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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLettre N° 13 - 3ème trimestre 1986
DEVOIRS DE VACANCES Depuis le début des vacances, aucun événement ne s’impose à notre attention. Profitons de ce répit pour proposer à nos lecteurs des textes sans rapport immédiat avec l’actualité. M. AMARE, professeur au lycée de Rochefort, secrétaire national du S.N.A.L.C., principal syndicat libéral du second degré, est spécialiste des questions pédagogiques. Il a élaboré pour son syndicat un document très important dont la grande presse a déjà parlé sur les problèmes posés par l’enseignement destiné aux enfants immigrés. M. AMARE a bien voulu écrire pour nous l’article que nous publions aujourd’hui. Après avoir pris connaissance de remarquables études publiées en Grande-Bretagne au sujet du chèque-éducation, j’ai cru utile de diffuser auprès de nos lecteurs des éléments de réflexion importants. Le cas de l’Angleterre n’avait pas été étudié dans notre colloque l’an dernier ; raison de plus pour qu’on parle de ces travaux. C’est ainsi que j’ai été conduit à rédiger ces pages qui ne sont guère plus qu’un compte rendu de lecture. L’un et l’autre textes n’expriment rien d’autre que l’opinion de leurs signataires. Voici donc leurs devoirs de vacances. LA SCOLARISATION DES JEUNES IMMIGRES : La présence dans nos écoles d’un nombre croissant d’immigrés impose-t-elle à notre nation l’abandon de ses références culturelles ? Telle est la question - urgente - que nous imposent certaines dispositions prises, avant son départ, par M. Chevènement. De quoi s’agit-il ? Depuis une quinzaine d’années environ, l’Éducation Nationale a adopté différentes mesures afin de répondre aux problèmes spécifiques posés par la scolarisation des jeunes immigrés : création de classes d’accueil dans les écoles (CLIN pour une durée d’un an maximum) et les collèges (CLAD pour deux ans maximum) pour un apprentissage facilité du français ; institution d’un enseignement des langues et cultures d’origine (LCO) ; création de centres de formation (CEFISEM) pour les enseignants confrontés à la question de la scolarisation des élèves étrangers non francophones. Que ces mesures, dans leur ensemble bienvenues, se soient révélées à l’usage insuffisantes, c’est ce dont il faut aujourd’hui convenir devant l’échec trop élevé des jeunes immigrés dans nos écoles, souligné encore par leur présence anormalement forte dans les classes destinées aux enfants arriérés (classes de perfectionnement) ou aux déficients intellectuels légers (section d’éducation spécialisée). Le problème devait donc être repris. Le drame est que celui-ci vient d’être repensé non d’un point de vue technique mais à travers une idéologie qui s’est développée depuis 81-82 dans les milieux s’occupant de l’immigration. Selon cette idéologie, devrait être prohibé de nos écoles tout traitement différent des élèves français et étrangers. Il conviendrait ainsi, après une période d’adaptation aussi courte que possible dans les CLIN ou les CLAD, de mélanger les uns et les autres dans des classes communes, afin d’y instituer une pédagogie nouvelle qui, partant du vécu de chacun, serait capable non seulement de répondre aux problèmes scolaires individuels, mais encore de provoquer un enrichissement mutuel de tous. Dans cette perspective, l’école introduirait comme "légitimes" les pratiques, croyances, rites et références culturelles, en même temps que la langue d’origine des jeunes immigrés. Au-delà des motifs pédagogiques invoqués, le résultat escompté - à terme - est l’avènement d’un type nouveau de société, dégagé de tout esprit partisan et capable de reconnaître chacun dans sa richesse particulière. Telle est précisément la perspective d’un rapport du professeur Berque, remis en mai 85 à M. Chevènement, qui préconise l’insertion la plus rapide possible des jeunes immigrés dans les classes "normales", l’extension de l’enseignement des langues et cultures d’origine (LCO) - dispensé par des maîtres étrangers - à l’ensemble des élèves du primaire, l’aménagement de la formation des enseignants dans le sens d’une plus grande sensibilisation au phénomène interculturel, enfin la prise en compte par notre pédagogie de l’identité culturelle de chacun. Un rapport suivi en partie par M. Chevènement qui, en décembre 85, annonçait l’intégration