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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 38 - 4ème trimestre 1992
ALLOCUTION DE M. CHAMANT. Monsieur Chamant, Vice-Président du Sénat, a bien voulu présider la remise des prix d’Enseignement et Liberté, le 22 septembre. A cette occasion il a prononcé l’allocution suivante. Nos lecteurs trouveront ensuite les exposés du professeur Czartoryski et de Monsieur Fernandez, présentés à la même réunion. Monsieur le Président, Laissez-moi vous dire combien je suis sensible à votre propos de bienvenue. Je suis ici par délégation, le Président Poher n’ayant pas la possibilité de venir jusqu’ici ce soir, m’a demandé de le représenter ce que je fais avec un grand plaisir que, d’ailleurs je ne cherche pas un seul instant à dissimuler car je suis depuis son origine l’un des adhérents de l’association qu’a lancée avec tant de vigueur et conduit avec tant de dynamisme, "Enseignement et Liberté" , que préside Monsieur Boudot. A ses côtés, je salue les éminentes personnalités qui nous entourent, le professeur Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, Monsieur Alfred Fernandez représentant Monsieur le ministre Antoine Humblet qui était ministre en Belgique, le professeur Paul Czartoryski de l’Académie polonaise des sciences, Monsieur le recteur Pierre Magnin et vous toutes et tous, Mesdames et Messieurs qui avez bien voulu vous déranger pour assister à la remise du Prix qui a été décerné par décision du jury constitué à partir de l’association Enseignement et Liberté. Pourquoi ai-je adhéré dès l’origine, à cette association ? Pour des raisons qui se passent de tout commentaire, bien entendu. Je suis depuis très longtemps, hélas pour mon état civil, membre du Parlement, d’abord député, maintenant sénateur, et mes convictions n’ont pas changé. Les choses sont ainsi. On peut porter un jugement critique sur cette attitude, un peu de crispation, diraient ou penseraient certains, mais les choses sont ainsi, je n’ai pas changé de conviction et je suis un de ceux qui n’ont cessé de militer en faveur de l’application dans les faits et dans les lois de la vraie liberté de l’enseignement. Nous avons gagné beaucoup de batailles, ensemble. Et je me souviens très bien du rôle éminent, joué par l’association Enseignement et Liberté au moment des grandes manifestations de l’année 1984. Manifestations auxquelles dans ma région j’ai participé, manifestation à l’ampleur nationale à laquelle bien sûr, avec plusieurs centaines de parlementaires j’ai participé. Mais tout ceci n’a été possible, me semble-t-il, ce succès populaire n’a été possible qu’à partir du moment où quelques hommes, quelques femmes, ont pris la décision de sensibiliser l’opinion sur l’importance de ce problème. Et à cet égard, je puis le dire, puisque j’en étais le témoin depuis l’origine, l’association Enseignement et Liberté a parfaitement joué son rôle. Elle a eu une action décisive, déterminante dans des moments difficiles. Mais tout n’est pas réglé, et de loin. Car vous savez, les libertés ne sont jamais conquises facilement et pour l’éternité, ça va de soi. C’est un perpétuel combat qu’il s’agit de conduire étant attentif à tous les obstacles qui se présentent sur notre route, toutes les embûches qui ne manquent pas de nous être tendues et par conséquent, plus que jamais dans la conjoncture dans laquelle nous sommes, nous avons besoin d’être vigilants. Car tout n’est pas gagné. Nous avons marqué des points : la plus grande pensée du règne socialiste, à savoir un enseignement unifié et laïc, grâce à notre résistance et grâce à notre combat collectif n’a pas pu être mise en œuvre. Nous sommes passés très près de la défaite, mais ceci dit il ne faut pas se faire des illusions, sur le chemin où nous nous sommes engagés, il y a encore des efforts à accomplir. Je suis un ancien élu local ; jusqu’au mois de mars j’étais le président du Conseil général de mon département et j’ai, naturellement, volontairement cessé mes fonctions, laissant aux plus