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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 18 - 4ème trimestre 1987
FAUT-IL ENSEIGNER LES DROITS DE L’HOMME ? FAUT-IL ENSEIGNER LES DROITS DE L’HOMME ? Étrange question, dira-t-on. Les droits de l’homme ne sont-ils pas enseignés à l’heure actuelle et d’ailleurs depuis fort longtemps ? Comment pourrait-il en aller autrement ? Un cours d’histoire qui passerait sous silence une notion qui a joué un rôle aussi déterminant dans l’évolution de nos sociétés depuis plus de deux siècles est proprement inconcevable. Je ne vois pas comment un professeur de français pourrait parler des penseurs des Lumières sans aborder les questions afférentes aux droits de l’homme. Quant aux professeurs de philosophie, on ne peut certes pas leur reprocher d’éviter la réflexion sur le concept des droits de l’homme ! Il suffit pour s’en convaincre de se référer à la liste des sujets proposés dans leur discipline aux candidats au baccalauréat. Bien entendu, ce n’est pas de ce type d’enseignement que je veux parler et je n’ai pas la moindre intention de demander que s’exerce contre lui une censure qui serait aussi insoutenable qu’absurde, mais de tout autre chose. Car, il faut bien en convenir, lorsqu’on parle aujourd’hui d’un enseignement des droits de l’homme - ou d’un enseignement aux droits de l’homme, pour user de l’étrange syntaxe qui est celle de rapports très officiels - on parle d’un enseignement d’une nature toute différente, tant par son contenu que par ses objectifs. Il est alors indispensable de s’interroger sur la place que peut occuper ce nouvel enseignement dans le cadre d’une école qui se veut neutre. LA PENTE FATALE Remettons les choses dans une perspective historique. Je distinguerai trois événements majeurs. Le premier est la décision de M. CHEVENEMENT de rétablir l’instruction civique. Cette décision, intrinsèquement louable, a été bien accueillie par l’opinion publique. Mais on a porté peu d’attention aux programmes fixés par le Ministre et aux instructions qui les accompagnaient. Tout au plus, l’interprétation de ces programmes par certains éditeurs de manuels scolaires avait-elle suscité un peu d’émoi. A l’époque, j’avais fait part dans cette Lettre de ma grande inquiétude. Les manuels en question, très orientés politiquement, étaient parfaitement conformes à l’esprit des instructions, ou du moins nullement en contradiction avec lui. Ils visaient bien les objectifs que M. CHEVENEMENT assignait à l’instruction civique, de son propre aveu. Il ne s’agissait pas de faire connaître les institutions publiques et simplement de former des bons citoyens, mais de préparer et d’encourager certaines transformations sociales, conformes aux vœux de ceux qui professent une idéologie particulière. Préparer la France de 2015, telle que M. CHEVENEMENT voudrait qu’elle soit, et pour cela inciter les jeunes, dès l’école et à l’école, à intervenir dans les grandes questions d’actualité, tel était le but de la "nouvelle" instruction civique. Depuis deux ans, la situation ne s’est aucunement améliorée, comme on va le voir. Le second événement est l’annonce, le 26 mai 1987, par M. MONORY, Ministre de l’Éducation Nationale, et de M. MALHURET, Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre chargé des Droits de l’Homme, de nouvelles mesures : les Ministres demandaient notamment que l’accent soit mis sur les aspects "droits de l’homme" des programmes d’histoire de première et de terminale et, en conséquence, prévoyaient des compléments de ces programmes. On allait même jusqu’à fixer un volume horaire : un tiers du temps réservé à l’enseignement de l’histoire devait être consacré aux "droits de l’homme" et enfin on instituait une sanction spécifique de cet enseignement au baccalauréat. Bien entendu, on en appelait à la collaboration pluridisciplinaire pour le développer. Accueillies par le grand public avec cette approbation polie qui cache une indifférence réelle, ces mesures furent chaleureusement applaudies par les organisations dont la fonction déclarée est de "lutter contre le racisme" et de plaider la cause des immigrés, naturellement sous la réserve d’usage "qu’elles n’allaient pas assez loin". Le moins qu’on puisse dire est que le corps professoral a pour sa part manifesté une sage réserve. Non qu’on puisse le soupçonner d’être, dans sa majorité, hostile aux droits de