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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 48 - 2ème trimestre 1995
UNE LETTRE DE M. JACQUES CHIRAC UNE LETTRE DE M. JACQUES CHIRAC Nous avons posé aux candidats à la présidence de la République les questions suivantes :
Quatre d’entre eux ont répondu, MM. Balladur, Chirac, Le Pen et de Villiers, et nous avons transmis la substance de leurs réponses aux destinataires de cette Lettre : trop tard nous ont écrit certains qui les ont reçues après le premier et même après le second tour. Nous n’avions pourtant pas ménagé nos efforts pour obtenir des candidats une réponse à temps. Malheureusement, notre envoi a été bloqué par les grèves dans un centre de tri postal. Si nous choisissons de publier aujourd’hui in extenso la réponse de M. Chirac, c’est évidemment parce que c’est lui qui est sorti vainqueur des élections. C’est aussi parce que ses réponses, prudentes, mais très argumentées, ouvrent, nous semble-t-il, la porte à des changements nécessaires. Réponse au questionnaire de l’Association Enseignement et Liberté 1) L’équilibre entre l’enseignement public et l’enseignement privé L’enseignement privé est un partenaire à part entière de l’éducation nationale. Il concourt à l’enseignement dans la République, et demeure le gage de la liberté de l’enseignement, principe de valeur constitutionnelle. Mon objectif demeure de garantir un enseignement de qualité pour tous les jeunes gens, quelle que soit la nature de l’établissement dans lequel ils se trouvent, et des conditions de scolarisation convenables pour tous. A ce titre, il convient de réaffirmer notre attachement à l’équité de traitement existant entre l’enseignement privé et l’enseignement public, qui doit se traduire par des efforts comparables consacrés à chaque élève quel que soit son mode de scolarisation. Il reviendra donc au Gouvernement de veiller à ce que ce principe soit appliqué dans les faits. Je pense notamment, pour l’enseignement privé aux questions relatives aux statuts des personnels, à la mise aux normes des bâtiments scolaires, à la pleine application de la loi du 31 décembre 1984 relative à l’enseignement agricole, pour ne citer que ces exemples. 2) Le chèque scolaire Le chèque scolaire est un dispositif digne d’intérêt. Toutefois, il semble difficile d’envisager de donner, à l’heure actuelle, une place importante dans notre système de formation à cette technique de financement des établissements. En effet, notre système de formation requiert aujourd’hui une meilleure stabilisation de ses ressources, notamment pour permettre une politique d’investissement à la hauteur des besoins ressentis et pour stabiliser voire accroître ses effectifs enseignants. Il ne me semble pas souhaitable de mettre en œuvre sur une grande échelle un système qui introduirait une inconnue supplémentaire dans les ressources des établissements. En revanche, je crois qu’il est utile d’y recourir de façon complémentaire pour couvrir certains besoins en matière de formation continue, de reconversion ou d’insertion, car c’est un dispositif qui a démontré sa souplesse pour la gestion des aides directes aux personnes. Certaines expériences conduites par la Région Ile-de-France sont concluantes à cet égard. Le président de la République, qui affirmait que "les questions éducatives constitueront un des principaux enjeux du prochain septennat" et qu’"elles sont au cœur du débat sur l’avenir de notre société et à la source de toute notre politique pour l’emploi", a le dessein d’en faire l’objet d’un référendum. La demande aurait l’incontestable avantage de donner aux mesures décidées l’autorité de la sanction populaire. Elle calmerait les oppositions dictées par des choix idéologiques ou des intérêts corporatifs. Elle permettrait de contourner d’éventuels vétos d’ordre constitutionnel et, du coup, d’éviter que la crainte qu’ils inspirent ne motive une attitude trop timorée. Et, par-dessus tout, un référendum marquerait solennellement le caractère déterminant des questions éducatives. Mais pour que la méthode réussisse, encore faut-il que certaines conditions soient remplies. La question posée doit être précise Un référendum qui comporterait simplement une question sommaire et générale, à laquelle ne serait apportée qu’une réponse susceptible d’interprétations multiples, ne servirait strictement à rien. Le choix des électeurs risquerait d’être le simple reflet de leurs préférences politiques, plus que leur opinion sur la question posée. Faut-il alors demander au peuple qu’il donne son approbation à un texte issu seulement de diverses réunions dont l’ensemble constituerait des espèces d’"états généraux de l’éducation" ? Je ne le pense pas, car le poids des organisations issues de la défunte F.E.N. est tel que la voix de ces organisations syndicales ou parasyndicales risquerait d’étouffer toute proposition de réelle innovation. Les querelles n’en seraient qu’envenimées et, au mieux, ne sortirait de tels débats qu’un texte insipide sur lequel l’accord ne se ferait que dans la stricte mesure où il serait presque vide de contenu. Il reste alors, tout en donnant à la consultation des usagers toute la place qu’il est légitime de lui accorder, à demander que le Parlement se saisisse de la question, en débatte. Que ce débat soit sanctionné ou non par le vote d’un texte explicite, cela permettra d’éclairer la question et de faire apparaître les points essentiels sur lesquels l’assentiment du peuple serait ultérieurement demandé. Si on nous objecte qu’on serait ainsi conduit à soumettre à des électeurs peu compétents un texte trop long, trop complexe, trop technique, nous répondrons par les précédents du traité de Maastricht ou du projet de loi relatif à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Les textes n’étaient-ils pas au-dessus de la compétence de l’électeur moyen ? J’ajoute que le rôle de la campagne électorale est précisément de dégager les grands enjeux pour que l’électeur soit éclairé sur la portée de son choix. Je crois qu’en l’occurrence la question est par nature plus simple, plus accessible que pour d’autres questions posées par le passé. Si on en s’en tient au niveau des principes généraux, qui font communément l’objet de lois d’orientation - en excluant les problèmes techniques comme cette détermination des rythmes scolaires, serpent de mer qui préoccupe tellement les industriels du tourisme -, il est donc tout à fait concevable qu’on interroge les Français sur les questions relatives à l’enseignement. Je ne prétends aucunement que la méthode proposée pour consulter les électeurs soit la seule concevable, ni qu’elle soit la meilleure. Je n’ai aucune lumière sur ce genre de questions. J’ai simplement voulu montrer que l’idée d’un référendum sur les questions éducatives n’est pas vide de sens. Elle permettra l’expression de la volonté populaire de restaurer le système éducatif Restent à déterminer de façon plus précise les questions dont il est souhaitable qu’elles soient traitées dans le texte référendaire, et les principes dont on peut désirer qu’ils soient affirmés. Il est assez simple de répondre à cette demande. Pour l’essentiel, le système éducatif est actuellement régi par quelques textes fondamentaux : les lois d’orientation, dont les plus nocives sont l’héritage des deux septennats socialistes. Au premier rang figurent naturellement la loi Savary de 84, relative aux enseignements supérieurs, et la loi Jospin de 90 qui concerne les autres ordres d’enseignement et qui, en quelque sorte, complète de façon caricaturale la loi Haby instauratrice du collège unique. En plus, divers textes législatifs ou réglementaires, mais, pour parler comparativement, d’importance mineure. Ces lois d’orientation ont passé sans encombre l’épreuve du changement de majorité : elles n’ont été ni abrogées, ni même sérieusement révisées. C’est pourtant l’origine essentielle de nombreux maux dont souffre notre système d’enseignement. Le référendum devrait être l’occasion de porter une main irrespectueuse sur ces textes qu’on semble trop considérer comme un acquis sacré ! La loi Savary instaurait un mode de gouvernement des universités extrêmement lourd et destiné à décupler l’influence des organisations de gauche. On se souvient que le projet Devaquet, destiné à la renforcer, suscita les manifestations qui, par un enchaînement inexistant, allaient précipiter l’échec du Gouvernement de cohabitation et la réélection du président Mitterrand. Je ne pense pas qu’il serait opportun d’en revenir à la loi Devaquet, à laquelle on a pu reprocher d’être à la fois confuse et timorée. En revanche, on pourrait s’inspirer des principes généraux contenus dans le projet dont M. Foyer était le cosignataire : il visait à restaurer l’autonomie des universités, leur diversification, leur indépendance même dans la détermination de leurs conditions d’accès. Je ne dis pas que le seul retour à des principes plus sains dans le gouvernement des universités aurait des effets miraculeux, qu’il les guérirait de tous leurs maux. Mais au moins éviterait-on d’obliger les universités à se transformer en parkings pour futurs chômeurs et à recevoir dans n’importe quelle filière les titulaires de n’importe quelle forme de baccalauréat que l’inadéquation de leur formation préalable conduit à un échec inexorable. Au moins ne seraient-elles plus sans cesse submergées par un flot imprévisible d’étudiants. Tous les problèmes ne seraient pas résolus, les socialistes ayant eu l’art de multiplier les mesures nocives, mais au moins ne verrait-on plus la situation s’aggraver sans cesse. La loi Jospin a eu des effets incomparablement plus nocifs que les dispositions relatives à l’enseignement supérieur. Elle a fortement contribué à saper l’autorité des chefs d’établissement et à semer le désordre dans les lycées et collèges. Donnant des droits incongrus aux comités de délégués d’élèves dotés de moyens, elle a été utilisée comme un instrument pour politiser l’enseignement et elle a très largement nui à la sérénité indispensable au monde scolaire. A l’opposé, il serait nécessaire de restaurer l’autorité des chefs d’établissement et des enseignants - qui devraient, pour les uns et les autres, voir rétabli leur pouvoir de sanctionner effectivement les élèves - et de rappeler que tous les éducateurs sont soumis à la stricte obligation de respecter la neutralité de l’enseignement public. Dans sa volonté d’uniformisation des enseignements et de nivellement des élèves, la politique fondée sur la loi Jospin a conduit aux dispositions les plus extravagantes. Pour masquer l’absurdité des principes sur lesquels elle reposait, on a été conduit par exemple à prôner le passage automatique de classe en classe, quels que soient le niveau et les résultats des élèves, et à ôter aux enseignants la faculté d’imposer des redoublements. Ainsi chacun était-il conduit jusqu’au baccalauréat, au niveau duquel on prétendait que devait accéder 80 % d’une tranche d’âge. Mais du même coup le titre de bachelier perdait une partie de sa signification ; et on précipitait vers des enseignements universitaires auxquels ils étaient inaptes des masses de jeunes qui avaient été privés d’un autre type de formation préalable qui leur eût assuré des débouchés professionnels. Ainsi avait-on sacrifié sur l’autel de l’utopie égalitaire des générations. Le remède est naturellement dans la diversification des formations. Il ne s’agit pas de donner à tous le même enseignement, prétendument théorique, mais en fait verbeux, mais à chacun ce qui convient le mieux à sa personnalité, à ses talents, à ses goûts, de sorte qu’il puisse s’insérer dans la vie active avec le maximum de chances. Espérons que ces problèmes ne seront pas oubliés dans le texte référendaire, pas plus que ne devrait l’être la question de la formation des enseignants. Les I.U.F.M. (Instituts universitaires de formation des maîtres) créés sous M. Jospin ont pour objet d’uniformiser la formation des maîtres, alors que le niveau auquel ils doivent exercer et les compétences requises sont fort divers. Ils répondent surtout au dessein idéologique de créer un corps unique d’enseignants prévu depuis 1947 par le plan Langevin-Wallon. Dans un premier temps, la mise en place des I.U.F.M. donna des résultats d’autant plus catastrophiques que les spécialistes de prétendues "sciences de l’éducation" ont voulu y imposer leur loi. Progressivement, la situation s’est un peu améliorée, une diversification de fait des diverses formations s’étant imposée. Comme d’autres organisations nous avions demandé la suppression des I.U.F.M. dans un temps où ils étaient de création récente. Le gouvernement Balladur s’est contenté de les réformer, non sans quelques résultats. Peut-on se limiter à cette demi-mesure ? Plutôt que de conserver une structure administrative qui ne perd sa nocivité que dans la stricte mesure où elle devient une coquille vide, ne vaudrait-il pas mieux la supprimer ? C’est ce que nous persistons à penser. Les préalables On s’étonnera de ne pas voir figurer dans ce catalogue de mesures et de principes qui devrait être l’objet du texte référendaire la question de la liberté de l’enseignement. Deux raisons expliquent cette absence : d’abord la liberté de l’enseignement n’est pas tellement mise en cause au plan des principes que des mesures d’application. La mobilisation des Français en 1984 a empêché M. Savary de faire adopter en la matière le pendant des autres lois d’orientation. Il faudrait simplement réaffirmer les principes, dont celui d’équité de traitement entre l’enseignement public et l’enseignement privé en le formulant de sorte qu’il inclue comme conséquence les modifications que visait à apporter la révision de la loi Falloux. Je ne suis pas certain qu’il soit opportun dans un texte de portée générale d’entrer dans le détail de la technique de financement des divers établissements. Ensuite, cette question, à la différence des précédentes, doit avoir un statut particulier ; il est opportun d’en faire une sorte de question préjudicielle dans un texte relatif à l’enseignement. On a pu remarquer que je n’ai abordé que de façon indirecte le problème du calme qui devrait régner dans les enceintes scolaires. Chacun sait pourtant que les incidents, peut-être moins nombreux sont de plus en plus graves. Le pieux silence ou la discrétion coupable dont la plupart des grands organes de presse font montre ne peut dissimuler la gravité des faits. Il est inadmissible que des élèves aient peur d’aller en classe, à cause de la violence qu’ils subissent dans leurs écoles. Il est intolérable que beaucoup de jeunes enseignants tremblent à l’idée que leur première nomination, ou une mutation, peut les conduire à exercer dans un collège en difficulté. Il est pour le moins maladroit, sous prétexte de donner aux plus mauvais élèves les meilleurs professeurs, de demander à une agrégée de lettres classiques d’enseigner dans des classes de jeunes élèves "en difficulté", c’est-à-dire pratiquement illettrés. On gâche ses talents et on lui demande d’exercer un métier auquel elle n’est nullement préparée. A certains moments, on en vient à penser que tous les enseignants devraient avoir pratiqué le karaté pour faire face à toutes les situations ; est-ce bien raisonnable ? Je pourrais multiplier les exemples fondés sur des témoignages personnels indubitables, mais je pense que la cause est entendue. De même, il n’est pas sain qu’on encourage les principaux ou proviseurs à étouffer les informations pour laisser croire que tout va bien et que les situations de violence sont