jeunes le soin de les assumer. Donc j’ai été longtemps un élu local, et nous savons que les collectivités locales n’ont aucune espèce de latitude sauf celle donnée par la loi Falloux qui pour l’époque était sans doute considérable et qui aujourd’hui ne va plus très loin. Elles n’ont aucune latitude pour aider au financement des investissements immobiliers réalisés par les établissements d’enseignement libre. On ne peut pas, telle est la jurisprudence du Conseil d’Etat qui applique la loi, on ne saurait le lui reprocher d’ailleurs, aller au delà de 10 % des montants des investissements. J’ai pris dans mon département, et encore l’année dernière, quelques libertés avec l’application de la loi Falloux. Comme j’ai eu un préfet bienveillant, il n’a pas frappé de nullité la délibération du Conseil général pour deux établissements d’enseignement privé situés dans l’Yonne, et qui sont particulièrement prospères. J’ai fait décider par mon Conseil général un effort qui allait très au delà de 10 % du montant des investissements publics que ces établissements entendaient réaliser. Mais, nous sommes sur le fil du rasoir. Il suffit du représentant de l’Etat pour ne pas accepter la délibération, et si nous voulons aller plus loin, nous risquons la censure du conseil d’Etat et nous savons quelle est sa jurisprudence, d’ailleurs je ne le lui reproche pas. Je connais des conseillers d’Etat, pourquoi pas, ils appliquent la loi et par conséquent, nous avons là quelque chose d’important à accomplir, à mon avis dans les mois qui viennent : c’est la liberté totale donnée aux collectivités locales d’aider, dans la mesure où elles le jugeront possible, aux financements des investissements immobiliers des établissements d’enseignement privé. C’est la prochaine grande conquête et nous ne serons jamais assez nombreux pour essayer de l’imposer par la voie la plus démocratique qu’il soit, c’est-à-dire par la voie législative. Pour l’heure, la porte nous est fermée, pas ici au Sénat, bien entendu, nous avons voté à plusieurs reprises une proposition de loi tendant à accorder cette liberté aux collectivités locales, mais le gouvernement a toujours refusé de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée, au demeurant d’ailleurs, à l’Assemblée, telle qu’elle est composée maintenant, nous aurions été battus. Attendons les temps meilleurs, en priant le Ciel que ces temps ne tardent pas à venir. Je vous dis cela uniquement pour vous indiquer encore une fois que nous ne pouvons pas nous arrêter en si bon chemin. On a évité le pire, j’en suis persuadé, mais ça n’est pas suffisant. Il faut être vigilant et il faut essayer d’aller au-delà des conquêtes actuelles, et tout ça dans le respect des applications des libertés telles que nous les concevons. Qu’est-ce que c’est qu’une liberté à laquelle on ne donnerait pas les moyens de s’exprimer ? Ce serait une liberté formelle (c’est très cher aux marxistes, cette notion de liberté formelle), ça n’a rien de commun avec la conception que nous avons nous-mêmes de la liberté. La liberté d’enseignement en Pologne Le Professeur Paul CZARTORYSKI, docteur en droit, après avoir enseigné la philosophie à l’université catholique de Lublin, est depuis 1957 professeur à l’Institut d’histoire des sciences de l’académie polonaise des sciences. Directeur du Centre de recherche, Coperniciennes dans ce même Institut, il a édité les œuvres complètes de Nicolas Copernic. Il a été de 1981 à 1990 membre du conseil consultatif de Solidarité. Il est Président du Comité National Polonais des Ecoles du monde uni (United World Colleges). LES STRUCTURES Au cours des trois dernières années, un nombre relativement important d’écoles non-gouvernementales a surgi spontanément à côté du réseau des écoles d’Etat. Ce phénomène fut possible grâce à une législation libérale, qui permet la fondation d’écoles indépendantes, pourvu qu’elles suivent un programme de base, menant au baccalauréat et commun à toutes les écoles du pays. Parmi les écoles non-gouvernementales, on peut distinguer