l’homme ; mais on peut adhérer à certaines idées sans souhaiter pour cela se voir chargé de les diffuser sur injonction de l’autorité étatique. Par fonction, ceux qui enseignent ont très bien perçu ce qu’avait d’inquiétant le rôle qu’on voulait leur faire jouer. Par exemple, l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public a pris position. Dans une lettre à M. MONORY, rendue publique dans sa revue(L’Enseignement philosophique, 37e année, Juin-Août 1987, p. 135), son Président, après avoir noté que les droits de l’homme ne peuvent être réduits à un simple fait de croyance historiquement déterminée, mais appellent une réflexion méthodique, écrit très judicieusement : "Doit-il en résulter une épreuve d’examen ? La récitation d’un catéchisme des droits de l’homme serait dérisoire. Quant à demander au candidat bachelier de prendre position sur des cas actuels ou même historiques, cela soulèvera inévitablement toutes sortes de difficultés et de suspicions. D’ailleurs une telle épreuve n’a pas sa place dans un examen national qui doit attester des capacités dans des disciplines déterminées et ne peut sans confusion jouer le rôle d’une sorte de certificat de civisme." Je ne vois pas ce qu’on peut répliquer à cette objection et, pour autant que je sache, on ne lui a rien répliqué. Ce qui ne veut pas dire qu’on en ait tenu le moindre compte, comme le prouve la suite des événements. Le troisième événement que j’évoquais, c’est la publication du rapport rédigé à la demande de M. MALHURET (encore lui !) par M. HANNOUN, dont il faut souligner qu’il est député R.P.R. (ce qui manifeste qu’aucune composante de la majorité gouvernementale ne veut être en reste sur ce genre de question !). Ce rapport consacré au racisme et aux discriminations en France traite en apparence une question distincte de la nôtre. Mais ce n’est qu’une apparence. M. HANNOUN pose en effet une étrange égalité : défendre les droits de l’homme et lutter contre le racisme sont une seule et même chose. Il semble ignorer qu’historiquement le problème des discriminations raciales, qui n’est qu’un parmi d’autres, n’a joué qu’un rôle secondaire dans le développement de l’idée des droits de l’homme, qui a bien d’autres fonctions que d’animer la lutte antiraciste. Il affirme ensuite que s’il faut renforcer la sanction de certains comportements, il faut aussi et surtout "agir sur les mentalités" (p. 13), et qu’"en matière de lutte contre le racisme, l’Éducation a un rôle de premier plan" (p. 136). D’où sa conclusion : non seulement il approuve les mesures prises par MM. MONORY et MALHURET, mais il demande qu’elles soient considérablement renforcées et qu’on leur apporte des compléments de diverses natures. Nous sommes donc bien dans le vif de notre sujet et, avec le rapport HANNOUN, nous constatons que les déclarations du 26 mai n’étaient pas un épisode sans signification, mais qu’on persévère. Perseverare diabolicum. UNE EDUCATION SANS FIN M. HANNOUN part de trois prémisses :
Si subsiste ce racisme souterrain qui se manifeste notamment par les arrière-pensées et les lapsus (p. 42) - que ne va pas pourchasser M. HANNOUN ! - c’est que le racisme est une attitude "spontanée, sinon naturelle" (p. 76). Il est ancré dans "la peur de l’autre", dans l’attitude qui conduit à rejeter ce qui diffère de soi plutôt que "de se remettre en question" (p. 16, p. 18). Et dans une page de bravoure, de ce style auquel nous ont habitués les discours de S.O.S. Racisme, M. HANNOUN nous parle de ces phénomènesd’exclusion de tout ce qui est différent, animés par "une même logique" (p. 15). A croire qu’il va chercher son inspiration dans la description du "grand renfermement" (des déviants, des fous, des marginaux) par Michel FOUCAULT. Puisque le racisme est en quelque sorte spontané, "l’anti-racisme est donc quelque chose qui s’apprend" (p. 76). En la matière, l’éducation est une "nécessité permanente". Entendons par là qu’on n’en a jamais fini avec ce type d’éducation. On nous dit modestement qu’il faut "changer les mentalités" ; il semble en fait qu’on voudrait bien plus modifier la nature humaine, "lutter contre la bête qui est en nous" (p. 74). Dans sa croisade anti-raciste, M. HANNOUN évoque irrésistiblement les prédicateurs puritains partant en guerre contre la sexualité !
