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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 58 - 4ème trimestre 1997
LA VIOLENCE EN MILIEU SCOLAIRE LA VIOLENCE EN MILIEU SCOLAIRE Le gouvernement vient de présenter, le 5 novembre, son plan de lutte contre la violence (32 pages constituées par le texte lui-même et deux annexes, auxquelles il faut adjoindre un appendice constitué par un article de 10 pages). On ne peut dire que la décision de donner une priorité à la lutte contre la violence soit une originalité. Depuis des années, pratiquement chaque ministre a publié son propre plan, avec l’inefficacité que l’on sait. Le nouveau plan aura-t-il le même sort ? En restera-t-on au niveau des intentions, non suivies d’application, ou les mettra-t-on en œuvre ? Les remèdes préconisés sont-ils susceptibles d’être efficaces ? A-t-on les moyens nécessaires pour appliquer ces décisions ? Pour résumer mon opinion, je dirai qu’il y a quelques éléments positifs, dont la présence est étonnante quand on sait ce plan l’œuvre d’un gouvernement socialiste qui, comme on le verra, est conduit à renier certains de ses dogmes et à proposer des méthodes que la gauche avait en abomination, il y a peu de temps. Mais je pense que pour l’essentiel les méthodes sont illusoires et que les résultats qu’obtiendra Mme Royal, chargée du dossier, seront très décevants. Quant au diagnostic du phénomène, il est très simple, mais me semble suffisant pour le but qu’on vise : la formulation d’un plan de lutte. Ce diagnostic se fonde sur une enquête réalisée au début de l’année par la direction des lycées et collèges à l’initiative de M. Bayrou. On demandait simplement aux chefs d’établissement d’apprécier le degré de gravité et la nature des phénomènes de violence dont la communauté de leur établissement se sent victime. Enquête qui discrimine les phénomènes selon des critères assez subjectifs, mais qui fournit des résultats significatifs : à peu près la moitié des établissements sont le lieu de faits de violence, et si, par exemple, en collège un événement sur 64 provoque un conseil de discipline, un sur 44 provoque un signalement au procureur de la République ! Le rapprochement de ces deux proportions est stupéfiant. Il laisse à penser qu’on renonce à faire passer en conseil de discipline des cas qu’on signale au Procureur. Les enseignants hésiteraient-ils à sanctionner eux-mêmes, seraient-ils prompts à confier à d’autres corps cette corvée ? (p. 3 à 5 du plan) Quant aux causes de la violence, elles donnent lieu à une analyse très rapide. On note qu’elles sont "multiples et souvent imbriquées (mutation sociale des quartiers, aggravation de la situation économique, déstructuration de la famille et du lien social, perte des repères)". Est-ce par correction politique qu’on ne cite pas la présence d’une proportion considérable d’élèves issus de l’immigration - j’en donnerai un exemple précis d’ici la fin de cet article - ou parce que ce fait peut se ranger sous certaines rubriques précédentes ? Je crois que c’était une pudeur inutile. Enfin, je donnerai comme cause autonome, tout à fait oubliée, l’imposition d’une scolarité trop longue à un type d’élèves qui par tempérament n’ont pas d’intérêt scolaire, et qui, écœurés par l’école, sont conduits à une espèce de rébellion. Venons-en au principe fondateur de la méthode de lutte. Il consiste à concentrer tous les moyens dont on dispose sur un ensemble de "sites" constitués par les zones dans lesquelles la violence scolaire est particulièrement inquiétante, comme l’agglomération lilloise ou la Seine Saint-Denis, soit au total 412 établissements secondaires représentant 278 000 élèves approximativement (et 412 000 élèves dans le primaire). Ces sites sont présentés dans des cartes agréablement coloriées. L’objectif qu’on se donne est "d’apporter une réponse" à tout acte de violence dans ces établissements. Mais qu’entendre par là : secourir toutes les victimes, certes, mais sanctionnera-t-on aussi tous les coupables ? Je n’ai rien contre la concentration des moyens sur les sites privilégiés. Je note seulement qu’ils sont définis un peu restrictivement (par exemple, rien sur la banlieue de Rouen...) et qu’ils ne représentent guère plus de 5 % de l’ensemble des établissements de ce niveau. Or, pour les seules zones privilégiées, en plus de dotations de postes de titulaires (conseillers d’éducation ou infirmiers !), on prévoit l’essentiel des 10 000 emplois-jeunes recrutés comme assistants à la vie scolaire et une partie des 30 000 aides éducateurs recrutés pour l’enseignement primaire. Sans exagérer, si on voulait étendre le système à toute la France, même en tenant compte du fait que les zones non sensibles ne demanderont que des moyens nettement moindres, c’est à peu près 100 000 emplois de ce type qui seraient nécessaires ! On dira que ce n’est pas trop cher pour la sécurité, car bien entendu la charge budgétaire sera énorme. Mais le problème qui se pose est de savoir ce que feront ces jeunes recrutés sans formation particulière bien sérieuse : ils amélioreront "la surveillance des sorties, des cours de récréation"... on compte sur leur présence massive et leur qualité (p. 12). J’avoue que je suis un peu sceptique : on peut redouter qu’ils aient le sort de ces "agents d’ambiance" qui ont été eux-mêmes, en région lilloise, victimes d’agressions que leur présence devait prévenir ! Je crains de plus que leur jeunesse ne les rende plus vulnérables et qu’éventuellement elle facilite une espèce de connivence entre eux et ceux qu’ils doivent surveiller. A tout compte faire, j’aurais préféré qu’on restaure le système des pions, ces fameux surveillants d’internat, progressivement supprimés dans un passé récent (sous prétexte qu’on pouvait faire confiance à l’autodiscipline), mieux intégrés dans la vie scolaire, parce qu’eux-mêmes étudiants, ils se destinaient à l’enseignement (condition que n’ont pas à remplir les jeunes employés). Toujours est-il qu’un point positif consiste en ce qu’on a progressivement pris conscience du fait que la prévention n’est pas la panacée et qu’en certains cas la répression est nécessaire. Je trouve même que le passage à l’intervention de la justice pénale est un peu rapide et que les réformes de la législation pénale sont assez inutiles car, pour l’essentiel, les textes existent, et que le seul problème est de les appliquer. On ne peut que saluer cette conversion présentée comme une innovation (p. 11) : "une nouvelle attitude : refuser l’impunité" (c’est moi qui souligne). De même, je ne peux que me féliciter de voir écrit qu’"il faut accueillir temporairement hors de leurs établissements les jeunes qui perturbent gravement la vie scolaire". Et il est précisé (toujours p. 11 et 12) "pour certains jeunes, qu’ils soient de véritables délinquants ou qu’ils rejettent totalement l’institution scolaire, l’exclusion temporaire ne règle rien. Un grand nombre d’entre eux sont renvoyés d’établissement en établissement". Et l’on ajoute qu’il faudra développer des structures permettant de les accueillir en coopération avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse. "L’éducation nationale engagera une réflexion pour créer des internats associés à certains établissements difficiles". Mais une fois reconnue l’importance de cette évolution positive probablement due à la pression des faits et notamment à l’aggravation de la délinquance des mineurs qui est incessamment signalée par les médias, il faut reconnaître qu’on accorde un peu trop de crédit à des expériences laissant la plus grande place à "la gestion collective (par la classe) des conflits, aux commissions de médiation professeur-élèves" (sic) (p. 19-20) Toutes les expériences soixante-huitardes sont reçues avec un sérieux déconcertant qui montre que c’est à regret qu’on s’est engagé dans des remèdes qui relèvent de la répression classique. D’ailleurs, on diffère en quelque sorte l’application des remèdes énergiques en multipliant des initiatives qui consistent à créer de nouvelles institutions genre "observatoires de la violence" et en commanditant une multitude d’études confiées à des groupes de spécialistes des sciences humaines. A-t-on donc tellement besoin de la caution d’hommes de science (ou prétendus tels) pour agir, puisqu’on sait quels principes doivent régler l’action ? Mais ce qui est encore plus déconcertant c’est la confiance assez naïve mise par les ministres en général et par Mme Royal en particulier en la vertu de ce qu’elle nomme par les expressions "éducation civique" ou "morale civique" ou "apprentissage de la citoyenneté", expressions visiblement tenues pour interchangeables alors qu’elles devraient discerner des choses différentes. Ce flottement du langage trahit en fait une certaine confusion de pensée. Lorsque Mme Royal, lançant ce qu’elle nomme "la semaine des initiatives citoyennes", utilisant cet étrange jargon où "citoyen" est surtout utilisé adjectivement, soutient qu’"apprendre la citoyenneté c’est apprendre à vivre ensemble dans les écoles, organiser le savoir-vivre", elle parle de "citoyenneté" où il s’agit de "civilité". Lorsque les enseignants vont saluer les élèves à la porte de l’établissement, alors qu’on attendrait que les rôles soient inversés, (initiative saluée par le ministre), il s’agit encore de "civilité" simplement. Et c’est, certes, par là qu’on doit commencer. Mais il faut distinguer cette pratique de ce qu’on nomme l’"instruction civique" qui est, pour l’essentiel, un apprentissage d’ordre intellectuel des mécanismes de la société dans laquelle nous vivons. Instruction qu’il faut d’ailleurs distinguer de l’éducation civique (ou éducation à la citoyenneté), dont le but n’est pas un simple apprentissage d’ordre intellectuel mais l’encouragement à la pratique des vertus propres au bon citoyen. Or toutes ces formes d’enseignement, qu’on entend développer à tous les niveaux, restent très mal distinguées. Qu’est-ce que désigne cette "éducation à la citoyenneté", qui en première des lycées prend le relais de l’instruction civique ? Lorsqu’on nous annonce que l’instruction civique fera l’objet d’épreuves d’examen au brevet, et de même qu’il y aura une épreuve de morale civique au concours d’entrée à l’I.U.F.M., on peut s’interroger. S’il s’agit d’instruction civique proprement dite, la place qui lui est accordée est excessive ; s’il s’agit d’éducation à la civilité, il est manifeste que l’essentiel doit être fait dans les classes élémentaires et ne prête pas à un examen. L’école de Jules Ferry, d’autant plus scrupuleuse en matière de neutralité qu’elle était la cible d’un certain nombre d’attaques sur ce point, voulait éviter de subir le reproche d’avoir substitué au catéchisme traditionnel un "catéchisme républicain" et de juger les élèves selon leurs opinions, avait pris une mesure d’une grande sagesse : on avait décidé que l’éducation morale ou l’instruction civique ne pouvaient en aucun cas faire l’objet d’une épreuve d’examen. Ce n’était pas rabaisser ces enseignements mais au contraire montrer ce qu’il y a de spécifique en eux, puisque l’essentiel, disait-on, ne se situait pas sur le plan des connaissances mais des comportements que déterminent les enseignements. On aimerait que la règle soit appliquée si on veut éviter que, sous prétexte d’éducation à la citoyenneté, on ne voie surgir une épreuve de "correction politique". Il semble qu’on n’éprouve plus de nos jours les scrupules qui étaient ceux des "hussards de la république". J’ai lu avec étonnement dans le Figaro du samedi 29 novembre (p. 25) un article intitulé : "Tolérance : la leçon du préfet. Philippe Massoni a donné un cours de civisme à des collégiens du 19è arrondissement". Nous apprenons qu’au collège Georges-Méliès 90 % des élèves sont d’origine étrangère (mais à quoi vont-ils s’intégrer s’ils constituent une si écrasante majorité ? Quels seront leurs repères s’ils sont de 30 nationalités différentes ?) et que la lutte contre toute forme d’intolérance est au centre des préoccupations. C’est pourquoi ce collège était choisi pour que s’y tienne la séance d’une cellule de lutte contre le racisme, la xénophobie (mais de qui viendrait-elle dans ce collège ?). C’est à l’occasion de cette réunion que le préfet a donné sa "leçon de Morale". Qu’entendre par là ? Je ne sais pas mieux que ce que j’en dis ; mais il est certain que s’instaure ainsi une redoutable confusion entre l’autorité politique que représente le préfet et la fonction propre au corps enseignant. En d’autres temps, le fait qu’un préfet "fasse la leçon" aux élèves aurait paru une immixtion scandaleuse du pouvoir politique dans le territoire propre à l’école. A multiplier les "actions", comme on dit, de prêche d’un humanisme laïc, voilà ce qu’on risque. On finira par lui conférer l’aspect d’une doctrine officielle. La pensée unique en sera renforcée et la correction politique imposée à tous les élèves. Sait-on bien où conduit inévitablement ce type de démarche ? En tout cas, certainement pas à rendre plus efficace la lutte contre la violence. Mieux eut valu que Mme Royal s’abstienne de défigurer son plan qui contenait quelques initiatives heureuses et d’intéressantes conversions par des adjonctions qui, dans la meilleure des hypothèses, n’ajoutent rien de positif, dans la pire portent le germe d’un régime qui dominerait les esprits de façon tyrannique. Maurice Boudot LA LIBERTE D’OPINION DE L’ENSEIGNANT Il fut un temps où M. Toubon projetait de renforcer la législation antiraciste parce que notamment, disait-il, elle laissait échapper aux poursuites certaines des activités des enseignants. Le projet avait déjà soulevé un tollé par son caractère attentatoire à la liberté d’opinion quand M. Toubon, qui n’avait pas eu le temps de présenter son projet au Parlement, fut remercié par ses électeurs. Mais de quoi s’agissait-il donc ? Il suffit de lire la triste histoire de M. Seurot, professeur d’histoire dans un collège privé exclu à vie de l’enseignement (public ou privé sous contrat) sous le prétexte qu’il aurait tenu dans le journal de l’école des propos qui incitent à la haine raciale. Cette histoire nous était rapportée dans le Figaro du 25 novembre par un article de Gérard Marin (publié en p. 2, généralement la plus décapante du quotidien). Il apparaît qu’il a suffi que M. Seurot dénonçât, d’ailleurs hors de son enseignement, stricto sensu, "l’irruption jusque dans les plus reculés de nos cantons de hordes musulmanes inassimilables", parle de 5 millions d’émigrés musulmans, fasse une allusion "aux sales gamines arrogantes" pour qu’il écope de la plus sévère des sanctions administratives. Et comme si ceci ne suffisait pas, Licra, Ligue des droits de l’homme, et Mrap poursuivent au pénal et s’en prennent à ceux qui défendent M. Seurot. C’est le cas d’un membre de la Licra, (trois jours plus tard, même publication, même lieu), qui tempête car il tient pour scandaleux qu’un enseignant puisse tenir certains types d’élèves pour inassimilables, oubliant que la place naturelle d’un musulman (ou plutôt d’une musulmane voilée, car M. Seurot a fait allusion au voile) ne devrait pas être un collège catholique, car on ne voit pas comment il pourrait adhérer au projet propre à l’établissement, même si la loi Debré oblige tout établissement privé sous contrat à accueillir les élèves sans discrimination religieuse. Mais abandonnons le prolongement légal, concentrons-nous sur la procédure disciplinaire. Je veux noter deux points :
