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Lettre N° 107 - Lecture, suite 2 (2)
La Lettre
: l’histoire de l’enseignement de la lecture manifeste, dites-vous, la supériorité des méthodes synthétiques sur les méthodes analytiques. Quelles leçons avez-vous donc tirées de cette histoire ?
Philippe Gorre
: la première est que tous les progrès significatifs en matière d’alphabétisation sont dus à l’emploi de méthodes synthétiques, la seconde que les méthodes analytiques n’ont jamais été employées qu’à une échelle réduite, d’une façon temporaire et pour des résultats illusoires.
La Lettre
: à une échelle réduite ? Encore aujourd’hui ?
Ph G
: il s’agit pour l’instant de l’histoire. Nous verrons plus tard ce qu’il en est de l’actualité.
La Lettre
: il y a donc des historiens de l’enseignement de la lecture chez qui vous avez pu puiser ?
Ph G
: il y a d’abord des pédagogues qui ont écrit sur leur métier, depuis Quintilien qui dirigeait une école de rhétorique à Rome, au premier siècle, et a écrit l’Institution oratoire, jusqu’à Amélie Hamaïde, institutrice Belge et bras droit du docteur Decroly dans l’expérience la plus complète d’emploi de la méthode globale proprement dite, dans la première moitié du vingtième siècle.
Il y a aussi des historiens de l’instruction ou des méthodes pédagogiques. Le plus fréquemment cité – ou utilisé – dans notre pays est un ouvrage collectif, le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, dirigé par Ferdinand Buisson et James Guillaume, qui contient plusieurs articles sur l’enseignement de la lecture.
La Lettre
: qu’apportent-ils à vos conclusions ?
Ph G
: la confirmation que les deux périodes de développement de l’alphabétisation qu’ont été le XVIIe et le XIXe siècle doivent leur réussite aux méthodes synthétiques. Cela ressort aussi bien des écrits de Saint Jean-Baptiste de La Salle ou de ceux de Port-Royal pour la première époque que des manuels de la seconde.
Les uns et les autres suivaient le conseil de Quintilien qui écrivait : « Quant aux syllabes, point d’abréviation. Il faut les apprendre toutes ».
Les changements apportés aux méthodes d’enseignement, essentiellement la substitution du français au latin et l’association de l’écriture à la lecture, reflètent l’évolution de la société, de ses moyens et de ses besoins, sans remettre en cause le principe alphabétique.
La Lettre
: mais alors, d’où est née l’idée de méthodes nouvelles, globales ou autres ?
Ph G
: du désir de contourner les difficultés rencontrées. A partir du moment où l’on passe d’une situation, qui était encore celle du seizième siècle, où n’apprennent vraiment à lire, en dehors de spécialistes, clercs ou laïcs, sélectionnés et formés à cette fin, que quelques amateurs éclairés, à une situation, celle du dix-neuvième, où savoir lire devient une nécessité si l’on veut échapper aux travaux les plus pénibles, la proportion d’élèves peu désireux d’apprendre augmente.
C’est du besoin de convaincre ces derniers de l’utilité d’apprendre à lire que sont nées de nouvelles méthodes d’enseignement de la lecture. Rousseau, dans son Emile, illustre très bien la chose.
La Lettre
: aurait-il inventé la méthode globale ?
Ph G
: non ! Il se situe bien au-dessus de telles contingences. Il a simplement fait le constat, après Quintilien, Fénelon et sans doute beaucoup d’autres, que le « désir d’apprendre » est le plus sûr moyen d’apprendre vite et bien.
C’est pourquoi, il recommande de laisser là les bureaux, les cartes, les imprimeries et les dés dont son époque était friande pour intéresser Emile à la lecture avec les « billets d’invitation pour un dîner, pour une promenade, pour une partie sur l’eau, pour voir quelque fête publique » qu’il « reçoit quelquefois de son père, de sa mère, de ses parents, de ses amis ».
La méthode globale est, pour ceux qui n’ont pas la possibilité de donner des fêtes sur l’eau, un autre moyen d’éveiller l’intérêt des enfants pour ce qu’ils lisent. C’est le bonheur de lire promis à ceux qui ne savent pas lire, promesse qui restera toujours à l’état de promesse.
La Lettre
: pouvez-vous illustrer votre propos ?
Ph G
: dans l’édition de 1887 du Dictionnaire de pédagogie, Guillaume décrit, dans l’article Ecriture-lecture, la méthode d’écriture-lecture analytique-synthétique, pratiquée à l’école-annexe de l’école normale d’instituteurs de la Seine et vulgarisée sous le nom de méthode Schuler par Charles Defodon. Cette méthode consiste à présenter à l’enfant « non plus des éléments, les lettres, mais un tout, un mot, sur lequel on l’invite à faire lui-même le travail d’analyse, en décomposant ce mot en lettres ». Il conclut sa présentation par « Tout fait prévoir que c’est à elle qu’appartient l’avenir ».
Dans l’édition de 1911, Guillaume refait la même présentation de la méthode, qu’il nomme cette fois Schiller, en promettant dans les mêmes termes les mêmes lendemains qui chantent, sans citer le moindre résultat qui aurait pu être constaté dans l’intervalle de 24 ans entre les deux éditions.
L’histoire fait bien la part entre les progrès réalisés avec les méthodes synthétiques et les illusions entretenues avec les méthodes analytiques.
Erratum
:
Un lecteur nous a fait remarquer que c’est à tort que nous avons écrit dans le précédent numéro que Champollion avait appris d’un maître à lire le démotique. C’est le copte, écriture hellénique de la langue égyptienne qui lui avait été enseigné, ce qui lui a permis, associé à sa connaissance du grec, de déchiffrer les hiéroglyphes et le démotique, écritures égyptiennes, de la pierre de Rosette.
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