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Assemblée Générale extraordinairedu 16 juin 2023
L’assemblée s’est réunie, sous la présidence du recteur Armel Pécheul, le 16 juin 2023, à 17 heures, conformément à la convocation adressée aux adhérents à jour de leur cotisation.
Après avoir constaté que le quorum de 10% des membres à jour de leur cotisation présents ou représentés exigé par les statuts pour que l’assemblée puisse se prononcer sur la dissolution de l’association proposée par le conseil d’administration était atteint, le Président rappelle qu’elle avait été créée en 1983, pour faire échec au projet de Service public unifié et laïque, porté par M. Savary, ministre de l’Education nationale dans le gouvernement de Pierre Mauroy.
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Questions crucialesLecture : la querelle des méthodes
Nous avons regroupé dans ce texte, pour en rendre la consultation plus facile, une suite de six articles, publiés dans les numéros 105 de septembre 2009 à 110 de décembre 2010 de la Lettre d’enseignement et liberté. Des connaissances nouvelles sur l’efficacité des différentes méthodes de lecture qui feront l’objet de notre prochaine publication justifient, nous semble-t-il cette nouvelle publication dont nous avons gardé la forme d’un dialogue entre son auteur, Philippe Gorre, et la Lettre. La Lettre : la querelle des méthodes est-elle une querelle dépassée ? Ph G : on le dit, en avançant que ce sont le niveau culturel familial, les divorces ou l’abus de la télévision qui expliquent les résultats inégaux et bien souvent insatisfaisants obtenus. Ces facteurs ont une influence indéniable sur les résultats, mais l’école n’a pas ou peu d’influence sur eux, alors que le choix de méthodes appropriées dépend d’elle. Mes investigations m’ont conduit à la conclusion qu’il y avait des méthodes efficaces et des méthodes inefficaces, voire nuisibles. Cela est vrai pour tous les enfants et au degré le plus élevé pour les enfants les plus défavorisés. La Lettre : mais la décision de Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale, en 2006, de prohiber les méthodes semi-globales et de rétablir les méthodes syllabiques n’a, dit-on, rien changé aux pratiques des maîtres reposant dans la grande majorité des cas sur les méthodes semi-globales. Ph G : l’arrêté pris en janvier 2006, dans le sens que vous indiquez, n’a en effet pas changé les pratiques, puisque le décret préparé par ses services et publié deux mois plus tard en neutralisait les effets. Cependant je crois que son initiative, loin d’être un coup d’épée dans l’eau, comme on l’a prétendu, apparaîtra un jour comme un pavé dans la mare. La Lettre : Jack Lang, alors ministre, n’avait-il pas déjà lui-même, en 2002, décidé qu’il fallait « tourner résolument le dos aux méthodes globales » ? Ph G : oui, mais c’était enfoncer une porte ouverte. Tout le monde convient que les méthodes globales ne sont plus employées et qu’elles ne l’ont été que fort peu. La Lettre : méthodes syllabiques, semi-globales ou globales, les différences ne sont pas claires pour tout le monde. Ph G : Il y a deux approches de la lecture, par les lettres et par les mots. La Lettre : par les lettres ? Ph G : ce sont les méthodes connues depuis toujours sous le nom d’alphabétiques, parce qu’elles commencent par l’apprentissage des voyelles, puis des lettres ou de syllabiques, parce que la découverte de chaque consonne est immédiatement suivie de celle des syllabes qu’elle forme avec les voyelles. Une fois les syllabes connues, l’on passe immédiatement aux mots qu’elles composent. En termes plus savants, ces méthodes sont appelées méthodes synthétiques. La Lettre : et pour quelles raisons commencer par les lettres ? Ph G : parce que l’écriture est une convention, un code qui permet de représenter les sons de la langue par des signes ou des combinaisons de signes, et qu’il est logique de commencer l’apprentissage de la lecture par celui du code. La Lettre : et par les mots ? Ph G : il faut d’abord distinguer deux sortes de méthodes commençant par les mots : - Les méthodes globales qui n’apprennent que la lecture de mots entiers, sans les décomposer. - Les méthodes semi-globales, dites aussi mixtes ou analytiques qui partent des mots, puis enseignent le code en les décomposant. La Lettre : quels sont les arguments en