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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 51 - 1er trimestre 1996
LES ENFANTS DE LA HAINE Le 2 février, un grand quotidien national, réputé pour sa pondération et son absence d’hostilité au gouvernement, annonçait triomphalement sous le titre "Rentrée optimiste à Louise Michel" que "les enseignants de ce collège ont décidé de ne plus laisser les élèves faire la loi" (Le Figaro, p. 10). La violence au quotidien Cet article avait été précédé d’une série d’échos sur le même établissement, parmi lesquels celui paru le 26 janvier (p. 10) annonçant que le climat qui s’était développé à la suite d’incidents répétés envers une partie des élèves et le personnel "amène ce dernier à se tourner vers l’inspecteur d’académie, le recteur [...] afin de trouver une solution nette, rapide, efficace". A l’origine de ces incidents, il y avait une quinzaine d’élèves désignés comme "des brebis galeuses" par les professeurs, et l’un de ces professeurs, qui estime nécessaire de rester anonyme par crainte de représailles, précise : "Certains sont majeurs et mesurent 1 m 90 ; ils n’ont plus rien à faire ici. D’ailleurs ils ne veulent plus rien faire." On nous apprend que professeurs et surveillants sont impuissants face à ces agressions verbales gratuites - mais ne sont-elles que verbales ? - et un professeur explique : "Les élèves se soutiennent tous entre eux [...] Ce ne sont pas des classes, ce sont des bandes. Ils cassent tout. L’école est leur seul moyen de s’en sortir [...] Mais ils refusent tout en bloc." Après ce texte alarmiste, le même quotidien semble avoir une estimation plus optimiste de la situation le 31 janvier : "Il ne s’agit pas pour autant de baisser les bras. La violence à l’école, injure faite à la jeunesse, n’est pas une fatalité. Des expériences récentes ont montré que des classes réduites et des enseignants motivés suffisent parfois à ramener la paix. Parmi les 554 zones d’éducation prioritaire (ZEP), nombre d’entre elles ont permis grâce à leurs crédits supplémentaires de sortir de l’ornière des établissements répertoriés à risque" (p. 2). Ce qu’on néglige de dire, c’est que ce "classement en ZEP" n’est que "parfois" efficace, qu’après tout il n’est pas très légitime d’accorder des moyens supplémentaires du seul fait que les élèves se conduisent comme des voyous et, enfin, qu’il est affligeant qu’on soit conduit à utiliser la notion d’établissements à risques. Pour en revenir au cas particulier de ce collège de la banlieue de Rouen, si judicieusement patronné par une pétroleuse de la commune, comment le présenter comme serein une semaine après ? Certes, on a exclu quelques élèves mais surtout "mardi, les quarante-sept professeurs ont bénéficié [sic] d’une formation auprès d’un psychologue afin d’éviter les impairs. Dans chaque classe, un professeur a été désigné pour faire le point sur l’interruption des cours [...] un discours polycopié attend chacun d’eux dans sa boîte aux lettres. La consigne a été donnée d’accepter le débat si les élèves en font la demande" (Le Figaro, 2 février 1996, p. 9). Autrement dit, la rentrée est optimiste parce que les professeurs sont contraints sinon de s’excuser, du moins de s’expliquer et de répercuter le discours politiquement correct. Beaux motifs d’optimisme ! On dira que la situation s’est effectivement calmée dans ce collège et que, de façon générale, on parle moins de violence scolaire. En réalité l’attention s’est éparpillée d’un collège à l’autre et surtout il y a eu ces deux semaines de vacances d’hiver nécessairement calmes. Mais on peut égrener les lieux d’implantation de collèges "chauds" : Saint-Etienne-de-Rouvray, Goussainville (le collège Robespierre), Sevran (un collège refait à neuf est saccagé), Aubagne (le proviseur-adjoint est blessé), Amédée Laplace de Créteil, Le Mans, Les Mureaux... Des vacances de Noël à celles dites d’hiver les informations se sont accumulées. Un quotidien sans tendresse pour la majorité actuelle (Présent) pouvait pendant plus d’un mois faire quasi tous les jours un titre à la une en relatant ces graves incidents ! Leur rythme et leur intensité s’accroissent manifestement. Mais ils ne datent pas de ces derniers mois. Avec une naïveté peut-être feinte, Le Figaro sous-titrait l’un de ses articles (le 31 janvier, p. 8) : "Depuis de nombreuses années, l’Éducation