exceptionnelles. Je sais que la situation est délicate, que les violences scolaires ne sont souvent que le reflet ou le produit des affrontements qui déchirent notre société. Je sais également que le ministère de l’Education n’est pas seul concerné. A des titres divers, M. Raoult ou les ministres de l’Intérieur ou de la Justice sont également concernés. Mais il est plus que temps de réagir ; un établissement scolaire n’a pas vocation pour être un champ de bataille, et les trafiquants de drogue, grands ou petits, qui sévissent à ses abords doivent être mis hors d’état de nuire avec la dernière sévérité. J’ai voulu garder ce problème pour la fin, car il conditionne la solution de tous les autres. Il ne servira à rien de réformer l’enseignement si les écoles ne redeviennent pas les havres de paix qu’elles furent. Mais, ici, il n’est besoin d’aucun texte nouveau pour dire qu’on ne doit pas rosser ou bafouer un professeur ou racketter un camarade. Tout est affaire d’une volonté politique décidée à restaurer partout, et d’abord dans les écoles, l’ordre républicain. Il ne servirait à rien de prétendre lutter contre la barbarie hors de nos frontières si on n’était pas capable d’endiguer celle qui essaie de s’imposer dans les écoles et dont sont victimes les plus fragiles de nos concitoyens, les enfants et les adolescents. Un référendum bien conçu ne sera utile que s’il marque la volonté tenace de contribuer à la lutte contre ce qui tend à la décomposition de l’œuvre éducative. Faute d’être ainsi accompagné, il ne serait qu’un texte mort. Maurice BOUDOT Lors de sa réunion du 19 mai, le Conseil a coopté M. Jean-François Briard, avocat au Conseil d’État et la Cour de cassation. Après avoir livré à nos lecteurs la lettre de M. Chirac, nous nous devons de souligner l’inquiétant silence de M. Jospin, candidat du parti socialiste, et de M. Hue, candidat du parti communiste. Que le premier qui, après tout, avec le soutien du second, n’a été qu’à trois points de la victoire ne partage pas nos idées, nous le savions déjà ; qu’il n’apprécie pas la formulation de nos questions, nous pouvons le comprendre : qu’il n’y réponde pas est injustifiable. A un questionnaire très détaillé de la société des Agrégés - laquelle est d’ailleurs favorable à ce que l’organisation du système d’enseignement reste du ressort du Parlement, c’est-à-dire peu favorable au référendum - M. Jospin est, de loin, le candidat qui a fourni les réponses les moins satisfaisantes. M. Hue est comparativement raisonnable, modéré, moins utopique que lui. (Voir l’Agrégation avril-mai 1995, n° 354, p. 358594.) L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE ET L’ENSEIGNEMENT M. Jospin, dauphin de M. Mitterrand, lui a succédé à la tête du parti socialiste dont il fut premier secrétaire de 1981 à 1988. Dans ses fonctions, il encouragea et anima la funeste politique dont le but était, sinon d’asphyxier l’enseignement privé, du moins de le mettre en tutelle. Au début du second septennat, pendant plus de deux ans, M. Jospin eut en charge le ministère de l’Éducation. La loi qu’il fit alors adopter constitue la plus importante application du plan des communistes Langevin et Wallon qui a près de cinquante ans d’existence : collège unique sans aucune filière distincte, quels que soient les goûts et les aptitudes des élèves, interdiction des redoublements, uniformisation des corps d’enseignants et de leur formation, tout tend au nivellement. Pour M. Jospin, il ne s’agit pas de donner à chacun le meilleur enseignement adapté à son cas, mais de donner à tous le même enseignement jusqu’aux limites du possible. Cette politique absurde, génératrice de chômage et de violences dans les établissements scolaires, devait porter ses fruits avec les désordres de décembre 1990 que M. Jospin n’a pu empêcher. Que nous propose aujourd’hui le candidat, qui n’a donc rien d’un homme neuf ? Continuer cette politique qui a si mal réussi et gommer les trop timides modifications que lui ont apportées les gouvernements libéraux. Lettre N° 47 - 1er trimestre 1995
RÉUNION DU 14 NOVEMBRE 1994 Dans le numéro précédent de la Lettre, nous avons publié le texte prononcé par M. Jean Chamant, ancien ministre, vice-président du Sénat, le 14 novembre dernier, ainsi que le compte rendu de l’assemblée générale et celui de la remise des Prix d’Enseignement et Liberté. Dans le présent numéro, nous publions le texte de l’allocution prononcée par M. Antoine Humblet, ancien ministre de l’Éducation nationale de Belgique et président de l’OIDEL, sur le libre choix de l’école en Europe, ainsi que les conclusions du professeur Angelo Petroni, directeur du Centre de recherche Luigi Einaudi, sur le bon scolaire. Allocution de M. Antoine Humblet Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Je suis très honoré d’avoir l’occasion de vous dire quelques mots en cette fin de manifestation. C’est en ma qualité de Président de l’Organisation internationale pour la défense et la liberté d’enseignement que je suis votre invité. Aussi, je vous dis deux mots sur l’OIDEL. Notre organisation est une organisation non-gouvernementale, une ONG comme on dit, agréée par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, dont l’objectif fondamental est, par toutes sortes de moyens - études, congrès, publications, réflexions -, de populariser, de répandre l’idée, de faire connaître les fondements de droit international sur lesquels est fondée la liberté d’organiser l’enseignement. Il ne faut pas confondre : nous ne sommes pas une association de défense de l’enseignement libre qui, en Belgique comme en France, se limite souvent à l’enseignement catholique. Toutefois, cet enseignement est la concrétisation du droit qui existe dans certains pays d’organiser librement l’enseignement et de choisir librement son école. Ce que nous voulons, c’est influencer l’opinion publique, parce que si on n’influence pas l’opinion publique, on n’influence pas les gouvernements dans les pays démocratiques. Influencer et informer l’opinion publique pour lui faire prendre conscience du fait que le droit à l’éducation suppose, postule absolument le droit à la liberté pour la société civile, pour chacun, d’organiser l’enseignement, et le droit corrélatif, pour les parents et pour les jeunes gens lorsqu’ils ont la capacité personnelle de choisir, de choisir leur type d’enseignement. Tel est le but de l’OIDEL. C’est une œuvre de longue haleine. Nos arrière-petits-enfants lutteront encore pour le même objectif, mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, et nous sommes donc bien déterminés à mener ce combat. * Votre Président m’a demandé de faire le point sur la situation internationale en matière de liberté d’enseignement, sur son évolution prévisible, ainsi que sur les limites d’une libéralisation des systèmes d’enseignement - vous avez bien entendu ! - et, au même moment, on m’a demandé - et j’en suis ravi - de limiter mon intervention à dix minutes. Comme l’analyse qui m’est demandée nécessiterait un bon week-end de réflexion et de colloque, je vais me limiter à vous proposer deux ou trois pistes de réflexion. L’essentiel, quand on s’adresse à un public comme vous, ce n’est pas de lui dire beaucoup de choses. Parce que si vous lui en dites trop, au fur et à mesure que vous avancez dans votre exposé, il oublie ce que vous avez dit au début et enfin, dans certains cas, ne vous écoute plus, ce qui est encore plus grave. Il finit peut-être par ne rien retirer de votre intervention et le temps est tout à fait perdu pour l’orateur et pour vous. Alors, je crois qu’il est préférable de soumettre deux ou trois idées à votre réflexion pour les heures et les jours qui viennent, puisque vous êtes des personnalités motivées. Vous êtes ici librement, membres de cette magnifique association, parce que vous voulez faire quelque chose, vous voulez influencer, vous voulez peser sur l’évolution. Ma première réflexion concerne la réalisation de l’égalité financière entre l’enseignement organisé par les pouvoirs publics et celui organisé par l’initiative privée, par la société civile. En effet, sans égalité financière, il n’y a pas de réelle liberté de choix. Affirmer dans des textes légaux que la liberté d’enseignement est garantie, mais maintenir un système dans lequel les parents qui choisissent l’enseignement libre sont pénalisés financièrement, c’est une hypocrisie, c’est un mensonge. Aussi, notre premier objectif est d’obtenir des gouvernements que soit assurée l’égalité financière entre l’enseignement organisé par les pouvoirs publics et l’enseignement organisé par l’initiative privée. Effectivement, dans beaucoup de pays d’Europe, la situation évolue favorablement. D’année en année, il y a des progrès et j’ai le privilège d’être le citoyen d’un pays où l’égalité financière est pratiquement totale. Donc, le libre choix sur le plan financier est pratiquement assuré. Nous n’avons pas le chèque scolaire, je pense qu’on devra un jour y arriver. Le chèque scolaire est une indemnité accordée à chaque enfant, selon son âge, en vue de couvrir le coût de l’école. Les parents remettent ce montant au pouvoir organisateur de l’école dans laquelle ils inscrivent leurs enfants. Et ce pouvoir organisateur assume la responsabilité financière de l’école. Dans le courant de l’année prochaine, l’OIDEL compte organiser à Paris un colloque sur le chèque scolaire, qui est déjà en application dans certains pays. Il faudra bien définir la nature de ce bon scolaire et évaluer les obstacles qui s’opposeraient à sa mise en application. Il faut observer que la réalisation de l’égalité financière ne résout pas tout. Dans mon pays, l’égalité financière entre les différents réseaux d’enseignement - Etat, Collectivités locales et privé - est pratiquement acquise depuis une vingtaine d’années. Malgré cela, depuis de nombreuses années l’enseignement est en crise : les parents ne sont pas satisfaits, les enseignants sont mécontents et, pendant toute la semaine dernière, les étudiants de la Communauté française de Belgique étaient dans les rues, bloquaient une réunion gouvernementale pendant quatorze heures. L’égalité financière est une condition nécessaire à la concrétisation de la liberté d’enseignement, mais elle n’est pas suffisante. Il faut même attirer l’attention sur le fait qu’elle peut entraîner une démobilisation des parents. Quand les parents membres d’une association comme la vôtre luttent pour obtenir l’égalité financière - et ils doivent le faire - ils se trouvent mobilisés : l’école est leur affaire. En effet, pour la survie de l’école de leur choix, ils s’imposent des sacrifices financiers. Mais quand la charge financière est entièrement supportée par l’Etat - nous en faisons l’expérience en Belgique - un grand nombre de parents sont moins motivés. L’école est affaire de l’Etat : les parents deviennent des consommateurs, alors qu’ils doivent être des acteurs. En ce qui concerne l’obtention de l’égalité financière, l’obstacle le plus important est d’ordre budgétaire. Il reste idéologique lorsque le combat se livre en faveur d’une école engagée philosophiquement et religieusement par opposition à l’école publique laïque et neutre. C’est la raison pour laquelle les parents doivent essentiellement exiger l’égalité financière entre toute école d’initiative privée (peu importe sa base idéologique) et l’école publique. Dès que le problème ne se pose plus sur le plan idéologique, mais sur le plan de l’égalité entre tous les citoyens, les politiciens doivent y être favorables parce que assurer l’égalité est populaire. La preuve en a été faite en Belgique : c’est la mobilisation des parents de toute opinion, sous l’appellation : "Rassemblement pour les libertés démocratiques" qui a renversé un gouvernement laïc à majorité socialiste, a provoqué des élections anticipées et a mené au pouvoir un gouvernement démocrate chrétien. A ce moment-là, l’ensemble des partis a conclu un pacte dit "pacte scolaire" qui a valeur constitutionnelle. Le combat doit donc se mener en faveur de la liberté d’enseignement et du libre choix, non pas en faveur de l’école catholique comme telle et non pas contre l’enseignement laïc comme tel. Comme je le disais il y a un instant, à partir de là, l’obstacle est budgétaire. Or, il apparaît que, vu sa lourdeur et sa centralisation, l’enseignement public coûte plus cher que l’enseignement organisé par l’initiative privée. En Belgique, l’enseignement national catholique accueille 50 % de la population scolaire et sa charge ne représente que 42 % du budget, c’est-à-dire qu’un élève de l’enseignement libre coûte 60 F au contribuable quand un élève de l’enseignement public coûte 100 F ! L’aspect budgétaire devient un argument favorable à la privatisation. L’obstacle principal demeure les grandes fédérations d’enseignants. * Ma seconde réflexion procède de la précédente : si l’égalité financière n’apporte pas la solution, il faut rechercher celle-ci d’une autre manière. Votre Président y a fait allusion dans son discours au début de cette séance : ce dont nous avons besoin, c’est d’une réforme profonde, d’une transformation des structures. Le slogan de l’OIDEL est : "Nous cherchons créateurs d’écoles". Si l’école ne devient pas une œuvre assumée par des associations animées par les parents et les grands-parents - les grands-parents ont généralement plus d’expérience, de moyens et de temps - et par les enseignants, elle ne sortira pas de la crise. Je viens de citer les enseignants. Leur rôle est capital et leur collaboration active essentielle. L’enseignement est un type d’activité qui postule la cogestion. Les enseignants doivent faire partie intégrante du pouvoir organisateur. En Belgique, la dénomination "pouvoir organisateur" désigne ceux qui assument la responsabilité d’une école ou d’un ensemble d’établissements scolaires : l’Etat est un pouvoir organisateur, comme les départements (chez nous, les provinces) et les communes, comme l’Episcopat catholique, comme certains parents regroupés en associations, type loi 1901 chez vous. Le pouvoir organisateur doit être composé de parents, de grands-parents, voire d’étudiants majeurs et, surtout, d’enseignants motivés. Dans cette structure, l’enseignant n’est plus le fonctionnaire qu’il est devenu dans le type étatique. J’ai la plus grande considération pour les fonctionnaires : mais le statut de fonctionnaire est un statut qui ne peut convenir à la vocation pédagogique. Enseigner et éduquer est une mission qui postule énormément d’engagement personnel et individuel. C’est un métier qui doit rester une vocation. C’est une fonction qui doit trouver sa consécration, à la fois dans la considération des parents et de la société et dans une reconnaissance matérielle et financière. L’enseignant doit bénéficier d’une rémunération au moins égale à celle d’un cadre d’une entreprise industrielle ou financière. Ces institutions d’enseignement seraient comparables à des P.M.E. dans lesquelles chacun est honoré selon ses mérites, en dehors de tout carcan statutaire. Les pouvoirs publics ne sont pas exclus du système, ni les églises, mais les situations de monopole n’existeraient plus. Il faut convaincre le monde enseignant que là se trouve la solution à la crise de l’enseignement. Et enfin, troisième piste : le bac pour tout le monde ! Certains d’entre vous ont peut-être entendu à la radio française, - je l’écoute en voiture - un académicien, qui doit pratiquer un langage qui n’est pas celui qu’il a employé en l’occurrence, mais que je vous rappelle, dire : Monsieur le Président - s’adressant au Président de la République - je vous