faveur des méthodes globales ? R : elles seraient naturelles, l’élève apprenant spontanément à lire, comme il a appris à parler. Il est d’ailleurs significatif que les deux premiers ouvrages prônant ces méthodes dans notre langue soient : - De la manière d’apprendre les langues de l’abbé de Radonvilliers (1768), et - Vraie manière d’apprendre une langue quelconque de Nicolas Adam (1787). La Lettre : et les méthodes semi-globales ? Ph G : elles prétendent réunir les avantages des méthodes alphabétiques et des méthodes globales, en intéressant l’apprenti lecteur par des mot qui « font sens » et en lui apprenant ensuite le code, systématiquement ou pas. La Lettre : c’est-à-dire ? Ph G : dans certaines méthodes semi-globales, il est demandé au maître de décomposer chaque mot nouveau pour les élèves en syllabes puis en lettres, pour leur apprendre le code ; dans d’autres méthodes, cela peut se faire à l’initiative du maître ou à la demande des élèves, sans être systématique. La Lettre : et quelles méthodes recommandez-vous ? Ph G : les méthodes globales sont indéfendables. Demander à notre cerveau d’enregistrer les mots comme des images est aussi absurde que de les enregistrer de même sur son ordinateur, en déclarant inutiles les logiciels de traitement de texte. Pour désamorcer l’initiative de Gilles de Robien, la « communauté scientifique » de notre pays a bien voulu convenir, quelques années après celle des Etats-Unis, que les méthodes semi-globales n’enseignant pas systématiquement la relation entre les lettres et les sons donnaient des résultats inférieurs à celles enseignant cette relation systématiquement et aux méthodes alphabétiques. Il reste à cette communauté à reconnaître que, comme je l’ai constaté, les méthodes alphabétiques sont en toutes circonstances, à conditions d’enseignement égales, supérieures aux méthodes semi-globales, systématiques ou pas. La Lettre : sur quoi repose votre conviction ? Sur cinq éléments : - La définition même des méthodes synthétiques que l’on n’appelait pas pour rien Méthodes de doctrine ou d’enseignement. - L’histoire de l’enseignement de la lecture. - Ce que l’on sait du mode de fonctionnement du cerveau. - La comparaison des résultats obtenus par l’une et l’autre approche. - Les fausses justifications de l’opinion contraire. Analyse et synthèse (suite 1) La Lettre : à la fin de l’entretien que nous avons publié dans notre précédent numéro, vous avez indiqué que votre conviction de la supériorité, en toutes circonstances, des méthodes d’enseignement de la lecture appelées alphabétiques, syllabiques ou synthétiques, sur les semi-globales ou analytiques tenait en cinq points. Pouvez-vous développer le premier de ces points ? Ph G : il consiste en ce que les méthodes synthétiques sont faites pour enseigner, au contraire des méthodes analytiques qui sont faites pour découvrir. La Lettre : vous précisez, en effet, que, pour cette raison, elles ont été appelées « Méthodes de doctrine ou d’enseignement ». Cependant une recherche sur Internet qui donne plus de trois millions de références pour « méthodes d’enseignement » ne renvoie qu’à notre dernier entretien pour Méthodes de doctrine. D’où tirez-vous cette expression ? Ph G : de la sixième édition, parue en 1862, du Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de Bouillet. Au mot synthèse, il précise que cette dernière « est appelée méthode de doctrine ou d’enseignement parce que c’est elle que l’on emploie pour exposer les vérités déjà découvertes et en montrer l’enchaînement ». D’ailleurs, on trouve sur Internet une formulation actuelle à « Méthodes d’enseignement par interpolation et extrapolation ». La méthode syllabique y est donnée comme exemple de la méthode par extrapolation et la méthode globale comme exemple de celle par interpolation. Dans la première « le savoir est découpé en éléments ; on enseigne les règles d’utilisation de ces éléments que l’élève met en œuvre lorsqu’il rencontre une situation nouvelle ». Dans la seconde « l’apprenant voit des cas d’école, des formes qu’il doit dans un premier temps reproduire, puis qui constituent une boîte à outils [.] dans laquelle il pioche lorsqu’il rencontre une phrase qu’il n’a jamais lue ». On conviendra que si ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, l’avantage est aux méthodes synthétiques. La Lettre : sans doute, mais