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Lettre N° 57 - LES FACÉTIES DU PROFESSEUR ALLÈGRE
Depuis le début du mois, la vie politique d’une morosité consternante - qui s’intéresse encore à la recomposition de l’opposition ? - n’est égayée que par les déclarations intempestives du nouveau ministre de l’Éducation nationale. Si M. Allègre voulait surprendre, faire parler de lui, rattraper le temps perdu, puisque, s’il a tenu depuis près de dix ans un rôle important, il n’est connu du public que depuis quelques mois, il faut reconnaître qu’il a réussi son coup. Depuis une bonne quinzaine, il n’est pratiquement pas de jour où la presse ne lui consacre au moins un entrefilet, mais plus souvent un article de fond, voire un gros titre.
C’est qu’il est si cocasse, le nouveau ministre qui souvent fait accompagner ses propos des réflexions ou des discours de cette mère de famille si convenable, Mme Ségolène Royal. Cocasse surtout quand, dans le rôle d’un Guignol rossant le commissaire, ce ministre d’un socialisme très engagé prend à rebrousse-poil la corporation enseignante et plus spécialement ses syndicats. Il amuse tellement, déroute si profondément, qu’on ne se demande pas si ce qu’il dit est vrai, ni si ses raisonnements sont cohérents et fondés sur des données factuelles fiables, ni enfin quelle politique réelle cache ce masque. Il est temps de mettre fin à ce carnaval, si on ne veut pas que tous succombent au charme de ces nouvelles saturnales. Déjà, on apprend que l’opinion lui serait majoritairement favorable. Faut-il s’en étonner lorsqu’on va constater la bassesse de ses procédés démagogiques ? Et surtout on voit la presse d’opposition incliner de plus en plus en sa faveur, des organismes syndicaux ou parasyndicaux de même tendance manifester une indulgence coupable en face de ses algarades. Il n’est pas jusqu’à Véronique Grousset dans le Figaro-Magazine du 13 septembre qui ne lui témoigne une étrange mansuétude, reconnaissant à cet universitaire - tenu pour un journaliste du seul fait qu’il assure la chronique "Sciences de la terre" dans Le Point -, géologue compétent, dit-on, une dimension de premier plan (ce qui est peut-être un peu excessif) pour la simple raison que M. Jospin admire la supériorité intellectuelle sur les problèmes scientifiques de celui qui fut son camarade de lycée. Je ne parle pas des réactions d’une gauche beaucoup plus critique. Mais, à droite, par un aveuglement étrange, s’il n’était habituel, on a cédé au charme. Seul Présent (du 2 septembre) avec un article de Rémy Fontaine qui m’a beaucoup appris, notamment par ses remarquables citations, semble y avoir totalement résisté. Il est donc temps d’ouvrir les yeux. L’extravagante vision M. Allègre s’est d’abord distingué par deux déclarations : l’une sur l’absentéisme des maîtres, l’autre sur l’usage qu’ils font de leurs congés de formation. Mais il faut joindre à cela ses propos sur l’usage de l’informatique ou sur la répartition des enseignants. Toutes ces déclarations manifestent cette démagogie qui séduit si facilement le public qu’on qualifie habituellement de "poujadiste". Beaucoup reposent sur de simples mensonges ou sur d’indignes insinuations. Commençons par ce qui a le plus frappé : professeurs et instituteurs abuseraient des congés de maladie. Et M. Allègre, qu’aucun chiffre ne fait reculer - en est-il ainsi dans ses publications scientifiques ? - parle de 12 °/o d’absence en moyenne nationale, contre 5 à 6 °/o pour l’ensemble des salariés. Cette déclaration plaît à un certain nombre de parents qui parlent constamment de l’absentéisme des professeurs, confondant congés de maladie, de formation (nous allons en reparler bientôt), vacances et grèves. J’ajoute que, comme on l’a dit bien souvent, un professeur malade et ce sont trente élèves privés de cours, ce qui donne une fausse perception du phénomène. Et M. Allègre, qui n’en est pas à une contrevérité près, ajoute que "les congés de maladie ne sont pas un droit", ce qui est juridiquement faux. Ils le sont dans des conditions parfaitement définies, et si M. Allègre souhaite changer la législation, nous lui souhaitons bien du plaisir ! Pour tordre le cou à certaines légendes, il faut dire que l’absentéisme des enseignants est plutôt inférieur à celui de la moyenne des salariés. Je connais même des établissements secondaires du centre de Paris où il est inférieur à 3 °/o (contre à peu près le double pour l’ensemble des salariés !). Evidemment, la moyenne remonte un peu avec les établissements situés dans les banlieues chaudes dans lesquels les congés, pour "dépression nerveuse" notamment, se