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Lettre N° 106 - Lecture, suite 1 (5)
La Lettre
: à la fin de l’entretien que nous avons publié dans notre précédent numéro, vous avez indiqué que votre conviction de la supériorité, en toutes circonstances, des méthodes d’enseignement de la lecture appelées alphabétiques, syllabiques ou synthétiques, sur les semi-globales ou analytiques tenait en cinq points. Pouvez-vous développer le premier de ces points ?
Philippe Gorre
: il consiste en ce que les méthodes synthétiques sont faites pour enseigner, au contraire des méthodes analytiques qui sont faites pour découvrir.
La Lettre
: vous précisez, en effet, que, pour cette raison, elles ont été appelées « Méthodes de doctrine ou d’enseignement ». Cependant une recherche sur Internet qui donne plus de trois millions de références pour « méthodes d’enseignement » ne renvoie qu’à notre dernier entretien pour Méthodes de doctrine. D’où tirez-vous cette expression ?
Ph G
: de la sixième édition, parue en 1862, du Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts de Bouillet. Au mot synthèse, il précise que cette dernière « est appelée méthode de doctrine ou d’enseignement parce que c’est elle que l’on emploie pour exposer les vérités déjà découvertes et en montrer l’enchaînement ».
D’ailleurs, on trouve sur Internet une formulation actuelle à « Méthodes d’enseignement par interpolation et extrapolation ». La méthode syllabique y est donnée comme exemple de la méthode par extrapolation et la méthode globale comme exemple de celle par interpolation.
Dans la première « le savoir est découpé en éléments ; on enseigne les règles d’utilisation de ces éléments que l’élève met en œuvre lorsqu’il rencontre une situation nouvelle ».
Dans la seconde « l’apprenant voit des cas d’école, des formes qu’il doit dans un premier temps reproduire, puis qui constituent une boîte à outils [.] dans laquelle il pioche lorsqu’il rencontre une phrase qu’il n’a jamais lue ».
On conviendra que si ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, l’avantage est aux méthodes synthétiques.
La Lettre
: sans doute, mais les méthodes analytiques existent aussi et elles pourraient obtenir des succès. N’est-ce pas ce que veut dire le spécialiste connu de l’enseignement de la lecture qu’est Roland Goigoux quand il écrit que les apprenants doivent être autant de petits champollions ?
Ph G
: en écrivant cela M. Goigoux néglige le fait que c’est parce qu’un maître lui avait enseigné auparavant le grec et le démotique que Champollion a pu déchiffrer les hiéroglyphes du texte qui figurait dans les trois langues sur la pierre de Rosette.
La Lettre
: mais Pascal n’a-t-il pas retrouvé les trente deux premières propositions d’Euclide sans que personne ne lui ait enseigné les mathématiques ?
Ph G
: si Pascal a pu redécouvrir, après Euclide, que la somme des angles d’un triangle était égale à 180 degrés sans l’aide d’un professeur, c’est parce qu’il avait des dispositions peu communes pour les mathématiques ; mais c’est surtout parce que cette propriété du triangle est une vérité absolue, antérieure à l’apparition de la terre et qui lui survivra.
Au contraire, l’écriture est une convention, un code créé par les hommes, et qui à ce titre n’a pas à être redécouvert mais transmis. D’ailleurs quand Etienne Pascal refusait d’enseigner les mathématiques à son fils, il s’employait à lui apprendre le grec et le latin, en commençant, écrit Mme Périer, sa fille, dans son récit de la vie de son frère, par lui « faire voir les raisons des règles de la grammaire ; de sorte que, quand il vint à l’apprendre, il savait pourquoi il le faisait, et il s’appliquait précisément aux choses à quoi il fallait le plus d’application. »
Il n’y a pas de honte à s’appliquer comme le faisait Pascal.
La Lettre
: les mathématiques, le grec et le latin, ne nous sommes-nous pas éloignés de la lecture ?
Ph G
: vous avez bien fait de m’y pousser : c’est la même objection qui est faite aux méthodes synthétiques et les mêmes principes en faveur des méthodes analytiques qui sont prônés par les zélateurs de la pédagogie nouvelle pour l’enseignement de la lecture et pour toute autre transmission d’un savoir.
La Lettre
: quelle est l’objection ?
Ph G
: que la synthèse, par le fait même qu’elle va du simple au composé, des éléments au tout, est abstraite. Et, en effet, quoi de plus abstrait qu’une lettre, excepté le o qui ressemble à la forme que prennent les lèvres pour le prononcer ?
La Lettre
: ces zélateurs, comme vous dites, craindraient l’abstraction.
Ph G
: ils la craignent, parce qu’ils pensent que les milieux populaires privilégient la pensée concrète et que c’est donc du concret qu’il faut partir pour réaliser la démocratisation de l’enseignement.
La Lettre
: et vous n’êtes pas d’accord avec eux là-dessus ?
Ph G
: c’est évidemment à l’école de donner le goût de l’abstraction aux enfants élevés dans une famille - pas nécessairement d’un milieu populaire – où elle n’est pas à l’honneur.
Ne pas le faire revient au contraire à les en exclure, alors que les enfants dont les parents, professeurs ou autres, savent qu’elle est la clé des études se tireront d’affaire sans l’école.
La Lettre
: et quels sont leurs principes ?
Ph G
: que l’on peut apprendre sans effort, que la culture générale est l’instrument qui permet à la classe dirigeante de se perpétuer et que l’école doit faire passer l’éducation à la citoyenneté avant la transmission des savoirs.
Ces trois principes ont en commun d’être des déductions fausses d’observations exactes et de prospérer sur les ruines causées par leur application.
La Lettre
: Conclusion ?
Ph G
: rappel, plutôt, donné par l’abrégé du dictionnaire de Trévoux (1762), à l’article Méthode : « Il y a deux sortes de méthodes : l’une pour rechercher la vérité, qu’on appelle Analyse ; & l’autre, pour la faire entendre aux autres, quand on l’a trouvée, qu’on appelle Synthèse. »
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