les méthodes analytiques existent aussi et elles pourraient obtenir des succès. N’est-ce pas ce que veut dire le spécialiste connu de l’enseignement de la lecture qu’est Roland Goigoux quand il écrit que les apprenants doivent être autant de petits champollions ? Ph G : en écrivant cela M. Goigoux néglige le fait que c’est parce qu’un maître lui avait enseigné auparavant le grec et le copte que Champollion a pu déchiffrer les hiéroglyphes du texte qui figurait dans les trois langues sur la pierre de Rosette. La Lettre : mais Pascal n’a-t-il pas retrouvé les trente deux premières propositions d’Euclide sans que personne ne lui ait enseigné les mathématiques ? Ph G : si Pascal a pu redécouvrir, après Euclide, que la somme des angles d’un triangle était égale à 180 degrés sans l’aide d’un professeur, c’est parce qu’il avait des dispositions peu communes pour les mathématiques ; mais c’est surtout parce que cette propriété du triangle est une vérité absolue, antérieure à l’apparition de la terre et qui lui survivra. Au contraire, l’écriture est une convention, un code créé par les hommes, et qui à ce titre n’a pas à être redécouvert mais transmis. D’ailleurs quand Etienne Pascal refusait d’enseigner les mathématiques à son fils, il s’employait à lui apprendre le grec et le latin, en commençant, écrit Mme Périer, sa fille, dans son récit de la vie de son frère, par lui « faire voir les raisons des règles de la grammaire ; de sorte que, quand il vint à l’apprendre, il savait pourquoi il le faisait, et il s’appliquait précisément aux choses à quoi il fallait le plus d’application. » Il n’y a pas de honte à s’appliquer comme le faisait Pascal. La Lettre : les mathématiques, le grec et le latin, ne nous sommes-nous pas éloignés de la lecture ? Ph G : vous avez bien fait de m’y pousser : c’est la même objection qui est faite aux méthodes synthétiques et les mêmes principes en faveur des méthodes analytiques qui sont prônés par les zélateurs de la pédagogie nouvelle pour l’enseignement de la lecture et pour toute autre transmission d’un savoir. La Lettre : quelle est l’objection ? Ph G : que la synthèse, par le fait même qu’elle va du simple au composé, des éléments au tout, est abstraite. Et, en effet, quoi de plus abstrait qu’une lettre, excepté le o qui ressemble à la forme que prennent les lèvres pour le prononcer ? La Lettre : ces zélateurs, comme vous dites, craindraient l’abstraction. Ph G : ils la craignent, parce qu’ils pensent que les milieux populaires privilégient la pensée concrète et que c’est donc du concret qu’il faut partir pour réaliser la démocratisation de l’enseignement. La Lettre : et vous n’êtes pas d’accord avec eux là-dessus ? Ph G : c’est évidemment à l’école de donner le goût de l’abstraction aux enfants élevés dans une famille - pas nécessairement d’un milieu populaire – où elle n’est pas à l’honneur. Ne pas le faire revient au contraire à les en exclure, alors que les enfants dont les parents, professeurs ou autres, savent qu’elle est la clé des études se tireront d’affaire sans l’école. La Lettre : et quels sont leurs principes ? Ph G : que l’on peut apprendre sans effort, que la culture générale est l’instrument qui permet à la classe dirigeante de se perpétuer et que l’école doit faire passer l’éducation à la citoyenneté avant la transmission des savoirs. Ces trois principes ont en commun d’être des déductions fausses d’observations exactes et de prospérer sur les ruines causées par leur application. La Lettre : Conclusion ? Ph G : rappel, plutôt, donné par l’abrégé du dictionnaire de Trévoux (1762), à l’article Méthode : « Il y a deux sortes de méthodes : l’une pour rechercher la vérité, qu’on appelle Analyse ; & l’autre, pour la faire entendre aux autres, quand on l’a trouvée, qu’on appelle Synthèse. » Les leçons de l’histoire (suite 2) La Lettre : l’histoire de l’enseignement de la lecture manifeste, dites-vous, la supériorité des méthodes synthétiques sur les méthodes analytiques. Quelles leçons avez-vous donc tirées de cette histoire ? Ph G : la première est que tous les progrès significatifs en matière d’alphabétisation sont dus à l’emploi de méthodes synthétiques, la seconde que les méthodes analytiques n’ont jamais été employées qu’à une échelle réduite, d’une façon temporaire et pour des résultats illusoires. La Lettre : à une échelle