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Lettre N° 69 - UN CONSERVATISME SANS ILLUSION, NI NOSTALGIE
La publication par Bernard Kuntz du livre intitulé Prof de droite ? (Chez François-Xavier de Guibert), de façon assez provocante, malgré le point d’interrogation dont la portée dubitative reste assez limitée conduit ce responsable du principal syndicat de l’enseignement secondaire qui s’oppose à l’hégémonie de la gauche à articuler sa conception extrêmement nette et non dépourvue d’originalité. Malgré l’accumulation d’un nombre considérable d’ouvrages très récents sur l’école, Bernard Kuntz parvient à être relativement original, tant dans ses méthodes d’analyse que dans les solutions qu’il retient. Ceci nous vaudra d’ailleurs des pages particulièrement énergiques et bienvenues contre des idées fausses qui traînent pourtant fréquemment dans les programmes " libéraux " !
Si notre auteur, qui avait pourtant déjà publié, en collaboration avec le recteur Armel Pécheul, Les déshérités du savoir sur l’école parvient à être assez neuf, c’est d’abord pour avoir très clairement repéré les causes de l’échec pédagogique de la gauche. En effet le développement d’un système éducatif organiquement lié à la pensée de gauche n’est nullement l’effet du hasard : " si chaque gouvernement socialiste s’empresse d’affirmer le caractère prioritaire de l’Education nationale, ce n’est pas uniquement par démagogie, pour donner satisfaction à ses troupes. C’est aussi parce que l’idée d’une transformation de la société par l’école constitue l’un des piliers de la pensée de gauche... si l’école a pour mission de transformer la société, alors l’Etat qui la gouverne, doit par tous les moyens assumer ses orientations et son fonctionnement ". (pp. 14-15) Ceci est manifeste dès Jules Ferry qui très lucidement ne pouvait inscrire son action que dans une perspective de gauche : " la création de l’école laïque obligatoire s’inscrivait dans une logique de conquête définitive du pouvoir. En formulant le projet de l’école, la gauche ébauchait en même temps un projet de société. " (p. 16). De là le constat que l’absence d’une véritable réflexion sur l’éducation dans la pensée politique de droite n’est aucunement le fruit du hasard. Si la droite se voue à la seule gestion d’un présent régi par les nécessités de l’économie, son programme en matière pédagogique ne peut être que très modeste. Il revient à ce qu’on demande que les règles économiques ne soient pas entravées dans le domaine de l’éducation, de là les propositions courantes en la matière : chèque éducation, autonomie des établissements, privatisations. Il faut bien constater que ce programme apparemment raisonnable ne peut que heurter frontalement les convictions les plus profondes de la plupart des enseignants. La droite ne peut avoir que des avantages à ne pas se compromettre en défendant des mesures qui relèvent d’un libéralisme de pacotille en matière pédagogique, selon M. Kuntz. Malgré cet avantage considérable et encore qu’elle ait eut très longuement le pouvoir, car comme le soutient Kuntz, toutes les réformes et d’abord celle qui instaure le collège unique sont inspirées par la gauche, cette gauche n’a pas réussi. Certes le taux de population scolarisée jusqu’à seize ans a considérablement augmenté, ce qui répondait à un besoin réel. Mais on est parvenu à une situation dans laquelle il est difficile de concevoir qu’on fasse plus pour l’école. La part du PIB consacrée à l’éducation est de l’ordre de 7,4%, la durée de la scolarisation de 19 ans (contre 16,7 en 1982) ; ni l’une ni l’autre de ces données ne peuvent être sensiblement modifiées. Est-ce à dire que cet accroissement des taux de scolarisation conduise à une plus grande justice dans la répartition des compétences ? Non, puisque comme le note François Bayrou (cité p. 29) : " dans cette école de l’égalité, vos chances d’aller au terme de l’enseignement secondaire... et d’y être diplômé varient simplement, modestement de 600% ". Quant aux progrès de la culture liés à cette augmentation de la durée de scolarisation, on en peut douter quand on apprend qu’il y a entre 15 et 20% de " mal lettrés " pour reprendre une donnée liée à une classification commode due à M. Bayrou. Ces échecs de l’enseignement de masse ne sont pas tellement attribuables au collège pour tous ; tout simplement ce collège en prolongeant la scolarité donne l’occasion de les révéler. Il se peut que Bernard Kuntz soucieux de défendre l’effort pour le prolongement de la scolarité sous-estime ce qu’il peut y avoir de nocif dans une scolarité assez longue commune à tous les élèves. En fait, c’est au moment où il expose les principes du pédagogiquement correct qu’il les critique : " rien ne sert dans ces conditions de prétendre à tout prix amener la totalité des élèves au même niveau de connaissance. Rien ne sert au nom d’une prétendue égalité de leur imposer à tous le même et unique enseignement " (p.145) L’ouvrage tout entier repose sur la présentation critique d’un ensemble de préjugés couramment admis dans les discussions sur les problèmes pédagogiques. Ce sont les principes du " pédagogiquement correct " qui seront soumis à l’analyse.