Y avait-il lieu de se réjouir du déclin des idéologies et de l’apparition d’un consensus mou, fait d’attitudes toutes négatives qui peuvent mettre en péril la cohésion et la vitalité du corps social, de les interpréter comme des mouvements séculaires, alors qu’il peut s’agir de phénomènes transitoires ? Vraiment M. HANNOUN, qui pense comme on parle à la télévision, accorde trop de crédit aux analyses de B.-H. LEVY qui, comme les autres "nouveaux philosophes", tire gloire du fait qu’il jette aujourd’hui aux orties les fanatismes qui ont éclairé sa jeunesse. Dans ces conditions, il sera difficile d’établir sur la seule idée des droits de l’homme une nouvelle morale qui revêt un aspect quasi religieux. C’est pourtant à cette tâche qu’on s’est attelé. VERS DE NOUVEAUX DOGMES ? Ces prémisses posées, quelles conséquences va-t-on en tirer ? Rappelons d’abord que nous ne nous intéressons ici qu’à ce qui est proposé en matière d’éducation, soit approximativement le tiers des 53 mesures préconisées, et que la question des droits de l’homme est en quelque sorte réduite au seul aspect de la lutte contre le racisme qu’on isole et privilégie pour des raisons plus ou moins valables. Ceci étant dit, l’auteur n’ignore pas les obstacles : certaines campagnes anti-racistes peuvent par leur maladresse susciter des réactions radicalement opposées à leurs objectifs (p. 64) et surtout "nos concitoyens paraissent résolument hostiles à l’idée d’une France multiculturelle" (p. 65). Est-ce à dire qu’on va résolument abandonner cette idée ? Pas exactement. Mais au lieu de parler de l’insertion des immigrés, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ce qui suppose la juxtaposition de communautés étrangères les unes aux autres, chacune conservant sa culture propre, on parlera de leur intégration. Le mot, qui n’est pas neutre - M. HANNOUN insiste (pp. 105-6) - n’est pas synonymed’assimilation, ce qui supposerait que les étrangers se rendent semblables aux Français, si bien qu’à eux seuls un effort serait demandé, "le pays d’accueil demeurant semblable à lui-même". L’assimilation ne fonctionne plus (ce qui est partiellement exact) et d’ailleurs M. HANNOUN n’en veut pas. Reprenant une référence qui a décidément beaucoup servi, il affirme péremptoirement : "continuer à enseigner "nos ancêtres les gaulois" n’est ni possible, ni souhaitable". Reste la voie de l’intégration qui est en quelque sorte la voie médiane : "L’intégration implique donc un effort réciproque. La France doit faire des efforts pour permettre aux étrangers de s’intégrer",mais eux aussi. Le concept n’est pas mieux défini. J’ai bien peur que l’intégration ne soit pas l’insertion à petite dose et menée de façon hypocrite, de telle sorte que la France ne perde pas trop vite son identité et comme sans s’en apercevoir... Ces craintes vont apparaître comme très fondées lorsqu’on passe aux mesures proposées. Il y a bien sûr toute la panoplie des mesures destinées à tenir compte de la situation particulière des enfants d’immigrés et à les favoriser. Tout ce qui est proposé n’est pas blâmable mais l’ensemble donne une singulière impression. Il est d’ailleurs assez étrange que M. HANNOUN se soucie tellement du sort des "primo-arrivants" futurs alors qu’il annonce, bien entendu, l’arrêt de toute nouvelle immigration. Pourquoi d’ailleurs si on était tellement certain de cet arrêt prévoir dans les formations de tous les enseignants "une unité d’étude sur les problèmes spécifiques des jeunes étrangers ou d’origine étrangère" (Proposition 35, p. 147) ? Dans les universités, des missions d’universitaires issus des pays d’immigration viendront faire connaître les cultures et les systèmes juridiques de ces pays à leurs collègues (avec examen obligatoire ? On ne nous le dit pas). (Proposition 9 et 10, p. 138-9). Mais bien entendu l’essentiel c’est "l’enseignement des droits de l’homme". Quant à son contenu, on ne nous dit guère quel il sera. Toutefois, M. HANNOUN manifeste une singulière préférence pour tout ce qui émane de l’O.N.U., puisque ce serait là que se forgent "les instruments les plus complets" en la matière et qu’on s’y fonde souvent "sur la philosophie des "libertés réelles"", notion dont je dois rappeler qu’elle est celle que MARX oppose à l’idée de droit de l’homme telle qu’elle apparaît dans la déclaration de 1789 (p. 82-3). Laissons à M. HANNOUN ses références et ses préférences pour ce qui fut nommé par le Général de GAULLE le "machin". En tout cas, rien n’est prévu qui