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Lettre N° 88 - Le rapport Chartier (5)
Le grand service public de l’éducation est de retour.
Décidément, les discours officiels sur l’enseignement seront toujours en retard d’une guerre. Le Mur de Berlin est toujours dans leur esprit. Ils n’ont encore compris ni l’importance des enjeux pour le rayonnement intellectuel de la France en Europe et dans le Monde, ni les effets dévastateurs du retard de notre pays en matière de Recherche.
A vrai dire, il faut recommander à tous de lire ce savoureux petit rapport consacré à l’enseignement supérieur privé par le député Jérôme Chartier. C’est véritablement un modèle du genre.
Ou bien ce parlementaire est un plaisantin astucieux et facétieux, et il s’est alors livré à un petit exercice au second degré digne des meilleures satires. Ou bien cet élu était sérieux et pense vraiment ce qu’il a écrit, et alors on comprend mieux les déboires actuels de la France et l’importance de ceux qui nous attendent encore.
Dans la forme, d’abord, ce rapport est un condensé des effets les plus pervers de la production politico-médiatique. On devine que l’essentiel de l’investissement de l’auteur n’a pas été consacré à la réflexion sur son sujet ni à la recherche de solutions pertinentes. Non, l’essentiel de son effort a consisté à trouver une agence de communication pour présenter, d’une façon moderne et stylisée, quelques vérités d’évidence : il faut, nous dit le rapport, à grand renfort de gros titres qui tiennent à eux seuls une page entière : « définir », « participer », « accompagner » « développer », « réfléchir » (après avoir proposé, d’ailleurs !).
Si l’on ajoute que l’essentiel des propositions tient en quelques courtes lignes – mais d’un bleu roi tout à fait ravissant – on conviendra que ce rapport pourra certainement faire la gloire et la réputation de l’agence de communication qui l’a créé, mais certainement pas celles de son auteur !
Sur le fond, le contenu de ce rapport est franchement désespérant, pour les universitaires en général et pour tous ceux qui sont attachés à l’enseignement supérieur public comme à l’enseignement supérieur privé. Il montre surtout l’immense décalage qui existe entre l’intensité des besoins de la jeunesse estudiantine française, ceux de la recherche française et la conscience qu’en ont de tels élus.
Alors que les universités anglo-saxonnes connaissent aujourd’hui un rayonnement sans précédent et viennent désormais s’installer en France, alors que les grandes universités européennes sont elles aussi de plus en plus conquérantes, alors enfin que l’enseignement supérieur français et la recherche n’ont jamais autant été paupérisés… on nous propose le plus sérieusement du monde de « rechercher des solutions avec les partenaires sociaux », d’adopter quelques mesurettes fiscales pour prendre en compte les intérêts des emprunts contractés par les étudiants, de favoriser des « parrainages » d’élèves, ou de créer « des réseaux d’anciens élèves de l’enseignement supérieur à l’étranger ».
Et on peut d’ailleurs sérieusement se demander si, même cela, ne leur fait pas peur.
Pour ne pas parler de mesures qui existent déjà dans l’Université française à l’instar du concours des universitaires étrangers.
Il est dommage que les auteurs de tels rapports ne fassent pas, au moins, l’effort de se renseigner sur le fonctionnement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ils gagneraient en crédibilité, non pas dans les petits déjeuners médiatiques à l’Assemblée nationale où les couleurs de la « plaquette » ont du susciter quelques petits cris de ravissement, mais auprès des intéressés.
En réalité, et plus fondamentalement, ce rapport est toujours inspiré de cette même gangrène qui stérilise la « pensée » politique française depuis plus de quarante ans : rien ne peut se faire sans l’autorisation et sans le contrôle de l’Etat. C’est la pensée unique, et sans doute l’absence de pensée tout court. Dès lors, rien ne peut être libre, et surtout pas l’enseignement supérieur privé.
Au mieux, l’enseignement supérieur privé a vocation à « combler les carences » de l’Etat, c'est-à-dire les « carences territoriales », là « où l’offre publique est inexistante » ou les « carences de spécialité face auxquelles l’Etat ne peut opposer de concurrence» nous dit le rapport… Bref, l’enseignement supérieur privé n’est admis qu’à titre de remplaçant. Il n’est qu’un supplétif de l’Etat Enseignant. Il est tout entier soumis à son bon vouloir. Car, comme d’habitude, l’Etat « identifie », « agrée », « précise », « autorise », « fixe »… nous dit encore le rapport.
C’est toujours la même logique du moule unique, cette logique dépassée et combien mortifère pour tant et tant de générations d’élèves et d’étudiants.
Comme si la liberté de l’enseignement n’avait pas valeur constitutionnelle depuis fort longtemps en France comme dans les autres pays de l’Union européenne.
Comme si l’Etat n’avait pas déjà perdu, de fait, son monopole pour la collation des grades et des diplômes comme le juge désormais la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE, 13 novembre 2003, Valentina Neri, aff.
C-153/02) ou comme le permet tout simplement la conjugaison de la liberté d’établissement et du principe de l’équivalence des diplômes sur le territoire de la Communauté européenne.
En clair, l’enseignement supérieur privé le plus dynamique aura contourné tout seul les rigidités françaises sans que nos élus ne s’en aperçoivent. Comme d’habitude, ils n’auront rien vu venir.
Vision passéiste, ambition au rabais, en tout cas décalée au regard des enjeux mondiaux et européens, méconnaissance des régimes juridiques des universités françaises et européennes, ignorance même des modalités élémentaires de fonctionnement du système universitaire actuel … comment ne pas manifester au moins de la colère devant de tels documents ?
Pourtant les solutions existent, et le rapport, rendons-lui cette grâce, en évoque une ou, soyons généreux, peut-être deux. Telle est notamment l’hypothèse de la Fondation, technique qui fonctionne parfaitement bien chez nos voisins et de l’autre côté de l’Atlantique.
Mais encore faudrait-il que les fondations ne soient pas elles-mêmes aussi ficelées juridiquement et financièrement que le sont les fondations françaises au regard des fondations étrangères ou des institutions équivalentes. Là encore, la liberté n’est pas de règle, loin s’en faut. Et, le rapport Chartier n’entend pas revenir sur de tels carcans.
Faudra-t-il attendre que les universités étrangères aient totalement conquis le meilleur de notre enseignement supérieur pour que nous acceptions enfin de faire bouger les lignes ?
Il sera malheureusement trop tard, car chacun sait bien qu’en attendant, les meilleurs de nos étudiants, comme les plus brillants de nos chercheurs, s’en vont ailleurs… pour ne plus revenir.
Recteur Armel Pécheul
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