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Lettre N° 108 - Lecture, suite 3 (3)
Lecture, suite 3 : cerveau droit/cerveau gauche
La Lettre
: en quoi l’étude de la façon dont le cerveau fonctionne, par les neurosciences, permet-elle de dire que les méthodes alphabétiques d’enseignement de la lecture sont préférables à celles de type global ?
Philippe Gorre
: première source, le docteur Wettstein-Badour, auteur de Lecture : la médecine au secours de la pédagogie, publié en 1993, et pour lequel elle a été lauréate des Prix d’Enseignement et Liberté en 1994.
Avec une formation en psychiatrie, elle a recherché les causes des difficultés rencontrées à l’école, dès l’apprentissage de la lecture, des enfants que leurs parents avaient amenés à sa consultation pour ce motif.
Elle a constaté, à partir d’une étude portant sur plus de cinq cent cas, que ces enfants ne souffraient pas plus en moyenne de déficiences intellectuelles ou de faiblesses psychologiques que les autres enfants. Elle s’est alors demandé si la façon dont on leur avait appris à lire, avec une méthode semi-globale, pouvait être la source de ces échecs.
La Lettre
: comment a-t’elle procédé ?
Ph G
: en confrontant ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau avec les mécanismes auxquels font appel les méthodes alphabétiques et les méthodes semi-globales.
Elle s’est appuyée principalement sur les travaux de l’Américain Sperry, prix Nobel de médecine en 1981. En résumant très grossièrement, alors que l’hémisphère droit du cerveau traite les images par analogie, en les comparant avec celles qu’il connaît, l’hémisphère gauche procède de façon analytique, en décomposant les lettres en leurs éléments les plus simples, boucles et traits.
La méthode alphabétique qui ne propose à la lecture que des mots dont les lettres et syllabes ont été précédemment appris par l’élève permet de reconnaître les mots sans risque d’erreur, alors que toute méthode à départ global est source de confusions entre des lettres telles que p et q ou p et b, rendant plus difficile l’identification du mot écrit au mot oral.
La Lettre
: seconde source ?
Ph G
: Les Neurones de la lecture, ouvrage publié en 2007 de Stanislas Dehaene, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France de psychologie cognitive expérimentale. Il s’agit d’une somme de près de cinq cent pages, reprenant les travaux de l’auteur et de ceux de nombreux spécialistes des neurosciences. Ce que disait Sperry un quart de siècle plus tôt y est affiné, développé et confirmé.
La Lettre
: et qu’en déduit-il pour le choix d’une méthode de lecture ?
Ph G
: en premier lieu, un éreintement de la méthode globale proprement dite dont Jean-Pierre Changeux, préfacier de l’ouvrage, constate que Stanislas Dehaene l’a « définitivement mise en pièces ». Ensuite une confirmation que : « Reconnaître un mot, c’est d’abord analyser sa chaîne de lettres et y repérer des combinaisons de lettres (syllabes, préfixes, suffixes, racines des mots) pour les associer à des mots et à des sens.
La Lettre
: fort bien, mais les tenants des méthodes semi-globales ne prétendent-ils pas procéder ainsi, en partant des mots, au lieu de partir des lettres, comme dans les méthodes alphabétiques ? Stanislas Dehaene se prononce-t-il entre les deux approches ?
Ph G
: oui, à mon sens, quand il écrit (p. 304) : « A chaque étape de l’apprentissage de la lecture, les mots et les phrases proposés à l’enfant ne doivent faire appel qu’aux seuls graphèmes et phonèmes qui lui ont été explicitement enseignés ». Seule la méthode alphabétique peut satisfaire à cette condition.
La Lettre
: quel degré de confiance faut-il, à votre avis, accorder aux théories des spécialistes des neurosciences, quand ils nous disent que telle ou telle zone du cerveau est activée par des opérations telles que le langage, la lecture ou l’écriture ?
Ph G
: un grand degré, si j’en juge, n’ayant pas lu Sperry, par ce qu’écrit Dehaene qui se fonde, avec la prudence et même l’humilité qui caractérisent le vrai scientifique, sur les mesures que l’Imagerie par Résonnance Magnétique permet aujourd’hui de mesurer de cette activité.
La Lettre
: donc, sans l’IRM point de salut ?
Ph G
: c’est ce que dit à peu près un spécialiste de la lecture quand il affirme dans un de ses ouvrages que ceux qui ont prôné la méthode globale n’auraient pas commis cette erreur s’ils avaient disposé des enseignements de l’IRM. Il ne nous dit pas cependant pourquoi Quintilien au premier siècle, Saint Jean-Baptiste de La Salle au dix-septième ou Boscher, auteur de la méthode qui porte son nom, dans la première moitié du vingtième siècle n’ont pas commis la même erreur.
Cette découverte de la spécialisation d’une zone du cerveau gauche pour la lecture est d’ailleurs antérieure à l’invention de l’IRM, puisque Stanislas Dehaene cite le cas, au dix-neuvième siècle, d’un Parisien qui, à la suite d’un accident cérébral, ne savait plus lire, mais pouvait encore écrire. L’autopsie pratiquée après sa mort, quelques années plus tard, a permis de constater que la zone endommagée de son cerveau était celle qu’identifie aujourd’hui l’IRM comme étant celle de la lecture.
La Lettre
: mais les partisans des méthodes semi-globales ne comptent-ils pas dans leurs rangs des spécialistes des neurosciences ?
Ph G
: je ne sais s’il y avait de tels spécialistes parmi les dix-sept chercheurs qui ont cosigné un article intitulé Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture et publié dans Le Monde de l’éducation de mars 2006 pour faire obstacle à la volonté de restauration des méthodes alphabétiques exprimée par Gilles de Robien. Mais le rédacteur de cet article avait répondu aux remarques formulées par le docteur Wettstein-Badour :
« Tout ce que je peux dire, c’est que mes propres connaissances du fonctionnement du cerveau ne condamnent en rien les approches analytiques. En fait, je pense que nos connaissances les plus pointues en neurosciences sont encore tellement fragmentaires qu’elles ne peuvent prescrire ou condamner aucune méthode pédagogique. »
Souhaitons que les cerveaux aient évolué dans ce domaine en quatre ans.
La Lettre
: rendez-vous à nos lecteurs pour notre prochain entretien qui portera sur la comparaison des résultats obtenus.
Ph G
: j’espère que la statistique les intéresse !
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