nationale se penche sur le phénomène, sans pouvoir le contenir." Le moins qu’on puisse dire, c’est que le ministère ne semble pas équipé pour les actions d’urgence ! On ne peut qu’approuver ce jugement dans le corps de l’article : le ministère "planche sur un fonds d’assurance contre les agressions, chargé de l’indemnisation des dégâts dus à des actes de violence. [Par exemple, les voitures des professeurs volontairement endommagées sur les parkings des collèges]. Des cautères sur une jambe de bois ?" La ponctuation interrogative me semble simplement un peu inutile. L’existence de tels projets montre simplement qu’on a renoncé à endiguer la violence scolaire. On veut seulement panser les plaies. "La Haine" et ses effets. Pourquoi cette violence, incontrôlable peut-être, incontrôlée certainement ? Les causes les plus générales, tout le monde les connaît et en parle, même si la pression de la pensée unique oblige à glisser prudemment sur certaines d’entre elles. Ce sont surtout les établissements qui scolarisent les jeunes des "cités" qui connaissent le plus de problèmes. On ne s’en étonnera guère. Un principal des Mureaux notait que le collège qu’il dirige "scolarise des enfants issus des cités voisines" et que "l’effet de ghetto est garanti. De plus, ils sont à 96 % d’origine immigrée [...] L’intégration est un mot difficile à comprendre dans ce contexte-là. Ce sont plutôt les familles qui doivent s’intégrer à nos valeurs républicaines" (Valeurs actuelles, n° 3089, p. 36). Des familles déculturées parce que déracinées, quelquefois instables, souvent en proie aux difficultés économiques, ce n’est pas un milieu qui prédispose à tirer profit de cet enseignement modèle instauré au début de la IIIe République et depuis défiguré par les réformes incoordonnées des trente dernières années. Mais il faut aller bien au-delà de cette cause spécifique pour expliquer le phénomène. C’est de façon générale l’instabilité de l’institution familiale qui suscite les déséquilibres psychologiques, eux-mêmes générateurs de comportements scolaires "à problèmes". Nul enseignant ne devrait oublier qu’il y a parmi ses élèves à peu près un tiers d’enfants de divorcés. Bref trop nombreux sont les cas où l’école ne peut s’appuyer sur une famille qui constituerait un partenaire solide. Ajoutons à cela le chômage dont l’un des effets les plus pernicieux est qu’il décourage une jeunesse qui n’est pas assurée que la réussite scolaire conduit à une bonne insertion professionnelle. Il y a là très largement de quoi expliquer le phénomène dans ses grandes lignes. Mais je voudrais m’arrêter à certains de ces aspects plus particuliers : incontestablement les incidents sont de plus en plus fréquents, de plus en plus violents (on en est aux incendies, aux saccages systématiques, à l’usage d’armes) ; de plus en plus ils affectent essentiellement les collèges, où est scolarisée la tranche d’âge de onze à quinze, seize ans, mais dont certains élèves ont plus de dix-huit ans ! Comment expliquer ces phénomènes qui vont de pair avec la très inquiétante progression de la délinquance des grands enfants ou des pré-adolescents ? Sans aucun doute, il y a une aggravation du phénomène due à des années de laxisme, au mauvais exemple donné par "les grands frères". Les plus jeunes les imitent d’autant plus volontiers qu’ils constatent d’expérience qu’ils ne risquent rien. L’autorité scolaire est bien incapable de réagir. Pendant des années on a tout fait pour dissimuler la situation : un rapport commandé par M. Jack Lang vient seulement de paraître. Il faut attendre cette année pour qu’on ait une estimation chiffrée du phénomène : 2 500 établissements publics sur 7 000 seraient atteints (d’après Le Figaro du 19 mars 1996), selon une enquête du principal syndicat des chefs d’établissements. Aucun risque, mais en revanche une façon de se rendre célèbre à bon compte : il suffit de voir combien sont ravis ces pré-adolescents interviewés sur les incidents du collège qu’ils fréquentent, combien ils sont peu intimidés et disposés à mettre en accusation les professeurs pour comprendre ce qu’ils ont très bien compris spontanément : que l’univers médiatique les accueille non seulement avec indulgence mais avec une sorte d’admiration mal dissimulée. Cette espèce de complicité commence seulement à se gâter lorsqu’ils prennent à partie une équipe de télévision venue