des écoles dites "sociales", qui appartiennent à des associations ou des fondations à but non-lucratif, et des écoles dites "privées", appartenant à des petites compagnies privées, ou, très rarement, à des individus. Les écoles dites "sociales" ont tendance à s’associer entre elles : le groupe le plus nombreux, qui en somme a initié tout ce mouvement dans les années 80 forme une association éducative nommée S.T.O. (voir les rapports de l’O.I.D.E.L 3.3 : Les écoles fondées par la S. T. 0. en Pologne. Rapport de mission, 1990). Des écoles non-gouvernementales existent dans toutes les plus importantes agglomérations urbaines ; leur répartition est telle, qu’elles sont pratiquement accessibles à tous les intéressés. En principe, toutes ces écoles ont droit à une subvention de la part de l’Etat, au niveau équivalent au coût moyen d’un élève dans les écoles d’Etat. Ceci, évidemment est insuffisant ; une taxe supplémentaire payée par les parents est donc indispensable. Cette taxe varie en fonction du standard de l’école et de ses frais ; comme point de repère, on peut dire qu’elle équivaut de 1/3 à 2/3 d’un salaire moyen, c’est donc un grand fardeau pour la famille. Ces frais sont au moment présent le facteur principal qui limite le nombre des écoles non-gouvernementales. LES PROGRAMMES Les programmes actuels des écoles polonaises sont "encyclopédiques", surchargés, visant à la préparation des élèves au lycée, tandis qu’en réalité parmi ceux qui sortent des écoles primaires, 50 % terminent leur éducation au niveau des écoles de formation professionnelle élémentaire ; 30 % vont aux écoles techniques professionnelles du niveau secondaire, et seulement 20 % arrivent au lycée. La formation professionnelle présente un problème formidable, car à l’état actuel elle est la prolongation d’une économie totalitaire périmée, qui est en déroute : cette formation est donc en train de produire des "chômeurs potentiels". D’autre part, les programmes des lycées sont à leur tour surchargés d’informations inutiles. Pour les jeunes c’est le manque d’espérance et de perspectives. Le chômage, qui est à 12 % environ, atteint en premier lieu les étudiants qui sortent des écoles et des universités et ne trouvent pas de travail, surtout dans leur spécialité. Leurs attitudes sont souvent passives, issues des réminiscences d’un Etat qui fournissait tout, y compris l’emploi, et qui récompensait le conformisme et la passivité. D’autre part, en voyant le décalage entre les salaires et le niveau de vie à l’Occident et dans leur propre pays, ils s’impatientent et ils voudraient avoir tout à la fois. Une réforme radicale de l’enseignement est donc en préparation. Elle envisage pour les mêmes sujets la création successive de programmes alternatifs, approuvés par le Ministère, laissant aux professeurs la possibilité de choix. Le même concerne les manuels. Ceci donnerait à l’enseignement un trait dynamique, assurant une évolution continue. On envisage aussi des activités extra-scolaires. Le tout vise à apprendre aux élèves à profiter des sources d’informations modernes et à leur donner une formation humaine et une habilité de coopération avec leur entourage. On espère pouvoir introduire ce programme d’un seul coup au cours des trois années prochaines. LES DIFFICULTES ET LES PERSPECTIVES. Mais il faut souligner que, pour le moment, le système scolaire est en difficulté surtout à cause du déficit budgétaire, menant à des économies des dépenses publiques dans les domaines de l’éducation publique et des services médicaux. On estime qu’au moment présent 10 % des frais scolaires des écoles d’Etat sont remboursés par les parents, tandis que les écoles elles-mêmes sont obligées pour survivre de gagner de leur propre initiative 10 % encore. On prétend aussi qu’un grand nombre d’enfants arrive le matin à l’école sans avoir pris leur petit déjeuner. Mais ceci, d’autre part, donne naissance à toutes sortes d’initiatives liées aux écoles d’Etat, qui ressemblent à ce qu’on fait dans le domaine des écoles "sociales" ou privées. Un libéralisme marqué autorise les professeurs des écoles d’Etat, sous certaines conditions, à expérimenter avec des programmes préparés par eux-mêmes, qu’on appelle des "programmes d’auteurs". D’autre part, l’élimination successive (par voie de concours) de directeurs qui étaient des anciens membres du parti, vise à supprimer l’atmosphère autoritaire entre instituteurs, élèves et parents, qui empoisonnait les écoles. Il faut ajouter que deux lycées d’Etat - un à Varsovie et un à Gdynia - vont entrer l’année prochaine dans le système du Baccalauréat international. Dans ce contexte, les écoles non-gouvernementales frayent le chemin de la réforme. Paul Czartoryski Des changements dans des systèmes éducatifs L’O.I.D.E.L. est une organisation non-gouvernementale qui défend la liberté d’enseignement dans le monde, depuis presque 10 ans. Je voudrais vous parler très directement de ce que je viens de vivre à Genève, la semaine dernière lors de la Conférence Internationale d’Education. Je suis agréablement surpris - je suis cette conférence depuis un certain temps - des tendances qui se dessinent actuellement dans l’enseignement et qui vont dans le sens de ce qui était depuis longtemps proposé par tous ceux qui sont en faveur de la liberté de l’enseignement. Je veux parler de questions comme le projet scolaire, l’autonomie des centres, le besoin d’une planification différente de l’enseignement. Il y a un nouveau climat inauguré par la conférence "Education pour tous" de l’UNESCO de 1990 qui a surtout tenté de repenser le rôle de l’Etat dans l’éducation. Je crois que c’est le point central. L’Etat ne peut plus tout faire, l’Etat doit travailler pour encourager le développement de la société civile au niveau de l’éducation. J’aimerais vous parler un peu en détail, de trois changements qui me semblent fondamentaux. Le premier, c’est celui de la Suède. Le pays change radicalement de point de vue et essaie de trouver un système de qualité, dans la diversité des établissements et dans le développement de l’école privée, de l’école d’initiative sociale que tout un chacun peut promouvoir. D’autre part la Russie se lance dans un vaste programme de changements sociaux qui commence justement par l’éducation et par la mise en pratique du chèque scolaire. Je vous parle de législations qui ont été déjà adoptées, pas seulement de projets de lois. Vous pouvez imaginer qu’il ne doit pas être très facile de faire adopter une telle loi dans ce pays étant donné la composition actuelle du Parlement. La Grande-Bretagne est le troisième pays que je voudrais évoquer. Vous savez que le Royaume Uni depuis 1988, a commencé une réforme de l’enseignement consistant à rendre le pouvoir à l’utilisateur, c’est-à-dire aux parents. Tous les parents des écoles publiques qui le souhaitent, peuvent prendre en charge l’école et la gérer, aussi bien administrativement que financièrement. L’actuel ministre de l’éducation vient de faire publier un livre blanc sur l’éducation dont l’objectif est de rendre les utilisateurs maîtres de l’éducation. Je pense que ce sont des nouvelles qui vont vous réjouir et, comme je l’ai dit tout à l’heure, je sens un vent nouveau qui souffle un peu partout. Les planificateurs ne croient plus au pouvoir de la rationalité qui peut tout faire et tout promouvoir, mais pensent qu’il faut compter avec la société civile. Je suis convaincu que dans les années qui viennent nous allons voir de grands changements dans les systèmes éducatifs. Alfred Fernandez, Dans la vie du système éducatif, il n’y aurait rien à signaler hormis la décrépitude qui s’accélère, la mise en place feutrée des plus inquiétants projets de M. Jospin (sur la formation des maîtres, la réforme de l’enseignement supérieur), sans deux événements qui ont retenu l’attention des médias. Il s’agit de l’opération "les enfants de France pour la Somalie" et de l’arrêt du Conseil d’Etat relatif au port du "foulard islamique" (plus communément dénommé "tchador") dans les établissements publics d’enseignement