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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 17 - 3ème trimestre 1987
OU EN EST L’ENSEIGNEMENT ? Comme toute activité humaine, l’acte d’enseigner est finalisé : il vise l’atteinte de certains buts. On dit de bonne qualité, celui qui atteint effectivement les buts qu’il vise, du moins dans le plus grand nombre de cas et qui les atteint sinon au moindre coût, du moins à un coût qui n’est pas prohibitif. Par coût, j’entends aussi bien la charge financière qui pèse sur le corps social et les familles, que le temps et la quantité d’effort non accompagné de satisfaction interne que doit sacrifier l’élève qui reçoit l’enseignement. Paramètres incommensurables peut-être mais qui ont pourtant néanmoins l’un et l’autre un sens. Cette définition préalable est nécessaire pour tout débat sérieux sur la qualité de l’enseignement. LA PLACE DE LA CULTURE GÉNÉRALE Bien entendu, la discussion est largement ouverte lorsqu’il s’agit de déterminer les buts de l’enseignement : favoriser l’insertion sociale en suscitant chez le futur adulte la reconnaissance de certaines valeurs communes et l’adoption de certains types de comportements indispensables à la coexistence civile, préparer l’insertion professionnelle, transmettre certaines connaissances et aptitudes tenues pour essentielles ? Souvent, le débat est réduit à la seule question de savoir quelle part il convient de réserver à l’acquisition d’une culture générale, qui comprend naturellement un versant scientifique, à l’éventuel détriment de la formation professionnelle. Formulée en termes généraux sans qu’on précise notamment de quel type d’enseignement on parle, cette question ne peut recevoir aucune réponse argumentée de façon satisfaisante. Elle ouvre souvent la voie à des débats assez vains, parce que dépourvus de signification précise. Tous les buts mentionnés sont généralement tenus pour dignes d’être recherchés. Le problème n’est donc pas de choisir entre eux, mais de les hiérarchiser, de fixer la part qui revient à chacun dans telle condition particulière. Dès lors que l’un d’entre eux apparaît comme la condition de l’atteinte des autres, il y a lieu de le privilégier. Je dis que c’est le cas de l’acquisition de ce qu’on appelle communément culture générale. Remarque extrêmement banale, mais qui nous permet de tirer une conclusion qui, pour banale qu’elle soit, n’en est pas moins importante. A un niveau très élémentaire - la connaissance de la langue française, ta maîtrise de la lecture et de l’écriture courante - le fait noté est indubitable. Imagine-t-on une insertion sociale, une reconnaissance de valeurs communes pour celui qui ignore la langue commune, qui ne sait ni lire, ni écrire ? Son insertion professionnelle dans des conditions satisfaisantes (pour lui et pour la société) est-elle encore concevable ? On aura beau nous raconter des histoires d’enfants (ou d’immigrés en stage de reconversion) qui sans savoir lire pianotent avec aisance sur le clavier d’un ordinateur, à juste titre notre conviction reste inébranlée. Pour autant que je sache, les touches du fameux clavier se distinguent bien par les caractères alphabétiques ou numériques inscrits sur elles et supposent donc la lecture, à moins qu’on s’en remette aux mécanismes purement automatiques, à leur seule reconnaissance par leur place, ce qui revient à priver l’utilisateur de toute compréhension, non seulement du fonctionnement de la machine, mais du sens de sa propre activité, et ouvre la voie à une forme redoutable de déshumanisation. Craignons que le maniement des ordinateurs ne devienne demain plus frustrant que ne l’était hier le travail à la chaîne ! Volontairement, je me suis restreint à un cas très rudimentaire, moins instructif que d’autres, mais aussi plus décisif. Bien entendu, le problème doit être posé sous d’autres aspects, sous des formes diverses. C’est lui qu’on retrouve aussi bien lorsqu’on demande quelle connaissance de l’histoire de notre pays est requise pour la participation à la vie nationale ou lorsqu’on cherche quelles connaissances générales de mathématiques et de sciences de la nature sont exigibles pour la formation d’un ingénieur professionnellement efficient. Or, quelle que soit la forme sous laquelle on pose le problème, on aboutit à une conclusion inévitable : on ne peut atteindre aucun des buts qu’il est raisonnable d’assigner à un enseignement quelconque sans la possession de certains savoirs et la maîtrise de certaines