multiplient ! Mais à qui la faute ? Les chiffres du ministre sont donc notoirement faux et je serais curieux de savoir sur quels éléments des journalistes se fondent pour dire que toutes les absences ne sont pas décomptées et pas dès le premier jour, sinon sur des allégations sans preuves (le problème des professeurs "en mission" ou "détachés" est tout à fait différent) ; je fais allusion naturellement à l’article de Véronique Grousset {Ibid., p. 33-4). La dénonciation du prétendu abus des congés de maladie a été suivie une semaine plus tard d’une attaque sur les congés de formation. Je cite : on aurait appliqué les règles de la fonction publique à l’Education nationale alors que "les gens de la fonction publique ont un mois de vacances" alors que "les enseignants ont quatre mois de vacances et prennent les congés-formations en plus sur la scolarité". Que les maîtres remplaçants soient mal utilisés, c’est un tout autre problème dont la solution incombe seulement à l’administration de M. Allègre. Passons rapidement sur l’attaque particulièrement indigne contre les vacances des enseignants. Je ne sais pas comment s’y prend M. Allègre pour dénombrer quatre mois ; deux tout au plus pour les vacances d’été, compte tenu de l’astreinte pour les examens. En tout cas, une chose est certaine : j’ai vu pendant les quarante années de ma carrière diminuer l’avantage différentiel des enseignants, relatif à leurs vacances, dont le nombre de jours est resté à peu près stable, tandis que le régime général des salariés qui leur garantissait deux semaines de congé par an (il y a quarante ans) leur en accorde cinq aujourd’hui. Alors, ne confondons pas déclaration politique et propos de Café du Commerce. Quant aux "actions de formation", qui a poussé à leur multiplication, sinon les pédagogues de l’I.N.R.P. (Institut national de la recherche pédagogique), très proches de la gauche ? Qui les a institutionnalisées, faisant de la "formation continue" une obligation pour les universités et pour les enseignants, sinon les socialistes, et notamment M. Jospin, dont M. Allègre était le plus influent conseiller ? Alors qu’on ne vienne pas se plaindre aujourd’hui des effets pervers de ce qu’on a voulu. Ces réunions de formation, parlotes pédagogiques pour l’essentiel, qui font que les enseignants convoqués ici ou là sont absents de leur classe, sont l’œuvre de ceux qui les dénoncent aujourd’hui ou de leurs amis ! Rogner sur les vacances pour les déplacer poserait des problèmes d’intendance redoutables et le statut des enseignants l’interdit de fait. Les créateurs de I.U.F.M. et autres structures dérivées n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ! Mais l’attaque sur les congés de formation était surtout destinée à justifier le souhait de M. Allègre de voir les remplaçants autrements employés, et notamment être envoyés dans les quartiers difficiles (ou Z.E.P.). Indépendamment de l’incongruité qu’il y a dans cette proposition de confier à des débutants des situations difficiles, il faut voir que M. Allègre souhaite accroître considérablement les moyens dans les quartiers défavorisés aux dépens des enfants "bourgeois". 24 élèves par classe, dit-il, ce n’est qu’une moyenne générale, il en souhaite 15 dans les Z.E.P., mais 30 n’a rien d’excessif dans les quartiers faciles. Considérée isolément, cette déclaration n’aurait rien de scandaleux, mais il faut voir qu’elle s’intègre dans tout un ensemble qui conduit le ministre à s’insurger contre une prétendue restauration des filières sélectives (qui commencerait dès le cours préparatoire selon lui !) au profit des "fils de bourgeois" naturellement. Et Mme Ségolène Royal, qui parle toujours très décemment mais utilise des concepts vieillots, n’hésite pas à évoquer cette "discrimination positive", ou "compensatrice" appliquée aux Etats-Unis dans les années 60 qui, avec le "busing" notamment, mêlait les élèves des divers quartiers, pour les mieux intégrer et a donné des résultats si consternants qu’elle fut abandonnée et n’est plus défendue par personne. Il n’y a nulle illusion à entretenir. La politique de M. Allègre sera d’extrême gauche, niveleuse autant qu’il est possible. Fini l’élitisme républicain cher au cœur de M. Chevènement qui a changé de portefeuille. Qu’on ne s’attende pas à ce que l’école de M. Allègre soit avant tout soucieuse de la culture générale. M. Allègre déteste et la culture classique et les mathématiques (ce qui lui vaudra la sympathie des parents en souvenir de leurs propres difficultés, ou de celles de leur progéniture). Son projet est d’introduire Internet partout [dans tous les