laïque. Ces deux événements ne concernent que marginalement le contenu de l’enseignement, ses méthodes et son organisation générale. C’est l’indice que, dans notre société, l’école compte surtout par ce qui ne concerne pas les missions propres qui lui étaient traditionnellement dévolues. Pour les profanes dont je suis, l’opération "riz" a brutalement commencé son existence médiatique peu avant le jour "J" fixé au 20 octobre, Un document, en date du 12 octobre, du Ministère de la Santé et de l’Action humanitaire exposait en huit pages son contenu : "Il est important de donner une nouvelle dimension à l’aide pour la Somalie en y associant chaque famille française et plus étroitement encore chaque enfant". Avec "le soutien du Ministère de l’Education, la Poste, la S.N.C.F. et France 2" le Ministère de la Santé avait décidé, au cours d’une "journée nationale" baptisée "les enfants de France pour la Somalie" de sensibiliser "chaque enfant, écolier et lycéen, au drame qui touche la Somalie... Chaque enfant sera invité à apporter dans son école un paquet de riz". Cette "mobilisation" (sic) doit permettre de récolter 6000 tonnes de riz, qui seront acheminées à Mogadiscio. On nous annonçait que "ce moment de solidarité permettra de nourrir 1 million d’enfants somalis pendant un mois". Dans un style tout militaire, notre Napoléon de la bienfaisance écrivait : "le 20 octobre, chaque enfant apportera son paquet de riz à l’école. Il le videra lui-même dans un sac de 20 Kg... Les sacs seront rassemblés par le personnel de l’école...(qui chargera les camions avec les enfants)". La marchandise sera "chargée à bord du navire en partance pour Mogadiscio" qui "arrive vers le 20 novembre. La distribution du riz sera assurée sur place par l’UNICEF". Pendant une semaine, pratiquement toutes les chaînes de télévision n’ont parlé que du déroulement de l’opération, ou lui ont consacré la majeure partie des bulletins d’information, pour la plus grande gloire de M. Kouchner. Le riz était mis en sacs, chargé, transporté à Marseille. A grand renfort d’images, toute la France pouvait le suivre à la trace. Quelques voix élevaient de timides protestations, remarquaient qu’au moment où notre agriculture est en ruines, on aurait pu penser à l’envoi de produits d’origine française et non de riz importé. Elles étaient rabrouées, sommées de se taire. Toute espèce de doute sur le bien-fondé de l’opération, son organisation, était tenue pour sacrilège. Il fallait donner à la quête, applaudir, admirer sous peine d’être ridicule, odieux, ignoble. Toute cette opération médiatique a occupé sinon l’esprit, du moins les yeux et les oreilles des Français. Je ne serai pas démenti si j’affirme que, dans sa conception, l’opération relève de l’enfantillage. Demander à chaque écolier d’apporter son paquet de riz, de le vider dans le sac de 20 Kg, qui sera collecté, convoyé, c’est absurde du point de vue de la gestion. Pourquoi ne pas aller au bout de la démarche, et pour mieux sensibiliser les enfants, exiger que les sacs de riz soient vidés sur le sol de la classe et son contenu ramassé grain par grain ! Laissons de côté le problème de mélange des riz - les Somaliens affamés seront moins difficiles que des Français repus -, néanmoins le fait qu’on ait dû faire appel à la troupe pour reconditionner les sacs de riz mal collectés fut la première bavure. Tout ceci était touchant, mais les images naïves dissimulaient mal la gestion catastrophique. Conditionnement et transport n’étaient pas gratuits : même s’ils étaient offerts ou assurés par des bénévoles, économiquement ils ont un coût. Tout cet effort dispersé, mieux utilisé, aurait pu accroître le volume de l’aide. Mais l’essentiel était de sensibiliser les petits Français et d’offrir de belles images qui tournaient à la plus grande gloire du fameux ministre, cela se ferait-il sur le dos des populations aidées. Par les méthodes utilisées pour l’exploiter, l’opération relève des procédés totalitaires. Il fut un temps où il n’était pas question de