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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 21 - 3ème trimestre 1988
L’ENLISEMENT L’année commence sans que les problèmes de l’éducation mobilisent l’attention. Avant les vacances, les épreuves du baccalauréat s’étaient déroulées sans incidents majeurs ; les inscriptions dans les Universités avaient été prises dans des conditions qui n’étaient pas pires que celles des années précédentes. La rentrée vient d’avoir lieu, avec son cortège de bavures auxquelles nous sommes habitués : mais rien de grave n’est signalé. L’enseignement privé n’exprime pas d’inquiétude grave sur sa situation présente ou son avenir, comme si ses autorités craignaient de troubler cet étrange consensus qui s’est établi entre les responsables politiques. Certes, il y a quelques problèmes sectoriels, quelques conflits limités, assez urticants ; mais rien qui annonce la tempête. Enfin, aucune mesure importante, aussi imprudemment décidée qu’hâtivement appliquée, n’est venue bouleverser l’organisation du système éducatif ; et ce n’est pas nous qui nous en plaindrons. On a décidément l’impression qu’il ne se passe rien et, dans les journaux, les spécialistes des questions d’éducation doivent témoigner de beaucoup d’ingéniosité pour remplir les colonnes qui leur sont allouées. LA FORCE DES CHOSES Pour fondé qu’il soit, ce sentiment diffus ne doit pas nous conduire à des jugements erronés. Il ne faut pas conclure du calme apparent, du consensus manifesté par le silence général, que les problèmes essentiels du système éducatif appartiennent désormais au passé, qu’on est parvenu à un équilibre qui assurerait son fonctionnement dans des conditions pas trop insatisfaisantes. Quelques régulations spontanées peuvent bien jouer ici ou là, mais dans l’ensemble, le système continue de fonctionner aussi mal que dans le passé et par sa seule inertie crée une situation qui s’aggrave au fil des ans. Tout simplement, personne n’ayant le courage ou la possibilité de changer réellement le cours des choses, on préfère ne pas en parler ou, ce qui est pire, enterrer les problèmes sous les slogans démagogiques. Par le simple fonctionnement de ses lois internes, le système est condamné à être de moins en moins performant. Il est facile de le voir. On s’accorde généralement à lui reconnaître deux défauts majeurs : une éducation de plus en plus coûteuse pour la nation assure mal l’insertion professionnelle, et la mauvaise adaptation aux capacités et aux goûts de la population scolarisée multiplie les "échecs scolaires". Mais quel remède nous a-t-on proposé ? L’accroissement du nombre des bacheliers, avec, comme objectif, les 80 % par classe d’âge, accompagnés de la création de nouveaux baccalauréats professionnels. Augmenter le nombre des titulaires d’un diplôme (surtout si on complète les mesures prises par des dispositifs plus ou moins illusoires qui auraient pour but une meilleure adaptation aux besoins de l’emploi) est toujours tenu en France pour un objectif intrinsèquement louable. Le résultat de mesures inconsidérément prises, au cours de la dernière année scolaire, ne s’est pas fait attendre. 90 000 élèves supplémentaires devaient être accueillis dans les lycées. Ce chiffre ne frappe peut-être pas l’imagination ; il est en réalité considérable, approximativement égal au tiers du nombre des bacheliers. Accueillir des élèves suppose qu’on dispose de professeurs, de locaux et d’un matériel (particulièrement important dans le cas des sections techniques ou professionnelles). Les locaux ne sortent pas de terre, tout construits, en un jour ; a fortiori il faut un très long délai pour que soient recrutés et formés les professeurs. Naturellement, les conditions d’accueil ont été décevantes. Et c’est ainsi qu’on nous parle de classes surchargées (de plus de 40 élèves), de l’appel à des maîtres-auxiliaires sans formation sérieuse et dont la compétence n’est pas toujours certaine, recrutés par voie de petites annonces même dans des académies qui ne sont pas défavorisées (comme Créteil) ou des disciplines qui ne sont pas particulièrement déficitaires (à savoir les matières littéraires). Malgré tout, les grèves de protestation contre des conditions intolérables, grèves qui unissent parents, élèves et professeurs, se multiplient à l’image de celle qui a suscité un certain émoi dans la région de Tours. Soyons persuadés qu’elles s’amplifieraient et susciteraient plus de remous si elles n’étaient pas discrètement "encadrées" par les forces syndicales (de la F.E.N. notamment) qu’une sourde complicité allie aux autorités ministérielles. Et pourtant la situation actuelle, eu égard aux objectifs affichés, était parfaitement prévisible. Faudra-t-il dire un jour que la même politique poursuivie dans ses grandes lignes depuis longtemps, par diverses majorités parlementaires, s’est caractérisée par la même imprévoyance que celle de ces gouvernements de la quatrième République qui semblaient aussi bien ignorer les demandes croissantes en matière d’éducation que les statistiques démographiques, dont la leçon était pourtant sans appel, et laissaient en 1958 une situation lamentable à leurs successeurs ? J’en ai bien peur. L’ENGRENAGE A grands maux, petits remèdes ; à maladie dont l’issue est fatale, palliatifs de rebouteux pour en atténuer les symptômes ! On a appliqué la vieille technique. Puisqu’on surchargeait par le bas, il fallait alléger par le haut. Et, comme par miracle, le problèmes des effectifs des lycées a été atténué parce qu’il y avait un taux exceptionnellement élevé de succès au baccalauréat : 12,9 % de réussite de plus que l’année précédente. C’est un "excellent cru", en quantité, sinon en qualité. On atteint une proportion qui ne fut jamais dépassée si ce n’est en 1968. C’est ce que note avec une évidente satisfaction un journaliste spécialisé d’un grand quotidien qui ne se distingue pas par des positions spécialement révolutionnaires ! Entendons-nous bien : 12,9 % par rapport au nombre des candidats, soit un accroissement de 20 % de la proportion des reçus. Soyons sérieux. Il n’est pas besoin d’être un spécialiste averti de la statistique mathématique pour savoir qu’eu égard aux nombres qui sont en cause, il ne peut aucunement s’agir d’une variation "aléatoire", ni de la confirmation d’une évolution tendancielle. Comment d’une année à l’autre, sans modification notable ni de la nature des épreuves, ni du corps professoral, ni des méthodes ou des contenus de l’enseignement, ni des conditions dans lesquelles il est dispensé, les candidats peuvent-ils s’être améliorés à ce point ? Il semble qu’on se satisfasse du constat de l’heureux événement, sans que personne ne s’interroge sur les causes de ce phénomène très étrange. J’imagine pourtant que si la répartition des suffrages entre gauche et droite variait d’une élection à l’autre, à un an d’intervalle, de 20 %, les politologues ne resteraient pas silencieux ! J’ai quelques idées (probablement très lacunaires) sur les causes de l’étrange phénomène. Les instructions plus ou moins explicites transmises par la hiérarchie de haut en bas n’expliquent pas tout. L’Education nationale ne fonctionne pas comme une armée (heureusement !) et les jurys restent souverains. Il y eut néanmoins le choix des sujets et des barèmes de correction sur lesquels les "autorités" ont des pouvoirs beaucoup plus déterminants et beaucoup plus faciles à exercer. Il semble que tout fut mis en œuvre sur ce terrain pour faciliter l’épreuve. Et comme par hasard, juste au même moment, des professeurs de certaines disciplines (français) manifestent de façon tapageuse qu’ils estiment une des épreuves (l’explication d’un texte de Rousseau !) beaucoup trop difficile et ont pris la décision de surcoter systématiquement les copies, position à laquelle la presse donne un certain écho. Ajoutons enfin la décision proprement scandaleuse de diffuser par minitel (sans qu’on sache d’ailleurs de façon précise quels organismes participent à l’opération) des corrigés des épreuves, corrigés si vite prêts qu’on se demande à quel moment ceux qui les ont préparés ont eu connaissance des sujets. La diffusion de ces corrigés, concernant toute les épreuves, était censée diminuer l’angoisse des candidats. En certains cas - comme celui de la philosophie, pour parler de ce que je connais personnellement - la diffusion d’un "corrigé" relève du non-sens. A qui peut-on faire croire qu’il y a un "modèle" de dissertation qu’il faut imiter pour avoir une bonne note ? Quant au prétexte invoqué - lutter contre l’angoisse des candidats - il est fallacieux : quiconque a une expérience de l’enseignement sait qu’on doit être très prudent lorsqu’un élève vous demande un avis sur ses épreuves d’examen alors qu’on ne les a pas eues en main, et cela même lorsqu’on exclut totalement les cas de mauvaise foi (j’en ai des exemples récents et précis !). On ne luttera nullement contre l’angoisse avec de tels moyens : les optimistes seront simplement confortés dans leurs illusions, cependant que les pessimistes se rongeront à l’idée des imperfections, peut-être irréelles, que leur aura révélées le corrigé. Non, décidément, l’objectif n’était pas celui qu’on affichait. Il s’agissait de culpabiliser les correcteurs, de leur donner le sentiment qu’on avait multiplié les fondements objectifs à d’éventuelles réclamations afin de les incliner à l’indulgence systématique. Comme il est exceptionnel qu’un candidat proteste parce qu’il est admis de façon litigieuse, je comprends facilement que les correcteurs, las de se montrer plus royalistes que le roi - et pourquoi le seraient-ils ? - aient à divers degrés répondu à la demande qui leur était faite, de façon plus ou moins formelle. Et c’est probablement ainsi que le miracle s’est produit, pour la satisfaction générale. Admirons l’efficacité discrète des procédés mis en œuvre. Ces nouveaux lycéens, que va-t-on en faire ? Des bacheliers, bien sûr. Soyons assurés que dans les années qui viennent tout sera mis en œuvre pour que le taux de succès ne baisse pas. Et ces bacheliers, que deviendront-ils ? Il ne faut pas donner trop de crédit à l’étiquette "professionnel" dont sont gratifiés certains baccalauréats. Elle ne suffit pas pour assurer aux titulaires de ces baccalauréats des emplois. En revanche, elle leur garantit le droit d’accéder au premier cycle des universités, dans le cursus de leur choix, quel que soit leur niveau de culture (ou d’inculture) puisqu’il est désormais bien établi que tout bachelier est titulaire d’un "droit" d’entrée dans l’enseignement supérieur et qu’aucune sélection ne doit être effectuée. Voilà comment se prépare à terme la multiplication de D.E.U.G. hétéroclites, dont personne ne peut dire avec précision ce qu’ils seront, mais dont il n’est pas très difficile de présager la valeur. Tout simplement, les vrais problèmes auront été dissimulés et leur solution une fois de plus différée par des procédés qui ne peuvent qu’aggraver la situation. Décidément, en matière d’éducation, il semble que tous les gouvernements n’aient qu’un souci : gagner du temps et se débarrasser du mistigri sur leurs successeurs. L’OPINION ANESTHESIEE Il faut bien reconnaître que cette politique de l’autruche est conduite sans susciter l’émoi du grand public ; bien plus, elle est très largement approuvée. Ceux qui sont avertis et multiplient les mises en garde ont souvent le sentiment de prêcher dans le désert. Il n’est pratiquement aucune mesure démagogique qui ne rencontre une très large adhésion enthousiaste des médias, dont l’influence est extrêmement corrosive en la matière. J’en prendrai un exemple : la lutte contre l’échec scolaire. Si ce terme désigne simplement les redoublements et la sortie de l’école sans diplôme, alors le remède est très simple : interdisons les redoublements et donnons le parchemin à tout le monde. Mais si ce ne sont là que les symptômes du mal, il faut agir différemment pour lui porter remède. "Le redoublement du cours préparatoire, un lourd handicap pour l’avenir", telle était la légende d’une photo dans un article récemment paru. Mais que signifie cette assertion ? Le redoublement est-il signe du handicap ou en est-il la cause ? J’ai bien peur qu’on confonde volontairement l’un et l’autre. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas d’autres formules à concevoir pour les "élèves en difficulté", mais encore faut-il les inventer et les expérimenter plutôt que d’inciter sournoisement, à l’aide de comparaisons avec d’autres pays encore plus laxistes que le nôtre (s’agirait-il du Danemark ou de la Grèce), à l’adoption d’une politique qui, agissant sur les seuls symptômes, n’enrayera aucunement les progrès du mal en limitant le nombre des redoublements. En revanche, le problème le plus grave, celui de la formation et du recrutement d’enseignants qualifiés, est encore très largement sinon ignoré, du moins sous-estime. Laissons de côté ce qui concerne la formation souhaitable, qui peut soulever des litiges. En matière de recrutement, la crise, dont la gravité est indéniable, tient au nombre insuffisant des candidatures de qualité. Tous les niveaux de recrutement (même celui des professeurs titulaires des Universités) sont affectés, quoique à des degrés divers. Comme nous l’avons déjà dit, on recrute par petites annonces des maîtres auxiliaires et le Ministère en est réduit à prévoir des campagnes de publicité en faveur des carrières de l’enseignement. Les meilleurs normaliens aspirent, au mieux, à une carrière de chercheur, non de professeur. On voit des scolarités à la rue d’Ulm suivies d’une entrée à l’E.N.A., jamais l’inverse... Il serait facile de multiplier tes signes alarmants. Il a déjà été question de ces problèmes dans ces colonnes : nous en reparlerons, car de leur solution dépend celle de tous les autres. Pour l’instant, notons simplement que la gravité du mal, la complexité des causes de cette situation, rendent tout à fait utopique l’affichage de certaines ambitions pour l’an 2000. Il ne faudrait pas qu’on le laisse ignorer. L’accalmie actuelle ne doit donc pas nous tromper. Les problèmes les plus graves ne se dissiperont pas, comme par miracle. Nous les retrouverons, un jour ou l’autre. Maurice BOUDOT LA DECENTRALISATION AU QUOTIDIEN Lionel JOSPIN s’est rendu à Meaux le jour de la rentrée scolaire, dans le lycée où il avait effectué sa scolarité, pour une visite à la fois symbolique et nostalgique, rappelant à cette occasion qu’il avait été lui-même enseignant (Enarque, Conseiller des Affaires Etrangères, sorti de l’E.N.A. en 1965, il a réussi à ne jamais servir à l’étranger, ayant été "embauché " en 1970 comme professeur à l’I.U.T. de Sceaux, par Madame Alice SAUNIER-SEITÉ, alors directrice de cet Institut, où il s’est maintenu jusqu’à son élection comme député en 1981). Insistant sur le fait que la "matière grise" relevait de son Ministère, il s’est empressé de rappeler que la situation matérielle des lycées, des collèges et des écoles primaires avait été transférée aux Collectivités Territoriales par la loi de décentralisation de 1982. Six ans après le vote de cette loi, les premiers effets se font nettement sentir, et plaident, si cela était encore nécessaire, en faveur d’un démantèlement du Ministère de l’Education Nationale et de l’extension des bienfaits de la décentralisation à l’enseignement supérieur. Le premier constat porte sur l’effort fait par les Collectivités en faveur des lycées et des collèges. Jusqu’en 1982, seules les écoles maternelles et primaires étaient de la responsabilité matérielle des communes, l’Etat ayant en charge tout le reste, car un vaste programme de nationalisation des collèges (Plan Guichard) avait permis la rénovation ou la construction de 5 000 d’entre eux au début des années 70. Constructions au moindre coût (type Pailleron) et planification technocratique (carte scolaire) ont caractérisé cette période de scolarisation intense (prolongation de la scolarité jusqu’à 16 ans). Depuis 1982, le changement de décor est surprenant. Tout d’abord la volonté des Présidents de Conseils régionaux et de Conseils généraux de consacrer une part importante de leur budget pour construire ou reconstruire des lycées et des collèges a désarmé les socialistes. C’est ainsi que le 1er Octobre, Michel ROCARD qui inaugura le nouveau lycée de Conflans-Saint-Honorine, entièrement restructuré et en partie reconstruit dans un bâtiment que l’Etat avait laissé aller à vau-l’eau, devra souligner que l’essentiel de l’effort financier, pour le collège et pour le lycée, ont été supportés par la Région d’Ile-de-France et le département des Yvelines, Collectivités à majorité de droite. Vingt des vingt-deux régions sont présidées par un membre de l’U.D.F. ou du R.P.R. et soixante-dix des quatre-vingt-quinze départements sont présidés par un U.D.F., un R.P.R. ou un C.N.I. Or, ce sont ces Collectivités qui ont pris à bras-le-corps le problème de la rénovation du patrimoine public. Cinquante-cinq lycées neufs seront construits en Ile-de-France d’ici 1992. Plus de deux cents y seront rénovés et restructurés. En Picardie, un effort sans précédent a été accompli, dès 1984. Même chose en Provence-Alpes Côte d’Azur et en Aquitaine. La raison en est simple : les élus locaux ont abordé sans sectarisme et sans complexe la question des moyens de scolarisation. Dès lors qu’ils n’ont pas à arbitrer entre les querelles de personnes ou des querelles entre tendances syndicales, mais exclusivement sur des choix techniques (Architecte, plan, matériau) comme ils ont l’habitude de le faire pour la voirie ou les équipements collectifs communaux, qui relèvent depuis toujours de la compétence des élus locaux, leur objectivité reste entière. En revanche, le Ministère de l’Education Nationale s’est enfermé dans son bastion à la fois corporatiste et financier. Corporatiste tout d’abord : En effet si le nombre des élèves dans le primaire a diminué de 9 % au cours des dix dernières années, le nombre des instituteurs a augmenté de 9 %. Dès lors que les enseignants n’ont plus l’excuse de la vétusté des locaux pour parler de la mauvaise qualité de l’enseignement, on peut se demander pourquoi le fonctionnement du monde scolaire est resté si archaïque et si en retard sur l’évolution générale des dix dernières années. C’est parce que la Fédération de l’Education Nationale est devenue le bastion financier d’une organisation sociale au pouvoir. Comme le disait Friedrich Von-Hayek : "l’organisation est l’essence même du socialisme". Le corps enseignant est aujourd’hui organisé de telle manière que l’on n’y fait plus la distinction entre l’idéologie qui sert de ciment à l’organisation de la FEN, le pouvoir politique dans les Ministères et la base financière de l’organisation. Organisation financière en effet : La répartition des moyens au sein du corps enseignant est le reflet d’une pratique purement collectiviste : salaires identiques, avantages matériels identiques également (logement des instituteurs), les réseaux mutualistes (soins médicaux, maisons de repos, organisation des loisirs, casden) conduisent à une uniformisation sociale d’un groupe d’hommes et de femmes qui ne sont plus seulement liés par l’appartenance à un même métier mais également par une distribution collectiviste des biens, caractérisée par une uniformisation des biens consommés à travers les catalogues de la CAMIF ou le même mode de vie à l’occasion des vacances. Dès lors que le premier secrétaire du parti socialiste devient le Ministre d’Etat de l’Education Nationale, il n’est plus en fait le Ministre des enfants mais le porte-parole d’un lobby qui a irrigué à la fois le système organisationnel du parti socialiste mais également les lieux de décision que sont les Cabinets ministériels ou le Gouvernement. C’est ainsi que tout effort financier supplémentaire obtenu de l’Etat en faveur du corps enseignant est immédiatement capté par la nébuleuse des mutuelles, groupements d’achats, services de retraites complémentaires etc... qui vivent au détriment des 850 000 enseignants et agents de l’Education Nationale. Dans ces conditions, l’enseignement supérieur devient le parent pauvre de l’Education Nationale. Contrairement au primaire et au secondaire qui peuvent maintenant compter sur le contribuable local pour l’amélioration matérielle de la scolarisation des enfants, l’enseignement supérieur, lui, doit émarger au budget du Ministère d’Etat à la fois pour ses équipements en matériels et pour la rétribution des enseignants. Le lien pyramidal (grilles indiciaires) qui va de l’instituteur au professeur d’université ne permet aucune fantaisie quant à l’amélioration des rétributions des uns et des autres. La large augmentation du nombre des instituteurs et par conséquent l’écrasement de la pyramide à sa base fait de la masse salariale de l’Education Nationale un bloc inamovible et très peu susceptible d’évolution. Les moyens matériels sont à l’aune de cet écrasement. Ils ne peuvent être calculés qu’à la marge et n’intéressent pas les caciques de la FEN pour la plupart issus de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire. L’incompréhension des nomenclaturistes de la FEN vis-à-vis du problème réel posé par l’enseignement supérieur, transparaît de façon excellente dans l’ouvrage de Laurence PAYE-JEANNENEY et Jean-Jacques PAYAN (Le Chantier universitaire - Editions Beauchesne). Il apporte un témoignage intéressant sur le CNRS et l’enseignement supérieur. Jean-Jacques PAYAN y explique ce qu’il appelle sa "confrontation avec le pouvoir syndical". Il qualifie notamment les organisations dites représentatives de "clubs fermés indépendants de l’audience réelle de ses membres auprès des salariés". On ne saurait mieux dire. Très critique à l’égard des divers changements de cap qui ont affecté la recherche et l’enseignement supérieur au cours des quinze dernières années, il décrit cependant le désarroi du directeur de l’enseignement supérieur qu’il a été, coincé entre le Ministère des Finances et les exigences syndicales, et il tire des conclusions assez surprenantes de la part de quelqu’un qui était membre du parti socialiste lors de sa nomination à la tête du CNRS en Novembre 1981. Monsieur PAYAN explique, en effet, que "le combat pour l’égalité aboutit souvent au naufrage du service public. Mon expérience m’a convaincu de la nocivité et de l’inadaptation du statut de fonctionnaire pour les personnels de l’université et de la recherche". Dans cet ouvrage beaucoup plus critique vis-à-vis du passé que porteur de propositions concrètes pour l’avenir, Jean-Jacques PAYAN et Laurence PAYE abordent le problème de la concurrence entre tes universités. Ils observent également avec intérêt l’effort des régions et des départements en faveur des constructions scolaires dans le secondaire et le primaire et ils vont jusqu’à souhaiter que l’Etat transfère également aux régions la responsabilité de la construction, de la maintenance et du fonctionnement des bâtiments universitaires. Cela est sans doute souhaitable car la carence du Ministère de l’Education Nationale en la matière risque de perdurer. Mais c’est oublier que l’enseignement supérieur et la recherche fondamentale nécessitent des investissements très supérieurs à la simple construction de salles de classe et à leur entretien. Les équipements scientifiques de base dans une université scientifique vont jusqu’à tripler le prix du m2 de surface bâtie dès lors que les bâtiments doivent être équipés en laboratoires adaptés aux techniques modernes. Il faut donc aller plus loin. Aller plus loin consiste à mener une réflexion sur l’association possible entre les secteurs de production et l’enseignement supérieur dans les régions industrielles, il faut également impliquer les pouvoirs publics locaux qui font par ailleurs des efforts en faveur des créations d’entreprises vers une aide sur les filières innovantes. Il faut enfin donner à ces pouvoirs publics locaux la possibilité d’aider les universités à recruter du personnel. En effet, tant que le système de la titularisation restera dans le giron de l’Education Nationale, il se traduira par une cogestion entre le pouvoir syndical et les représentants de l’Etat et ni les mentalités, ni les performances ne pourront évoluer. L’idéal serait, en fait, de séparer l’enseignement supérieur et la recherche du monde de l’Education Nationale. Cela avait été tenté par Alice SAUNIER-SEITÉ à une période où les esprits n’étaient pas encore prêts pour une telle révolution. Jean-Jacques PAYAN date du colloque national de la recherche tenu en Janvier 1982 à Paris "le changement d’attitude de la majorité des universitaires et des chercheurs vis-à-vis de la coopération avec l’industrie. Avant, ils y étaient - héritage soixante-huitard - hostiles. Après, ils s’y sont montrés très favorables". Le monde universitaire n’est plus que le sommet d’une pyramide voulue autrefois par le législateur. Dans la réalité, il est à la charnière entre le savoir et le développement, en une période où les lieux de décision pour l’investissement et l’innovation ne sont plus à l’échelon de l’Etat mais à celui des départements et des régions. Il faut en tirer les conclusions et laisser le lion "Education Nationale" et son dompteur la FEN mourir de leur belle mort, hors du temps et des exigences de la fin du siècle, pour engager la réflexion sur la privatisation des universités et leur association étroite avec les collectivités locales et les entreprises. François ACQUAVIVA Les Associations Familiales Catholiques ont publié, dans "La Vie des Associations Familiales Catholiques" de juillet-août, un article sur l’éducation sexuelle par les manuels de 4ème. Nous en reproduisons ci-après des extraits avec leur aimable autorisation. "DE L’EDUCATION SEXUELLE EN 4e..." A la prochaine rentrée scolaire de nouveaux manuels scolaires vont être introduits en classe de 4e, notamment en géologie-biologie. En biologie, les programmes prévoient en seconde partie l’étude de la "transmission de la vie, aspects comportementaux, biologiques et physiologiques, cycles sexuels, fécondation, bases physiologiques de la contraception, régulation des naissances et principales maladies sexuellement transmissibles". Huit nouveaux manuels sont proposés par les éditeurs. Les chapitres consacrés aux MST (maladies sexuellement transmissibles) et à la régulation des naissances sont particulièrement révélateurs. Que propose-t-on à nos jeunes de 13-14 ans ? Le manuel Istra leur présente en page 242 un chancre syphilitique en couleur sur une verge en gros plan. Chez Magnard en page 160, l’utilisation du préservatif fait l’objet de quatre dessins, de six étapes commentées. Les éditions Belin nous invitent à des travaux pratiques sur les différentes variétés de pilules, puis dressent le tableau du taux d’échec des différents moyens de contraception. En référence : les documents du Planning Familial, vous saurez tout sur l’IVG ! Dans de nombreux ouvrages, l’abstinence est ignorée, les méthodes naturelles de régulation des naissances passées sous silence. Chez Bordas (collection Tavernier p. 181), on encourage les adolescents à s’informer. Ils sont photographiés lisant "Merlot contre MST Sida", une bande dessinée totalement amorale. C’est Hatier qui propose l’attitude la plus positive en donnant comme titre "Des maladies évitables" à la partie relative aux MST et en rappelant qu’un couple fidèle ne risque pas d’attraper une MST.
