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Lettre N° 96 – La réforme de l'université : vingt ans après (3)
Si elle est vraiment menée à son terme, la réforme de l’Université apportera la preuve qu’une réelle volonté de rupture avec l’ordre ancien anime la majorité présidentielle. Voilà plus de vingt ans que pareille réforme tétanise la droite et galvanise la gauche. C’est le « syndrome Devaquet » (pour ne pas remonter au choc psychologique de 1968), c'est-à-dire la peur de voir les étudiants dans la rue pour les uns et la manipulation des légitimes angoisses de la jeunesse pour les autres.
De sorte que la moindre annonce d’un projet ou d’une proposition de réforme, quelque fois la seule publication d’un rapport « d’expert », suffit à agiter le microcosme et à énerver la bien-pensance politicomédiatique. Chacun retrouve sa place dans un jeu de rôle bien établi. La droite est accusée d’être coupée de la jeunesse et de vouloir la livrer pieds et mains liés au marché. La gauche utilise toutes les ressources de la démagogie égalitariste et hédoniste pour céder aux caprices de quelques syndicats étudiants qui ne représentent qu’eux-mêmes.
Jusqu’à présent, le résultat a invariablement été celui du retrait du projet, fréquemment accompagné du départ du ministre.
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Pendant ce temps, l’Université s’enfonce inexorablement dans le paupérisme et les faux-semblants au détriment des étudiants, des professeurs et de la recherche française.
Aucune université française ne se trouve dans le classement des soixante premières universités mondiales. Aucune université française ne figure parmi les seize premières universités européennes. Près de 15% des jeunes sortis de l’enseignement supérieur depuis l’année 2001 sont au chômage trois ans après la fin de leurs études. L’hypocrisie sur la sélection est totale puisque refusée à l’entrée, la sélection se fait, en réalité, par l’échec. Dans les disciplines littéraires et juridiques seulement un quart des étudiants s’inscrivent en troisième année. Les trois autres quarts échouent ou abandonnent au cours des deux premières années. Et, pour ceux qui réussissent le deuxième cycle, seuls 30% ont un emploi de cadre.
L’hypocrisie est telle que l’on feint de ne pas voir que la France pratique un système d’enseignement supérieur à deux vitesses. Comme sous l’Ancien Régime, il existe plusieurs ordres. Les étudiants bien nés ou ceux dont les parents sont bien informés choisissent les filières sélectives (classes préparatoires, grandes écoles, quelques filières professionnelles et écoles d’ingénieurs). Seules ces filières parviennent à conduire leurs élèves à insertion professionnelle réussie. Certains élèves y sont même payés et coûtent de 30 000 ou 40 000 euros par an. Ces grandes écoles favorisent l’autoreproduction des élites politiques, économiques et administratives. De l’autre côté, les universités constituent le plus souvent des voies de garage pour les enfants des familles les plus modestes.
En revanche, la recherche est quasiment absente des grandes écoles, ce qui coupe le management des entreprises et de l’administration de l’innovation et de la recherche.
En fait, l’essentiel des crédits de recherche est distribué aux grands établissements (CNRS, notamment), eux-mêmes le plus souvent coupés des universités et des besoins du monde économique et industriel.
On comprend alors que les jeunes chercheurs les plus brillants partent massivement à l’étranger.
Pour limiter ce noir tableau à l’essentiel, mais il y aurait tant à dire, on ajoutera que les gouvernements successifs se sont évertués à centraliser et à compliquer un système de plus en plus lourd. La réforme LMD (licence, maîtrise, Doctorat) qui devrait constituer une heureuse grille de lecture des diplômes à l’échelon européen a conduit partout en Europe à la simplification, à la souplesse et à l’émulation. Les universités européennes y ont gagné en énergie, en lisibilité et en efficacité. En France, cette réforme a conduit au renforcement de la tutelle ministérielle la plus tatillonne qui soit pour la définition des diplômes, pour celle de leur contenu et surtout pour la désignation des universités qui seront – ou non – habilitées à les délivrer. Le ministère en a tiré prétexte pour redessiner une carte universitaire à plusieurs vitesses où seules certaines universités seront des universités d’excellence. Les autres seront des enseignements supérieurs de second ordre appelés à se paupériser plus encore. C’est un nouveau gosplan à la française !
Il est vrai que de leur côté les universités ne pouvaient guère elles-mêmes être efficaces pour mettre la réforme LMD en œuvre, empêtrées qu’elles sont par la composition pléthorique, démagogique et hypersyndicalisée de leurs multiples conseils ou comités.
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C’est dire que la réforme de l’Université proposée par la nouvelle majorité est une réforme a minima. Qu’il faille réduire la composition des conseils d’administration et les ouvrir au monde de l’entreprise ou à tout autre partenariat extérieur, c’est évident. Que les universités puissent être autonomes financièrement et donc qu’on leur donne la liberté de chercher des financements extérieurs au budget de l’Etat, c’est le moindre bon sens. La France est le seul pays au monde où un collégien (7500 euros) et un lycéen (10 000 euros) coûtent plus cher qu’un étudiant (6700 euros). Que les étudiants soient orientés en fonction de leurs aptitudes et des débouchés professionnels est aussi un objectif élémentaire, si l’on veut rompre avec l’hypocrisie actuelle de la sélection par l’échec. Que les universités soient en mesure de recruter librement leurs professeurs et leurs chercheurs les alignera simplement sur le modèle de la plupart des universités européennes qui s’en trouvent fort bien… et leurs étudiants aussi ! Peu importe alors que les universitaires chercheurs soient des agents publics ou des personnels privés, l’important est qu’ils soient les meilleurs dans leurs disciplines respectives.
Bref, la réforme proposée ne peut être que la première étape d’une réforme beaucoup plus vaste et beaucoup plus profonde. L’autonomie ne sera qu’un leurre s’il s’agit simplement de déconcentrer quelques compétences ponctuelles alors que l’essentiel du pouvoir de décision restera au sein d’un ministère aussi technocratique que centralisé. Au mieux l’Etat allègera sa charge financière. Et alors ? L’Université française (et la Recherche qui ne doit surtout pas en être dissociée) mérite mieux que cela. Elle ne retrouvera la place qui devrait être la sienne dans le Monde et dans l’Europe que si elle devient non seulement « autonome » mais surtout véritablement libre. Libre dans son organisation, libre dans le recrutement de ses étudiants, libre dans le recrutement de ses chercheurs et de ses professeurs, libre dans ses financements, libre dans la délivrance des grades et des diplômes. Cela n’enlèvera rien au droit des étudiants de poursuivre des études supérieures. Ce droit n’est pas véritablement assuré par le système actuel porteur de tant d’échecs et de désillusions. Il suffit simplement à l’Etat de garantir l’effectivité de ce droit par l’accompagnement financier des étudiants. Là est sa mission républicaine, pas dans l’organisation d’un égalitarisme mensonger. Libres dans le choix de leurs études, les étudiants seront à leur tour libérés de cet Etat tutélaire qui les infantilise.
Recteur Armel PECHEUL
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