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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 53 - 3ème trimestre 1996
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN La commission Fauroux, mise en place à l’initiative de M. Bayrou en septembre 1995, avait pour mission d’établir le bilan le plus objectif possible de l’état de notre système de formation" : elle était invitée à faire des propositions, notamment en ce qui concerne la réorganisation des rythmes scolaires, la revalorisation de la formation professionnelle, la réforme des premiers cycles universitaires. Ses travaux, conduits rondement, avec les inévitables séances d’auditions télédiffusées, se sont achevés au printemps. D’obscurs conflits Avant que les conclusions soient rendues publiques, alors qu’il n’était question que d’un "rapport d’étape", une polémique éclatait. Un quotidien du soir, qui semble être dans la confidence de toutes les instances officielles, était en mesure de faire connaître à ses lecteurs l’essentiel de ces résultats : une liste de seize propositions était donnée en pâture à l’opinion. Leur contenu était tel que les syndicats de la F.E.N. (ou, plus généralement, de la mouvance de gauche) trouvaient motif ou prétexte à s’indigner et à dénoncer une "provocation". Ces réactions, dont la virulence était plus ou moins feinte, expliquent que le ministre ait jugé bon de se démarquer : il fait savoir par son entourage, puis par un communiqué personnel, son "désaccord fondamental" avec les initiatives de la commission dont certaines propositions sont "susceptibles de rallumer la guerre scolaire", dit-il en utilisant une formule rituelle qui a pour but de condamner une proposition sans appel ! (Voir Le Monde du 13 avril 1996, pp. 1 et 12.) A partir de ce moment commence une étrange phase des projets de réforme : on a l’impression que M. Bayrou, plus ou moins tancé par l’Elysée pour sa trop grande prudence et son absence de zèle réformateur, est en quelque sorte opposé à M. Fauroux. Le ministre, qui conserve son poste et l’initiative des opérations, fait en sorte que le rapport de la commission Fauroux ne soit officialisé qu’un peu après qu’il eut annoncé ses propres projets de réforme des premiers cycles universitaires. Si bien qu’on est renvoyé à la mi-juin (le 20 exactement) pour qu’on soit en mesure de juger, après qu’on eut pris connaissance des pièces du dossier. Le rapport Fauroux est enfin édité en juillet, et donne lieu à un nombre raisonnable de commentaires. C’est alors, mais alors seulement, qu’on peut se prononcer en connaissance de cause. Ainsi s’explique que nous ayons très peu parlé des travaux de cette commission qui n’allaient pas être immédiatement sanctionnés par des décisions et sur lesquels on ne pouvait antérieurement avoir que des renseignements incertains. Il est temps de combler cette lacune. Mais notons d’abord l’étrangeté de la situation. En suscitant la formation de cette commission, M. Bayrou semblait vouloir noyer le projet de référendum conçu par le chef de l’Etat et qui avait suscité ses réticences. Voilà que soudain la commission Fauroux devient en quelque sorte un moyen d’aiguillonner un ministre porté au conservatisme par une extrême prudence. Si on ajoute à cela que la composition de cette commission était déroutante et, enfin, que certains de ses membres ont exprimé leur divergence la plus nette sur certains aspects du rapport, il n’est pas abusif de conclure que la situation est assez embrouillée. Depuis trois mois, les conflits latents, réels ou fictifs, se sont apaisés. Le rapport Fauroux est tenu pour une étude précieuse qui alimentera les décisions à prendre ; ce qui ne signifie pas que toutes les propositions seront retenues. Enfin, M. Bayrou annonce son intention de confier à M. Fauroux une "mission" dont la nature n’est pas précisée. Cet aboutissement n’a rien d’étonnant : les fins visées par les deux protagonistes n’étaient pas vraiment distinctes, ni les moyens adaptés pour les atteindre. Il y avait essentiellement une différence d’appréciation concernant la possibilité de mener le processus à son terme sans se heurter à des résistances invincibles. Mais, du coup, lorsqu’on connaît le souci de M. Bayrou de ne rien bouleverser, ne doit-on pas en conclure que le rapport Fauroux, loin d’offrir matière à protestations scandalisées, est en définitive mesuré, au point d’être presque banal par ses jugements et par les remèdes qu’il propose ? Telle est bien en définitive notre appréciation : si on excepte quelques propositions particulières, notamment celles qui avaient suscité le scandale, il n’y avait pas de quoi déclencher une polémique. Un diagnostic, non une thérapeutique Le rapport, contrairement à nombre de documents officiels, ne farde aucunement la vérité : les défaillances du système de formation sont dénoncées avec vigueur. Même s’il note qu’il est difficile d’apprécier le taux d’échec dans les premiers cycles universitaires (p. 15) - les chiffres avancés (40 %) résultant de l’absence d’information sur le destin de très nombreux inscrits dans les universités. Dire que 10 % d’une classe d’âge sortent de l’école sans aucun diplôme, n’a rien d’excessif. Cantonnons-nous au niveau de l’école élémentaire, puisque d’une part ses lacunes sont plus faciles à apprécier et que d’autre part ce sont elles qui ont les conséquences les plus funestes. Pour l’essentiel, le rapport reprend des données bien connues, pour estimer l’ampleur de cet échec (du type proportion d’élèves qui ne lisent pas correctement en 6e). M. Fauroux dira qu’un écolier sur sept entre au collège sans savoir lire, un sur quatre sans savoir compter, deux sur cinq sans savoir distinguer un carré d’un rectangle (interview donnée au Figaro Magazine, le 28 juin 1996, p. 21). Ce qui est plus original, c’est la proposition d’un critère pour estimer la nature de cet échec et la recherche de ses causes. Il y a échec parce que l’école élémentaire ne remplit pas la fonction qui est la sienne - transmettre aux élèves les savoirs fondamentaux -, et cela probablement parce qu’elle n’a pas su distinguer, en matière de savoir, le fondamental et l’accessoire, parce qu’elle a inutilement surchargé les programmes (thème amplement développé). Ces savoirs fondamentaux sont définis de façon assez stricte : "lire, écrire, parler correctement et aisément le français, calculer, connaître les figures et les volumes... se situer dans le temps et l’espace". Toutefois, l’énumération conduit à des objectifs moins précis : "éduquer son corps" ou "faire siennes les valeurs qui sont au fondement de notre démocratie". Sur ce dernier point, lorsque le rapport suggère que la connaissance de la déclaration des droits de l’homme et du préambule de 1946 constitue une condition nécessaire et suffisante à l’apprentissage de la civilité et de la citoyenneté, il se paye d’illusions (p. 103). Aucune indulgence donc sur les performances de l’école et même des considérations féroces pour ceux qui évoquent le taux de succès au baccalauréat : "L’objectif fixé par la loi d’orientation sera atteint au début du siècle prochain... Mais le caractère d’obligation de résultat que le système éducatif attache aux taux de réussite à cet examen conduit à multiplier les moyens de faciliter son obtention. Il y a bien 75 % de réussite, mais le lauréat moyen n’a pas la moyenne dans les épreuves fondamentales. Les présidents de jurys... sont parfois rappelés à l’ordre lorsqu’ils ne respectent pas les normes académiques et nationales de réussite... des instructions d’indulgence... Equivoques connues de tous. Mais nul n’ose les lever." (p. 125.) Après ce constat sans complaisance, qu’attend-on ? une condamnation du collège unique puisque les défaillances à l’issue de l’école élémentaire sont toujours amplifiées par la suite, une demande de sélection à l’entrée des universités, ou enfin la restauration des redoublements obligatoires ? Sur ces trois points, on sera amèrement déçu. Aucune de ces mesures n’est préconisée. La sélection à l’entrée des universités est rejetée sans argumentaire nourri, encore qu’on rende hommage aux filières sélectives, type classes préparatoires aux grandes écoles, qui coûtent cher par étudiant, mais sont en définitive très rentables pour la collectivité. Quant au collège unique, le principe en est à peine écorné par la proposition de développer filières technologiques et enseignements professionnels. Mais c’est sur le problème du redoublement que M. Fauroux est le plus explicite. Il avait écrit : "Il n’y a aucune raison pour que les décisions concernant les "redoublements", prises après mûre réflexion par les conseils de classe, soient annulées par d’expéditives commissions d’appel. Par ailleurs, on rencontre dans de multiples collèges des enfants manifestement rebelles à l’acquisition de connaissances abstraites, sans remettre en cause le principe du collège unique, il faut élargir la pratique des dispositions préparatoires à l’apprentissage accessibles dès l’âge de quatorze ans." (p. 23.) Dans son interview, il dira qu’"il avait d’abord songé à remettre en cause le principe de non-redoublement" mais qu’il a renoncé à le faire. Les raisons ? Une trop grande confiance en l’efficacité des conseils d’orientation qui ferait qu’on pourrait se contenter de persuader sans avoir à obliger et aussi la conscience que semblable mesure soulèverait un tollé. A force de prudence, M. Fauroux ne dispose guère que de quelques placebos. Ce n’est pas en ajoutant ou non une once de contrôle continu au baccalauréat que les choses changeront vraiment. Statut et fonction des enseignants Faute d’un projet cohérent de révision des cursus des élèves, il restait à la commission à proposer un bouleversement dans les conditions d’exercice du métier d’enseignant. C’est sur ce point qu’elle est le plus audacieuse, mais c’est ici aussi qu’elle soulève une tempête qui déborde de loin les rangs des syndicats de gauche. Passons sur les considérations relatives à l’absence de formation professionnelle : "La réussite à un concours difficile évaluant un niveau de connaissances savantes vaut présomption de compétence enseignante." (P. 112.) Nous sommes habitués à ce type de considérations qui ici ne conduisent à aucune conclusion nette. Le bavardage sur le travail en groupe au sein de l’équipe pédagogique qu’exigerait la transdisciplinarité n’atteint pas le niveau de l’insupportable (p. 228). De même l’idée d’accroître le temps de présence des enseignants sans toucher à leurs maxima de services (car visiblement on redoute les réactions s’ils étaient mis en cause) est visiblement mal intentionnée, mais elle ne conduit pas très loin (p. 233). De même demander aux normaliens agrégés qui ne sont pas engagés dans un projet de recherche d’exercer trois ans (à titre de formateurs) dans ces temples de la pédagogie que sont les I.U.F.M. laisse rêveur. Ces instituts créés par M. Jospin sont-ils de tels repoussoirs ? Tout ceci est d’assez mauvais aloi, mais ne constitue pas un ensemble cohérent de réformes. Il en va tout autrement de la pièce essentielle qui concerne le recrutement des enseignants et leurs conditions d’exercice. Je comprends que M. Fauroux souhaite que le choc constitué par le passage du maître unique de l’école élémentaire à la pluralité des professeurs soit en quelque sorte atténué, rendu progressif, pour éviter que les plus fragiles des élèves soient déroutés, en veillant à ce que les maîtres enseignent deux disciplines (au moins). Mais comment réaliser ce vœu sans créer un nouveau corps d’enseignants ? Il y a là le signe d ’une espèce de fascination par la pluridisciplinarité, sans aucune mesure strictement applicable. Mais surtout ces suggestions introduisent la proposition suivante : on nous propose que, sans porter atteinte à leur caractère national, les concours de recrutement des professeurs du secondaire soient organisés régionalement et que les nominations se fassent dans la région de recrutement. On ne voit pas bien le bénéfice de cette réforme (si ce n’est la satisfaction apportée aux fanatiques de la décentralisation). A moins qu’elle ait pour seul but de préparer les propositions relatives au rôle du chef d’établissement. La commission a beaucoup compati au sort réservé aux pauvres chefs d’établissements. Mal rémunérés, souvent moins payés que certains de leurs professeurs - idée qui repose sur des données grossièrement fausses (le salaire net mensuel d’un professeur de classe supérieure n’atteint pas 32.000 F par mois, mais moins de 22.000 F) dont la présence (p. 197) est absolument stupéfiante - les chefs d’établissements, comme d’ailleurs les recteurs et les présidents d’universités, ne disposent que d’un pouvoir très restreint. En particulier, ils