dans les classes "normales" de tous les enfants étrangers, quel que soit leur niveau, ayant fait leur temps réglementaire dans les CLIN ou les CLAD, et l’ouverture des programmes, dès le plus jeune âge de l’école primaire, aux cultures des populations immigrées. A l’opposé de cette perspective, il est urgent aujourd’hui de dénoncer dans ces décisions de l’ancien ministre de l’Éducation Nationale un danger pour le projet pédagogique et culturel de notre école et la capacité de création de notre nation. Nul ne nie tout d’abord la nécessité d’insérer le plus rapidement possible les jeunes immigrés au cursus scolaire normal. Cependant, en même temps qu’elle doit être rapide, cette insertion ne doit pas être prématurée, d’une part pour être efficace, d’autre part pour ne pas constituer un facteur de perturbation dans la progression des élèves, français ou non, qui suivent une scolarité normale. Devant l’insuffisance de niveau des élèves étrangers à l’issue des CLIN ou des CLAD, responsable de leur échec, il convenait ainsi non de se préoccuper de limiter leur séjour dans les classes d’accueil, mais au contraire d’en permettre la prolongation pour un meilleur apprentissage du français notamment. D’autre part, vouloir que notre nation abandonne ses références culturelles afin de se faire plus accueillante aux autres cultures, c’est méconnaître totalement la condition de déracinés des jeunes immigrés, coupés des allégeances tranquilles de leurs aînés et, de ce fait, à la recherche d’un cadre solide dont ils puissent partager les valeurs. Sans compter les effets pervers de l’idéologie interculturelle sur la jeunesse française, plongée par elle dans une indifférence sceptique à l’égard de toute norme ou usage, quel qu’il soit. Enfin, croire que l’esprit d’une nation peut se diluer impunément dans un inter ou pluri-culturel, c’est condamner tout idéal capable de susciter sa création. Tel est le sens de cette mise en garde de M. Lévi-Strauss dans Le regard caché : "L’humanité", écrit-il, "devra réapprendre que toute création véritable implique une certaine surdité à l’appel d’autres valeurs, pouvant aller jusqu’à leur refus sinon à leur négation. Car on ne peut, à la fois, se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communauté intégrale avec l’autre condamne, à plus ou moins brève échéance, l’originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles, indispensables entre les individus comme entre les groupes, s’amenuisent au point que des échanges trop rapides égalisent et confondent leur diversité". Certains s’étonneront peut-être du fait que M. Chevènement, si favorable à l’éducation civique, ait pu tomber d’accord avec l’interculturalisme du professeur Berque. Ceux-là oublient seulement que l’ancien ministre de l’Éducation n’a glorifié du sentiment national que le processus révolutionnaire qui, à partir de 89 et de la IIIe République, doit mener selon lui, la France à une nouvelle forme de société, "rationnelle", fondée sur l’extinction de toute tradition particulière, de type "socialiste autogestionnaire". En ce sens, M. Chevènement n’a adopté du rapport Berque que les éléments qui pouvaient servir sa propre perspective idéologique. Il est urgent aujourd’hui que M. MONORY, nouveau ministre de l’Éducation Nationale, revienne sur les dispositions prises par son prédécesseur, et amène notre école, à tous ses niveaux, à rompre avec les idéologies qui la minent. Jean-Michel Amaré Le débat relatif à l’enseignement privé a très naturellement conduit à une interrogation globale sur la fonction de l’État en matière d’éducation. Il était alors inévitable que soit évoqué le système du chèque-éducation, ou bon scolaire, ou allocation d’études, expressions qui doivent être tenues pour synonymes et qui sont toutes rendues par le terme anglais "education voucher". Rappelons les principes sur lesquels repose ce système : l’État n’a pas pour vocation d’organiser un "système public" d’enseignement. Il remplit mal cette mission, à un coût exorbitant, avec des résultats insatisfaisants. De plus, le système public gratuit tend naturellement au monopole et le risque existe toujours de le voir utilisé par le pouvoir politique comme véhicule d’une idéologie. L’éducation devrait rester du domaine de l’initiative privée et être régie par la loi du marché. Toutefois, il appartient à l’État de veiller à