielle l’instruction et négliger que la scolarisation, l’éducation du citoyen, la préparation à la vie démocratique constituent le rôle essentiel et en définitive unique de l’école. Le maître n’est ni un animateur socio-culturel, ni une assistante sociale ; il doit bâtir son identité sur l’apprentissage de la vie démocratique ( p. 46 ), alors qu’il conserve une conception archaïque de son métier et oublie, par exemple, qu’il est loin d’être certain que corriger des copies soit utile ( p. 42 ). La fonction de l’école c’est de donner une culture commune aux citoyens, ce qui exige puisque nous vivons dans une société constituée de groupes hétérogènes, qu’elle nous habitue à l’hétérogénéité ( p.103 ). L’apprentissage de la démocratie exige des institutions scolaires qui réalisent la plus grande hétérogénéité possible. Or, loin de préparer à cette vie démocratique, par tous ses mécanismes, l’école tend naturellement à homogénéiser, à réaliser une ségrégation selon les résultats, qualifiés explicitement de " racisme scolaire " ( p.103 ). Tous les apprentissages relèvent de cet état d’esprit : l’école systématiquement, dès le cours préparatoire, sélectionne. Elle est un apprentissage non de la vie démocratique, mais de la jungle libérale, qui aboutit à une babélisation, dans laquelle chacun ne s’affirme qu’aux dépens des autres. Ainsi " c’est en apprenant à lire que [ l’enfant ] découvre la concurrence et comprend que, dans l’esprit du maître et des parents, la réussite des uns ne prend sa valeur qu’avec l’échec des autres " ( p.12 ) : " l’école ne donne pas une culture commune aux citoyens ; elle sert à armer des concurrents prêts à s’affronter dans la jungle libérale " ( p.78 et ss.). Loin d’en appeler à la restauration de l’école de Jules Ferry qui prétendait assurer l’égalité des chances, et qui est assimilée à l’école du libéralisme, dont les vertus n’ont jamais existé que dans l’imagination de quelques personnes ( dont M. Chevènement ) il faut tout à l’opposé créer un modèle d’école radicalement nouveau : l’école de base démocratique. Ce qui suppose l’unification des corps de personnels auxquels les enfants sont confiés de 3 à 16 ans ( c’est déjà entrepris ), supprimer dans cette école de base tout redoublement, éviter tout regroupement en classes homogènes, auquel tend naturellement l’école, donner clairement pour objectif de cette école, et même comme objectif unique, l’apprentissage de la vie démocratique, c’est-à-dire apprendre à traiter les conflits en excluant la violence. C’est répété deux fois ( notamment p.19 et p.97 ) : le principe de l’école obligatoire c’est d’ apprendre aux enfants à comprendre le monde et à se comporter en démocrates ; la première fin étant subordonnée à la seconde. Ceci exigerait que les enseignants effectuent une véritable conversion dans la conception qu’ils se font de leur métier et M. Meirieu n’ignore par l’ampleur de la tâche. Supprimer le baccalauréat ( qui coûterait d’ailleurs beaucoup trop cher ) est peut-être facile, peut-être un certain nombre d’enseignants prendront plaisir à s’entendre dire que la correction des copies n’est pas tellement utile, mais cela ne suffira pas à déraciner une conception de l’éducation " concurrentielle " très largement répandue. Mais le but qu’on s’est fixé est difficile à atteindre : " résister, résister farouchement à toutes les formes de ségrégation sociale et scolaire. S’opposer, par tous les moyens possibles, à l’homogénéisation des classes, à l’éclatement du système en une multitude d’établissements et de filières qui contribuent à désagréger le corps social. Faire reculer la sélection au-delà de la scolarité obligatoire. " ( p.191 ). Le style montre que, pour notre auteur, cette réponse ne va pas de soi. Mais il ne recule aucunement, avec beaucoup de cohérence, faut-il reconnaître, devant ce qu’exige l’éducation de ces nouveaux spartiates ! On comprend que les écrits récents de celui qui pilotait la consultation sur les lycées aient suscité une réelle inquiétude Il reste à vrai dire que l’école