ne peuvent ni noter leurs professeurs (sinon par une annotation portée selon des critères restrictifs) ni les choisir pour constituer leur équipe pédagogique. M. Fauroux ne semble pas s’étonner du fait qu’ils arrivent néanmoins à marquer de leur personnalité les établissements dont ils ont la charge. Du coup, on se rallie à une idée qui a eu les faveurs de certains milieux nullement orientés à gauche : le chef d’établissement devrait devenir un chef d’entreprise (quitte, en réalité, à se transformer en petit chef). Le projet est décrit de la façon la plus nette : "La dévolution explicite au chef d’établissement de la responsabilité globale, à la fois pédagogique et administrative, de son lycée ou de son collège, à charge pour lui de constituer de vraies équipes pédagogiques... Dans les cas extrêmes où un professeur ne répondrait pas ou plus aux exigences de ses fonctions, une évolution de carrière devrait permettre de régler le problème en accord avec l’intéressé et le recteur." (p. 32.) Personne n’aurait dû imaginer que de telles propositions qui ôtent au corps enseignant une indépendance dont il est justement jaloux passeraient sans déclencher un tollé. Que le pouvoir des chefs d’établissements demande à être renforcé, sans doute, mais c’est le pouvoir sur les professeurs qui est ici en cause, non le pouvoir sur les élèves. On ne nous propose ni de modifier les procédures de redoublement, ni celles d’exclusion. Le proviseur peut constituer son équipe pédagogique, il semble qu’il n’ait rien à dire au sujet du recrutement des élèves. Au sujet des établissements difficiles, on se contente, selon la tradition, de déplorer que les meilleurs professeurs soient nommés dans les meilleurs établissements ; mais comment en irait-il autrement si on veut que l’ordre de prise en considération des vœux des enseignants reflète leur mérite ? Il y a là, en réalité, une seule idée intéressante en la matière : on propose que les meilleurs élèves de ces établissements difficiles reçoivent des bourses qui leur permettent d’aller suivre leurs études dans les collèges les plus prestigieux (p. 31). La mesure est sûrement d’effet limité, mais elle mérite d’être instaurée. Enfin, une discrimination positive ! En passant du recrutement de l’équipe pédagogique à celui des élèves, j’ai mis le doigt sur ce qui constitue la faiblesse du rapport Fauroux. Un problème a été rigoureusement évacué : celui du choix de l’école. C’est pourquoi, avec la meilleure volonté du monde, on ne pouvait rien proposer de décisif au sujet de la réforme du système éducatif. Maurice Boudot Les spectateurs qui suivaient le bulletin télévisé de TF 1, vendredi 13 septembre à 20 heures, ont assisté à une séquence très instructive sur le traitement des demandes de dérogation aux affectations d’élèves de 6e selon les principes de la carte scolaire. Ce que j’apprenais avait pour moi un parfum de nouveauté. Il en allait différemment pour les lecteurs de Libération : ils avaient pris connaissance le matin même dans leur quotidien sous une forme détaillée des données qu’on leur présentait ici de façon plus sommaire (le titre en page 1 et trois grandes pages). Qu’est-ce qui est en cause ? Comme les collèges ont des réputations (fondées ou non) très diverses, les parents qui se voient imposer un mauvais collège en vertu des principes de la sectorisation tentent d’inscrire ailleurs leur progéniture en demandant une dérogation sous divers motifs. Les demandes concernent à peu près le quart des entrées en 6e à Paris. Ceci est une bonne mesure de la confiance qu’inspirent certains établissements. Soucieux d’enrayer cette atteinte au principe sacro-saint de la sectorisation, craignant que les chefs d’établissement cèdent aux pressions (ou peut-être au souci de rassembler des élèves honorables !), le rectorat de l’académie de Paris a créé un service central qui décide de la suite à donner à la demande. Ce service qui examine à la loupe les pièces présentées à l’appui des demandes (type quittance de loyer) est placé sous l’autorité d’un inspecteur d’académie (!), qui déplore dans Libération qu’on ait essayé d’assouplir la carte scolaire dans certains arrondissements parisiens, en autorisant le choix entre plusieurs établissements, car on n’a fait, dit-il, que renforcer la hiérarchie entre établissements : "Plus un établissement est demandé et plus il trie ses élèves, plus il les fascine." Il se réjouit qu’on en finisse au plus tôt avec ces "secteurs assouplis". Et, bien entendu, Libération applaudit et appelle à plus de rigueur. Où sont les belles promesses de M. Bayrou d’assouplir la sectorisation ? Où est le pouvoir des chefs d’établissements dans tout cela ? Qui aura vu ce reportage sur ce service académique, dont l’atmosphère est à peu près aussi chaleureuse que celle d’un service de la P.J., aura compris. La liberté de choisir son école n’a pas que des amis chez les grands administrateurs de l’éducation nationale. Maurice Boudot
Lettre N° 52 - 2ème trimestre 1996
LE DÉSORDRE PROGRAMMÉ Les circonstances font que je suis conduit à écrire ce texte juste quelques heures avant que MM. Bayrou et Juppé annoncent depuis le grand amphithéâtre de la Sorbonne leur nouveau plan de réforme de l’Université. Ce texte sera néanmoins publié tel qu’il aura été écrit. Je parie qu’il n’y aura pas grand-chose à remanier d’ici la fin du mois. Les conditions dans lesquelles sont posés les problèmes et la recherche de leurs solutions sont telles que nous n’aurons vraisemblablement pas beaucoup de surprises. Une réforme préparée ? On se plaît à nous répéter que, cette fois, les projets de remise en ordre du premier cycle des universités ont été longuement préparés, élaborés au cours d’innombrables réunions de concertation. Qu’en est-il, en réalité ? Le projet est issu de deux procédures parallèles, d’ailleurs sans coordination rationnelle. D’une part, il résulte d’une partie des travaux de la commission Fauroux, d’autre part des états généraux annoncés par M. Bayrou à l’automne pour calmer les revendications des étudiants. Mais ce sont sous des biais différents que les problèmes sont abordés. La commission Fauroux avait été chargée, à l’initiative de M. Bayrou, d’étudier de façon globale les problèmes de l’éducation, dans la perspective d’un éventuel référendum. J’avais à l’époque fait toutes les réserves sur sa composition et ses méthodes de travail. Mais il s’est produit comme un miracle. Est-ce le fait que M. Fauroux - qui représentait la société civile dans le cabinet Rocard - ait longuement vécu dans le monde de l’entreprise (après son passage à l’E.N.S.) ou que d’honorables personnalités privées d’avenir politique aient enfin pu parler librement et dire ce qu’elles avaient sur le cœur, je l’ignore ? Mais le résultat n’est pas ce qu’on pouvait redouter. Le rapport Fauroux, à côté d’extravagances - par exemple, donner aux chefs d’établissements ou aux présidents d’universités (ces derniers à gauche dans neuf cas sur dix) le pouvoir de révoquer les professeurs -, semblerait contenir des éléments intéressants, notamment sur la nécessaire réforme des collèges. J’emploie le conditionnel, car je n’en connais que ce qui a été écrit dans les journaux à la suite des indiscrétions de rigueur. Toujours est-il que M. Fauroux fut instamment prié de garder son rapport dans ses tiroirs jusqu’à ce que M. Bayrou ait parlé (ce qui est plutôt bon signe pour le rapport Fauroux). Il reste les fameux états généraux. Le 29 mars, le grand ministère submergeait les services administratifs des universités d’une marée de brochures (127 pages, écrites heureusement assez gros) mises à la disposition de n’importe qui, envoyées à qui de droit (j’en ai reçu à titre personnel pas moins de trois exemplaires). J’aimerais qu’on nous fasse savoir le coût de l’opération. Brochures insignifiantes quant au contenu, précédées d’un échantillon de la prose ministérielle : "Nous avons un devoir national à l’égard de l’enseignement supérieur et de notre université. Quelle que soit la difficulté de l’entreprise de réforme, nous ne pouvons plus attendre." Suivent dix questions d’une consternante banalité, accompagnées de commentaires qui vont des truismes : "Faut-il améliorer l’orientation des étudiants ?" (on ne voit pas qui dirait non) (p. 37), jusqu’au fait qu’on doit remédier à "une participation encore insuffisante à la vie de l’université" (p. 43) ; entendons par-là que les électeurs se désintéressent des divers scrutins : mais pourquoi parler comme si la tendance était en train de se corriger ? Des questions plus techniques, très sérieuses celles-là (p. 91), relatives au mode de recrutement des enseignants (sur le fait que la majorité des maîtres de conférences sont recrutés parmi les seuls normaliens, par exemple) ; mais elles n’intéressent qu’une minorité des acteurs consultés, alors que lorsque l’on demande si les possibilités de réorientation sont suffisantes (p. 37), ou comment associer les étudiants aux nouvelles pratiques pédagogiques - car, dogmatiquement, on affirme qu’ils le souhaitent (p. 24) - il s’agit de questions qui devraient "interpeller" la masse des étudiants. Bref, un questionnaire sans cohérence qui ne doit son unité qu’à son style lénifiant, et dont il est clair que la synthèse des réponses est établie d’avance. Un questionnaire adressé à la base le 29 mars et qui devait être retourné le 25 mai. Mais si on tient compte des deux semaines de vacances de Pâques, des délais de convocation des diverses instances, du temps pour rédiger les synthèses, toutes les phases de la prétendue consultation se sont déroulées dans la plus grande confusion. Ajoutons à cela qu’aucune méthode n’est proposée pour pondérer la représentativité des groupes qui répondent. On va donc faire un bilan des réponses, sans la moindre valeur objective, qui dira exactement ce qu’on veut bien lui faire dire. Beaucoup d’intéressés l’ont senti plus ou moins clairement assez tôt : le résultat, c’est que toutes ces réunions n’ont rassemblé que des groupes dérisoires, au grand étonnement des journalistes qui ne comprennent jamais qu’on ne se passionne pas pour des parlotes dont l’inutilité est par trop manifeste. Une réforme bien ciblée ? Le propre de la méthode Bayrou consiste à isoler un problème très partiel, celui de l’organisation des premiers cycles universitaires, et à le traiter comme si les difficultés rencontrées pouvaient trouver une solution à ce seul niveau. Pourquoi ce traitement privilégié ? D’abord parce que les problèmes à ce niveau sont criants. Selon les critères utilisés, de 50 à 75 % des étudiants sont entrés à l’Université pour y passer un an ou deux sans en tirer aucun profit. Mais à qui la faute ? A ceux qui veulent à tout prix 80 % de bacheliers et qui offrent aux étudiants vrais ou faux, désinvoltes ou sérieux, riches ou misérables, des aides assez appréciables et divers avantages que l’ensemble des contribuables paye. Mais ce n’est pas vers une réforme de la formation antérieure qu’on se tourne pour chercher le remède. Agir autrement serait heurter des intérêts puissants - ceux de la mafia éducative qui ne voit qu’avantage à multiplier les élèves - et exigerait donc un courage qui excède de loin les vertus de M. Bayrou. Alors, sélectionner à l’entrée des universités ? Nous en sommes prévenus : il n’en est pas question. L’interview de M. Jean-Yves Haby, secrétaire national du P.R. à l’Education (dans Valeurs actuelles du 15 juin 1996, p. 29), est très significative : avec aplomb, on nous assure que "plus personne ni de droite, ni de gauche ne songe à pratiquer une sélection à l’entrée de l’Université" tandis que M. Bayrou aurait affirmé qu’"il ne croit pas possible de dire à un jeune qui vient de passer son baccalauréat que, nous, institutions, lui interdisons de tenter sa chance" et que "si chaque université fixait librement les conditions d’entrée des nouveaux étudiants la différence se créerait immédiatement entre universités de première zone et de seconde zone" (Le Figaro, 18 juin 1996, p. 9). Faut-il faire remarquer à M. Bayrou que la majorité à laquelle il appartient s’est fait élire en 1985 avec à son programme la sélection à l’entrée des universités, et la concurrence entre universités ? Aujourd’hui, on nous propose exactement le contraire. Je veux bien ; mais que s’est-il donc passé qui justifie cette conversion massive aux principes d’une politique éducative sociale-démocrate ? Rien, si ce n’est l’échec du projet Devaquet à l’aube de 1987. Bien sûr, M. Bayrou qui a plus d’intérêts de carrière que de convictions ne suivra pas un exemple aussi funeste. Alors, si la seule voie acceptable était ainsi barrée, pourquoi avoir focalisé tous les projets sur la réforme du premier cycle ? D’abord, parce qu’on