réduite ? Encore aujourd’hui ? Ph G : il s’agit pour l’instant de l’histoire. Nous verrons plus tard ce qu’il en est de l’actualité. La Lettre : il y a donc des historiens de l’enseignement de la lecture chez qui vous avez pu puiser ? Ph G : il y a d’abord des pédagogues qui ont écrit sur leur métier, depuis Quintilien qui dirigeait une école de rhétorique à Rome, au premier siècle, et a écrit l’Institution oratoire, jusqu’à Amélie Hamaïde, institutrice Belge et bras droit du docteur Decroly dans l’expérience la plus complète d’emploi de la méthode globale proprement dite, dans la première moitié du vingtième siècle. Il y a aussi des historiens de l’instruction ou des méthodes pédagogiques. Le plus fréquemment cité – ou utilisé – dans notre pays est un ouvrage collectif, le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, dirigé par Ferdinand Buisson et James Guillaume, qui contient plusieurs articles sur l’enseignement de la lecture. La Lettre : qu’apportent-ils à vos conclusions ? Ph G : la confirmation que les deux périodes de développement de l’alphabétisation qu’ont été le XVIIe et le XIXe siècle doivent leur réussite aux méthodes synthétiques. Cela ressort aussi bien des écrits de Saint Jean-Baptiste de La Salle ou de ceux de Port-Royal pour la première époque que des manuels de la seconde. Les uns et les autres suivaient le conseil de Quintilien qui écrivait : « Quant aux syllabes, point d’abréviation. Il faut les apprendre toutes ». Les changements apportés aux méthodes d’enseignement, essentiellement la substitution du français au latin et l’association de l’écriture à la lecture, reflètent l’évolution de la société, de ses moyens et de ses besoins, sans remettre en cause le principe alphabétique. La Lettre : mais alors, d’où est née l’idée de méthodes nouvelles, globales ou autres ? Ph G : du désir de contourner les difficultés rencontrées. A partir du moment où l’on passe d’une situation, qui était encore celle du seizième siècle, où n’apprennent vraiment à lire, en dehors de spécialistes, clercs ou laïcs, sélectionnés et formés à cette fin, que quelques amateurs éclairés, à une situation, celle du dix-neuvième, où savoir lire devient une nécessité si l’on veut échapper aux travaux les plus pénibles, la proportion d’élèves peu désireux d’apprendre augmente. C’est du besoin de convaincre ces derniers de l’utilité d’apprendre à lire que sont nées de nouvelles méthodes d’enseignement de la lecture. Rousseau, dans son Emile, illustre très bien la chose. La Lettre : aurait-il inventé la méthode globale ? Ph G : non ! Il se situe bien au-dessus de telles contingences. Il a simplement fait le constat, après Quintilien, Fénelon et sans doute beaucoup d’autres, que le « désir d’apprendre » est le plus sûr moyen d’apprendre vite et bien. C’est pourquoi, il recommande de laisser là les bureaux, les cartes, les imprimeries et les dés dont son époque était friande pour intéresser Emile à la lecture avec les « billets d’invitation pour un dîner, pour une promenade, pour une partie sur l’eau, pour voir quelque fête publique » qu’il « reçoit quelquefois de son père, de sa mère, de ses parents, de ses amis ». La méthode globale est, pour ceux qui n’ont pas la possibilité de donner des fêtes sur l’eau, un autre moyen d’éveiller l’intérêt des enfants pour ce qu’ils lisent. C’est le bonheur de lire promis à ceux qui ne savent pas lire, promesse qui restera toujours à l’état de promesse. La Lettre : pouvez-vous illustrer votre propos ? Ph G : dans l’édition de 1887 du Dictionnaire de pédagogie, Guillaume décrit, dans l’article Ecriture-lecture, la méthode d’écriture-lecture analytique-synthétique, pratiquée à l’école-annexe de l’école normale d’instituteurs de la Seine et vulgarisée sous le nom de méthode Schuler par Charles Defodon. Cette méthode consiste à présenter à l’enfant « non plus des éléments, les lettres, mais un tout, un mot, sur lequel on l’invite à faire lui-même le travail d’analyse, en décomposant ce mot en lettres ». Il conclut sa présentation par « Tout fait prévoir que c’est à elle qu’appartient l’avenir ». Dans l’édition de 1911, Guillaume refait la même présentation de la méthode, qu’il nomme cette fois Schiller, en promettant dans les mêmes termes les mêmes lendemains qui chantent, sans citer le moindre résultat qui aurait pu être constaté dans l’intervalle de 