mettre en cause ni le but, ni le choix effectué, ni les méthodes appliquées. Toute réserve était tenue pour un indice d’inhumanité. M. Lang - dont il faut reconnaître qu’il fut discret en cette occurrence - avait approuvé (par circulaire du 9 octobre) et en quelque sorte mis l’éducation nationale à la disposition de l’aide humanitaire, les médias amplifiaient le tumulte. Dans ces conditions aucune opinion divergeant de la pensée officielle ne pouvait s’exprimer et être communiquée au grand public. Dans un très remarquable article de Présent (en date du 21 octobre) M. Le Gallou était en droit de dénoncer "le totalitarisme humanitaire où les enfants sont pris en otage". Qui tient à la fois les médias et l’éducation nationale gouverne les esprits de façon absolue. Il avait suffi qu’un ensemble de facteurs suscite un consensus peut-être d’ailleurs temporaire, parmi les principaux journalistes pour que s’évanouisse toute possibilité de débat. Qu’on n’aille pas me dire que la noblesse de la fin visée (humanitaire) justifie les moyens. Il n’est aucun tyran qui n’ait habillé ses pires turpitudes de mots très nobles. Staline jouant au bon grand-père dans sa roseraie (dans la chute de Berlin) s’était créé une image de cœur sensible. Qu’en l’occurrence présente, les raisons invoquées ne cachent pas des desseins aussi noirs, cela va sans dire ! Mais il est des procédés qu’il vaut mieux proscrire, compte tenu de l’usage qui en a été fait. Ainsi l’appel à l’émotion des masses, à la sensibilité irréfléchie des enfants qui n’ont pas les moyens intellectuels de comprendre les problèmes auxquels on les affronte. Le choix du pays à aider en priorité était imposé de façon autoritaire par une autorité gouvernementale, sans débat préalable, sans justification rétrospective. Pourquoi pas la Bosnie européenne, plus près de nous ? M. Boutros Ghali (qui n’est qu’un fonctionnaire chargé d’exécuter et non de décider) avait dit qu’il souhaitait voir l’Afrique privilégiée, mais alors pourquoi pas le Libéria où les chefs d’Etat destitués sont suppliciés en public, ou le Zaïre dont la situation est consternante ? Et que sont devenus ces Ethiopiens dont on nous parlait tant ? Pourquoi abandonner à leur sort ces chrétiens du sud du Soudan, livrés à la famine et sur lesquels on ne diffuse des reportages que de façon quasi clandestine ? Pourquoi cette Somalie où la France n’a jamais exercé la moindre responsabilité, pays qui fut longtemps (jusque vers 1960) partiellement sous mandat international ! Nulle autre raison si ce n’est qu’on a plus d’images de ce pays et que la misère n’y est vraisemblablement pas plus profonde qu’ailleurs, mais beaucoup plus voyante. Il s’agissait de trouver les meilleures conditions d’un grand "charity-business-show". M. Kouchner chargeant lui-même, le 6 décembre, à Mogadiscio, un sac de riz des écoliers est à ranger dans la catégorie des clips ! Il y a quelque chose d’inquiétant dans ce pouvoir des images. Elles se sont substituées à l’argumentation. Enfin nous devons bien dire qu’il y avait quelque chose de mensonger dans toute cette propagande. C’était au moins un mensonge par omission que de ne pas dire que la famine somalienne a des causes essentiellement politiques. Elle est la conséquence de l’anarchie qui a suivi l’effondrement d’un Etat (qui fut non sans sympathie pour le bloc de l’Est). A cette situation, dont la France n’est ni responsable, ni coupable, il est peu vraisemblable qu’il y ait des remèdes exclusivement humanitaires. L’envoi de forces armées, sous le commandement des U.S.A., semble montrer que l’illusion s’est dissipée. Il est vrai qu’elle se fait en vertu d’un principe très flou "d’ingérence humanitaire", d’application incertaine et qui risque un jour d’être générateur de conflits sanglants. Mais le fait est qu’aujourd’hui on a dû constater que l’humanitaire ne pouvait pas tout. Le riz des écoliers français, à peine débarqué, qu’on ne pouvait distribuer, appelait naturellement l’arrivée d’hommes en armes. Je ne dis pas que ces récentes décisions