aimerait bien calmer la colère et capter les suffrages de jeunes électeurs qui, pour la première fois dans leur vie, apprennent ce qu’est l’échec. La faute n’en incombe sans doute pas à eux, ni d’ailleurs à M. Bayrou, mais à divers charmeurs de monstres qui figurent au nombre de ses prédécesseurs (dont le funèbre Jospin), qui ont attiré les lycéens dans cette voie sans issue. A quoi sert-il de les duper ? L’échec, s’ils ne le connaissent pas aujourd’hui, ils le découvriront demain dans les files de l’A.N.P.E. Je ne pense pas que M. Bayrou soit de taille à leur décrire cette vérité sans fard. Une réforme précipitée ? Le tort de M. Bayrou est d’avoir choisi le premier cycle des universités comme terrain d’expérimentation. S’il l’a fait, c’est vraisemblablement parce que les techniques de maquillage auxquelles nous ont habitués les divers ministres sont très efficaces à ce niveau. Décrétons que la moitié des U.V. de premier cycle suffit à autoriser le passage en second cycle et l’on dégonfle considérablement la proportion des étudiants "sélectionnés par l’échec". Tout le monde applaudit ; on n’y a vu que du feu ! Tel est le genre de mascarade auquel nous sommes habitués. Le seul résultat de ce genre de politique sera de prolonger la durée des études et de renvoyer le problème du premier cycle au second. Mais le temps qu’on s’en aperçoive et le ministère aura changé de titulaire. Au mieux, donc, une série de mesures démagogiques qui prolongeraient la stabulation en premier cycle d’un nombre considérable d’étudiants, soustraits aux statistiques du chômage. Au pire, qu’on impose à la hâte des mesures de réorganisation du premier cycle ; je ne fais ici que rapporter les rumeurs des médias. Si elles devaient se confirmer, la situation serait catastrophique. M. Lang avait publié, juste avant de céder la place à M. Bayrou en 1993, des arrêtés portant réforme des premiers cycles. Ceux qui attendaient des successeurs de M. Lang qu’ils arrêtent l’application de ces textes furent victimes de leur naïveté. Non seulement on applique ce que les socialistes ont voulu, mais on précipite la mise en œuvre de leurs décisions. Des technocrates bornés et des responsables dociles s’affairent à la besogne. Où en est-on aujourd’hui ? Je peux le dire avec précision en donnant un "exemple" : la première année vient d’être réformée, la seconde le sera dès la rentrée... Mais aussi simultanément les années de licence et de maîtrise, ce qui crée un désordre effroyable, surtout que le ministère n’a pas donné le feu vert à certaines réorganisations. D’autres universités sont plus avancées, mais d’autres moins. Peu importe. Mais il est certain que si on devait toucher, même de façon minime, à des premiers cycles qui viennent d’être "rénovés", ce serait psychologiquement et matériellement une catastrophe. Perdre du temps inutilement est un mal, mais se précipiter est encore pire... Il est indispensable qu’en matière de réformes soient appliqués les trois principes suivants :
Ces conditions seront-elles remplies ? M. Bayrou a-t-il compris que ce qu’on attend de lui, c’est un plan global de l’école élémentaire à l’Université, et que les réformes aussi fébriles que limitées ne le mèneront à rien ? Je le saurai ce soir. Mais j’ai bien peur que mes craintes soient fondées. Or, une chose est certaine ; quoi que dise le ministre, on lui demandera "des moyens nouveaux". Comme ses poches sont vides, il ne pourra que décevoir. Si on ajoute à cela quelques décisions perturbatrices, le désordre qui régnera dans l’enseignement supérieur constituera un terreau de choix pour les agitateurs. Bien entendu, les ministres ne trouveront personne pour les aider à convaincre les étudiants de demeurer sagement assis dans leurs amphis. Une belle rentrée s’annonce à l’automne : toute mesure qui étend la pagaille servira de détonateur, et retardera d’ailleurs d’autant la grande réforme promise avec le référendum. J’aurais prévenu sans être entendu. Au moins aurais-je la conscience en paix. Les 17-18 juin 1996. Maurice Boudot L’Union nationale des parents d’élèves - UNAPEL - a tenu une délégation nationale les 18 et 19 mai à Rouen. La proclamation d’une "charte pour le projet personnel de l’enfant", catalogue de bonnes intentions qui ira rejoindre dans un tiroir les "projets éducatifs" dont chaque école est dotée, n’a pas réussi à éclipser les deux questions de fond qui agitent l’enseignement catholique :
A ces deux questions ont toujours correspondu deux stratégies. Les tenants de la première considèrent sur le premier point qu’il faut obtenir d’une majorité parlementaire favorable qu’elle prenne les mesures législatives propres à assurer le libre choix de l’école et sur le second point que si la loi Debré a créé l’obligation, pour les écoles sous contrat, de ne pas refuser l’inscription d’un élève en raison de sa confession, elle a aussi reconnu le caractère propre de l’école catholique ; ce qui implique de la part de ceux (maîtres, parents et élèves) qui s’adressent à elle, le respect de ce caractère propre avec ce que cela peut ou devrait comporter d’instruction religieuse et de participation aux offices. Ceux qui soutiennent ce point de vue citent volontiers à l’appui de leur thèse les textes pontificaux et ne cachent pas toujours des préférences politiques de droite. De loin les plus nombreux chez les parents de base, ils se raréfient au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Les tenants de la seconde stratégie pensent que la fin des soucis financiers viendra de la reconnaissance par la gauche de la contribution de l’école catholique au "service public de l’éducation", ne voient pas dans le caractère propre une limite à "l’ouverture à tous", ignorent superbement les propos de Jean-Paul II sur l’école et bannissent toute attitude politique, tout en manifestant à chaque occasion leur sympathie à des chrétiens de gauche. Philippe Toussaint, actuel président de l’UNAPEL dont les liens avec l’actuelle majorité parlementaire ne sont pas un mystère, après s’être présenté en vain à la présidence de 1988 comme candidat de la base, a été élu en 1992 comme candidat officiel. Les 18 et 19 mai, il a pris sur les problèmes financiers une position ferme, disant en conclusion de son discours "j’ai rencontré, à sa demande, François Bayrou, mercredi soir. Je lui ai dit clairement notre attente. C’est sur ses actes et non sur ses intentions que nous formulons nos jugements. Je suis convaincu que c’est désormais par notre détermination claire et sereine que nous pourrons le mieux aider nos négociateurs à se faire entendre. Nous avons laissé une année au nouveau gouvernement pour agir. Nous exigeons désormais des avancées concrètes." Si un tel discours relève évidemment de la première catégorie, il a par contre nettement pris position pour les tenants de la seconde en empêchant l’élection au bureau de l’UNAPEL d’Antoine de Crémiers, président de l’union académique d’Aix-Marseille. Ce dernier, seul candidat au poste n’ayant pas obtenu la majorité absolue des suffrages au premier tour, Philippe Toussaint décidait alors le report du second tour au lendemain pour ne pas être en retard à la messe, puis, la nuit portant conseil, qu’il ne pouvait y avoir de ballotage quand il n’y avait qu’un candidat. La raison de cette décision, contraire aux statuts, aux précédents et aux usages électoraux en général, nous est donnée par Florence Couret dans La Croix du 17 mai : "certains responsables de l’enseignement catholique notent avec inquiétude l’influence grandissante d’un courant traditionaliste dans les instances de l’UNAPEL et prennent en exemple l’arrivée prévue au bureau national du responsable des parents d’élèves de la région Provence-Côte-d’Azur. "Antoine de Crémiers avait été prié de quitter le mouvement au moment où il s’était engagé sur une liste RPR aux élections municipales d’Aix-en-Provence en 1983. Il ne cache pas aujourd’hui qu’il appartient au courant plutôt traditionaliste de l’Église". Le Monde n’hésitait pas à écorner sa réputation de sérieux en transférant (dans son édition du 11 mai) la candidature de M. de Crémiers de la liste RPR à la liste FN et en précisant que "certaines présidences d’union régionales sont désormais tenues par des partisans farouches de la défense des valeurs traditionnelles". Face à ce "grave danger", alors qu’une étude de l’INSEE montre que, contrairement aux idées reçues et volontiers répandues, y compris dans l’enseignement libre "le degré d’implication dans la religion est fort et cette corrélation va en s’accroissant", il fallait agir. L’accès au bureau de l’UNAPEL est donc resté fermé à ce partisan farouche de la défense des valeurs traditionnelles. Cela n’a cependant pas suffi pour que l’UNAPEL et son président trouvent grâce aux yeux de Pierre Daniel, Secrétaire général de l’enseignement catholique et partisan affirmé de la seconde stratégie. Dans son intervention il a affirmé sa prééminence, en déclarant notamment : "Aussi, permettez-moi de rappeler que c’est bien en fonction des missions reçues que le Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique, en prenant en compte les orientations de CNEC (Comité national de l’enseignement catholique) et les réflexions de la Commission Permanente, conduit les négociations avec l’Etat sur de nombreux dossiers et plus particulièrement sur celui de la situation juridique de nos maîtres, dossier qui comprend de nombreux chapitres, tous de grande complexité car ils relèvent à la fois des domaines réglementaires, financiers voire législatifs. D’autres dossiers font actuellement l’objet de négociation difficile, mais tous méritent une certaine discrétion, une volonté inébranlable d’aboutir mais également un sens politique pour ne pas voir resurgir les difficultés d’il y a peu d’années et qui ont porté tort à l’Enseignement Catholique". Puis, "Aussi, si je reconnais et comprends la liberté de parole de votre Association, c’est en toute franchise et en toute simplicité que je vous dis que je regrette fortement l’amalgame que j’ai découvert à la lecture des journaux de ces derniers jours entre l’expression de l’UNAPEL et la politique de l’Enseignement Catholique. La politique de l’Enseignement Catholique se définit comme je viens de l’exprimer." Tel n’était pas le point de vue de M. Daniel quand il était président de l’UNAPEL. Nous tenons à la disposition de nos lecteurs, entre autres documents du même genre, sa photo sur le perron de l’Elysée, le 1er juin 1983, après avoir été reçu en tant que président de l’UNAPEL par François Mitterrand et le récit par lui-même de cet entretien confié à Valeurs Actuelles : "J’ai dit au Chef de l’État que je comprenais les difficultés économiques actuelles de notre pays et que j’étais prêt à discuter de certains points : notamment des budgets qui sont limitatifs et pourraient, sans préjudice pour nous, devenir limitatifs, à condition etc." Que dire enfin de la présentation de l’UNAPEL qui réunit 800 000 parents et dont les statuts, conformément à la loi de 1901, garantissent l’indépendance comme "voulue comme seule association de parents d’élèves" et menacée de ne plus l’être par M. Daniel ? La mégalomanie de M. Daniel et sa rigidité soviétique sont soutenues par une volonté déjà affirmée en 1984 de fondre l’école catholique dans un grand service public d’éducation car, à ses yeux, elle est "l’instrument au service du jeune pour la formation intégrale de la personne, elle est le lieu et l’outil pour le projet éducatif, elle est le lieu pour le partage de la communauté éducative sur le projet et sa mise en œuvre, elle est également le siège de la communauté chrétienne d’établissement qui se rassemble en tant que telle, à la fois enracinée dans la vie de l’école et, pour autant, n’incluant que ceux qui choisissent librement de professer là leur foi, respectueuse du pluralisme des personnes qui respectent notre projet, signe de la gratuité de la foi et appel vivant à la rencontre du Christ." Cette définition de l’école catholique par M. Daniel conviendrait parfaitement à une école publique pourvue d’une aumônerie. Alors qu’il conseille aux autres de "refuser toute idéologie, particularisme ou sectarisme", pensait-il à lui en s’adressant aux lecteurs de La Croix (édition du 21 mai) : "Il y a des tentations politiques chez certains. A ceux-là je dis qu’ils n’ont plus leur place dans l’enseignement catholique" ? Lucien Gorre. Lettre N° 51 - 1er trimestre 1996