24 ans entre les deux éditions. L’histoire fait bien la part entre les progrès réalisés avec les méthodes synthétiques et les illusions entretenues avec les méthodes analytiques. Lecture, suite 3 : cerveau droit/cerveau gauche La Lettre : en quoi l’étude de la façon dont le cerveau fonctionne, par les neurosciences, permet-elle de dire que les méthodes alphabétiques d’enseignement de la lecture sont préférables à celles de type global ? Ph G : première source, le docteur Wettstein-Badour, auteur de Lecture : la médecine au secours de la pédagogie, publié en 1993, et pour lequel elle a été lauréate des Prix d’Enseignement et Liberté en 1994. Avec une formation en psychiatrie, elle a recherché les causes des difficultés rencontrées à l’école, dès l’apprentissage de la lecture, des enfants que leurs parents avaient amenés à sa consultation pour ce motif. Elle a constaté, à partir d’une étude portant sur plus de cinq cent cas, que ces enfants ne souffraient pas plus en moyenne de déficiences intellectuelles ou de faiblesses psychologiques que les autres enfants. Elle s’est alors demandé si la façon dont on leur avait appris à lire, avec une méthode semi-globale, pouvait être la source de ces échecs. La Lettre : comment a-t’elle procédé ? Ph G : en confrontant ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau avec les mécanismes auxquels font appel les méthodes alphabétiques et les méthodes semi-globales. Elle s’est appuyée principalement sur les travaux de l’Américain Sperry, prix Nobel de médecine en 1981. En résumant très grossièrement, alors que l’hémisphère droit du cerveau traite les images par analogie, en les comparant avec celles qu’il connaît, l’hémisphère gauche procède de façon analytique, en décomposant les lettres en leurs éléments les plus simples, boucles et traits. La méthode alphabétique qui ne propose à la lecture que des mots dont les lettres et syllabes ont été précédemment appris par l’élève permet de reconnaître les mots sans risque d’erreur, alors que toute méthode à départ global est source de confusions entre des lettres telles que p et q ou p et b, rendant plus difficile l’identification du mot écrit au mot oral. La Lettre : seconde source ? Ph G : Les Neurones de la lecture, ouvrage publié en 2007 de Stanislas Dehaene, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France de psychologie cognitive expérimentale. Il s’agit d’une somme de près de cinq cents pages, reprenant les travaux de l’auteur et de ceux de nombreux spécialistes des neurosciences. Ce que disait Sperry un quart de siècle plus tôt y est affiné, développé et confirmé. La Lettre : et qu’en déduit-il pour le choix d’une méthode de lecture ? Ph G : en premier lieu, un éreintement de la méthode globale proprement dite dont Jean-Pierre Changeux, préfacier de l’ouvrage, constate que Stanislas Dehaene l’a « définitivement mise en pièces ». Ensuite une confirmation que : « Reconnaître un mot, c’est d’abord analyser sa chaîne de lettres et y repérer des combinaisons de lettres (syllabes, préfixes, suffixes, racines des mots) pour les associer à des mots et à des sens. La Lettre : fort bien, mais les tenants des méthodes semi-globales ne prétendent-ils pas procéder ainsi, en partant des mots, au lieu de partir des lettres, comme dans les méthodes alphabétiques ? Stanislas Dehaene se prononce-t-il entre les deux approches ? Ph G : oui, à mon sens, quand il écrit (p. 304) : « A chaque étape de l’apprentissage de la lecture, les mots et les phrases proposés à l’enfant ne doivent faire appel qu’aux seuls graphèmes et phonèmes qui lui ont été explicitement enseignés ». Seule la méthode alphabétique peut satisfaire à cette condition. La Lettre : quel degré de confiance faut-il, à votre avis, accorder aux théories des spécialistes des neurosciences, quand ils nous disent que telle ou telle zone du cerveau est activée par des opérations telles que le langage, la lecture ou l’écriture ? Ph G : un grand degré, si j’en juge, n’ayant pas lu Sperry, par ce qu’écrit Dehaene qui se fonde, avec la prudence et même l’humilité qui caractérisent le vrai scientifique, sur les mesures que l’Imagerie par Résonnance Magnétique permet aujourd’hui de faire de cette activité. La Lettre : donc, sans l’IRM point de salut ? Ph G : c’est ce que dit à peu près un spécialiste de la lecture quand il affirme dans un de