pratiques intellectuelles. Bref il n’est pas d’enseignement qui n’incorpore pas l’acquisition d’une certaine culture. Les seuls problèmes réels sur lesquels portent les discussions sérieuses, et au sujet desquels les divergences sont très largement concevables, concernent la part qu’il convient de réserver à la culture et sur le contenu à lui donner dans tel cas particulier. Un enseignement qui ne parvient pas à transmettre une culture, qui la transmet mal, ou à un coût excessif, ne peut être qu’un enseignement de mauvaise qualité. Je ne dis aucunement que la transmission de la culture, en laissant au terme le sens vague dans lequel nous l’avons pris, soit la fin exclusive de toute activité scolaire, ni même que ce soit sa fin la plus importante ou la plus digne, je dis simplement que c’est la condition à remplir pour atteindre n’importe quel autre but. L’existence de "filières" culturelles très sérieuses mais qui n’ouvrent aucun débouché professionnel, la formation d’ingénieurs titrés, et dont les titres recouvrent des connaissances solides, mais qui sont mal adaptées à l’exercice de leur profession, constituent également des problèmes réels, souvent redoutables. Il n’est aucunement question de les minoriser. On ne peut parler de qualité pour un enseignement qui néglige totalement la préparation à l’exercice d’une profession ou d’une fonction sociale. Cela va de soi. Néanmoins il me semble très légitime de mettre au centre des débats sur la qualité de l’enseignement la recherche sur son succès ou son échec dans sa mission de transmission de la culture. Le grand public a raison de fonder largement son opinion en la matière sur ce critère. Il n’est aucunement abusé par les enseignants qui seraient mus par une déformation professionnelle. Tout simplement les uns et les autres ont reconnu implicitement le rôle fondamental que joue l’acquisition de certaines connaissances et de certaines pratiques intellectuelles (lire, écrire, compter, analyser, etc.) dans la formation des jeunes. LA BAISSE DU NIVEAU : ILLUSION OU RÉALITÉ On sait quel est le sentiment très largement majoritaire, aussi bien dans le grand public que parmi les enseignants, sentiment qu’ils expriment bien souvent même s’ils courent le risque de se retrouver en position d’accusés : l’enseignement est de qualité médiocre, pour ne pas dire déplorable ; pis encore, la qualité ne ferait que baisser. Il faut noter que ce sentiment est très général au sens où il ne concerne pas seulement les Français, mais pratiquement tous les habitants des pays développés du monde occidental. Arrêtons-nous quelques instants sur un cas, celui des États-Unis. Il est particulièrement instructif : le système éducatif américain diffère profondément du système français quant à son mode d’organisation et ce cas prouve donc que le phénomène a des causes profondes qui ne relèvent pas toutes de l’organisation de l’institution scolaire. Pourtant, les résultats semblent analogues. C’est ce que nous apprend Allan BLOOM dans un important ouvrage : L’âme désarmée (Julliard) dont la très récente publication en langue française a justement retenu l’attention. Résumons très cavalièrement quelques idées qu’il nous présente : on savait que, si les universités américaines sont parmi les meilleures du monde, en revanche l’enseignement secondaire était médiocre, très inférieur à ses homologues européens. Au moins, un étudiant à son entrée à l’Université connaissait-il deux choses : la Bible et les faits essentiels de l’histoire américaine ainsi que les principes fondamentaux qui régissent depuis deux siècles la vie politique des États-Unis, et avant tout leur constitution. Passons sur ce qu’est devenu la connaissance de l’Écriture. Quant aux principes fondateurs de la constitution, on a négligé leur connaissance, soit qu’on les tînt pour contestables, soit pour lutter contre "l’ethnocentrisme". Le résultat : on ruine ce patriotisme si caractéristique du peuple américain en même temps d’ailleurs qu’on interdit aux étudiants tout critique sérieuse de ces principes qu’ils ignorent. Diagnostic parfaitement confirmé par des enquêtes auxquelles faisait allusion un récent article du Figaro (publié le 2 septembre sous le titre États-Unis : une jeunesse inculte). Par exemple 32 % des étudiants de moins de 17 ans ne savent pas placer la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb avant 1750, 39 % ignorent vers quelle date fut rédigée leur constitution dont on fête pourtant le second centenaire. En littérature, les