ou la guerre civile concerne l’école de base qui regroupe l’école élémentaire et le collège, et que la consultation concerne les lycées. Je note toutefois que l’apprentissage de la démocratie est la fonction ( quasi unique ) de l’école de base et que les projets ministériels donnent pour fonction à l’enseignement dans les lycées de permettre l’accès à une citoyenneté lucide . N’est-ce pas la même chose ? Il n’y a là, je pense, nulle incohérence, a fortiori aucune contradiction. Tout simplement - mais ce n’est là qu’une hypothèse - je pense que M. Meirieu estime qu’en l’absence d’une réforme des collèges ( et il conseillait M. Bayrou à ce sujet ! ), il faut que les lycées comblent certaines lacunes de l’éducation. Quant au baccalauréat, il survit, mais le " certificat d’école obligatoire ", à la fin de l’école de base, qu’il propose, le rendrait vite inutile. Dans l’attente, avec l’introduction d’une dose de contrôle continu le baccalauréat serait moins sélectif et on réduirait la concurrence qu’il instaure entre établissements ; en même temps par la suppression de certaines options on diminuerait le risque que s’instaure au lycée filières et classes homogènes. On a compris les principes qui régissent le système éducatif idéal : jusqu’à seize ans pas de sélection, aucune " homogénéisation " des publics ; un enseignement niveleur sans aucune échappatoire ( M. Meirieu tient à ce dernier point ). Ensuite le minimum de choix, de sélection, de concurrence. Si certains points ne figurent pas dans les projets ministériels, il n’y a rien de contraire avec les écrits d’un conseiller partisan d’une utopie égalitaire qui exige une bonne dose de totalitarisme pour être mise en oeuvre. D’ailleurs M. Meirieu prend toujours en mauvaise part le terme libéralisme. Il y a toutefois une question qui n’est pas posée : c’est celle du coût et de l’efficacité de ce système éducatif idéal. Mais il est vrai que poser une telle question doit être le signe d’un attachement au libéralisme. Maurice Boudot
Lorsque Mme Royal pour porter remède à la violence en milieu scolaire, décida d’instaurer en classe de première des lycées un enseignement d’ " éducation à la citoyenneté ", on pouvait sourire de la naïveté du ministre, ou dénoncer les incertitudes de sa conceptualisation, comme nous l’avons fait, mais il était difficile d’imaginer la véhémence des oppositions qu’allait rencontrer son projet. C’est que les rapports de l’autorité politique et des règles morales est un sujet particulièrement délicat. Dans un ouvrage très récent, l’Avenir de la morale ( Editions du Rocher ), d’une limpidité exemplaire qui ne nuit jamais à son exactitude, Jean Cazeneuve note que " le civisme comporte la connaissance des lois et leur mise en pratique. Une mode relativement récente..... fait de la qualité de citoyen la source de prescriptions qui ont des rapports étroits avec la morale.... Cela signifie non seulement que la morale est laïque, mais aussi qu’elle est ou peut devenir essentiellement politique..... Elle consiste dans des comportements qui, en principe, contribuent au bon fonctionnement de la vie collective.... Mais si la vie citoyenne peut être considérée comme représentative de la morale généralement acceptée, il n’est pas certain qu’elle corresponde à tout ce qui inspire ou peu inspirer la conduite d’un être humain " (pp. 49 et 50) et l’auteur évoque la dualité établie par Bergson des sources de la morale. Tenons-nous en à cette position : l’éducation civique peut faire partie de la formation morale, elle n’en constitue pas le tout. Est-ce à dire qu’au prix de cette limitation préliminaire, nous soyons au bout de nos peines ? Aucunement. L’ambiguïté du projet ministériel était telle qu’elle a conduit le Conseil supérieur de l’éducation nationale à lui donner un avis défavorable après diverses organisations. Ainsi, le Bureau de l’association des professeurs de philosophie, que nous avons déjà cité, professeurs qui étaient directement concernés puisqu’on avançait l’hypothèse de leur confier ce nouvel