ses ouvrages que ceux qui ont prôné la méthode globale n’auraient pas commis cette erreur s’ils avaient disposé des enseignements de l’IRM. Il ne nous dit pas cependant pourquoi Quintilien au premier siècle, Saint Jean-Baptiste de La Salle au dix-septième ou Boscher, auteur de la méthode qui porte son nom, dans la première moitié du vingtième siècle n’ont pas commis la même erreur. Cette découverte de la spécialisation d’une zone du cerveau gauche pour la lecture est d’ailleurs antérieure à l’invention de l’IRM, puisque Stanislas Dehaene cite le cas, au dix-neuvième siècle, d’un Parisien qui, à la suite d’un accident cérébral, ne savait plus lire, mais pouvait encore écrire. L’autopsie pratiquée après sa mort, quelques années plus tard, a permis de constater que la zone endommagée de son cerveau était celle qu’identifie aujourd’hui l’IRM comme étant celle de la lecture. La Lettre : mais les partisans des méthodes semi-globales ne comptent-ils pas dans leurs rangs des spécialistes des neurosciences ? Ph G : je ne sais s’il y avait de tels spécialistes parmi les dix-sept chercheurs qui ont cosigné un article intitulé Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture et publié dans Le Monde de l’éducation de mars 2006 pour faire obstacle à la volonté de restauration des méthodes alphabétiques exprimée par Gilles de Robien. Mais le rédacteur de cet article avait répondu aux remarques formulées par le docteur Wettstein-Badour : « Tout ce que je peux dire, c’est que mes propres connaissances du fonctionnement du cerveau ne condamnent en rien les approches analytiques. En fait, je pense que nos connaissances les plus pointues en neurosciences sont encore tellement fragmentaires qu’elles ne peuvent prescrire ou condamner aucune méthode pédagogique. » Souhaitons que les cerveaux aient évolué dans ce domaine en quatre ans. Le jugement sur échantillon (suite 4) Ph G : c’est la technique statistique permettant de généraliser à un ensemble les résultats observés sur une partie. C’est ainsi que la mesure des capacités en lecture des élèves de quelques classes, les unes employant une méthode alphabétique (synthétique), les autres une méthode semi-globale (analytique), donnera, si les « échantillons » ont été correctement constitués, une estimation de l’efficacité relative des deux types de méthodes. A P : quels sont les résultats observés en France dans ce domaine ? Ph G : il n’y en a pas, les pédagogues arguant du caractère unique de la transmission des connaissances entre le maître et l’élève et des difficultés de l’évaluation, ce qui n’est pas faux, pour en déduire que de telles mesures sont impossibles, ce qui est absurde. Quant aux ministres, peut-être se satisfont-ils de la réponse faite publiquement, dans les locaux de l’Institut de France, lors d’une réunion organisée par Gilbert Sibieude, il y a quelques années, par la responsable du service statistique du ministère de l’Education nationale, à qui l’on demandait pourquoi il n’y avait pas d’études françaises sur la question : « Nous n’avons pas les outils pour les faire » ! A P: et à l’étranger ? Ph G : les anglo-saxons n’ont pas notre vilaine manie de casser le thermomètre, pour ne pas savoir si le malade a de la fièvre. Des recherches menées dans ces pays, les plus importantes sont à mon avis :
Le National Reading Panel, est un groupe de travail sur l’enseignement de la lecture, constitué aux Etats-Unis par le National Institute of Child Health and Human Development, agence gouvernementale, à la demande du Congrès des Etats-Unis. Le NRP après avoir recensé100 000 études sur la lecture publiées en anglais, a fait la méta-analyse, autrement dit l’analyse savante, de quelques dizaines d’entre elles. Le rapport du NRP conclut à la supériorité des méthodes à apprentissage systématique de la correspondance entre les lettres et les sons et précise que le groupe des analytiques obtient la « note » 0,34 et celui des synthétiques celle, meilleure, de 0,45. Le rapport ajoute cependant que ces résultats not differ statistically (p>0.05), ce qui en français veut dire que l’on a cinq chances sur cent de se tromper en admettant que les méthodes synthétiques sont les meilleures. Bienheureux ceux qui ne se trompent que cinq fois sur cent dans les choix qu’ils doivent faire dans leur vie ! Clackmannan et Dunbarton sont deux comtés écossais