De toute façon, ces autorités étaient libres de s’exprimer même après que la sanction disciplinaire fut tombée. Je demande donc à Mgr Coloni, évêque de Dijon, qui se trouve être par ailleurs le responsable épiscopal de l’enseignement, quelle est sa position et quelle fut son action ? Décidément, je pense que M. Toubon avait tort de redouter que les enseignants abusent impunément de la liberté d’expression qui leur serait laissée. P.S. Les épreuves de cet article étaient déjà composées, lorsque j’apprends que M. Seurot a été acquitté par le tribunal correctionnel de Dijon, juge en première instance. M.B. Les remous soulevés par la réforme du mode de recrutement des enseignants des universités peuvent sembler soit une méchante querelle soulevée par les adversaires de M. Allègre, soit une question si technique que beaucoup réservent leur jugement, supposant que la technicité de la question impose que la détermination du bon choix soit réservée aux seuls spécialistes. Pourtant, si on veut bien évacuer des aspects non pas secondaires, mais moins importants que d’autres, le problème est assez simple, dès lors qu’on dispose de quelques données sur la situation actuelle. Pour certaines disciplines, comme le droit et les sciences économiques, le recrutement des postes les plus importants (ceux de professeur) se fait par un concours national entre candidats dûment qualifiés. En ce cas, la réforme consiste à multiplier les modes de recrutement parallèles, qui ne se fondent pas sur des qualités uniquement scientifiques ou pédagogiques et qui sont naturellement destinés à des candidats qui auront échoué au concours d’agrégation. Je suis bien d’accord avec ceux qui protestent contre cet aspect de la réforme du mode de recrutement. Mais, eu égard à une certaine technicité du problème, je ne développerai pas plus les critiques qui consistent à dénoncer le vieillissement du corps qu’entraînera inéluctablement la réforme. L’autre point, beaucoup moins technique, concerne l’ensemble des disciplines et tous les recrutements, abstraction faite du niveau des postes, qu’il s’agisse de professeur ou de maître de conférences. Il faut rappeler que les enseignants des universités se désignent par cooptation. Précisons : s’il s’agit de nommer un professeur d’histoire ou un maître de conférences de philosophie, ce sont respectivement les autres professeurs d’histoire ou les maîtres de conférences de philosophie, auxquels se joignent les professeurs (considérés comme de grade supérieur) qui en décident. Le principe est simple : chaque discipline est autonome vis-à-vis des autres, et chacun ne choisit ou ne juge jamais ses supérieurs, mais ses égaux ou les collègues de rang inférieur. Mais pour choisir un professeur d’histoire, par exemple, quels sont les professeurs d’histoire qui en décident ? Ici est mise en jeu l’action de deux instances, les unes "nationales" (un comité élu partiellement par tous les professeurs d’histoire de France, et dans une assez faible proportion nommé par le ministre), les autres "locales", propres donc à chaque université : les "commissions de spécialistes" constituées par l’ensemble des professeurs de la discipline ou élues par cet ensemble. Je passe sur la complexité du mécanisme qui exige en quelque sorte l’accord de ces deux instances pour que la nomination soit acquise. J’ai voulu faire aussi simple que possible, quitte à présenter des approximations qui, en toute rigueur, sont fausses. Mais ce qu’il importe de comprendre, c’est le rôle de ces commissions de spécialistes locales à travers lesquelles, par exemple, ce sont tous les philosophes d’une université qui choisissent le collègue qui succédera à l’un d’entre eux parti à la retraite. Tout le monde comprendra alors l’essentiel du dispositif qui assure l’indépendance des universitaires. Mais précisément c’est à cela que M. Allègre entend mettre un terme. Il propose simplement d’adjoindre à ces commissions des membres choisis par le ministre (ou le recteur qui en est le simple représentant) dans la proportion de 40 %. Avec 40 % on fait facilement une majorité... Autant dire que les prétendues commissions de spécialistes seront de fidèles exécutrices des volontés ministérielles. Seule la pudeur a dû préserver de dire carrément : le ministre choisit selon son bon vouloir les enseignants des universités. L’Académie des sciences morales et politiques, réunie en comité secret le 13 octobre 1997, ne s’y est pas trompée. Dans ses observations sévères elle note tout particulièrement que "les commissions de spécialistes destinées dans chaque discipline à se prononcer sur le recrutement et la carrière des professeurs et maîtres de conférences sont traditionnellement composées de tous les professeurs et de maîtres de conférences élus par leurs pairs. Y faire figurer 40 % de membres nommés par le ministre ou le recteur serait rompre avec cette tradition et porter atteinte à l’indépendance des universités telle quelle a été consacrée par le conseil constitutionnel en 1984 et aux principes démocratiques". Il semble que, soucieux d’éviter un tollé général, M. Allègre ait un peu atténué ses projets, mais dans la longue interview qu’il donne au Figaro et dont la seconde partie a été publiée le 4 décembre, il se vante d’avoir fait approuver la veille par le Conseil des ministres la mouture définitive de son projet, dont j’ignore la forme précise qu’il aura reçue dans sa dernière version. J’ose espérer que cet article permettra à tout lecteur, serait-il parfaitement ignorant des us et coutumes des universités, de juger par lui-même de la méthode employée par M. Allègre pour mettre au pas les universités, en leur arrachant ce qui est essentiel à leur indépendance. M.B. LE CHOIX DE L’ECOLE : UNE QUESTION D’ACTUALITE La lettre d’information de l’OIDEL (Organisation internationale pour le développement de la liberté d’enseignement) dans son numéro 19, daté de février 1997, montre clairement que le problème du choix de l’école par les familles, des mécanismes qui le facilitent, des conséquences qui en résultent, est d’actualité. Cet ensemble de questions se pose en des termes voisins, mais non absolument identiques, dans toutes les démocraties techniquement avancées ; les termes ne sont pas absolument identiques, car personne ne peut faire totalement abstraction de la situation dont on parle, laquelle est variable d’un pays à l’autre. Faute de pouvoir parler de tout, je me limiterai à présenter la problématique du premier exemple cité, extrêmement intéressant en ce qu’il présente le système du bon scolaire comme un moyen de financement de l’enseignement privé. Ce premier texte est un article publié le 18 novembre 1996 (très peu de jours après notre colloque tenu en commun avec l’OIDEL et le centre Luigi Einaudi, dans Business Week et signé du nom prestigieux de Gary Becker, prix Nobel d’Économie. Gary Becker revient sur le débat qui avait opposé peu de temps avant Clinton et Dole, qui l’un et l’autre reconnaissaient que l’école publique échoue à fournir l’éducation nécessaire aux enfants des milieux défavorisés ou des classes moyennes, mais divergeaient sur les moyens de porter remède à cette situation. Alors que Dole propose d’instaurer le système du chèque scolaire, qui est remis par la famille à l’école de son choix, Clinton s’y oppose parce qu’il redoute que la plus grande compétition entre public et privé qu’instaurera automatiquement ce système des chèques scolaires n’affaiblisse encore l’école publique. Remarquons que ce qui est en cause ici, ce sont les seuls enseignements primaire et secondaire, et non l’enseignement supérieur, dans lequel la concurrence joue à fond et pour lequel personne aux États-Unis ne propose de renforcer l’intervention des autorités politiques. On se croirait presque dans le débat propre à notre pays lorsqu’il est question du statut de l’enseignement privé, à ceci près que l’argumentation de Clinton, porte-parole de la gauche en la matière, n’a rien d’idéologique : il ne répond pas à Dole par quelque "aux écoles publiques, les fonds publics", mais en soutenant que la concurrence affaiblirait encore un enseignement public dont les performances sont déjà insuffisantes. Il arrive qu’on précise l’argument en disant que, si aucune raison économique ne détournait de l’enseignement privé, celui-ci obtiendrait "le dessus du panier" tandis que "les établissements publics n’auraient que des élèves indociles sans intérêt pour l’école ou mentalement handicapés", et qu’ils s’effondreraient. La réponse de Gary Becker consiste à montrer que l’argument repose sur un présupposé, à savoir que l’enseignement public soumis à la concurrence serait incapable de se réformer, alors que ses faibles résultais sont dus non à l’insuffisance de ses crédits (les dépenses par élève ont doublé en trente ans), apprend-on, mais à son impossibilité de se réformer et de répondre aux familles qui veulent des programmes cohérents et suffisamment de discipline. C’est un préjugé que de croire que les établissements publics ne peuvent supporter la concurrence. Comme tous les autres ils seraient aptes à en bénéficier et à améliorer leurs performances. Cette réplique fondée en partie sur un raisonnement a priori peut être confirmée par des données factuelles : dans les régions où la concurrence s’intensifie (parce que le réseau des établissements privés y est plus dense), les établissements publics tirent bénéfice de la concurrence et s’améliorent ; le secteur universitaire des États-Unis, qui est le plus soumis à la concurrence, est celui qui a fait la réputation du système éducatif américain. On sait que les droits d’inscription sont très élevés et variables d’une université à l’autre. C’est lorsqu’un système de bourses accordées aux vétérans de la Seconde Guerre par le "G.I. Bill", bourses qu’ils pouvaient utiliser dans l’institution de leur choix, a été instauré que les universités en compétition pour recruter cette masse d’étudiants potentiels ont vu leur niveau de performance s’élever. Or, on a ici, conclut Becker, un équivalent du système du chèque-éducation. La preuve est donc faite qu’il conduit tous les établissements à rivaliser pour obtenir de meilleures performances. Lettre N° 57 - 3ème trimestre 1997
LES FACÉTIES DU PROFESSEUR ALLÈGRE LES FACÉTIES DU PROFESSEUR ALLÈGRE Depuis le début du mois, la vie politique d’une morosité consternante - qui s’intéresse encore à la recomposition de l’opposition ? - n’est égayée que par les déclarations intempestives du nouveau ministre de l’Éducation nationale. Si M. Allègre voulait surprendre, faire parler de lui, rattraper le temps perdu, puisque, s’il a tenu depuis près de dix ans un rôle important, il n’est connu du public que depuis quelques mois, il faut reconnaître qu’il a réussi son coup. Depuis une bonne quinzaine, il n’est pratiquement pas de jour où la presse ne lui consacre au moins un entrefilet, mais plus souvent un article de fond, voire un gros titre. C’est qu’il est si cocasse, le nouveau ministre qui souvent fait accompagner ses propos des réflexions ou des discours de cette mère de famille si convenable, Mme Ségolène Royal. Cocasse surtout quand, dans le rôle d’un Guignol rossant le commissaire, ce ministre d’un socialisme très engagé prend à rebrousse-poil la corporation enseignante et plus spécialement ses syndicats. Il amuse tellement, déroute si profondément, qu’on ne se demande pas si ce qu’il dit est vrai, ni si ses raisonnements sont cohérents et fondés sur des données factuelles fiables, ni enfin quelle politique réelle cache ce masque. Il est temps de mettre fin à ce carnaval, si on ne veut pas que tous succombent au charme de ces nouvelles saturnales. Déjà, on apprend que l’opinion lui serait majoritairement favorable. Faut-il s’en étonner lorsqu’on va constater la bassesse de ses procédés démagogiques ? Et surtout on voit la presse d’opposition incliner de plus en plus en sa faveur, des organismes syndicaux ou parasyndicaux de même tendance manifester une indulgence coupable en face de ses algarades. Il n’est pas jusqu’à Véronique Grousset dans le Figaro-Magazine du 13 septembre qui ne lui témoigne une étrange mansuétude, reconnaissant à cet universitaire - tenu pour un journaliste du seul fait qu’il assure la chronique "Sciences de la terre" dans Le Point -, géologue compétent, dit-on, une dimension de premier plan (ce qui est peut-être un peu excessif) pour la simple raison que M. Jospin admire la supériorité intellectuelle sur les problèmes scientifiques de celui qui fut son camarade de lycée. Je ne parle pas des réactions d’une gauche beaucoup plus critique. Mais, à droite, par un aveuglement étrange, s’il n’était habituel, on a cédé au charme. Seul Présent (du 2 septembre) avec un article de Rémy Fontaine qui m’a beaucoup appris, notamment par ses remarquables citations, semble y avoir totalement résisté. Il est donc temps d’ouvrir les yeux. L’extravagante vision M. Allègre s’est d’abord distingué par deux déclarations : l’une sur l’absentéisme des maîtres, l’autre sur l’usage qu’ils font de leurs congés de formation. Mais il faut joindre à cela ses propos sur l’usage de l’informatique ou sur la répartition des enseignants. Toutes ces déclarations manifestent cette démagogie qui séduit si facilement le public qu’on qualifie habituellement de "poujadiste". Beaucoup reposent sur de simples mensonges ou sur d’indignes insinuations. Commençons par ce qui a le plus frappé : professeurs et instituteurs abuseraient des congés de maladie. Et M. Allègre, qu’aucun chiffre ne fait reculer - en est-il ainsi dans ses publications scientifiques ? - parle de 12 °/o d’absence en moyenne nationale, contre 5 à 6 °/o pour l’ensemble des salariés. Cette déclaration plaît à un certain nombre de parents qui parlent constamment de l’absentéisme des professeurs, confondant congés de maladie, de formation (nous allons en reparler bientôt), vacances et grèves. J’ajoute que, comme on l’a dit bien souvent, un professeur malade et ce sont trente élèves privés de cours, ce qui donne une fausse perception du phénomène. Et M. Allègre, qui n’en est pas à une contrevérité près, ajoute que "les congés de maladie ne sont pas un droit", ce qui est juridiquement faux. Ils