tourner un reportage (comme ce fut le cas à Goussainville) ! L’amusement teinté d’admiration avec lequel on a présenté sur les chaînes de télévision l’ouvrage consacré aux "parlers des cités" (les Céfrancs parlent aux Français) était presque une incitation à rester dans une position marginale pour ceux qui avaient des difficultés à s’intégrer. Mais ceci n’est rien à côté du rôle d’un film comme La Haine dont deux ministres successifs de la culture (MM. Toubon et Douste-Blazy) ont en quelque sorte assuré la promotion médiatique. M. de Plunkett avait bien mesuré la situation lorsqu’il écrivait : "L’apothéose de ce film aura joué (selon les commissaires de police et la direction des renseignements généraux) un rôle dans la montée des violences urbaines en 1995 ; violences dont l’explosion "scolaire" n’est à l’évidence que le prolongement" (Le Figaro Magazine, 20 février, p. 13). C’est dans un tel film, beaucoup plus que dans la diffusion de quelques films noirs, qu’il faut chercher l’une des incitations à la violence. Peut-on s’en sortir ? Depuis des années, périodiquement, on annonce que le gouvernement se préoccupe de la situation et prend des dispositions adéquates. Et comme le mal va en s’aggravant, on propose peu après un nouveau plan. Je ne pense pas qu’on ait vraiment rompu avec cette mauvaise habitude, malgré la solennité avec laquelle on nous a annoncé que le gouvernement allait prendre des mesures radicales : il semble que le président de la République en doute un peu lui-même ! En dehors de l’inévitable arsenal de mesures déjà expérimentées (et d’efficacité très limitée) comme la multiplication des surveillants ou des appelés du contingent employés dans les collèges en difficulté - 2 200 en plus des 2 500 déjà affectés à de telles fonctions - ou la limitation de la taille des établissements, que trouve-t-on ? Car enfin on sait parfaitement qu’il ne sert à rien de multiplier les surveillants s’ils ne peuvent exercer leur autorité. Quelques autres mesures déjà expérimentées : par exemple, le numéro vert pour les professeurs en difficulté, ironiquement nommé "profs battus" par ceux auxquels il est destiné ; ou l’adjonction de "modules de formation aux conditions d’enseignement en quartier sensible dès l’an prochain dans les I.U.F.M.", dont la présidente de la Société des agrégés dit judicieusement : "A quoi servira-t-il de disserter sur l’indiscipline dans les I.U.F.M. qui [...] pratiquent à l’égard des décisions ministérielles une insubordination dont ils se vantent devant leurs stagiaires ?" J’ajoute que même si les I.U.F.M. étaient plus satisfaisants, ceci ne changerait rien à l’affaire. L’étude du règlement intérieur en début d’année n’est pas une mauvaise chose, "pour contribuer au développement de l’esprit civique", mais je ne suis pas sûr qu’elle soit d’une quelconque efficacité, car ce n’est pas de l’ignorance que viennent les incidents, mais de la volonté de bafouer. Quant à "la création de formules plus souples alternatives aux conseils de classe avec engagement personnel sous forme de contrat quant à la conduite future [de l’élève]", je crois qu’elle manifeste une grande naïveté. Je crois aussi qu’elle anticipe l’appel à ces fameux "médiateurs" entre élèves et professeurs dont on demande la présence ici ou là, alors que les incidents scolaires n’ont rien de commun avec un conflit du travail. Rien donc de très neuf, si ce n’est un principe nettement affirmé par M. Bayrou : il faut "resanctuariser" l’école, éviter que, sous prétexte de l’ouvrir sur la vie, la loi de la rue ou des cités y règne ; il faut qu’elle soit un lieu de paix, à l’écart des troubles de la cité (au singulier cette fois). L’établissement éventuel de clôture, l’instauration d’une contravention pour sanctionner les intrusions des personnes étrangères à l’établissement scolaire sont peut-être plus des mesures symboliques qu’efficaces. Mais enfin nous n’allons pas critiquer un ministre qui affirme clairement des principes qui furent toujours les nôtres. Il reste un dernier point : pour la première fois, on parle de "créer des structures expérimentales pour accueillir et scolariser des adolescents en grande difficulté ou en voie de marginalisation". Des classes sas, nous dit-on, sans qu’on sache ce que ce terme recouvre. Est-ce le premier indice qu’on reconnaît enfin que le collège unique ne convient pas à tout le