ce que chaque enfant reçoive l’éducation dont il a besoin : il prescrira donc certaines règles générales, comme celles relatives à l’obligation scolaire, et surtout fournira à chacun les moyens financiers d’obtenir cette éducation. La famille recevra donc pour chaque enfant un chèque-éducation qu’elle transfère à l’école de son choix qui en perçoit le montant du Trésor Public. On subventionnera l’éducation de chacun et non plus des écoles. L’idée lancée aux Etats-Unis, il y a plus de 30 ans, par Milton FRIEDMAN, prix Nobel d’économie, a récemment donné lieu en France à un certain nombre de réflexions, de prises de position sur le principe, dans l’ensemble favorables. Approuvée autrefois par Guy MOLLET, reprise ici ou là, elle a trouvé un avocat talentueux et informé en Alain MADELIN qui la défend dans Pour libérer l’école (1984, Laffont), se souciant notamment des conditions de sa mise en application dans le contexte français contemporain. De même, elle inspire un certain nombre des propositions formulées dans L’École en accusation (Albin Michel, 1984) par Didier MAUPAS et le Club de l’Horloge. Toutefois, on ne peut pas dire que cet intérêt se soit traduit par des propositions explicites et précises dans les programmes politiques, ni que l’idée ait joué un rôle de premier plan dans les récents débats électoraux. Elle n’a pas donné lieu non plus à des études de caractère scientifique. Tout se passe comme si, dans notre pays, on tenait l’idée pour insuffisamment mûrie. Pour des raisons facilement décelables, la situation est toute différente en Grande-Bretagne. En 1981, le nouveau ministre conservateur de l’Éducation, Sir Keith JOSEPH, se disait "intellectuellement attiré" par le chèque-éducation. Il prescrivait des études préalables et instaurait un débat entre les services administratifs de son ministère et les défenseurs du chèque regroupés dans une association (F.E.V.E.R.) dirigée pour l’essentiel par des universitaires inspirés par la pensée libérale de HAYEK (autre prix Nobel d’économie), dont certains avaient détenu d’importants pouvoirs en matière d’éducation à l’échelon local et possédaient donc une expérience réelle des problèmes posés. Étrangement, deux ans après, alors que le débat s’était réduit à un échange d’arguments, sans aboutir à des conclusions décisives, le même ministre qui l’avait instauré y mettait un terme, affirmant qu’il fallait tenir pour morte l’idée de chèque-éducation "du moins dans un futur prévisible". Certes, très récemment, un certain nombre d’autorités gouvernementales, dont Mme THATCHER elle-même, ont dit leur regret d’avoir dû abandonner ce projet et leur vœu de le reprendre. Mais demeure un fait étonnant : un ministre dont personne ne songe à mettre en cause ni la capacité, ni la résolution, a trouvé trop difficile la mise en application d’une idée vieille de 30 ans qui lui était chère. A quels obstacles dissimulés s’est donc heurté le système du chèque-éducation ? Telle est l’énigme du chèque (The riddle of the voucher) dont traite sous la signature d’Arthur SELDON l’une des publications de l’Institute of Economic Affairs, dirigé par Lord HARRIS of HIGH CROSS et qui regroupe des penseurs qui ont souvent inspiré la politique thatchérienne. Le périodique Economic Affairs dans sa livraison d’avril-mai 1986 (v.6, N° 4) consacre à cette même question un certain nombre d’articles qui complètent et explicitent la brochure d’Arthur SELDON. Ces textes constituent des études de caractère scientifique, remarquables par leur niveau, encore que leur lecture soit aisée et ne doive aucunement être réservée aux anciens élèves de l’Institut d’Etudes Politiques. Ils apportent des données nouvelles, en établissant certains résultats sur des preuves solides. C’est pourquoi il me semble utile de les signaler au public français afin de verser des pièces nouvelles aux débats sur la liberté de l’enseignement. UN REMÈDE LIBÉRAL AU MONOPOLE SCOLAIRE Rappelons d’abord qu’en Grande-Bretagne l’organisation de l’enseignement souffre, souvent sous une forme plus accentuée, de défauts analogues à ceux qui se manifestent en France. Les gouvernements travaillistes avaient appliqué au niveau du secondaire une politique d’uniformisation qui a abouti au nivellement : il y a une grande ressemblance entre les comprehensive schools et le tronc commun des collèges voulu par René HABY ; jusqu’en 1980 les conservateurs ont appliqué les mêmes principes limitant leurs ambitions à freiner cette évolution. L’enseignement privé, qui n’a pas le même caractère confessionnel qu’en France, n’était subventionné que dans certains cas et de façon partielle : les frais de scolarité à la charge des familles y restaient élevés. Une réglementation du type de la sectorisation interdisait aux parents tout choix de l’école à l’intérieur du système public. Bref, il fallait payer si l’on voulait choisir son école. Que la gestion des écoles ait été déléguée aux autorités régionales, chargées de redistribuer des crédits qui pour l’essentiel venaient du budget de l’État, permettait dans certains cas favorables de desserrer un peu le carcan, mais ne touchait pas à l’essentiel ; on pouvait dire que s’était instauré un monopole d’État sur l’éducation, ce qui prouve d’ailleurs l’illusion de ceux qui attendent de la régionalisation le remède aux maux dont souffre l’école. Du point de vue de la liberté de l’enseignement, la situation était donc moins bonne qu’en France. Et comme des causes de même nature produisent les mêmes effets, on constatait comme chez nous que, malgré son coût croissant, le système fonctionnait mal, n’obtenait que des résultats médiocres et suscitait le mécontentement des parents. Le gouvernement de Mme THATCHER a pris à son arrivée au pouvoir des mesures d’urgence. Ainsi, le système des places subventionnées permit aux parents de voir remboursés les frais de scolarité dans le secteur totalement libre, mais au seul cas où leurs revenus étaient insuffisants. Comme on n’attendait pas grand-chose des mesures du genre de la participation, on en est venu à concevoir des réformes plus radicales. Il s’agissait de conférer aux parents un pouvoir réel sur les écoles. Mais ce pouvoir ne saurait consister à participer à la gestion des écoles, ce qui, sauf dans le cas des parents qui ont un tempérament "politique", ne correspond ni à leur désir, ni à leur compétence. Les votes pour le choix de leurs délégués aux divers conseils d’administration sont assez futiles ; selon une expression parlante, les parents ne votent réellement qu’avec leurs pieds lorsqu’ils fuient une école qui leur déplaît. Encore faut-il que le pouvoir de le faire leur soit donné. Et c’est ainsi qu’on en est venu au projet d’appliquer le système du chèque-éducation dont nous avons exposé les principes. Notons que ce système comporte de nombreuses variantes : les chèques peuvent être égaux en valeur ou plus importants pour les enfants de famille modeste, leur montant imputé sur le revenu imposable de la famille ou non ; les écoles habilitées à encaisser le chèque peuvent ou non se voir interdire la perception de frais de scolarité supplémentaires, autoriser ou non à faire une sélection parmi les demandes d’inscription, etc. Un chèque avec montant progressant en sens inverse des revenus de la famille - ce qui revient à majorer les crédits des écoles fréquentées par les enfants les plus pauvres - interdiction pour les écoles habilitées de percevoir des frais de scolarité, ni d’effectuer une sélection (si les demandes excèdent les capacités d’accueil on tirera au sort) peut être un instrument très efficace dans une politique de redistribution des revenus. Il n’y a pas lieu de s’étonner si un penseur comme JENCKS, connu pour ses options sociales-démocrates, s’est rallié au système dans cette version particulière. C’est d’ailleurs cette forme de chèque qui avait été expérimentée en 1973 à Alum Rock, dans la banlieue de San Francisco. L’expérience avait été limitée dans le temps, géographiquement très restreinte, et soumise à des conditions restrictives, les maîtres ayant obtenu qu’aucun d’eux ne serait déplacé en raison de la suppression de son poste à l’issue de l’expérience. Elle a servi simplement à établir que les parents étaient satisfaits et que le système était administrativement viable : il suffisait de demander aux parents d’exprimer leur choix quelques mois à l’avance dans l’énorme majorité des cas ; les taux de transfert des élèves d’une école à l’autre n’étaient pas extravagants (10 % environ), contrairement à ce que certains prétendaient redouter, et s’ils avaient changé d’école, les parents se disaient massivement satisfaits après un seul changement. (De nombreuses données sur ce sujet se trouvent dans la