le sont dans des conditions parfaitement définies, et si M. Allègre souhaite changer la législation, nous lui souhaitons bien du plaisir ! Pour tordre le cou à certaines légendes, il faut dire que l’absentéisme des enseignants est plutôt inférieur à celui de la moyenne des salariés. Je connais même des établissements secondaires du centre de Paris où il est inférieur à 3 °/o (contre à peu près le double pour l’ensemble des salariés !). Evidemment, la moyenne remonte un peu avec les établissements situés dans les banlieues chaudes dans lesquels les congés, pour "dépression nerveuse" notamment, se multiplient ! Mais à qui la faute ? Les chiffres du ministre sont donc notoirement faux et je serais curieux de savoir sur quels éléments des journalistes se fondent pour dire que toutes les absences ne sont pas décomptées et pas dès le premier jour, sinon sur des allégations sans preuves (le problème des professeurs "en mission" ou "détachés" est tout à fait différent) ; je fais allusion naturellement à l’article de Véronique Grousset {Ibid., p. 33-4). La dénonciation du prétendu abus des congés de maladie a été suivie une semaine plus tard d’une attaque sur les congés de formation. Je cite : on aurait appliqué les règles de la fonction publique à l’Education nationale alors que "les gens de la fonction publique ont un mois de vacances" alors que "les enseignants ont quatre mois de vacances et prennent les congés-formations en plus sur la scolarité". Que les maîtres remplaçants soient mal utilisés, c’est un tout autre problème dont la solution incombe seulement à l’administration de M. Allègre. Passons rapidement sur l’attaque particulièrement indigne contre les vacances des enseignants. Je ne sais pas comment s’y prend M. Allègre pour dénombrer quatre mois ; deux tout au plus pour les vacances d’été, compte tenu de l’astreinte pour les examens. En tout cas, une chose est certaine : j’ai vu pendant les quarante années de ma carrière diminuer l’avantage différentiel des enseignants, relatif à leurs vacances, dont le nombre de jours est resté à peu près stable, tandis que le régime général des salariés qui leur garantissait deux semaines de congé par an (il y a quarante ans) leur en accorde cinq aujourd’hui. Alors, ne confondons pas déclaration politique et propos de Café du Commerce. Quant aux "actions de formation", qui a poussé à leur multiplication, sinon les pédagogues de l’I.N.R.P. (Institut national de la recherche pédagogique), très proches de la gauche ? Qui les a institutionnalisées, faisant de la "formation continue" une obligation pour les universités et pour les enseignants, sinon les socialistes, et notamment M. Jospin, dont M. Allègre était le plus influent conseiller ? Alors qu’on ne vienne pas se plaindre aujourd’hui des effets pervers de ce qu’on a voulu. Ces réunions de formation, parlotes pédagogiques pour l’essentiel, qui font que les enseignants convoqués ici ou là sont absents de leur classe, sont l’œuvre de ceux qui les dénoncent aujourd’hui ou de leurs amis ! Rogner sur les vacances pour les déplacer poserait des problèmes d’intendance redoutables et le statut des enseignants l’interdit de fait. Les créateurs de I.U.F.M. et autres structures dérivées n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ! Mais l’attaque sur les congés de formation était surtout destinée à justifier le souhait de M. Allègre de voir les remplaçants autrements employés, et notamment être envoyés dans les quartiers difficiles (ou Z.E.P.). Indépendamment de l’incongruité qu’il y a dans cette proposition de confier à des débutants des situations difficiles, il faut voir que M. Allègre souhaite accroître considérablement les moyens dans les quartiers défavorisés aux dépens des enfants "bourgeois". 24 élèves par classe, dit-il, ce n’est qu’une moyenne générale, il en souhaite 15 dans les Z.E.P., mais 30 n’a rien d’excessif dans les quartiers faciles. Considérée isolément, cette déclaration n’aurait rien de scandaleux, mais il faut voir qu’elle s’intègre dans tout un ensemble qui conduit le ministre à s’insurger contre une prétendue restauration des filières sélectives (qui commencerait dès le cours préparatoire selon lui !) au profit des "fils de bourgeois" naturellement. Et Mme Ségolène Royal, qui parle toujours très décemment mais utilise des concepts vieillots, n’hésite pas à évoquer cette "discrimination positive", ou "compensatrice" appliquée aux Etats-Unis dans les années 60 qui, avec le "busing" notamment, mêlait les élèves des divers quartiers, pour les mieux intégrer et a donné des résultats si consternants qu’elle fut abandonnée et n’est plus défendue par personne. Il n’y a nulle illusion à entretenir. La politique de M. Allègre sera d’extrême gauche, niveleuse autant qu’il est possible. Fini l’élitisme républicain cher au cœur de M. Chevènement qui a changé de portefeuille. Qu’on ne s’attende pas à ce que l’école de M. Allègre soit avant tout soucieuse de la culture générale. M. Allègre déteste et la culture classique et les mathématiques (ce qui lui vaudra la sympathie des parents en souvenir de leurs propres difficultés, ou de celles de leur progéniture). Son projet est d’introduire Internet partout [dans tous les établissements et toutes les classes en "louant la quincaillerie" (sic)] et il nous annonce : "L’anglais, plus le minitel, plus l’ordinateur, c’est pour le futur comme lire, écrire et compter. Donc, il ne faut pas compter l’anglais comme une langue étrangère, il faut cesser de parler de cette lutte contre l’anglais, c’est quelque chose de complètement obsolète" (cité par Rémy Fontaine, doc. cit.). Il semble qu’on ait oublié que pour se servir du Minitel, il faut savoir lire. En tout cas, qu’on n’attende pas de M. Allègre qu’il défende la francophonie ou développe la part de la culture générale dans les programmes. Le vrai visage de la nouvelle politique A travers les déclarations tumultueuses de l’un et les considérations proférées en un style plus distingué de l’autre, les deux ministres ont fait présager ce que serait leur politique future. Soyons certains qu’il n’y aura nulle innovation par rapport à la politique socialiste des deux septennats précédents que M. Jospin a appliquée de manière persévérante et avec laquelle le ministre d’opposition Bayrou n’a pas osé rompre. Il n’y aura pas de sélection, ni de différenciation des enseignements selon les aptitudes et les vœux des élèves. Tout au contraire, on pourchassera systématiquement tout ce qui pourrait y conduire. "Haro sur l’élitisme des programmes". Bien sûr, les programmes seront allégés, les deux ministres l’ont promis, mais on a souvent entendu de telles promesses et je crains qu’en l’occurrence les allégements se fassent au détriment des disciplines fondamentales. Si on veut faire place à Internet, il faudra bien tailler dans des matières vénérables. Et, comme on va mettre à la disposition de M. Allègre des milliers d’"emplois jeunes", dont le statut reste indéfini, dont personne ne peut dire exactement ce qu’on va en faire, comme il est par ailleurs vraisemblable que parmi ces jeunes figureront pour le mieux des recalés des diverses filières de recrutement de l’Education nationale, vraisemblablement on ne leur confiera pas l’enseignement des disciplines essentielles, mais des activités annexes d’une utilité douteuse pour lesquelles il faudra bien trouver une place dans l’horaire, ce qui ne pourra se faire qu’en réduisant le temps consacré à d’autres disciplines, à moins qu’on ne veuille encore alourdir les programmes ! Et c’est ainsi que par des mesures inconsidérées, on va accroître le désordre qui règne dans le mammouth qu’on gave, alors qu’on annonce qu’on va le dégraisser. Pour en venir à quelques-uns des problèmes particuliers qui préoccupent notablement l’opinion, le premier concerne les rythmes scolaires. Mon seul point d’accord avec M. Allègre sera en définitive pour le féliciter d’avoir dénoncé l’influence pesante qu’exerce l’industrie touristique sur le choix des dates des vacances. Mais si je ne vois pas les avantages manifestes du samedi libre, j’apprécie peu la "sortie" ministérielle contre les familles bourgeoises qui ne pensent qu’à leurs week-ends. En tout état de cause, jusqu’à maintenant aucune solution précise n’a été proposée en ce qui concerne l’organisation hebdomadaire... Second sujet épineux: l’"évaluation" des enseignants dont chacun sait que les mérites et les talents sont très divers. Il est absurde d’écrire que M. Allègre veut "leur promotion au mérite et plus uniquement à l’ancienneté". Il n’y a pas de carrière dans l’enseignement où les promotions se fassent uniquement à l’ancienneté, même si ce facteur est pondéré de façon excessive. Le problème c’est que ce sont les organisations de gauche qui systématiquement ont miné la hiérarchie et notamment l’inspection générale. Le problème n’est pas de faire en sorte que les enseignants soient jugés (on dit dans le jargon actuel "évalués"), mais de savoir par qui ils le seront, et là les problèmes sont plus délicats. Le ministre n’a pas fait part de ses intentions sur le plan général, mais le précédent que constitue la réforme du mode de recrutement des universitaires est singulièrement inquiétant : on substitue à des commissions de spécialistes élus par leurs pairs des commissions dans lesquelles une proportion très importante de leurs membres (40 °/o) serait nommée par le pouvoir politique ou ses représentants (ministre ou recteur). (Selon J. Malherbe, Le Figaro du 15 septembre, p. 14). Aucun gouvernement d’opposition n’aurait osé prendre une telle mesure de peur d’être accusé de "mettre à sa botte" l’Université. Dernier problème auquel les familles sont naturellement très sensibles, celui de la "violence scolaire". Mme Ségolène Royal, qui nous assure que ce sera une "préoccupation permanente" de M. Allègre, entend essentiellement le résoudre par des parlotes qu’elle décrit dans cet inimitable style ampoulé qui caractérise les jeunes socialistes : on organisera à la fin octobre, époque à laquelle on constate toujours un pic de la violence, une semaine sur le thème du "vivre ensemble", une campagne sur la citoyenneté, journées citoyennes qui devront permettre (notamment) d’"inciter les parents à assumer leurs responsabilités", le thème général de l’instruction civique étant "des jeunes responsables dans une école sûre et efficace". Mais, après ce discours digne d’une publicité pour une marque de yaourt, elle ajoute qu’on créera des postes d’infirmières et d’assistantes sociales dans les quartiers difficiles, et des vacations de médecin. Est-ce à dire qu’elle prévoirait déjà le pire, doutant de l’efficacité de son discours à la fois bénin et benêt ? Comme on s’en doute, le style employé par M. Allègre lorsqu’il aborde le problème est tout différent ; mais ce problème, il n’est jamais abordé que sous des angles très particuliers. Alors que les parents lorsqu’ils pensent à la violence pensent d’abord au racket, aux incursions des "grands frères", aux désordres et aux bagarres rangées aux récréations, aux armes véhiculées, aux dealers, M. Allègre leur répond qu’il sera intransigeant avec les pédophiles. Mais si c’est une forme de violence particulièrement basse, ce n’est probablement pas la plus fréquente. Cette réponse n’était qu’une façon d’avouer qu’on n’était pas tellement sûr des remèdes à proposer et qu’on préférait égarer l’auditeur en lui parlant d’autre chose. Aujourd’hui, M. Allègre réitère son procédé en pire : sa lutte contre la violence serait en premier lieu une lutte contre le bizutage. Et une circulaire ministérielle aligne les années de prison qui pourraient s’abattre sur ceux qui pratiquent, encouragent ou tolèrent le bizutage. Je n’ai aucune sympathie pour ces pratiques qui ont pris des formes de plus en plus répugnantes lorsque progressivement notre société s’est enfoncée dans la barbarie à partir de 1968. Mais enfin, il y a quelque disproportion entre les faits en cause et les sanctions dont on menace leurs auteurs. Il faut raison garder. Si M. Allègre ne domine pas ses humeurs, on le verra très bientôt proposer le rétablissement des galères. Maurice Boudot Sans l’extrême obligeance de Jacques Narbonne qui, très aimablement, me l’a fait parvenir en hommage, je serais vraisemblablement resté encore assez longtemps dans l’ignorance du très important ouvrage qu’il a publié, chez Denoël, il y a presque trois ans. C’est que, malgré l’importance manifeste de ce livre, dont tout lecteur un peu informé devrait reconnaître qu’il apporte une documentation sans équivalent sur une période déterminante (1959-67) de l’histoire de la politique scolaire, même dans le cas où on apprécierait moins les analyses personnelles et les conclusions de son auteur, on a organisé une véritable conspiration du silence autour de sa publication. Il fallait engloutir dans l’oubli un texte aussi subversif, un livre qui va aussi loin que faire se peut dans l’incorrection politique. M. Narbonne décrit de façon convaincante les efforts permanents du général de Gaulle, dès l’instant où la question de l’Algérie n’est plus absolument prioritaire, pour mettre en place une orientation sélective dans les enseignements secondaire et supérieur. Oui, dans ce livre intitulé en réalité De Gaulle et l’éducation - une rencontre manquée, il est établi que De Gaulle était un partisan lucide de ce qu’on appellerait aujourd’hui la sélection, sélection dont il voyait la nécessité et concevait clairement les mécanismes nécessaires à son fonctionnement. Et c’est pourquoi j’ai cru être en droit de donner à ce compte rendu le titre que j’ai retenu, qui met nettement en évidence l’extrême incorrection politique de l’ouvrage. A une époque où presque tous les hommes politiques, y compris ceux qui se disent inspirés par la pensée gaulliste, font au moins mine d’abhorrer la sélection, tenue pour anti-démocratique par nature, établir une telle donnée est un blasphème. Mais si De Gaulle voulait la sélection, cherchant à l’instaurer pendant cinq ou six ans (de 62 à 68 approximativement), que ne l’a-t-il faite ? Peut-être l’effondrement de 1968 nous aurait-il été épargné. Sur ce point, le livre de M. Narbonne nous apporte des éléments de réponse décisifs dont je n’ai jamais trouvé trace nulle part. Rappelons d’abord qui est Jacques Narbonne. Conseiller d’Etat honoraire, il était agrégé de philosophie et préparait une thèse sur Husserl lorsque la Ve République fut créée. Assistant à la Sorbonne, il n’a pas d’autre activité politique que sa participation occasionnelle, mais presque quotidienne, au journal Combat en 1958, et sa tentative pour regrouper les enseignants qui souhaitent le retour du Général au pouvoir, regroupement qui aurait dû équilibrer l’influence oppressive que les communistes exerçaient dans l’enseignement public depuis la guerre. Encore