admire, mais je vous dis, le bac pour tous c’est une connerie ! C’est un académicien français qui a dit cela à la radio, je l’ai entendu sur France Culture. J’ai applaudi, mais pourquoi les politiciens veulent-ils donner le bac à tout le monde ? Parce que les parents le veulent. Ne pas maintenir l’obligation scolaire jusqu’à dix-huit ans et au-delà, ne pas offrir à chacun comme signe de la réussite le fait d’être bachelier, quelle que soit sa vocation individuelle, ce n’est pas accepté par les parents. Et pourquoi ? Parce qu’on n’a plus d’estime pour les fonctions dans la société qui ne sont pas de nature intellectuelle ou académique. Et je comprends fort bien qu’un contremaître de la SNCF qui envie son ingénieur n’ait qu’un vœu, c’est que son fils devienne ingénieur. Le papa peut-être était à même de l’être et les circonstances sociologiques du moment ne le lui ont pas permis. Et il le voudrait pour son fils, mais il se trouve que son fils n’a pas cette vocation, qu’il serait peut-être un excellent conducteur de locomotive et que, dans ce métier, il serait utile et heureux. Alors ce sont les parents, mesdames et messieurs, qu’il faut convaincre. C’est une révolution culturelle. Nous devons revoir nos critères d’appréciation des valeurs dans une vie d’homme : c’est saint Augustin qui souligne que les valeurs du cœur dépassent celles de l’intelligence. Avoir des enfants généreux, travailleurs, doués de bon sens et de jugement, c’est aussi riche, voire davantage, que d’avoir des fils et des filles postgradués ! Et ce dont nous devons témoigner pour que la génération suivante y croie et le veuille, ce dont l’homme peut être fier, ce n’est pas de la fonction qu’il occupe mais de l’excellence avec laquelle il l’assume. Conclusions de M. Angelo Petroni Après avoir repris l’analyse que nous avons publiée dans notre numéro 44, le professeur Petroni a décrit l’évolution des forces en présence et de l’opinion publique envers le bon scolaire et ce que pourraient être les étapes de sa mise en œuvre. Au mois de juin, quatre intellectuels libéraux, Dario Antiseri, Lorenzo Infantino, Antonio Martino et moi-même, avons publié un volume sur le bon scolaire qui - ce qui est très intéressant - a reçu des appréciations tout à fait inusuelles de la part de la haute hiérarchie catholique. Il est bien possible que celle-ci se soit persuadée que l’idée d’obtenir des subventions importantes pour l’école catholique risque de ne jamais se réaliser. Pour ma part, j’ai toujours rappelé que l’église catholique est sans aucun doute, historiquement et dans le présent, le plus efficace producteur d’instruction dans le monde. Qu’aurait-elle donc à craindre de la concurrence ? Absolument rien. Nous avons engagé un certain nombre d’experts qui travaillent sur les données de coûts de l’instruction, de la maternelle à l’université, province par province. Cela va nous permettre de réaliser des projets détaillés de bon scolaire parce que, bien sûr, c’est plus facile d’introduire un bon scolaire dans les lycées classiques, ce qu’on appelle en Italie latin grec, où il y a moins d’étudiants, et dans les régions les plus prospères de l’Italie. On veut voir quels sont les effets, la réaction au bon scolaire, en fonction de la disponibilité locale d’enseignants - en Italie beaucoup d’enseignants dans le Nord viennent du Sud. On doit étudier l’introduction par rapport aux situations concrètes locales. On peut dire, dès à présent, que les chiffres sont absolument impressionnants. Les coûts par élève sont très hauts, surtout si l’on tient compte de la qualité de l’enseignement qui est donné. On pourrait fermer toutes nos écoles primaires ou maternelles et envoyer tous nos élèves dans les meilleures écoles suisses privées, et l’Etat pourrait faire des économies. Je ne parle pas de l’université. J’ai enseigné, j’enseigne encore à l’université de Calabre. Il y a eu une année où le département de chimie a dépensé 25 milliards de lires, ce qui fait 18 millions de dollars, et a eu cinq licenciés. Un projet de réalisation du bon scolaire qui pourrait avoir de plus fortes chances d’être réalisé, je le souligne parce que c’est une chose assez intéressante peut-être pour la France aussi, est de donner un crédit d’impôt aux familles qui choisissent l’enseignement privé. D’un point de vue économique, le résultat est le même ! Mais il est possible que cette manière suscite moins d’opposition. C’est ce qui est arrivé en Italie où même la gauche qui continue à être contre le bon scolaire est en faveur d’un crédit d’impôt. Il faut vendre nos idées. S’il y a une majorité pour le crédit d’impôt, c’est magnifique ; je renonce au bon scolaire puisque c’est la même chose. Il ne faut pas se cacher qu’il y a un préjugé énorme en faveur du statu quo, bien sûr, mais cela ne signifie pas que la bataille soit perdue d’avance. Souvent nous avons tendance à penser que quand le statu quo est fort, il ne sera jamais changé. Qui aurait dit il y a quinze ans que les idées libérales de privatisation et de déréglementation auraient fini par être appliquées dans le monde, même par les gouvernements socialistes. Personne ne l’aurait dit, et cela s’est produit. C’est la force même des choses qui a obligé l’Etat à se priver d’une partie fondamentale de ses instruments économiques, et donc de son pouvoir. C’est bien la même chose qui pourrait arriver dans le secteur de l’instruction, dont l’inefficacité est devenue l’une des toutes premières causes du déclin compétitif des pays européens. Ce ne sont pas les plans de M. Delors qui vont nous redonner une bonne éducation en Europe, avec plus d’étatisation au lieu de plus de liberté. Voilà donc les défis que le petit groupe de libéraux que nous sommes en Italie essaie de poser aux idéologies étatistes sur le plan des principes et sur le plan des propositions concrètes. Mais pour gagner ce pari, il est essentiel que ce que nous faisons dans notre pays ne reste pas isolé. Aussi, je me réjouis qu’une organisation importante telle qu’Enseignement et Liberté ait voulu montrer son intérêt pour notre modeste travail, et j’espère que nous aurons l’occasion de collaborer dans les années prochaines. Personne ne déplore de voir la campagne pour l’élection présidentielle submergée par les débats relatifs à l’avenir du système scolaire ! Dans les grands moyens de communication, et aussi vraisemblablement dans l’opinion publique, c’est le silence sur cette question. Certes, à moins d’être de simples marionnettes médiatiques, tous les candidats avaient prévu de lui consacrer un chapitre de leur programme. N’oublions pas que, parmi eux, on compte M. Jospin qui est l’un des ministres qui aura laissé la trace la plus durable (et la plus nocive) à l’Education Nationale. Quant à M. Jean-François Hory, s’il maintient sa candidature, il pourra toujours reprendre les propos qu’il publiait dans Le Monde (en juillet 1993) contre la révision de la loi Falloux et dire que "la République est déjà assez bonne fille en tolérant l’obscurantisme pour qu’on ne lui demande pas en outre de le financer." Il est, bien entendu, d’autres candidats au programme plus attractif que ceux que nous venons d’évoquer. Mais, force est de constater que, selon un mot désormais célèbre, ils ne rencontrent pas d’écho. Pour ne pas être accusé de débiter un catalogue de promesses, chacun doit mettre sous le boisseau les mesures qu’il préconise. Mais, à qui la faute ! Lorsqu’un institut de sondages, tenu pour sérieux, interroge les Français sur leurs vœux, semaine après semaine, on constate que sur les problèmes les plus divers (plus ou moins de fonctionnaires, d’immigrés, d’impôts, de protection sociale, etc.) une majorité se prononce pour laisser les choses en l’état, encore que chacun pense que cela ne peut durer longtemps ainsi ! Réaction de vieux peuple, désabusé par deux septennats de mensonges, qui pense que, vraiment, il n’est plus temps de planter à cet âge. Allez parler d’éducation dans ces conditions. Les intéressés eux-mêmes ne souhaitent aucunement voir les choses bouger ; aussi minime qu’elle soit, la moindre perspective de réforme soulève un tollé. Ainsi, depuis quelques mois, a-t-on vu les étudiants des I.U.T. (évidemment encouragés par les médias) descendre dans la rue parce qu’ils estimaient qu’une circulaire, à vrai dire assez malencontreuse, mettait en cause leur droit à poursuivre leurs études. Sur-le-champ, personne n’a posé le problème de savoir s’il fallait ou non diversifier les formations de l’enseignement supérieur en longues et courtes ; l’accès aux filières longues était tenu pour un droit de tous. On a dû retirer la circulaire pour que les choses s’apaisassent. Quant à la seconde affaire, elle dépasse l’entendement : pour la première fois, dans l’histoire des sociétés modernes, un "grimoire technocratique" - car je ne peux désigner autrement la chose, malgré un souci de ne pas être discourtois à l’égard de M. Daniel Laurent - sorti on ne sait comment des bureaux officiels aura suscité une révolution : un rapport sur diverses mesures souhaitables, essentiellement relatives à l’aide sociale aux étudiants, fut brûlé (ou presque) en place publique. Et M. Balladur dut jurer - ce qu’il fit naturellement - que le rapport ne serait pas appliqué. Je ne sais toujours pas si cela signifie qu’il ne le serait pas dans sa totalité, ou qu’aucune des mesures prévues ne le serait... Personne ne s’étonnera si les candidats se tiennent prudemment à distance : le champ de la bataille scolaire est un méchant terrain d’affrontement. De là, la petitesse des décisions prises par l’actuel gouvernement : lorsqu’on annonce un plan contre la violence à l’école, nous apprenons simplement qu’on demandera à des professeurs "expérimentés" et volontaires d’enseigner dans les zones sensibles et qu’on multipliera les cours d’instruction civique. Mais, ou bien on chasse du système scolaire les élèves indomptables, quitte à restaurer pour eux les maisons de correction, ou bien on en est réduit à ces placebos ! Effrayés parce que les changements qui leur avaient été promis ont échoué, les Français souhaitent peut-être le statu quo. Ils ne l’auront pas. Le gouffre budgétaire constitué par le secteur public, aux besoins sans cesse multipliés, ne peut longtemps perdurer. Ce puissant aspirateur des forces vives de la jeunesse que constitue un enseignement universitaire ouvert à tous, même à ceux qui s’épanouiraient bien mieux ailleurs, ne fonctionnera pas indéfiniment. Maurice Boudot. Rapport sur l’état de la liberté d’enseignement dans le monde L’OIDEL vient de publier un rapport sur la liberté d’enseignement dans le monde. Près de soixante pays ont été examinés sous l’angle de la liberté d’enseignement telle qu’elle est définie dans l’article 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce rapport de 144 pages peut être commandé à Enseignement et Liberté, 141, rue de Rennes (75006) au prix de 72 F franco réglable par chèque à l’ordre d’Enseignement et Liberté ou par virement à son compte 03253 A 1025 à la Banque de Baecque Beau. Les ouvrages primés le 14 novembre dernier peuvent être commandés de la même façon :
Lettre N° 46 - 4ème trimestre 1994
RÉUNION DU 14 NOVEMBRE 1994 Comme en 1990 et en 1992, la remise des prix et l’assemblée générale se sont tenues au Palais du Luxembourg le 14 novembre. Nous donnons dans ce numéro, l’allocution de M. Jean Chamant, ancien ministre, vice-président du Sénat, le rapport moral du président, le rapport financier, leur discussion et les résolutions votées en assemblée générale ainsi que les interventions de M. Jean Cazeneuve, président du jury et les réponses des lauréats. Dans le prochain numéro, nous publierons le texte de l’exposé de M. Antoine Humblet, ancien ministre de l’éducation de Belgique et président de l’OIDEL sur le libre choix de l’école en Europe et du professeur Angelo Petroni sur le bon scolaire. M. le Président, Mesdames et Messieurs, c’est la seconde fois que j’ai le plaisir et l’honneur de venir assister à l’Assemblée générale d’Enseignement et Liberté. J’avais été il y a deux ans, comme je le suis d’ailleurs cette année, très impressionné par le nombre de personnes qui se trouvent réunies dans cette salle Clemenceau, et par leur qualité, je dirai même leur densité. Je suis heureux de saluer parmi vous le Président Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, qui préside le Jury et qui aura mission tout à l’heure de remettre les prix qui seront décernés, ainsi que le Professeur Petroni, que nous allons entendre dans un instant, et vous tous, Mesdames et Messieurs. Un hasard, malheureux pour moi, fait que, contrairement à ce qui était prévu quand nous avons arrêté la date du lundi 14 novembre, le Sénat siège aujourd’hui. Et il siège pour discuter d’un projet de loi relevant de la Commission des lois dont je suis moi-même membre. Cette difficulté non prévisible à l’époque ne m’empêche pas de me trouver au milieu de vous en cette fin de journée. Au vu des événements qui se déroulent ici et là, il n’est pas interdit de penser que le combat que nous avons à mener en faveur de la liberté de l’enseignement est un combat permanent. Elle a été conquise, sans aucun doute, bien sûr, encore qu’il y aurait sur certains points beaucoup de choses à redire et sans doute la nécessité de légiférer à nouveau. Mais dans l’ensemble, et depuis plus de trente ans, le principe du libre choix des parents pour ce qui concerne l’enseignement de leurs enfants a été inscrit dans notre législation. On sait à travers des expériences que nous avons vécues, notamment pendant la décennie 80, combien à tout instant cette liberté si chèrement conquise peut être remise en cause. Et, par conséquent, nous avons un devoir de vigilance à exercer à cet égard, car on n’est jamais à l’abri de mauvaises surprises. Une association telle que la vôtre, je devrais dire telle que la nôtre, puisque, comme le Président Boudot vous le disait à l’instant, je suis l’un de ses membres, je crois qu’une association telle que la nôtre a une mission à remplir, qui est d’abord une mission de sauvegarde de ce qui a été acquis. Mais aussi une mission de vigilance et de surveillance, eu égard à tous les événements contraires qui pourraient survenir. C’est pourquoi, il n’est pas indifférent qu’Enseignement et Liberté puisse mettre en valeur des hommes et des femmes qui se sont particulièrement distingués dans leurs disciplines respectives et se voient récompensés par notre association. Il y a là matière à susciter un intérêt certain autour de l’action menée par Enseignement et Liberté et par conséquent, on ne peut qu’approuver ce qui a été fait jusqu’à présent. Par ailleurs, il est toujours utile, intéressant, de se concerter les uns et les autres, et d’entendre des voix différentes de la nôtre, telles que celles qui vont s’exprimer dans un instant pour connaître ce qui, dans des pays voisins, se passe sur le plan même des idées que nous avons à défendre. Il y a des expériences naturellement différentes selon le pays auquel on appartient. Il est utile, en effet, d’enrichir nous-mêmes notre propre expérience et, à la lumière de ce qui se déroule à l’extérieur, savoir quelles conclusions nous sommes capables d’en tirer pour la conduite de nos propres actions. Voilà, M. le Président, les quelques mots que je souhaitais vous dire. Je suis heureux que les circonstances aient fait que le Sénat à nouveau cette année nous ouvre ses portes comme il l’avait fait il y a deux ans. Je voudrais dire au Président Maurice Boudot en terminant combien j’apprécie le courage qu’il manifeste dans cette affaire et combien son