résultats sont du même ordre. D’ailleurs, lorsqu’on demande à un étudiant quels sont les livres qui comptent pour lui, il est déconcerté par la question, incapable de répondre. C’est non seulement qu’il est inculte, mais que l’idée qu’un livre puisse compter pour certains de ses lecteurs lui est étrangère. Seule l’intéresse l’actualité - et l’enquête évoquée signale que Martin Luther King est parfaitement connu - dont les problèmes éthiques et politiques qu’elle soulève l’obsèdent, problèmes qu’il est d’autant plus incapable de traiter sérieusement qu’il ne dispose pas d’une culture suffisante et de connaissances générales solides. Tel serait le résultat de la place prépondérante, sinon exclusive, que l’enseignement, même dans ses programmes, accorde à ce qui est contemporain. Ce n’est d’ailleurs là que l’une des causes de ce phénomène de déculturation au sujet duquel BLOOM établit un diagnostic alarmant. Il est regrettable qu’on ne dispose pas en France d’un nombre suffisant d’enquêtes analogues à celle que j’ai évoquée, qui fournissent des chiffres dont la signification est peut-être limitée, mais l’objectivité indéniable. Comment n’a-t-on jamais pensé à soumettre à des élèves qui entrent en sixième une de ces dictées ou l’un de ces problèmes d’arithmétique qui servaient autrefois d’épreuves au certificat d’études ? Que font donc les très nombreux chercheurs du très officiel Institut Pédagogique National ? A vrai dire, je les soupçonne d’être plus soucieux de justifier toutes les innovations pédagogiques qu’ils encouragent que de nous donner les éléments pour apprécier la situation. Et c’est ainsi qu’on peut minimiser un mal qu’on dissimule. L’insuffisante qualité, la prétendue baisse du niveau seraient en grande partie illusoires, fruits d’une rumeur sans fondement sérieux, nous dit-on. Le "O tempora, O mores" n’est-il pas vieux comme le monde ? A l’origine de cette rumeur les enseignants, ces éternels grognons, nostalgiques de leur propre jeunesse et de l’enseignement qu’ils ont connu, incapables de priser ce qu’ont de positif les changements, même si majoritairement ils ont une idéologie progressiste et qui de tout temps se seraient plaints de la baisse du niveau. Les élèves n’en sauraient pas moins qu’autrefois, ils sauraient autre chose ; on va jusqu’à nous dire qu’ils ont une autre culture ; en tout cas, leur "maturité" serait plus précoce qu’autrefois. Propos souvent entendu, que je suis un peu attristé, mais nullement surpris, de voir repris pour l’essentiel par Madame ALLIOT-MARIE dans une récente interview. C’est une tentation permanente pour un responsable de la politique éducative que d’emprunter cette voie apaisante qui recourt à des concepts flous (comme celui de maturité), à des critères indécis (il y a eu simplement changement des contenus exigés par la modernisation) pour calmer les appréhensions et minimiser le mal. Qu’on m’entende bien. Je ne dis pas que dans tous les cas le niveau ait baissé. Je suis assez disposé à penser que, pour le niveau en mathématiques des bons élèves des classes scientifiques des lycées, on assiste même au phénomène opposé (en raison des exigences, probablement excessives de la très puissante corporation des mathématiciens). Je ne dis pas non plus qu’il soit a priori insensé de remplacer le latin par la technologie. J’accorde que l’importance attribuée autrefois à l’acquisition de l’orthographe était peut-être déraisonnable. Mais je crois que le bilan global des changements dans les contenus est très nettement négatif. Par exemple, à quoi a servi le temps consacré autrefois à l’acquisition de l’orthographe ? Incontestablement, on apprend moins de chose, plus lentement qu’autrefois, les connaissances sont moins bien assimilées et n’ont pas la cohérence qu’elles avaient dans le passé ; l’enseignement n’en est pas pour cela mieux adapté qu’autrefois. Ce sentiment général correspond bien à une réalité. Il y a des faits irrécusables, comme le progrès de ce qu’on appelle l’illettrisme. Comment une journaliste de télévision peut-elle dire que l’entrée en sixième est une épreuve pour beaucoup d’élèves car ils doivent dans cette classe acquérir la pratique de la lecture et de l’écriture courantes, comme si c’était normal, comme si les cinq années d’école primaire qui précèdent ne devaient pas suffire pour ces acquisitions ? C’est, hélas, un fait bien connu que la lecture et l’écriture acquises autrefois en deux ou trois ans par l’énorme majorité des élèves, ne le sont pas dans