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Lettre N° 109 - Lecture, suite 4 (2)
Lecture, suite 4 : le jugement sur échantillon
Armel Pécheul
: qu’entendez-vous par jugement sur échantillon ?
Philippe Gorre
: c’est la technique statistique permettant de généraliser à un ensemble les résultats observés sur une partie. C’est ainsi que la mesure des capacités en lecture des élèves de quelques classes, les unes employant une méthode alphabétique (synthétique), les autres une méthode semi-globale (analytique), donnera, si les « échantillons » ont été correctement constitués, une estimation de l’efficacité relative des deux types de méthodes.
A P
: quels sont les résultats observés en France dans ce domaine ?
Ph G
: il n’y en a pas, les pédagogues arguant du caractère unique de la transmission des connaissances entre le maître et l’élève et des difficultés de l’évaluation, ce qui n’est pas faux, pour en déduire que de telles mesures sont impossibles, ce qui est absurde.
Quant aux ministres, peut-être se satisfont-ils de la réponse faite publiquement, dans les locaux de l’Institut de France, lors d’une réunion organisée par Gilbert Sibieude, il y a quelques années, par la responsable du service statistique du ministère de l’Education nationale, à qui l’on demandait pourquoi il n’y avait pas d’études françaises sur la question : « Nous n’avons pas les outils pour les faire » !
A P
: et à l’étranger ?
Ph G
: les anglo-saxons n’ont pas notre vilaine manie de casser le thermomètre, pour ne pas savoir si le malade a de la fièvre. Des recherches menées dans ces pays, les plus importantes sont à mon avis :
La méta-analyse du National Reading Panel, aux Etats-Unis, publiée en 2000. L’étude Clackmannan, en Écosse, publiée en 2005. L’étude Dunbarton, en Écosse, publiée en 2006.
Le National Reading Panel, est un groupe de travail sur l’enseignement de la lecture, constitué aux États-Unis par le National Institute of Child Health and Human Development, agence gouvernementale, à la demande du Congrès des États-Unis. Le NRP après avoir recensé100 000 études sur la lecture publiées en anglais, a fait la méta-analyse, autrement dit l’analyse savante, de quelques dizaines d’entre elles.
Le rapport du NRP conclut à la supériorité des méthodes à apprentissage systématique de la correspondance entre les lettres et les sons et précise que le groupe des analytiques obtient la « note » 0,34 et celui des synthétiques celle, meilleure, de 0,45. Le rapport ajoute cependant que ces résultats not differ statistically (p>0.05), ce qui en français veut dire que l’on a cinq chances sur cent de se tromper en admettant que les méthodes synthétiques sont les meilleures. Bienheureux ceux qui ne se trompent que cinq fois sur cent dans les choix qu’ils doivent faire dans leur vie !
Clackmannan
et Dunbarton sont deux comtés écossais qui, grâce à l’autonomie dont disposent en matière d’enseignement les autorités locales, ont fait des comparaisons à une grande échelle entre les résultats obtenus par les deux types de méthodes d’apprentissage de la lecture.
L’expérience Clackmannan a duré de 1992 à 1998. Elle a porté sur douze classes de première année de l’école primaire. Elle a montré que les élèves apprenant à lire avec une méthode synthétique avaient sept mois d’avance sur ceux apprenant avec une méthode analytique.
L’expérience Dunbarton a duré de 1997 à 2003. La totalité des élèves de la région retenue y ont participé, soit 6 000 élèves répartis dans cinquante-huit écoles.
Le taux d’illettrisme y est tombé à 6%, contre 21% dans l’ensemble de l’Ecosse, alors que le Dunbarton occupe l’avant-dernière place dans le classement des comtés en fonction du revenu par habitant.
A P
: quel degré de confiance accordez-vous à ces études ?
Ph G
: il n’y a aucune raison de mettre en doute le caractère sérieux du travail du NRP. Il a cependant l’inconvénient pour notre propos d’avoir comme objet principal la comparaison des méthodes de type global, c’est-à-dire sans apprentissage systématique des relations entre les lettres et les sons, avec celles comportant cet apprentissage, qui peuvent être analytiques ou synthétiques.
Il a aussi le défaut, fréquent en sciences humaines, de mesurer le risque imaginaire qu’impliquerait le choix de méthodes alphabétiques, au lieu de comparer tout bonnement les résultats des deux types de méthodes, alphabétiques et semi-globales.
A P
: et pourquoi des institutions respectables et tant de chercheurs procèdent-ils différemment ?
Ph G
: leur mode de calcul du « risque de première espèce » correspond à ce que l’on appelle l’hypothèse conservatrice, celle qui évite aux spécialistes la peine de reconnaître qu’ils ont tort.