initiative, qui a consisté à créer de toutes pièces l’Association Enseignement et Liberté, est l’une de ces initiatives qui méritent d’être soutenues et fortifiées. C’est bien parce que lui-même, dans des circonstances très difficiles, a su prendre les initiatives qui s’imposaient, qu’aujourd’hui Enseignement et Liberté existe, et encore une fois, accomplit dans le domaine très particulier qui est le nôtre, une action utile qui mérite tous les encouragements. Je vous remercie, M. le Président, de m’avoir donné l’occasion de dire quelques mots. Comme si cela constituait déjà une tradition, pour la troisième fois, nous allons tenir une assemblée générale de notre association qui sera suivie de la remise aux lauréats des prix d’Enseignement et Liberté, décernés par un jury dont M. Cazeneuve veut bien assurer la présidence, ce dont je le remercie vivement. Pour la troisième fois, c’est à nouveau au Palais du Luxembourg que se déroule cette cérémonie. Je tiens à exprimer à la Présidence du Sénat toute notre reconnaissance pour la sollicitude qu’elle nous marque et le très grand honneur qu’elle nous fait. Au moment de composer ce rapport, après avoir relu les deux précédents, je fus atterré de constater que, pour l’essentiel, j’allais être contraint de répéter ce que j’avais déjà dit deux fois ici-même (et bien souvent rappelé dans la lettre d’Enseignement et Liberté). C’est que la situation générale a très peu évolué et qu’en conséquence ni nos objectifs, ni nos modes d’action ne peuvent donner lieu à d’authentiques innovations. Le monde change rapidement, souvent de façon imprévisible, et pourtant, depuis dix ans la situation n’évolue nullement en ce qui concerne la liberté de l’enseignement dans notre pays. Je ne dirai pas qu’il y a stabilité, mais stagnation, aussi bien dans les institutions que dans les problématiques. Les quelques différences qu’on peut noter depuis 1990 sont loin d’être toutes à l’avantage des défenseurs de la liberté de l’enseignement. Certes, le changement de majorité politique a vraisemblablement éloigné pour un temps les menaces les plus graves, les plus directes et les plus immédiates qui pesaient sur la liberté de l’enseignement. Mais sur le fond, la situation n’est aucunement améliorée. Ne nous en étonnons pas. D’abord tout était mis en place pour que par le simple effet de la pesanteur des nombres, la situation générale des établissements d’enseignement aille en empirant. Personne n’est explicitement revenu sur l’objectif de conduire 80 p. 100 d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. L’objectif est encore loin d’être atteint, mais déjà se font sentir les effets déplorables de cette décision démagogique et inconsidérée. Cette année, les universités ont été proprement submergées par un flot de nouveaux bacheliers qu’elles ne pouvaient que très imparfaitement accueillir. Les difficultés consécutives à cette situation ont été décrites par le menu dans la presse ; mais on s’est beaucoup moins attardé sur les deux questions fondamentales : d’où vient ce surplus d’étudiants, et où vont-ils donc tous ces aveugles ? Une espèce de consensus s’est établi pour ne pas aborder le problème qu’aucun gouvernement n’est en mesure de résoudre : comment lutter contre la prolongation abusive de la scolarisation et contre l’uniformité de formations qui, pour une partie importante de ceux auxquels elles s’adressent, ne déboucheront que sur le chômage. Les statistiques immédiates du chômage, qu’il ne faut pas trop aggraver, l’emportent toujours sur toute autre considération pour ne rien faire. Aussi, les efforts de M. Bayrou pour diversifier les parcours de formation, éviter de précipiter tous les adolescents dans le piège d’un collège unique de M. Haby, maintenir envers et contre tous les filières de qualité, sont à la fois extrêmement méritoires et d’efficacité douteuse. Il faut toujours une dépense d’énergie disproportionnée au résultat pour venir à bout de l’inertie du système. L’institution des C.I.P. qui d’ailleurs ne relevaient pas de l’Education nationale devait nécessairement échouer au printemps. Tout se conjugue en quelque sorte pour que la jeunesse se sente agressée par toute mesure qui pourrait rendre moins assuré ce refuge que constitue pour elle le système scolaire. Le tableau que je viens de tracer concerne l’enseignement en général, et d’abord le secteur public, mais il retentit sur l’enseignement privé, qui d’une part est entraîné dans ce mouvement et, d’autre part, vu l’ampleur des problèmes qui se posent, est très naturellement tenu pour le parent pauvre, encore que privilégié. On ne s’étonnera pas de voir les mêmes problèmes exaspérants qui entravaient les règles de fonctionnement de l’enseignement public se répandre de telle sorte qu’ils se posent aujourd’hui dans les établissements privés et qu’ils finissent par envenimer les rapports de l’autorité ministérielle et de l’enseignement privé catholique. Je veux parler naturellement de la fameuse histoire des foulards islamiques qui régulièrement, depuis cinq ans, malgré d’assez longues éclipses, empoisonne les débats au sujet de l’éducation et perturbe la vie scolaire dans un certain nombre d’établissements. Tout commence à l’automne 89, lorsqu’un principal de Creil décide, en invoquant la neutralité du service public, de faire exclure quelques élèves qui s’obstinent à porter des foulards islamiques. Au lieu de soutenir cette décision courageuse, qui suscite naturellement une de ces polémiques dont la presse est friande, M. Jospin ne veut ni décider, ni légiférer. Il se décharge de ses responsabilités en quémandant un avis du Conseil d’Etat qui ne peut que lui renvoyer la balle en lui rappelant les textes en vigueur, avec toutes leurs ambiguïtés. Et c’est ainsi que depuis cinq ans, au gré des arrêts naturellement divergents des juridictions administratives, les foulards resurgissent ou disparaissent. Parce que le foulard se répandait à nouveau, parce que la signification de son port était mieux connue, M. Bayrou a jugé bon, en septembre, de publier une circulaire qui demande qu’après avoir tenté de convaincre les intéressées, si elles ne veulent pas s’incliner devant les règles communes, on les exclue de l’enseignement public. En même temps, et à très juste titre, la circulaire interdit aux chefs d’établissement toute médiatisation des situations conflictuelles. On ne saurait trop approuver le bon sens et la résolution du Ministre. Mais j’avais exprimé mon scepticisme sur l’efficacité d’une simple circulaire, qui de plus vise presque électivement le "foulard islamique". Comme l’affirmait l’ancien proviseur de Creil : "On ne pose pas le problème de la laïcité en désignant une communauté du doigt [...]. Ce qu’il faut, c’est une loi organique fixant le concept de neutralité de la laïcité." Je pense qu’effectivement on n’évitera pas le vote d’une loi, et plus tôt elle sera votée, mieux cela vaudra. L’affaire est en train de s’envenimer et de prendre une direction qui risque de mettre en cause les libertés qui résultent du caractère propre des établissements sous contrat. Au problème de savoir si la circulaire Bayrou s’applique aux établissements privés sous contrat qui dépendent de l’enseignement catholique, dans un premier temps son auteur avait répondu affirmativement : le concept de laïcité serait fondateur de l’éducation nationale, que ce soit dans sa partie publique ou dans sa partie sous contrat d’association. Il n’en a pas fallu plus pour que le Secrétaire général Max Cloupet voie dans ces propos une mise en cause du caractère propre des enseignements privés et que son successeur, Pierre Daniel, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs de la période où, président de l’UNAPEL, il essayait à tout prix de trouver une conciliation avec M. Savary et d’éviter l’épreuve de force qui devait tourner à son avantage le 24 juin 1984, lui emboîte immédiatement le pas : "la présence de jeunes élèves musulmanes éventuellement voilées n’est pas nouvelle dans nos maisons [...]. Elles ont été admises après un long entretien du directeur avec les parents [...]". Je veux bien croire que la loi Debré fasse obligation depuis 1959 aux établissements catholiques sous contrat d’accueillir les élèves indépendamment de leur appartenance confessionnelle. Mais, au moins, les parents doivent-ils accepter le projet d’établissement. Je serais curieux de savoir sur quoi porte ce "long entretien" avec les parents, qui conduit le directeur d’un établissement catholique à inscrire au nombre de ses élèves une porteuse du voile. Je comprends parfaitement que l’enseignement catholique s’inquiète du fait que la circulaire Bayrou puisse remettre en cause les libertés qui lui sont accordées. Mais encore faudrait-il que ceux qui le représentent ne fassent pas preuve de démagogie et qu’on ne détourne pas le contrat d’établissement de son sens primitif. Je doute que la tolérance ou les obligations légales le contraignent à servir de refuge aux porteuses de voile. Heureusement toutes les autorités n’ont pas réagi comme celles que nous venons de citer ni suivi Mme Veil qui aurait proposé de faire appel à des médiatrices musulmanes, comme si le simple appel à une médiation ne signifiait pas qu’on doute de son bon droit. On a pu entendre des paroles de sagesse : "personne ne peut croire que les jeunes chrétiens qui portent une croix, les jeunes juifs qui portent une kipa iront le lendemain servir d’outil à une prise de pouvoir, ou porter atteinte aux droits de l’homme ; les petites jeunes filles qui portent le voile sont probablement innocentes ; mais que signifie cette stratégie de la provocation dans les établissements ? II faut placer le débat dans le domaine politique. Si on s’est laissé piéger en laissant une question politique se déplacer sur une question symbolique d’ordre religieux, c’est la société entière qui s’est fait piéger". On ne peut qu’adhérer à ces fortes paroles du Cardinal Lustiger (lundi 31 octobre, à Europe 1). Toute l’affaire démontre simplement qu’il serait illusoire de supposer l’enseignement privé à l’abri des difficultés qui assaillent le secteur public. Avant le changement de majorité, nous avions appelé de nos vœux deux réformes. La première concernait la formation des maîtres. Nous avions insisté pour que les I.U.F.M. (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) soient supprimés. Après un assez long débat intérieur au gouvernement sans que soient portés à la connaissance du public les arguments échangés, il fut malencontreusement décidé qu’il n’en serait rien. Ainsi reste-t-on avec une encombrante relique de l’ère du socialisme triomphant. La seconde réforme, beaucoup plus importante, concernait la révision de la loi Falloux, de sorte que l’enseignement privé puisse disposer d’aides des collectivités locales afin qu’il soit mis à parité avec le secteur public. On se souvient que la discussion d’un projet de révision d’abord longtemps différé par un caprice de Président de la République, ensuite voté en catastrophe à la fin de l’année 1994 après une mémorable séance au Sénat, a été suivie d’une manifestation où la gauche ressuscitée retrouvait son unité autour d’idées désuètes et en définitive, a donné lieu à la censure du Conseil constitutionnel. Cet échec, dont nous ne devons pas nous masquer la gravité, doit nous servir de leçon. La situation actuelle est profondément bloquée, sauf à imaginer qu’on passe outre ou qu’on contourne l’obstacle que constitue l’arrêt constitutionnel. Il nous reste à chercher comment les pays voisins et comparables au nôtre essaient d’assurer le libre choix des établissements d’enseignement et de surmonter les obstacles analogues à celui que nous avons rencontré, en ce qu’ils résultent de dispositions constitutionnelles. Le cas de l’Italie, où les partisans de la liberté de l’enseignement pour échapper au carcan de la constitution pensent instaurer un système de chèque scolaire, est tellement significatif que j’ai demandé à mon collègue le Professeur Petroni de nous présenter l’état de la question dans son pays. Les travaux qui y sont conduits sont suffisamment avancés pour qu’il y ait beaucoup d’enseignement à en tirer. Comme programme d’action pour l’avenir, je demanderai qu’en plus du renouvellement dans un délai de deux ou trois ans, de l’attribution de prix et éventuellement d’une bourse pour un livre scolaire dans une matière à choisir, à l’instar de ce que nous avons fait pour la biologie, avec succès puisque le livre de M. Didier Pol vient de paraître chez Bordas, l’assemblée nous autorise à organiser une journée d’études sur le problème du financement de l’éducation, si les circonstances sont favorables à la réalisation de ce projet. Bien entendu, nous souhaitons rester membre de l’OIDEL, ce qui nous permet de bénéficier d’une précieuse information notamment sur les pays européens ; enfin nous continuons à collaborer avec les associations de province qui ont un but proche du nôtre. Est-il enfin bien nécessaire de rappeler que l’élection présidentielle sera l’occasion d’exiger des candidats qu’ils explicitent leur position au sujet de la liberté de l’enseignement. Deux exercices se sont écoulés depuis notre précédente Assemblée du 22 septembre 1992. En 1992, les recettes ont été de 824.000 francs, dont 129.000 francs de produits financiers, et les charges de 849.000 francs, dont 112.000 francs pour les prix, la bourse et la tenue de l’Assemblée générale. Le résultat de l’exercice est de moins 25.000 francs. En 1993, les recettes sont de 674.000 francs, dont 96.000 francs de produits financiers, et les charges de 687.000 francs. Le résultat de l’exercice est négatif de 13.000 francs. Sur l’ensemble des deux exercices 1992 et 1993, plus significatif à cause du rythme biennal de nos prix, nous enregistrons une perte de 40.000 francs. Ce montant est faible rapporté à nos réserves, qui s’élèvent à 1.190.000 francs au 31 décembre 1993. Ces réserves contribuent d’ailleurs d’une façon significative à l’équilibre de nos comptes par les produits financiers qu’elles génèrent. Elles donnent aussi la mesure de notre capacité à alerter l’opinion publique au cas où des menaces graves sur la liberté d’enseignement pèseraient de nouveau, comme nous l’avons fait il y a dix ans, nos réserves permettant de poster 770.000 lettres en même temps. Il n’en reste pas moins que toute notre attention doit être portée au résultat négatif enregistré sur ces deux exercices, d’autant plus que nous ne pouvons pas espérer de nos placements les rendements que nous avons obtenus ces dernières années. Du côté des charges courantes, nous nous sommes toujours efforcés de les limiter au minimum compatible avec l’existence d’un secrétariat effectif, et nous ne pouvons guère espérer de diminution sensible. Quant aux dépenses extraordinaires, comme celles d’aujourd’hui, y renoncer serait en même temps renoncer à une bonne part du rôle auquel nous prétendons. Les seules solutions viables reposent donc sur un accroissement du nombre de nos adhérents et sur une plus grande générosité de leur part. Quant au nombre, nous avons enregistré cette année 490 abonnements nouveaux souscrits par des adhérents pour le compte d’amis et des adhésions qui continuent à nous parvenir, de l’Association de Parents pour la Promotion de l’Enseignement Supérieur Libre (APPESL), en réponse à l’appel que leur a lancé M. Aubert, leur Président qui est aussi membre de notre Conseil d’administration. En ce qui concerne l’accroissement du montant moyen des cotisations, nous avons choisi de faire appel à l’occasion de cette réunion à la générosité de ceux qui peuvent faire un deuxième versement dans l’année, plutôt que de relever le montant de la cotisation de base, inchangé depuis plus de dix ans. Nous ne connaissons pas le résultat définitif de cet appel, puisque nous recevons encore des réponses, mais je peux vous indiquer qu’un tiers des adhérents à jour de leur cotisation ayant retourné un pouvoir, ont effectué un versement complémentaire. DISCUSSION En réponse aux questions qui ont été posées après la lecture du rapport moral et du rapport financier, il a été précisé qu’Enseignement et Liberté était financé exclusivement par ses adhérents, n’ayant jamais demandé la moindre subvention de façon à garder une indépendance totale. Un court débat a eu lieu à propos de la cotisation minimum de 30 F et de l’abonnement à la Lettre trimestrielle de 20 F dont les montants sont inchangés depuis 1983. Un consensus s’est manifesté pour les ajuster en fonction de la hausse des frais de gestion. Il a été rappelé que ces minima ont pour but de permettre la participation de ceux dont les ressources sont les plus modestes, les autres étant invités à verser selon leurs moyens. Enfin il a été confirmé qu’Enseignement et Liberté qui a des adhérents dans toute la France, s’efforce d’agir en liaison tant avec les organisations propres à l’école libre qu’avec celles qui poursuivent des buts semblables aux siens (on peut noter à cet égard que Mme Wettstein-Badour, lauréate 1994, est présidente de l’Union pour la liberté d’enseignement en Sarthe). VOTE DES RESOLUTIONS A la suite du débat, les résolutions proposées par le Conseil d’administration ont été votées à l’unanimité par l’assemblée. Elles portaient sur :