Très habilement, Bernard Kuntz montre que ce sont ces principes qui règlent l’organisation de l’enseignement avec la part considérable accordée à toutes les procédures de remédiation qui tentent, assez vainement, d’éviter les conséquences de l’inégalité des aptitudes et des dons et de maintenir au moins une apparence d’uniformité dans les parcours scolaires. En fait, on aboutit à un gâchis considérable qui fait qu’un élève médiocre se trouve condamné à gaspiller un temps considérable pour n’obtenir qu’une qualification insuffisante sur le plan professionnel, alors que la reconnaissance de son insuffisante aptitude aurait permis de l’orienter différemment. Mais une étape essentielle dans la mise en œuvre de cette pédagogie niveleuse a été franchie lorsqu’on a tenté d’unifier la formation des enseignants de l’école " de base " confiée à un corps unique d’enseignants, objectif imparfaitement réalisé puisque les instituteurs ne sont pas les seuls auxquels est confiée la totalité d’une classe d’âge, mais judicieusement repris par un auteur comme Philippe Meirieu. Toute la pratique de Lionel Jospin n’empêche qu’en dépit des affirmations de principe on a pu identifier les enseignants de l’école de base aux professeurs des écoles. C’est dans ce reste de diversité, soit dans le corps enseignant, soit dans les contenus enseignés ou dans les méthodes, que s’enracinent toutes les pratiques qui autorisent l’adaptation de l’école à des élèves qui, en dépit des dogmes pédagogiques, restent inégaux par leurs dons. Mais ce système ne survit et n’évite l’échec que par l’infidélité aux principes fondamentaux sur lesquels il repose. Dans cette élaboration d’un corps dogmatique constitué de principes qui blessent l’évidence la plus commune, un pas décisif a été franchi lorsqu’on a confondu le collège pour tous, qui est effectivement souhaitable, répondant à un allongement de la scolarité exigé par l’état technique de la société, et le collège unique. C’est faute d’avoir effectué de façon assez nette cette distinction qu’on sera porté à concevoir la prolongation de la scolarité obligatoire comme l’imposition d’une même forme d’école à tous les élèves pendant une période plus longue, confusion qui ne peut qu’être profitable aux dogmes de la correction pédagogique. La distinction du collège pour tous et du collège unique n’est vraiment établie que si on met en cause le premier dogme. En la matière les incertitudes de la pensée de René Haby ont eu des conséquences catastrophiques. Le résultat, c’est ce système éducatif où, faute d’avoir su créer une école adaptée aux capacités de chacun, on soumet tous au même régime de sorte que personne n’apprend plus rien ! D’ailleurs en matière de transmission des connaissances il y a un renoncement de l’école qui au nom du sixième dogme proscrit toute transmission d’un " acquis " classique, ce qui suscite l’opposition radicale de tout un courant communément désigné sous la rubrique de " gauche républicaine " (Debray, Kintzler, Finkielkraut, Coutel) (pp. 119-120). C’est parce que la correction pédagogique impose nécessairement le renoncement à la transmission des fondements de la culture classique qu’elle sera condamnée par certains bons esprits. C’est de là que viendra la révolte qui restaurera l’image du professeur de droite. Il n’est nullement besoin d’attendre le salut d’ailleurs et notamment d’une prétendue restauration de la loi du marché à l’école. N.B. : ce texte était sur le point d’être remis à notre imprimeur, lorsqu’il m’a été donné de prendre connaissance du dialogue publié dans le Figaro magazine de Bernard Kuntz et de Philippe Meirieu. La connaissance de cet intéressant et important document ne me conduit d’aucune façon à réviser mon appréciation. M.B. . Tweet |