LES ENFANTS DE LA HAINE Le 2 février, un grand quotidien national, réputé pour sa pondération et son absence d’hostilité au gouvernement, annonçait triomphalement sous le titre "Rentrée optimiste à Louise Michel" que "les enseignants de ce collège ont décidé de ne plus laisser les élèves faire la loi" (Le Figaro, p. 10). La violence au quotidien Cet article avait été précédé d’une série d’échos sur le même établissement, parmi lesquels celui paru le 26 janvier (p. 10) annonçant que le climat qui s’était développé à la suite d’incidents répétés envers une partie des élèves et le personnel "amène ce dernier à se tourner vers l’inspecteur d’académie, le recteur [...] afin de trouver une solution nette, rapide, efficace". A l’origine de ces incidents, il y avait une quinzaine d’élèves désignés comme "des brebis galeuses" par les professeurs, et l’un de ces professeurs, qui estime nécessaire de rester anonyme par crainte de représailles, précise : "Certains sont majeurs et mesurent 1 m 90 ; ils n’ont plus rien à faire ici. D’ailleurs ils ne veulent plus rien faire." On nous apprend que professeurs et surveillants sont impuissants face à ces agressions verbales gratuites - mais ne sont-elles que verbales ? - et un professeur explique : "Les élèves se soutiennent tous entre eux [...] Ce ne sont pas des classes, ce sont des bandes. Ils cassent tout. L’école est leur seul moyen de s’en sortir [...] Mais ils refusent tout en bloc." Après ce texte alarmiste, le même quotidien semble avoir une estimation plus optimiste de la situation le 31 janvier : "Il ne s’agit pas pour autant de baisser les bras. La violence à l’école, injure faite à la jeunesse, n’est pas une fatalité. Des expériences récentes ont montré que des classes réduites et des enseignants motivés suffisent parfois à ramener la paix. Parmi les 554 zones d’éducation prioritaire (ZEP), nombre d’entre elles ont permis grâce à leurs crédits supplémentaires de sortir de l’ornière des établissements répertoriés à risque" (p. 2). Ce qu’on néglige de dire, c’est que ce "classement en ZEP" n’est que "parfois" efficace, qu’après tout il n’est pas très légitime d’accorder des moyens supplémentaires du seul fait que les élèves se conduisent comme des voyous et, enfin, qu’il est affligeant qu’on soit conduit à utiliser la notion d’établissements à risques. Pour en revenir au cas particulier de ce collège de la banlieue de Rouen, si judicieusement patronné par une pétroleuse de la commune, comment le présenter comme serein une semaine après ? Certes, on a exclu quelques élèves mais surtout "mardi, les quarante-sept professeurs ont bénéficié [sic] d’une formation auprès d’un psychologue afin d’éviter les impairs. Dans chaque classe, un professeur a été désigné pour faire le point sur l’interruption des cours [...] un discours polycopié attend chacun d’eux dans sa boîte aux lettres. La consigne a été donnée d’accepter le débat si les élèves en font la demande" (Le Figaro, 2 février 1996, p. 9). Autrement dit, la rentrée est optimiste parce que les professeurs sont contraints sinon de s’excuser, du moins de s’expliquer et de répercuter le discours politiquement correct. Beaux motifs d’optimisme ! On dira que la situation s’est effectivement calmée dans ce collège et que, de façon générale, on parle moins de violence scolaire. En réalité l’attention s’est éparpillée d’un collège à l’autre et surtout il y a eu ces deux semaines de vacances d’hiver nécessairement calmes. Mais on peut égrener les lieux d’implantation de collèges "chauds" : Saint-Etienne-de-Rouvray, Goussainville (le collège Robespierre), Sevran (un collège refait à neuf est saccagé), Aubagne (le proviseur-adjoint est blessé), Amédée Laplace de Créteil, Le Mans, Les Mureaux... Des vacances de Noël à celles dites d’hiver les informations se sont accumulées. Un quotidien sans tendresse pour la majorité actuelle (Présent) pouvait pendant plus d’un mois faire quasi tous les jours un titre à la une en relatant ces graves incidents ! Leur rythme et leur intensité s’accroissent manifestement. Mais ils ne datent pas de ces derniers mois. Avec une naïveté peut-être feinte, Le Figaro sous-titrait l’un de ses articles (le 31 janvier, p. 8) : "Depuis de nombreuses années, l’Éducation nationale se penche sur le phénomène, sans pouvoir le contenir." Le moins qu’on puisse dire, c’est que le ministère ne semble pas équipé pour les actions d’urgence ! On ne peut qu’approuver ce jugement dans le corps de l’article : le ministère "planche sur un fonds d’assurance contre les agressions, chargé de l’indemnisation des dégâts dus à des actes de violence. [Par exemple, les voitures des professeurs volontairement endommagées sur les parkings des collèges]. Des cautères sur une jambe de bois ?" La ponctuation interrogative me semble simplement un peu inutile. L’existence de tels projets montre simplement qu’on a renoncé à endiguer la violence scolaire. On veut seulement panser les plaies. "La Haine" et ses effets. Pourquoi cette violence, incontrôlable peut-être, incontrôlée certainement ? Les causes les plus générales, tout le monde les connaît et en parle, même si la pression de la pensée unique oblige à glisser prudemment sur certaines d’entre elles. Ce sont surtout les établissements qui scolarisent les jeunes des "cités" qui connaissent le plus de problèmes. On ne s’en étonnera guère. Un principal des Mureaux notait que le collège qu’il dirige "scolarise des enfants issus des cités voisines" et que "l’effet de ghetto est garanti. De plus, ils sont à 96 % d’origine immigrée [...] L’intégration est un mot difficile à comprendre dans ce contexte-là. Ce sont plutôt les familles qui doivent s’intégrer à nos valeurs républicaines" (Valeurs actuelles, n° 3089, p. 36). Des familles déculturées parce que déracinées, quelquefois instables, souvent en proie aux difficultés économiques, ce n’est pas un milieu qui prédispose à tirer profit de cet enseignement modèle instauré au début de la IIIe République et depuis défiguré par les réformes incoordonnées des trente dernières années. Mais il faut aller bien au-delà de cette cause spécifique pour expliquer le phénomène. C’est de façon générale l’instabilité de l’institution familiale qui suscite les déséquilibres psychologiques, eux-mêmes générateurs de comportements scolaires "à problèmes". Nul enseignant ne devrait oublier qu’il y a parmi ses élèves à peu près un tiers d’enfants de divorcés. Bref trop nombreux sont les cas où l’école ne peut s’appuyer sur une famille qui constituerait un partenaire solide. Ajoutons à cela le chômage dont l’un des effets les plus pernicieux est qu’il décourage une jeunesse qui n’est pas assurée que la réussite scolaire conduit à une bonne insertion professionnelle. Il y a là très largement de quoi expliquer le phénomène dans ses grandes lignes. Mais je voudrais m’arrêter à certains de ces aspects plus particuliers : incontestablement les incidents sont de plus en plus fréquents, de plus en plus violents (on en est aux incendies, aux saccages systématiques, à l’usage d’armes) ; de plus en plus ils affectent essentiellement les collèges, où est scolarisée la tranche d’âge de onze à quinze, seize ans, mais dont certains élèves ont plus de dix-huit ans ! Comment expliquer ces phénomènes qui vont de pair avec la très inquiétante progression de la délinquance des grands enfants ou des pré-adolescents ? Sans aucun doute, il y a une aggravation du phénomène due à des années de laxisme, au mauvais exemple donné par "les grands frères". Les plus jeunes les imitent d’autant plus volontiers qu’ils constatent d’expérience qu’ils ne risquent rien. L’autorité scolaire est bien incapable de réagir. Pendant des années on a tout fait pour dissimuler la situation : un rapport commandé par M. Jack Lang vient seulement de paraître. Il faut attendre cette année pour qu’on ait une estimation chiffrée du phénomène : 2 500 établissements publics sur 7 000 seraient atteints (d’après Le Figaro du 19 mars 1996), selon une enquête du principal syndicat des chefs d’établissements. Aucun risque, mais en revanche une façon de se rendre célèbre à bon compte : il suffit de voir combien sont ravis ces pré-adolescents interviewés sur les incidents du collège qu’ils fréquentent, combien ils sont peu intimidés et disposés à mettre en accusation les professeurs pour comprendre ce qu’ils ont très bien compris spontanément : que l’univers médiatique les accueille non seulement avec indulgence mais avec une sorte d’admiration mal dissimulée. Cette espèce de complicité commence seulement à se gâter lorsqu’ils prennent à partie une équipe de télévision venue tourner un reportage (comme ce fut le cas à Goussainville) ! L’amusement teinté d’admiration avec lequel on a présenté sur les chaînes de télévision l’ouvrage consacré aux "parlers des cités" (les Céfrancs parlent aux Français) était presque une incitation à rester dans une position marginale pour ceux qui avaient des difficultés à s’intégrer. Mais ceci n’est rien à côté du rôle d’un film comme La Haine dont deux ministres successifs de la culture (MM. Toubon et Douste-Blazy) ont en quelque sorte assuré la promotion médiatique. M. de Plunkett avait bien mesuré la situation lorsqu’il écrivait : "L’apothéose de ce film aura joué (selon les commissaires de police et la direction des renseignements généraux) un rôle dans la montée des violences urbaines en 1995 ; violences dont l’explosion "scolaire" n’est à l’évidence que le prolongement" (Le Figaro Magazine, 20 février, p. 13). C’est dans un tel film, beaucoup plus que dans la diffusion de quelques films noirs, qu’il faut chercher l’une des incitations à la violence. Peut-on s’en sortir ? Depuis des années, périodiquement, on annonce que le gouvernement se préoccupe de la situation et prend des dispositions adéquates. Et comme le mal va en s’aggravant, on propose peu après un nouveau plan. Je ne pense pas qu’on ait vraiment rompu avec cette mauvaise habitude, malgré la solennité avec laquelle on nous a annoncé que le gouvernement allait prendre des mesures radicales : il semble que le président de la République en doute un peu lui-même ! En dehors de l’inévitable arsenal de mesures déjà expérimentées (et d’efficacité très limitée) comme la multiplication des surveillants ou des appelés du contingent employés dans les collèges en difficulté - 2 200 en plus des 2 500 déjà affectés à de telles fonctions - ou la limitation de la taille des établissements, que trouve-t-on ? Car enfin on sait parfaitement qu’il ne sert à rien de multiplier les surveillants s’ils ne peuvent exercer leur autorité. Quelques autres mesures déjà expérimentées : par exemple, le numéro vert pour les professeurs en difficulté, ironiquement nommé "profs battus" par ceux auxquels il est destiné ; ou l’adjonction de "modules de formation aux conditions d’enseignement en quartier sensible dès l’an prochain dans les I.U.F.M.", dont la présidente de la Société des agrégés dit judicieusement : "A quoi servira-t-il de disserter sur l’indiscipline dans les I.U.F.M. qui [...] pratiquent à l’égard des décisions ministérielles une insubordination dont ils se vantent devant leurs stagiaires ?" J’ajoute que même si les I.U.F.M. étaient plus satisfaisants, ceci ne changerait rien à l’affaire. L’étude du règlement intérieur en début d’année n’est pas une mauvaise chose, "pour contribuer au développement de l’esprit civique", mais je ne suis pas sûr qu’elle soit d’une quelconque efficacité, car ce n’est pas de l’ignorance que viennent les incidents, mais de la volonté de bafouer. Quant à "la création de formules plus souples alternatives aux conseils de classe avec engagement personnel sous forme de contrat quant à la conduite future [de l’élève]", je crois qu’elle manifeste une grande naïveté. Je crois aussi qu’elle anticipe l’appel à ces fameux "médiateurs" entre élèves et professeurs dont on demande la présence ici ou là, alors que les incidents scolaires n’ont rien de commun avec un conflit du travail. Rien donc de très neuf, si ce n’est un principe nettement affirmé par M. Bayrou : il faut "resanctuariser" l’école, éviter que, sous prétexte de l’ouvrir sur la vie, la loi de la rue ou des cités y règne ; il faut qu’elle soit un lieu de paix, à l’écart des troubles de la cité (au singulier cette fois). L’établissement éventuel de clôture, l’instauration d’une contravention pour sanctionner les intrusions des personnes étrangères à l’établissement scolaire sont peut-être plus des mesures symboliques qu’efficaces. Mais enfin nous n’allons pas critiquer un ministre qui affirme clairement des principes qui furent toujours les nôtres. Il reste un dernier point : pour la première fois, on parle de "créer des structures expérimentales pour accueillir et scolariser des adolescents en grande difficulté ou en voie de marginalisation". Des classes sas, nous dit-on, sans qu’on sache ce que ce terme recouvre. Est-ce le premier indice qu’on reconnaît enfin que le collège unique ne convient pas à tout le monde, qu’il est inadapté pour certains