GRAND PRIX DE 50.000 F M. Jean Cazeneuve : Le Grand Prix de 50.000 francs est attribué à M. D’Souza pour son livre intitulé L’éducation contre les libertés, publié aux éditions Gallimard, et avec pour sous-titre Politique de la race et du sexe sur les campus américains. Le jury a donc jugé bon cette année de couronner un livre qui traite d’une situation dans un autre pays que le nôtre, parce que d’une part ce qui se passe aux Etats-Unis préfigure parfois - peut-être même assez souvent - ce qui risque d’arriver chez nous. D’autre part, ce livre montre aussi quelles sont les conséquences fâcheuses et possibles si l’on applique la notion de "politiquement correct", notion à la mode dans de nombreux milieux politiques français. M. D’Souza appuie son discours sur de nombreux exemples précis et concrets, démontrant qu’une intention charitable en faveur de minorités peut conduire à une véritable révolution culturelle, quand on essaie d’établir des quotas pour l’admission dans les universités, pour le succès aux examens, pour la nomination et même l’éviction des professeurs, pour la composition des programmes, en tenant compte de la race, du sexe et même de la préférence sexuelle. C’est ainsi que, dans de nombreuses universités américaines, les noirs, les femmes féministes et les homosexuels, masculins ou féminins, ont pour ainsi dire pris le pouvoir et exercent une sorte de tyrannie, à peine croyable. Il faut le lire pour le croire. Ils bénéficient d’une situation préférentielle, pour entrer dans les universités, pour réussir aux examens et pour imposer aussi quelquefois dans les programmes une diminution considérable des influences de la culture occidentale. C’est une sorte de racisme à l’envers, que l’on voit notamment à Berkeley où (je cite cet exemple entre bien d’autres), les membres de ces minorités raciales ou sexuelles ou homosexuelles ont vingt fois plus de chances d’être admis que les autres. Notre auteur pense qu’il faudrait revenir à un vrai libéralisme, qui soit fondé sur l’égalité des chances, en tenant compte uniquement des mérites personnels. Voilà donc un livre qui constitue pour nous un utile avertissement et qui sera pour beaucoup de lecteurs aussi une révélation. Remerciements de M. D’Souza : Mon travail c’est la défense de l’idée du libéralisme, qui est une idée occidentale. Dans le monde grec, le mot liberté concernait l’homme libre par opposition à l’esclave. L’idée de libéralisme est occidentale par ses origines, mais universelle par ses applications. Le problème c’est qu’aujourd’hui beaucoup d’ennemis du libéralisme dans le monde ont appris à utiliser le langage du libéralisme. Ils voient certaines procédures du libéralisme, telles que la liberté d’enseignement ou la liberté de parole comme un obstacle à la réalisation de leurs buts. Le mouvement du "politiquement correct" est un effort organisé pour imposer une nouvelle orthodoxie. Au nom de la diversité, ce mouvement ne fait que poursuivre le but de l’uniformité et de la conformité. Au nom de la tolérance, il veut restreindre le débat libre et honnête. Au nom de la représentativité il ne fait au contraire que donner à la race et au sexe la place qui était réservée au mérite. Je suis heureux de pouvoir m’adresser au public dans le pays qui a donné sa signification moderne au mot de liberté. Aux Etats-Unis, on entend beaucoup parler de multiculturalisme. Je crois qu’on peut avoir une société multiraciale qui soit fondée sur les principes libéraux à l’occidentale. J’ai beaucoup plus de doute qu’une société multiculturelle soit possible. On devrait se référer au précepte de saint Augustin : "dans les choses essentielles l’unité, dans les choses non essentielles la diversité et partout la charité." PRIX DE 20.000 F M. Jean Cazeneuve : Un prix de 20.000 francs est attribué au Docteur Ghislaine Wettstein-Badour, pour son livre intitulé "Lecture : La recherche médicale au secours de la pédagogie". L’auteur appuie ses dires sur l’analyse de plus de 500 cas, qui concernent des jeunes élèves ne présentant aucune anomalie et pourtant vivant un échec scolaire manifeste. Alors, on peut se demander pourquoi ces garçons et filles n’arrivent pas à véritablement lire ou écrire correctement. C’est - nous dit l’auteur et nous pouvions le deviner - parce que la méthode d’enseignement de la lecture n’est pas bonne, car c’est la méthode dite globale. Madame le Docteur Ghislaine Wettstein-Badour s’appuie aussi sur les analyses d’un Prix Nobel de Médecine, R. W. Sperry, qui démontre par une analyse scientifique des mécanismes du cerveau, que la véritable manière d’utiliser les fonctions naturelles intellectuelles, est celle qui est représentée par l’ancienne méthode, méthode traditionnelle dite méthode alphabétique - conforme à la fois au bon sens et à l’expérience. Le livre est un plaidoyer appuyé sur des analyses très scientifiques et médicales, pour montrer la supériorité de la méthode alphabétique sur les méthodes globales. Voilà un livre qui sera important et qui fera réfléchir aussi les partisans de certains changements qui n’ont pas souvent été très bien étudiées. Remerciements de Madame Wettstein-Badour : Beaucoup d’enfants en échec sont en réalité des enfants parfaitement normaux, qui devraient réussir parce qu’il n’y a pas d’explication, comme on dit très souvent, psychosociales à leur échec scolaire. La méthode globale ou semi-globale, c’est la même chose, qui est utilisée dans 99 % à peu près des cas dans les écoles françaises, est une méthode tout à fait contraire au mode de fonctionnement du cerveau, tout simplement parce que dans la méthode globale ou semi-globale, on dit que le mot est une image, alors qu’en réalité, le mot est toujours découpé par le cerveau en tronçons. Or ces tronçons, dans des langues comme la nôtre, qui sont des langues basées sur la transcription d’un son par un graphisme, sont justement les lettres et les syllabes. Je me suis aperçue que cette affirmation soulève des tollés de réprobation. Vous imaginez en effet la réaction des enseignants quand ils ont le sentiment d’avoir pendant trente ou quarante ans utilisé des pédagogies néfastes pour les enfants. Et pourtant il faut arrêter le massacre des générations d’enfants. Cela suffit d’avoir 50 % d’enfants qui entrent en sixième sans comprendre ce qu’ils lisent, alors que lorsqu’on utilise d’autres pédagogies, on arrive à les récupérer presque tous. PRIX JOURNALISTES Deux prix de 10.000 francs ont été attribués à des journalistes, qui se sont distingués dans la défense de la liberté d’enseignement. Mademoiselle Geneviève Esquier est récompensée pour ses articles publiés dans L’Homme nouveau, en 1992-1993, concernant notamment la révision de la loi Falloux et d’autres problèmes de l’école publique. L’autre prix a été décerné à Monsieur Fabrice Madouas pour les articles qu’il a publiés, également en 1992-1993, dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles, au sujet des réformes proposées par M. Bayrou, sur l’enseignement universitaire face à la crainte du chômage, le problème du collège unique et ceux de l’école libre en France. Lettre N° 45 - 3ème trimestre 1994
UNE RENTRÉE DE TRÊVE Nous avons connu des trêves plus ou moins durables dans les batailles auxquelles donnent lieu les questions scolaires, mais la coutume voulait que chaque rentrée fût le prétexte d’une agitation revendicative, l’occasion de prises de positions véhémentes. Cette année, la rentrée se déroule dans le calme comme si les querelles étaient apaisées, les problèmes les plus brûlants résolus. On ne peut que s’en féliciter, mais il n’y a pas tellement lieu de s’en étonner. Déjà le départ en vacances s’était effectué sans que soient soulevées les polémiques habituelles. Certes, les résultats de quelques jurys de baccalauréat avaient donné lieu à des protestations, d’ailleurs peut-être fondées, et créé l’occasion de reprendre l’inépuisable débat sur les défauts de l’examen-couperet et les avantages supposés du système de "contrôle continu", c’est-à-dire en fait d’une évaluation de chaque élève par ses propres professeurs. Bien entendu, il y avait eu un petit débat journalistique. Le Monde pouvait se distinguer par ses positions en flèche et l’occasion lui était donnée de reprendre son argumentation traditionnelle sur la nécessité de changer le système de notation pour le baccalauréat : "Il devra être modifié" titrait-il sentencieusement (le 11 juillet) sans qu’on sache comment interpréter ce prophétique "devra". Mais devant la ferme opposition de M. Bayrou qui réaffirmait la nécessité d’un examen national anonyme - quels que puissent être ses défauts - les criailleries cessèrent et la sagesse ministérielle l’emporta. C’était de bon augure pour la rentrée. Les circonstances sont peu favorables à une agitation : la faiblesse des syndicats qui mènent traditionnellement la danse concourt avec la prudence exigée d’eux en période pré-électorale, s’ils ne veulent pas nuire aux causes qui leur sont chères. La politique de M. Bayrou est marquée par une habile prudence, servie par un réel talent de "communicateur". Presque aucune de ses décisions ne donne lieu à diatribe. A vrai dire, le résultat est acquis au prix de l’extrême modestie des innovations, de sorte qu’on laisse un peu pourrir les problèmes générateurs des conflits les plus graves. Mais peut-être est-ce le prix à payer pour que l’école bénéficie d’un peu de paix ? UN CONTRAT PEU NOVATEUR M. Bayrou vient de faire connaître ses décisions (et ses intentions) à l’ensemble des fonctionnaires placés sous son autorité. Elles sont présentées dans une brochure largement diffusée, intitulée Le Nouveau Contrat pour l’école. Les 158 décisions annoncées (que nous désignerons par leur numéro de référence) sont, pour l’essentiel, celles dont nous avons déjà parlé. Malgré l’insistance mise sur leur nouveauté, elles n’apparaissent pas très originales. En tout cas, elles ne manifestent pas une volonté de rupture de M. Bayrou avec ses prédécesseurs sur le plan des principes. Ce sont toujours les mêmes priorités dans les objectifs : c’est "pour lutter contre l’inégalité", qu’on accorde "priorité au fondamental" (p. 5). Et cette obsession de la lutte contre les inégalités est ce qui détermine l’attention dont les ZEP (zones d’éducation prioritaire) sont l’objet. On annonce qu’on y concentrera l’action sur les maternelles (13), qu’on créera des internats dans les banlieues et en milieu rural (34). Rien d’absurde, ni de scandaleux, tout au contraire ; mais on passe un peu trop sous silence le problème du choix et de la formation des personnels destinés à exercer dans ces ZEP, et l’objectif en question avec son aspect tout à fait prioritaire, alors qu’on semble un peu négliger le sort des élèves ordinaires, finit par être exaspérant. Au chapitre des remèdes, on doit retenir un goût immodéré pour les potions institutionnelles : à tout problème un peu délicat, on répond par la création d’un comité (de préférence à fonction consultative). Par exemple, s’il faut réfléchir à la citoyenneté et préciser les attentes de la nation, "un groupe de travail sur la citoyenneté est mis en place (106)" ; ou "il est créé un haut comité de la formation professionnelle initiale destiné à rassembler divers organismes (86)" et, pour favoriser le dialogue avec les lycéens, "il est créé un Conseil national de la vie lycéenne (ajout)" etc. Je passe sur les mesures qui relèvent des fictions administratives comme lorsqu’on décide que "les ATOS (personnels non enseignants de l’éducation nationale) sont reconnus comme membres à part entière de la communauté éducative (142)". Quant à la création d’un observatoire national de la lecture pour évaluer les pratiques pédagogiques (5) et permettre d’y voir un peu plus clair sur les mérites des diverses méthodes qui s’opposent (depuis cinquante ans au moins !), c’est une initiative très louable. De même la décision d’accorder une priorité à ce qui est fondamental, en tout premier lieu la connaissance de la langue française parlée et écrite (2, 41) "surtout dans les zones d’enseignement prioritaire" en s’inspirant "notamment des méthodes d’apprentissage du français-langue étrangère" est une initiative courageuse (6) ; mais quel sens précis donner à ces mesures ? De même on ne peut qu’approuver ce qui concerne l’instauration de parcours diversifiés au collège (24, 43). Toutefois, sur ce chapitre également on en reste surtout à l’affichage des intentions et on justifie un peu trop cette diversification par "l’aide aux plus défavorisés" : ainsi M. Bayrou dit-il dans une interview au Figaro du 8 septembre (p. 12) que "le nouveau collège doit répondre en priorité aux enfants en difficulté auxquels, jusque-là, on proposait une réponse pédagogique uniforme et qui n’avaient d’autre choix lorsqu’ils avaient raté une marche que de suivre de classe en classe sans jamais combler leur retard", alors qu’il n’ignore certainement pas que les classes hétérogènes nuisent à tous les élèves, les excellents comme les pires. Si on ajoute à cela des mesures peu tapageuses (comme les études surveillées à l’école primaire) mais que leur convergence doit rendre efficaces, on a un bilan sérieux, globalement positif, qui manifeste la connaissance réelle des problèmes de l’éducation nationale qui doit être celle de M. Bayrou. La présentation met en valeur des mesures annoncées dès le printemps. Tout ce qu’on peut reprocher à cet ensemble, c’est d’abord de sacrifier à des rites terminologiques consacrés et ensuite sa timidité. On a constamment l’impression que M. Bayrou est disposé à agir, en particulier en ce qui concerne la diversification, mais comme retenu par une prudence peut-être excessive. En tout état de cause même si le bilan est assez mince dans ce domaine, il va dans le bon sens, comme on dit dans certains milieux. LE DÉNUEMENT DE L’ÉCOLE LIBRE Il n’en est pas du tout de même pour ce qui concerne la situation de l’enseignement privé