Lettre N° 20 - 2ème trimestre 1988
Le Conseil d’Administration de notre association m’a confié la charge très redoutable de parler de la prochaine élection présidentielle. Il était inconcevable que nous restions silencieux. Autant soutenir que le résultat de cette élection sera sans impact sur la politique en matière d’éducation qui sera demain celle de notre pays. Nous laissons à d’autres la responsabilité de cette attitude ; telle n’a jamais été notre doctrine. UNE NAVIGATION SANS VISIBILITÉ Mais, en l’occurrence présente, la mission qui m’est confiée est particulièrement périlleuse pour trois raisons particulières que je veux rapporter :
J’ose espérer que personne ne me reprochera de passer sous silence, pour simplifier le problème, les candidatures de MM. LAJOINIE et JUQUIN ; il est vraisemblable qu’ils sont assez éloignés de nos idées... LES LEÇONS DU PASSE Est-il opportun de revenir sur le passé ? N’est-ce pas inutile puisque depuis près de cinq ans nous avons essayé d’informer nos lecteurs de l’évolution de la situation ? N’est-ce pas injuste, puisqu’un homme politique a le droit de changer ses projets, de tenir compte de l’expérience ? Certes. Mais je répondrai d’abord qu’en présence de la terrifiante machine à oublier que constituent les moyens d’information modernes, il est bon de rappeler quelques données, aussi élémentaires soient-elles, même s’il est assez peu concevable qu’elles aient été oubliées. Ensuite, en l’absence de raisons très fortes pour nous convaincre du contraire, il est légitime de supposer d’un homme politique qu’il poursuit un même dessein, même lorsque les circonstances le contraignent à changer de tactique. C’est la pression populaire, et elle seule, qui a contraint François MITTERRAND à renoncer au projet SAVARY qui aurait entraîné la mort de l’école libre. Si les deux années qui ont suivi le 24 juin 1984 ont donné l’illusion trompeuse d’une accalmie, néanmoins les mécanismes étaient mis en place pour procéder à son étranglement en douceur, ou du moins mettre sous surveillance son développement et son fonctionnement. Qu’est-ce qui nous garantit que le projet initial ait été réellement abandonné ? Certes, il est peu vraisemblable que la guerre scolaire renaisse sous la forme que nous avons connue. Mais l’incendie peut repartir sous des formes plus insidieuses, ainsi que le montrait une analyse qu’il nous a semblé bon de présenter récemment à nos lecteurs. Ce qui permettrait à l’actuel Président de la République de répondre à la question qui lui a été posée dimanche dernier par M. CHIRAC en proclamant ses bonnes intentions, tout en récidivant par des manœuvres biaisées ! Mais le passé, c’est aussi la récente période durant laquelle une nouvelle majorité exerçait les responsabilités gouvernementales. Nous avons dit quels étaient nos espoirs ; nous n’avons pas caché ce que furent nos déceptions. Nos jugements ont été sans complaisance ; il le fallait, car nos craintes étaient grandes, la situation très périlleuse. C’est avec tristesse qu’on doit constater qu’un enchaînement irrésistible devait conduire à la situation dans laquelle nous nous trouvons. A chacun de juger, de faire la part de l’inévitable, de la difficulté propre à la situation dite de "cohabitation", et de ce qui relève de l’insouciance, de la maladresse, ou de l’insuffisante volonté. Il ne faut pas sous-estimer les aspects positifs du bilan de ces deux dernières années : l’offensive contre l’enseignement privé a été stoppée, certaines injustices dont il était victime ont été réparées ; les mesures de sectorisation liées à la carte scolaire ont été assouplies. Dans les universités la mise en application de la loi SAVARY a été arrêtée et ont été prises un certain nombre de mesures d’aspect technique mais dont la conjonction a eu un effet nettement favorable. Ajoutons deux décisions courageuses, prises l’une et l’autre par René MONORY, qui vont dans le bon sens : le décret sur les maîtres-directeurs dans l’enseignement élémentaire qui a suscité une longue guérilla, et l’arrêt du recrutement des P.E.G.C., auquel personne n’a osé s’opposer. En revanche, on n’a pas pris les précautions nécessaires en modifiant les textes sur l’enseignement privé dont la portée dépend, pour l’essentiel, de la volonté des autorités chargées de les appliquer et le statut institutionnel des Universités reste toujours indéterminé. C’est pourquoi nous avons parlé bien souvent de demi-mesures. Ajoutons deux points tout à fait négatifs. Tombant dans des pièges assez grossiers, on n’a pas su rétablir l’indispensable neutralité de l’enseignement, si bien que, dans les activités liées à l’instruction civique, on a l’impression qu’une organisation comme S.O.S.-Racisme fonctionne comme une entreprise de sous-traitance par rapport au Ministère de l’Éducation Nationale ! Il y a un seul candidat pour protester énergiquement contre cette situation : on se doute de qui il s’agit. Ensuite s’est imposée l’idée de conduire, d’ici dix ans, la grande majorité d’une classe d’âge (70 à 80 %) au niveau du baccalauréat. S’il n’y avait M. LE PEN, qui affirme que "promettre le baccalauréat pour tout le monde, c’est une escroquerie intellectuelle et morale" (Discours de Grenoble du 12 février 1988), on pourrait dire que sur cet objectif, l’accord est unanime. Nous avons déjà dit et ce qu’il faut penser de ce projet et ce que valent les modèles étrangers invoqués pour le justifier. Inutile de revenir sur ces questions. Notons simplement que c’est la mise en application de la dernière étape du plan LANGEVIN-WALLON (scolarisation jusqu’à 18 ans) et même un peu plus. Il nous est impossible de procéder à un examen comparatif détaillé des propositions des divers candidats, qui d’ailleurs ne nous apprendrait rien de très précis. Je voudrais simplement noter trois éléments :
LE BOND EN ARRIÈRE Pour résumer brutalement ma pensée, je dirai qu’à examiner les propositions des deux candidats issus de la majorité gouvernementale, on a un peu l’impression d’être revenu à la période qui a précédé mai 1981, durant laquelle on considérait qu’en matière d’éducation les problèmes étaient d’abord une question de moyens matériels et où on traitait insuffisamment les questions relatives à la finalité de l’éducation. Mais lorsqu’on regarde ce qu’on nous propose "en face", force est de reconnaître que la rétrogradation est au moins aussi grande. Faute de disposer de documents émanant du candidat François MITTERRAND, je me réfère à la revue École et Socialisme (n° 44, octobre 1987) qui résume les propositions des socialistes, présentées dans une conférence de presse de MM. JOSPIN et FABIUS. Il faut noter qu’au moins pour le second, il ne s’agit pas d’extrémistes de leur parti. De plus, pour autant que je sache, le parti socialiste se reconnaît dans la candidature de M. MITTERRAND. Nous avons donc le droit d’évoquer ce document, très significatif à bien des égards. Certes, on ne trouve pas dans ce texte une reprise du défunt projet d’unification du système éducatif. Mais, alors que trois candidats affirment nettement le principe du libre choix de l’école - M. BARRE insistant plus sur l’autonomie de tous les établissements, M. CHIRAC avançant l’intéressante idée d’un "avoir-formation", utilisable ultérieurement par les jeunes qui auraient quitté le système éducatif plus tôt que les autres, cependant que M. LE PEN se prononce sans ambages en faveur de la mise en application progressive du chèque-éducation ou bon scolaire - ce principe du libre choix n’est ici nulle part affirmé. Lorsqu’on découvre (p. 3) que "sous le prétexte de l’égalité de traitement" la politique actuelle manifesterait "une volonté de promouvoir systématiquement l’école privée par rapport à l’école publique", cela laisse rêveur sur les mesures vexatoires qui pourraient être prises demain. Bien entendu, on dénonce dans les universités "incitées en quelque sorte à l’illégalité statutaire", "l’instauration de diverses formes de sélection, le renforcement du pouvoir mandarinal et l’insuffisance des moyens pour la recherche scientifique". Bref, il n’y a aucune mesure qui ait été prise sur laquelle on ne se propose pas de revenir. Mais c’est jusque dans les détails qu’on retrouve les vieilles idées de 1981 : ainsi on nous rappelle que le rôle positif de préscolarisation pour la petite enfance doit être réaffirmé". Est-ce la scolarisation dès l’âge de deux ans qui réapparaît ? Bien entendu, on s’accorde avec le projet de 80 % de bacheliers par classe d’âge et on demande même des "diplômes rénovés" pour les 20 % qui ne devront pas être des "laissés pour compte" (p. 4). Mais surtout on insiste sur le fait qu’il ne devrait y avoir jusqu’à 18 ans aucune sélection, toute sélection étant censée être arbitraire : "Les distinctions [entre les filières de formation] sont opérées à partir de normes souvent arbitraires. Une pression est constamment exercée pour écarter, à chaque palier, un certain nombre d’élèves poussés vers l’extérieur" (p. 2). Bien entendu, le moins de redoublements possible et, pour commencer, on ne procédera à l’évaluation des acquis qu’au terme de deux ans de scolarité élémentaire, et non à la fin de la seule année de cours préparatoire, traditionnellement consacrée à l’apprentissage de la lecture, comme c’est le cas actuellement. Plus de redoublement du cours préparatoire. On ne voit guère ce que peut être une diversification de l’enseignement dans ces conditions. Profitant d’intentions peut-être généreuses, mais trop imprudemment proclamées, le Parti Socialiste en est revenu à sa vieille utopie d’un enseignement aussi égalitariste que faire se peut jusqu’à 18 ans. Et on note toujours la même précipitation dans les mesures préconisées : c’est dès octobre 1988 que devraient être organisés des "concours de pré-recrutement d’enseignants", concours préparés pendant les vacances et qui sont naturellement à l’heure actuelle sans programmes ni jurys... Est-ce bien sérieux si on veut faire des enseignants de qualité ? Les vieilles utopies ont la vie dure : il fallait que nos lecteurs en soient prévenus. Assumant depuis près de cinq ans la Présidence d’ENSEIGNEMENT ET LIBERTÉ - ce qui est un bail bien long à mon gré - je viens de remplir la très délicate mission qui m’était confiée : informer nos lecteurs. Bien entendu, ces pages sont les dernières que je leur adresse es qualité au sujet de la prochaine échéance électorale. J’estime avoir désormais la faculté de prendre à titre personnel, comme tout citoyen libre, les positions qui me sembleront bonnes. 24 et 25 mars 1988 L’AMIBE ET L’ETUDIANT (Université et Recherche : l’Etat d’urgence) par Alain DEVAQUET M. DEVAQUET trouve bien longue la période de silence qu’il s’est imposée, même si ce silence fut rompu par une interview donnée au Nouvel Observateur - il semble oublier le texte publié dans le Journal du Dimanche - qui l’a conduit "à ne pas se dérober à l’invitation des radios et des télévisions". Il publie aux éditions Odile Jacob un ouvrage dans lequel il nous fait part des enseignements qu’il tire de son expérience des responsabilités gouvernementales. Cet ouvrage a déjà bénéficié d’un passage à Apostrophes sous la forme de la confrontation de son auteur avec l’un de ses adversaires privilégiés : Jean FOYER. Ce n’est pourtant pas par la nouveauté qu’il se recommande à notre attention. Quant au style, enjolivé par quelques brèves citations de penseurs politiques (de HEGEL à Edgard MORIN, en passant par BALANDIER), il se distingue surtout par un très large usage métaphorique de concepts et de résultats transposés de la chimie, ou de la biochimie, à la pensée du social, à tel point qu’on se demande si M. DEVAQUET a une idée exacte de ce qu’est la rigueur scientifique dans un domaine aussi éloigné de ses compétences professionnelles. A vrai dire, exclus quelques détails que j’ignorais, je n’ai rien appris de neuf ni sur le déroulement des événements, ni sur les idées de M. DEVAQUET, ni sur ce que furent ses desseins et son action, si ce n’est que M. DEVAQUET est passionné d’alpinisme ! Rien de neuf, mais de multiples confirmations de ce que nous savions déjà. Son expérience ministérielle a suscité chez M. DEVAQUET des sentiments d’acrimonie véhémente, que le temps n’apaise aucunement, dont rien n’arrête l’expression, et qui ont pour particularité de toujours viser des personnes qui appartiennent au même courant politique que lui. Certains sont épargnés : par exemple MM. CHIRAC et TOUBON ou les sénateurs SERAMY et GOUTEYRON, loués pour la modération de leurs positions. Mais les objets de son ressentiment restent très nombreux : ses collègues au gouvernement, Alain JUPPE parce qu’il a exigé trop d’économies sur le budget de la Recherche, Alain MADELIN dont la "gloutonnerie" pour son propre département ministériel expliquerait tout le comportement. Mais ce ne sont que broutilles à côté du sort réservé à René MONORY. Tout en reconnaissant que ce dernier l’a laissé agir en toute indépendance - du moins aussi longtemps qu’il eut les moyens d’agir - et en soutenant de façon très étonnante qu’il n’éprouve à son égard nulle "acrimonie", il lui reproche de s’être donné le beau rôle dans l’issue de la crise de décembre, afin "de survivre à défaut d’exister" (p. 265). Admirons le talent de pamphlétaire que ses sentiments inspirent à notre auteur ! Mais, enfin, cette crise, c’est lui M. DEVAQUET qui l’a suscitée, qui n’a pas su l’éviter puisqu’il reconnaît avoir agi presque jusqu’au dénouement en toute indépendance. C’est ici que les reproches vont s’accumuler, et sur M. MONORY : il est maladroit dans ses rencontres avec les étudiants puisqu’il n’a pas un mot pour exprimer "son respect de l’apolitisme et de la fraternité qu’ils affirment dans leur grande majorité", reproche étonnant quand on voit par ailleurs M. DEVAQUET reconnaître que le mouvement était encadré politiquement depuis l’origine et que les étudiants rencontrés étaient "en majorité des adversaires politiques irréductibles" (p. 257) (Notons au passage que des données chronologiques précises, pour l’essentiel empruntées au rapport de la commission sénatoriale présidée par M. MASSON confirment ce que nous avions écrit. Le mouvement de novembre était préparé depuis deux mois, notamment par la Ligue Communiste Révolutionnaire, qui a débordé les dirigeants d’U.N.E.F.-I.D., proches du parti socialiste, plus timorés, et qui fut relayée par S.O.S.-Racisme.). Mais M. MONORY est responsable parce qu’il a pris des mesures "considérées par les syndicalistes de la F.E.N. comme autant d’agressions" : arrêt du recrutement des P.E.G.C., libre choix par les parents de l’assurance scolaire, etc. (p. 235). Et, on découvre de proche en proche que certains pans entiers de la politique gouvernementale sont réprouvés par M. DEVAQUET : de l’expulsion des Maliens au traitement des drogués et même à la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes, il y a tout un ensemble qui suscite une "anxiété" de la jeunesse dont il est manifeste que M. DEVAQUET la tient pour très légitime. Bref, c’est tout le gouvernement qui est responsable, sauf M. DEVAQUET. Si je comprends bien, une bonne recette pour éviter les oppositions des adversaires politiques, c’est d’adopter leur politique. Je passerai sous silence ce qui concerne deux personnages qui jouent un rôle éminent dans la démonologie de M. DEVAQUET : le Recteur DURAND, conseiller de Jacques CHIRAC, et Jean FOYER. Avec diverses personnes qui les soutiennent, dans l’Université ou au Parlement (dont 2 députés R.P.R.), ils ont droit à un sort particulier. Leur condamnation est sans réserve, ni appel. Ce sont ces "ultras" qui sont cause de tous les maux ! Leur dessein était, en effet, de vouloir faire adopter tant en matière d’enseignement supérieur que d’organisation de la recherche une politique dont M. DEVAQUET ne voulait pas. Mais enfin, leurs projets lui étaient-ils connus ? Les textes du G.E.R.U.F. n’avaient rien de secret. De plus, les principes fondamentaux de cette politique maudite étaient explicitement affirmés dans la plate-forme commune de la nouvelle majorité. M. DEVAQUET, qui s’est toujours défendu d’avoir participé à l’élaboration de ce texte, le reconnaît bien volontiers. Néanmoins, quand il entend Jacques CHIRAC rappeler dans sa déclaration de politique gouvernementale la prochaine abrogation de la loi SAVARY sur les Universités, il réagit ainsi : "Assis au banc des ministres, je ne suis pas surpris, mais perplexe, voire inquiet" (p. 35). Toutefois, les projets sur l’enseignement supérieur ne sont rien par comparaison avec ceux sur la recherche qui mettent en cause l’intégrité du C.N.R.S. : d’ailleurs M. DEVAQUET rappelle qu’il voulait un département ministériel uniquement consacré à la recherche, qu’il n’a accepté la tutelle de l’enseignement supérieur que parce qu’on le lui demandait instamment. A la très grande rigueur, M. DEVAQUET aurait pu laisser passer le projet FOYER sur les Universités, s’il n’y avait eu celui sur la recherche, et c’est lorsqu’il a compris (ou cru comprendre) que le premier projet conduisait nécessairement à l’autre, que le rejet des deux se fit chez lui si absolu. Il n’est aucunement question de discuter le bien-fondé des options de M. DEVAQUET. Mais a-t-on le droit lorsqu’on éprouve une si vive répulsion pour la politique dont a fait choix un gouvernement d’accepter d’y participer ? Il paraît que M. DEVAQUET a déclaré qu’il était prêt à participer à un gouvernement de "consensus", en cas de réélection de M. MITTERRAND à la Présidence de la République. Si cette éventualité doit se réaliser, souhaitons à ceux qui devraient recourir à ses services qu’il manifeste à leur égard plus de fidélité qu’il n’en a eu par le passé. M.B. Lettre N° 19 - 1er trimestre 1988
