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Lettre N° 92 – Le mouvement anti-CPE : expérience d'un jeune universitaire (3)
Le mouvement anti-CPE, tel qu’il s’est manifesté dans un certain nombre d’universités, peut-être caractérisé de trois façons : l’adoption d’une ligne dure, avec le blocage, dès le départ, laissant présager un développement de plus en plus violent ; la complaisance, pour ne pas dire la complicité, des présidences et d’une partie du personnel ; les incohérences des revendications et des actions des « grévistes ».
Le mouvement anti-CPE a surpris par la brutalité de son installation. Sous prétexte de répondre à l’adoption du CPE au moyen du 49.3, qui revenait à « confisquer la démocratie», une infime minorité d’étudiants, les syndiqués de l’UNEF et consort, opta pour le blocage. Cela fut décidé sans que les élus étudiants, UNEF pour la majorité, témoignent de la moindre volonté de négocier avec les présidences les modalités du mouvement, alors qu’ils siègent à égalité avec les représentants des enseignants-chercheurs et du personnel administratif dans les instances dirigeantes de l’université. Bien entendu, il est hors de propos de s’interroger sur la légitimité et l’utilité de ces représentants étudiants, élus avec moins de 10 % de votants, et ne respectant les règles de la collégialité que lorsque cela les arrange.
Le mouvement a rencontré chez le personnel, enseignant et administratif, une certaine compréhension qui va au-delà de la critique d’une mesure contestable et de la suffisance du gouvernement. Du fait d’un recrutement massif dans les années 70, de nombreux soixante-huitards se retrouvent en poste, phénomène particulièrement marqué dans l’administration et, notamment, dans les présidences. Nostalgiques de leurs luttes passées, s’abstenant de se prononcer sur le blocus, ils ont soutenu dès le départ le mouvement et accordé une pleine légalité à ses actions. Car ce mouvement a tenu à se parer d’une onction démocratique obtenue grâce au vote des assemblées générales.
Le fonctionnement de ces dernières témoigne du caractère élastique de la démocratie. Tout d’abord aucun contrôle des votants parmi lesquels on trouve des lycéens et des collégiens (mais pas d’enfants de maternelle), des syndiqués Sud de diverses administrations et les inévitables altermondialistes. Ensuite, bien entendu, il n’est question que de votes à main levée, décomptés par les partisans du blocage qui, juges et parties, président les assemblées. Il n’a jamais été question de remettre en cause ces modalités, puisque, selon certains enseignants, « l’histoire a prouvé que le vote à main levée était aussi démocratique que le vote à bulletin secret ». Les présidences ont donc reconnu la « souveraineté » de ces assemblées et ont finalement soumis le calendrier de la reprise des cours à leur bon vouloir. Cette complaisance s’est concrètement traduite par la volonté de maintenir ouverts les locaux, la fermeture administrative des bâtiments privant les grévistes d’un lieu de réunion. Il est inutile de préciser que les anti-grévistes n’ont jamais bénéficié des mêmes faveurs et n’ont pu exprimer leurs opinions. Leur manque de visibilité, due à leur inexpérience en matière de « gréviculture », a même permis d’affirmer que le blocage a toujours bénéficié d’une pleine adhésion dans la population étudiante.
La réquisition de lieux publics comme tribune par les dirigeants du mouvement a permis d’assister à des débats surréalistes. Ces derniers ont beaucoup plu aux journalistes qui en ont souligné la maturité politique reflétée, sans doute, par le vote de la libération du Tibet, les hiérarques de Pékin ont dû trembler, ou l’abolition du capitalisme. Ces débats à sens unique, où les anti-bloqueurs, par ailleurs la plus part du temps aussi anti-CPE, se font traiter de partisans du FN, de fascistes et de nazis (les trois désignations étant évidemment synonymes), peuvent être résumés par certains slogans incongrus que l’on a pu voir fleurir sur les murs ou les banderoles : « ni CPE ni CDI (confusion avec CDD ?) », « CPE= STO », bref la version troisième millénaire du « CRS= SS ».
Cette cohabitation a cependant connu quelques accrocs. Certains présidents ont été contraints par des étudiants voulant avoir cours et multipliant les plaintes, de procéder à des élections un peu sérieuses, c’est-à-dire avec le contrôle de la carte d’étudiant. Expériences qui se sont soldées par des échecs : soit les grévistes ont empêché le déroulement d’un vote qu’ils ne contrôleraient pas, soit ils ont refusé les résultats. Ces « désaccords » se sont accompagnés d’un durcissement des occupations : la dégradation du matériel s’est accrue et le mouvement s’est « gauchisé », reléguant les délégués de l’UNEF aux rangs de « sociaux-traites ».
A la fin du mouvement, s’est posée l’épineuse question des « rattrapages » comme si les cours n’avaient pas été assurés du fait des enseignants. Là, les présidents et les recteurs ont enfin fait preuve de leur autorité, de façon toute oratoire. Après avoir, pendant plusieurs semaines, affirmé que les « expériences citoyennes » sont aussi importantes que les savoirs académiques, il n’est plus question maintenant que de sauver la face et d’octroyer les diplômes. On ne peut que s’interroger sur la valeur et la crédibilité de ces derniers. Les établissements étrangers associés à des universités françaises semblent avoir déjà trouvé la réponse, comme le montre la multiplication des demandes de remboursement des frais d’inscription et de séjour de leurs malheureux étudiants qui ont eu l’idée saugrenue de venir « étudier » en France.
Ce mouvement est à replacer dans le contexte de l’agitation croissante des universités, à la suite du 21 avril 2002 et de la contestation de la réforme des cursus universitaire à l’automne 2003. La radicalisation allant crescendo, les prochaines grèves risquent d’être distrayantes !
P.J.C.
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