brochure éditée en 1975 par l’Institute of Economic Affairs : Alan MAYNARD, Experiment with choice in Education). L’ETAT DU DEBAT Encore qu’il ait déjà été expérimenté à Alum Rock sans conséquences ruineuses, qu’il soit susceptible de recevoir des formes diverses selon les objectifs qu’on s’est assignés - ses partisans anglais s’orientaient vers un bon de valeur uniforme et moins contraignant pour les écoles que son ancêtre américain - le chèque scolaire ne fut pas expérimenté à nouveau en Grande-Bretagne sur une grande échelle comme on le demandait. Certaines des objections qui lui furent alors adressées ne méritent pas qu’on s’y arrête longuement. Ainsi lorsqu’on lui oppose d’être coûteux puisqu’il aurait conduit à subventionner un enseignement qui ne l’était pas : le cas de la France est heureusement différent et le chèque-éducation n’aurait fait en Angleterre que réparer une injustice. Quant au reproche qu’on établit ainsi un climat de compétition entre écoles qu’il faudrait éviter, c’est la simple expression d’un a priori éthique typiquement socialiste, d’après lequel le pouvoir de choisir s’oppose toujours à l’égalité. L’argument selon lequel le pouvoir de choix accordé aux parents serait assez fictif car, dans de nombreux cas, le nombre des écoles qui leur sont géographiquement accessibles est restreint, n’a qu’une portée limitée. Il est vraisemblable que si les écoles d’un secteur sont mauvaises, d’autres écoles ouvriront. On objecte souvent qu’ouvrir une école est une "entreprise lente, coûteuse et risquée" et que le marché manquera vraiment de fluidité. Mais il semble qu’en la matière on surestime la difficulté. De toute façon, mieux vaut offrir à certains parents un choix insuffisant que pas de choix du tout. De même pour ce qui concerne l’imprévisibilité des effectifs et la difficulté d’adapter l’offre à la demande. L’enseignement privé malgré les entraves qu’il connaît résout bien ses problèmes de gestion. L’objection manifeste une grande défiance à l’égard des possibilités de l’économie de marché. Elle est en réalité du même type que celle que pourrait élever un habitué des économies d’Etat des pays de l’Est à la gestion privée de l’industrie hôtelière qui doit résoudre constamment des problèmes autrement redoutables en matière d’adaptation à une demande très variable ! Je ne crois pas que les objections précédentes aient révélé des obstacles insurmontables. Celles que j’évoque maintenant vont nous découvrir les raisons profondes de l’opposition au chèque-éducation. On dira que l’Etat a pour fonction naturelle de régir l’éducation. Lui seul perçoit certaines exigences collectives qui échappent au regard myope des particuliers. Seule son intervention peut maintenir un niveau élevé dans l’enseignement, préserver certains enseignements à valeur culturelle sans application pratique immédiate. Les parents seraient trop "utilitaristes". Ils n’auraient d’ailleurs aucune compétence pour choisir l’école de leurs enfants, surtout s’ils sont, eux-mêmes peu instruits. Nous sommes au cœur du débat : ce qu’on oppose au chèque-éducation, c’est l’éternelle attitude paternaliste qui ôte aux citoyens leurs libertés sous prétexte que l’Etat sait beaucoup mieux qu’eux ce qui est bon pour eux et pour lui... Ce paternalisme très condescendant à l’égard des classes inférieures peu instruites conduit d’ailleurs à leur imposer en matière d’éducation les idéaux de la classe moyenne, et notamment des enseignants et des fonctionnaires en général. Rien ne prouve que les parents choisiront mal : alors que sous prétexte de participation on est prêt à les taire intervenir dans le choix des méthodes d’enseignement, c’est-à-dire à se prononcer sur les moyens de l’enseignement, ce qui constitue un problème technique, on leur refuse la capacité d’apprécier les résultats, de distinguer une bonne et une mauvaise école ce qui est pourtant beaucoup plus facile. Quant aux objectifs à long terme qui seraient négligés si l’organisation des écoles était remise à l’initiative privée, l’Etat peut veiller à leur atteinte en imposant par exemple des normes minimales en matière de programme, comme il peut exiger des maîtres un niveau de qualification, sans avoir pour cela à gérer lui-même les écoles. Il n’y a donc rien dans ces objections que l’expression du principe selon lequel il appartient à l’Etat de gérer certaines