LA VICTOIRE VOLÉE Le 24/6/84, les Français manifestaient avec éclat leur volonté de défendre le pluralisme scolaire et forçaient le pouvoir socialiste à reculer dans sa tentative brutale d’unification du système éducatif. Mais, l’euphorie de la victoire peut avoir les vertus de l’opium. Elle anesthésie la vigilance et suscite le rêve. C’est à ce moment qu’un adversaire habile regagne par la ruse ce qu’il a perdu par la force. LE PIÈGE DE CHARME Chacun connaît les talents de M. MITTERRAND. Tirant avec lucidité les leçons du passé, il a le génie des revirements qui transforment en succès les situations les plus délicates, de sorte que, trois ans et demi après cette journée historique, il est parvenu à en neutraliser les effets. Tout en simulant de se soumettre à la volonté populaire, loin de renoncer à son objectif, il choisit de l’atteindre par des voies détournées, moins rapides mais tout aussi efficaces. Il confia, pour ce faire, le Ministère de l’Éducation Nationale à un homme intelligent et subtil qui mit toute son habileté à faire croire que la gauche, troublée par la grande explosion de l’été, abandonnant ses fantasmes intégrationnistes et modérant les ardeurs de ses extrémistes, saurait se contenter de quelques "mesures simples et pratiques" dénuées de toute arrière-pensée idéologique. Mis en place dans un climat trouble de désinformation, le dispositif législatif de M. CHEVENEMENT, loin d’être anodin comme il a voulu le faire croire, constitue, en fait, l’arme cachée du crime parfait : suffisamment imprécis pour permettre des interprétations variables, ces textes peuvent à la fois s’adapter aux exigences d’une temporisation immédiate tout en contenant, pour l’avenir, le poison dont les adversaires du pluralisme scolaire auront besoin pour détruire à bas bruit, le moment venu, la liberté scolaire. En effet, interprétée dans un sens restrictif, la loi JOXE-CHEVENEMENT donne la possibilité à qui le souhaite d’asphyxier financièrement l’enseignement privé, de le marginaliser en limitant son développement et de le détruire de l’intérieur en infiltrant dans ses écoles des maîtres opposés à l’application de leurs projets éducatifs. Que peut-on espérer de plus efficace pour parvenir à cette uniformisation du système scolaire français à laquelle la gauche ne renoncera jamais ? En supprimant la stimulation née de la diversité, l’abolition du pluralisme dans l’enseignement permet le nivellement et représente, pour cette raison, un objectif que l’idéologie socialiste se doit d’atteindre pour assurer sa pérennité. Pour parvenir au but, la sagesse veut qu’après l’échec de 84, elle simule la retraite en préparant la contre-attaque. Seuls certains maladroits tels que M. SIMBRON, secrétaire général de la F.E.N., commettent encore quelques erreurs à la Laignel dont les états-majors affectent de s’indigner, mais l’ensemble des responsables a compris que la tactique idéale consistait à séduire l’adversaire pour exploiter sa confiance et sa crédulité. PROMESSES ET RÉALITÉS Très conscients des menaces qui planent sur le pluralisme scolaire, les candidats de l’actuelle majorité s’étaient engagés, au printemps 86, à renforcer la garantie constitutionnelle de la liberté d’enseignement et à substituer à la législation JOXE-CHEVENEMENT des textes qui, sans se contenter d’affirmer le principe de cette liberté, lui donneraient, dans les faits, des possibilités réelles d’existence. Les mois ont passé. Le nouveau Gouvernement, semblant oublier ses engagements d’hier, s’est contenté de minimiser les effets de la législation en vigueur. Il donna des consignes de "souplesse et de modération" dans l’application de la loi - prouvant ainsi, s’il en était besoin, ses dangers -, prit des mesures, en particulier sur le plan financier, pour assurer la survie immédiate de l’enseignement privé, mais négligea d’entreprendre ces indispensables réformes destinées à écarter les risques pour l’avenir. D’autant plus préoccupés par cette situation que nous sommes à la veille de nouvelles échéances électorales, les Associations et Comités de défense de la liberté d’enseignement sont allés exprimer clairement le 2 juillet 87 leurs craintes et leur désillusion à M. ROGER, Directeur du cabinet de M. MONORY. Faut-il voir là le fruit de notre démarche ? A l’automne, nous prenions connaissance d’un projet de décret concernant les conditions de nomination des maîtres de l’enseignement privé établi à la demande du Premier Ministre. Or, ce texte, satisfaisant puisqu’il redonne aux chefs d’établissement une réelle liberté dans la constitution de leur équipe éducative, reste actuellement en attente à Matignon. Notre détermination, qui a le mérite de la constance, nous conduisit une deuxième fois au Ministère de l’Éducation Nationale, le 2 décembre dernier, pour y apprendre que J. CHIRAC s’interroge désormais sur l’opportunité d’abolir une législation dont l’Enseignement Catholique ne demande pas la modification dans l’immédiat. Lors de l’audience qu’il accorda à quatre de nos représentants le 8 janvier, le Père CLOUPET explicita la position des dirigeants de l’Enseignement Catholique. Elle se résume ainsi : certes la loi JOXE-CHEVENEMENT "n’est pas bonne" et devra un jour être changée, mais "elle n’est pas pernicieuse" parce qu’elle a le mérite de reconnaître "le principe" de la liberté d’enseignement. Dans l’immédiat, l’Enseignement Catholique ne demandera aucune modification de la législation en vigueur, se contentant d’en obtenir une application conforme à ses intérêts et se réservant la possibilité d’intervenir ultérieurement si des difficultés apparaissaient. Stupéfiante analyse que M. VAUJOUR, président de l’U.N.A.P.E.L. porte à son paroxysme en écrivant le 4 septembre 87 aux Présidents départementaux et académiques de son mouvement : "Nous estimons que la loi de 1959, dans son état actuel, a fait l’objet d’un large consensus transcendant les clivages politiques. Elle doit demeurer dans son état actuel, la loi fondamentale qui régit les rapports de l’enseignement privé avec les pouvoirs publics"... Et d’ajouter plus loin : ..."nous devons donc nous fixer pour règle de ne pas interroger les candidats ou les partis sur leurs intentions quant aux relations de l’enseignement privé avec les pouvoirs publics, ni répondre à leurs sollicitations éventuelles autrement qu’en réaffirmant notre position". On croit rêver ! Aucun de nous n’a oublié le temps où, pour sauvegarder son existence, l’Enseignement Catholique se battait en tenant scrupuleusement à l’écart les élus qui voulaient lutter avec lui par peur, disait-il, d’aliéner son indépendance. Il accepte pourtant aujourd’hui, sans murmurer, une législation qui le livre, pieds et poings liés, au bon vouloir du pouvoir politique. Une telle attitude traduit-elle l’inconcevable naïveté de ceux à qui la gauche a réussi à faire croire qu’elle n’est plus ce qu’elle était ou bien plutôt la peur, en défendant sa spécificité, de heurter tous ceux qui, en son sein, appellent de tous leurs vœux ce statut de droit public dont ils attendent tant d’avantages ? Par crainte d’affronter une situation qu’il n’a pas su maîtriser en temps opportun, ne recule-t-il pas le moment où il lui faudra choisir, soit de perdre son âme en se fondant dans un système d’éducation unifié où son caractère propre disparaîtra, soit, débarrassé de ses chimères et de ses déchirements internes, de reconstruire son unité sur des bases solides pour défendre les valeurs auxquelles il croit ? LE DILEMME Quoi qu’il en soit, que fera désormais J. CHIRAC ? Va-t-il écouter les responsables de l’Enseignement Catholique en prenant ainsi le risque de se déjuger aux yeux de ses électeurs de mars 86 ou bien va-t-il décider d’honorer ses engagements et de répondre à l’attente de ceux qui firent le succès de juin 84 ? Comprendra-t-il que les analyses de quelques-uns ne représentent pas l’opinion de l’ensemble ? Au-delà des convictions, où se situe maintenant l’intérêt politique ? Par un curieux paradoxe, l’attitude des responsables de l’Enseignement Catholique - qui prétendent tellement redouter la politisation du problème scolaire -, contraint le Premier Ministre - candidat à la Présidence de la République à analyser la situation en terme électoral. De sa décision, de sa volonté d’établir aujourd’hui les conditions d’un véritable pluralisme scolaire peut dépendre l’avenir d’une liberté. Souhaitons qu’il se souvienne en temps utile des mots qu’il prononça à Nantes le 4 décembre 85 : ... "ne croyez pas que le problème soit réglé. Ce n’est pas vrai. Il y a une grande hypocrisie à se taire ou une grande lâcheté, car, en vérité, les socialistes poursuivent leur chemin (...) Il faut que les responsables de l’enseignement libre le sachent : nous ne les (les socialistes) laisserons pas poursuivre leur route, avec ou sans la complicité de qui que ce soit, et nous sommes bien déterminés à faire en sorte que, demain, l’abrogation de tous les textes existants et qui ont été faits par ce gouvernement dans ce domaine, et l’institution d’une nouvelle législation donnent à chaque famille le droit, sans pénalité, de choisir l’école de son choix". C’est très exactement ce que nous attendons de lui. Ghislaine WETTSTEIN-BADOUR L’Union Nationale des Associations de Parents d’Elèves de l’Enseignement libre s’est déclarée, dans un communiqué de presse du 1er février, "profondément surprise par les déclarations du Président de la F.E.N. sur l’école catholique... Ces propos constituent, à un moment politique sensible, une tentative de relance de la querelle scolaire". Bossuet prononçant l’oraison funèbre du Prince de Condé nous a éclairé d’avance sur la capacité des dirigeants de l’UNAPEL à exercer leurs responsabilités "car il tenait pour maxime qu’un habile capitaine peut bien être vaincu, mais qu’il ne lui est pas permis d’être surpris". L’UNAPEL conclut son communiqué par "en tentant aujourd’hui de relancer une guerre scolaire que personne ne veut... le président de la F.E.N. prend une grave responsabilité. L’UNAPEL met en garde tous les Français contre ce danger mortel pour notre pays". Considérer le président de la F.E.N. comme un isolé relève de la méthode Coué. D’ailleurs, s’il est isolé, pourquoi mettre en garde tous les Français contre le danger qu’il incarne ? Enfin, quelle est la portée pratique d’une mise en garde venant d’une organisation qui pousse la discrétion jusqu’à s’interdire et à interdire à ses adhérents d’interroger les candidats à la présidence de la République sur leur conception de l’école. Craignons que cette attitude ne vaille, dans un proche avenir, une nouvelle surprise à l’UNAPEL et aussi, malheureusement, aux parents qu’elle s’est chargée de représenter. P.J.C. LES FORMES NOUVELLES DE LA GUERRE SCOLAIRE Le 24 juin 1984, deux millions de personnes défilaient dans les rues de Paris. Cette mobilisation sans précédent n’était que la réponse - déterminée et vigoureuse - d’un peuple à son gouvernement, lequel avait déclenché, de façon directe et brutale, la guerre scolaire. Cette attaque frontale ayant échoué, on pouvait s’attendre à la reformulation de la stratégie. C’est aujourd’hui ce qui est en train de se produire. La stratégie directe, caractérisée par des initiatives parlementaires (projets de loi) et par des manifestations de rue (manifestations du C.N.A.L. notamment) ne peut plus être envisagée par les tenants de la laïcité. Tout au moins avant longtemps. La défaite du 24 juin 1984 leur interdit de recourir aux mêmes procédés, sous peine d’aboutir aux mêmes échecs. Les offensives à lancer contre la liberté de l’enseignement doivent se faire sur un autre damier, par des manœuvres contournantes et globalisantes. C’est cette stratégie indirecte qu’élaborent les différents mouvements et associations qui œuvrent dans l’esprit de la Fédération de l’Éducation Nationale. Cette stratégie consiste à retravailler la notion de laïcité, à l’actualiser, à la reformuler, à ne pas faire d’elle ce qui fut perçu comme un outil d’agression forgé pour détruire une liberté (la liberté d’enseignement) mais, au contraire, une sorte d’idéal collectif, une pierre d’angle à partir de laquelle doit s’organiser la vie en société. En juillet 1986, le secrétaire général de la Ligue de l’Enseignement (3,2 millions de membres, 44 000 associations affiliées, 100 fédérations départementales) lançait ainsi ce projet de "toilettage" de la notion de laïcité : "Travaillons au contrat laïque de notre avenir commun". LAICITE 2000 Bâtir un "projet d’avenir pour la laïcité" : tel est bien l’objectif des différentes structures laïques. Concrètement, cela revient à rappeler, en toutes circonstances, que la laïcité ne se ramène pas au seul débat de l’école. Et qu’aujourd’hui, les nombreux événements qui font l’actualité politique et sociale procèdent du débat sur la laïcité. Le 1er février 1988, Yannick SIMBRON, secrétaire général de la F.E.N., déclarait ainsi, dans le discours d’ouverture du congrès de son organisation : "Ce sont les Beurs, c’est S.O.S.-Racisme, c’est la Ligue des Droits de l’Homme qui réactivent ce débat sur la laïcité et quelquefois même sans utiliser le mot, mais en lui donnant vie". Il poursuivait : "Notre proposition de règlement institutionnel de la question scolaire qui ne constitue que l’un des aspects de la laïcité n’a pas abouti. La question scolaire a occulté tous les autres aspects du débat laïque". Conséquence : il importe de valoriser les autres aspects de la laïcité, de redynamiser l’idéal laïque et de souligner son impérieuse nécessité. Ce travail effectué - ce qui nécessite la mise en place d’une vaste entreprise de pédagogie et de communication - la question scolaire n’apparaîtra plus au centre du débat. Les décisions qui pourraient être prises pour promouvoir le "contrat laïque" se situeront par rapport à un système cohérent et explicatif de la société. Et les nouvelles lois qui pourraient être votées en matière scolaire se présenteraient alors comme une des applications concrètes de ce "contrat laïque". NEUF PROPOSITIONS A l’occasion de son congrès de 1986, la Ligue de l’Enseignement a défini neuf propositions pour un tel projet :