une proportion importante de cas (de l’ordre de 1 sur 5 ou 1 sur 6) au bout de cinq ans. L’opinion est à bon droit impressionnée par ce fait, non seulement en raison de l’exceptionnelle gravité du phénomène, mais aussi parce que les données sont irrécusables (ne serait-ce que parce que l’école élémentaire, qui n’a jamais connu de sélection, s’est toujours adressée à tous les enfants). Comment l’école ne réussit-elle pas à atteindre en cinq ans les objectifs qu’elle atteignait en deux autrefois ? QU’EST-CE QUE L’ÉCHEC SCOLAIRE ? Je suis persuadé que des enquêtes précises mettraient en évidence une multitude de phénomènes de même nature. L’insuffisante qualité de l’enseignement, sa progressive détérioration, correspondent bien à une réalité, n’en déplaise aux optimistes professionnels. Il est un fait que personne ne dissimule : c’est l’ampleur du fameux échec scolaire contre lequel tous les responsables politiques entreprennent de lutter. Mais ici il faut s’entendre car on est en présence d’un concept piégé. Par échec scolaire, on entend d’abord et souvent exclusivement l’échec à l’école qui se manifeste dans le redoublement, l’échec à l’examen, à plus forte raison dans l’absence totale de diplôme lorsqu’on sort de l’école. Que trop d’élèves échouent en ce sens, c’est sans doute le symptôme d’un désordre profond, le signe que l’enseignement qu’on leur a dispensé ne convenait pas à une proportion importante de ceux qui le recevaient. Quand un examen nouvellement institué, le brevet des collèges situé à l’issue de la troisième, donne en 1986 une proportion d’environ 50 % d’échec, alors que, notons-le, les correcteurs n’ont pas de raison de manifester une excessive sévérité ne serait-ce que par souci de leur tranquillité (puisque ce ne sont pas les candidats reçus à la légère qui viennent se plaindre), que beaucoup professent une idéologie anti-élitiste qui encourage à l’indulgence et qu’enfin l’autorité administrative par crainte des vagues agit toujours dans le sens du laxisme, on est bien en présence d’un coup de projecteur, brutal en raison de la nouveauté de l’examen, qui révèle l’ampleur du mal. On pourrait multiplier les exemples, mais je crois inutile de le faire. Mais le risque c’est naturellement qu’en privilégiant un seul aspect du problème, pour réduire l’échec à l’école on aggrave un autre mal, l’échec de l’école qui consiste en ce que les formations et diplômes distribués se vident progressivement de tout contenu et que leur possession assure de moins en moins bien la qualification professionnelle ou la possession d’une culture. Il est trop facile de masquer l’échec à l’école (par la suppression des redoublements, des examens, par l’abaissement de leur niveau) sans se soucier de porter remède à l’échec de l’école. Ce fut trop souvent la voie empruntée depuis des années, dans la complicité de tous, chacun (politiques, enseignants, parents, élèves) croyant y trouver son compte. UN MODÈLE TROMPEUR C’est en cela que le slogan "80 % de bacheliers" est dangereux parce que démagogique et trompeur. Je note avec satisfaction combien sont raisonnables et prudents les propos de Monsieur VALADE, Ministre de l’Enseignement Supérieur, qui, à la question de savoir s’il est "transporté d’allégresse" quand il entend dire que "80 % de nos jeunes doivent obtenir le baccalauréat et passer à l’enseignement supérieur" répond : "Cela me plonge dans un abîme d’inquiétude ! Avoir un objectif ambitieux pour élever le niveau culturel et de connaissances de la jeunesse de notre pays est un devoir, un réflexe naturel. En revanche, évoquer des chiffres aussi précis par rapport à un diplôme ne me paraît pas très sérieux... De quel baccalauréat s’agira-t-il... ?" (Le Quotidien de Paris, 29.08.87, p. 7). En tout cas, lorsqu’on invoque des modèles étrangers pour établir que ce qui est possible à d’autres pays doit l’être chez nous, parlant plus spécialement du Japon, on ne prouve rien si on néglige de dire que le baccalauréat japonais n’a rien de commun avec le nôtre, ni dans ses conditions d’obtention, ni dans son contenu, ni dans les portes qu’il ouvre ! Sur ces problèmes, l’article de Madame SEGUIN apporte des renseignements incontestables, d’une importance décisive pour dégonfler des arguments spécieux. Je crois qu’il fallait que nos lecteurs en aient connaissance. LA CRISE DU RECRUTEMENT Une condition indispensable à un enseignement de qualité réside dans la qualification du corps professoral. Je ne dis pas que ce soit la seule condition