qui, grâce à l’autonomie dont disposent en matière d’enseignement les autorités locales, ont fait des comparaisons à une grande échelle entre les résultats obtenus par les deux types de méthodes d’apprentissage de la lecture. L’expérience Clackmannan a duré de 1992 à 1998. Elle a porté sur douze classes de première année de l’école primaire. Elle a montré que les élèves apprenant à lire avec une méthode synthétique avaient sept mois d’avance sur ceux apprenant avec une méthode analytique. L’expérience Dunbarton a duré de 1997 à 2003. La totalité des élèves de la région retenue y ont participé, soit 6 000 élèves répartis dans cinquante-huit écoles. Le taux d’illettrisme y est tombé à 6%, contre 21% dans l’ensemble de l’Ecosse, alors que le Dunbarton occupe l’avant-dernière place dans le classement des comtés en fonction du revenu par habitant. A P: quel degré de confiance accordez-vous à ces études ? Ph G : il n’y a aucune raison de mettre en doute le caractère sérieux du travail du NRP. Il a cependant l’inconvénient pour notre propos d’avoir comme objet principal la comparaison des méthodes de type global, c’est-à-dire sans apprentissage systématique des relations entre les lettres et les sons, avec celles comportant cet apprentissage, qui peuvent être analytiques ou synthétiques. Il a aussi le défaut, fréquent en sciences humaines, de mesurer le risque imaginaire qu’impliquerait le choix de méthodes alphabétiques, au lieu de comparer tout bonnement les résultats des deux types de méthodes, alphabétiques et semi-globales. A P: et pourquoi des institutions respectables et tant de chercheurs procèdent-ils différemment ? Ph G : leur mode de calcul du « risque de première espèce » correspond à ce que l’on appelle l’hypothèse conservatrice, celle qui évite aux spécialistes la peine de reconnaître qu’ils ont tort. Un chercheur a intérêt, pour ne pas dire l’obligation, s’il veut être publié dans des revues scientifiques, à décorer son texte de formules, calculs et autres graphiques. Or le calcul du risque de première espèce est relativement simple, celui qui correspond au choix de la meilleure de deux méthodes est plus compliqué. A P: avez-vous un avis aussi tranché sur les expériences écossaises ? Ph G : dans l’une des deux, Dunbarton me semble-t-il, l’auteur du rapport écrit que dans les dernières années de l’expérience il devenait difficile de trouver encore un maitre pour employer une méthode analytique. N’est-ce pas tranché et tranchant ? A P: Quel a été l’accueil fait en France à ces résultats ? Ph G : discret, très discret, jusqu’en mars 2006, quand est paru dans Le Monde de l’Education, dans le but déclaré de faire pièce à la position prise deux mois auparavant en faveur des méthodes alphabétiques par Gilles de Robien, un article signé par dix-huit chercheurs, intitulé Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture. Ils y écrivent notamment : « Du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe ou le mot). A la suite du rapport commandé à la Junior-entreprise de l’Ecole nationale de la statistique (ENSAE) par Enseignement et Liberté, le rédacteur de l’article du Monde, qui avait déconseillé la publication de ce rapport, a publié, le 16 novembre 2006, une Mise au point dans laquelle il précise que l’affirmation de l’absence de différence d’efficacité entre les approches synthétiques et analytiques repose sur la méta-analyse du National Reading Panel qui a trouvé entre les deux approches une différence « statistiquement non-significative ». Il ajoutait, assez énigmatiquement : « Bien entendu, l’absence de différence statistiquement significative dans cette méta-analyse ne prouve pas l’absence réelle de différence. Il était donc inévitable que cette absence de différence soit contestée » ! A P: quelles ont été les réactions à la publication des études écossaises ? Ph G : Le voile du silence partiellement et temporairement levé en France sur l’étude du NRP, a bien joué son rôle protecteur dans le cas des études écossaises. On peut le constater, par défaut, en faisant une recherche sur Internet. Le gouvernement britannique a pour sa part commandé une étude qui s’efforce de démontrer « qu’il n’y a pas de différences » au prix d’entorses graves aux principes de la statistique de la statistique. A P: et dans d’autres pays ? Ph G : nous venons d’explorer deux façons