prévienne toutes les déviations, tous les usages abusifs auxquels peut donner lieu un enseignement des droits de l’homme. Cet enseignement est considérablement renforcé : on le retrouve à tous les niveaux, puisqu’il est même inséré dans la formation des fonctionnaires. On nous l’apporte même à domicile avec de "bonnes" émissions de télévision : par exemple une saga édifiante, sur une famille d’immigrés (le Dallas des Minguettes !), dont il faudrait encourager la production. Il est bien sûr sanctionné, au baccalauréat notamment, et contrôlé : on "invite" les éditeurs de manuels à solliciter conseils et avis d’une commission officielle, mais sans attenter à leur liberté de conscience, pas plus qu’à celle des maîtres, ou à celle des élèves. M. HANNOUN nous l’a promis : soyons donc rassurés ! Et pour faire sérieux, on crée centres universitaires de recherche, diplômes d’études approfondies, formation de troisième cycle en matière de Droits de l’Homme. A croire que le sujet est vraiment inépuisable. Enfin, pour couronner l’ensemble, on mettra en place une université d’Ethique (terme qui a le vent en poupe et qui doit être pris, au moins ici, pour strictement synonyme avec celui de morale, vraiment trop démodé !). Mais, dans ce cas aussi, soyons rassurés : les travaux de cette Université pourront bien servir de référence, mais on ne prétend pas définir une "doctrine" (p. 79). Si je comprends bien, la morale officielle patronnée et imposée par l’Etat n’est pas encore au programme. En conclusion, je voudrais simplement rappeler quelques données de fait. Lorsque au début du siècle, la IIIe république mettait en place un enseignement primaire, gratuit, laïc et obligatoire, elle se heurtait, elle aussi, à des difficultés considérables. La France était, déjà en ces temps, idéologiquement divisée, les conflits politiques violents et de nombreux secteurs de la population peu accueillants à la nouvelle école publique. L’action et le bilan de cette République peuvent susciter de légitimes réticences. Néanmoins, ceux que PEGUY a nommé ses "hussards noirs" ont su forcer le respect de leurs adversaires. Ils ont instruit les Français qui leur en eurent une très grande reconnaissance. C’est que, malgré tous les excès, ils respectaient certaines règles dont on leur avait appris qu’elles étaient sacrées. Lorsque à Bordeaux, un Doyen de Faculté, lors des obsèques du Recteur, parlant ès qualités, croyait bon de faire allusion aux positions dreyfusardes qu’il partageait avec le défunt, le Ministre de l’Instruction Publique - Léon BOURGEOIS -, lui-même dreyfusard, le sanctionnait sur-le-champ en le suspendant pour six mois de son autorité décannale, parce qu’il avait engagé l’autorité de sa fonction dans une querelle politique. M. HANNOUN montrerait-il la même rigueur ? Une règle de principe fut posée : aucun enseignement de morale ou d’instruction civique ne pouvait donner lieu à une épreuve d’examen. Non seulement parce que de tels enseignements visent plus à modifier les conduites qu’à diffuser des savoirs, mais surtout parce qu’on voulait éviter d’être accusé de sélectionner "sur critères idéologiques". Cette règle fut toujours respectée jusqu’à aujourd’hui. M. HANNOUN a-t-il les mêmes scrupules ? Lorsqu’un instituteur de zone rurale était mis, au début du siècle, en présence de petits Corses ou de petits Bretons, le public auquel il s’adressait ne pratiquait pas la langue française, qu’il n’avait jamais entendu parler, et les familles étaient réticentes devant cet enseignement qu’on leur imposait. Je ne crois pas que sa situation était plus confortable que celle de l’instituteur des Minguettes. Mais il savait, lui, que l’autorité publique le soutenait. Il enseignait en français et les élèves n’étaient pas autorisés à utiliser une autre langue à l’école, même dans les cours de récréation. M. HANNOUN est-il capable du même courage ? Maurice BOUDOT. LA FEN, SYSTÈME ET ESPRIT DE SYSTÈME La Fédération de l’éducation nationale (FEN) n’est pas seulement une force syndicale. C’est aussi une puissance économique et une matrice idéologique. Le système est complet. Ainsi s’explique son influence politique. * L’empire de la FEN est un véritable système. C’est-à-dire, pour reprendre la définition du dictionnaire Robert, un "ensemble structuré d’éléments naturels de même espèce ou de même fonction". Force syndicale, force économique et force