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Lettre N°119, 1er trim 2013 - La loi d'orientation
La loi d'orientation
A la suite de l'adoption par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 19 mars, de la loi d'orientation, Maryline Baumard a interrogé (Le Monde du 22 mars) Marcel Gauchet, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et auteur de Les conditions de l'éducation (Stock, 2008).
Les priorités retenues
Il approuve les priorités accordées par la loi à l'école primaire, au temps scolaire et à la formation des enseignants, parce que : • On s'est focalisé à tort sur les difficultés du collège, alors que le plus grave est l'incapacité de l'école à assurer à tous l'acquisition des savoirs élémentaires. • Personne ne demandait la suppression d'une demi-journée d'école, décidée en 2008 par Nicolas Sarkozy. • La droite portera éternellement la honte d'avoir osé faire croire que le métier d'enseignant ne relève pas d'une formation (en fermant les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres). Ces trois appréciations méritent des explications qui peuvent être les suivantes : • S'il est possible de justifier dans le primaire les écarts entre les élèves par des rythmes de développement différents, l'explication n'est plus recevable après le passage en sixième, quand on constate que des élèves ne savent pas lire ou, en tout cas, ne peuvent pas comprendre ce qu'ils lisent. Et puis, soigner les conséquences est moins pénalisant que de chercher à remédier aux causes, pour un gouvernement de gauche, comme pour un gouvernement de droite. • La suppression d'une demi-journée d'école ne répondait pas en effet à une demande fortement exprimée. Elle semble cependant avoir répondu à une demande latente, si l'on en juge par l'opposition rencontrée à un retour à la situation antérieure. • Que le métier doive s'apprendre, comme tous les autres métiers, est une évidence. Malheureusement les IUFM n'ont pas apporté la preuve, en vingt ans d'existence, de leur capacité à former des maîtres. Peut-on partager avec Marcel Gauchet l'espoir que « les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation seront à la hauteur du rôle fondamental que l'on est en droit d'en attendre » ?
Les conditions d'une vraie refondation
Il semble lui-même en douter quand il répond qu'une vraie refondation de l'école, telle qu'annoncée par M. Peillon « demanderait d'aller plus loin dans l'identification des difficultés que rencontre l'école aujourd'hui. Par exemple sur le terrain de ce que veut dire apprendre ». Son jugement sur les dégâts du pédagogisme pendant les quarante dernières années est terrifiant. Citons-le en entier : « Ce dont je suis sûr, c'est que nous vivons sur des images et des idées fausses. Nous avons vécu un tournant important dans les années 1970. La pédagogie transmissive fondée sur l'inculcation d'un savoir détenu par le maître à un élève passif a laissé place à une pédagogie active qui fait de l'enfant l'acteur de la construction de ses savoirs. Il y a dans ce renversement un acquis irréversible, mais nous sommes allés un peu vite en besogne. Nous avons fait comme s'il nous livrait les clés des processus d'apprentissage. Or ce n'est pas le cas. La vérité est que nous n'en savons pas grand-chose ! Nos lumières sur le sujet sont embryonnaires. La boîte noire est loin d'avoir livré ses secrets. Relu à l'aune de ce degré zéro de la connaissance, le virage des années 1970 ressemble à un grand saut dans le vide. Nous pensions avoir un parachute…et nous nous rendons compte au milieu de la descente que nous n'en avons pas…». Après avoir dressé ce bilan accablant, Marcel Gauchet rappelle très justement ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire pour apprendre : • Les résultats sont plutôt plus faibles qu'avant « en raison de la non-mobilisation d'une bonne partie des élèves.» • « Nous savons [..] que l'aisance en matière de lecture, d'écriture ou de calcul est l'affaire d'acquisition d'automatismes, donc d'entraînement. » • « En lecture, en mathématiques comme en piano ou dans le sport, ce sont bien la répétition et la mémorisation qui donnent ensuite de l'aisance. » Il va jusqu'à répondre à la journaliste qui lui reproche une vision passéiste de l'école que : « tout ce qui est ringard un jour finit par redevenir à la mode » ! Enfin à l'objection qui lui est faite que la jeune génération, née avec l'informatique, aurait des cerveaux qui fonctionnent différemment de ceux des générations précédentes, il rétorque qu'il demande des preuves qui « ne sont pas fournies par les travaux qui mettent cette thèse en avant [et qui] brillent surtout par leur démagogie indigente et leur oubli des objections. » Ajoutons encore à ces analyses lucides, l'humilité à laquelle il appelle, face aux nouvelles technologies « supposées tout résoudre » et les justes inquiétudes qu'il exprime, à propos du numérique, sur la volonté de l'école de faire le bonheur immédiat de l'enfant, au lieu de répondre à son inconsciente aspiration, qui est de devenir un adulte autonome. Comment enfin ne pas être d'accord avec Marcel Gauchet quand il déplore que l'école amplifie « les écarts culturels entre les élèves », alors quelle devrait non pas établir une impossible égalité des chances, comme elle prétend hypocritement vouloir le faire, mais donner toutes leurs chances à ceux qui veulent les saisir.
Un grand pas en avant
Faut-il se réjouir de la condamnation qu'il porte contre les errements pédagogiques des quarante dernières années, comme Enseignement et Liberté le fait depuis sa création, il y aura bientôt trente ans. Malheureusement, non, car ce jugement, si sévère qu'il puisse paraître, ne remet nullement en question la cause première des difficultés de l'école et laisse toute latitude aux coupables de récidiver : • La cause première est évidemment ce que Gauchet appelle : « la pédagogie active qui fait de l'enfant l'acteur de la construction de ses savoirs ». Il y voit, et tout est dit : « un acquis irréversible ». • Après avoir concédé : « nous sommes allés un peu vite en besogne », il exprime sa confiance en ceux qui se sont si lourdement trompés par « Si les choix du gouvernement créent de l'irréversible sur un certain nombre de points cruciaux, nous aurons fait un grand pas en avant » ! Ce n'est pas l'article 57 du projet de loi appelant les agents qui exercent leurs fonctions dans les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres à la date de leur dissolution à exercer dans les Ecoles Supérieures du Professorat et de l'Education, qui peut nous rassurer sur la direction de ce pas en avant ! Philippe Gorre
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