sont à condamner. Mais ce qui l’est, c’est qu’on ait malhonnêtement dissimulé l’aboutissement prévisible des opérations d’aide alimentaire. M. Kouchner a cru bon de rencontrer (en personne, si j’ai bien compris) un "seigneur de la guerre", c’est-à-dire l’un de ces pillards qui louent à prix d’or des escortes armées et vivent aux crochets des écoliers français, ou des esprits pieux d’ailleurs. Cette façon de favoriser l’achèvement de l’opération du 20 octobre suscite le malaise. Mais bien plus encore la présence sur les lieux pour "couvrir" l’arrivée des forces américaines d’une autre armée de journalistes, avec le caractère tapageur de leur installation, le luxe de leurs moyens, est proprement écœurante. Sans respect pour la dignité de l’homme, la misère est réduite en spectacle. C’est bien pourquoi, dès l’origine, il ne fallait pas jouer sur des images porteuses d’émotions, sans réflexion, participer à un processus qui débouche sur des méthodes qui relèvent plus du conditionnement que de l’éducation. Au moment où l’école publique est transformée en une espèce d’ouvroir de la nouvelle religion humanitaire, elle renonce à ce qui était tenu pour une de ses fonctions propres : préparer ses élèves à être intégrés au corps des citoyens. Comme dans le cas précédent, ni les enseignants, ni les organisations qui les représentent ne sont en cause dans cette nouvelle affaire. Il s’agit d’un arrêt du Conseil d’Etat, siégeant en section du contentieux, qui annule l’article 13 du règlement intérieur du collège Jean Jaurès de Montfermeil interdisant le port du foulard islamique, et la décision du conseil d’administration, approuvée par le Recteur de l’Académie de Créteil, qui excluait trois élèves en application de cet article. Cette décision du 14 octobre 1992, venait en appel d’un précédent jugement du tribunal administratif qui avait conclu en sens contraire. Apparemment, elle contredit l’avis donné en assemblée générale à la demande de M. Jospin le 27 novembre 1989. A trois ans d’écart les conclusions sont pour le moins différentes. Rappelons brièvement l’affaire. A l’automne 1989, l’exclusion d’élèves du collège de Creil, parce qu’elles refusaient de renoncer au foulard islamique, avait suscité de tels remous dans l’opinion et divisait la gauche elle-même, que M. Jospin courageux, mais pas téméraire avait tenté de laisser au Conseil d’Etat le soin de trancher. D’où cette demande d’avis. L’auguste assemblée avait formulé un avis si mesuré qu’elle renvoyait au ministre la responsabilité de la décision. Dans les considérants, indépendamment des textes les plus généraux - y compris la déclaration des droits de l’homme et du citoyen -, l’Article 10 de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, votée selon le vœu de M. Jospin, jouait un rôle majeur. Ce texte prescrit que "dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement". Le Conseil d’Etat concluait que "le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec la laïcité dans la mesure où il constitue la manifestation de la liberté d’expression... Mais que cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils sont portés... Ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande...". Et il était ajouté que "le port des insignes d’appartenance religieuse peut, en cas de besoin, faire l’objet d’une réglementation pour appliquer ces principes". Le 12 décembre 1989, M. Jospin publiait une circulaire surtout remarquable par le désir du Ministre de renvoyer la responsabilité aux autorités détentrices du pouvoir disciplinaire "chargées d’apprécier si le port d’un insigne religieux" constitue dans telle circonstance "une faute". Or, c’est ici qu’intervient le récent arrêt. Constatant que le règlement du collège Jean Jaurès de Montfermeil dispose que "le port de tout signe distinctif, vestimentaire ou autre, d’ordre religieux, politique ou philosophique est strictement interdit", le Conseil d’Etat affirme que "ledit article constitue une interdiction générale et absolue en méconnaissance des