politique, l’empire de la FEN est tout cela à la fois. La partie la plus apparente de cet empire, c’est la FEN elle-même, en tant qu’organisation syndicale. UNE FORCE SYNDICALE Avec quelque 450 000 adhérents déclarés, la FEN peut aisément être comparée aux autres confédérations de salariés. Par ses effectifs, elle se situe même en quatrième position, après la CGT, la CGT-FO et la CFDT. Dans la Fonction publique, la FEN se situe en première place des organisations syndicales dans les secteurs de l’enseignement et de la formation. Son audience, quoique subissant une certaine érosion, ainsi que la récente concurrence de Force ouvrière, reste encore très forte. Le taux de syndicalisation est, dans l’Éducation nationale, un des plus élevés de tous les secteurs d’activité de notre pays. Reconnue représentative depuis 1954, la FEN est présente, à travers ses 49 syndicats, dans tous les milieux de l’enseignement et dans toutes les catégories de personnel. Contrairement à une idée répandue, la FEN n’est pas une fédération regroupant seulement des enseignants. Environ le tiers de ses membres remplissent des fonctions d’administration, de gestion, de service, etc. Cette force numérique et cette audience permettent à l’organisation de se poser en interlocuteur redoutable des responsables de l’Éducation nationale. Ces derniers étant, en fait, souvent empêtrés dans le gigantisme des structures, l’organisation syndicale exerce plus le pouvoir véritable qu’elle ne joue un rôle équilibrant de contre-pouvoir. Nombre de décisions - à commencer par celles concernant les changements d’affectation des professeurs - sont étroitement contrôlées par la FEN. Les commissions paritaires créées à la Libération lui ont progressivement donné cette possibilité. Ainsi, les postes de direction de l’Éducation nationale, au niveau académique mais aussi au niveau national, ont été mis, par ses soins, "sous influence". Dans le livre "Tant qu’il y aura des profs" (Le Seuil, 1984), Hervé HAMON et Patrick ROTMAN rappellent une légende - étayée de diverses sources - selon laquelle l’état-major de la FEN était informé heure par heure des rendez-vous et déplacements de Christian BEULLAC, lorsque celui-ci était ministre de l’Éducation. Dans un entretien accordé aux deux mêmes auteurs, Jean-Claude BARBARRANT, secrétaire général des instituteurs, avoue crûment : "Il est évident que nous avons les moyens d’avoir la peau d’un ministre"(page 228). Propos repris à la télévision quelque temps après, en des termes proches, par le secrétaire général de la FEN. Ce comportement quasi-hégémonique est porteur de corporatisme et, plus encore, de blocages de notre système éducatif et de menace pour la liberté d’enseignement. "Jamais, écrit Jacques POMMATAU, secrétaire général, la FEN n’acceptera que soit accordée une autonomie aux établissements, particulièrement en matière de projet éducatif, aussi longtemps que subsisteront des établissements de statut privé, et conservant leur "caractère propre" (lettre publiée par "La Croix", 6 janvier 1984). Ainsi, la force syndicale de la FEN se nourrit-elle d’un profond esprit corporatiste, auquel elle donne une orientation militante. Cette force syndicale n’est cependant pas née du hasard. Et elle ne se maintient pas par extraordinaire, au moment où l’ensemble des autres organisations syndicales connaissent une chute rapide et forte de leurs effectifs et de leur audience. UNE PUISSANCE ÉCONOMIQUE L’appareil syndical est soutenu par une formidable infrastructure économique qui a su, elle aussi, conserver sa fougue militante. La FEN se trouve l’élément moteur d’un vaste réseau de coopératives, mutuelles, banques, associations, etc. qui contribue en retour à lui assurer la fidélité de ses membres et sympathisants, pour lesquels il est devenu l’environnement naturel. En effet, le million de membres de l’Éducation nationale et leurs familles (soit, au total, plusieurs millions de personnes) peuvent trouver dans ce qu’il est convenu d’appeler "l’empire" de la FEN réponse à quantité de leurs besoins : banques, assurances, santé, loisirs, logement, vente par correspondance, etc. Pour ce faire, la FEN et ses syndicats (notamment celui des instituteurs) ont aidé à la création puis ont contrôlé et géré depuis parfois plus d’un siècle quelque 64 organisations dont le champ d’activité est, au total, très vaste. Les plus importantes de ces organisations sont :