qui n’est améliorée en aucune manière. Le malencontreux arrêt du Conseil constitutionnel l’a privé de ce qu’il était en droit d’espérer : l’aide des collectivités locales pour les investissements immobiliers et l’entretien des bâtiments. Bien plus, le rapport du doyen Vedel n’a mis en évidence le dénuement de l’enseignement privé qu’en concluant à partir de données qui prouvent qu’il n’est pas en mesure de remplir les exigences les plus élémentaires en matière de sécurité. Bref, de nouvelles obligations pèsent sur lui, sans aucune compensation. Ajoutons que l’arrêt constitutionnel affaiblit sa cause dans de nombreux contentieux administratifs. On peut être très bref à ce sujet : la tentative de réviser la loi Falloux s’est soldée par une déroute. Quel remède suggérer ? Revenir sur ce qu’a dit le Conseil constitutionnel est quasi inconcevable ; on ne peut songer à faire trancher l’affaire par un référendum à l’issue incertaine et à la légalité douteuse. La solution idéale consisterait à réviser de fond en comble les procédés de financement de l’éducation (par exemple, par le système du chèque-éducation), mais la mise en place de cette réforme exigerait du temps et de la réflexion. Dans l’attente, il faudra bien recourir à des aides temporaires de l’Etat (que n’interdit aucunement la décision en question) pour les travaux d’entretien, notamment en matière de sécurité. L’actuel secrétaire général de l’Enseignement catholique se plaint d’avoir obtenu des crédits très insuffisants en la matière. Il aura une triste fin de mandat, lui qui avait eu la naïveté de croire à l’innocuité du camp laïque. LAÏCITÉ ET VOILE ISLAMIQUE Depuis cinq ans, la question du port du voile islamique dans les écoles publiques laïques empoisonne régulièrement la vie scolaire. Le manque de caractère dont avait fait montre M. Jospin, qui n’avait pas voulu prendre ses responsabilités, l’avait conduit à demander au Conseil d’Etat de trancher l’affaire. De là un arrêt ambigu, dont nous avons parlé et qui doit être dans de nombreuses mémoires. Cette ambiguïté a conduit les tribunaux administratifs à prendre dans des cas particuliers des arrêts de sens opposés, mais de plus en plus favorables à l’autorisation du port du voile. Quoi qu’en prétende aujourd’hui même (le 18 septembre) M. Jospin, le phénomène se répand, et la situation serait sans nul doute très différente si, au lieu de se tourner vers la justice administrative (qui interprète la loi sans légiférer elle-même, contrairement à ce que laisse entendre M. Jospin), il avait fait prendre à la majorité qui le soutenait la responsabilité d’un texte de loi. Mais cette majorité avait des états d’âme à l’époque. Après une période de réserve sur un tel problème, M. Bayrou vient de trancher : il annonçait le 8 (dans Le Figaro) qu’il fallait persuader "que la religion est une affaire privée, qu’il n’est pas possible d’accepter que l’école soit constituée de communautés séparées". De là une conclusion encore un peu fuyante : "C’est un problème d’éducation civique, de respect d’autrui. L’école laïque est l’école de tous et nul ne doit s’y trouver choqué." Depuis, le ton s’est fait beaucoup plus énergique. Dans une interview au Point (du 10 septembre), il affirme qu’on peut accepter à l’école des signes religieux discrets, mais non "ceux qui sont si ostentatoires qu’ils séparent les jeunes entre eux" et qu’il compte parmi eux les voiles islamiques. Il donnera des consignes fermes mais demande qu’"on fasse œuvre d’éducation avant de faire œuvre de répression". Ajoutons que lorsqu’on lui demande ce qu’il fera devant les tribunaux administratifs récalcitrants, il pense saisir le Conseil d’Etat de la question : comme si sa seconde décision ne devait pas être vraisemblablement aussi ambiguë que la première ! Ce n’est qu’en tout dernier ressort qu’il songe à demander au pouvoir politique de prendre ses responsabilités par le vote d’une loi. La détermination de M. Bayrou n’est donc pas aussi pleine et entière qu’il y paraissait d’abord. Il y a certes d’excellents aspects dans sa décision, qui sont précisément ce qui a donné lieu à critique ! On s’est plaint du caractère impératif des instructions données, alors qu’on avait jadis déploré que l’autorité centrale ait renoncé à trancher et suscité ainsi l’anarchie. Il ne faut pas demander tout et le contraire de tout ! S’il est une instruction que j’approuve très fortement, c’est l’interdit de toute médiatisation des situations conflictuelles : "Pas de prise de vue. Pas de déclaration de vous-mêmes et de vos collaborateurs." Telles sont les instructions aux chefs d’établissements. Quand on constate l’impudeur avec laquelle la presse exacerbe les passions des enfants pour faire de l’image ou de la copie, on ne peut qu’approuver le ministre. Je ne pense pas que les mesures annoncées soient très efficaces, ni que M. Bayrou soit aussi résolu qu’il y paraît tout d’abord. En bref, je me rangerai à l’avis de M. Chevrière, le proviseur de Creil, aujourd’hui parlementaire, rapporté par Le Figaro du 13 septembre : "La question est mal posée. Il ne faut pas la limiter au foulard islamique, mais l’élargir à la laïcité en général, aux convictions politiques par exemple [...] On ne pose pas le problème de la laïcité en désignant une communauté du doigt [...] Ce qu’il faut c’est une loi organique fixant le concept de neutralité et de laïcité." Ajoutons qu’une telle loi qui correspond aux vœux d’une majorité massive de Français ne risque guère la censure constitutionnelle en période pré-électorale. Les temps conviennent et on ne comprend pas que M. Bayrou diffère l’appel à ce remède radical. Maurice Boudot. ÉDUCATION : LA NOUVELLE DONNE EUROPÉENNE La ratification du traité de Maastricht à la fin 1993, substituant l’Union européenne à la Communauté, a élargi son rôle dans le domaine éducatif. L’Union et ses organes sont appelés dorénavant à contribuer au "développement d’une éducation de qualité" (article 126). En mars dernier, la commission de Bruxelles a eu l’heureuse initiative de lancer une grande consultation en publiant un livre vert (document de base pour ouvrir un débat) sur l’avenir de l’éducation dans les Etats de l’Union. C’est la première fois qu’un débat d’une telle ampleur a lieu et il convient de le signaler. Les réflexions qui suivent se veulent une contribution à cet échange de vues. Il importe de tenir compte, avant tout, d’une innovation dans le cadre de la construction européenne qui peut être de taille. Le traité de l’Union est bâti sur une notion nouvelle, la subsidiarité, qui règle les rapports entre les Etats et l’Union. Cette notion, comprise dans son sens originaire, devrait permettre une grande autonomie des Etats, réservant à l’Union les tâches que ceux-ci ne pourraient développer convenablement. Mais la subsidiarité ne devrait pas se limiter aux rapports Etats/Union, elle devrait également régler les relations à l’intérieur des Etats entre les pouvoirs publics et la société civile. Nous allons ainsi vers une nouvelle conception de l’Etat, l’unique, à notre avis, pouvant faire face aux défis des sociétés actuelles. Dans ce sens, le document Une proposition pour le renouveau de l’éducation en Europe présentée lors du symposium organisé par l’OIDEL avec le soutien de la Commission des communautés européennes à la fin de l’année dernière souligne avec force : "Il faut passer d’un Etat d’assistance à un Etat subsidiaire. Dans un Etat subsidiaire, les pouvoirs publics recherchent l’intérêt général ou la justice en laissant la plus large autonomie et liberté aux personnes et aux institutions. Mais la subsidiarité ne va pas assez loin si elle signifie seulement décentralisation, elle implique un regard nouveau de l’Etat sur la société." 1 Le Livre vert affirme que "la dimension européenne de l’éducation se positionne comme un élément important contribuant à un ajustement de l’action éducative au nouvel environnement économique, social et culturel" (n. 5). Il ne faudrait pas toutefois réduire cette "nouveauté" à la signature du traité sur l’Union européenne. Les sociétés européennes ont vécu des changements en profondeur le plus souvent ignorés par les systèmes éducatifs. Même s’il faut souligner, comme le fait le Livre, que des efforts ont été déjà engagés pour améliorer l’école on ne peut oublier que les constats des carences des systèmes éducatifs se multiplient. Il convient de jeter un regard lucide et d’être disposés à initier des réformes en profondeur. Mais il ne semble pas possible de parler de la dimension européenne de l’éducation sans réfléchir à l’idée d’Europe sur laquelle nous souhaitons bâtir l’Union. Comme le réaffirme la Résolution sur la dimension européenne de l’éducation adoptée par le Conseil et les ministres de l’Education en 1988, l’objectif premier est de "renforcer chez les jeunes le sens de l’identité européenne et leur faire comprendre la valeur de la civilisation européenne et les bases sur lesquelles les peuples européens entendent fonder aujourd’hui un développement". A notre sens, l’élément central de cette identité européenne est la liberté et le pluralisme. Le penseur européen qu’était Ortega y Gasset disait avec force : "La liberté et le pluralisme sont deux choses réciproques et constituent toutes les deux l’essence permanente de l’Europe." 2 Dans le cadre de cette mission, il nous semble que la Communauté devrait aider les Etats à adapter leur législation aux instruments internationaux dans le domaine éducatif. Une attention particulière, du fait des violations flagrantes qui se produisent, doit être accordée à la liberté d’enseignement. La Résolution sur la liberté d’enseignement du Parlement européen de 1984 est demeurée lettre morte dans bon nombre de pays, notamment en ce qui concerne la parité financière entre les écoles étatiques et non-étatiques. Et pourtant le paragraphe 9 de la Résolution affirmait : "Le droit à la liberté d’enseignement implique l’obligation de rendre possible, également sur le plan financier, l’exercice pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de leur mission dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics correspondants." Une évaluation de la situation de la liberté d’enseignement dans tous les pays de la Communauté et des progrès accomplis depuis 1984 semble urgente. Le Livre vert aborde pertinemment les missions générales de l’école en insistant sur l’aspect éthique et sur le développement des attitudes et des qualités stables de la personnalité. Le manque d’éducation dans ce domaine et l’état de délabrement de l’enseignement des valeurs sont inquiétants. Comme l’OIDEL l’a exprimé devant la Conférence internationale de l’éducation en 1992 : "Il convient de se rendre compte de la difficulté technique d’enseigner l’éthique dans une société pluraliste dans le domaine des valeurs. L’enseignement étatique, et l’enseignant surtout, est soumis à une double exigence quasiment contradictoire : enseigner une éthique en respectant des convictions plurielles. Dans la réalité scolaire cela s’est traduit soit par une neutralité qui a transformé l’école en un no man’s land, soit par un pluralisme brouillon et chaotique. Dans les deux cas, l’école est incapable de générer ce sens de l’existence que les jeunes demandent. Le suicide est actuellement la deuxième cause de mortalité dans ces générations. Comment ne pas interpréter ces faits comme l’expression d’un manque de sens de l’existence ?" Une vraie éducation ne peut exister sans pluralisme scolaire. Il faut généraliser des systèmes comme ceux des Pays-Bas ou de la Belgique qui permettent un vrai choix de l’école et une formation de la personnalité dans toutes ses dimensions. Comme le souligne le document de l’OIDEL Une proposition pour le renouveau de l’éducation en Europe : "L’objectif premier est d’offrir aux jeunes des écoles "porteuses de sens" qui ne se bornent pas à transmettre un savoir technique mais où les valeurs et les questions fondamentales sont posées. L’élève a droit aussi à une formation cohérente et organisée lui permettant de se forger un esprit critique et une personnalité autonome dans un cadre libre et ouvert." 3 Pour ce faire, un changement doit s’opérer dans les relations entre l’école publique et l’école privée dans le sens de la Résolution sur la liberté d’enseignement citée auparavant. Un système performant et respectueux des libertés publiques devrait faire coexister des institutions privées créées par la société civile et un réseau d’enseignement organisé par les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux, tous également financés par l’impôt. Le Livre vert signale opportunément le besoin de respecter les différences et de veiller à ce que les systèmes éducatifs ne se transforment pas en véhicule de "simple reproduction culturelle". Le risque est grand lorsque l’école est dirigée en régime de monopole ou quasi-monopole par l’Etat. Les pourcentages des écoles étatiques sur le total montrent bien cette situation de quasi-monopole : par exemple dans l’enseignement primaire en Italie les écoles publiques représentent 91 %, en France 86,8 %, en Allemagne 98,5 % et en Grèce 97,8 %. Le progrès social requiert l’émergence d’idées nouvelles, celles-ci ne peuvent naître si le système est uniforme, s’il ne permet pas la formation de pensées indépendantes. La qualité de l’éducation évoquée aussi par le Livre vert est la préoccupation première des acteurs de l’éducation, et l’action communautaire devrait lui accorder une priorité élevée. Un consensus de plus en plus large s’établit autour d’un certain nombre d’idées. J.-C. Tedesco, le directeur du Bureau international d’éducation (UNESCO) les résumait bien lors de son intervention dans le symposium de l’OIDEL cité plus haut : "les bons résultats éducatifs se trouvent généralement associés à des facteurs de type institutionnel : existence de projet pédagogique, leadership, travail en équipe, responsabilité pour les résultats. Tous ces facteurs et possibilités se trouvent normalement associés au fonctionnement d’institutions éducatives privées. Cependant, là où le secteur public accorde ces possibilités à ses institutions les résultats sont également satisfaisants." 4 Enfin, en ce qui concerne les acteurs, le Livre vert ne tient pas suffisamment compte du rôle des parents dans l’éducation, alors qu’il y a consensus sur le besoin d’établir une collaboration étroite entre l’école et la famille. Nous pensons que le rôle de l’Association européenne des parents d’élèves doit être renforcé, et que celle-ci doit être particulièrement consultée lors de la mise en œuvre des politiques. Comme le soulignait M. V. Guillen-Preckler, vice-président de cette association, lors d’un colloque organisé par l’OIDEL : "Les Etats perçoivent souvent les parents comme des concurrents dangereux dans la formation du futur citoyen. Il me semble que si les pouvoirs publics veulent la collaboration sincère des parents, ils doivent prendre une série de dispositions : faire preuve de respect et de neutralité vis-à-vis des différentes convictions notamment les convictions minoritaires, respecter les engagements internationaux car les instruments de protection des droits de l’homme sont clairs sur ce droit, et notamment reconnaître la priorité des parents dans le choix de l’éducation de l’enfant, et enfin, aider les parents à faire un choix éclairé lorsque cela est nécessaire" 5 Alfred Fernandez 1 Une proposition pour le renouveau de l’éducation en Europe, document présenté lors du symposium de l’OIDEL. Europe unie et plurielle ; le rôle des pouvoirs publics dans l’éducation, Genève, 1993.