qu’il n’ait été d’aucune façon un homme d’appareil, qu’il n’ait aucunement projeté de jouer dans la vie politique un rôle actif de premier plan, M. Narbonne se voit proposer de compter parmi les collaborateurs du général de Gaulle, en qualité de chargé de mission. Il accepte, conscient qu’il faut contrebalancer l’influence de la F.E.N. qui a tout fait pour empêcher De Gaulle d’accéder à la présidence de la République, et il aura avec le chef de l’Etat son premier entretien au tout début de 1959. Nommé à la fin de 1962 conseiller technique chargé notamment de l’Education nationale au secrétariat général de la présidence de la République, ce qui lui donne une influence beaucoup plus considérable puisque lui appartiennent l’organisation de ces conseils restreints où sont élaborées toutes les grandes décisions prises en Conseil des ministres, l’assistance à ces conseils et l’élaboration de leur compte rendu. Documents extrêmement précieux publiés pour les cinq conseils qui ont lieu lorsque M. Narbonne exerce ces fonctions, qu’il abandonne pendant l’été 1967 pour entrer au Conseil d’Etat, à sa demande, alors qu’Alain Peyrefitte vient en avril de succéder à Christian Fouchet, comme ministre de l’Education nationale. Pendant cinq années décisives, M. Narbonne a donc exercé une influence profonde sur les choix du Général en matière d’éducation. Cette influence discrète, mais non occulte, était connue de beaucoup de ceux qui s’intéressaient à la vie de l’Education nationale. On savait que M. Narbonne, en plein accord avec le chef de l’Etat, était partisan d’une orientation autoritaire en fonction des perspectives de l’emploi. De Gaulle aussi l’était. Est-ce à dire qu’il l’aurait influencé, qu’il l’aurait "embobiné", comme aurait dit Pompidou ? Je crois qu’avec lucidité le conseiller circonscrit son rôle : "C’est un fait que, sans mon intervention, le Général n’aurait probablement pas pris aussi étroitement en main, dès 1963, les affaires de l’Education nationale... Il aurait sans doute été saisi plus tard de la réforme Capelle, et rien dans le projet lui-même ne concernait ni l’orientation, ni la sélection qu’elle implique. Je dois revendiquer ma responsabilité d’avoir posé ce problème." Et Jacques Narbonne précise qu’il n’y a nulle outrecuidance à le dire : le rôle d’un conseiller technique auprès du Général n’est pas seulement de suivre les affaires, mais aussi de les précéder. Il se défend d’avoir "embobiné" le Général, mais "simplement après lecture de mes notes, après les commentaires que je lui en ai donnés oralement, il a admis le bien-fondé de mes propositions" (p. 17). Tous les documents publiés dans ce livre confirment cette interprétation. Ce sont au contraire les adversaires de cette politique qui procèdent assez insidieusement et comme s’ils doutaient des aptitudes de De Gaulle à construire une doctrine cohérente en matière d’Education nationale. Au déjeuner de départ, De Gaulle a prononcé des paroles citées par Jacques Narbonne. Il ne lui dit pas qu’il a bien travaillé, ni proposé une bonne politique, mais "vous avez toujours été avec moi". Je suis porté à y voir que De Gaulle reconnaît que c’est parce qu’elle était alimentée par les notes de Narbonne que s’est formée sa doctrine de l’Education nationale. Mais alors, pourquoi partir en 67, alors qu’il n’y a nul désaccord ? C’est que M. Narbonne a parfaitement mesuré les obstacles auxquels se heurte le projet qu’il soutient et son peu de chances de succès. Dès le début, ses considérations sur la difficulté de la tâche révèlent un pessimisme fondé sur la lucidité. Est-ce à dire que la politique qu’il préconise soit absurde ou nocive ? Naturellement pas, mais elle va se heurter à tant de forces de résistance, à tant d’intérêts divergents, qu’elle risque constamment d’être adultérée au point de perdre sa figure propre, que son application sera sans cesse différée, et c’est ainsi que nous aboutirons à la catastrophe de 1968. Jacques Narbonne part en 1967 parce qu’il a le sentiment d’avoir conduit à son terme l’œuvre qu’il avait entreprise (mettre en place une réforme viable de l’enseignement), qu’il est déjà trop tard et que les destinées de l’éducation sont maintenant entre les mains de l’homme le plus apte à sauver ce qui pouvait l’être encore : Alain Peyrefitte. Presque la moitié de son livre est consacrée à montrer à quelles difficultés et à quelles oppositions se sont heurtés les projets du Général. Ce récit, conduit de façon à la fois si détaillée et si claire, encore que sa lecture exige un minimum d’attention, son auteur est à peu près le seul à avoir été en mesure de l’écrire (le seul d’ailleurs à disposer de la documentation). On n’imagine à sa place nulle autre personne, si ce n’est peut-être Alain Peyrefitte qui vraisemblablement ne tient pas à revenir sur des épisodes qui l’ont conduit à subir les conséquences d’une situation dans laquelle il n’avait nulle responsabilité, car avec son style marqué par la prudence qui lui est propre, il a tout fait pour sauver ce qui pouvait l’être encore et introduire un minimum de sélection. Sur ce point Jacques Narbonne ne se trompait pas : en Avril 1967, il est déjà trop tard. On a trop tardé à prendre les rudes décisions qui s’imposaient. Mais pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire ce livre ? Très simplement, et en quelques pages, M. Narbonne explique que la réserve exigeait que les principaux acteurs mis en scène aient déjà disparu, afin d’éviter que l’ouvrage ne donne occasion à des polémiques. Le fait est que s’il contient des jugements sévères présentés sans précautions inutiles, même quand ils portent sur des personnages de premier plan, il n’y a rien dans ce livre qui évoque la bataille de clan. Concerne-t-il alors exclusivement une phase d’un passé déjà lointain ? Pas du tout, comme le démontre notamment sa seconde partie, toutes les questions à l’origine des conflits actuels ont leur source dans les oppositions qui surgissent à l’époque étudiée. L’histoire d’un échec, telle est l’histoire attristante que rapporte l’ouvrage. Et cet échec, il est en définitive celui du plus grand homme politique français de notre époque ! A-t-il donc commis de graves erreurs ? Il serait extravagant de le dire, même si on peut être conduit à lui imputer certaines fautes d’appréciation. M. Narbonne semble donner à penser que De Gaulle a un peu tardé à mettre en route les réformes du système éducatif qui auraient dû conduire à une orientation sélective. Mais c’est que jusqu’au milieu de l’année 1962, sa préoccupation dominante fut la solution de la crise algérienne, dont la gravité n’empêche pas de prendre les décisions les plus urgentes en matière d’éducation. En dépit de cet obstacle, la Ve République naissante tente, dans la hâte, d’apporter une réponse aux difficultés nées de l’incurie du régime précédent qui semblait avoir oublié que les enfants du baby-boom allaient arriver au terme de leur scolarité obligatoire dix ans plus tard, à peu près. La scolarité obligatoire a été prolongée en 1959 jusqu’à seize ans ; on a permis l’accès aux universités de certains diplômés de l’enseignement technique, ce qui mettait fin à l’absurde et odieuse ségrégation radicale entre deux types d’enseignement (le secondaire et celui issu du primaire supérieur), enfin avec l’organisation des C.E.S., (œuvre du recteur Capelle, pour l’essentiel) qui réunissent sous un même toit, des secteurs de premier cycle de type différent, on voulait faciliter les réorientations. Toutes ces réformes n’ont pas connu un franc succès, mais elles montrent sans conteste que les problèmes de l’éducation n’ont pas été négligés au moment où la question de l’Algérie ne pouvait être que prioritaire. Le fait est qu’il faut attendre les premiers jours de 1963 pour que les problèmes de fond soient traités. Le premier conseil restreint consacré à la question date du 4 avril. On ne peut donc dire que le chef de l’Etat ait tardé à s’emparer du dossier. Seuls quelques mois pouvaient être gagnés, à la grande rigueur ; mais n’oublions pas qu’on est en présence d’un vieil homme fatigué et meurtri par l’issue de l’affaire algérienne. Ce qui est donc admirable, c’est la promptitude des réactions et son étonnante faculté de passer d’un dossier à l’autre. Mais il faut bien reconnaître que si l’abord de la question est très rapide et dénote une prodigieuse faculté du Général de se documenter rapidement jusqu’au point de dominer très nettement une question, le choix des solutions et leur mise en œuvre seront très lents. Quatre ans après, presque rien n’a été fait et il est alors trop tard pour imposer les solutions conçues initialement. Cette lenteur est essentiellement due à une sous-estimation des obstacles auxquels se heurteront ses projets. Si ces obstacles n’ont pas le même caractère de passion viscérale qui alimentait les conflits relatifs à l’Algérie, si les oppositions sont plus feutrées, elles ne sont pas pour cela moins tenaces. Les problèmes de l’orientation sélective occupent le devant de la scène au moment où Georges Pompidou est devenu Premier ministre et où Christian Fouchet, dont on a éprouvé la fidélité lors de son passage à Alger, devient ministre de l’Education nationale, poste pour lequel il n’a aucune vocation particulière mais qu’on lui attribue comme une sorte de dédommagement de son dévouement passé. Ce que semble n’avoir jamais vu De Gaulle, c’est que ces deux hommes, quoique pour des raisons diverses, sont l’un et l’autre opposés à la politique qu’il préconise et feront tout pour l’édulcorer et différer son application. Le témoignage d’Alain Peyrefitte (cité p. 208-9) permet d’estimer la force de cette opposition : lorsqu’il accède à la succession de Fouchet, en avril 1967, Pompidou lui dit "en substance" : "L’éducation c’est mon secteur réservé. Le Général n’y connaît pas grand-chose. Il s’est laissé manipuler par son entourage. Narbonne l’a convaincu qu’il fallait faire l’orientation et la sélection : c’est sa marotte. Dites-vous qu’il n’y a plus de réformes à faire à l’Education nationale..." Et Christian Fouchet lui dit quelque chose de voisin : le Général s’est laissé manœuvrer par Narbonne, mais il faut protéger le Général contre les technocrates qui l’entourent. Et M. Narbonne de conclure : "Il fallait distinguer entre un Général narbonisé et le Général à l’état pur, tel que le révélait !a sagacité des ministres. La fidélité fait, on le voit, bon ménage avec - disons - l’opportunisme." Comment ces deux personnages peuvent-ils en être venus là, sans que ni l’un ni l’autre n’aient l’intention, ou le sentiment, de contrecarrer la volonté du Général et, en définitive, de le trahir ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, Pompidou, attaché à l’organisation libérale de l’enseignement qu’il avait connu comme élève puis comme professeur, n’a jamais perçu combien cette organisation était totalement inadaptée à ce qu’était devenu un enseignement de masse, avec une croissance prodigieuse des effectifs. Il n’a jamais perçu qu’à l’exclusion de quelques secteurs très restreints, jalousement isolés et protégés (d’ailleurs tous régis par une sélection extrêmement sévère), l’enseignement secondaire de son temps n’existait plus, sinon à titre exclusivement nominal. Le Premier ministre, si "réaliste" par ailleurs, était comme aveuglé par un rêve. Je ne vois pas d’autre explication à son attitude. En ce qui concerne Christian Fouchet, il nous faut être plus désobligeant. La part de l’incompétence étant faite, il a manifestement agi par pure démagogie. Après être devenu la bête noire des pieds-noirs, il ne voulait pas devenir la cible des jeunes et de leur famille. Il sera bien puni de son manque de courage dissimulé derrière de lamentables pirouettes, lorsque, nommé à l’Intérieur en 67, il sera condamné à devenir le ministre de la répression des barricades, pour avoir refusé d’être celui de l’orientation sélective planifiée. Aussi différentes que soient leurs motivations, ces deux éminentes personnalités ne semblaient pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation et de l’urgence dans laquelle on se trouvait de prendre des mesures radicales. De Gaulle, lui, l’a parfaitement compris dès qu’il fut bien informé, disons à peu près en 1962, et depuis cette date il ne modifiera pas la ligne de son action. Il faut dire que le phénomène était absolument évident. M. Narbonne (p. 68) note trois données nouvelles : accroissement du taux de scolarisation par suite de l’élévation du niveau de vie, vague démographique, et besoins de cadres dus à l’extension du tertiaire, qui ont conduit à diriger sans discernement vers les lycées la masse des élèves nouveaux venus. Et il cite l’exposé des motifs du décret de janvier 59 (dû à Berthouin) instaurant le cycle d’orientation de deux ans dans les C.E.G., donc bien antérieur à la période dont nous parlons, où la situation est décrite de façon précise : "De graves contradictions déséquilibrent nos enseignements. Notre enseignement secondaire s’affaiblit et menace de succomber sous la pléthore. Alors que la vague n’a recouvert que les deux premières années, comment accepter la perspective de lycées bientôt submergés par un million d’élèves, dont la moitié au moins n’y serait entrée qu’en méconnaissant leurs véritables aptitudes ?" Quant aux causes du déséquilibre, elles sont aussi nettement discernées : la mystique du baccalauréat, son exigence pour les professions mineures, le manque d’établissements d’enseignement moyen, le coût relativement élevé de l’enseignement technique, la démagogie à l’égard des élèves et de leurs familles et des maîtres : le rôle des syndicats est d’agir toujours dans le sens de la prolifération des postes les plus élevés et les plus rétribués, donc de l’inflation du secondaire, telles sont celles que dénoncent les notes que Jacques Narbonne adresse au chef de l’Etat en 1961. Tout est donc parfaitement connu nettement avant 1963: le caractère explosif de la situation et ses causes, et l’opposition d’un Fouchet à l’orientation planifiée (p. 110), son désir de laisser chacun "tenter sa chance", qui parle déjà de "droit à l’erreur", ne peuvent prévaloir contre ces dures réalités. En 1967, personne ne nie les données, et à de grands universitaires (le Doyen Zamansky, Bataillon, administrateur du Collège de France) se joignent, pour demander la sélection, des voix de personnalités lucides comme Valéry Giscard d’Estaing. Mais en 67 il est trop tard : on a perdu quatre années pendant lesquelles la situation s’est considérablement dégradée, tandis qu’ont été entretenues de dangereuses illusions. Dans cette phase de prodigieuse croissance économique, tous les rêves étaient permis. Et pourtant, ce n’est pas parce qu’on avait réussi à caser tant bien que mal les premières générations constitutives du surcroît de diplômés qu’il