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Lettre N°131, 1er trim 2016 - Najat Vallaud-Belkacem et l'orthographe
Najat Vallaud-Belkacem et l’orthographe
La réforme de l’orthographe a été annoncée en tête du nouveau programme d’enseignement du cycle des apprentissages fondamentaux par l’avertissement suivant : Les textes qui suivent appliquent les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l'Académie française et publiées par le Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990[1].
Cette discrétion, surprenante quand on connait le goût prononcé de Mme Vallaud-Belkacem pour la communication, n’a pas empêché la formation d’une vague de protestation rappelant celle qui avait suivie l’annonce de cette réforme il ya vingt-cinq ans.
L’objet de cet article n’est pas d’ajouter une contribution aux critiques déjà formulées par des voix plus compétentes, mais de rappeler les conditions dans lesquelles cette réforme mort-née avait vu le jour.
En affirmant qu’ « Il ne revient pas au ministère de l’Éducation nationale de déterminer les règles en vigueur dans la langue française. Ce travail revient à l’Académie française, depuis Richelieu », Mme Vallaud-Belkacem a donné une vision des choses tout-à-fait contraire à la façon dont elles se sont passées.
La réforme de 1990 a en effet été voulue et conduite par Michel Rocard, alors Premier ministre. Il avait créé en 1989 le Conseil Supérieur de la Langue Française. Il le présidait et en avait nommé tous les membres, dont le ministre de l’Education nationale et le secrétaire perpétuel de l’Académie française. Lors de la première réunion, il affirma « la compétence du gouvernement en matière de langue ».
Après avoir justifié cette intervention par le souci de stopper le « fléchissement » de notre langue dans le monde, il détailla les changements à apporter à l’orthographe : traits d’union, accents circonflexes, accord des participes passés…En bref, il ne restait plus à Maurice Druon qu’à reprendre ces propositions dans le rapport qu’il présentait le 19 juin 1990 devant le CSLF susnommé, en commençant son allocution par « Quand un premier ministre se penche sur l’état de la langue française, ce qui n’arrive pas tous les jours, il met ses pas, volens nolens dans ceux de Richelieu ».
Pour qui douterait encore de la conduite politique de cette réforme, il n’est que d’entendre François Mitterrand, Protecteur de l’Académie par héritage de Richelieu (Le Monde du 6 janvier 1991) : « J’ai été saisi du projet, j’ai été un peu effrayé, et j’ai sauvé quelques accents (…) J’aime l’orthographe et je pense qu’une langue a besoin de la puissance étymologique des mots (…). Il faut être prudent sur les réformes de l’orthographe, il ne faut pas tout interdire. Cette affaire ne m’a pas beaucoup excité. Je m’aperçois qu’il y a de plus en plus de gens sympathiques qui sont contre. Si le Premier ministre juge indispensable cette réforme à laquelle il s’est tant appliqué, pourquoi pas ? »
Enfin, si Mme Vallaud-Belkacem affirme qu’il appartient à l’Académie de déterminer les règles en vigueur dans la langue française, le ministère de l’Education nationale se soucie fort peu de respecter les dites règles, comme en témoigne la façon dont il n’applique pas la « Mise au point » du 10 octobre 2014[2] de l’Académie sur la féminisation des noms de métiers et fonctions qui : « conformément à sa mission, défendant l’esprit de la langue et les règles qui président à l’enrichissement du vocabulaire, rejette un esprit de système qui tend à imposer, parfois contre le vœu des intéressées, des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure, ingénieure, procureure, etc., pour ne rien dire de chercheure, qui sont contraires aux règles ordinaires de dérivation et constituent de véritables barbarismes. »
Or, une recherche sur le site du ministère de l’Education nationale donne pour
Si recteure ne figure pas sur le site (ni sapeuse-pompière), rectrice obtient 79 résultats, alors que la même Mise au point rappelle que le 21 mars 2002, l’Académie française « a publié une déclaration [.] pour souligner le contresens linguistique sur lequel repose l’entreprise de féminisation systématique » et que « si l’usage féminise aisément les métiers il résiste cependant à étendre cette féminisation aux fonctions qui sont des mandats publics ou des rôles sociaux distincts de leurs titulaires et accessibles aux hommes et aux femmes à égalité, sans considération de leur spécificité ».
C’est à éradiquer ces barbarismes et ces contresens linguistiques que le ministre devrait s’appliquer.
Philippe Gorre
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