à remplir, mais c’est l’une d’entre elles sans aucun doute, sinon la plus importante. Or la qualification d’un enseignant exige une bonne connaissance de ce qu’on doit enseigner. Certes, l’art d’enseigner est autre chose que la possession d’un savoir ; mais nul ne peut enseigner ce qu’il ignore. La boutade de DEWEY selon laquelle, pour enseigner le latin à John, il est inutile de savoir le latin mais indispensable de connaître John, n’est qu’une boutade pernicieuse. Elle a justifié la "pédagomanie" qui conduit à sacrifier, dans la formation des enseignants, l’acquisition des connaissances théoriques aux prétendues "sciences de l’éducation". Les États-Unis qui ont suivi cette voie souvent avant nous et qui sont allés plus loin que nous en payent aujourd’hui les conséquences. Certains États en sont réduits à imposer aux enseignants des examens périodiques pour vérifier qu’ils ont une connaissance suffisante de ce qu’ils enseignent ! Monsieur Guy BAYET, Président de la Société des Agrégés, a toujours défendu avec ténacité le principe du recrutement des enseignants par des concours nationaux, qui sont les seuls à offrir la garantie qu’ils ont les connaissances suffisantes. Seul système intrinsèquement juste, faut-il ajouter. Il s’est toujours opposé au recrutement d’auxiliaires dont la qualification théorique est douteuse, hâtivement formés sur le tas, et titularisés dans des conditions litigieuses, comme au recrutement des fameux P.E.G.C. dont les connaissances lui paraissaient insuffisantes. Il a approuvé la décision de Monsieur MONORY de mettre un terme au recrutement de ce corps. Dans une conférence de presse tenue au printemps, il vient de lancer un cri d’alarme. Le nombre et le niveau des candidats sont tels que, dans bien des cas, si les jurys veulent pourvoir tous les postes offerts, ils doivent recevoir des candidats dépourvus de qualification. Le phénomène est assez semblable qu’il s’agisse du recrutement des instituteurs ou celui des professeurs du second degré. Soyons assurés que ce n’est pas de gaieté de cœur que Monsieur BAYET a rendu publique son inquiétude puisqu’il savait bien qu’il pouvait fournir des arguments à ceux qui attaquent le recrutement par voie de concours dont il défend précisément le principe. C’est tout simplement parce qu’il avait le sentiment que nous en sommes à la dernière extrémité. Sur cette situation très grave - pourquoi si peu de candidats de valeur ? - il nous fournit des éléments de diagnostic, en même temps qu’il propose quelques remèdes. Je veux bien croire que les autorités gouvernementales soient très préoccupées de cet état de choses. L’annonce de la publication d’un plan pluriannuel de recrutement est en soi une bonne chose. Mais il ne faut pas s’illusionner : le mal est si profond que la guérison sera très lente. Il faut au minimum cinq ans d’enseignement supérieur pour former un agrégé et les nouveaux recrutés ne constituent qu’une faible partie du corps professoral. Songeons simplement à cela et craignons qu’avant que les mesures annoncées aient produit leur effet la démagogie triomphe à nouveau. Pour l’instant, je crois très utile à nos lecteurs d’avoir connaissance du texte de Monsieur BAYET. J’ai conscience d’avoir simplement effleuré de façon superficielle un problème considérable. Mais notre intention est d’ouvrir un long débat à son sujet. Il me fallait simplement introduire ce débat et nous le commençons donc par ces deux textes que nous portons à votre connaissance. Maurice BOUDOT Nous remercions très vivement Monsieur Guy BAYET, Président de la Société des Agrégés, de nous avoir communiqué le texte de la conférence de presse qu’il a tenue à Rennes le 14 mars 1987. Ce texte a été publié dans le Bulletin de la Société des Agrégés d’avril-mai 1987 (p. 203). "La crise la plus grave que connaît l’enseignement en France est celle du recrutement des instituteurs et des professeurs. En 1986, notre pays connaît la situation la plus dramatique de son histoire récente, comparable à celle des années 1960. Et tout laisse craindre une aggravation de cette crise. 