élèves qu’il contribue à marginaliser ? Car, enfin, ce n’est pas un hasard si la violence scolaire affecte surtout les collèges, période de la scolarisation obligatoire et uniforme, et beaucoup moins les lycées dont la scolarisation est beaucoup plus diversifiée. Va-t-on enfin abandonner cette ânerie de collège unique qui n’est sans doute pas la cause principale du mal, mais qui a contribué à l’aggraver ? Si on est très optimiste, on peut dire qu’il y a de légers indices d’une évolution dans ce sens. En revanche, quant à la nécessaire contrainte qu’imposent toute action éducative et tout maintien de l’ordre, contrainte qui peut viser les familles tout autant que les élèves, je crains qu’on préfère continuer à s’aveugler. En arrivant aux affaires, l’actuelle majorité avait cédé à la démagogie en rejetant sans examen une proposition d’un député P.R. (M. Pierre Cardo) qui proposait de priver de leurs allocations familiales les parents qui laissent leurs enfants troubler la vie de la cité. Mal lui en prit, cette disposition pouvait être efficace. Aujourd’hui le Garde des sceaux désapprouve un haut magistrat qui affirme qu’il faut emprisonner les mineurs récidivistes. Ce sont là des signaux alarmants. En principe on admet que la sanction puisse être nécessaire. Mais toutes les fois où on aurait à l’appliquer, on la repousse. Dans ces conditions, je crains que le plan Bayrou ne soit qu’un catalogue de bonnes intentions. Maurice Boudot VIOLENCE A L’ECOLE : un mal désormais endémique La violence à l’école occupe périodiquement l’avant-scène médiatique. Il n’y eut guère, ces derniers temps, que les carnages d’Israël pour intéresser davantage les journalistes. Que l’on ne se méprenne pas : en dépit de la récente focalisation sur ces faits, les soubresauts du monde scolaire ne sont pas nouveaux. Ils déstabilisent l’institution depuis de longues années déjà... Au nez et à la barbe de pouvoirs publics jusqu’ici impuissants... Nous ne reviendrons pas inutilement sur un long descriptif de faits à propos desquels tout, ou presque, a été dit ou écrit. Que le lecteur se remémore simplement l’interminable litanie des incursions de bandes armées, les insultes diverses à l’encontre des professeurs ou des équipes de direction, les coups, les blessures, les viols et - mais oui - les assassinats perpétrés dans l’enceinte scolaire. Alertées, plusieurs équipes de journalistes sont parvenues à filmer la vie quotidienne de ces établissements dits "sensibles", où se cristallise la terreur des fameuses "zones de non-droit" et s’installe, selon l’expression d’Alain Minc, quelque "nouveau moyen âge". Le spectacle en fut édifiant. Bref, n’en jetons plus : chacun - même le ministre - sait à présent qu’il faudra bien faire quelque chose et que l’on ne saurait laisser ainsi bafouer perpétuellement la légitimité républicaine. Les constats du rapport Fotinos. Commandé par Jack Lang, alors ministre de l’éducation nationale, édité en 1995, un rapport, le rapport Fotinos, du nom de son auteur, Inspecteur Général, évaluait avec une grande précision la situation. Par-delà la rhétorique prudente qui sied à un inspecteur général, le portrait brossé ne laissait d’être éloquent. Le premier constat s’y avérait particulièrement affligeant : sur dix-huit académies étudiées seules quatre proposaient un train de mesures tendant à enrayer avec quelque chance de succès l’inexorable montée de la violence à l’école. Cinq académies ne comportaient aucun système de coordination avec la police et la justice. Neuf autres n’avaient pas estimé que la situation impliquait d’urgence la mise en place de remèdes. Tel constat frappait de stupeur. Les faits ne pouvaient être ignorés ni du ministère, ni des équipes rectorales. Aucun outil standardisé n’avait été façonné pour permettre l’élaboration d’un véritable dossier statistique. Des enquêtes académiques, dans la plus grande discrétion, avaient été organisées, leurs résultats ne furent jamais divulgués. Nul ne sait même s’ils furent exploités. On sait, aujourd’hui, que plus de 50 % des établissements scolaires sont touchés. Le rapport Fotinos poursuivait en constatant, dans ces conditions, l’extrême pauvreté des remèdes préconisés. Les Missions Académiques de Formation des Personnels de l’Éducation Nationale (MAFPEN), plus préoccupées de fumeuses théories pédagogiques que des réalités du terrain n’offraient généralement aucun secours. Une seule sur dix-huit proposait une action exemplaire, fondée sur la formation véritable des maîtres à la gestion des situations violentes ainsi qu’une formation spécifique pour les chefs d’établissement. Ailleurs, le folklore reprenait ses droits : alors que les professeurs se faisaient poignarder, les "formateurs" des missions académiques associaient, dans leurs recherches, "violence sociale et violence pédagogique", d’autres s’adonnaient... à l’analyse transactionnelle, certains préconisaient... la sophrologie et même... les jeux de rôle. Le troisième constat concernait le manque presque total de relations entre l’éducation nationale, les établissements scolaires, la police, l’institution judiciaire. Et de citer en exemple l’assassinat d’un père de famille par des élèves d’un collège de banlieue. L’enquête menée par la police le fut, à l’intérieur de l’établissement, sans concertation avec le principal ; elle aboutit au maintien des élèves soupçonnés de meurtre au sein du collège - au nom de l’obligation scolaire - jusqu’au moment où le principal, de sa propre initiative, dut leur chercher un autre établissement d’accueil. La loi du silence sévit donc à tous les échelons. Elle s’avère particulièrement anxiogène pour les professeurs, qui finissent par percevoir la situation comme résultant de leur propre incompétence... Elle concerne aussi les chefs d’établissements, auxquels la hiérarchie ne manque pas une occasion de faire savoir, implicitement ou non, que la finalité de leur action doit être l’absence d’histoire. Elle concerna longtemps les pouvoirs publics, peu désireux de se voir contraints à d’inconfortables remises en cause. Le rapport Fotinos, bien trop confidentiel, eut le mérite, avant les médias, de lever le voile sur le scandale des enseignants et des élèves, livrés sans protection, dans le silence, la honte et la complicité, aux défaillances de tout le corps social... Sanctuariser l’école ? Incontestablement, la violence a des causes sociales. Détournés, le plus souvent, des voies traditionnelles d’accès à la culture, au profit de l’audiovisuel, les élèves sont assaillis quotidiennement par une multitude d’images où la violence tient une large place (Audimat oblige...). Par ce biais, la société les invite à cultiver une esthétique de la sauvagerie qui, tout naturellement, altère leur comportement. Le déclin général de l’autorité, le recul des valeurs traditionnelles de la famille, la multiplication des familles monoparentales contribuent à la suppression de tout repère. La drogue et son cortège de déviations, l’explosion générale de la licence en matière de morale, ajoutent alors le coup de grâce. L’immigration incontrôlée contribue puissamment au phénomène. Elevés dans la religion musulmane, de nombreux jeunes immigrés ne parviennent pas à s’adapter, ou refusent, sous la pression des intégristes, de s’adapter à nos références sociales et culturelles. Prédisposés par des traditions culturelles à considérer la femme comme une personne socialement inférieure, ils multiplient les incidents avec un corps enseignant où, précisément, le taux de féminisation s’accroît régulièrement. Ces phénomènes explosent littéralement dans les banlieues, où la multiplication des facteurs que nous venons d’énoncer, crée les conditions d’une nouvelle barbarie. L’établissement scolaire, lieu de rassemblement, mais aussi symbole d’une autorité et d’une culture rejetées, cristallise alors toutes les haines... Le laxisme dont fit preuve, à l’égard du foulard islamique, l’ensemble de la société française, constitue et constituera, au surplus, un obstacle à l’intégration des jeunes maghrébines, qui était pourtant primordiale dans les processus généraux d’assimilation des populations immigrées... Face à pareille situation, François Bayrou va clamant qu’il faut refaire de l’école un "sanctuaire". Mais la violence n’a-t-elle que des causes extérieures ? Un système scolaire fondamentalement inadapté. Pour bien comprendre la situation, il importe de considérer l’évolution du système éducatif depuis la seconde guerre mondiale. Sous l’égide du plan Langevin-Wallon, l’éducation nationale a franchi peu à peu les étapes d’une massification qui devait conduire au fameux objectif des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat. Destiné à élever le niveau de connaissance de l’ensemble de la nation, ce processus a entraîné, dans son sillage, une dérive "égalitariste" sans précédent. Persuadés que, pour bénéficier de la paix scolaire, ils devaient abandonner l’éducation nationale aux syndicats de gauche majoritaires, les pouvoirs publics consentirent au "Yalta pédagogique" de la réforme Haby. Au lieu que de devenir "pour tous", le collège devint "unique". La classe hétérogène fut élevée au rang d’exigence sociale et d’impératif catégorique. Tous les paliers d’orientation furent supprimés, pratiquement jusqu’à la fin de la classe de seconde. Un seul cursus fut désormais ouvert - et imposé - à tous les élèves. Cet état de fait eut plusieurs conséquences. Il nécessita, tout d’abord, un recul presque total de la prise en compte des résultats dans les procédures d’orientation. Privés de tout pouvoir, méprisés par les technocrates et certaines organisations de parents d’élèves, les professeurs se virent imposer un véritable passage automatique de la sixième à la troisième, puis de la sixième à la terminale... L’ensemble aboutit à ne plus faire de la transmission des connaissances la finalité du système d’éducation. Il conduit aussi à l’effrayante réalité du chômage des jeunes. Cette situation, comme on peut s’en douter, ne fait qu’amplifier les inégalités. Partout, filières occultes et choix optionnels consacrent le privilège de la fortune et du savoir. Méprisés parce que réduits à l’impuissance, accusés par les uns d’être inefficaces et par les autres d’être la cause de toutes les injustices, les enseignants - et l’école en général - constituent désormais les boucs émissaires de toute la société. De ce point de vue, aux causes extérieures de la violence, il convient donc d’ajouter des causes internes, structurelles. A une situation de violence produite par la société en général, l’école oppose une réponse fondamentalement inadaptée... Comment s’étonner que la crise s’y amplifie au lieu d’y trouver solution ? Une nécessaire réforme du système éducatif. Face à la crise, force est de reconnaître que les réponses manquent de variété ainsi que de conviction. En Mars 1995, François Bayrou avait fait connaître un train de douze mesures contre la violence. Accusées par les organisations syndicales d’être des "mesurettes", celles-ci ne furent même pas toutes appliquées. Ainsi, les nominations de professeurs débutants sur les postes difficiles se poursuivent-elles, en dépit des promesses. A peine note-t-on quelques progrès dans la relation police-éducation-justice. Les propositions de modification des rythmes scolaires, qui posent bien plus de problèmes que ne veut l’avouer le pouvoir, restent à l’état de projet. Les organisations syndicales de gauche (FENFSU...) ne préconisent, elles, aucune mesure fors leur perpétuelle demande de moyens supplémentaires. Pourtant, les établissements des Zones d’Education Prioritaires (ZEP), les établissements dits "sensibles" reçoivent déjà une dotation sensiblement plus importante que les autres. On n’y constate pas pour autant, au contraire, de diminution sensible de la violence... Les mesures préconisées, lors de la table ronde du 20 février, par le premier ministre, lui-même relayé, le 20 mars, par le ministre de l’éducation, si elles relèvent, pour la plus grande part, du simple bon sens, restent trop périphériques ; elles ne s’attachent pas à la nature profonde du problème. Si les classes pour délinquants ("classes sas") constituent une piste intéressante, ni les internats, ni les militaires du contingent, ni les moyens supplémentaires pour les ZEP, ni la plus grande sévérité à l’égard des intrusions extérieures, ne réussiront, à eux seuls, à éradiquer le fléau. En vérité, c’est l’ensemble de l’éducation nationale qu’il faudrait réformer en profondeur si l’on veut apporter, à terme, une réponse adéquate à la violence et à la montée générale de l’indiscipline. "Sanctuariser" l’école ne signifie pas seulement la protéger contre les agressions extérieures, c’est aussi la protéger de ses démons intérieurs, la rendre à sa vocation originelle : transmettre la connaissance. Sanctuariser l’école, c’est rompre avec "l’ânerie sanglante du collège unique". C’est à ce prix que l’on restaurera l’autorité des professeurs, en rendant à la connaissance toute sa dignité. Il convient d’en faire une priorité nationale. Bernard Kuntz Lettre N° 50 - 4ème trimestre 1995