activités importantes. C’est encore ce principe qui s’exprime dans la maxime selon laquelle on ne saurait traiter l’éducation comme une marchandise, maxime dont le prestige auprès des enseignants est considérable. Car si l’on veut dire que ce n’est pas une marchandise ordinaire, c’est bien évident. Mais si l’on veut signifier par là que des concepts comme ceux d’offre et de demande ne peuvent lui être appliqués, ni des problèmes de coût soulevés à son sujet, c’est faux. Quant à tenir pour honteux qu’on puisse s’enrichir en ouvrant une école privée, alors qu’on tient pour très légitime de recevoir un traitement lorsqu’on enseigne dans le secteur public, j’avoue ne pas voir sur quelles raisons se fonde cette étrange appréciation. La crainte des "marchands de soupe" conduit un peu loin. La production et la commercialisation des aliments est régie de façon privée, sans qu’on ait à craindre de s’empoisonner tous les jours, pour autant que je sache. Pourquoi en irait-il autrement en ce qui concerne l’Éducation, domaine dans lequel il appartiendrait à l’État de faire respecter des règlements de salubrité très stricts ? Reste une dernière objection, mais c’est la plus redoutable : Il y aurait incompatibilité entre le système du chèque-éducation et le statut acquis par les enseignants qui leur garantit pratiquement toujours, même s’ils ne sont pas fonctionnaires, la stabilité de l’emploi, encore que la force de cette garantie varie un peu d’un pays à l’autre et même, dans le cas de la Grande-Bretagne, d’un Comté à l’autre. Schématiquement, le problème peut se formuler ainsi : qu’en adviendra-t-il d’un maître qui peut être personnellement talentueux mais qui enseigne dans une mauvaise école qui doit fermer ? On dira que le problème se posera moins souvent que ne le disent les adversaires du chèque ; c’est exact, mais on ne peut dire qu’il ne se posera jamais. Si les mutations imposées après suppression d’emploi sont prévues même pour les fonctionnaires les plus protégés, le fait est qu’on accroîtra les cas de ce type. Dire qu’on respectera les "droits acquis" de ceux qui sont en place, puisqu’il ne peut être question de rompre les contrats, mais que les nouveaux enseignants auront un statut différent est une thèse défendable. Mais se pose alors le problème de savoir quelle garantie en matière de stabilité de l’emploi il est souhaitable d’accorder aux enseignants en raison du caractère propre de leur métier. Certes, il y a bien des solutions à des problèmes de ce type encore qu’elles fassent perdre au projet sa belle pureté doctrinale et revienne à ne l’appliquer que de façon très progressive. Si les défenseurs anglais du chèque parlaient simplement d’expérimenter, c’est précisément parce qu’ils estimaient nécessaire de travailler encore à la solution de problèmes de ce genre. LA COALITION VICTORIEUSE DES BUREAUX ET DES MAÎTRES On sait qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de le faire puisque le projet fut abandonné. Quelles oppositions avaient-ils donc rencontrées qui motivent semblable retournement des autorités politiques ? Il y a naturellement celle des enseignants dont on devine aisément ce qui fonde leur opinion. Encore faut-il ajouter que leurs organisations syndicales ont leurs raisons propres pour souhaiter le maintien du monopole. Elles sont beaucoup plus puissantes lorsqu’elles sont en face d’un employeur unique que lorsqu’elles doivent affronter une pluralité d’entrepreneurs. On ne s’étonnera pas d’apprendre que les syndicats ont entrepris une opération de diversion - une grève sur des problèmes de salaire - pour accaparer les efforts du gouvernement et le détourner de projets qu’ils réprouvaient. Mais ces syndicats sont-ils si terrifiants que le pouvoir politique cède à leur moindre menace ? Toutes les études d’opinions ont prouvé que les parents sont très favorables à l’idée de chèque-éducation. Le taux d’approbation dépasse en général les deux tiers, même s’il n’y a que des proportions de l’ordre de 10 % des parents qui utiliseraient effectivement le système pour changer leurs enfants d’école. Compte tenu de la disproportion numérique entre la masse des parents et celle des maîtres, la première écraserait la seconde dans de telles proportions qu’on s’étonne de ne pas voir les autorités politiques se ranger pour de simples raisons électorales du côté des parents