Lettre N° 44 - 2ème trimestre 1994
ITALIE : VERS UNE NOUVELLE POLITIQUE SCOLAIRE ITALIE : VERS UNE NOUVELLE POLITIQUE SCOLAIRE Professeur à l’université de Bologne, où il enseigne la philosophie des sciences, M. Petroni est par ailleurs directeur du Centre de recherche et de documentation "Luigi Einaudi" de Turin. Il y dirige la Biblioteca della Libertà, périodique de philosophie politique auquel collaborent les meilleurs représentants du courant libéral. La question du bon scolaire est devenue très populaire en Italie au cours des derniers mois. Elle a même été l’une des questions les plus discutées pendant la campagne électorale qui s’est terminée le 27 mars. Pour comprendre les enjeux, il faut évidemment partir de la situation présente du système éducatif italien, et des raisons de sa crise. 1. La mainmise de la puissance publique Plus de 90 % des élèves italiens fréquentent l’école publique. C’est là la donnée fondamentale de notre système. Il y a probablement très peu d’équivalents à cette situation dans l’Europe entière. Les raisons qui l’ont déterminée sont relativement simples. Au moment de l’Unité de l’Italie (1860) la grande majorité des écoles étaient gérées par l’Eglise. C’était spécialement vrai pour l’école primaire, tandis que de nombreux collèges et les universités qui n’étaient pas dans les Etats pontificaux étaient gérés par les villes. (Mais même dans les Etats pontificaux les universités étaient assez autonomes par rapport au contrôle de l’Eglise.) Spécialement dans les campagnes, la seule forme d’instruction disponible était celle donnée par les curés. Naturellement, le taux d’analphabétisme était très élevé. (En fait, il l’est resté jusqu’aux années 60 de ce siècle.) Pour des raisons bien connues, l’unification de l’Italie se fit largement contre la volonté de l’Eglise de Rome, et sans le soutien du clergé. Cela détermina une opposition presque frontale entre l’Etat et l’Eglise, dont l’instruction fut le tout premier terrain. L’un des plus urgents soucis des gouvernements de l’Italie unifiée fut justement d’ôter l’instruction des mains de l’Eglise. Il est peut-être utile de rappeler qu’une fraction très large des politiciens de l’époque étaient des francs-maçons. Il y avait donc des raisons politiques et des raisons idéologiques à la base de la décision de soustraire l’instruction au contrôle de l’Eglise. Etait prévalante l’idée qu’une réelle unification de l’Italie ne pouvait se réaliser que si l’Etat se chargeait directement de l’instruction tant des masses que des élites. C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre pourquoi Benedetto Croce, écrivant au début du XXe siècle, déclara que l’établissement d’un système d’instruction publique contrôlé par l’Etat avait été l’une des plus grandes décisions libérales de la "nuova Italia". Depuis cette époque, la tendance à l’expansion de la mainmise de la puissance publique dans l’instruction a été toujours constante, et sans aucun revers. Cette expansion a suivi deux chemins distincts, mais convergents : 1) la gestion directe des écoles (y compris les instituts d’instruction supérieure et les universités) de la part de l’Etat, qui s’est de plus en plus substitué aux villes et aux communes (et non pas seulement au clergé) dans cette tâche. Cela a induit des directives de plus en plus rigides et centralisées pour le recrutement des enseignants, y compris les professeurs d’université ; 2) l’imposition d’un curriculum national d’études à tous les niveaux, et des réglementations de plus en plus minutieuses et rigides pour l’accès aux professions. Mes amis français reconnaîtront facilement dans ce processus l’influence dominante du modèle administratif de leur pays, qui s’était imposé dès les débuts de l’Etat unitaire par la décision des hommes d’Etat provenant du Piémont. Le fascisme accéléra fortement le processus de centralisation de l’instruction à tous les niveaux. C’était naturellement conforme à la politique générale du régime. 2. La situation législative présente La fin du fascisme et la naissance de la république après la Seconde Guerre mondiale ont définitivement figé la situation. En effet l’article 33 de la constitution de 1947 établit que "les associations et les privés ont le droit de fonder des écoles et des instituts d’instruction, sans que cela comporte des dépenses de la part de l’Etat". L’inscription dans la constitution même (et non pas dans les lois ordinaires) d’un tel principe mit fin à toute idée d’un pluralisme réel dans l’instruction. En effet, l’article constitutionnel réservait de facto l’école privée à une petite minorité d’élèves : ceux qui pouvaient payer les frais de scolarité élevés demandés par les "bons" instituts privés, et ceux qui étaient admis gratuitement (ou presque) dans un nombre très restreint d’écoles gérées par l’Eglise et destinées aux enfants et adolescents provenant des couches les plus modestes de la population (cas typiques, les orphelins). De telles écoles étaient (et sont encore) d’un niveau culturel très modeste, et dans la plupart des cas concernaient l’instruction élémentaire et l’instruction professionnelle, mais non l’instruction supérieure. De surcroît, l’existence d’un curriculum national d’études imposé par le ministère fait qu’il n’y a aucune différence véritable des contenus de l’enseignement avec celui des écoles publiques (sauf l’inclination en faveur de la religion catholique, bien sûr). Il a toujours été difficile de comprendre pourquoi l’article 33 a été accepté. En fait, la constitution a été écrite quand le parti catholique était fort dans l’Assemblée constituante, et l’influence de l’Eglise en matière de politique énorme. Très probablement cet article a été le résultat direct de l’influence qui était encore exercée dans l’Assemblée par l’ancienne classe politique libérale préfasciste, qui identifiait ce qui n’était pas école d’Etat avec l’école catholique, et qui voulut éviter de donner à l’Eglise les moyens d’acquérir une position dominante dans l’instruction. Des hommes comme Luigi Einaudi ou Benedetto Croce furent parmi les partisans de l’article en question. Mais ils ne tardèrent pas à voir les conséquences que cela entraîna très rapidement, c’est-à-dire une décroissance de la qualité de l’instruction à tous les niveaux. Aussi bien Croce (qui mourut en 1952) qu’Einaudi (qui mourut en 1961) ne manquèrent pas en fait de demander que l’école publique fût soumise à une réelle concurrence de la part de l’école privée : c’était là la seule possibilité d’en arrêter le déclin. Mais, bien sûr, il était impossible d’imaginer une réelle concurrence en présence de l’article constitutionnel en question. La situation n’a guère changé depuis lors. Le nombre d’étudiants de l’école privée est resté modeste, en dépit du fait que la croissance des revenus moyens a permis à de nombreuses familles de payer l’instruction privée pour leurs enfants. A présent, les écoles non-étatiques sont presque exclusivement catholiques. Un nombre très limité d’entre elles sont d’une excellente qualité, et sont destinées aux fils des familles riches qui peuvent payer des frais de scolarité élevés. Le plus grand nombre est d’une qualité très médiocre (et moins cher). Etant soumise à des contraintes budgétaires très sévères, la qualité des enseignants est très modeste. Bien souvent il s’agit d’enseignants qui n’ont pas réussi à passer les concours pour l’enseignement public, et qui acceptent des salaires plus modestes encore. Si l’on considère le niveau moyen des enseignants dans les écoles publiques, qui est absolument déplorable, l’on comprendra facilement que les motivations qui poussent les familles à inscrire leurs enfants dans les écoles privées n’ont rien à voir avec la qualité de l’enseignement, mais tient des motivations les plus variées, et souvent les moins nobles (par exemple, que la réussite scolaire y est plus facile que dans les écoles publiques). A son tour, la situation de l’instruction publique n’a pas cessé de se détériorer, à tous les niveaux. Le nombre d’enseignants est de plus de neuf cent mille, ce qui est énorme par rapport aux autres pays. 98 % du budget du ministère de l’instruction publique est destiné au paiement des salaires : ce qui fait que le ministre n’est guère plus qu’un chef du personnel ! Il n’y a aucun système d’incitation et de punition des enseignants. Les salaires sont modestes, et sans aucune différenciation qui ne soit due à l’ancienneté de service. En dépit du nombre énorme d’enseignants, celui des étudiants (spécialement dans le secondaire) est bas par rapport aux autres pays. Le nombre des échecs scolaires est très élevé, et la qualité moyenne de ceux qui réussissent est scandaleusement médiocre, même dans les curricula fréquentés par les "meilleurs" élèves. Tout professeur d’université le constate amplement aux examens de la première année. 3. Le bon scolaire C’est dans ce contexte que la question du bon scolaire s’est posée lors de la récente campagne électorale. Le premier à lancer d’une façon approfondie l’idée du bon scolaire au début des années 80 a été Antonio Martino, un économiste de Rome, élève de Milton Friedman, et qui est aujourd’hui devenu ministre des Affaires extérieures. La proposition tomba dans le vide le plus total. Sauf quelques intellectuels libéraux, tous étaient hostiles. La gauche l’était pour des raisons idéologiques évidentes, car elle ne voulait ni une plus grande présence des écoles privées, ni une expansion de l’influence de l’école catholique. Mais les démocrates-chrétiens étaient aussi hostiles. La raison très simple est que la D.C. contrôlait depuis toujours le ministère de l’Instruction publique, et ne voulait absolument pas se priver de l’un de ses instruments de pouvoir les plus importants. Après la disparition de la D.C., le climat a complètement changé. En effet, la proposition du bon scolaire lancée par le nouveau mouvement politique Forza Italia a eu tout de suite un grand succès parmi le monde catholique, spécialement au niveau des familles. Il n’est pas exagéré d’affirmer que la proposition du bon scolaire de la part de Forza Italia a été l’un des éléments les plus importants qui ont poussé l’électorat catholique à soutenir le nouveau parti. Bien sûr, la gauche a ressorti tout son ancien argumentaire contre le bon scolaire. Mais cette fois-ci les arguments jacobins de toujours en faveur du monopole public n’ont eu aucun effet sur les gens (et d’ailleurs la presse a démontré que la plupart des politiciens et intellectuels de gauche envoient leurs fils dans des écoles privées !). La raison principale est que la détérioration de l’instruction publique est devenue évidente même aux familles modestes, qui n’ont plus aucune confiance dans la mainmise publique. Parmi les couches les plus instruites de la population un rôle important a été joué par l’exemple des très rares universités privées, dont la qualité moyenne des licenciés est très supérieure à celle des universités publiques. Martino ne passe pas pour un fervent catholique. De son point de vue, comme de celui des libéraux qui soutiennent le bon scolaire, le but n’est pas de parvenir à une situation de duopole entre école publique et école catholique, mais d’élargir la liberté de choix des familles. En effet, l’introduction du bon scolaire pourrait permettre la naissance de nombreuses écoles privées laïques, ce qui serait une nouveauté pour l’Italie. Au contraire, il y a peu de doutes que le duopole, c’est justement ce que cherche à obtenir l’Eglise. C’est bien là la raison pour laquelle les hiérarchies ecclésiastiques sont tout à fait tièdes envers le bon scolaire, et réclament tout simplement que l’Etat finance directement les écoles catholiques existantes. A présent, un tel financement serait impossible dans le cadre de la norme constitutionnelle que j’ai rappelée, tandis que l’introduction du bon scolaire pourrait à la rigueur être déclarée par la cour constitutionnelle comme acceptable, car les dépenses additionnelles pourraient être compensées par des réductions du budget de l’instruction publique. En prévision d’une révision générale de la constitution, l’article en question pourrait être facilement supprimé. Le problème est de savoir si le gouvernement actuel sera disposé à s’engager dans un projet qui va contre des intérêts constitués énormes, en tout premier lieu ceux des enseignants. La proposition que personnellement j’ai formulée est que l’on présente un plan d’introduction du bon scolaire qui soit graduel mais qui soit en même temps fondé sur des étapes préfixées suffisamment rigides. Le changement normal des générations d’enseignants pourrait faire qu’au bout de trente ans environ le système compétitif soit achevé, sans devoir recourir à des licenciements massifs, qui seraient tout à fait impossibles dans la réalité. Naturellement, il ne faut pas se cacher qu’il y a un préjugé énorme en faveur du statu quo, et que la probabilité que rien ne va changer dans notre système éducatif est grande. Mais on aura au moins eu le mérite de présenter au peuple italien une alternative à la destruction de notre système éducatif, qui est désormais irréversible avec les instruments traditionnels de la mainmise de la