LE GLAS DES ESPÉRANCES Au début de l’automne, nous avions repéré quelques signaux alarmants pour ceux qui défendent et la liberté de l’enseignement et sa qualité. Aujourd’hui, il faut faire notre deuil des espoirs qui auraient pu naître avec le nouveau septennat. Les signaux d’alarme qu’on nous fait entendre, c’est désormais le mugissement des sirènes des locomotives des dépôts grévistes, qui retentissent chaque jour à midi et que se plaisent à diffuser les chaînes de télévision. En un mois, à peu près, par un enchaînement d’événements dont on peut difficilement croire qu’ils sont tous l’effet du hasard, les espoirs de voir mise en place une réforme qui améliore la situation de l’enseignement (public ou privé) sont ruinés. Comment ce changement s’est-il opéré ? Il est bon de faire la chronique de ce sinistre mois, ne serait-ce que pour répartir les responsabilités, corriger quelques contre-vérités qui ont été dites ou écrites et en tirer quelques leçons. D’Austerlitz à Jussieu. Tout commence insidieusement dans la première quinzaine de novembre. Un certain nombre de petites universités, petites quant au nombre d’étudiants qu’elles accueillent, et souvent nouvelles : Metz, Orléans ou La Rochelle, se mettent en grève pour protester contre l’insuffisance des moyens dont elles disposent. Pas de locaux - mais en est-il autrement à Paris ? -, trop peu d’enseignants. Le fait est que ces universités, créées à la hâte pour absorber au plus vite les effectifs toujours croissants de bacheliers vivent dans des conditions déplorables. Parce que ce sont de petites universités et qu’en conséquence avec des moyens relativement limités -10 millions ici, 20 millions là, 5 postes à l’Est, 12 postes au Nord, etc.- on peut satisfaire les demandes les plus urgentes, la politique ministérielle est de négocier au coup par coup, quitte à donner l’impression que les fonds de tiroir sont inépuisables et que, pour obtenir quelque chose, il suffit de crier aussi fort que les autres. Mais il faut noter que, dès le début, ces petites universités sont accompagnées d’autres plus importantes, et que, toutes ensemble, elles bénéficient d’une excellente couverture médiatique. Dès le 15 novembre (p. 10), Le Figaro, auquel je me référerai souvent non seulement parce que j’y suis abonné (péché avoué) mais parce qu’il est caractéristique de la complaisance des médias - seraient-ils favorables à la majorité - à l’égard des insurgés en herbe, rapportait les élégants propos recueillis à Nantes par son envoyée spéciale : "On en a marre. Depuis la rentrée le 16 octobre, on attend les cours de sociologie... Il n’y a pas de professeurs, nous explique l’administration, sans prendre la peine de fournir les programmes pour qu’on puisse commencer à potasser seuls. Dans cette fac, les étudiants sont considérés comme du bétail." Et Muriel Frat (l’envoyée spéciale) rappelle que Nantes fut particulièrement agitée lors des manifestations anti-C.I.P., auxquelles ont participé (naturellement !) ses interlocuteurs. Diagnostic exact, au terme d’une description bienveillante. Bien entendu, Nantes allait se distinguer par la violence des incidents qui y auraient lieu ; Rouen avait déjà bougé depuis le début puisque tout semble être parti de cette ville. Metz sera la ville où on "retiendra" Nicole Ferrier, directrice-adjointe du cabinet de M. Bayrou, pour laquelle le ministre paya la rançon exigée, sans penser vraiment à protester ou à évoquer l’usage de la force, dont il semble qu’elle n’existe plus hors des frontières de la Bosnie ! Quant à Toulouse, c’est la calme université scientifique qui se met en grève, bien vite débordée par la très gauchiste université littéraire du Mirail. Arrêtons-nous sur le cas de Toulouse car son président a exprimé en termes mesurés ses doléances. Il manque de postes ou doit imposer aux enseignants des heures complémentaires. 100.000 heures, nous dit-on, ce qui correspond à 500 emplois d’enseignants. Calcul exact puisqu’un professeur d’enseignement supérieur doit 192 heures de travaux dirigés par an (ou leur équivalent), ce qui n’est pas si peu qu’on pourrait le penser si on tient compte des préparations, corrections de copies, et du service des examens, non décomptés dans le service statutaire ! Comme ces heures sont très mal payées (230 F l’heure à peu près), il s’ensuit que faire assurer le service d’un enseignant en heures complémentaires est très économique pour l’État : cela lui revient à peu près à 45.000 F par an. Même si les traitements de l’enseignement supérieur ne sont pas rutilants, aucun ne correspond à ce niveau de misère ! J’ai voulu entrer dans ces détails comptables à la fois parce qu’ils tordent le cou à certaines légendes (les heures supplémentaires et primes diverses, pactoles pour les enseignants !) et qu’ils font comprendre où se situe le problème : devant la marée des bacheliers, on a voulu parer au plus pressé, avec les solutions les plus économiques. Chacun porte sa part de responsabilité : les pouvoirs publics comme les universitaires, complices en la matière. Mais on a ainsi laissé se créer des situations détonantes, car pour de multiples raisons, dont certaines seulement sont d’ordre financier, on ne peut brutalement créer un grand nombre de postes. De façon assez habile, M. Bayrou desserrera les cordons de la bourse, mais distribuera les douceurs au sou par sou. L’addition sera néanmoins assez salée pour les contribuables. Mais on est bien en deçà de ce doublement du budget de l’enseignement supérieur ou des 50 milliards (pour arrondir par le haut) que réclament toutes les organisations plus ou moins inspirées par le parti communiste, revendication qu’il ressort dès qu’il y a quelque agitation dans les universités ! Tout au long du mois, les grèves d’étudiants se multiplient, on assiste aux traditionnels cours sauvages (de sociologie, de préférence) sur les places publiques, pour attirer l’attention sur le délabrement des locaux. De multiples manifestations avec les inévitables casseurs. De nombreuses universités sont atteintes. Des occupations plus ou moins durables de locaux universitaires ; bref tout l’ordinaire que nous connaissons depuis des années. Et on nous diffusera tous les soirs les images de ces A.G. enfumées, où on vote si démocratiquement à main levée ! Des coordinations nationales se font et se défont... L’acmé, c’est la manifestation du 30 novembre qui conduit 10 à 20.000 étudiants jusqu’aux Invalides. Mais au retour les casseurs envahissent Jussieu (Paris VI et Paris VII) et passent toute une soirée à saccager les locaux. Le 1er décembre les délégués à la coordination nationale trouveront une université saccagée et devront se réunir ailleurs (à Censier, centre qui dépend de Paris I). Toute la journée du 2 décembre sera occupée par d’obscurs débats. Les étudiants ne s’accorderont pas sur ce qu’ils doivent "exiger" du ministre. Aussi, comme par bravade, aux rendez-vous du lendemain, ils feront longuement attendre M. Bayrou dont la patience semble inépuisable ; on a les victoires qu’on peut. La Fac Pasqua. Tout ce mouvement aurait vraisemblablement été moins étendu et moins durable, s’il n’avait été relancé à la mi-novembre par un étrange parrainage. Depuis quelques jours, comme à l’accoutumée, les étudiants de Paris X Nanterre manifestaient devant les locaux confortables du "pôle universitaire Léonard de Vinci", récemment ouvert, organisé et financé par le conseil général des Hauts-de-Seine et surnommé "Fac Pasqua". Mais, rapidement ce thème devient obsessionnel dans toute la région d’Ile-de-France. Sous le titre "Tolbiac à l’heure de l’union sacrée. Étudiants et professeurs s’unissent pour de meilleures conditions de travail" Le Figaro du 16-17 novembre se fait le véhicule des thèmes que développent les contestataires de Paris I : "L’Etat néglige l’université publique. Seules les régions riches vont pouvoir s’offrir des facs élitistes comme la Fac Pasqua", dit l’un d’eux qui semble oublier que son université est située en Ile-de-France, ce qui n’est pas la région la plus pauvre de France. Et un "professeur de philosophie" renchérit : "Les étudiants se mobilisent quant ils voient des universités à moitié vides, financées non par l’État, mais par les collectivités locales, comme la Fac Pasqua. Cette université, c’est le symbole de la révolution étudiante s’il doit y en avoir un. C’est la nouvelle Bastille." Si je comprends bien mon éminent collègue, c’est l’État qui doit tout payer ! Merci pour les contribuables. En quelques jours, réquisitionner la Fac Pasqua est devenu un thème obsessionnel. Or, tous ceux qui crient ainsi vont recevoir un secours inattendu et d’un poids considérable. Invité le dimanche 19 novembre à l’émission 7/7, où se fait maintenant la politique du pays, le Premier ministre, devenu en quelques semaines le grand spécialiste de la gaffe, affirme qu’il "comprend" la colère des étudiants de Paris X, qui ressentent l’existence de la "Fac Pasqua" comme une provocation et qu’"il faut éviter de répéter des situations de ce type". Quelle mouche l’avait piqué ? L’animosité contre M. Pasqua, qui lui rendra bien cette marque d’hostilité par quelques coups de poignard dans le dos ? Ou bien cette sorte de fureur égalitariste qui constitue le fonds de la démagogie de M. Juppé ? Je suis incapable de le dire. Mais le mal était fait. Non seulement le mouvement, fort de la bénédiction ministérielle, pouvait repartir de plus belle mais on venait de lui fournir le thème idéologique qui lui donnait ses lettres de noblesse. Car, jusqu’à ce moment, il n’avait été question que de misérables affaires de gros sous. Maintenant, on va se battre sur le plan des principes. Lorsque, le 22 novembre, les parents viennent donner "un coup de main aux étudiants", au moyen d’une interview confiée au Figaro par le secrétaire général de la très laïque et très progressiste Fédération des conseils de parents d’élèves, bien entendu, celui-ci est défavorable à la Fac Pasqua, mais il va même plus loin : "Nous demandons son rattachement à l’enseignement public puisqu’elle fonctionne grâce à des fonds publics, ceux du Conseil général des Hauts-de-Seine." Étrange conception de la décentralisation. Élargissant le problème, on demandera de façon générale "la réquisition des facs financées sur les fonds publics" et "l’abandon des statuts dérogatoires qui régissent des universités nouvelles" (toujours d’après Le Figaro du 23). On ira jusqu’à débusquer dans un Institut catholique d’études supérieures qui est soutenu par le conseil général de Vendée, une "fac de Villiers" ! Pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas demander la réquisition de tous les établissements d’enseignement qui ont reçu des subventions publiques ? Toujours est-il qu’on retrouvera le slogan du premier septennat de M. Mitterrand sous la forme élégante "Le blé public pour les facs publiques". Quant aux difficultés légales qu’il pourrait y avoir à réquisitionner (ou nationaliser) ce qui est propriété d’une collectivité territoriale, M. Badinter est là pour donner ses conseils et expliquer comment on peut contourner les obstacles juridiques (ibid., le 30 novembre). L’initiative de M. Pasqua ne déclenche pas mon enthousiasme. Elle ne me semble pas ouvrir la voie royale qui ferait s’évanouir les problèmes de l’enseignement supérieur. Elle n’a qu’une portée limitée. Mais elle constitue au moins une expérience dont les enseignements seront précieux. Comment a-t-elle pu susciter tant d’hostilité ? Ne nous en étonnons pas : elle est insupportable aux partisans de l’étatisation complète de l’éducation. Les divers André Laignel sont toujours présents parmi nous. Et il y a tout un public qui ne sait que rabâcher de vieux slogans. D’ailleurs, sur le plan des idées, ce mouvement fut particulièrement stérile. Veut-on réfléchir à sa signification et ce sont des "sociologues" déjà connus qui le font, en répétant leurs rengaines habituelles. Quant aux cercles officiels du ministère, ils nous rappellent une fois de plus que M. Bayrou est défavorable à la sélection, mais qu’il souhaite développer l’orientation des jeunes scolarisés, ritournelle qu’on entend depuis des années, surtout à l’occasion de chaque crise universitaire. Et du côté de l’opposition assez peu offensive défend-on au moins des idées neuves ? J’en doute en apprenant que Jack Lang, ce spécialiste de