monde, qu’il est inadapté pour certains élèves qu’il contribue à marginaliser ? Car, enfin, ce n’est pas un hasard si la violence scolaire affecte surtout les collèges, période de la scolarisation obligatoire et uniforme, et beaucoup moins les lycées dont la scolarisation est beaucoup plus diversifiée. Va-t-on enfin abandonner cette ânerie de collège unique qui n’est sans doute pas la cause principale du mal, mais qui a contribué à l’aggraver ? Si on est très optimiste, on peut dire qu’il y a de légers indices d’une évolution dans ce sens. En revanche, quant à la nécessaire contrainte qu’imposent toute action éducative et tout maintien de l’ordre, contrainte qui peut viser les familles tout autant que les élèves, je crains qu’on préfère continuer à s’aveugler. En arrivant aux affaires, l’actuelle majorité avait cédé à la démagogie en rejetant sans examen une proposition d’un député P.R. (M. Pierre Cardo) qui proposait de priver de leurs allocations familiales les parents qui laissent leurs enfants troubler la vie de la cité. Mal lui en prit, cette disposition pouvait être efficace. Aujourd’hui le Garde des sceaux désapprouve un haut magistrat qui affirme qu’il faut emprisonner les mineurs récidivistes. Ce sont là des signaux alarmants. En principe on admet que la sanction puisse être nécessaire. Mais toutes les fois où on aurait à l’appliquer, on la repousse. Dans ces conditions, je crains que le plan Bayrou ne soit qu’un catalogue de bonnes intentions. Maurice Boudot VIOLENCE A L’ECOLE : un mal désormais endémique La violence à l’école occupe périodiquement l’avant-scène médiatique. Il n’y eut guère, ces derniers temps, que les carnages d’Israël pour intéresser davantage les journalistes. Que l’on ne se méprenne pas : en dépit de la récente focalisation sur ces faits, les soubresauts du monde scolaire ne sont pas nouveaux. Ils déstabilisent l’institution depuis de longues années déjà... Au nez et à la barbe de pouvoirs publics jusqu’ici impuissants... Nous ne reviendrons pas inutilement sur un long descriptif de faits à propos desquels tout, ou presque, a été dit ou écrit. Que le lecteur se remémore simplement l’interminable litanie des incursions de bandes armées, les insultes diverses à l’encontre des professeurs ou des équipes de direction, les coups, les blessures, les viols et - mais oui - les assassinats perpétrés dans l’enceinte scolaire. Alertées, plusieurs équipes de journalistes sont parvenues à filmer la vie quotidienne de ces établissements dits "sensibles", où se cristallise la terreur des fameuses "zones de non-droit" et s’installe, selon l’expression d’Alain Minc, quelque "nouveau moyen âge". Le spectacle en fut édifiant. Bref, n’en jetons plus : chacun - même le ministre - sait à présent qu’il faudra bien faire quelque chose et que l’on ne saurait laisser ainsi bafouer perpétuellement la légitimité républicaine. Les constats du rapport Fotinos. Commandé par Jack Lang, alors ministre de l’éducation nationale, édité en 1995, un rapport, le rapport Fotinos, du nom de son auteur, Inspecteur Général, évaluait avec une grande précision la situation. Par-delà la rhétorique prudente qui sied à un inspecteur général, le portrait brossé ne laissait d’être éloquent. Le premier constat s’y avérait particulièrement affligeant : sur dix-huit académies étudiées seules quatre proposaient un train de mesures tendant à enrayer avec quelque chance de succès l’inexorable montée de la violence à l’école. Cinq académies ne comportaient aucun système de coordination avec la police et la justice. Neuf autres n’avaient pas estimé que la situation impliquait d’urgence la mise en place de remèdes. Tel constat frappait de stupeur. Les faits ne pouvaient être ignorés ni du ministère, ni des équipes rectorales. Aucun outil standardisé n’avait été façonné pour permettre l’élaboration d’un véritable dossier statistique. Des enquêtes académiques, dans la plus grande discrétion, avaient été organisées, leurs résultats ne furent jamais divulgués. Nul ne sait même s’ils furent exploités. On sait, aujourd’hui, que plus de 50 % des établissements scolaires sont touchés. Le rapport Fotinos poursuivait en constatant, dans ces conditions, l’extrême pauvreté des remèdes préconisés. Les Missions Académiques de Formation des Personnels de l’Éducation Nationale (MAFPEN), plus préoccupées de fumeuses théories pédagogiques que des