de dissimuler la supériorité des méthodes synthétiques, telle qu’elle ressort des comparaisons faites entre les performances des élèves : en appliquant la loi du silence ou en les déformant par de faux raisonnements statistiques. Il existe au moins une troisième façon. Elle consiste à admettre que les résultats sont en faveur des méthodes synthétiques, puis à déclarer qu’il ne faut pas en tenir compte. En voilà un exemple, extrait du dossier établi en 2006 à la demande de Gilles de Robien. Il porte sur Savoir lire : une question de méthodes, étude réalisée en Belgique francophone auprès de 450 élèves et publiée en 1996, dans le Bulletin de psychologie scolaire et d’orientation, 1, 1996 : 7-45. « La conclusion de cette étude est que « le niveau d’acquisition en lecture dépend principalement de la méthode utilisée pour apprendre à lire aux enfants », cela à l’avantage des méthodes synthétiques Après avoir fait ce constat, les auteurs ajoutent que la méthode fonctionnelle (analytique) « n’est pas nécessairement inférieure aux autres, mais que « les données rassemblées dans cette étude sont suffisamment parlantes pour questionner une pensée actuellement dominante qui défend avec force la supériorité indiscutable de la pédagogie fonctionnelle sans présenter les arguments scientifiques et les données objectives à l’appui de cette thèse. » Lecture : Les fausses justifications (suite 5) En ouvrant dans le numéro 105 de septembre 2009, la série d'articles confirmant la supériorité intrinsèque des méthodes alphabétiques sur toutes les autres méthodes, nous présentions comme l'un des cinq points de notre argumentation les fausses justifications de l'opinion contraire. C'est avec les fausses justifications des méthodes à départ global que nous terminerons aujourd'hui cette revue. Ne pouvant citer tout le monde, faute de place, nous nous sommes limités à quelques cas emblématiques qui décrivent comment on est passé de l'idée qu'il ne fallait pas ennuyer les enfants, en exigeant qu'ils "ânonnent" l'alphabet, à celle que l'on pouvait apprendre à lire comme l'on apprend à parler. Nous donnerons ensuite un exemple de l'absurdité des raisonnements employés pour soutenir cette thèse et de la complexité des solutions imaginées pour la rendre viable. Le désir d'apprendre Nous avons cité, dans l'article sur l'histoire de l'enseignement de la lecture, le passage de l'"Emile" de Jean-Jacques Rousseau dans lequel il dit que le désir d'apprendre est le moyen le plus sûr d'y parvenir, et qu'il suffit pour faire naître ce désir chez l'enfant de lui envoyer des billets d'invitation pour " un dîner, une promenade, une partie sur l'eau" qu'il aura envie de lire. Il ajoute que de cette façon, il est "presque sûr qu'Emile saura parfaitement lire et écrire avant l'âge de dix ans, précisément parce qu'il m'importe fort peu qu'il le sache avant quinze". Il cite à l'appui de sa thèse un passage extrait d'une phrase de l'Oratorae institutionis de Quintilien (Livre I 1) signifiant qu'il faut prendre garde de faire haïr l'étude (par un jeune enfant) dans un temps où il est encore incapable de l'aimer, de peur que sa répugnance ne se prolonge au-delà des premières années. La position de Quintilien est exactement à l'opposé de celle que lui prête Rousseau. Dans le paragraphe qui précède la phrase citée, en la tronquant, par ce dernier, il discute en détail des avantages et des inconvénients d'un enseignement précoce pour conclure qu'il faut se hâter "de mettre à profit les premières années". Pour lui faire dire le contraire, Rousseau a supprimé la première partie de la phrase: "Toutefois, je connais trop la portée de chaque âge, pour vouloir qu'on tourmente tout d'abord un enfant, et qu'on exige de lui une application qui n'a rien à désirer". Il a aussi supprimé ensuite la conjonction "car" (nam dans le texte latin) qui introduit la seconde proposition qui est en réalité "car il faut prendre garde…" ! Apprendre à lire comme on apprend à parler Nicolas Adam écrivait, dans Vraie manière d'apprendre une langue (1787) : « C’est ainsi que les enfants apprennent à parler auprès de leur nourrice. Pourquoi ne pas faire la même chose pour leur apprendre à lire ? » Puisque les nourrices commencent par répéter aux enfants « areu, areu » et « pa.pa », pourquoi, en effet, ne pas commencer la lecture par « B.A.-BA » ? Tweet |