l’innovation, demande "un véritable plan d’urgence", ce qui signifie en clair plus d’argent, et a l’outrecuidance de soutenir qu’une "profonde réforme de l’université s’impose à nouveau", alors que la réforme dont il est l’auteur date de guère plus de trois ans, et n’est qu’en cours d’application, même au niveau des premiers cycles. Mais à quoi aurait-elle donc servi ? Peut-être ce manque d’idées neuves explique-t-il le peu de résultats obtenus par ce mouvement qui bénéficiait pourtant de circonstances très favorables. Les deux fleuves. La perception que l’on a de cette agitation universitaire, dont on veut nous persuader qu’elle fut particulièrement puissante, est faussée par deux éléments. D’abord par le fait qu’elle s’est déroulée en parallèle et en union avec un mouvement distinct, même s’ils furent souvent alliés : celui des fonctionnaires et agents des entreprises nationalisées. Ensuite par le fait qu’on oublie de tenir compte de l’accroissement considérable du nombre d’étudiants ces dernières années, au moment où on tente des comparaisons. Il n’y a pas eu cet unanimisme des étudiants qu’on veut souvent dépeindre. Je puis assurer que toutes les universités n’ont pas été en grève. Pour en rester à des exemples parisiens, Paris II ne l’a jamais été et je n’ai jamais constaté que Paris IV le fut (contrairement à ce qu’annonçait Le Figaro du 5 décembre). Les agitateurs ont été très souvent fort mal accueillis, même dans des universités en pointe. Que le fonctionnement de toutes ait été perturbé par la grève des transports, qu’on ait dû fermer certains centres d’enseignement en conséquence, bien sûr. Mais la cause principale n’en était pas la grève des étudiants. Autre signe, la mobilisation des lycéens fut très limitée. Elle n’a en particulier aucunement affecté les classes de préparation aux grandes écoles, du moins pour le Quartier Latin où sont localisées les plus importantes de ces classes. Quant au chiffre des manifestants, lorsque les étudiants ont manifesté seuls, on dépasse difficilement 20.000 à Paris. C’est incomparablement moins que lors des manifestations de décembre 86 contre la loi Devaquet. Je veux bien croire que la grève des transports parisiens soit à prendre en compte et que la province ait été en pointe. Mais il faut bien dire qu’à l’heure actuelle le bilan de la grève n’est pas un franc succès. Loin de là. D’ailleurs les syndicats étudiants de gauche, notamment UNEF-ID, n’ont jamais maîtrisé le mouvement. Il ne l’ont rejoint qu’à regret et le soutenaient sans conviction. Prudence salutaire, car lors de la fameuse réunion du 2 décembre à Censier, UNEF-ID sera battue, au profit d’une coalition de l’autre UNEF, proche du P.C. et de divers groupes gauchistes ! Tout ceci finira par un pugilat général lors d’une autre réunion à Censier le 6 décembre. Les choses tourneront assez mal pour que les appariteurs crient aux cheminots grévistes venus à la rencontre des "camarades étudiants" de ne pas entrer "car on ne pouvait assurer leur sécurité" (7 décembre). Il y a pourtant quelques raisons de croire que les cheminots délégués n’avaient pas l’allure de pensionnaires effarouchées. Commencé dans la confusion, le mouvement finissait donc dans l’anarchie. Le mouvement des fonctionnaires, pour être simultané, n’en est pas moins distinct. Naturellement, les mêmes groupes ont pu jouer le rôle d’agitateur dans les deux cas. Ce n’est peut-être pas un hasard si Rouen, ville qui vient de passer au socialisme, chef-lieu d’un département qui vient d’envoyer au Sénat l’un des maîtres de la pensée troskiste, fut le berceau à la fois de l’agitation des étudiants et de la grève des cheminots. Des "convergences" s’effectuèrent, mais ce fut plus au profit des agents de l’État que des étudiants. Il va sans dire qu’on trouva des enseignants qui d’abord en grève en tant qu’universitaires, et même éventuellement comme agitateurs des milieux étudiants, se trouvèrent en grève aussi en qualité de fonctionnaires ! Les lycéens purent trouver les chaires désertes et, du coup, livrés à eux-mêmes rejoignirent les manifestations de rue. Néanmoins les deux mouvements demeurèrent distincts jusqu’au bout. Il ne pouvait en être autrement. Les agents de l’État étaient en grève essentiellement pour des questions de retraite. Ils avaient le sentiment que le projet gouvernemental d’unifier tous les régimes et d’abroger le leur, incontestablement plus favorable, constituait de la part de l’État une rupture unilatérale de contrat, puisqu’ils cotisaient à un taux élevé (8,9 % du salaire) avec promesse d’une pension de 75 % du dernier traitement au bout de 37,5 années. Que penserait-on d’un organisme financier privé qui agirait ainsi ? Comment l’État, gardien des contrats, peut-il rompre ceux qu’il a passés ? Laissons de côté les autres problèmes liés à la réforme de la sécurité sociale, ils sont d’une autre nature. Mais ici, c’est de respect du droit qu’il s’agit. Dans sa fureur égalitaire, M. Juppé avait mis le feu aux poudres avec ce seul problème. Laissons parler M. Champion, secrétaire général de la C.S.E.N., Confédération des syndicats d’enseignants, organisme sans sympathie pour les socialistes et dont nous avons souvent cité les prises de positions lucides et courageuses. "L’erreur centrale du gouvernement a été de confondre par démagogie la réforme nécessaire de la sécurité sociale avec les droits à pension dans la fonction publique. Les fonctionnaires reçoivent une pension inscrite au grand livre de la dette publique, et non une retraite comme dans le secteur privé. La pension présente un caractère statutaire", et M. Champion demande "le respect des engagements statutaires de l’État" et il est rassuré lorsqu’on annonce que "les régimes spéciaux seront sauvegardés", affirmant qu’"il aurait fallu commencer par là" (Le Figaro, 11 décembre). J’ajouterai que s’il doit y avoir modification des régimes spéciaux - ce qui est très concevable - elle ne peut concerner que ceux qui entrent dans la fonction publique à partir d’aujourd’hui. Les choses étant ainsi mises au point, tout en faisant la part des dérives politiciennes, on comprend la vigueur du mouvement des fonctionnaires. Mais on voit aussi qu’il fut entièrement distinct de l’agitation universitaire. Les eaux des deux fleuves ne se sont mêlées que très superficiellement, même si les conjonctions furent multiples et le renforcement mutuel évident. C’est que les fins étaient radicalement distinctes. Les agents de l’État ont pour l’essentiel obtenu gain de cause. Et la situation de l’université, dans tout cela ? Eh bien, après quelques rafistolages mineurs, elle restera inchangée. Et les mêmes problèmes se poseront l’an prochain, avec des bacheliers toujours plus nombreux, et donc des flux d’étudiants toujours croissants. Maurice Boudot. OU VA LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT ? Le SNEC se refuse à suivre le Secrétaire général de l’enseignement catholique, Pierre Daniel qui est prêt à reconnaître en l’Etat le "seul employeur des maîtres" poursuivant ainsi son rêve "d’intégration" de l’enseignement privé dans le service public. Le document qui suit analyse cette menace. C’est en ces termes que s’interrogeait le Syndicat National de l’Enseignement Chrétien CFTC dans son mensuel n° 195 de février 1994 au lendemain de la manifestation laïque du 16 janvier 1994. Il déplorait qu’après la tentative avortée en 84 de faire disparaître la liberté de l’enseignement les gouvernements qui se sont succédé ne se sont employés qu’à réduire l’espace de liberté scolaire ; sous-évaluation du forfait d’externat, mesures simples et concrètes de Jean-Pierre Chevènement en matière de nomination des maîtres. Le SNEC-CFTC s’est aussi vigoureusement élevé contre les marchandages de l’accord Lang-Cloupet aboutissant à l’abandon de la responsabilité première de l’enseignement catholique en matière de formation initiale de ses maîtres. Aujourd’hui, le SNEC-CFTC part en campagne contre une démarche déconcertante du nouveau Secrétaire général de l’enseignement Catholique, Pierre Daniel, qui demande au gouvernement de faire inscrire dans la loi Debré modifiée que l’État devient le seul employeur des maîtres contractuels des établissements privés. En agissant ainsi, Pierre Daniel espère bien se dégager des conséquences de jugements dont le nombre n’a cessé de croître en courbe exponentielle depuis la mise en œuvre de la loi Debré. Ces jugements reconnaissent depuis lors que, si le maître bénéficie après son embauche dans un établissement privé d’un contrat de droit public avec l’État, il n’en demeure pas moins pour autant sous la subordination du chef de l’établissement privé. Conclusion que tous les chefs d’établissement agréent dans leur gestion quotidienne, sauf quand les conséquences peuvent être de nature financière. Et ce sont précisément de récents jugements imposant le versement d’indemnités de départ à la retraite qui semblent pousser le Secrétaire général à abandonner les prérogatives de l’employeur privé. Mais cette explication peut-elle justifier cette démarche quand on sait que la loi actuelle prévoit que les salaires et charges sociales incombant à l’employeur sont pris en charge par l’État et que cette même loi a aussi prévu l’application, égale et simultanée, aux maîtres des établissements privés des règles générales qui déterminent les conditions de service, de cessation d’activité, les mesures sociales et les possibilités de formation. Pour le SNEC-CFTC, il est inutile de changer la loi, il suffit de la faire appliquer intégralement. En tout cas, cette hypothèse d’"État seul employeur" constituerait une nouvelle "fonctionnarisation déguisée" qui à terme, par ces implications administratives et collectives, toucherait un point capital de l’identité de l’enseignement privé catholique : l’organisation de l’emploi et la constitution des équipes éducatives. Dans le n° 209 de son mensuel SNEC-INFO, le SNEC-CFTC déplorant un manque total et persistant de dialogue social dans l’enseignement catholique, ne peut imaginer que pour régler les conséquences essentiellement financières de questions en suspens depuis des dizaines d’années, le Secrétaire général de l’enseignement catholique soit acculé à adopter d’emblée une "solution" aussi radicale, sans même avoir pris le temps d’en mesurer les conséquences. Pour éviter cette faute suicidaire pour la liberté de l’enseignement le SNEC-CFTC a édité un argumentaire qui permet d’appréhender la situation juridique actuelle et l’équilibre subtil des liens réunissant l’établissement privé, le maître et les pouvoirs publics. On nous raconte le procès d’un casseur de Jussieu. A 21 ans, il a raté un baccalauréat professionnel, mais est cependant inscrit en 1re année de BTS d’électronique. Déjà interrogé par une équipe de télévision, il est loquace à l’audience : il nous explique que les étudiants et les casseurs sont "à peu près les mêmes personnes. Les étudiants en ont marre de se faire prendre pour des pommes, d’avoir des diplômes pour se retrouver au chômage. Le ministre de l’éducation doit trouver une solution rapidement". Le Monde qui rapporte ces jolis propos ne semble même pas s’étonner de cet étudiant qui revendique en invoquant des diplômes alors qu’il n’a qu’un échec au baccalauréat professionnel ! Nous sommes dans un registre très différent avec le tract qui m’a été courtoisement offert le vendredi 15 décembre lorsque je quittais la cour de la Sorbonne. Il invitait les étudiants à se joindre à la manifestation des salariés du lendemain. A côté de la phraséologie syndicale, à laquelle nous sommes habitués, il y avait ce passage : "Aurons-nous encore une retraite demain ? Pour toucher la retraite à taux plein, il nous faudra dorénavant cotiser 40 ans. Quant on est étudiant jusqu’à 25 ans, cela signifie que l’on devra travailler jusqu’à 65 ans, si on a la chance de trouver un emploi dès la sortie de nos études". Ils pensent donc à la retraite avant d’être entrés dans la vie active. Ils sont vieux dans leur tête, disait M. Jack Lang. A l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, la défaite de Platon, M. Claude Allègre bénéficie d’une interview pleine page dans le Figaro du 26 décembre. On a la surprise d’y lire : "Notre système a été un succès au dix-neuvième siècle... Mais c’était l’époque où les mathématiques et la mécanique jouaient un rôle important et où la Sorbonne était figée, notamment par son allégeance au Pape". Les connaissances historiques de l’inspirateur de la politique universitaire de M. Jospin me semblent vacillantes. On trouve dans le numéro 51 de La lettre de Philippe de Villiers une remarquable analyse qui établit que M. Bayrou s’acharne à maintenir et consolider la politique qui était celle de M. Jospin.