réalités du terrain n’offraient généralement aucun secours. Une seule sur dix-huit proposait une action exemplaire, fondée sur la formation véritable des maîtres à la gestion des situations violentes ainsi qu’une formation spécifique pour les chefs d’établissement. Ailleurs, le folklore reprenait ses droits : alors que les professeurs se faisaient poignarder, les "formateurs" des missions académiques associaient, dans leurs recherches, "violence sociale et violence pédagogique", d’autres s’adonnaient... à l’analyse transactionnelle, certains préconisaient... la sophrologie et même... les jeux de rôle. Le troisième constat concernait le manque presque total de relations entre l’éducation nationale, les établissements scolaires, la police, l’institution judiciaire. Et de citer en exemple l’assassinat d’un père de famille par des élèves d’un collège de banlieue. L’enquête menée par la police le fut, à l’intérieur de l’établissement, sans concertation avec le principal ; elle aboutit au maintien des élèves soupçonnés de meurtre au sein du collège - au nom de l’obligation scolaire - jusqu’au moment où le principal, de sa propre initiative, dut leur chercher un autre établissement d’accueil. La loi du silence sévit donc à tous les échelons. Elle s’avère particulièrement anxiogène pour les professeurs, qui finissent par percevoir la situation comme résultant de leur propre incompétence... Elle concerne aussi les chefs d’établissements, auxquels la hiérarchie ne manque pas une occasion de faire savoir, implicitement ou non, que la finalité de leur action doit être l’absence d’histoire. Elle concerna longtemps les pouvoirs publics, peu désireux de se voir contraints à d’inconfortables remises en cause. Le rapport Fotinos, bien trop confidentiel, eut le mérite, avant les médias, de lever le voile sur le scandale des enseignants et des élèves, livrés sans protection, dans le silence, la honte et la complicité, aux défaillances de tout le corps social... Sanctuariser l’école ? Incontestablement, la violence a des causes sociales. Détournés, le plus souvent, des voies traditionnelles d’accès à la culture, au profit de l’audiovisuel, les élèves sont assaillis quotidiennement par une multitude d’images où la violence tient une large place (Audimat oblige...). Par ce biais, la société les invite à cultiver une esthétique de la sauvagerie qui, tout naturellement, altère leur comportement. Le déclin général de l’autorité, le recul des valeurs traditionnelles de la famille, la multiplication des familles monoparentales contribuent à la suppression de tout repère. La drogue et son cortège de déviations, l’explosion générale de la licence en matière de morale, ajoutent alors le coup de grâce. L’immigration incontrôlée contribue puissamment au phénomène. Elevés dans la religion musulmane, de nombreux jeunes immigrés ne parviennent pas à s’adapter, ou refusent, sous la pression des intégristes, de s’adapter à nos références sociales et culturelles. Prédisposés par des traditions culturelles à considérer la femme comme une personne socialement inférieure, ils multiplient les incidents avec un corps enseignant où, précisément, le taux de féminisation s’accroît régulièrement. Ces phénomènes explosent littéralement dans les banlieues, où la multiplication des facteurs que nous venons d’énoncer, crée les conditions d’une nouvelle barbarie. L’établissement scolaire, lieu de rassemblement, mais aussi symbole d’une autorité et d’une culture rejetées, cristallise alors toutes les haines... Le laxisme dont fit preuve, à l’égard du foulard islamique, l’ensemble de la société française, constitue et constituera, au surplus, un obstacle à l’intégration des jeunes maghrébines, qui était pourtant primordiale dans les processus généraux d’assimilation des populations immigrées... Face à pareille situation, François Bayrou va clamant qu’il faut refaire de l’école un "sanctuaire". Mais la violence n’a-t-elle que des causes extérieures ? Un système scolaire fondamentalement inadapté. Pour bien comprendre la situation, il importe de considérer l’évolution du système éducatif depuis la seconde guerre mondiale. Sous l’égide du plan Langevin-Wallon, l’éducation nationale a franchi peu à peu les étapes d’une massification qui devait conduire au fameux objectif des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat. Destiné à élever le niveau