fallait croire qu’il en serait toujours ainsi. Professeur débutant dans l’Enseignement supérieur à la veille de 1968, j’avais vu le nombre d’étudiants presque décupler en très peu d’années au point qu’il y avait autant d’étudiants en première année que de professeurs de la discipline en exercice dans l’académie, et comme l’enseignement constituait le débouché essentiel et qu’on ne pouvait imaginer que la carrière d’un professeur dure une seule année, il est clair qu’on ne pouvait continuer à ce rythme ! Même si on ne mesurait pas exactement le phénomène, tout le monde le voyait, encore qu’il ait été de bon ton de détourner l’attention de la gravité du problème. C’est que la seule solution était une sélection autoritaire liée à une orientation planifiée dont la distorsion cinglante entre la répartition effective des jeunes entre les types d’enseignement et ce qui correspondait aux besoins des pays et aux débouchés professionnels montre bien la nécessité absolue (cf., notamment, p. 57-8). Si on ne l’a pas vu, c’est qu’on n’a pas voulu le voir. Bien entendu, étaient contre la sélection toutes les formations syndicales de gauche, trop contentes de faire capoter le régime sur ce problème, comme ils ont réussi à le faire. Mais aussi de façon plus générale, toute la corporation enseignante qui bénéficie d’avancement facile en raison de la multiplication des postes créés. (Et c’est un profiteur de cette démagogie - il le reconnaît - qui écrit ces lignes !) Mais aussi toutes les classes moyennes qui voient dans la sélection les entraves qu’elle pourrait créer à l’avancement de leur progéniture. Bref, tout le monde rêve d’une expansion sans limite. Ceux qui parlent de la nécessité de la sélection font figure de Cassandre. Et c’est ainsi que des demi-mesures des décisions différées, avec la rouerie de deux importants ministres, et notamment te "flottement intellectuel" de Fouchet, malgré la vigilance, la lucidité et la persévérance du Général, toujours bien conseillé par Jacques Narbonne, le coche a été manqué et on a été inexorablement conduit à l’explosion de 1968. L’histoire de cet enlisement qui se déroule à peu près sur une période de cinq ans est racontée par le menu de façon très convaincante tout au long d’une bonne moitié de l’ouvrage. Il est certain qu’il fallait beaucoup de courage à Alain Peyrefitte pour accepter, après les élections décevantes de 1967, le portefeuille de l’Education et pour essayer, malgré tout, de préserver quelques lambeaux de cette sélection rationnelle dont De Gaulle avait vu la nécessité et les modalités qu’elle devait revêtir (aux maîtres de dire quels sont les élèves suffisamment doués pour tel type d’enseignement, à la puissance publique de déterminer les capacités d’accueil dans chaque filière). On avait échoué. Pourquoi avait-on échoué ? Certes, en raison des réserves des principaux exécutants à l’égard du projet du Général, de leurs tergiversations ou au moins de leur manque d’enthousiasme. Mais aussi, et ici je parle en mon nom personnel, parce qu’on avait d’abord sous-estimé l’ampleur des résistances à vaincre : la nécessité de la sélection était si évidente pour le Général et son conseiller qu’ils n’imaginaient pas que dans une sorte de folie suicidaire on en vienne à le nier. Folie suicidaire, le mot n’a rien d’excessif, car c’est à un véritable suicide collectif qu’ont procédé tous ces bons esprits, souvent d’une gauche modérée, partisans d’une école méritocratique, qui se sont trouvés sans repère en 1968, à moins d’adhérer aux projets du modèle d’école égalitaire, très bien décrit par Jacques Narbonne, notamment dans dix pages de la seconde partie (p. 331-40). Ces esprits rationnels et généreux qu’étaient De Gaulle et son conseiller ont sous-estimé la force des passions et la prégnance des intérêts mesquins. Je pense aussi que les gouvernements de l’époque n’ont pas su "vendre" leur politique. En demandant aux organismes du Plan de déterminer de façon beaucoup trop précise le pourcentage d’élèves souhaitable dans tel type de formation, alors qu’on pouvait se contenter des ordres de grandeur pour montrer la nécessité de l’orientation sélective, ils ont prêté le flanc à l’accusation d’être des technocrates sans cœur ni imagination, et de proposer un modèle "élitiste, bonapartiste, étatique, soviétiforme", comme le leur reproche Philippe Némo (p. 59), dont je me sépare du fait que je ne crois pas qu’en matière d’éducation, les régulations du marché suffisent (ceci malgré la large marge d’accord entre nous). Je ne crois pas que l’accusation ait quelque ombre de fondement, quand on voit qui elle vise. Mais le fait est que quelques maladresses, non dans les projets eux-mêmes, mais dans leur présentation, a pu lui donner un soupçon de vraisemblance. En ce qui concerne la sélection, encore plus qu’ailleurs "rien ne peut être comme avant", après Mai 1968. Beaucoup d’auteurs reconnaissent que la sélection, notamment par la limitation de l’accès des bacheliers à l’Université qu’ils ont préconisée avant, n’est plus possible : c’est le cas de Valéry Giscard d’Estaing (p. 426). Dans la seconde partie de son ouvrage, M. Narbonne semble admettre que ce que De Gaulle, malgré son intelligence, sa force d’âme, son prestige n’a pu faire, personne ne le pourra et il décrit les résultats dérisoires obtenus par les tentatives qui ont été faites après lui ou les échecs cuisants qu’elles ont rencontrés. Il incline vers la méthode extrêmement prudente des réformes marginales préconisées par René Monory, ce qui éviterait la déroute connue par M. Devaquet. J’avoue que je suis un peu moins pessimiste que lui et que j’ai une appréciation assez différente de la situation. Si Alain Devaquet a échoué, c’est qu’il défendait sans conviction un projet adultéré qui à l’origine n’était pas le sien, qu’il a choisi la plus mauvaise époque pour le présenter (juste après la rentrée scolaire), c’est enfin qu’il voulut toujours ménager ses adversaires. Le projet de 1986 était hasardeux, mais son échec n’était pas inscrit dans les données de base. Je sais bien que la principale difficulté tient à ce que se coalisent contre les gouvernements qui se réclament du gaullisme et commencent à évoquer la sélection les familles pour lesquelles la démagogie scolaire est espoir d’ascension sociale, les syndicats majoritairement de gauche, et enfin les pédagogues théoriciens issus de l’I.N.R.P. (Institut national de la recherche pédagogique), dont le plus notable est Louis Legrand (qui ne sera éliminé de l’I.N.R.P. que par Beullac, après 1975). La pensée de ces théoriciens, bien diffusée dans la presse de gauche, a empoisonné progressivement l’opinion publique et constitue un nouvel obstacle notable aux projets de style gaullien. On comprend alors facilement pourquoi Jacques Narbonne consacre dans la seconde partie, au cours de laquelle il n’est question que de l’après 1968, tant de pages à l’exposé de ces œuvres théoriques, et notamment celle de Louis Legrand, que je n’avais jamais vu analysée avec autant de profondeur (cf., notamment, p. 308-27). Louis Legrand dont il faut dire qu’il est beaucoup plus profond que Bourdieu, tout au plus bon à entrenir les conversations de quelques salons de la gauche caviar. Si nous devons conserver quelque espoir de voir un jour appliquer le projet d’éducation sélective que De Gaulle avait conçu, c’est l’échec, ou l’extrême difficulté ou les contradictions de tous les modèles alternatifs, que décrivent parfois leurs auteurs eux-mêmes, qui nous laisse cet espoir. Mais il est certain que l’utopie aura coûté cher à la France en cette fin de XXe siècle et que suivre la lucidité gaulliste nous aurait évité bien des déboires. Si je suis allé très vite sur ce que j’appellerai pour faire bref la seconde partie de l’ouvrage, ce n’est pas parce que je lui accorde une moindre importance, c’est parce que j’ai abandonné alors la question que j’avais mise au cœur de ce compte rendu, ainsi que l’atteste le titre que je lui ai donné. Maurice Boudot Lettre N° 56 - 2ème trimestre 1997
LE CAP SERA-T-IL CHANGÉ ? Enseignement et Liberté n’a pas pour vocation d’intervenir dans les débats politiques et de dispenser des conseils aux électeurs. En revanche, comme les problèmes qui sont de son ressort relèvent de la politique de l’éducation, il est de son devoir d’apporter à ses adhérents des éléments d’information, des analyses raisonnées qui peuvent, s’ils le jugent bon, éclairer le choix de leurs suffrages. Ce que nous avons fait lors du dernier scrutin. Les circonstances nous étaient doublement contraires : le délai qui nous était laissé pour réagir à l’annonce de la dissolution étant particulièrement bref pour une organisation comme la nôtre qui n’a que les moyens de réunir une infrastructure très légère. De plus, le lancement de la campagne montrait à l’évidence que les problèmes de la politique scolaire allaient n’occuper qu’une place secondaire, pour ne pas dire qu’ils seraient strictement passés sous silence. Par ailleurs, on n’était pas en présence de deux politiques éducatives bien distinctes, aux contours très tranchés. Les socialistes n’éprouvaient pas le besoin d’émousser les aspérités de leurs projets, puisque pour l’essentiel ceux-ci avaient été mis en œuvre, en partie d’ailleurs par leurs adversaires qui, à force de vouloir s’adapter aux circonstances, avaient pratiquement renoncé à tout projet distinct bien caractérisé. Enfin, il nous était difficile d’adresser nos félicitations à M. Bayrou qui depuis quatre ans, malgré la présence d’une majorité massive disposée à soutenir une politique ferme, a conduit une action confuse, sans lignes directrices, faite pour l’essentiel de concessions à son adversaire qui n’en demandait pas tant ! Que faire dans une situation aussi contraire ? La méthode Nous avons décidé d’innover et de confier à nos adhérents la mission de diffuser nos documents auprès des candidats de leurs circonscriptions et d’en assurer éventuellement le retour. Chacun recevait donc une lettre ouverte à M. Bayrou qui donnait notre appréciation sur la politique suivie depuis quatre ans et les motifs de notre déception et un questionnaire à transmettre aux candidats de son choix, afin qu’on soit informé des orientations qu’ils souhaitent voir donner à la politique scolaire. Bien entendu, ni nos adhérents dans leurs questions, ni les candidats dans leurs réponses n’étaient limités à ce que nous avions explicitement formulé. D’ailleurs, nous avons reçu d’un certain nombre de candidats (le plus souvent élus depuis) des réponses détaillées, qui n’étaient pas toujours pour cela aussi précises qu’on aurait pu le souhaiter, ou que d’autres l’étaient. Les questions peuvent paraître limitées, voire imprécises. A mon sens, elles sont significatives. Si les deux dernières concernent la vie des universités, comme il était assez normal après qu’on en eut tant parlé dans ces derniers mois, en raison des initiatives prises par M. Bayrou, les deux précédentes concernent la scolarité jusqu’au niveau du baccalauréat : elles reviennent à demander si on peut apporter quelques aménagements au principe du collège unique malencontreusement imposé depuis plus de vingt ans par M. Haby. Pour faire simple - encore qu’il ne s’agisse pas d’un jeu ! - les positions constamment défendues par notre association entraînaient une réponse affirmative aux quatre questions. Si nous avons préféré des questions limitées mais précises à toute autre enquête, c’est qu’il nous a semblé souhaitable d’éviter les discours creux, la simple reproduction des programmes des partis ou les déclarations équivoques. Dans le commentaire libre qu’un certain nombre d’élus ont cru utile d’adjoindre à leurs réponses à nos questions, trop de candidats, dont des élus de marque, en donnent des exemples significatifs. Le talent propre à la plupart des hommes politiques est de tenir des discours, dont la signification est suffisamment indéterminée pour satisfaire tout le monde parce qu’ils ne veulent rien dire de précis. Notre méthode leur interdisait, autant que faire se peut, une telle échappatoire. On pourrait s’étonner qu’il n’y ait aucune question relative au statut de l’enseignement privé, mais comme un consensus semble régner en la matière pour se satisfaire de la situation existante qui, visiblement, contente la plupart des dirigeants de l’enseignement catholique, il nous a semblé inutile de jouer les trublions par des questions qui laisseraient penser que cette situation pourrait être autre. En d’autres termes, comme doivent le penser avec raison l’énorme majorité des hommes politiques, on ne force pas à boire un âne qui n’a pas soif. Cette méthode était la seule qui pouvait s’appliquer, ne serait-ce qu’en raison de la brièveté du temps qui nous était laissé et parce que recenser de façon centralisée les candidats, connaître leurs coordonnées, exigeait un trop long délai. Elle exigeait bien entendu la collaboration active de nos adhérents. Les résultats obtenus montrent que cette collaboration nous a été largement acquise et nous devons exprimer toute notre reconnaissance à tous ceux qui ont agi pour le succès de notre initiative. Les réponses émanant des candidats directement reçues ou transmises sont assez nombreuses pour qu’on puisse dire que notre association a contribué à empêcher que la question scolaire soit passée sous silence au cours de la campagne électorale ou traitée seulement à travers des discours convenus. Les résultats La méthode s’est révélée efficace. Nous n’avons naturellement pas reçu un nombre de réponses suffisant pour qu’elles se prêtent à un traitement quantitatif, mais assez important pour que ces réponses soient significatives. Passons sur les quelques lettres qui reviennent à nous accuser de faire le jeu de la gauche parce que nous critiquons la politique de M. Bayrou. Sans nul doute, nous mettons en cause cette politique, avec les risques que comporte toute critique ; mais si au bout de quatre ans, alors qu’aucun obstacle imprévu ne s’est mis en travers de la route, les résultats sont ceux que nous connaissons, je ne vois pas de raison décisive pour accorder sur le strict plan de la politique scolaire un avantage à M. Bayrou sur ses adversaires. Ces lettres qui attendent simplement une approbation inconditionnelle dès lors que la politique est appliquée par un certain camp se trompent de destinataires. Plus mesurée l’opinion de ceux qui disent, à l’image de ce député UDF sortant, que j’ai été "dur" avec M. Bayrou, mais qu’après tout il l’avait mérité. Je crois qu’en effet une association comme la nôtre a pour fonction de pouvoir s’exprimer sans avoir à tenir compte de la prudence propre aux appareils des partis politiques. Une fois exclues les réponses de ce type, il reste que nous avons obtenu un accord très large dans les questionnaires remplis avec seulement des