La démarche se veut ouverte. Il est ainsi proposé "un programme de concertation et de discussion au niveau national avec les églises". Cette démarche est en fait englobante et récupératrice. Elle vise progressivement, au nom de la liberté intime de l’esprit, au nom de la pensée scientifique et de la raison humaine à rendre suspecte et à marginaliser toute démarche religieuse et toute recherche de Vérité. Bernard VIVIER Lettre N° 18 - 4ème trimestre 1987
FAUT-IL ENSEIGNER LES DROITS DE L’HOMME ? FAUT-IL ENSEIGNER LES DROITS DE L’HOMME ? Étrange question, dira-t-on. Les droits de l’homme ne sont-ils pas enseignés à l’heure actuelle et d’ailleurs depuis fort longtemps ? Comment pourrait-il en aller autrement ? Un cours d’histoire qui passerait sous silence une notion qui a joué un rôle aussi déterminant dans l’évolution de nos sociétés depuis plus de deux siècles est proprement inconcevable. Je ne vois pas comment un professeur de français pourrait parler des penseurs des Lumières sans aborder les questions afférentes aux droits de l’homme. Quant aux professeurs de philosophie, on ne peut certes pas leur reprocher d’éviter la réflexion sur le concept des droits de l’homme ! Il suffit pour s’en convaincre de se référer à la liste des sujets proposés dans leur discipline aux candidats au baccalauréat. Bien entendu, ce n’est pas de ce type d’enseignement que je veux parler et je n’ai pas la moindre intention de demander que s’exerce contre lui une censure qui serait aussi insoutenable qu’absurde, mais de tout autre chose. Car, il faut bien en convenir, lorsqu’on parle aujourd’hui d’un enseignement des droits de l’homme - ou d’un enseignement aux droits de l’homme, pour user de l’étrange syntaxe qui est celle de rapports très officiels - on parle d’un enseignement d’une nature toute différente, tant par son contenu que par ses objectifs. Il est alors indispensable de s’interroger sur la place que peut occuper ce nouvel enseignement dans le cadre d’une école qui se veut neutre. LA PENTE FATALE Remettons les choses dans une perspective historique. Je distinguerai trois événements majeurs. Le premier est la décision de M. CHEVENEMENT de rétablir l’instruction civique. Cette décision, intrinsèquement louable, a été bien accueillie par l’opinion publique. Mais on a porté peu d’attention aux programmes fixés par le Ministre et aux instructions qui les accompagnaient. Tout au plus, l’interprétation de ces programmes par certains éditeurs de manuels scolaires avait-elle suscité un peu d’émoi. A l’époque, j’avais fait part dans cette Lettre de ma grande inquiétude. Les manuels en question, très orientés politiquement, étaient parfaitement conformes à l’esprit des instructions, ou du moins nullement en contradiction avec lui. Ils visaient bien les objectifs que M. CHEVENEMENT assignait à l’instruction civique, de son propre aveu. Il ne s’agissait pas de faire connaître les institutions publiques et simplement de former des bons citoyens, mais de préparer et d’encourager certaines transformations sociales, conformes aux vœux de ceux qui professent une idéologie particulière. Préparer la France de 2015, telle que M. CHEVENEMENT voudrait qu’elle soit, et pour cela inciter les jeunes, dès l’école et à l’école, à intervenir dans les grandes questions d’actualité, tel était le but de la "nouvelle" instruction civique. Depuis deux ans, la situation ne s’est aucunement améliorée, comme on va le voir. Le second événement est l’annonce, le 26 mai 1987, par M. MONORY, Ministre de l’Éducation Nationale, et de M. MALHURET, Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre chargé des Droits de l’Homme, de nouvelles mesures : les Ministres demandaient notamment que l’accent soit mis sur les aspects "droits de l’homme" des programmes d’histoire de première et de terminale et, en conséquence, prévoyaient des compléments de ces programmes. On allait même jusqu’à fixer un volume horaire : un tiers du temps réservé à l’enseignement de l’histoire devait être consacré aux "droits de l’homme" et enfin on instituait une sanction spécifique de cet enseignement au baccalauréat. Bien entendu, on en appelait à la collaboration pluridisciplinaire pour le développer. Accueillies par le grand public avec cette approbation polie qui cache une indifférence réelle, ces mesures furent chaleureusement applaudies par les organisations dont la fonction déclarée est de "lutter contre le racisme" et de plaider la cause des immigrés, naturellement sous la réserve d’usage "qu’elles n’allaient pas assez loin". Le moins qu’on puisse dire est que le corps professoral a pour sa part manifesté une sage réserve. Non qu’on puisse le soupçonner d’être, dans sa majorité, hostile aux droits de l’homme ; mais on peut adhérer à certaines idées sans souhaiter pour cela se voir chargé de les diffuser sur injonction de l’autorité étatique. Par fonction, ceux qui enseignent ont très bien perçu ce qu’avait d’inquiétant le rôle qu’on voulait leur faire jouer. Par exemple, l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public a pris position. Dans une lettre à M. MONORY, rendue publique dans sa revue(L’Enseignement philosophique, 37e année, Juin-Août 1987, p. 135), son Président, après avoir noté que les droits de l’homme ne peuvent être réduits à un simple fait de croyance historiquement déterminée, mais appellent une réflexion méthodique, écrit très judicieusement : "Doit-il en résulter une épreuve d’examen ? La récitation d’un catéchisme des droits de l’homme serait dérisoire. Quant à demander au candidat bachelier de prendre position sur des cas actuels ou même historiques, cela soulèvera inévitablement toutes sortes de difficultés et de suspicions. D’ailleurs une telle épreuve n’a pas sa place dans un examen national qui doit attester des capacités dans des disciplines déterminées et ne peut sans confusion jouer le rôle d’une sorte de certificat de civisme." Je ne vois pas ce qu’on peut répliquer à cette objection et, pour autant que je sache, on ne lui a rien répliqué. Ce qui ne veut pas dire qu’on en ait tenu le moindre compte, comme le prouve la suite des événements. Le troisième événement que j’évoquais, c’est la publication du rapport rédigé à la demande de M. MALHURET (encore lui !) par M. HANNOUN, dont il faut souligner qu’il est député R.P.R. (ce qui manifeste qu’aucune composante de la majorité gouvernementale ne veut être en reste sur ce genre de question !). Ce rapport consacré au racisme et aux discriminations en France traite en apparence une question distincte de la nôtre. Mais ce n’est qu’une apparence. M. HANNOUN pose en effet une étrange égalité : défendre les droits de l’homme et lutter contre le racisme sont une seule et même chose. Il semble ignorer qu’historiquement le problème des discriminations raciales, qui n’est qu’un parmi d’autres, n’a joué qu’un rôle secondaire dans le développement de l’idée des droits de l’homme, qui a bien d’autres fonctions que d’animer la lutte antiraciste. Il affirme ensuite que s’il faut renforcer la sanction de certains comportements, il faut aussi et surtout "agir sur les mentalités" (p. 13), et qu’"en matière de lutte contre le racisme, l’Éducation a un rôle de premier plan" (p. 136). D’où sa conclusion : non seulement il approuve les mesures prises par MM. MONORY et MALHURET, mais il demande qu’elles soient considérablement renforcées et qu’on leur apporte des compléments de diverses natures. Nous sommes donc bien dans le vif de notre sujet et, avec le rapport HANNOUN, nous constatons que les déclarations du 26 mai n’étaient pas un épisode sans signification, mais qu’on persévère. Perseverare diabolicum. UNE EDUCATION SANS FIN M. HANNOUN part de trois prémisses :
Si subsiste ce racisme souterrain qui se manifeste notamment par les arrière-pensées et les lapsus (p. 42) - que ne va pas pourchasser M. HANNOUN ! - c’est que le racisme est une attitude "spontanée, sinon naturelle" (p. 76). Il est ancré dans "la peur de l’autre", dans l’attitude qui conduit à rejeter ce qui diffère de soi plutôt que "de se remettre en question" (p. 16, p. 18). Et dans une page de bravoure, de ce style auquel nous ont habitués les discours de S.O.S. Racisme, M. HANNOUN nous parle de ces phénomènesd’exclusion de tout ce qui est différent, animés par "une même logique" (p. 15). A croire qu’il va chercher son inspiration dans la description du "grand renfermement" (des déviants, des fous, des marginaux) par Michel FOUCAULT. Puisque le racisme est en quelque sorte spontané, "l’anti-racisme est donc quelque chose qui s’apprend" (p. 76). En la matière, l’éducation est une "nécessité permanente". Entendons par là qu’on n’en a jamais fini avec ce type d’éducation. On nous dit modestement qu’il faut "changer les mentalités" ; il semble en fait qu’on voudrait bien plus modifier la nature humaine, "lutter contre la bête qui est en nous" (p. 74). Dans sa croisade anti-raciste, M. HANNOUN évoque irrésistiblement les prédicateurs puritains partant en guerre contre la sexualité !
Y avait-il lieu de se réjouir du déclin des idéologies et de l’apparition d’un consensus mou, fait d’attitudes toutes négatives qui peuvent mettre en péril la cohésion et la vitalité du corps social, de les interpréter comme des mouvements séculaires, alors qu’il peut s’agir de phénomènes transitoires ? Vraiment M. HANNOUN, qui pense comme on parle à la télévision, accorde trop de crédit aux analyses de B.-H. LEVY qui, comme les autres "nouveaux philosophes", tire gloire du fait qu’il jette aujourd’hui aux orties les fanatismes qui ont éclairé sa jeunesse. Dans ces conditions, il sera difficile d’établir sur la seule idée des droits de l’homme une nouvelle morale qui revêt un aspect quasi religieux. C’est pourtant à cette tâche qu’on s’est attelé. VERS DE NOUVEAUX DOGMES ? Ces prémisses posées, quelles conséquences va-t-on en tirer ? Rappelons d’abord que nous ne nous intéressons ici qu’à ce qui est proposé en matière d’éducation, soit approximativement le tiers des 53 mesures préconisées, et que la question des droits de l’homme est en quelque sorte réduite au seul aspect de la lutte contre le racisme qu’on isole et privilégie pour des raisons plus ou moins valables. Ceci étant dit, l’auteur n’ignore pas les obstacles : certaines campagnes anti-racistes peuvent par leur maladresse susciter des réactions radicalement opposées à leurs objectifs (p. 64) et surtout "nos concitoyens paraissent résolument hostiles à l’idée d’une France multiculturelle" (p. 65). Est-ce à dire qu’on va résolument abandonner cette idée ? Pas exactement. Mais au lieu de parler de l’insertion des immigrés, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ce qui suppose la juxtaposition de communautés étrangères les unes aux autres, chacune conservant sa culture propre, on parlera de leur intégration. Le mot, qui n’est pas neutre - M. HANNOUN insiste (pp. 105-6) - n’est pas synonymed’assimilation, ce qui supposerait que les étrangers se rendent semblables aux Français, si bien qu’à eux seuls un effort serait demandé, "le pays d’accueil demeurant semblable à lui-même". L’assimilation ne fonctionne plus (ce qui est partiellement exact) et d’ailleurs M. HANNOUN n’en veut pas. Reprenant une référence qui a décidément beaucoup servi, il affirme péremptoirement : "continuer à enseigner "nos ancêtres les gaulois" n’est ni possible, ni souhaitable". Reste la voie de l’intégration qui est en quelque sorte la voie médiane : "L’intégration implique donc un effort réciproque. La France doit faire des efforts pour permettre aux étrangers de s’intégrer",mais eux aussi. Le concept n’est pas mieux défini. J’ai bien peur que l’intégration ne soit pas l’insertion à petite dose et menée de façon hypocrite, de telle sorte que la France ne perde pas trop vite son identité et comme sans s’en apercevoir... Ces craintes vont apparaître comme très fondées lorsqu’on passe aux mesures proposées. Il y a bien sûr toute la panoplie des mesures destinées à tenir compte de la situation particulière des enfants d’immigrés et à les favoriser. Tout ce qui est proposé n’est pas blâmable mais l’ensemble donne une singulière impression. Il est d’ailleurs assez étrange que M. HANNOUN se soucie tellement du sort des "primo-arrivants" futurs alors qu’il annonce, bien entendu, l’arrêt de toute nouvelle immigration. Pourquoi d’ailleurs si on était tellement certain de cet arrêt prévoir dans les formations de tous les enseignants "une unité d’étude sur les problèmes spécifiques des jeunes étrangers ou d’origine étrangère" (Proposition 35, p. 147) ? Dans les universités, des missions d’universitaires issus des pays d’immigration viendront faire connaître les cultures et les systèmes juridiques de ces pays à leurs collègues (avec examen obligatoire ? On ne nous le dit pas). (Proposition 9 et 10, p. 138-9). Mais bien entendu l’essentiel c’est "l’enseignement des droits de l’homme". Quant à son contenu, on ne nous dit guère quel il sera. Toutefois, M. HANNOUN manifeste une singulière préférence pour tout ce qui émane de l’O.N.U., puisque ce serait là que se forgent "les instruments les plus complets" en la matière et qu’on s’y fonde souvent "sur la philosophie des "libertés réelles"", notion dont je dois rappeler qu’elle est celle que MARX oppose à l’idée de droit de l’homme telle qu’elle apparaît dans la déclaration de 1789 (p. 82-3). Laissons à M. HANNOUN ses références et ses préférences pour ce qui fut nommé par le Général de GAULLE le "machin". En tout cas, rien n’est prévu qui prévienne toutes les déviations, tous les usages abusifs auxquels peut donner lieu un enseignement des droits de l’homme. Cet enseignement est considérablement renforcé : on le retrouve à tous les niveaux, puisqu’il est même inséré dans la formation des fonctionnaires. On nous l’apporte même à domicile avec de "bonnes" émissions de télévision : par exemple une saga édifiante, sur une famille d’immigrés (le Dallas des Minguettes !), dont il faudrait encourager la production. Il est bien sûr sanctionné, au baccalauréat notamment, et contrôlé : on "invite" les éditeurs de manuels à solliciter conseils et avis d’une commission officielle, mais sans attenter à leur liberté de conscience, pas plus qu’à celle des maîtres, ou à celle des élèves. M. HANNOUN nous l’a promis : soyons donc rassurés ! Et pour faire sérieux, on crée centres universitaires de recherche, diplômes d’études approfondies, formation de troisième cycle en matière de Droits de l’Homme. A croire que le sujet est vraiment inépuisable. Enfin, pour couronner l’ensemble, on mettra en place une université d’Ethique (terme qui a le vent en poupe et qui doit être pris, au moins ici, pour strictement synonyme avec celui de morale, vraiment trop démodé !). Mais, dans ce cas aussi, soyons rassurés : les travaux de cette Université pourront bien servir de référence, mais on ne prétend pas définir une "doctrine" (p. 79). Si je comprends bien, la morale officielle patronnée et imposée par l’Etat n’est pas encore au programme. En conclusion, je voudrais simplement rappeler quelques données de fait. Lorsque au début du siècle, la IIIe république mettait en place un enseignement primaire, gratuit, laïc et obligatoire, elle se heurtait, elle aussi, à des difficultés considérables. La France était, déjà en ces temps, idéologiquement divisée, les conflits politiques violents et de