de connaissance de l’ensemble de la nation, ce processus a entraîné, dans son sillage, une dérive "égalitariste" sans précédent. Persuadés que, pour bénéficier de la paix scolaire, ils devaient abandonner l’éducation nationale aux syndicats de gauche majoritaires, les pouvoirs publics consentirent au "Yalta pédagogique" de la réforme Haby. Au lieu que de devenir "pour tous", le collège devint "unique". La classe hétérogène fut élevée au rang d’exigence sociale et d’impératif catégorique. Tous les paliers d’orientation furent supprimés, pratiquement jusqu’à la fin de la classe de seconde. Un seul cursus fut désormais ouvert - et imposé - à tous les élèves. Cet état de fait eut plusieurs conséquences. Il nécessita, tout d’abord, un recul presque total de la prise en compte des résultats dans les procédures d’orientation. Privés de tout pouvoir, méprisés par les technocrates et certaines organisations de parents d’élèves, les professeurs se virent imposer un véritable passage automatique de la sixième à la troisième, puis de la sixième à la terminale... L’ensemble aboutit à ne plus faire de la transmission des connaissances la finalité du système d’éducation. Il conduit aussi à l’effrayante réalité du chômage des jeunes. Cette situation, comme on peut s’en douter, ne fait qu’amplifier les inégalités. Partout, filières occultes et choix optionnels consacrent le privilège de la fortune et du savoir. Méprisés parce que réduits à l’impuissance, accusés par les uns d’être inefficaces et par les autres d’être la cause de toutes les injustices, les enseignants - et l’école en général - constituent désormais les boucs émissaires de toute la société. De ce point de vue, aux causes extérieures de la violence, il convient donc d’ajouter des causes internes, structurelles. A une situation de violence produite par la société en général, l’école oppose une réponse fondamentalement inadaptée... Comment s’étonner que la crise s’y amplifie au lieu d’y trouver solution ? Une nécessaire réforme du système éducatif. Face à la crise, force est de reconnaître que les réponses manquent de variété ainsi que de conviction. En Mars 1995, François Bayrou avait fait connaître un train de douze mesures contre la violence. Accusées par les organisations syndicales d’être des "mesurettes", celles-ci ne furent même pas toutes appliquées. Ainsi, les nominations de professeurs débutants sur les postes difficiles se poursuivent-elles, en dépit des promesses. A peine note-t-on quelques progrès dans la relation police-éducation-justice. Les propositions de modification des rythmes scolaires, qui posent bien plus de problèmes que ne veut l’avouer le pouvoir, restent à l’état de projet. Les organisations syndicales de gauche (FENFSU...) ne préconisent, elles, aucune mesure fors leur perpétuelle demande de moyens supplémentaires. Pourtant, les établissements des Zones d’Education Prioritaires (ZEP), les établissements dits "sensibles" reçoivent déjà une dotation sensiblement plus importante que les autres. On n’y constate pas pour autant, au contraire, de diminution sensible de la violence... Les mesures préconisées, lors de la table ronde du 20 février, par le premier ministre, lui-même relayé, le 20 mars, par le ministre de l’éducation, si elles relèvent, pour la plus grande part, du simple bon sens, restent trop périphériques ; elles ne s’attachent pas à la nature profonde du problème. Si les classes pour délinquants ("classes sas") constituent une piste intéressante, ni les internats, ni les militaires du contingent, ni les moyens supplémentaires pour les ZEP, ni la plus grande sévérité à l’égard des intrusions extérieures, ne réussiront, à eux seuls, à éradiquer le fléau. En vérité, c’est l’ensemble de l’éducation nationale qu’il faudrait réformer en profondeur si l’on veut apporter, à terme, une réponse adéquate à la violence et à la montée générale de l’indiscipline. "Sanctuariser" l’école ne signifie pas seulement la protéger contre les agressions extérieures, c’est aussi la protéger de ses démons intérieurs, la rendre à sa vocation originelle : transmettre la connaissance. Sanctuariser l’école, c’est rompre avec "l’ânerie sanglante du collège unique". C’est à ce prix que l’on restaurera l’autorité des professeurs, en rendant à la connaissance toute sa dignité. Il convient d’en faire une priorité nationale. Bernard Kuntz Tweet |