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Lettre N° 58 - MISE AU PAS DES UNIVERSITÉS
Les remous soulevés par la réforme du mode de recrutement des enseignants des universités peuvent sembler soit une méchante querelle soulevée par les adversaires de M. Allègre, soit une question si technique que beaucoup réservent leur jugement, supposant que la technicité de la question impose que la détermination du bon choix soit réservée aux seuls spécialistes. Pourtant, si on veut bien évacuer des aspects non pas secondaires, mais moins importants que d’autres, le problème est assez simple, dès lors qu’on dispose de quelques données sur la situation actuelle. Pour certaines disciplines, comme le droit et les sciences économiques, le recrutement des postes les plus importants (ceux de professeur) se fait par un concours national entre candidats dûment qualifiés. En ce cas, la réforme consiste à multiplier les modes de recrutement parallèles, qui ne se fondent pas sur des qualités uniquement scientifiques ou pédagogiques et qui sont naturellement destinés à des candidats qui auront échoué au concours d’agrégation. Je suis bien d’accord avec ceux qui protestent contre cet aspect de la réforme du mode de recrutement. Mais, eu égard à une certaine technicité du problème, je ne développerai pas plus les critiques qui consistent à dénoncer le vieillissement du corps qu’entraînera inéluctablement la réforme. L’autre point, beaucoup moins technique, concerne l’ensemble des disciplines et tous les recrutements, abstraction faite du niveau des postes, qu’il s’agisse de professeur ou de maître de conférences. Il faut rappeler que les enseignants des universités se désignent par cooptation. Précisons : s’il s’agit de nommer un professeur d’histoire ou un maître de conférences de philosophie, ce sont respectivement les autres professeurs d’histoire ou les maîtres de conférences de philosophie, auxquels se joignent les professeurs (considérés comme de grade supérieur) qui en décident. Le principe est simple : chaque discipline est autonome vis-à-vis des autres, et chacun ne choisit ou ne juge jamais ses supérieurs, mais ses égaux ou les collègues de rang inférieur. Mais pour choisir un professeur d’histoire, par exemple, quels sont les professeurs d’histoire qui en décident ? Ici est mise en jeu l’action de deux instances, les unes "nationales" (un comité élu partiellement par tous les professeurs d’histoire de France, et dans une assez faible proportion nommé par le ministre), les autres "locales", propres donc à chaque université : les "commissions de spécialistes" constituées par l’ensemble des professeurs de la discipline ou élues par cet ensemble. Je passe sur la complexité du mécanisme qui exige en quelque sorte l’accord de ces deux instances pour que la nomination soit acquise. J’ai voulu faire aussi simple que possible, quitte à présenter des approximations qui, en toute rigueur, sont fausses. Mais ce qu’il importe de comprendre, c’est le rôle de ces commissions de spécialistes locales à travers lesquelles, par exemple, ce sont tous les philosophes d’une université qui choisissent le collègue qui succédera à l’un d’entre eux parti à la retraite. Tout le monde comprendra alors l’essentiel du dispositif qui assure l’indépendance des universitaires. Mais précisément c’est à cela que M. Allègre entend mettre un terme. Il propose simplement d’adjoindre à ces commissions des membres choisis par le ministre (ou le recteur qui en est le simple représentant) dans la proportion de 40 %. Avec 40 % on fait facilement une majorité... Autant dire que les prétendues commissions de spécialistes seront de fidèles exécutrices des volontés ministérielles. Seule la pudeur a dû préserver de dire carrément : le ministre choisit selon son bon vouloir les enseignants des universités. L’Académie des sciences morales et politiques, réunie en comité secret le 13 octobre 1997, ne s’y est pas trompée. Dans ses observations sévères elle note tout particulièrement que "les commissions de spécialistes destinées dans chaque discipline à se prononcer sur le recrutement et la carrière des professeurs et maîtres de conférences sont traditionnellement composées de tous les professeurs et de maîtres de conférences élus par leurs pairs. Y faire figurer 40 % de membres nommés par le ministre ou le recteur serait rompre avec cette tradition et porter atteinte à l’indépendance des universités telle quelle a été consacrée par le conseil constitutionnel en 1984 et aux principes démocratiques". Il semble que, soucieux d’éviter un tollé général, M. Allègre ait un peu atténué ses projets, mais dans la longue interview qu’il donne au Figaro et dont la seconde partie a été publiée le 4 décembre, il se vante d’avoir fait approuver la veille par le Conseil des ministres la mouture définitive de son projet, dont j’ignore la forme précise qu’il aura reçue dans sa dernière version. J’ose espérer que cet article permettra à tout lecteur, serait-il parfaitement ignorant des us et coutumes des universités, de juger par lui-même de la méthode employée par M. Allègre pour mettre au pas les universités, en leur arrachant ce qui est essentiel à leur indépendance. M.B. Tweet |