nombreux secteurs de la population peu accueillants à la nouvelle école publique. L’action et le bilan de cette République peuvent susciter de légitimes réticences. Néanmoins, ceux que PEGUY a nommé ses "hussards noirs" ont su forcer le respect de leurs adversaires. Ils ont instruit les Français qui leur en eurent une très grande reconnaissance. C’est que, malgré tous les excès, ils respectaient certaines règles dont on leur avait appris qu’elles étaient sacrées. Lorsque à Bordeaux, un Doyen de Faculté, lors des obsèques du Recteur, parlant ès qualités, croyait bon de faire allusion aux positions dreyfusardes qu’il partageait avec le défunt, le Ministre de l’Instruction Publique - Léon BOURGEOIS -, lui-même dreyfusard, le sanctionnait sur-le-champ en le suspendant pour six mois de son autorité décannale, parce qu’il avait engagé l’autorité de sa fonction dans une querelle politique. M. HANNOUN montrerait-il la même rigueur ? Une règle de principe fut posée : aucun enseignement de morale ou d’instruction civique ne pouvait donner lieu à une épreuve d’examen. Non seulement parce que de tels enseignements visent plus à modifier les conduites qu’à diffuser des savoirs, mais surtout parce qu’on voulait éviter d’être accusé de sélectionner "sur critères idéologiques". Cette règle fut toujours respectée jusqu’à aujourd’hui. M. HANNOUN a-t-il les mêmes scrupules ? Lorsqu’un instituteur de zone rurale était mis, au début du siècle, en présence de petits Corses ou de petits Bretons, le public auquel il s’adressait ne pratiquait pas la langue française, qu’il n’avait jamais entendu parler, et les familles étaient réticentes devant cet enseignement qu’on leur imposait. Je ne crois pas que sa situation était plus confortable que celle de l’instituteur des Minguettes. Mais il savait, lui, que l’autorité publique le soutenait. Il enseignait en français et les élèves n’étaient pas autorisés à utiliser une autre langue à l’école, même dans les cours de récréation. M. HANNOUN est-il capable du même courage ? Maurice BOUDOT. LA FEN, SYSTÈME ET ESPRIT DE SYSTÈME La Fédération de l’éducation nationale (FEN) n’est pas seulement une force syndicale. C’est aussi une puissance économique et une matrice idéologique. Le système est complet. Ainsi s’explique son influence politique. * L’empire de la FEN est un véritable système. C’est-à-dire, pour reprendre la définition du dictionnaire Robert, un "ensemble structuré d’éléments naturels de même espèce ou de même fonction". Force syndicale, force économique et force politique, l’empire de la FEN est tout cela à la fois. La partie la plus apparente de cet empire, c’est la FEN elle-même, en tant qu’organisation syndicale. UNE FORCE SYNDICALE Avec quelque 450 000 adhérents déclarés, la FEN peut aisément être comparée aux autres confédérations de salariés. Par ses effectifs, elle se situe même en quatrième position, après la CGT, la CGT-FO et la CFDT. Dans la Fonction publique, la FEN se situe en première place des organisations syndicales dans les secteurs de l’enseignement et de la formation. Son audience, quoique subissant une certaine érosion, ainsi que la récente concurrence de Force ouvrière, reste encore très forte. Le taux de syndicalisation est, dans l’Éducation nationale, un des plus élevés de tous les secteurs d’activité de notre pays. Reconnue représentative depuis 1954, la FEN est présente, à travers ses 49 syndicats, dans tous les milieux de l’enseignement et dans toutes les catégories de personnel. Contrairement à une idée répandue, la FEN n’est pas une fédération regroupant seulement des enseignants. Environ le tiers de ses membres remplissent des fonctions d’administration, de gestion, de service, etc. Cette force numérique et cette audience permettent à l’organisation de se poser en interlocuteur redoutable des responsables de l’Éducation nationale. Ces derniers étant, en fait, souvent empêtrés dans le gigantisme des structures, l’organisation syndicale exerce plus le pouvoir véritable qu’elle ne joue un rôle équilibrant de contre-pouvoir. Nombre de décisions - à commencer par celles concernant les changements d’affectation des professeurs - sont étroitement contrôlées par la FEN. Les commissions paritaires créées à la Libération lui ont progressivement donné cette possibilité. Ainsi, les postes de direction de l’Éducation nationale, au niveau académique mais aussi au niveau national, ont été mis, par ses soins, "sous influence". Dans le livre "Tant qu’il y aura des profs" (Le Seuil, 1984), Hervé HAMON et Patrick ROTMAN rappellent une légende - étayée de diverses sources - selon laquelle l’état-major de la FEN était informé heure par heure des rendez-vous et déplacements de Christian BEULLAC, lorsque celui-ci était ministre de l’Éducation. Dans un entretien accordé aux deux mêmes auteurs, Jean-Claude BARBARRANT, secrétaire général des instituteurs, avoue crûment : "Il est évident que nous avons les moyens d’avoir la peau d’un ministre"(page 228). Propos repris à la télévision quelque temps après, en des termes proches, par le secrétaire général de la FEN. Ce comportement quasi-hégémonique est porteur de corporatisme et, plus encore, de blocages de notre système éducatif et de menace pour la liberté d’enseignement. "Jamais, écrit Jacques POMMATAU, secrétaire général, la FEN n’acceptera que soit accordée une autonomie aux établissements, particulièrement en matière de projet éducatif, aussi longtemps que subsisteront des établissements de statut privé, et conservant leur "caractère propre" (lettre publiée par "La Croix", 6 janvier 1984). Ainsi, la force syndicale de la FEN se nourrit-elle d’un profond esprit corporatiste, auquel elle donne une orientation militante. Cette force syndicale n’est cependant pas née du hasard. Et elle ne se maintient pas par extraordinaire, au moment où l’ensemble des autres organisations syndicales connaissent une chute rapide et forte de leurs effectifs et de leur audience. UNE PUISSANCE ÉCONOMIQUE L’appareil syndical est soutenu par une formidable infrastructure économique qui a su, elle aussi, conserver sa fougue militante. La FEN se trouve l’élément moteur d’un vaste réseau de coopératives, mutuelles, banques, associations, etc. qui contribue en retour à lui assurer la fidélité de ses membres et sympathisants, pour lesquels il est devenu l’environnement naturel. En effet, le million de membres de l’Éducation nationale et leurs familles (soit, au total, plusieurs millions de personnes) peuvent trouver dans ce qu’il est convenu d’appeler "l’empire" de la FEN réponse à quantité de leurs besoins : banques, assurances, santé, loisirs, logement, vente par correspondance, etc. Pour ce faire, la FEN et ses syndicats (notamment celui des instituteurs) ont aidé à la création puis ont contrôlé et géré depuis parfois plus d’un siècle quelque 64 organisations dont le champ d’activité est, au total, très vaste. Les plus importantes de ces organisations sont :
Citons également la Mission laïque française, dont les démêlés avec la Cour des comptes ont naguère fait la "une" des journaux, ou la Ligne française de l’enseignement, créée en 1866 et qui regroupe 1 million d’adhérents encadrés par 2 000 permanents et 100 000 bénévoles. Ces organisations atteignent ensemble une dimension financière impressionnante. Mais, plus que leur taille, c’est leur complémentarité qui assure la solidité de l’édifice. Celui-ci se trouve piloté par un discret mais influent "Comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’Éducation nationale", le CCOMCEN (prononcer "c’est-comme-scène"). Officiellement constitué sous la forme d’un groupement d’intérêt économique, le CCOMCEN constitue en fait l’outil de contrôle de la FEN sur son "empire" économique. Les 64 associations et organismes contrôlés par la FEN concourent à faire du "monde enseignant" une sorte de monde clos, de société fermée, qui peut trouver en son sein réponse à tous ses besoins, même les plus insignifiants. Tout autant que les avantages matériels présentés par ces organismes (réductions, prix préférentiels, etc.), c’est bien le poids, la force de persuasion du système qui pousse un enseignant à faire appel à lui plutôt qu’à des organismes extérieurs. UNE MATRICE IDÉOLOGIQUE Mais ce monde clos n’est pas un monde sans projet. Cet empire économique est aussi, pour la FEN, un outil militant, ayant pour vocation de façonner un véritable modèle social, une certaine conception de la société et d’œuvrer pour sa réalisation. Il n’est pas, à la différence d’autres pays, la traduction concrète d’un "syndicalisme de services", dont le but se limiterait à "concurrencer le capitalisme sur son propre terrain, sans être pour cela inspiré par l’esprit de profit". Le projet commun à cet appareil syndical et à cet appareil économique est la défense de la laïcité, principe inscrit à l’article premier des statuts de la FEN. Cette dernière est donc aussi - et peut-être d’abord - une matrice idéologique. L’idée est ancienne. Elle remonte aux débuts de la Troisième République. En affirmant "qu’œuvre sociale et œuvre scolaire sont les deux parties complémentaires d’un même effort de libération et de progrès", les maîtres de l’enseignement laïque qui venait d’être instauré en France entendaient mettre sur pied un ensemble de structures laïques capables de rivaliser avec les puissantes structures religieuses d’alors. Ils mettaient ces principes en pratique tant dans leur enseignement qu’en créant, pour eux et pour leurs élèves (touchant aussi par là les familles), les mutuelles, coopératives et associations diverses que nous connaissons actuellement. Aujourd’hui encore, ce projet n’a rien perdu de sa vigueur. Au dernier congrès de la FEN, en février 1985, Michel BOUCHAREISSAS, secrétaire général du Comité national d’action laïque s’adressait ainsi aux délégués que la manifestation du 24 juin 1984 aurait pu ébranler dans leurs convictions : "Vous savez, de bien des manières, ce combat ne fait encore que commencer. Il n’existe pas quelque vertige de l’Histoire qui devrait, sur le fond des choses, nous conduire à une révision déchirante". Et il concluait : "Il est inscrit dans l’Histoire que viendront nous rejoindre un jour ceux qui, pour l’heure, sont encore à l’écart de la grande route laïque". Dans son rapport d’activité à ce même congrès, Jacques POMMATAU, secrétaire général de la FEN, rappelait clairement la nature de ce combat et, par là, la signification de la notion de laïcité. Il s’agit du combat de la philosophie rationaliste contre la religion. "C’est, disait-il, le combat entre la vérité toujours à construire et la vérité possédée ou révélée". Autrement dit : la priorité donnée au devenir et non à l’être, le primat de la praxis et non celui du logos. L’empire de la FEN, véritable maçonnerie extérieure, est tout entier nourri de cette vision rationaliste de la laïcité. La conquête des institutions, tant politiques (Assemblée nationale, Sénat) qu’administratives (ministères) ou sociales (la FEN a démultiplié sa présence dans quantité d’organismes de représentation du monde social) a effectué depuis quelques années de nombreux progrès. L’influence politique de la FEN et de son "empire" sur notre société et sur nos institutions s’explique ainsi par la cohérence du système et par son réel... esprit de système. Bernard VIVIER Lettre N° 17 - 3ème trimestre 1987
OU EN EST L’ENSEIGNEMENT ? Comme toute activité humaine, l’acte d’enseigner est finalisé : il vise l’atteinte de certains buts. On dit de bonne qualité, celui qui atteint effectivement les buts qu’il vise, du moins dans le plus grand nombre de cas et qui les atteint sinon au moindre coût, du moins à un coût qui n’est pas prohibitif. Par coût, j’entends aussi bien la charge financière qui pèse sur le corps social et les familles, que le temps et la quantité d’effort non accompagné de satisfaction interne que doit sacrifier l’élève qui reçoit l’enseignement. Paramètres incommensurables peut-être mais qui ont pourtant néanmoins l’un et l’autre un sens. Cette définition préalable est nécessaire pour tout débat sérieux sur la qualité de l’enseignement. LA PLACE DE LA CULTURE GÉNÉRALE Bien entendu, la discussion est largement ouverte lorsqu’il s’agit de déterminer les buts de l’enseignement : favoriser l’insertion sociale en suscitant chez le futur adulte la reconnaissance de certaines valeurs communes et l’adoption de certains types de comportements indispensables à la coexistence civile, préparer l’insertion professionnelle, transmettre certaines connaissances et aptitudes tenues pour essentielles ? Souvent, le débat est réduit à la seule question de savoir quelle part il convient de réserver à l’acquisition d’une culture générale, qui comprend naturellement un versant scientifique, à l’éventuel détriment de la formation professionnelle. Formulée en termes généraux sans qu’on précise notamment de quel type d’enseignement on parle, cette question ne peut recevoir aucune réponse argumentée de façon satisfaisante. Elle ouvre souvent la voie à des débats assez vains, parce que dépourvus de signification précise. Tous les buts mentionnés sont généralement tenus pour dignes d’être recherchés. Le problème n’est donc pas de choisir entre eux, mais de les hiérarchiser, de fixer la part qui revient à chacun dans telle condition particulière. Dès lors que l’un d’entre eux apparaît comme la condition de l’atteinte des autres, il y a lieu de le privilégier. Je dis que c’est le cas de l’acquisition de ce qu’on appelle communément culture générale. Remarque extrêmement banale, mais qui nous permet de tirer une conclusion qui, pour banale qu’elle soit, n’en est pas moins importante. A un niveau très élémentaire - la connaissance de la langue française, ta maîtrise de la lecture et de l’écriture courante - le fait noté est indubitable. Imagine-t-on une insertion sociale, une reconnaissance de valeurs communes pour celui qui ignore la langue commune, qui ne sait ni lire, ni écrire ? Son insertion professionnelle dans des conditions satisfaisantes (pour lui et pour la société) est-elle encore concevable ? On aura beau nous raconter des histoires d’enfants (ou d’immigrés en stage de reconversion) qui sans savoir lire pianotent avec aisance sur le clavier d’un ordinateur, à juste titre notre conviction reste inébranlée. Pour autant que je sache, les touches du fameux clavier se distinguent bien par les caractères alphabétiques ou numériques inscrits sur elles et supposent donc la lecture, à moins qu’on s’en remette aux mécanismes purement automatiques, à leur seule reconnaissance par leur place, ce qui revient à priver l’utilisateur de toute compréhension, non seulement du fonctionnement de la machine, mais du sens de sa propre activité, et ouvre la voie à une forme redoutable de déshumanisation. Craignons que le maniement des ordinateurs ne devienne demain plus frustrant que ne l’était hier le travail à la chaîne ! Volontairement, je me suis restreint à un cas très rudimentaire, moins instructif que d’autres, mais aussi plus décisif. Bien entendu, le problème doit être posé sous d’autres aspects, sous des formes diverses. C’est lui qu’on retrouve aussi bien lorsqu’on demande quelle connaissance de l’histoire de notre pays est requise pour la participation à la vie nationale ou lorsqu’on cherche quelles connaissances générales de mathématiques et de sciences de la nature sont exigibles pour la formation d’un ingénieur professionnellement efficient. Or, quelle que soit la forme sous laquelle on pose le problème, on aboutit à une conclusion inévitable : on ne peut atteindre aucun des buts qu’il est raisonnable d’assigner à un enseignement quelconque sans la possession de certains savoirs et la maîtrise de certaines pratiques intellectuelles. Bref