enseignement " s’oppose en l’état actuel à l’instauration d’un enseignement portant sur l’éducation à la citoyenneté en classe de première.... qui masquerait de fait la régression programmée des savoirs enseignés dans les lycées " ; cette position est justifiée ainsi : " la citoyenneté républicaine suppose une instruction élémentaire, une culture générale et un esprit critique qui s’acquièrent au contact des savoirs scolaires ordonnés dans des disciplines précises et rigoureuses, organisés dans des programmes nationaux et enseignés par des professeurs compétents et respectés. Dans une République l’amour des lois est fondé sur un souci réfléchi de la vérité et un respect raisonné des savoirs ". Si je cite tout au long ce texte ( qui montre que, malgré M. Meirieu, l’école de Jules Ferry a encore des défenseurs ! ), c’est non seulement pour son intérêt intrinsèque, mais parce qu’il rejoint un certain nombre de prises de position de penseurs qui ont enseigné ou enseignent la philosophie. Sous le titre " Enseigner la morale au lycée " Le Figaro a publié ces textes. Obligé de me limiter, je citerai deux exemples qui s’insèrent très bien dans mon propos. Alain Finkelkraut note l’erreur fondamentale du ministère qui pense qu’on répondra à la violence en apprenant aux " jeunes " le respect de l’autre, " objectif irréprochable qui conçoit toutes les relations humaines sur le modèle de l’intersubjectivité.... or le lien social n’est pas seulement dialogique.... aux rapports intersubjectifs s’ajoutent les rapports institutionnels. " Et il note que " le problème de l’école, ce n’est pas l’absence de pluralisme, c’est bien plutôt la dissolution de la culture dans le pluralisme des convictions. L’instruction civique doit contribuer à résoudre le problème et non à l’aggraver " ; comment le résoudre ? En rompant avec l’esprit du temps qui " en effet, est sociologique. Il affirme que tous les comportements sont déterminés par la société ". Or, ce qui nous introduit dans le monde moral, c’est, selon le mot de Ricoeur, " notre capacité d’imputabilité : le fait de nous reconnaître comme l’auteur de nos propres actes ". Or, par le sociologisme, l’humanité échappe à l’imputabilité. Et Finkelkraut conclut que " dans un cours de morale, il s’abstiendrait de prêcher la morale, mais s’efforcerait juste de barrer cette sortie ". Je ne suis pas sûr que Mme Royal ait pensé que barrer la route au " sociologisme " soit un moyen de lutter contre la violence et d’ailleurs je pense que pour changer les comportements il ne suffit pas d’une simple critique de ces fondements théoriques. Mais, au moins, a-t-on ainsi décelé sur quelles erreurs théoriques reposent les fondements qu’on veut donner à cette éducation à la citoyenneté. Jean-François Revel, de façon peut-être encore plus radicale, rejette la possibilité d’enseigner la morale civique comme une discipline distincte. " Dans une éducation républicaine, digne d’une vraie culture, on n’enseigne pas le civisme et la morale comme des matières séparées des autres. Leur transmission fait partie de cette culture en voie d’extinction. On enseigne la morale et le civisme en enseignant Montaigne, Pascal, La Fontaine, La Bruyère, Montesquieu, Tocqueville et Renan....Et, du jour où on renonce à [ vous ] initier à ces maîtres, le civisme et la morale ne sont plus que des boîtes de conserve vides. " Ce sont toutes ces incertitudes sur le contenu qui devrait être celui de ce nouvel enseignement qui font qu’il risque de ne jamais voir le jour. Le remède à la violence scolaire conçu par Mme Royal était purement illusoire et n’avait pour fonction que de la dispenser d’agir. M.B. Maurice Schuman fut l’un des premiers à participer à notre comité d’honneur. Au cours des années, sa disponibilité ne s’est jamais démentie et récemment, à l’occasion du colloque tenu avec l’O.I.D.E.L., elle s’est encore manifestée. Il nous faut saluer la mémoire d’un homme qui alliait à la passion de ses engagements la fidélité de ses dévouements.
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