réponses positives. Un nombre appréciable de candidats portant le sigle de la droite indépendante (de M. de Villiers) ont tenu à exprimer leur accord, sans aucune opinion contraire. Mais je dois aussi noter qu’au moins un député sortant socialiste, très facilement réélu, issu du Nord de la France, manifeste qu’il est d’accord avec nous. Je ne m’étonne pas de ces convergences puisqu’il s’agit de choix précis, dont on a tout fait pour qu’ils soient dégagés de toute contrainte idéologique. Les autres réponses contiennent une approbation générale quand elles consistent en une réponse à notre questionnaire. Il n’y a pas lieu à ce sujet de faire une distinction entre les candidats qui se présentent avec l’étiquette UDF et ceux qui portent les couleurs du RPR. Les candidats qui avaient des opinions divergentes ou bien n’ont pas répondu - et c’est pourquoi l’exploitation statistique des réponses est dépourvue de sens, puisqu’on ne sait si une absence de réponse est ou non significative - ou bien ont échappé au questionnaire en répondant par une lettre plus ou moins détaillée. J’en citerai un exemple. Une personne importante du RPR, dont je crois devoir taire le nom puisque l’élection (qui s’est bien terminée pour lui) est passée, dans une lettre très courtoise nous écrit qu’il est "favorable à une véritable orientation en 3e et au développement de l’enseignement technique" mais c’est pour ajouter qu’il est "par contre indispensable de conserver un tronc commun jusqu’en 3e pour assurer à tous une culture générale de qualité et les acquis fondamentaux". Autant dire que sa réponse à la première question n’est pas positive, mais incline très largement dans le sens négatif. Lorsque dans la suite de sa réponse, au sujet du problème de la restauration d’un quorum pour les représentants des étudiants, il invoque divers procédés pour augmenter les taux de participation (comme la multiplication des bureaux de vote) je crois qu’on le berce d’illusions, car depuis près de vingt ans on multiplie de telles mesures sans succès ! Quant à la défense de ce projet de statut de l’étudiant, ou d’allocation d’études, qui devrait leur donner une autonomie financière, en exigeant des conditions liées aux résultats scolaires, je crois que personne n’a songé à exclure l’année "joker" qui laisse le droit à l’erreur, sous la forme de l’autorisation d’une année de redoublement, mesure qui à mon sens est spécialement bien venue. Si on considère l’ensemble de cette réponse, on oscille entre les réticences, les refus prudemment exprimés et des réserves bien compréhensibles, mais on voit combien il est difficile d’interpréter un texte de ce type. C’est pourquoi nous avons cru utile de mettre en avant un questionnaire, aussi rude que soit la méthode. Et là personne n’a formulé de réponses carrément négatives. Ce qui tendrait à prouver que les objectifs que nous poursuivons n’ont rien d’extravagant et qu’on peut imaginer qu’il soient l’objet d’un consensus. Notre avenir Alors que le président de la République avait annoncé un référendum sur l’école avant son élection et que le soir de la dissolution il répétait encore que l’école était l’une de ses priorités majeures, alors que nous venons d’assister au pitoyable spectacle d’une majorité battue à une élection que son chef a provoquée, la campagne électorale n’a pas été vraiment troublée par les débats autour des problèmes de l’école ! Pour parler net, ces problèmes n’ont pas été abordés par les candidats, sauf lorsque ceux-ci étaient contraints et forcés de le faire. S’il en était ainsi, c’est que, exclue la présentation idéologique, les positions sont actuellement presque identiques. Non que par sagesse on ait dégagé un consensus sur un compromis, mais parce qu’un camp a mis en pratique la politique de l’autre. Le paradoxe veut que M. François Bayrou, bien armé idéologiquement pour s’opposer à la politique niveleuse des marxistes, ait en fait réalisé des pans importants de leur dessein. Le souci qu’il n’y eût pas de rupture, la volonté obsessionnelle de ne pas s’opposer à d’importants groupes de pression, notamment aux syndicats d’étudiants, expliquent son attitude, et chacun pense également au désir de ne pas laisser une image de lui qui pourrait nuire à une carrière politique conçue comme particulièrement brillante. Le résultat est là : au bout de quatre années passées rue de Grenelle, on ne voit guère ce que les socialistes reprocheraient à M. Bayrou qui a dégagé la voie pour leur politique. On comprend alors que le débat n’ait pas eu lieu et vraisemblablement le passage de M. Bayrou au couple constitué de M. Allègre, ce conseiller si écouté de M. Jospin, mais qui n’était spécialiste que de recherche et d’enseignement supérieur, et de Mme Royal se fera sans heurt. A peine le remarquera-t-on. Les seuls qui sentiront la différence, ce seront les hauts fonctionnaires du ministère qui, selon la tradition, verront leur plans de carrière bouleversés. Du moins est-ce là l’avenir le plus vraisemblable. Cet avis est partagé par Bernard Kuntz, nouveau président du SNALC, qui écrivait juste avant l’élection : "Seraient-ils de gauche que les nouveaux élus ne changeraient sans doute pas pour autant de politique éducative. Jack Lang ne manque pas une occasion de rappeler que François Bayrou, au fond, poursuit sur sa lancée. La réforme des lycées concoctée par Lionel Jospin ne fut-elle pas adoptée ? La réforme de l’université ne fut-elle pas avant tout inspirée par des organisations de gauche ? Puisque les programmes, quoi qu’ils en disent, sont les mêmes et mêmes les contraintes budgétaires, il nous semble, à nous, profondément illusoire d’espérer qu’une réforme, une vraie, vienne enfin rendre l’école à la nation." (La Quinzaine universitaire du 12 mai 1997). Maurice Boudot Depuis quelques semaines, une intense campagne de presse et de télévision nous révèle de façon répétée des affaires de pédophilie dans lesquelles les coupables seraient des enseignants qui auraient bénéficié d’une certaine complicité de la hiérarchie administrative de l’Éducation nationale qui, pendant un très long temps, appliquait la loi du silence. Aujourd’hui, grâce à une conférence internationale à Stockholm, et à l’activisme des journalistes, on serait passé des ténèbres à la lumière et tout serait étalé sur la place publique ! Cette présentation qui fait des instituteurs (à la rigueur des professeurs de collèges) de véritables boucs émissaires (car c’est d’eux qu’il s’agit, compte tenu de l’âge des élèves, si on veut proprement parler de pédophilie) a quelque chose d’irritant. D’abord, il est faux que par le passé, la hiérarchie ait été tellement indulgente et ait cherché exclusivement à étouffer le scandale. Si les affaires de ce genre étaient traitées avec discrétion, c’était souvent à bon droit. Notre société impudique, pour ne pas dire exhibitionniste, a un peu trop tendance à transformer aux dépens des victimes n’importe quelle affaire en reality-show ! De plus, ici encore plus qu’ailleurs, la prudence s’impose avant de porter des accusations dont on sait quelles traces elles pourront laisser, même si elles ne sont pas fondées. Personne n’ignore que les enfants sont fabulateurs et c’est pourquoi l’appel aux sycophantes, sous prétexte de vigilance, est très inopportun. Autrefois, les organisations syndicales de gauche avaient produit un film passablement niais montrant un instituteur vertueux, victime des calomnies et des provocations d’une grande fillette (Les Risques du métier). Je ne souhaite pas qu’après une période d’accusations incontrôlées on en vienne à regretter que ce film ne soit plus diffusé. Toutes les corporations d’enseignants ont subi de tout temps de telles calomnies. Il suffit de lire la chanson que Béranger composait sous la Restauration au sujet des jésuites, intitulée "Les Révérends Pères", qui les accuse de tendances pédophiles teintées de sadisme (cf. Michel Leroy, Le Mythe jésuite, p. 34-35, PUF). Quant à la discrétion qu’on réprouve en ce cas, elle est louée lorsqu’il s’agit par exemple de dissimuler la violence ordinaire (celle que je nommerai "la violence des banlieues", pour faire simple) jusqu’à estomper l’assassinat d’une victime de racket, âgée de quinze ans, à Bondy, ou la grève d’un collège de Sevran dont élèves et professeurs sont accueillis par les CRS qui chargent lorsqu’ils vont protester contre la violence qu’ils subissent. Vraiment en fait de discrétion souhaitée, selon le secteur qu’elle concerne, il y a deux poids et deux mesures ! Mais venons-en au fait : on doit constater qu’une bonne partie des scandales qui nous sont rapportés ne concernent pas l’école elle-même, mais une nébuleuse d’associations plus ou moins officielles, plus ou moins liées à l’Éducation nationale (certaines d’ailleurs agissant sous tutelle judiciaire), toutes ayant d’ailleurs des finalités élevées de type "protection et défense de l’enfance". C’est en tant qu’ils travaillent dans ces associations ou y officient comme bénévoles que des enseignants sont impliqués. La salle de classe est relativement épargnée tandis que les dépendances des maisons de jeunes ou clubs de vacances sont le théâtre des opérations. Et on découvre ainsi que gravite autour de l’éducation tout un univers où le recrutement des "animateurs" est très mal assuré et leurs activités très mal contrôlées, laissant place du coup à toutes les dérives. C’est parce que l’école a perdu son austère mais splendide isolement qu’elle est devenue si vulnérable et se révèle incapable de protéger les enfants. Encore pourrait-on supposer que le développement de ces activités associatives a quelque raison d’être dans la dissolution de la famille, dont le périscolaire vient compenser l’absence. Les conséquences déplorables ne seraient qu’un aspect d’un mouvement qui aurait par ailleurs des côtés positifs. Mais il y a aussi le discours qu’on voudrait voir tenu dans les Écoles en matière d’information et d’éducation sur la sexualité. En la matière, le moins qu’on puisse dire c’est qu’on a agi de façon inconsidérée. Au B.O. est publiée une circulaire datée du 15 avril 1996, sous le titre : "Prévention du sida en milieu scolaire ; Éducation à [sic] la sexualité". Elle annule la circulaire du 23 juillet 1973, qui voulait qu’on s’en tienne à l’information sexuelle (et non à l’éducation) et lui maintenait un caractère facultatif. Ce texte modéré et équilibré est tenu pour dépassé et on décide d’introduire dans les classes de 3e et 4e des collèges des séquences obligatoires d’éducation sexuelle, confiées à des professeurs volontaires, mais formés dans des organismes officiels. Si on lit les objectifs de cette éducation, objectifs "communs à tous les niveaux d’âge" est-il précisé, on restera rêveur : "construire une image positive de soi-même et de la sexualité ... comprendre qu’il puisse y avoir des comportements sexuels variés sans penser de ce fait qu’on les encourage parce qu’on les comprend ... adopter une méthode critique sur les stéréotypes en matière de sexualité visant les représentations exagérément idéalistes, irrationnelles et sexistes". Quand on pense qu’il s’agit de s’adresser à un public de quatorze-quinze ans, on mesurera le caractère outrancièrement ambitieux de ce programme qui ne pourra que s’égarer du côté de ses aspects les plus scabreux. Lorsqu’on tient compte du fait que toutes les classes sont mixtes, constituées de populations hétérogènes quant à l’âge, quant au degré de développement physique et intellectuel, hétérogénéité accentuée par le brassage des populations, que les traditions culturelles des familles font qu’elles portent un regard très variable sur la sexualité, il va sans dire que le programme tracé est irréalisable. Quel discours tenir à ces fillettes voilées qui hier encore refusaient les cours de gymnastique et qui s’adresse en même temps aux autres élèves ? En sortant des missions qui sont traditionnellement les siennes (d’abord apprendre à lire, écrire, compter, et plus généralement transmettre le savoir) pour donner des règles de vie sur lequel le consensus est mal établi, l’école n’a rien obtenu de bon, mais elle a fragilisé les moins équilibrés des enseignants. C’est en ce sens qu’il y a une responsabilité de l’Éducation nationale dans les affaires présentes. Mais cette responsabilité, elle est celle des hommes politiques qui régnaient sur ce ministère. M. B Lettre N° 55 - 1er trimestre 1997
L’ÉTAPE Peut-on se permettre de revenir une fois de plus sur la réforme des premiers cycles universitaires dont nous avons déjà parlé si longuement, alors qu’elle ne devrait intéresser que quelques spécialistes ? Mais notre principale excuse, à peu près sans réplique, est que si on en juge par les descriptions données par la presse habituelle - celle qui préfère laisser dans l’ombre les dysfonctionnements perturbateurs, les incidents violents qui émaillent la vie de certains établissements scolaires - il n’y a strictement rien d’autre dans l’actualité en matière d’éducation. D’ailleurs, nous avions laissé la réforme en chantier. Il nous reste à estimer l’achèvement de la phase présente. Nous sommes en mesure de le faire, puisque le 4 février, M. Bayrou a publié ce qu’il nomme un rapport d’étape et, depuis un peu plus d’un mois, se sont multipliées les réunions de mise en œuvre de ce rapport qui viennent enfin apparemment d’aboutir. De quoi s’agit-il ? Le rapport d’étape Édité officiellement, sous le titre de Rapport d’étape, amplement diffusé à la presse et à de nombreuses instances plus ou moins officieuses, souvent investies d’un pouvoir consultatif (type conférence des présidents d’université), le texte de M. Bayrou décrit de façon relativement précise ses projets relatifs à la réforme des premiers cycles d’abord, mais en définitive à l’ensemble de l’Université. De façon stupéfiante, ce texte a été très favorablement accueilli par la grande majorité des forces concernées, qui avaient d’ailleurs participé à son élaboration. Il serait, en quelque sorte, la quintessence des propositions élaborées au cours des insipides états généraux du printemps 1996, consultation promise au cours du mouvement tumultueux de fin 1995. Comment ces affrontements violents ont-ils pu produire un unanimisme béat ? Cela reste à expliquer. La plus importante des réformes annoncées, c’est l’organisation de "l’année universitaire par semestre" (p. 2 du rapport). Entendons-nous, c’est la vie universitaire qui est divisée en semestres et non en années. Le motif essentiel, c’est qu’on veut consacrer tout entier le semestre d’entrée à l’université au choix par l’étudiant de son orientation future, le second semestre étant consacré à la confirmation de cette orientation. De là, une première année fortement hétérogène. Mais, il ne faut pas s’illusionner c’est progressivement tout le cursus universitaire qui vivra au rythme