il n’est pas d’enseignement qui n’incorpore pas l’acquisition d’une certaine culture. Les seuls problèmes réels sur lesquels portent les discussions sérieuses, et au sujet desquels les divergences sont très largement concevables, concernent la part qu’il convient de réserver à la culture et sur le contenu à lui donner dans tel cas particulier. Un enseignement qui ne parvient pas à transmettre une culture, qui la transmet mal, ou à un coût excessif, ne peut être qu’un enseignement de mauvaise qualité. Je ne dis aucunement que la transmission de la culture, en laissant au terme le sens vague dans lequel nous l’avons pris, soit la fin exclusive de toute activité scolaire, ni même que ce soit sa fin la plus importante ou la plus digne, je dis simplement que c’est la condition à remplir pour atteindre n’importe quel autre but. L’existence de "filières" culturelles très sérieuses mais qui n’ouvrent aucun débouché professionnel, la formation d’ingénieurs titrés, et dont les titres recouvrent des connaissances solides, mais qui sont mal adaptées à l’exercice de leur profession, constituent également des problèmes réels, souvent redoutables. Il n’est aucunement question de les minoriser. On ne peut parler de qualité pour un enseignement qui néglige totalement la préparation à l’exercice d’une profession ou d’une fonction sociale. Cela va de soi. Néanmoins il me semble très légitime de mettre au centre des débats sur la qualité de l’enseignement la recherche sur son succès ou son échec dans sa mission de transmission de la culture. Le grand public a raison de fonder largement son opinion en la matière sur ce critère. Il n’est aucunement abusé par les enseignants qui seraient mus par une déformation professionnelle. Tout simplement les uns et les autres ont reconnu implicitement le rôle fondamental que joue l’acquisition de certaines connaissances et de certaines pratiques intellectuelles (lire, écrire, compter, analyser, etc.) dans la formation des jeunes. LA BAISSE DU NIVEAU : ILLUSION OU RÉALITÉ On sait quel est le sentiment très largement majoritaire, aussi bien dans le grand public que parmi les enseignants, sentiment qu’ils expriment bien souvent même s’ils courent le risque de se retrouver en position d’accusés : l’enseignement est de qualité médiocre, pour ne pas dire déplorable ; pis encore, la qualité ne ferait que baisser. Il faut noter que ce sentiment est très général au sens où il ne concerne pas seulement les Français, mais pratiquement tous les habitants des pays développés du monde occidental. Arrêtons-nous quelques instants sur un cas, celui des États-Unis. Il est particulièrement instructif : le système éducatif américain diffère profondément du système français quant à son mode d’organisation et ce cas prouve donc que le phénomène a des causes profondes qui ne relèvent pas toutes de l’organisation de l’institution scolaire. Pourtant, les résultats semblent analogues. C’est ce que nous apprend Allan BLOOM dans un important ouvrage : L’âme désarmée (Julliard) dont la très récente publication en langue française a justement retenu l’attention. Résumons très cavalièrement quelques idées qu’il nous présente : on savait que, si les universités américaines sont parmi les meilleures du monde, en revanche l’enseignement secondaire était médiocre, très inférieur à ses homologues européens. Au moins, un étudiant à son entrée à l’Université connaissait-il deux choses : la Bible et les faits essentiels de l’histoire américaine ainsi que les principes fondamentaux qui régissent depuis deux siècles la vie politique des États-Unis, et avant tout leur constitution. Passons sur ce qu’est devenu la connaissance de l’Écriture. Quant aux principes fondateurs de la constitution, on a négligé leur connaissance, soit qu’on les tînt pour contestables, soit pour lutter contre "l’ethnocentrisme". Le résultat : on ruine ce patriotisme si caractéristique du peuple américain en même temps d’ailleurs qu’on interdit aux étudiants tout critique sérieuse de ces principes qu’ils ignorent. Diagnostic parfaitement confirmé par des enquêtes auxquelles faisait allusion un récent article du Figaro (publié le 2 septembre sous le titre États-Unis : une jeunesse inculte). Par exemple 32 % des étudiants de moins de 17 ans ne savent pas placer la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb avant 1750, 39 % ignorent vers quelle date fut rédigée leur constitution dont on fête pourtant le second centenaire. En littérature, les résultats sont du même ordre. D’ailleurs, lorsqu’on demande à un étudiant quels sont les livres qui comptent pour lui, il est déconcerté par la question, incapable de répondre. C’est non seulement qu’il est inculte, mais que l’idée qu’un livre puisse compter pour certains de ses lecteurs lui est étrangère. Seule l’intéresse l’actualité - et l’enquête évoquée signale que Martin Luther King est parfaitement connu - dont les problèmes éthiques et politiques qu’elle soulève l’obsèdent, problèmes qu’il est d’autant plus incapable de traiter sérieusement qu’il ne dispose pas d’une culture suffisante et de connaissances générales solides. Tel serait le résultat de la place prépondérante, sinon exclusive, que l’enseignement, même dans ses programmes, accorde à ce qui est contemporain. Ce n’est d’ailleurs là que l’une des causes de ce phénomène de déculturation au sujet duquel BLOOM établit un diagnostic alarmant. Il est regrettable qu’on ne dispose pas en France d’un nombre suffisant d’enquêtes analogues à celle que j’ai évoquée, qui fournissent des chiffres dont la signification est peut-être limitée, mais l’objectivité indéniable. Comment n’a-t-on jamais pensé à soumettre à des élèves qui entrent en sixième une de ces dictées ou l’un de ces problèmes d’arithmétique qui servaient autrefois d’épreuves au certificat d’études ? Que font donc les très nombreux chercheurs du très officiel Institut Pédagogique National ? A vrai dire, je les soupçonne d’être plus soucieux de justifier toutes les innovations pédagogiques qu’ils encouragent que de nous donner les éléments pour apprécier la situation. Et c’est ainsi qu’on peut minimiser un mal qu’on dissimule. L’insuffisante qualité, la prétendue baisse du niveau seraient en grande partie illusoires, fruits d’une rumeur sans fondement sérieux, nous dit-on. Le "O tempora, O mores" n’est-il pas vieux comme le monde ? A l’origine de cette rumeur les enseignants, ces éternels grognons, nostalgiques de leur propre jeunesse et de l’enseignement qu’ils ont connu, incapables de priser ce qu’ont de positif les changements, même si majoritairement ils ont une idéologie progressiste et qui de tout temps se seraient plaints de la baisse du niveau. Les élèves n’en sauraient pas moins qu’autrefois, ils sauraient autre chose ; on va jusqu’à nous dire qu’ils ont une autre culture ; en tout cas, leur "maturité" serait plus précoce qu’autrefois. Propos souvent entendu, que je suis un peu attristé, mais nullement surpris, de voir repris pour l’essentiel par Madame ALLIOT-MARIE dans une récente interview. C’est une tentation permanente pour un responsable de la politique éducative que d’emprunter cette voie apaisante qui recourt à des concepts flous (comme celui de maturité), à des critères indécis (il y a eu simplement changement des contenus exigés par la modernisation) pour calmer les appréhensions et minimiser le mal. Qu’on m’entende bien. Je ne dis pas que dans tous les cas le niveau ait baissé. Je suis assez disposé à penser que, pour le niveau en mathématiques des bons élèves des classes scientifiques des lycées, on assiste même au phénomène opposé (en raison des exigences, probablement excessives de la très puissante corporation des mathématiciens). Je ne dis pas non plus qu’il soit a priori insensé de remplacer le latin par la technologie. J’accorde que l’importance attribuée autrefois à l’acquisition de l’orthographe était peut-être déraisonnable. Mais je crois que le bilan global des changements dans les contenus est très nettement négatif. Par exemple, à quoi a servi le temps consacré autrefois à l’acquisition de l’orthographe ? Incontestablement, on apprend moins de chose, plus lentement qu’autrefois, les connaissances sont moins bien assimilées et n’ont pas la cohérence qu’elles avaient dans le passé ; l’enseignement n’en est pas pour cela mieux adapté qu’autrefois. Ce sentiment général correspond bien à une réalité. Il y a des faits irrécusables, comme le progrès de ce qu’on appelle l’illettrisme. Comment une journaliste de télévision peut-elle dire que l’entrée en sixième est une épreuve pour beaucoup d’élèves car ils doivent dans cette classe acquérir la pratique de la lecture et de l’écriture courantes, comme si c’était normal, comme si les cinq années d’école primaire qui précèdent ne devaient pas suffire pour ces acquisitions ? C’est, hélas, un fait bien connu que la lecture et l’écriture acquises autrefois en deux ou trois ans par l’énorme majorité des élèves, ne le sont pas dans une proportion importante de cas (de l’ordre de 1 sur 5 ou 1 sur 6) au bout de cinq ans. L’opinion est à bon droit impressionnée par ce fait, non seulement en raison de l’exceptionnelle gravité du phénomène, mais aussi parce que les données sont irrécusables (ne serait-ce que parce que l’école élémentaire, qui n’a jamais connu de sélection, s’est toujours adressée à tous les enfants). Comment l’école ne réussit-elle pas à atteindre en cinq ans les objectifs qu’elle atteignait en deux autrefois ? QU’EST-CE QUE L’ÉCHEC SCOLAIRE ? Je suis persuadé que des enquêtes précises mettraient en évidence une multitude de phénomènes de même nature. L’insuffisante qualité de l’enseignement, sa progressive détérioration, correspondent bien à une réalité, n’en déplaise aux optimistes professionnels. Il est un fait que personne ne dissimule : c’est l’ampleur du fameux échec scolaire contre lequel tous les responsables politiques entreprennent de lutter. Mais ici il faut s’entendre car on est en présence d’un concept piégé. Par échec scolaire, on entend d’abord et souvent exclusivement l’échec à l’école qui se manifeste dans le redoublement, l’échec à l’examen, à plus forte raison dans l’absence totale de diplôme lorsqu’on sort de l’école. Que trop d’élèves échouent en ce sens, c’est sans doute le symptôme d’un désordre profond, le signe que l’enseignement qu’on leur a dispensé ne convenait pas à une proportion importante de ceux qui le recevaient. Quand un examen nouvellement institué, le brevet des collèges situé à l’issue de la troisième, donne en 1986 une proportion d’environ 50 % d’échec, alors que, notons-le, les correcteurs n’ont pas de raison de manifester une excessive sévérité ne serait-ce que par souci de leur tranquillité (puisque ce ne sont pas les candidats reçus à la légère qui viennent se plaindre), que beaucoup professent une idéologie anti-élitiste qui encourage à l’indulgence et qu’enfin l’autorité administrative par crainte des vagues agit toujours dans le sens du laxisme, on est bien en présence d’un coup de projecteur, brutal en raison de la nouveauté de l’examen, qui révèle l’ampleur du mal. On pourrait multiplier les exemples, mais je crois inutile de le faire. Mais le risque c’est naturellement qu’en privilégiant un seul aspect du problème, pour réduire l’échec à l’école on aggrave un autre mal, l’échec de l’école qui consiste en ce que les formations et diplômes distribués se vident progressivement de tout contenu et que leur possession assure de moins en moins bien la qualification professionnelle ou la possession d’une culture. Il est trop facile de masquer l’échec à l’école (par la suppression des redoublements, des examens, par l’abaissement de leur niveau) sans se soucier de porter remède à l’échec de l’école. Ce fut trop souvent la voie empruntée depuis des années, dans la complicité de tous, chacun (politiques, enseignants, parents, élèves) croyant y trouver son compte. UN MODÈLE TROMPEUR C’est en cela que le slogan "80 % de bacheliers" est dangereux parce que démagogique et trompeur. Je note avec satisfaction combien sont raisonnables et prudents les propos de Monsieur VALADE, Ministre de l’Enseignement Supérieur, qui, à la question de savoir s’il est "transporté d’allégresse" quand il entend dire que "80 % de nos jeunes doivent obtenir le baccalauréat et passer à l’enseignement supérieur" répond : "Cela me plonge dans un abîme d’inquiétude ! Avoir un objectif ambitieux pour élever le niveau culturel et de connaissances de la jeunesse de notre pays est un devoir, un réflexe naturel. En revanche, évoquer des chiffres aussi précis par rapport à un diplôme ne me paraît pas très sérieux... De quel baccalauréat s’agira-t-il... ?" (Le Quotidien de Paris, 29.08.87, p. 7). En tout cas, lorsqu’on invoque des modèles étrangers pour établir que ce qui est possible à d’autres pays doit l’être chez nous, parlant plus spécialement du Japon, on ne prouve rien si on néglige de dire que le baccalauréat japonais n’a rien de commun avec le nôtre, ni dans ses conditions d’obtention, ni dans son contenu, ni dans les portes qu’il ouvre ! Sur ces problèmes, l’article de Madame SEGUIN apporte des renseignements incontestables, d’une importance décisive pour dégonfler des arguments spécieux. Je crois qu’il fallait que nos lecteurs en aient connaissance. LA CRISE DU RECRUTEMENT Une condition indispensable à un enseignement de qualité réside dans la qualification du corps professoral. Je ne dis pas que ce soit la seule condition à remplir, mais c’est l’une d’entre elles sans aucun doute, sinon la plus importante. Or la qualification d’un enseignant exige une bonne connaissance de ce qu’on doit enseigner. Certes, l’art d’enseigner est autre chose que la possession d’un savoir ; mais nul ne peut enseigner ce qu’il ignore. La boutade de DEWEY selon laquelle, pour enseigner le latin à John, il est inutile de savoir le latin mais indispensable de connaître John, n’est qu’une boutade pernicieuse. Elle a justifié la "pédagomanie" qui conduit à sacrifier, dans la formation des enseignants, l’acquisition des connaissances théoriques aux prétendues "sciences de l’éducation". Les États-Unis qui ont suivi cette voie souvent avant nous et qui sont allés plus loin que nous en payent aujourd’hui les conséquences. Certains États en sont réduits à imposer aux enseignants des examens périodiques pour vérifier qu’ils ont une connaissance suffisante de ce qu’ils enseignent ! Monsieur Guy BAYET, Président de la Société des Agrégés, a toujours défendu avec ténacité le principe du recrutement des enseignants par des concours nationaux, qui sont les seuls à offrir la garantie qu’ils ont les connaissances suffisantes. Seul système intrinsèquement juste, faut-il ajouter. Il s’est toujours opposé au recrutement d’auxiliaires dont la qualification théorique est douteuse, hâtivement formés sur le tas, et titularisés dans des conditions litigieuses, comme au recrutement des fameux P.E.G.C. dont les connaissances lui paraissaient insuffisantes. Il a approuvé la décision de Monsieur MONORY de mettre un terme au recrutement de ce corps. Dans une conférence de presse tenue au printemps, il vient de lancer un cri d’alarme. Le nombre et le niveau des candidats sont tels que, dans bien des cas, si les jurys veulent pourvoir tous les postes offerts, ils doivent recevoir des candidats dépourvus de qualification. Le phénomène est assez semblable qu’il s’agisse du recrutement des instituteurs ou celui des professeurs du second degré. Soyons assurés que ce n’est pas de gaieté de cœur que Monsieur BAYET a rendu publique son inquiétude puisqu’il savait bien qu’il pouvait fournir des arguments à ceux qui attaquent le recrutement par voie de concours dont il défend précisément le principe. C’est tout simplement parce qu’il avait le sentiment que nous en sommes à la dernière extrémité. Sur cette situation très grave - pourquoi si peu de candidats de valeur ? - il nous fournit des éléments de diagnostic, en même temps qu’il propose quelques remèdes. Je veux bien croire que les autorités gouvernementales soient très préoccupées de cet état de choses. L’annonce de la publication d’un plan pluriannuel de recrutement est en soi une bonne chose. Mais il ne faut pas s’illusionner : le mal est si profond que la guérison sera très lente. Il faut au minimum cinq ans d’enseignement supérieur pour former un agrégé et les nouveaux recrutés ne constituent qu’une faible partie du corps professoral. Songeons simplement à cela et craignons qu’avant que les mesures annoncées aient produit leur effet la démagogie triomphe à nouveau. Pour l’instant, je crois très utile à nos lecteurs d’avoir connaissance du texte de Monsieur BAYET. J’ai conscience d’avoir simplement effleuré de façon superficielle un problème considérable. Mais notre intention est d’ouvrir un long débat à son sujet. Il me fallait simplement introduire ce débat et nous le commençons donc par ces deux textes que nous portons à votre connaissance. Maurice BOUDOT Nous remercions très vivement Monsieur Guy BAYET, Président de la Société des Agrégés, de nous avoir communiqué le texte de la conférence de presse qu’il a tenue à Rennes le 14 mars 1987. Ce texte a été publié dans le Bulletin de la Société des Agrégés d’avril-mai 1987 (p. 203). "La crise la plus grave que connaît l’enseignement en France est celle du recrutement des instituteurs et des professeurs. En 1986, notre pays connaît la situation la plus dramatique de son histoire récente, comparable à celle des années 1960. Et tout laisse craindre une aggravation de cette crise. 