Lettre N° 49 - 3ème trimestre 1995
SIGNAUX INQUIÉTANTS Comment seront transformés en décisions les engagements prudents, mais très argumentés, qu’avait pris M. Chirac dans sa réponse à la lettre que nous lui avions adressée, alors qu’il était candidat ? Ces engagements concernaient l’équilibre de l’enseignement public et de l’enseignement privé ainsi que le chèque scolaire ; la réponse à cette question déterminera pour l’essentiel l’avenir des institutions d’éducation. Au-delà des questions relatives à l’enseignement, on doit malheureusement constater que la "pensée unique", qui avait été dénoncée, a vraisemblablement de beaux jours devant elle. La démission à laquelle a été contraint M. Madelin - tenu pour trop libéral ou trop réformateur - est un signe inquiétant en lui-même. Ceci ne nous concerne pas, ou du moins pas directement. Mais on peut également percevoir des signaux de mauvais augure en ce qui concerne les questions propres à l’enseignement. J’en relèverai trois : le texte institutionnel sur le champ du référendum - et nous dirons tout de suite en quoi ce texte nous concerne directement -, l’installation de la commission Fauroux et enfin l’allocution du président de la République, le 5 septembre. UN REFERENDUM ÉTRIQUÉ Hors du cercle des professionnels de la politique ou des faiseurs d’opinions des médias, je pense que le projet d’élargir le champ des questions qui peuvent être soumises au référendum n’a guère rencontré d’opposition dans le corps électoral. Peut-être n’a-t-il pas été tenu pour la panacée, mais sans aucun doute on n’y a vu nul danger pour le régime républicain. Or, ce qui est frappant, c’est de voir combien ce projet a été rogné par ceux-là même qui prétendaient en assurer la défense. Au cours de la campagne présidentielle, l’école constituait le premier exemple d’un problème objet du référendum. Les choses en sont arrivées au point qu’on finit par se demander si constitutionnellement, les Français pourront être consultés sur toutes les dimensions de la question. M. Toubon était chargé de présenter et de défendre le projet gouvernemental de révision de la Constitution. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a surtout consacré toute son énergie à éviter tout dérapage qui aurait pu conduire à l’instauration d’un référendum d’initiative populaire, procédure à laquelle il oppose l’étrange argument selon lequel : "on ne peut introduire le référendum d’initiative populaire dans une période de crise comme celle que nous connaissons" (J.O. p. 893). Cette phobie de l’appel au peuple conduit fort loin M. Toubon : devraient être exclues du champ de référendum les questions concernant le droit pénal. Soyons rassurés, il n’y aura pas de référendum sur la peine de mort ! Ou les lois de finance : pas de proposition comme celle adoptée par les électeurs californiens qui interdit l’augmentation des taux d’imposition. De fil en aiguille, M. Toubon redoute tellement le mauvais usage qu’on peut faire du référendum - usage qui exige pourtant l’accord du président de la République - qu’il exclut que les libertés publiques figurent explicitement dans le champ des questions à poser au peuple. Et, même si ses réponses sont un peu hésitantes à ce sujet, il considère, argument décisif à ses yeux, qu’il ne faut pas se risquer sur le terrain des libertés publiques, de peur de remettre en cause les principes fondamentaux reconnus par le Conseil constitutionnel (J.O. p. 914). Comme si le peuple était par nature plus liberticide qu’un collège de "sages" ! Notons-le, c’est avec un argument de ce type qu’on pourrait refuser de soumettre à l’avis populaire une décision qui remettrait en cause l’arrêt du Conseil constitutionnel qui rejetait la révision de la loi Falloux. Avec un référendum dont le champ sera aussi bien cadré, il est à redouter que, lorsque l’école sera en cause, il ne soit guère question de liberté de l’enseignement. LA COMMISSION FAUROUX Tout aussi inquiétante est l’installation d’une commission "chargée de conduire la consultation sur le système éducatif", dont la présidence a été confiée à M. Fauroux. Aussi bien la composition de la commission que les missions qu’elle doit remplir peuvent déconcerter. Dès le 17 août, Le Figaro annonçait que M. Fauroux s’était vu confier cette mission. Cet ancien ministre d’ouverture de M. Rocard aurait l’avantage de "ne pouvoir être soupçonné de partialité politique", d’après l’opinion de M. Bayrou. Effectivement, les organisations de gauche n’auront aucun motif de contester cette personnalité à classer parmi les chrétiens de gauche qui leur ont rendu tant de services notamment en ce qui concerne les problèmes scolaires. Il sera opportun de rappeler, car les faits sont anciens, que le 23 septembre 1983, au plus chaud de la bataille contre le projet Savary d’intégration dans le service public, c’est-à-dire de l’étranglement de l’enseignement privé, M. Fauroux était l’un des signataires d’un "appel aux chrétiens pour la paix scolaire" qui leur demandait en fait de capituler en renonçant au statut garanti notamment par la loi Debré : "Le statu quo ne peut être prolongé pas plus que les écoles catholiques ne doivent disparaître". Pourquoi ? C’est le "bien commun" des citoyens et des chrétiens qui l’exige : "le statu quo signifie la frustration durable d’une fraction de l’opinion." Cet appel publié dans La Croix devait recevoir une réponse énergique d’Etienne Borne (publiée le 1er octobre 1983 dans le même quotidien). Ce penseur qui n’a jamais passé pour un conservateur note que "les frustrés dont on nous parle se ramènent à une étroite minorité et à un groupe de pression" [...] qu’ils "resteront de toute manière des frustrés, car, prisonniers de l’héritage empoisonné d’une intolérance devenue pathologique [...] ils se battent contre les fantasmes d’un autre âge". M. Fauroux était-il le mieux désigné pour présider cette commission ? Et quand on voit que Mme Bourchardeau, également ancien ministre socialiste, y appartient, on a un peu l’impression qu’il s’agit d’un club pour retraités de la vie politique active. La liste des vingt-quatre membres la constituant réserve d’ailleurs d’autres surprises, même si elle comprend au demeurant quelques personnalités éminentes et incontestées. De toute façon, ce n’est pas en répétant à tout propos qu’il s’agit de "sages" qu’on fera échapper à toute critique les avis émis par cette commission. Mais quelle sera donc sa tâche ? Préparer un rapport sur les consultations qu’elle va entreprendre. M. Fauroux est disposé à ne pas limiter son champ d’investigation ("L’éducation c’est vaste. On va tout prendre [...] en profiter pour dire et faire dire ce qu’on a sur le cœur" rapportait Le Figaro), alors que M. Juppé souhaite qu’elle s’attache prioritairement à trois questions : les rythmes scolaires, la formation professionnelle et les premiers cycles universitaires. Et là on rencontre une difficulté : ou bien la commission parle de tout, et elle risque de ne jamais conclure, ou bien elle est cantonnée à des questions partielles, découpées de façon plus ou moins arbitraire. Par exemple, je ne disconviens pas que les difficultés les plus graves rencontrées par les universités se situent au niveau des premiers cycles. Mais peut-on traiter sérieusement ce problème sans aborder l’étude du fonctionnement des lycées et collèges ? En 1992 M. Lang avait "rénové" ces premiers cycles, rénovation qui entre tout juste en application à l’heure actuelle. Faut-il que le système éducatif soit condamné à une instabilité perpétuelle, faute d’avoir été conçu selon un projet global cohérent ? J’ai bien peur que la commission Fauroux, dont les auditions seront publiques et télévisées, comme pour la commission réunie en 1987 pour réviser le code de la nationalité, ne serve pas à grand-chose et qu’elle n’aboutisse qu’à des suggestions issues d’un consensus mou, à moins qu’elle entérine des propositions fondées sur une idéologie de gauche. L’ALLOCUTION PRÉSIDENTIELLE J’ai crainte que le référendum sur l’école soit une occasion manquée. Les propos tenus par le président de la République sur les problèmes d’éducation, au cours de son intervention télévisée du 5 septembre, confirment mes craintes. Il est frappant de constater que le discours présidentiel reste dépendant d’une vieille conceptualisation : l’idée d’instaurer ou de restaurer l’égalité des chances en mettant des moyens supplémentaires à la disposition des moins favorisés y joue un rôle fondamental. Ainsi affectera-t-on des moyens supplémentaires en personnel dans les zones défavorisées et on se propose notamment d’inciter les "meilleurs enseignants, les plus expérimentés" à "aller dans les quartiers difficiles". Mais il faut d’abord remarquer que beaucoup de mesures proposées sont déjà en application, avec une efficacité inégale. Par exemple, pour ce qui concerne la répartition des enseignants, les avantages de carrière ou de rémunération ne suffisent pas à convaincre la plupart d’entre eux de se porter volontaires pour certains postes particulièrement difficiles. D’ailleurs, qu’est-ce qu’un bon professeur dans une banlieue agitée ? Il n’est nullement certain que le brillant normalien agrégé convienne. La question n’a jusqu’à maintenant été que trop superficiellement traitée. Et cette "égalité des chances" a-t-elle un sens précis ? Certains penseurs en ont douté. Si elle a un sens, il est d’ailleurs à craindre que la seule façon d’essayer de la réaliser soit constituée par un faisceau de mesures autoritaires qui conduiront à séparer le jeune de son milieu naturel, de sa famille notamment. Il nous est dit que "les enfants ne sont pas égaux", entendons à leur entrée à l’école, et qu’il faut "rétablir l’égalité". Programme inquiétant : C’est au nom de tels principes qu’on traite inégalement, en fonction de leur groupe d’origine des individus égaux dans beaucoup d’universités américaines comme le montre très clairement M. D’Souza. Il semble que le président de la République lui-même reste prisonnier de tels idéaux qui se rattachent à la pensée sociale-démocrate et qu’il ne soit pas parvenu à exprimer sa volonté de rupture. Quant aux problèmes des rythmes scolaires, dont il a été parlé assez longuement, je ne nie pas sa réalité : il a d’ailleurs donné lieu à de nombreux études et rapports ; l’un de nos administrateurs, le recteur Magnin, y a largement contribué. Je ne nie pas non plus l’intérêt de l’initiative prise à Épinal par M. Séguin. Mais je ne crois pas que ce type de mesures, qui d’ailleurs ne concernent pour l’instant que le primaire, constituent la panacée ni que la clé des difficultés du système scolaire soit la solution du problème des rythmes. Bref, j’ai vainement cherché dans cette allocution le signe de cette volonté réfléchie d’une réforme radicale que laissait augurer l’annonce du référendum. Cela aussi doit être compté au nombre des signaux inquiétants. LES IUFM : DES PROPOSITIONS POUR UNE REFORME Il nous a semblé bon de porter à votre connaissance un extrait des propositions du SNALC pour une réforme des Instituts universitaires de formation des maîtres, organismes chargés de la formation de l’ensemble des enseignants, du primaire et du secondaire, du public et, pour l’essentiel, du privé. Il est impossible de faire évoluer le système éducatif français dans le sens d’une meilleure qualité et d’une plus grande efficacité sans une réforme préalable de la formation professionnelle des professeurs et d’une définition précise, concrète et réaliste de la mission pédagogique et scientifique de ces derniers. Pour savoir comment faire, il faut d’abord savoir quoi faire, quand le faire et avec qui. Toute réforme qualitative de la formation des professeurs se heurtera inévitablement à l’hostilité ouverte ou subreptice d’une minorité de formateurs imbus des théories et des pratiques des sciences de l’éducation dont la diffusion dans le système éducatif constitue un facteur décisif de subversion pédagogique et d’inertie. Ces résistances devront être brisées ou, pour le moins, contournées. Il est de la responsabilité du gouvernement de la République de faire en sorte que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, sa volonté affichée de réformes se traduise réellement sur le terrain par des actes. Pour le SNALC-CSEN, la nécessaire et urgente réforme des IUFM passe par la prise en compte des propositions suivantes : 1. - Des structures rénovées Le temps est passé des établissements de formation de taille inhumaine, administrés approximativement en dehors de tout contrôle comme de toute transparence. 2. - Des procédures de recrutement des étudiants claires et objectives Les critères de sélection des allocataires doivent être clairement définis, uniformisés et portés à la connaissance des candidats. 3. - Une meilleure cohérence des contenus de formation Il faut proscrire l’encyclopédisme pédagogique, c’est-à-dire l’empilement de cours, d’ateliers et de modules dont le seul lien relève d’une logique formelle de l’accumulation. Faire moins mais mieux, telle doit être la règle. L’allégement de la formation sera alors compensé par l’approfondissement de ses éléments fondamentaux. Un effort devra être fait pour améliorer les compétences scientifiques des futurs professeurs des écoles en dehors de leur discipline de licence. Cet effort pourra prendre la forme de modules complémentaires de formation académique obligatoires. Le concours de professeur des écoles, à l’issue de la première année d’IUFM, sera remodelé de manière à permettre un contrôle des connaissances scientifiques des candidats dans les diverses matières qu’ils auront à enseigner. 4. - Une plus grande lisibilité Non seulement le contenu, mais le libellé des actions de formation doit être simplifié, précisé, clarifié. L’ancienne sagesse demeure valable : ce qui s’énonce clairement se conçoit aisément. Les stagiaires doivent savoir ce qu’ils font et pourquoi ils le font. 5. - L’amélioration de la communication La crédibilité de la pédagogie, dans ses aspects théoriques mais également pratiques, est gravement altérée par le comportement et le langage de certains de ceux qui l’enseignent. L’autoritarisme, l’étroitesse d’esprit et l’abus du jargon spécialisé empêchent la communication de s’établir entre ces formateurs et leur auditoire, alors même que le propre de la pédagogie est la capacité à communiquer. Les stagiaires sont trop souvent traités comme plus personne aujourd’hui ne traite les enfants. Il est à la fois illogique et absurde de dire à des stagiaires qu’ils doivent aider les élèves à gérer leur autonomie dans le même temps qu’on interdit à ces stagiaires toute autonomie, y compris dans le domaine de la pensée parce qu’ils sont en formation et que, par suite, ils doivent refléter passivement le modèle stéréotypé qui a été élaboré pour eux et sans eux. 6. - La refonte du dispositif de validation de l’année de formation Il faut recentrer l’examen de qualification professionnelle sur le travail accompli par le stagiaire dans ses classes en responsabilité et l’évaluer à l’aide d’une inspection collégiale suivie d’un entretien. Le critère principal de compétence pédagogique est la capacité de conduire une classe, compte tenu du profil de cette classe et des problèmes éventuels qu’elle pose.
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