puissance publique. Angelo Maria Petroni Si, en matière d’éducation, le gouvernement avait eu quelque projet audacieux, il aurait été guéri de toute témérité par les deux échecs qu’il a subis depuis le début de l’année : la révision de la loi Falloux, réforme pourtant mesurée, plus symbolique que décisive, a été arrêtée par le Conseil constitutionnel et a donné l’occasion à la gauche laïque de rassembler une de ces manifestations unitaires qui constituent son élixir de longue vie. Quant à l’instauration du fameux C.I.P., tenu un peu abusivement pour relevant de la politique de l’éducation, tout le monde a en mémoire la façon malhabile et assez déshonorante dont il a été retiré sous la pression de la rue. Le Parlement vient de porter en terre le projet en abrogeant les dispositions légales qui fondaient le décret de M. Giraud. Il l’a fait dans la même apathie de l’opinion qui avait présidé à leur adoption ! Dans les deux cas, l’épisode est clos. Ni dans un cas, ni dans l’autre, la mise en œuvre du projet n’aurait amélioré la situation de façon décisive. Aussi, intrinsèquement, ces deux échecs ne portent pas à des conséquences considérables. En revanche, ils sont très funestes parce qu’ils sont révélateurs de l’impuissance du gouvernement à réformer le système éducatif. C’est ainsi qu’ils ont été perçus, et ils ont suscité une vague de défaitisme dans les sphères gouvernementales qui cherchaient des excuses à leur volonté de ne rien faire. Dans les deux cas, les fautes commises n’étaient pas vraiment graves. Dans le premier, tout dérivait de la faiblesse manifestée au départ, quand on avait accepté, sans la moindre protestation, une lecture de la constitution trop favorable au président de la République dans la distribution des pouvoirs. Bien entendu, le renvoi à la session d’octobre de la discussion sur la "loi Falloux" n’était pas pris à la légère et on donnait ainsi à la gauche le temps et le moyen de mobiliser ses troupes, ce qui lui était strictement impossible en juillet. L’affaire était donc d’importance et l’échec serait retentissant. Rétrospectivement, c’est l’un des cas où l’on peut dire que lorsqu’on ne veut pas se soumettre, il faut être prêt à se démettre. Quant au Conseil constitutionnel, il n’a fait en quelque sorte que sceller l’échec, rendre la difficulté quasi insurmontable pour qui n’a pas l’habileté et la ténacité de nos amis italiens ! Dans le second cas, tout résultait d’une invraisemblable accumulation de maladresses de présentation qui nous obligent à douter de l’existence de services ministériels chargés de la communication (à moins de supposer qu’ils aient pour principal dessein de nuire à ceux qu’ils prétendent servir !) Mais l’échec fut considérablement aggravé par l’étrange volonté de maintenir des bribes du projet initial, par le refus d’une armée gouvernementale en déroute de capituler purement et simplement, alors que chacun voyait clairement que telle serait l’issue. A guerroyer en retraite, on n’a fait que se déconsidérer et donner à l’adversaire ces gages importants pour l’avenir. Tout le monde savait que la cohabitation n’est pas propice à une rénovation du système éducatif, œuvre qui exige du temps, et reste toujours délicate en raison du pouvoir acquis par des organisations portées au corporatisme conservateur et hostiles (dans leur majorité) à l’actuel gouvernement. Personne n’attendait de miracles. Toutefois, il aurait pu y avoir d’emblée plus de changements parmi les hauts responsables de l’Education nationale dont la nomination dépend du gouvernement. Le faible mouvement esquissé pendant un temps semble actuellement arrêté. De plus, on pouvait revenir sur certaines mesures sectorielles en cours d’application. Enfin on pouvait procéder à des corrections mineures qui n’allaient pas déclencher une tempête. Tout ceci n’a été fait que très imparfaitement. Je veux bien que, faute de pouvoir l’emporter, on préfère ne rien faire et s’enfermer dans l’expédition des affaires courantes. C’est à peu près la politique conduite dans les universités. Mais au moins ne faut-il pas encourager systématiquement les procédures les plus démagogiques et présenter de façon bruyante, sous un habillage rutilant, quelques pauvres mesures qui appartiennent à l’arsenal courant de la rue de Grenelle. On vient pourtant de tomber dans l’un et l’autre de ces travers. En arrivant au ministère, M. Bayrou, qui est homme d’expérience et de bon sens, et dont on ne peut nier la ténacité, avait fixé quelques objectifs de son action. Pour qui savait lire entre les lignes, il était manifeste qu’il s’agissait d’abord de recentrer l’enseignement de l’école élémentaire sur les disciplines fondamentales, ensuite d’apporter remède à la malencontreuse instauration du collège unique, œuvre de M. Haby. Aujourd’hui, M. Balladur a cru indispensable d’illustrer les propositions de M. Bayrou qu’il juge dignes d’être retenues (150 sur 155... et personne ne semble se soucier de savoir quelles sont les cinq propositions qui ont disparu) en introduisant leur présentation lors d’une séance solennelle dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. C’est beaucoup de bruit pour rien. Ces propositions, dont M. Bayrou dit qu’elles sont présentées "indépendamment, sans commentaire, sans hiérarchie et surtout sans habillage", c’est-à-dire un simple catalogue, deviennent pompeusement un "nouveau contrat pour l’école". Elles ne contiennent pourtant rien de très neuf ou de très inattendu : soutenir que "la maîtrise de la langue française doit devenir la priorité des priorités de l’école" avait déjà été dit. Il s’agit quelquefois de mesures déjà appliquées ou en cours d’application (ainsi pour l’éducation civique, ou pour l’instauration d’enseignements de "consolidation" - jusqu’à maintenant, on disait "soutien") et quelquefois d’objectifs irréalisables : où trouvera-t-on les enseignants capables d’assurer l’initiation quotidienne à une langue vivante depuis le cours élémentaire ? Lorsqu’on sait qu’on a dû différer l’application de certaines dispositions de la réforme Lang renforçant l’enseignement des langues vivantes dans les premiers cycles universitaires faute d’enseignants qualifiés, on comprend qu’il ne peut s’agir ici que d’un objectif lointain ! Le plus intéressant, ce sont les quelques mesures qui marquent la volonté de "promouvoir la diversité", de lutter "contre le moule unique et la pédagogie uniforme", comme l’introduction d’un enseignement optionnel du latin en 5e, ou d’une seconde langue vivante en 4e. Mais ces mesures de "différenciation" sont très timides et, sans être rejetées, ce sont elles qui sont le moins bien accueillies du public. Car, et nous en venons par là à la méthode employée pour élaborer ce projet, le catalogue des mesures suit fidèlement les enseignements d’un sondage commandé à la Sofres ; de plus il a été à peu près approuvé lors d’une large consultation des principaux partenaires de l’éducation. Mais pour les sondages, on sait que des mesures peuvent être approuvées prises séparément, mais que les problèmes surgiront lorsqu’il faudra les hiérarchiser, voire choisir entre ce qui est incompatible. Quant à la large consultation, chacun sait que le consensus n’est jamais dégagé dans ce style de réunion que sur le plus petit dénominateur commun ! Qu’on ait voulu se prémunir contre les mauvaises surprises, c’est bien compréhensible. Mais il n’est pas sûr que ce soit très efficace. Avec un débat parlementaire en automne sur une vague "loi d’objectifs", que certains voudraient voir changer en loi de programmation, les fissures déjà apparues ont le temps de s’élargir. Déjà, certains renâclent à l’idée que les "filières" distinctes risquent de renaître, et avec elles la sélection ! Bien sûr, on a déjà entonné la fameuse complainte, que "ces mesures ne sont pas vraiment mauvaises, mais exigeraient beaucoup plus de moyens". Avec le débat budgétaire à l’automne, rien n’exclut donc les mauvaises surprises d’une agitation qui prendra prétexte de la mauvaise application des "promesses" de juin. Le spectacle de la pusillanimité gouvernementale ne peut qu’encourager les opposants. Cette manie de la consultation, pour dégager sa propre responsabilité, conduit le gouvernement à se mettre dans d’étranges situations. A la suite de l’affaire du C.I.P., qui n’avait duré que trop longtemps, au lieu de conclure qu’il avait mal manœuvré et qu’on avait exploité l’inquiétude des jeunes devant le chômage, le déficit de formation, M. Balladur a pensé qu’il fallait "mieux identifier les attentes de la jeunesse et encourager le dialogue des jeunes avec les adultes". Pour atteindre l’objectif, on lancera une enquête d’une ampleur sans précédent, puisqu’elle concerne les huit millions de jeunes de quinze à vingt-cinq ans ! Le questionnaire est rédigé par une commission dont on confie la présidence à Mme Alliot-Marie, ministre de la Jeunesse et des Sports, mais composée à la discrétion du Premier ministre de personnalités dont la présence est un peu déroutante : un animateur d’une émission sulfureuse sur une radio libre, une animatrice de télévision, le P.D.G. d’une compagnie d’assurance, etc. Le plus qualifié est un sociologue, l’inévitable Alain Touraine, qui figurait sur la liste "L’Europe commence à Sarajevo" ! En un mot je ne pense pas que si les électeurs de la majorité actuelle ont prêté quelque attention à cette affaire, la composition de la commission soit de nature à les satisfaire. Le questionnaire mis au point va être diffusé incessamment. Ceux qui seront retournés (dans quelle proportion ?) seront exploités par diverses agences. Coût de l’opération : 30 millions. Bien entendu, qui est au courant des techniques de sondage sait que les résultats seront dépourvus de toute garantie scientifique d’objectivité. (Ne serait-ce qu’en raison du fait que restera totalement ignoré le biais de l’échantillon constitué par les réponses obtenues). Mais soyons assuré que toute cette masse de données sera exploitée dans tous les sens pour faire passer les mesures les plus extravagantes, puisque les jeunes que "le gouvernement ne pourra plus ignorer" (selon un membre de la commission cité dans Valeurs actuelles) veulent ceci ou cela, dira-t-on ! Mais on est allé plus loin dans la démagogie : comme le questionnaire suscitait un enthousiasme très modéré, car beaucoup de destinataires pensaient qu’on ne tiendrait aucun compte de leur avis, on a plus ou moins promis qu’on ferait passer dans la réalité le maximum de ces vœux. Il est absurde de supposer qu’une mesure qui concerne les jeunes doit être prise par les jeunes eux-mêmes, de façon prioritaire ou exclusive. Il est scandaleux qu’on escamote en quelque sorte le rôle de la représentation nationale. Il y a une Assemblée, élue il n’y a guère plus d’un an, à elle et au gouvernement qu’elle contrôle de décider et non à un échantillon aux contours indécis dont les souhaits sont recueillis par des procédures qui n’offrent aucune garantie démocratique. Cette dérive est alarmante : se multiplient les exemples de cas où on demande à des enfants (ou à de jeunes adolescents) de faire pression sur les adultes en tel ou tel sens. Il y a quelque temps on rassemblait des classes entières sur le Champ de Mars pour chanter sur la Bosnie. Maintenant, c’est M. Basile Boli qui va, sous le patronage de S.O.S. Racisme, expliquer dans les écoles (de Montreuil, je crois) que nous devrions intervenir au Rwanda ! Décidément, M. Kouchner et son riz somalien ont fait école : à chaque situation internationale délicate, on essaie d’obtenir que les enfants fassent pression sur les adultes (en général dans le sens de l’intervention). C’est l’indice décisif du renoncement des adultes à assurer leur mission éducative. Et c’est ainsi que la jeunesse est livrée aux démagogues. En ce jour anniversaire, pense-t-on que le général de Gaulle avant de lancer son fameux appel l’aurait soumis à l’opinion des cours de récréation ? Maurice Boudot, le 18 Juin 1994 UNE IDEE D’AVANT-GARDE : LE CHEQUE SCOLAIRE Les arguments développés par le professeur Petroni en faveur du bon scolaire sont-ils susceptibles d’inciter le gouvernement français à aller dans ce sens ? Il est à craindre qu’il n’en soit rien, alors même que nombreux sont ceux dans l’actuelle majorité à y être favorables. C’est qu’en effet le professeur Petroni ne sera peut-être pas tenu pour une "autorité morale". Mais, par bonheur, le bon scolaire a ses partisans à gauche. Le passé communiste, qu’il ne renie pas, de M. Gilbert Trigano et l’œuvre culturelle qu’il a accomplie à la tête du Club Méditerranée rendent ses propositions respectables. Que préconise M. Trigano ? Tout simplement d’attribuer à chacun à la sortie de la classe de troisième un "héritage-scolarité-formation de 350.000 à 410.000 F" sous la forme d’un "chèque strictement réservé à l’éducation et à la formation". Ceci se combine d’ailleurs, étrangement, avec "un tronc commun intégrant la scolarité jusqu’à la sortie du collège ou son équivalent". Ces textes sont extraits de "Trigano, l’aventure du Club Med", rédigé par Alain Faujas, journaliste au Monde et publié en janvier de cette année chez Flammarion (p. 193).
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