1. Le recrutement des instituteurs Pour la première fois en septembre 1986 tous les instituteurs devaient être recrutés par concours départemental parmi les titulaires d’un diplôme de premier cycle (BAC + 2) : DEUG (Diplôme d’Etudes universitaires générales délivré par les universités) ; D.U.T. (diplôme universitaire de technologie délivré par les I.U.T.) ; B.T.S. (Brevet de technicien supérieur délivré aux lycéens ayant subi avec succès l’examen à l’issue de deux années en section de techniciens supérieurs) ou tout diplôme jugé équivalent. En fait, la très grande majorité des candidats sont des étudiants littéraires qui le plus souvent ont échoué à des concours de recrutement de professeurs certifiés de lycée. Déjà spécialisés dans une discipline (langue vivante, histoire/géographie...) ils sont rarement bien préparés - malgré l’existence de cours organisés à leur intention dans certaines universités ou dans des écoles normales - à avoir les connaissances de base indispensables à tout futur instituteur en français et en calcul notamment. Les résultats des concours 1986 ont été les suivants : Pour 5.200 places offertes, moins de 4.500 ont été pourvues. Hommes : inscrits : 3.816 ; présents : 2.066 ; admissibles : 1.370 ; admis : 966 ; liste complémentaire : 94. Femmes : inscrites : 13.528 ; présentes : 7.579 ; admissibles : 4.768 ; admises : 2.801 ; liste complémentaire : 915. Le concours est beaucoup plus difficile pour les femmes que pour les hommes en raison de l’existence de concours séparés (hommes et femmes). Dans de nombreux départements, le taux d’absentéisme est très élevé, de l’ordre de 45 %. Le ministère a été obligé d’organiser de nouveaux concours dont il est clair que le niveau sera très faible et de procéder aussi, après sélection, à la titularisation d’instituteurs suppléants qui n’avaient pas auparavant réussi à un concours. Mais M. René Monory a pris une mesure que la Société des agrégés préconisait depuis des années. Par un décret paru au Journal Officiel des 2 et 3 février 1987, à partir de 1987 les concours de recrutement d’instituteurs seront mixtes mais ils continueront d’être organisés dans un cadre départemental. Les disparités de niveau de recrutement entre hommes et femmes disparaîtront, ce qui est une bonne chose ; en revanche, les disparités de département à département subsisteront. Ne pourrait-on pas au minimum envisager un recrutement dans le cadre académique ? Il est à souhaiter que la formation assurée pendant deux ans après le succès au concours soit davantage consacrée à l’acquisition des connaissances et des méthodes de transmission du savoir dans les disciplines qui constituent l’essentiel de l’enseignement élémentaire (français et calcul) et que des perspectives de carrière soient offertes aux instituteurs dans le cadre de l’enseignement élémentaire. En ce sens, le nouveau statut des maîtres directeurs est une bonne chose. 2. Le recrutement des professeurs du second degré (collèges et lycées) Contrairement à une idée reçue, la pénurie en maîtres compétents ne se limite pas aux mathématiques. Elle concerne toutes les disciplines techniques (en 1986, au CAPET, il y a eu 502 reçus pour 960 places offertes) et, de plus en plus, les disciplines littéraires : en lettres classiques, 539 places sont offertes aux CAPES en 1987 alors que seulement 381 licences de lettres classiques (diplôme nécessaire pour s’inscrire à ce concours) ont été délivrées par les universités en 1984 (dernières statistiques connues). Non seulement on ne recrute pas assez de professeurs certifiés (en physique-chimie : 283 reçus au CAPES pour 590 places offertes), mais trop souvent, le niveau des derniers reçus est d’une extrême faiblesse, pour ne pas dire d’une nullité évidente. Et là encore, le phénomène n’est pas limité aux disciplines scientifiques : en histoire-géographie, au CAPES, en 1986, la moyenne des derniers est de 6,5 sur 20 ; elle était de plus de 10 sur 20 en 1980. En mathématiques, depuis deux ans, le ministère ne publie plus le rapport des jurys de CAPES afin de cacher le niveau très bas du concours. Dans cette discipline le jury a pris pour habitude de recevoir autant de candidats que de places offertes. En 1986, 840 admis. Je suis en mesure de révéler que la moyenne des notes des derniers admis est de 3,5 sur 20 en 1986. Je demande à M. René Monory de ne pas cacher la vérité aux parents d’élèves. Et je signale que le ministère est obligé, dans de nombreuses disciplines, de recruter de nombreux maîtres auxiliaires parfaitement incompétents. De très nombreux chefs d’établissement pourraient témoigner sur ce sujet. Il ne faut pas s’étonner de la dégradation accélérée du niveau des études au collège, au lycée et demain dans les classes supérieures de lycée (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs) car la qualité et le niveau de l’enseignement passent d’abord par la compétence scientifique et pédagogique des professeurs. Et même, pour l’agrégation, j’exprime des inquiétudes dans la mesure où beaucoup de bons candidats potentiels ne la présentent pas toujours (ex : élèves de l’ENS Ulm/Sèvres), et où beaucoup d’agrégés auxquels on refuse systématiquement des responsabilités en rapport avec leur compétence (notamment pour les têtes de liste car l’écart peut être très grand : ainsi à l’agrégation de mathématiques 1986, le premier a 19 de moyenne et le 180e et dernier 7,42) vont faire carrière en dehors des lycées et de l’université. Je reçois des témoignages de plus en plus nombreux. Si le ministère veut recruter des professeurs agrégés et certifiés compétents, il doit :
La crise est très grave et le ministère est dans l’incapacité de la maîtriser. Les horaires d’enseignement sont beaucoup trop lourds dans les lycées (2e, 1re et terminale) et dans les classes supérieures (classes préparatoires aux grandes écoles et sections de techniciens supérieurs). La carte scolaire est anarchique. Des collèges et des lycées n’ont pas la taille minimale nécessaire pour assurer un bon enseignement à des coûts non prohibitifs. Des pressions politiques locales - surtout avec la décentralisation - aboutissent à des doubles emplois ou à des créations non justifiées. L’ÉDUCATION NATIONALE EST MENACÉE D’ASPHYXIE Je demande une "véritable mobilisation générale pour l’enseignement", mais cet ordre ne peut être suivi que si préalablement le gouvernement, les ministères concernés, les collectivités territoriales prennent conscience de la situation et décident en commun une rationalisation de la carte scolaire et universitaire. Il faut aussi une meilleure utilisation des compétences. Il est absurde de se priver des services de professeurs retraités auxquels il est interdit de donner le moindre enseignement dans les établissements publics ou privés sous contrat (alors qu’ils le peuvent dans l’enseignement privé hors contrat). Il est injuste que les chercheurs du C.N.R.S., après une période de 4 à 6 ans consacrés à leur thèse, ne soient pas tenus à un léger service dans les universités. On pourrait multiplier les exemples. Ma conclusion paraîtra peut-être pessimiste, mais je la crois réaliste. La France est mal partie avec des slogans démagogiques de 80 % de bacheliers en l’an 2000, d’examen-guillotine (pour le brevet 1986 avec 50 °/o de reçus), de passage automatique de l’école au collège, d’un accès libre de n’importe quel bachelier dans la discipline de son choix dans une université. On s’apprête à brader le brevet et le bac 1987, et la fuite en avant vers des formations BAC + 2 n’est que la conséquence de la dévalorisation du BAC. On berce la jeunesse d’illusions. Il faut lui dire la vérité. Refuser l’effort, la compétition et la sélection à l’école, c’est inévitablement la refuser dans la vie. Or l’avenir du pays dépend de sa capacité à s’adapter à l’ouverture sur le monde." Guy BAYET AH ! LE BACCALAURÉAT "JAPONAIS" Madame SEGUIN, Proviseur de lycée, est Vice-Présidente d’un syndicat de chefs d’établissements (F.N.P.A.E.S.) qui appartient à la Confédération Syndicale de l’Education Nationale. Ce texte a été publié dans la revue bimestrielle de cette confédération : Temps futur (mars-avril 1987, p. 15) Nous sommes très reconnaissants de l’autorisation qui nous est accordée de le reproduire dans nos colonnes. Dans un souci d’efficacité de notre enseignement doublé d’un élan de générosité un Ministre de l’Éducation Nationale a décidé que 80 % des jeunes Français devraient à long terme parvenir à une classe terminale de second cycle. Cette idée a été conservée par son successeur : comment pouvait-il faire autrement ? De cette simple idée d’une scolarité prolongée bien au-delà de seize ans suivant une tactique rampante destinée en partie à résorber le chômage des jeunes et leur désœuvrement, l’opinion publique a conclu que 80 % des Français seraient bacheliers. Comment peut-on admettre raisonnablement qu’il soit décidé arbitrairement d’un pourcentage de réussite à un examen ? Cela supposerait des textes officiels contraignant les enseignants à recevoir, sans tenir compte des résultats obtenus à l’examen, n’importe quel candidat. Qu’en serait-il alors du niveau intellectuel des bacheliers et de la valeur du diplôme qui reste, fort heureusement, le premier grade de l’enseignement supérieur ? Je sais bien que certaines doctrines totalitaires posent comme postulat que l’Homme peut être modelé par une pédagogie mise au service de l’endoctrinement idéologique ; que chaque individu est le produit de la société, un maillon de la chaîne, qui n’existe pas en soi ; aucune innéité chez l’homme, seulement de l’acquis social. Cette philosophie antihumaniste se heurte à l’évidence : en effet l’Essence de l’Homme - de sa création jusqu’à son hypothétique disparition - est immuable. Le concept Homme, sa définition fondamentale, voire métaphysique, en fait un Être composé de matière et d’esprit, où les deux éléments se trouvent inextricablement imbriqués. Le corps humain - bien que mortel - n’a pas varié depuis sa création. Comment pourrait-on penser que l’Esprit qui, lui, ne meurt pas, puisse varier, pétri comme une pâte, à coup de doctrines inculquées par des méthodes pédagogiques plus ou moins sophistiquées ? L’Homme, pédagogue ou doctrinaire politique, n’est pas Dieu : il ne peut créer de l’intelligence : en revanche il peut accroître et développer le noyau d’intelligence que chaque être humain porte en lui ; mais, en fonction du terrain la graine produira soit un gros fruit, soit un fruit chétif. Qui peut nier que la même pédagogie appliquée par le même maître produise des effets différents ? En réalité personne ne croit que 80 % des Français puissent être bacheliers. Serait-ce souhaitable ? N’est-il pas plus sage et réaliste d’ouvrir d’autres voies parallèles et différentes de celle du baccalauréat ? Qu’il soit d’enseignement général ou d’enseignement technologique. Une de ces voies existe depuis peu : celle des baccalauréats professionnels, qui doit permettre à tous ceux qui peuvent et qui veulent s’accomplir dans le domaine du concret, sans négliger pour autant l’acquisition de connaissances de base, d’atteindre un niveau supérieur à celui de l’actuel B.E.P. Il faut ouvrir largement et rapidement cette voie qui est celle du salut d’une partie de la jeunesse en même temps que celle de l’efficacité des entreprises. Tout cela est très beau, dira-t-on ; mais comment font les autres peuples ? Il paraît que si le Japon est le pays le plus économiquement compétitif du monde, c’est que tous les ouvriers japonais sont bacheliers. Lassés d’entendre, ici et là, de telles balivernes, nous sommes allés aux sources : non pas au Japon - il faudrait en détenir les moyens administratifs et financiers - mais au centre culturel japonais, en France, à Paris. De nos entretiens avec les responsables de ce Centre, et de l’étude des documents qui nous ont été remis, il ressort :
Mais ce qui nous semble le plus important c’est qu’au bout des trois ans passés au lycée un certificat de fin d’études secondaires est délivré par chaque établissement à chaque élève, quel que soit le niveau que celui-ci ait atteint.
Certains en France rêvent peut-être d’un tel système qui certainement convient aux jeunes Japonais. Mais à quoi donne droit cette attestation ? A passer l’examen d’entrée dans L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. "LES UNIVERSITÉS (cycle court ou long) sélectionnent leurs étudiants par un examen d’entrée et en tenant compte de leurs résultats scolaires au lycée. Dans les universités publiques nationales et locales, un concours national, examen unifié destiné à évaluer le niveau général de base atteint par les candidats à la sortie de l’enseignement secondaire du second cycle, a été institué au cours de l’année universitaire 1979. La seconde étape est l’examen organisé indépendamment par chacune des Universités pour la sélection finale de leurs étudiants." (extrait de La Vie au Japon, page 3). A l’issue de ces examens successifs, 37 % environ de Lycéens entrent à l’université dans la branche pour laquelle ils ont été sélectionnés : enseignement universitaire court, ou université menant à la licence, puis à la maîtrise et au doctorat. Des écoles professionnelles spécialisées et des écoles diverses accueillent les unes les lycéens, les autres les collégiens qui n’ont pas été admis au lycée. En dehors de la voie de l’enseignement supérieur le certificat de fin d’études secondaires permet d’entrer dans une entreprise où le jeune apprendra son métier. Il pourra ainsi devenir ingénieur (maison), agent de maîtrise ou ouvrier qualifié. C’est sans doute pour cela que la rumeur publique persiste à affirmer que le succès économique du Japon tient au fait que tous les ouvriers y sont bacheliers. Il n’y a qu’une petite erreur à cela, c’est qu’il n’y a pas de baccalauréat japonais et qu’à notre avis il convient de chercher d’autres motifs au succès économique du Japon. Geneviève SEGUIN Plus d'articles... |