1. Le recrutement des instituteurs Pour la première fois en septembre 1986 tous les instituteurs devaient être recrutés par concours départemental parmi les titulaires d’un diplôme de premier cycle (BAC + 2) : DEUG (Diplôme d’Etudes universitaires générales délivré par les universités) ; D.U.T. (diplôme universitaire de technologie délivré par les I.U.T.) ; B.T.S. (Brevet de technicien supérieur délivré aux lycéens ayant subi avec succès l’examen à l’issue de deux années en section de techniciens supérieurs) ou tout diplôme jugé équivalent. En fait, la très grande majorité des candidats sont des étudiants littéraires qui le plus souvent ont échoué à des concours de recrutement de professeurs certifiés de lycée. Déjà spécialisés dans une discipline (langue vivante, histoire/géographie...) ils sont rarement bien préparés - malgré l’existence de cours organisés à leur intention dans certaines universités ou dans des écoles normales - à avoir les connaissances de base indispensables à tout futur instituteur en français et en calcul notamment. Les résultats des concours 1986 ont été les suivants : Pour 5.200 places offertes, moins de 4.500 ont été pourvues. Hommes : inscrits : 3.816 ; présents : 2.066 ; admissibles : 1.370 ; admis : 966 ; liste complémentaire : 94. Femmes : inscrites : 13.528 ; présentes : 7.579 ; admissibles : 4.768 ; admises : 2.801 ; liste complémentaire : 915. Le concours est beaucoup plus difficile pour les femmes que pour les hommes en raison de l’existence de concours séparés (hommes et femmes). Dans de nombreux départements, le taux d’absentéisme est très élevé, de l’ordre de 45 %. Le ministère a été obligé d’organiser de nouveaux concours dont il est clair que le niveau sera très faible et de procéder aussi, après sélection, à la titularisation d’instituteurs suppléants qui n’avaient pas auparavant réussi à un concours. Mais M. René Monory a pris une mesure que la Société des agrégés préconisait depuis des années. Par un décret paru au Journal Officiel des 2 et 3 février 1987, à partir de 1987 les concours de recrutement d’instituteurs seront mixtes mais ils continueront d’être organisés dans un cadre départemental. Les disparités de niveau de recrutement entre hommes et femmes disparaîtront, ce qui est une bonne chose ; en revanche, les disparités de département à département subsisteront. Ne pourrait-on pas au minimum envisager un recrutement dans le cadre académique ? Il est à souhaiter que la formation assurée pendant deux ans après le succès au concours soit davantage consacrée à l’acquisition des connaissances et des méthodes de transmission du savoir dans les disciplines qui constituent l’essentiel de l’enseignement élémentaire (français et calcul) et que des perspectives de carrière soient offertes aux instituteurs dans le cadre de l’enseignement élémentaire. En ce sens, le nouveau statut des maîtres directeurs est une bonne chose. 2. Le recrutement des professeurs du second degré (collèges et lycées) Contrairement à une idée reçue, la pénurie en maîtres compétents ne se limite pas aux mathématiques. Elle concerne toutes les disciplines techniques (en 1986, au CAPET, il y a eu 502 reçus pour 960 places offertes) et, de plus en plus, les disciplines littéraires : en lettres classiques, 539 places sont offertes aux CAPES en 1987 alors que seulement 381 licences de lettres classiques (diplôme nécessaire pour s’inscrire à ce concours) ont été délivrées par les universités en 1984 (dernières statistiques connues). Non seulement on ne recrute pas assez de professeurs certifiés (en physique-chimie : 283 reçus au CAPES pour 590 places offertes), mais trop souvent, le niveau des derniers reçus est d’une extrême faiblesse, pour ne pas dire d’une nullité évidente. Et là encore, le phénomène n’est pas limité aux disciplines scientifiques : en histoire-géographie, au CAPES, en 1986, la moyenne des derniers est de 6,5 sur 20 ; elle était de plus de 10 sur 20 en 1980. En mathématiques, depuis deux ans, le ministère ne publie plus le rapport des jurys de CAPES afin de cacher le niveau très bas du concours. Dans cette discipline le jury a pris pour habitude de recevoir autant de candidats que de places offertes. En 1986, 840 admis. Je suis en mesure de révéler que la moyenne des notes des derniers admis est de 3,5 sur 20 en 1986. Je demande à M. René Monory de ne pas cacher la vérité aux parents d’élèves. Et je signale que le ministère est obligé, dans de nombreuses disciplines, de recruter de nombreux maîtres auxiliaires parfaitement incompétents. De très nombreux chefs d’établissement pourraient témoigner sur ce sujet. Il ne faut pas s’étonner de la dégradation accélérée du niveau des études au collège, au lycée et demain dans les classes supérieures de lycée (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs) car la qualité et le niveau de l’enseignement passent d’abord par la compétence scientifique et pédagogique