Un chercheur a intérêt, pour ne pas dire l’obligation, s’il veut être publié dans des revues scientifiques, à décorer son texte de formules, calculs et autres graphiques. Or le calcul du risque de première espèce est relativement simple, celui qui correspond au choix de la meilleure de deux méthodes est plus compliqué.
A P
: avez-vous un avis aussi tranché sur les expériences écossaises ?
Ph G
: dans l’une des deux, Dunbarton me semble-t-il, l’auteur du rapport écrit que dans les dernières années de l’expérience il devenait difficile de trouver encore un maitre pour employer une méthode analytique. N’est-ce pas tranché et tranchant ?
A P
: Quel a été l’accueil fait en France à ces résultats ?
Ph G
: discret, très discret, jusqu’en mars 2006, quand est paru dans Le Monde de l’Education, dans le but déclaré de faire pièce à la position prise deux mois auparavant en faveur des méthodes alphabétiques par Gilles de Robien, un article signé par dix-huit chercheurs, intitulé Un point de vue scientifique sur l’enseignement de la lecture. Ils y écrivent notamment :
« Du moment que le déchiffrage est enseigné systématiquement, il importe peu que l’approche soit plutôt analytique (du mot ou de la syllabe vers le phonème) ou synthétique (du phonème vers la syllabe ou le mot).
A la suite du rapport commandé à la Junior-entreprise de l’Ecole nationale de la statistique (ENSAE) par Enseignement et Liberté, le rédacteur de l’article du Monde, qui avait déconseillé la publication de ce rapport, a publié, le 16 novembre 2006, une Mise au point dans laquelle il précise que l’affirmation de l’absence de différence d’efficacité entre les approches synthétiques et analytiques repose sur la méta-analyse du National Reading Panel qui a trouvé entre les deux approches une différence « statistiquement non-significative ».
Il ajoutait, assez énigmatiquement : « Bien entendu, l’absence de différence statistiquement significative dans cette méta-analyse ne prouve pas l’absence réelle de différence. Il était donc inévitable que cette absence de différence soit contestée » !
A P
: quelles ont été les réactions à la publication des études écossaises ?
Ph G
: Le voile du silence partiellement et temporairement levé en France sur l’étude du NRP, a bien joué son rôle protecteur dans le cas des études écossaises. On peut le constater, par défaut, en faisant une recherche sur Internet.
Le gouvernement britannique a pour sa part commandé une étude qui s’efforce de démontrer « qu’il n’y a pas de différences » au prix d’entorses graves aux principes de la statistique de la statistique.
A P
: et dans d’autres pays ?
Ph G
: nous venons d’explorer deux façons de dissimuler la supériorité des méthodes synthétiques, telle qu’elle ressort des comparaisons faites entre les performances des élèves : en appliquant la loi du silence ou en les déformant par de faux raisonnements statistiques.
Il existe au moins une troisième façon. Elle consiste à admettre que les résultats sont en faveur des méthodes synthétiques, puis à déclarer qu’il ne faut pas en tenir compte.
En voilà un exemple, extrait du dossier établi en 2006 à la demande de Gilles de Robien. Il porte sur Savoir lire : une question de méthodes, étude réalisée en Belgique francophone auprès de 450 élèves et publiée en 1996, dans le Bulletin de psychologie scolaire et d’orientation, 1, 1996 : 7-45.
« La conclusion de cette étude est que « le niveau d’acquisition en lecture dépend principalement de la méthode utilisée pour apprendre à lire aux enfants », cela à l’avantage des méthodes synthétiques Après avoir fait ce constat, les auteurs ajoutent que la méthode fonctionnelle (analytique) « n’est pas nécessairement inférieure aux autres, mais que « les données rassemblées dans cette étude sont suffisamment parlantes pour questionner une pensée actuellement dominante qui défend avec force la supériorité indiscutable de la pédagogie fonctionnelle sans présenter les arguments scientifiques et les données objectives à l’appui de cette thèse. »
Cela me paraît parlant.
Le lecteur trouvera sur le site d’Enseignement et Liberté, à la page Dossier : Apprentissage de la lecture , rubrique Comparaison des méthodes les justifications que nous ne pouvons donner ici, faute de place et pour ne pas le lasser.
Le prochain et dernier article de cette série consacrée aux comparaisons entre les méthodes synthétiques (alphabétiques) et analytiques (semi-globales) sera consacré aux arguments et justifications des tenants de la thèse opposée à la nôtre.
Ce débat est aussi ouvert à nos lecteurs. Nous nous efforcerons de répondre à leurs questions et à leurs objections, dans notre prochain numéro ou directement.
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