Citons également la Mission laïque française, dont les démêlés avec la Cour des comptes ont naguère fait la "une" des journaux, ou la Ligne française de l’enseignement, créée en 1866 et qui regroupe 1 million d’adhérents encadrés par 2 000 permanents et 100 000 bénévoles. Ces organisations atteignent ensemble une dimension financière impressionnante. Mais, plus que leur taille, c’est leur complémentarité qui assure la solidité de l’édifice. Celui-ci se trouve piloté par un discret mais influent "Comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l’Éducation nationale", le CCOMCEN (prononcer "c’est-comme-scène"). Officiellement constitué sous la forme d’un groupement d’intérêt économique, le CCOMCEN constitue en fait l’outil de contrôle de la FEN sur son "empire" économique. Les 64 associations et organismes contrôlés par la FEN concourent à faire du "monde enseignant" une sorte de monde clos, de société fermée, qui peut trouver en son sein réponse à tous ses besoins, même les plus insignifiants. Tout autant que les avantages matériels présentés par ces organismes (réductions, prix préférentiels, etc.), c’est bien le poids, la force de persuasion du système qui pousse un enseignant à faire appel à lui plutôt qu’à des organismes extérieurs. UNE MATRICE IDÉOLOGIQUE Mais ce monde clos n’est pas un monde sans projet. Cet empire économique est aussi, pour la FEN, un outil militant, ayant pour vocation de façonner un véritable modèle social, une certaine conception de la société et d’œuvrer pour sa réalisation. Il n’est pas, à la différence d’autres pays, la traduction concrète d’un "syndicalisme de services", dont le but se limiterait à "concurrencer le capitalisme sur son propre terrain, sans être pour cela inspiré par l’esprit de profit". Le projet commun à cet appareil syndical et à cet appareil économique est la défense de la laïcité, principe inscrit à l’article premier des statuts de la FEN. Cette dernière est donc aussi - et peut-être d’abord - une matrice idéologique. L’idée est ancienne. Elle remonte aux débuts de la Troisième République. En affirmant "qu’œuvre sociale et œuvre scolaire sont les deux parties complémentaires d’un même effort de libération et de progrès", les maîtres de l’enseignement laïque qui venait d’être instauré en France entendaient mettre sur pied un ensemble de structures laïques capables de rivaliser avec les puissantes structures religieuses d’alors. Ils mettaient ces principes en pratique tant dans leur enseignement qu’en créant, pour eux et pour leurs élèves (touchant aussi par là les familles), les mutuelles, coopératives et associations diverses que nous connaissons actuellement. Aujourd’hui encore, ce projet n’a rien perdu de sa vigueur. Au dernier congrès de la FEN, en février 1985, Michel BOUCHAREISSAS, secrétaire général du Comité national d’action laïque s’adressait ainsi aux délégués que la manifestation du 24 juin 1984 aurait pu ébranler dans leurs convictions : "Vous savez, de bien des manières, ce combat ne fait encore que commencer. Il n’existe pas quelque vertige de l’Histoire qui devrait, sur le fond des choses, nous conduire à une révision déchirante". Et il concluait : "Il est inscrit dans l’Histoire que viendront nous rejoindre un jour ceux qui, pour l’heure, sont encore à l’écart de la grande route laïque". Dans son rapport d’activité à ce même congrès, Jacques POMMATAU, secrétaire général de la FEN, rappelait clairement la nature de ce combat et, par là, la signification de la notion de laïcité. Il s’agit du combat de la philosophie rationaliste contre la religion. "C’est, disait-il, le combat entre la vérité toujours à construire et la vérité possédée ou révélée". Autrement dit : la priorité donnée au devenir et non à l’être, le primat de la praxis et non celui du logos. L’empire de la FEN, véritable maçonnerie extérieure, est tout entier nourri de cette vision rationaliste de la laïcité. La conquête des institutions, tant politiques (Assemblée nationale, Sénat) qu’administratives (ministères) ou sociales (la FEN a démultiplié sa présence dans quantité d’organismes de représentation du monde social) a effectué depuis quelques années de nombreux progrès. L’influence politique de la FEN et de son "empire" sur notre société et sur nos institutions s’explique ainsi par la cohérence du système et par son réel... esprit de système. Bernard VIVIER Tweet |