des professeurs. Et même, pour l’agrégation, j’exprime des inquiétudes dans la mesure où beaucoup de bons candidats potentiels ne la présentent pas toujours (ex : élèves de l’ENS Ulm/Sèvres), et où beaucoup d’agrégés auxquels on refuse systématiquement des responsabilités en rapport avec leur compétence (notamment pour les têtes de liste car l’écart peut être très grand : ainsi à l’agrégation de mathématiques 1986, le premier a 19 de moyenne et le 180e et dernier 7,42) vont faire carrière en dehors des lycées et de l’université. Je reçois des témoignages de plus en plus nombreux. Si le ministère veut recruter des professeurs agrégés et certifiés compétents, il doit :
La crise est très grave et le ministère est dans l’incapacité de la maîtriser. Les horaires d’enseignement sont beaucoup trop lourds dans les lycées (2e, 1re et terminale) et dans les classes supérieures (classes préparatoires aux grandes écoles et sections de techniciens supérieurs). La carte scolaire est anarchique. Des collèges et des lycées n’ont pas la taille minimale nécessaire pour assurer un bon enseignement à des coûts non prohibitifs. Des pressions politiques locales - surtout avec la décentralisation - aboutissent à des doubles emplois ou à des créations non justifiées. L’ÉDUCATION NATIONALE EST MENACÉE D’ASPHYXIE Je demande une "véritable mobilisation générale pour l’enseignement", mais cet ordre ne peut être suivi que si préalablement le gouvernement, les ministères concernés, les collectivités territoriales prennent conscience de la situation et décident en commun une rationalisation de la carte scolaire et universitaire. Il faut aussi une meilleure utilisation des compétences. Il est absurde de se priver des services de professeurs retraités auxquels il est interdit de donner le moindre enseignement dans les établissements publics ou privés sous contrat (alors qu’ils le peuvent dans l’enseignement privé hors contrat). Il est injuste que les chercheurs du C.N.R.S., après une période de 4 à 6 ans consacrés à leur thèse, ne soient pas tenus à un léger service dans les universités. On pourrait multiplier les exemples. Ma conclusion paraîtra peut-être pessimiste, mais je la crois réaliste. La France est mal partie avec des slogans démagogiques de 80 % de bacheliers en l’an 2000, d’examen-guillotine (pour le brevet 1986 avec 50 °/o de reçus), de passage automatique de l’école au collège, d’un accès libre de n’importe quel bachelier dans la discipline de son choix dans une université. On s’apprête à brader le brevet et le bac 1987, et la fuite en avant vers des formations BAC + 2 n’est que la conséquence de la dévalorisation du BAC. On berce la jeunesse d’illusions. Il faut lui dire la vérité. Refuser l’effort, la compétition et la sélection à l’école, c’est inévitablement la refuser dans la vie. Or l’avenir du pays dépend de sa capacité à s’adapter à l’ouverture sur le monde." Guy BAYET AH ! LE BACCALAURÉAT "JAPONAIS" Madame SEGUIN, Proviseur de lycée, est Vice-Présidente d’un syndicat de chefs d’établissements (F.N.P.A.E.S.) qui appartient à la Confédération Syndicale de l’Education Nationale. Ce texte a été publié dans la revue bimestrielle de cette confédération : Temps futur (mars-avril 1987, p. 15) Nous sommes très reconnaissants de l’autorisation qui nous est accordée de le reproduire dans nos colonnes. Dans un souci d’efficacité de notre enseignement doublé d’un élan de générosité un Ministre de l’Éducation Nationale a décidé que 80 % des jeunes Français devraient à long terme parvenir à une classe terminale de second cycle. Cette idée a été conservée par son successeur : comment pouvait-il faire autrement ? De cette simple idée d’une scolarité prolongée bien au-delà de seize ans suivant une tactique rampante destinée en partie à résorber le chômage des jeunes et leur désœuvrement, l’opinion publique a conclu que 80 % des Français seraient bacheliers. Comment peut-on admettre raisonnablement qu’il soit décidé arbitrairement d’un pourcentage de réussite à un examen ? Cela supposerait des textes officiels contraignant les enseignants à recevoir, sans tenir compte des résultats obtenus à l’examen, n’importe quel candidat. Qu’en serait-il alors du niveau intellectuel des bacheliers et de la valeur du diplôme qui reste, fort heureusement, le premier grade de l’enseignement supérieur ? Je sais bien que certaines doctrines totalitaires posent comme postulat que l’Homme peut être modelé par une pédagogie mise au service de l’endoctrinement idéologique ; que chaque individu est le produit de la société, un maillon de la chaîne, qui n’existe pas en soi ; aucune innéité chez l’homme, seulement de l’acquis social. Cette philosophie antihumaniste se heurte à l’évidence : en effet l’Essence de l’Homme - de sa création jusqu’à son hypothétique disparition - est immuable. Le concept Homme, sa définition fondamentale, voire métaphysique, en fait un Être composé de matière et d’esprit, où les deux éléments se trouvent inextricablement imbriqués. Le corps humain - bien que mortel - n’a pas varié depuis sa création. Comment pourrait-on penser que l’Esprit qui, lui, ne meurt pas, puisse varier, pétri comme une pâte, à coup de doctrines inculquées par des méthodes pédagogiques plus ou moins sophistiquées ? L’Homme, pédagogue ou doctrinaire politique, n’est pas Dieu : il ne peut créer de l’intelligence : en revanche il peut accroître et développer le noyau d’intelligence que chaque être humain porte en lui ; mais, en fonction du terrain la graine produira soit un gros fruit, soit un fruit chétif. Qui peut nier que la même pédagogie appliquée par le même maître produise des effets différents ? En réalité personne ne croit que 80 % des Français puissent être bacheliers. Serait-ce souhaitable ? N’est-il pas plus sage et réaliste d’ouvrir d’autres voies parallèles et différentes de celle du baccalauréat ? Qu’il soit d’enseignement général ou d’enseignement technologique. Une de ces voies existe depuis peu : celle des baccalauréats professionnels, qui doit permettre à tous ceux qui peuvent et qui veulent s’accomplir dans le domaine du concret, sans négliger pour autant l’acquisition de connaissances de base, d’atteindre un niveau supérieur à celui de l’actuel B.E.P. Il faut ouvrir largement et rapidement cette voie qui est celle du salut d’une partie de la jeunesse en même temps que celle de l’efficacité des entreprises. Tout cela est très beau, dira-t-on ; mais comment font les autres peuples ? Il paraît que si le Japon est le pays le plus économiquement compétitif du monde, c’est que tous les ouvriers japonais sont bacheliers. Lassés d’entendre, ici et là, de telles balivernes, nous sommes allés aux sources : non pas au Japon - il faudrait en détenir les moyens administratifs et financiers - mais au centre culturel japonais, en France, à Paris. De nos entretiens avec les responsables de ce Centre, et de l’étude des documents qui nous ont été remis, il ressort :
Mais ce qui nous semble le plus important c’est qu’au bout des trois ans passés au lycée un certificat de fin d’études secondaires est délivré par chaque établissement à chaque élève, quel que soit le niveau que celui-ci ait atteint.
Certains en France rêvent peut-être d’un tel système qui certainement convient aux jeunes Japonais. Mais à quoi donne droit cette attestation ? A passer l’examen d’entrée dans L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR. "LES UNIVERSITÉS (cycle court ou long) sélectionnent leurs étudiants par un examen d’entrée et en tenant compte de leurs résultats scolaires au lycée. Dans les universités publiques nationales et locales, un concours national, examen unifié destiné à évaluer le niveau général de base atteint par les candidats à la sortie de l’enseignement secondaire du second cycle, a été institué au cours de l’année universitaire 1979. La seconde étape est l’examen organisé indépendamment par chacune des Universités pour la sélection finale de leurs étudiants." (extrait de La Vie au Japon, page 3). A l’issue de ces examens successifs, 37 % environ de Lycéens entrent à l’université dans la branche pour laquelle ils ont été sélectionnés : enseignement universitaire court, ou université menant à la licence, puis à la maîtrise et au doctorat. Des écoles professionnelles spécialisées et des écoles diverses accueillent les unes les lycéens, les autres les collégiens qui n’ont pas été admis au lycée. En dehors de la voie de l’enseignement supérieur le certificat de fin d’études secondaires permet d’entrer dans une entreprise où le jeune apprendra son métier. Il pourra ainsi devenir ingénieur (maison), agent de maîtrise ou ouvrier qualifié. C’est sans doute pour cela que la rumeur publique persiste à affirmer que le succès économique du Japon tient au fait que tous les ouvriers y sont bacheliers. Il n’y a qu’une petite erreur à cela, c’est qu’il n’y a pas de baccalauréat japonais et qu’à notre avis il convient de chercher d’autres motifs au succès économique du Japon. Geneviève SEGUIN Tweet |