du semestre : on nous parle déjà d’une organisation analogue pour "chacun des semestres de la deuxième année" (p. 4) et il apparaît dans la suite que la même division s’appliquerait au second cycle. Certes, parmi les raisons invoquées pour justifier un changement aussi radical encore qu’il ne semble pas au premier abord soulever des questions de principe, hormis la nécessité du semestre préalable d’orientation, figure "la meilleure utilisation des locaux universitaires", dont le vide au milieu de l’été fait pleurer tous les gestionnaires, une gestion plus souple du temps de travail des enseignants chercheurs, entendez que toujours plus d’étudiants défileront dans des locaux toujours aussi exigus, et enfin une meilleure cohérence avec le calendrier européen. Et, comme plus loin (p. 7), on parle du semestre passé dans une université d’un autre pays européen et validé dans le cursus, ce qui est déjà le cas dans le cadre des conventions Erasmus ou Socrates, on en vient à penser qu’il y a dans cette réforme la volonté d’appliquer quelque directive née dans une officine de Bruxelles afin de nous modeler sur le régime de la majorité de nos partenaires européens. Car si le passage de l’année au semestre ne pose pas de question de principe, elle a des conséquences considérables. Exigeant une réorganisation fondamentale, elle risque de susciter, assez inutilement, un chapelet de difficultés, surtout si on veut l’appliquer sans délai, dès la prochaine rentrée universitaire. La dernière réforme du premier cycle date de l’an dernier, et c’est cette année seulement que ses effets se font sentir au niveau de la licence. Est-ce bien raisonnable de réformer à nouveau et d’ériger ainsi l’instabilité institutionnelle en disposition permanente de la vie universitaire ? Sur le plan pédagogique, le bénéfice sera en définitive assez mince, car sur le fond on condamne tout simplement les cursus monodisciplinaires, sous prétexte de laisser ouvertes les possibilités de réorientation. Trois "unités d’enseignement" par semestre, soit douze pour les deux ans des D.E.U.G., ce qui ne change rien à l’état de choses actuel dans la majorité des cas. Simplement, les dénominations accordées à ces unités d’enseignement peuvent recouvrir des contenus extrêmement flous. Il est d’autant plus légitime de s’inquiéter de ce que sera le contenu de cet enseignement de premier cycle que la vacuité, l’indétermination se mêlent à des marques de prétention évidentes. Ainsi, nous apprend-on, "en fin de premier cycle... l’étudiant bénéficie (sic) sous forme d’un court mémoire, d’un premier contact avec la recherche", comme si l’exercice n’était pas beaucoup trop anticipé pour avoir un minimum de sérieux. Quant au régime des examens, il n’est guère modifié dans ses principes généraux : capitalisation et globalisation, c’est-à-dire qu’on peut être reçu pour toutes les épreuves ou pour une partie qui sera conservée ultérieurement. Bien entendu deux sessions par an et donc trois en tout. Vraisemblablement un mois d’arrêt en janvier pour les examens du semestre initial, première session, avec une seconde session renvoyée en septembre ! L’éventuelle réorientation n’est qu’incitative et non obligatoire. Bref, beaucoup de désordre pour peu d’innovations aux objectifs clairement définis. D’ailleurs, c’est aux arrêtés de la réforme Lang que renvoie l’essentiel des références marginales : ces arrêtés sont simplement approfondis et inclinés, toujours dans la même direction. Si l’on cherche les raisons de cette réforme dont les intentions sont si peu transparentes, c’est ici qu’on va les trouver. L’arrogance des vainqueurs Les modifications apportées aux textes antérieurs ont toutes la même finalité : rendre les examens plus faciles, afin qu’on puisse se vanter d’avoir diminué le taux d’échec. Toute mesure qui entraverait cette marche vers la facilité est abolie. Lorsque, après la publication du rapport d’étape, dans la commission de "mise en application" compétente pour les disciplines juridiques, les doyens ont tenté de maintenir le régime un peu plus sélectif (sans capitalisation des notes) qu’ils avaient préservé, les étudiants ont rompu la négociation et les mandarins ont été contraints (vraisemblablement par des pressions ministérielles) à une honteuse capitulation. Il ne s’agit pas seulement de faciliter le déroulement des études, mais d’exclure toute contrainte, tout jugement qui irait de haut en bas. Tandis qu’on multiplie les garanties données aux étudiants qu’ils ne sont pas victimes de fantomatiques brimades ou d’injustice - bien sûr, l’examinateur doit justifier sa note et on publiera une "charte des examens", codifiant ces garanties (p. 7) -, on leur distribue généreusement des pouvoirs : une vice-présidence étudiante est prévue dans chaque université ; des fonds d’amélioration de la vie étudiante seront distribués sur des rapports présentés par des élus étudiants (p. 15-16). La distribution de la manne officielle, le pouvoir pour les étudiants élus (vraisemblablement syndiqués) et, de plus, des parchemins : "les activités des étudiants au sein de l’établissement sont reconnues. Cet investissement peut être reconnu sous forme de validation dans le cursus" (p. 15). On ne saurait mieux contribuer à la formation d’un corps de professionnels du syndicalisme étudiant. Et, poussant encore plus loin le renversement de la hiérarchie traditionnelle, on met en quelque sorte les professeurs sous le contrôle des étudiants : "les étudiants ont le droit d’évaluer les enseignements qu’ils reçoivent" (p. 8). Il y a, notamment, un questionnaire individuel et anonyme qui permet cette évaluation. On dira que cette porte ouverte aux sycophantes concerne les "enseignements" et non les enseignants, mais comme il est dit quelques lignes après que cette évaluation est destinée à l’enseignant concerné, on voit que cette distinction est tout à fait illusoire. Quant aux carrières des enseignants, les instances qui en décident sont soumises au même contrôle tatillon que les simples jurys d’examen et, bien entendu, les critères liés à la production intellectuelle sont renvoyés au second rang, subordonnés à des critères d’appréciation à la fois plus subjectifs et plus" démocratiques". Je ne dirai pratiquement rien de la réforme du système d’aide sociale aux étudiants. Personne ne doute qu’il fallait le simplifier et le rationaliser. Mais la liste des critères selon lesquels sera attribuée la nouvelle "allocation sociale d’études" qui vient se substituer à l’ensemble des aides existantes est significative. En tête figurent les revenus de l’étudiant ou ceux de ses parents, avec cette obsession du social à laquelle nous sommes habitués et ce n’est qu’en quatrième position qu’apparaît "le déroulement des études" (p. 12-13). Incontestablement, cette réforme va beaucoup plus loin à gauche que tout ce qui avait été fait ou projeté par les différents gouvernements jusqu’à maintenant. Il y a d’ailleurs des experts qui ne s’y sont pas trompés : ce sont les dirigeants des syndicats étudiants. Il suffisait de lire dans Le Monde du 5 février 1997 les cris de triomphe du président d’U.N.E.F.-I.D., syndicat fortement lié à l’aile gauche du parti socialiste et à des organisations comme S.O.S.-Racisme : "Pour la première fois, les étudiants ont imposé une réforme. Il est acté dans la société française qu’il ne peut y avoir de retour en arrière, comme en 1986." Et, en un langage très combatif, il nous explique que tout est né avec le mouvement de l’automne 95 et que "les annonces du ministre sont, pour une large part, issues du rapport de force que les étudiants ont maintenu" (p. 9). La seule question qui se poserait concernerait la mise en application effective des mesures annoncées. Mais elles semblent dépendre de la seule volonté ministérielle, puisque, comme Le Monde nous le dit avec gourmandise, "à l’exception des mesures fiscales pour le statut des étudiants, le passage devant le Parlement a été limité à son strict minimum et pour des changements mineurs" (Ibid). Il faut reconnaître à M. Bayrou une prodigieuse habileté manœuvrière pour parvenir à élaborer une réforme que personne n’ose attaquer frontalement et qui ne suscite dans le pire des cas que de timides réserves. Ses mérites sont-ils donc si éclatants ? Ce que nous avons dit permet d’en juger. Il est naturel que les forces de gauche, bénéficiaires dans l’affaire, approuvent et ne manifestent qu’une vigilance sourcilleuse. Mais les conservateurs, les modérés, pourquoi se taisent-ils ? Pour les partis politiques, il se peut qu’à quelques mois des élections la quête des investitures ait apaisé de nombreuses critiques. Mais l’explication ne peut concerner les milieux corporatifs. Là joue vraisemblablement le désir de ne pas nuire au gouvernement ; et puis on a entendu tant de beaux discours comme les propos de M. Bayrou non suivis d’effets que, par lassitude, on laisse passer l’orage sans rien dire, quitte à déchanter demain. Enfin, M. Bayrou a su ramener la paix. "La paix universitaire règne" et on craint de troubler la situation. Que cette paix soit souvent plus apparente que réelle, que par exemple l’important centre de premier cycle de Tolbiac qui dépend de Paris I ait vu son fonctionnement entravé par des groupes violents est un fait qui reste inconnu du public : la presse n’en parle pas. Bref, très lâchement on se contente des apparences, apaisantes dans une situation si difficile. Il n’est pas jusqu’au président de la République pour être tombé sous le charme de son ministre. Dans sa récente allocution du 11 mars, l’impasse a en quelque sorte été faite sur les problèmes concernant en propre l’éducation nationale. On s’est contenté d’objectifs flous et anodins, comme l’extinction de l’illettrisme d’ici la fin du septennat. Au sujet de l’enseignement supérieur, on apprendra juste que M. Chirac est favorable à l’orientation au début de l’université et qu’il fut toujours hostile à la sélection, ce qui ne semble pas être l’opinion d’U.N.E.F.-I.D. qui évoquait la date de 1986 ! Mais on n’entre pas dans les détails et on laisse à M. Bayrou l’initiative des opérations : "La réforme de l’éducation est engagée. M. Bayrou l’a engagée, bien engagée, je crois." Quant au référendum, il n’est plus à l’ordre du jour : "Je n’ai pas actuellement de projet à cet égard". Attendons la suite des événements, car il n’y a pas dans le système éducatif, que le seul premier cycle universitaire, pour important qu’il soit, le seul actuellement à être touché par la réforme. Maurice Boudot L’EMPLOYEUR DES MAÎTRES DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ Dans son numéro du 13 février, l’hebdomadaire Famille chrétienne vient de publier un excellent dossier sur une question débattue depuis plus de dix ans, qui soulevait déjà des remous au moment où a été fondée notre association et sur laquelle les positions en conflit n’ont guère évolué depuis ce temps. Le texte qui suit en donne les idées essentielles. Il s’agit de déterminer quel est l’employeur des maîtres de l’enseignement privé : l’établissement représenté par le chef d’établissement ou l’État ? Le débat semble d’abord relever des aspects les plus techniques du droit, mais il apparaît vite dans le dossier réuni par Denis Lensel que selon la réponse qui est apportée, les conséquences varient du tout au tout en ce qui concerne le statut des maîtres. Comme l’explique très clairement M. Verrier, président du S.N.E.C.-C.F.T.C., "ces maîtres ont un statut particulier qui leur accorde des avantages - en matière de protection sociale, de retraite, de déroulement de carrière et de rémunération pour les titulaires - équivalents à ceux des fonctionnaires de l’Éducation nationale. En outre, ils bénéficient de la couverture du Code du travail". Toutefois, le statut de l’enseignement privé a déjà été écorné lors des accords Lang-Cloupet : Toute une partie de la formation professionnelle initiale des maîtres du privé a été confiée aux I.U.F.M., organismes d’État. M. Verrier y voit, à juste titre, l’abandon du principe "à enseignement spécifique, formation spécifique" et "le début de la logique identitaire : même formation, même métier". A terme, la menace c’est l’intégration de l’enseignement privé sous contrat dans le service public, qui est en réalité souhaitée par le secrétariat général de l’enseignement catholique. Le chef d’établissement deviendrait un subordonné de l’État. L’État qui deviendrait l’arbitre des éventuels conflits entre enseignants et chefs d’établissement. Le "caractère propre" perd son caractère d’obligation professionnelle, mais en même temps les maîtres verraient disparaître les garanties que leur donne le Code du travail. D’un tout autre point de vue, naturellement, le principal "acteur" du Comité national de l’enseignement catholique : M. Pierre Daniel que nous avions connu, il y a une dizaine d’années dans un autre rôle - celui de président de l’U.N.A.P.E.L. - a donc changé de fonction, mais ni de personnalité ni d’orientation. M. Verrier attribue de façon globale aux dirigeants nationaux de l’enseignement catholique le raisonnement : "Agissons en sorte que l’employeur des maîtres du privé soit demain l’État et ainsi nous ne serons plus contraints de payer certaines charges." Il s’agit notamment des indemnités de départ en retraite, des heures de délégation pour mandat syndical. En fait, la position de M. Daniel est assez étonnante : il considère que l’État est déjà le seul employeur dans les établissements sous contrat d’association, encore qu’il nomme les enseignants sous des conditions précises. Privé de ses prérogatives d’employeur il ne tient pas du tout à payer les charges liées à ce statut. Quant à la situation matérielle des maîtres, M. Daniel en vient à redouter qu’elle soit trop avantageuse : ils ne doivent pas cumuler des avantages de droit privé et de droit public : "Cela pose une question morale." Enfin, pour ce statut qui garantit la spécificité de l’enseignement catholique, M. Daniel ne conçoit pas qu’il ait beaucoup de résonance professionnelle. En revanche, "ce qui est important, c’est que les maîtres passent un contrat moral avec le caractère chrétien de l’enseignement". Et il ajoute : "On n’est pas chrétien par un bulletin de salaire." Belle façon d’évacuer les questions précises en élevant les débats au plan sublime de la morale ! Les positions n’ont donc nullement évolué depuis l’époque de M. Savary. On devine quels motifs poussent les autorités de l’enseignement catholique à l’intégrationnisme. Un mélange de lâcheté, d’avarice sordide, de souci du conformisme idéologique. Si les positions ont si peu évolué, elles sont très clairement définies dans l’excellent dossier de M. Denis Lensel 1. 1 Rappelons que M. Lensel fut chronologiquement le premier lauréat du prix qu’Enseignement et Liberté réserve aux journalistes.