principes ci-dessus rappelés" (principes qui se réduisent à l’article 10 de la loi Jospin avec les commentaires apportés dans l’avis de 89). Argument qui n’est pas sans valeur. Mais quand il est affirmé qu’il n’est "ni établi, ni allégué", dans la décision d’exclusion que le port du foulard ait "le caractère d’un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande..." il est très manifeste qu’on veut donner de l’avis de 1989 une interprétation si restrictive qu’elle autorise n’importe quoi, au point qu’elle semble démentir cet avis. On n’empêchera pas le grand public de tirer une leçon rudimentaire de ces péripéties judiciaires. Le Conseil d’Etat semble autoriser aujourd’hui ce qu’il interdisait hier. On conclura qu’au terme d’une longue bataille (car l’exclusion remonte à 1990) le foulard islamique est autorisé. Les chefs d’établissement soucieux de prendre leur responsabilité, d’affirmer leur autorité, seront découragés. L’affaire est partie de Montfermeil, cité symbolique, du collège Jean Jaurès (au nom symbolique !), à tort ou à raison on lira dans toute cette affaire un acte qui vise à dépouiller l’école de sa fonction d’intégration. Je sais qu’elle remplissait très mal cette fonction. Je ne crois pas que cela soit suffisant pour justifier qu’on l’en prive totalement. A cette situation, il n’est qu’un remède : modifier les textes législatifs qui donnent tant de "droits" aux élèves qu’il devient juridiquement périlleux d’interdire par réglementation quoi que ce soit. En d’autres termes, abroger la loi Jospin du 10 juillet 1989, ou, du moins, très rapidement réécrire son article 10. Voilà une tâche urgente pour la prochaine assemblée. C’est à nous de demander sur ce point des engagements précis aux candidats, de même que nous leur demanderons d’autoriser les collectivités locales à aider au financement des investissements immobiliers de l’enseignement privé, dans des conditions autres que celles prescrites par la loi Falloux. Maurice Boudot, le 6 décembre 1992 P.S. Les événements qui se déroulent depuis le débarquement militaire prouvent, si besoin était, qu’on avait raison d’inciter à la prudence dans l’utilisation de la générosité des enfants. L’Etat, bien entendu, repasse à la Région la charge des frais de reconstruction. ·A Sevran (Seine Saint-Denis) les professeurs des collèges étaient en grève la semaine dernière pour protester contre l’agression dont a été victime l’une de leurs collègues et l’insécurité permanente. On leur a promis quelques surveillants supplémentaires, alors qu’on a l’impression que la situation exigerait plutôt l’envoi de casques bleus dans les cours de récréation. ·Le 30 novembre, à Saint-Etienne (Loire) , au lycée polyvalent d’Alembert, un lycéen a été poignardé ! Il ne s’agit pas d’un mauvais coup accidentel, mais d’un épisode des affrontements entre bandes rivales qui se poursuivent à l’intérieur du lycée. ·M. Lang qui veut que les écoles restent des "oasis de paix" - souhait très louable, mais de telles oasis sont-elles concevables si la paix ne règne pas aussi à l’extérieur des enceintes scolaires ? - nous promet des études surveillées et même des internats. Très bien. Mais n’est-ce pas trop tard : qui acceptera de surveiller ? ·Enfin, notre ministre vient de proposer (le 15 décembre) une réforme du baccalauréat, à vrai dire applicable seulement en 1995. Comme cette réforme semble ne pas supposer le vote d’une loi, mais de simples décrets, il n’est pas certain qu’elle voie le jour. En dehors de l’habillage flatteur bien connu ("mettre fin à la tyrannie de la section C et des mathématiques"...), la réforme annoncée (qui évacue habilement la question controversée du contrôle continu) se distingue par le fait que les candidats ajournés pourront conserver leurs notes supérieures à la moyenne pendant cinq ans ! Des candidats qui mettent cinq ans pour passer le baccalauréat, cela laisse rêveur. Mais si on veut 80 % de bacheliers, il faut bien s’en donner les moyens. M. B.
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