contre les maîtres. S’il en est ainsi, c’est que la force politique n’est pas simplement question de nombre. On a d’un côté un groupe - les maîtres - très organisé, politiquement actif, efficace parce que par profession il sait utiliser le discours, et de l’autre le groupe beaucoup plus nombreux des parents, peu organisés, insuffisamment motivés et souvent très inexpérimentés dans le maniement des médias, ressorts essentiels de l’action politique. Le choix qui est souvent fait - sacrifier les désirs des parents aux volontés des maîtres - n’est donc pas aussi insensé qu’on pouvait le croire au premier abord. D’autant plus qu’en l’occurrence les maîtres trouvaient un allié de poids dans les services des administrations centrales. Les bureaucrates ne pouvaient qu’être hostiles au chèque-éducation. Leurs pouvoirs et leurs perspectives de carrière croissent lorsque se multiplient avec leurs effectifs les mécanismes d’intervention de l’Etat. Ils sont habitués à mesurer leur importance au volume des crédits dont ils disposent. Toute réforme leur semble par nature nocive car son application multipliera les problèmes qu’ils auront à résoudre, et en cas de difficultés ils seront naturellement accusés ; en revanche il n’y a pour eux ni sanction, ni responsabilité apparente, s’ils diffèrent une réforme nécessaire. Mais ce serait une vue bien courte des choses si on tenait l’intérêt personnel des bureaucrates et leur inertie pour pleinement explicatives. Le fait est que par la nature de leur fonction ils sont irrésistiblement conduits à identifier le bien public avec le pouvoir de l’Etat et avec leurs intérêts corporatifs. Ils sont sincères lorsqu’ils se tiennent pour des serviteurs de l’Etat. Demander aux bureaux de mettre en œuvre une réforme qui consiste à désengager profondément l’Etat de la gestion d’activités importantes, au risque que les choses aillent mieux sans l’intervention des administrations centrales ou locales, c’est exiger d’eux qu’ils renient ce qui donne un sens à leur existence professionnelle. On conçoit aisément qu’ils renâclent à la tâche. On ne peut pas demander à quelqu’un d’organiser sa propre exécution capitale. Or les bureaux disposent d’un pouvoir considérable sur le personnel politique. C’est eux qui possèdent les informations nécessaires à la prise de décision ou à l’exécution des décisions : ils peuvent aisément manifester peu d’enthousiasme dans leur transmission, voire incliner la décision par la présentation des données. Par leurs relations avec la presse, ils ont une influence sur l’opinion et donc sur la carrière d’un Ministre qui a en définitive beaucoup moins de pouvoir sur leurs carrières qu’ils n’en ont sur la sienne. C’est eux en particulier qui font ou défont les réputations d’être un bon gestionnaire, toujours électoralement rentables. Malheur à l’homme politique qui ne sait pas se concilier les bonnes dispositions des bureaux. Il y avait donc non pas manque de courage, mais prudence à reculer devant la coalition des maîtres et des bureaux dans une situation politique incertaine. Ce n’est pas dire que le chèque-éducation doive être tenu pour définitivement inapplicable en raison de l’opposition de corporations très minoritaires, mais qui occupent des positions stratégiques dans le jeu politique, ce qui serait désespérer de la démocratie. Un préalable du succès de l’entreprise serait que ses partisans soient mieux organisés et sachent éveiller dans l’opinion des convictions plus ardentes. Telles sont les conclusions auxquelles s’arrêtent nos auteurs. Je laisse à chacun le soin de transférer au cas de la France les enseignements qu’on peut tirer de ces études. Comme notre législation est en définitive plus favorable au libre choix de l’école que la législation anglaise, tout le problème est de savoir s’il vaut mieux se contenter de l’améliorer progressivement ou procéder à une révision plus radicale des principes sur lesquels elle repose. On peut maintenant assez bien prévoir les obstacles que rencontrerait ce dernier choix. Tout est question de jugement d’opportunité, d’appréciation de la situation. C’est dire que je m’en remets à la sagesse des lecteurs pour trancher. L’adresse de l’Institute of Economic Affairs qui édite et diffuse les travaux dont j’ai parlé est la suivante : 2 Lord North Street, Westminster, LONDON S W 1 P 3LB. Maurice BOUDOT Tweet |