Lettre N° 54 - 4ème trimestre 1996
RÉUNION DU 9 NOVEMBRE 1996 Comme en 1990, en 1992 et en 1994, la remise des prix et l’assemblée générale d’Enseignement et Liberté se sont tenues au palais du Luxembourg le 9 novembre. Nous donnons dans ce numéro le rapport moral du Président, le rapport financier, leur discussion et les résolutions votées en assemblée générale ainsi que la présentation des ouvrages couronnés par M. Jean Cazeneuve, président du jury, et les réponses des lauréats. Nous publierons, dans le courant du premier semestre 1997, tes actes du colloque que nous avions organisé le même jour avec l’OIDEL et le centre Luigi Einaudi. Conformément à ce qui est devenu depuis 1990 une véritable tradition, nous allons tenir au palais du Luxembourg une assemblée générale de notre association. Elle nous donnera l’occasion de procéder à la remise aux lauréats des prix d’Enseignement et Liberté), décernés par un jury présidé par M. Cazeneuve. Je tiens à exprimer à la Présidence du Sénat toute notre reconnaissance pour la sollicitude qu’elle nous marque et le grand honneur qu’elle nous fait en mettant à notre disposition les locaux où nous allons passer toute la journée. Car juste après l’assemblée générale s’ouvrira la journée d’études sur le financement de l’éducation, organisée en collaboration avec l’O.I.D.E.L. (Organisation Internationale pour le Développement de la Liberté d’Enseignement), notre association et le centre Luigi Einaudi. Cette journée, nous en avions formulé le projet il y a deux ans, dans notre rapport moral, et vous aviez bien voulu adopter une résolution en faveur de son organisation. Elle devrait nous permettre de confronter la situation française avec celle de pays voisins qui connaissent sans doute des difficultés assez analogues à celles que nous rencontrons, mais qui ont peut-être manifesté plus d’inventivité et plus d’audace que nous, pour explorer des pistes nouvelles afin de résoudre le problème du financement de l’enseignement privé. J’espère que nous tirerons profit des leçons de ces expériences. Au moins sortirons-nous un peu de la grisaille qui caractérise le paysage éducatif français. Il y a deux ans, j’étais obligé de constater qu’en ce qui concerne la liberté de l’enseignement ou le fonctionnement du service public, la situation avait très peu évolué dans les deux dernières années, et que les changements n’étaient certainement pas dans le sens favorable. Si je dois faire aujourd’hui le même constat, ce n’est pas marque de pessimisme, mais simplement l’évidence des faits qui m’impose cette conclusion. La différence, c’est que lors de notre dernière assemblée générale, nous étions encore à six mois de l’élection présidentielle, maintenant elle est assez loin derrière nous. M. Bayrou est ministre de l’Education nationale depuis plus de trois ans et demi, ce qui constitue presque un record dans un poste qui n’est pas réputé pour assurer la longévité de ses titulaires. Si, sous la cohabitation, on pouvait supposer que M. Bayrou était contraint à la prudence, d’autant plus que l’initiative courageuse qu’il avait prise en proposant l’abrogation de la loi Falloux lui avait valu le camouflet du veto du Conseil constitutionnel et l’avait obligé à se faire oublier, en revanche sous le nouveau septennat, qui prétendait innover en matière d’éducation, on pouvait espérer que sa politique serait très différente. Il n’en a rien été : le ministre de M. Juppé est absolument identique à celui de M. Balladur, aussi prudent que lui, aussi soucieux d’éviter les vagues. Juste avant l’élection présidentielle, M. Bayrou avait obtenu une rentrée 94 calme. En même temps, il maintenait une position de principe ferme sur certains problèmes - comme l’existence d’un baccalauréat, examen national anonyme - malgré la pression à laquelle le soumettaient les médias, mais en refusant de prendre ses responsabilités et de recourir à des mesures radicales quand elles s’imposaient. Ainsi, il ne déposera aucune loi nouvelle relative aux affaires de "foulard islamique" alors qu’elles étaient manifestement nécessaires dès l’époque, tout en rappelant sa désapprobation. Le nouveau Contrat pour l’école publié à l’époque est un véritable dictionnaire des idées reçues, un bréviaire des déclarations d’intention vide de toute signification. Bien entendu, ce type d’opération qui n’intéresse que les journalistes et la direction de la communication au ministère sera réitéré avec les états généraux de l’enseignement supérieur, qui datent du printemps dernier, et qui à l’automne ont tellement perdu de leur fraîcheur qu’ils ont presque disparu dans l’oubli. D’ailleurs, on n’a jamais été autant abreuvé de rapports, de commissions, qui méditent, travaillent et rédigent pour n’aboutir nulle part que depuis le règne de M. Bayrou. Le rapport Fauroux est un modèle en la matière. Depuis, nous sommes envahis par une marée de déclarations d’intention et de réformettes qui n’ont d’autre effet que de semer le désordre. En revanche, notre ministre a mis en œuvre tous ses talents manœuvriers, qui sont remarquables, pour enterrer en douceur le projet de référendum sur l’école qui figurait au programme du candidat-président Chirac. Ici, on n’a jamais manifesté un enthousiasme particulier pour ce projet. On avait signalé que le texte à soumettre au verdict populaire était difficile à mettre au point. Il était toutefois possible de concevoir qu’une espèce de loi programme, d’abord examinée par le Parlement, soit dans un deuxième temps soumise au référendum. Un premier avantage tient à ce qu’ainsi on contournait tous les obstacles tant institutionnels que corporatistes. Ensuite on donnait de la solennité à ce texte, car M. Bayrou sait très bien que les Français sont blasés et sceptiques devant tous les textes législatifs qui émanent du Parlement. Dans son dernier livre de réflexion il insiste précisément sur leur profonde défiance à l’égard de ce qui vient du monde politique. Peut-être un texte qu’ils auraient voté eux-mêmes aurait-il un peu mieux accroché leur intérêt ; du moins peut-on l’espérer. Ces raisons ne semblent pas avoir été prises en considération par un ministre qui appartient à une famille politique qui déteste les questions nettes auxquelles on répond par "oui" ou "non". D’ailleurs, il n’avait jamais dissimulé son hostilité au référendum. L’erreur fut de le nommer au poste qui est encore le sien aujourd’hui. Il a suffi que l’agitation se développe à l’automne 95 - il est bizarre de constater que ces désordres suivent toujours les élections et ne les précèdent jamais ! - pour qu’on ait un prétexte d’ajourner un référendum qui aurait pu conduire à des décisions tranchées. Et M. Bayrou manifesta un réel talent de négociateur pour calmer ta situation, avec quelques crédits, sans que rien d’essentiel soit modifié. Ainsi, le référendum qui dès l’automne semblait en difficulté fut progressivement oublié sous la pression d’une actualité sans cohérence. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques intellectuels regroupés en divers groupes de pression (sans allégeance au président de la République) pour évoquer le référendum, quand ils n’ont rien d’autre à proposer. Il est pourtant manifeste que l’état de l’opinion est tel qu’une réponse négative est probable quel que soit l’objet d’une consultation. Il n’y a pas lieu de s’étonner si la situation ne s’est aucunement améliorée. Les mêmes problèmes resurgissent sans cesse : inadaptation de l’enseignement dans des collèges où on engouffre des élèves sans formation, résultats déplorables du cycle primaire, absence d’une formation professionnelle efficace, blocage sur des problèmes lancinants relatifs à l’enseignement privé auquel on refuse d’accorder une véritable égalité. Et ceux qui vont se plaindre au ministère s’entendent dire que le ministre doit "avancer à petit pas", "par prudence". Bref rien d’encourageant. Bien au contraire, force est de constater que M. Bayrou s’appuie de plus en plus sur les organisations de gauche. Par exemple, c’est le syndicat étudiant U.N.E.F.-I.D. qui soutient ses projets relatifs aux I.U.T. Quant à la violence en milieu scolaire, elle n’a aucunement quitté le devant de la scène. Au début de l’année, le ministre a pris prétexte d’un grave accident dans la périphérie des établissements scolaires pour intervenir, de sorte que le dernier mot ne soit pas laissé à un homme politique d’opposition : avec une mise en scène appuyée, il a invité tous les élèves à réfléchir le même jour au problème. Personne n’est en mesure d’apprécier l’effet de ces débats. Mais il est douteux que le phénomène ait disparu. Comme le constatait sur une chaîne de télévision, avec fatalisme, le proviseur adjoint d’un lycée de Montereau, rien ne changera puisque la législation oblige l’éducation nationale à scolariser les élèves jusqu’à seize ans, aussi violent que soit leur comportement. Le plus extraordinaire est que sa résignation était si profonde qu’elle en oubliait de demander un changement législatif. Décidément, les Français n’écoutent plus leurs hommes politiques parce qu’ils n’attendent plus rien d’eux. C’est parce que nous pensons qu’il y a néanmoins des chemins pour nous faire sortir de cette crise, qui est autant morale et politique qu’économique, que nous allons dans le colloque qui va suivre maintenant nous tourner vers les initiatives qu’ont pu expérimenter les pays voisins. Deux exercices se sont écoulés depuis notre précédente assemblée du 14 novembre 1994. En 1994, les recettes ont été de 629 000 F dont 49 000 F de produits financiers et les charges de 810 000 F, dont 151 000 F pour les prix et la tenue de l’assemblée générale. Le résultat de l’exercice est de -181 000 F. En 1995, les recettes ont été de 514 00 F dont 55 000 F de produits financiers et les charges de 668 000 F. Le résultat de l’exercice est de -154 000 F. Au 31 décembre 1995, les réserves s’élevaient à 856 000 F. Les pertes des deux derniers exercices, les premiers à être significativement déficitaires depuis la création de notre association, s’expliquent par la conjonction de trois facteurs : le vieillissement du fichier qui date, pour l’essentiel, des années 83-84, le maintien depuis cette époque de la cotisation minimum au niveau inchangé de 30 F et celui de l’abonnement à la Lettre trimestrielle à 20 F, la fin des années en or des SICAV monétaires. Si nous n’avons aucune emprise sur l’évolution des marchés financiers, notre conseil a décidé, suivant en cela une proposition faite ici même il y a deux ans, de porter l’abonnement à 50 F et la cotisation minimum au même montant en demandant à ceux qui donnent plus de continuer à le faire, dans le même rapport. Cette décision a été bien acceptée puisque, à fin août, le nombre de cotisations est en hausse de 3 % sur la période correspondante de 1995 et les recettes de 29 %, avec un versement moyen de 190 F contre 152 F, en hausse de 25 %. En ce qui concerne le renouvellement du fichier, les techniques de publipostage, que nous avons utilisées avec succès dans le passé, ne peuvent pas prévaloir sur les sérieux efforts des responsables de l’Education nationale et de l’enseignement catholique pour endormir l’opinion afin de décider du bonheur de tous entre spécialistes. Nous continuons cependant à rechercher et à saisir les occasions qui se présentent, soit d’échanges de fichiers, soit lors de manifestations telles que celle d’aujourd’hui. Mais, dans les circonstances actuelles, la recherche de nouveaux adhérents par ceux qui le sont déjà, parmi leurs relations, reste la méthode la plus efficace. Restent enfin les économies que nous pouvons réaliser. Le conseil a estimé que, dans la mesure où les réserves le permettent, il n’était pas souhaitable qu’elles soient réalisées au détriment de l’activité. En revanche, nous avons cherché à en réaliser par des opérations menées en commun. La manifestation d’aujourd’hui en est un premier exemple puisque, avec l’OIDEL qui a obtenu une contribution de la commission européenne et avec le centre Luigi Einaudi, nous avons pu lui donner une plus grande ampleur que les précédentes pour un coût moindre. Nous ne renonçons pas enfin, même si les tentatives déjà faites nous ont montré que c’était difficile, à trouver des économies avec des associations poursuivant les mêmes buts que nous, en regroupant nos publications ou la gestion de nos fichiers. DISCUSSION L’ajustement de la cotisation base et du montant de l’abonnement, qui avait été proposé par un membre de l’assemblée en 1994, a été effectué en 1995. Si l’augmentation a été comprise par les adhérents et bien acceptée, comme l’indique le rapport financier, il paraît préférable à l’avenir de procéder à des augmentations modérées, reflétant l’évolution du coût de la vie, à un rythme plus fréquent. Le président s’est proposé de soumettre au conseil d’administration une révision du barème pour l’année 1998, celui de 1997 restant inchangé par rapport à 1996. D’autres questions ont porté sur le nombre d’adhérents et sur leur répartition en fonction de leurs liens avec l’enseignement. En 1995, le nombre d’adhérents et/ou d’abonnés payants s’est élevé à 2838. Ce nombre correspond à un fichier actif de 5141 personnes, si l’on tient compte de ceux qui ont effectué au moins un versement lors de l’un des quatre derniers exercices. Cet écart entre les adhérents actifs et les adhérents à jour qui sous-estime d’ailleurs la réalité, car il arrive assez fréquemment que des personnes n’ayant pas versé depuis un plus grand nombre d’années le fassent de nouveau, suffit à lui seul, et largement, à expliquer le résultat déficitaire de 1994 et 1995. En ce qui concerne l’origine des adhérents, on peut affirmer qu’Enseignement et Liberté, qui compte par exemple trois fois plus de médecins identifiés comme tels que de professeurs, n’est pas un groupement de spécialistes, encore moins une organisation défendant des intérêts catégoriels, mais une expression de l’opinion très majoritaire dans notre pays en faveur de la liberté d’enseignement. VOTE DES RÉSOLUTIONS A la suite du débat, les résolutions proposées par le conseil d’administration ont été votées à l’unanimité par l’assemblée. Elles portaient sur :
M. Jean Cazeneuve présente le rapport du jury : L’association Enseignement et Liberté, sous la présidence éclairée du professeur Maurice Boudot et avec la précieuse collaboration de Philippe Gorre, a décidé de créer, il y a quelques années, un Grand Prix destiné à récompenser, tous les deux ans, l’auteur d’un ouvrage se rapportant à la liberté d’enseignement qui est, nous le savons tous, nous le pensons tous ici, une des valeurs essentielles de notre civilisation. Le jury que j’ai l’honneur de présider en compagnie de M. Roland Drago, membre de l’Institut, Yves Durand, ancien recteur chancelier, Lucien Gorre, contrôleur général, et Pierre Magnin, ancien recteur chancelier, a cette année, et à l’unanimité, attribué ce Grand Prix à deux ouvrages conjointement. D’une part, un livre publié aux éditions Frison Roche ayant pour titre Les Déshérités du savoir et pour auteurs le recteur Armel Pécheul et Bernard Kuntz. D’autre part, un mémoire de DEA, présenté à l’université d’Aix-Marseille, par Nicolas Marquès, intitulé L’Évolution des institutions d’enseignement supérieur en France. En outre, le jury a décidé d’accorder une mention spéciale au mémoire de licence en droit canonique présenté à l’Institut catholique de Paris par M. Louis-Gilbert Rey qui a pour titre L’Immobilier au service de l’enseignement catholique. Le livre écrit par Bernard Kuntz et Armel Pécheul traite essentiellement de la réforme du système scolaire dans notre société. Le jugement qu’ils portent sur la situation actuelle est plutôt sévère. Ils condamnent en particulier l’abus des expériences qui ont, dans les années précédentes, démantelé le système enseignant. Les auteurs tiennent cependant compte des problèmes posés par l’augmentation de la démographie scolaire et par le caractère composite de la population. Mais on constate, en tout cas, que l’égalitarisme excessif engendre des inégalités criantes, que certaines zones de non-droit sont tolérées et qu’on ne tire pas les conclusions de l’échec du collège unique pour le reformer ; enfin que le baccalauréat débouche sur des études universitaires dévaluées. L’ouvrage comporte aussi une partie constructive qui propose notamment de diversifier les parcours, de créer des établissements publics vraiment autonomes en libérant l’école du carcan centralisateur. Ce livre est fondé sur une bonne connaissance des défauts du système actuel et il propose des réformes qui font largement référence à la liberté de l’enseignement. Bernard Kuntz : C’est un prix qui nous fait beaucoup d’honneur. Nous sommes à la fois ravis et flattés et, surtout, ce qui est important c’est que cela nous conforte dans le combat qui est le nôtre car, cette journée en témoigne largement, mon coauteur et moi avons parfois l’impression de combattre un monstre aveugle et avec grande difficulté. Mais le succès d’aujourd’hui prouve que nous ne parlons pas dans le vide ni dans le désert et que nous sommes parfois entendus. Donc je crois qu’il faut que nous continuions. Jean Cazeneuve : Le mémoire de DEA de M. Marquès est actuellement sous forme dactylographiée, mais nous espérons que cette récompense aidera à la publication d’un travail original, utile et très bien documenté. Il a pour titre L’Evolution des institutions d’enseignement supérieur en France. Il traite des rapports entre les universités et l’Etat et insiste sur les problèmes d’ordre économique ce qui est un sujet jusqu’ici peu traité, avant ce colloque bien sûr. Il était donc utile de le faire. Il a été réalisé à l’université d’Aix-Marseille III dans le cadre du diplôme d’études approfondies qui est intitulé Analyse économique des institutions. Après avoir exposé les arguments des partisans et des adversaires de l’intervention de l’Etat dans les institutions universitaires, l’auteur montre qu’il faut une réforme fondée sur la notion de responsabilité. Il serait bon, d’après lui, de restaurer les droits de propriété et ce qu’il appelle les liens marchands entre les établissements et les usagers. Les chèques éducation dont nous avons beaucoup parlé ici ou les prêts bancaires permettraient d’envisager une libéralisation du système éducatif. En s’inspirant du projet d’universités indépendantes et des techniques élaborées dans d’autres pays, nous venons d’en avoir des exemples, il semble possible de réintroduire une offre privée, dynamique. Nicolas Marquès : La rédaction de ce mémoire m’a permis d’approfondir l’économie et de découvrir d’autres domaines comme l’histoire. Des travaux d’historiens montrent que l’enseignement a pu exister sous la responsabilité des familles et à leur charge pendant des siècles. Je remercie infiniment le jury. Plus d'articles... |