établissements et toutes les classes en "louant la quincaillerie" (sic)] et il nous annonce : "L’anglais, plus le minitel, plus l’ordinateur, c’est pour le futur comme lire, écrire et compter. Donc, il ne faut pas compter l’anglais comme une langue étrangère, il faut cesser de parler de cette lutte contre l’anglais, c’est quelque chose de complètement obsolète" (cité par Rémy Fontaine, doc. cit.). Il semble qu’on ait oublié que pour se servir du Minitel, il faut savoir lire. En tout cas, qu’on n’attende pas de M. Allègre qu’il défende la francophonie ou développe la part de la culture générale dans les programmes. Le vrai visage de la nouvelle politique A travers les déclarations tumultueuses de l’un et les considérations proférées en un style plus distingué de l’autre, les deux ministres ont fait présager ce que serait leur politique future. Soyons certains qu’il n’y aura nulle innovation par rapport à la politique socialiste des deux septennats précédents que M. Jospin a appliquée de manière persévérante et avec laquelle le ministre d’opposition Bayrou n’a pas osé rompre. Il n’y aura pas de sélection, ni de différenciation des enseignements selon les aptitudes et les vœux des élèves. Tout au contraire, on pourchassera systématiquement tout ce qui pourrait y conduire. "Haro sur l’élitisme des programmes". Bien sûr, les programmes seront allégés, les deux ministres l’ont promis, mais on a souvent entendu de telles promesses et je crains qu’en l’occurrence les allégements se fassent au détriment des disciplines fondamentales. Si on veut faire place à Internet, il faudra bien tailler dans des matières vénérables. Et, comme on va mettre à la disposition de M. Allègre des milliers d’"emplois jeunes", dont le statut reste indéfini, dont personne ne peut dire exactement ce qu’on va en faire, comme il est par ailleurs vraisemblable que parmi ces jeunes figureront pour le mieux des recalés des diverses filières de recrutement de l’Education nationale, vraisemblablement on ne leur confiera pas l’enseignement des disciplines essentielles, mais des activités annexes d’une utilité douteuse pour lesquelles il faudra bien trouver une place dans l’horaire, ce qui ne pourra se faire qu’en réduisant le temps consacré à d’autres disciplines, à moins qu’on ne veuille encore alourdir les programmes ! Et c’est ainsi que par des mesures inconsidérées, on va accroître le désordre qui règne dans le mammouth qu’on gave, alors qu’on annonce qu’on va le dégraisser. Pour en venir à quelques-uns des problèmes particuliers qui préoccupent notablement l’opinion, le premier concerne les rythmes scolaires. Mon seul point d’accord avec M. Allègre sera en définitive pour le féliciter d’avoir dénoncé l’influence pesante qu’exerce l’industrie touristique sur le choix des dates des vacances. Mais si je ne vois pas les avantages manifestes du samedi libre, j’apprécie peu la "sortie" ministérielle contre les familles bourgeoises qui ne pensent qu’à leurs week-ends. En tout état de cause, jusqu’à maintenant aucune solution précise n’a été proposée en ce qui concerne l’organisation hebdomadaire... Second sujet épineux: l’"évaluation" des enseignants dont chacun sait que les mérites et les talents sont très divers. Il est absurde d’écrire que M. Allègre veut "leur promotion au mérite et plus uniquement à l’ancienneté". Il n’y a pas de carrière dans l’enseignement où les promotions se fassent uniquement à l’ancienneté, même si ce facteur est pondéré de façon excessive. Le problème c’est que ce sont les organisations de gauche qui systématiquement ont miné la hiérarchie et notamment l’inspection générale. Le problème n’est pas de faire en sorte que les enseignants soient jugés (on dit dans le jargon actuel "évalués"), mais de savoir par qui ils le seront, et là les problèmes sont plus délicats. Le ministre n’a pas fait part de ses intentions sur le plan général, mais le précédent que constitue la réforme du mode de recrutement des universitaires est singulièrement inquiétant : on substitue à des commissions de spécialistes élus par leurs pairs des commissions dans lesquelles une proportion très importante de leurs membres (40 °/o) serait nommée par le pouvoir politique ou ses représentants (ministre ou recteur). (Selon J. Malherbe, Le Figaro du 15 septembre, p. 14). Aucun gouvernement d’opposition n’aurait osé prendre une telle mesure de peur d’être accusé de "mettre à sa botte" l’Université. Dernier problème auquel les familles sont naturellement très sensibles, celui de la "violence scolaire". Mme Ségolène Royal, qui nous assure que ce sera une "préoccupation permanente" de M. Allègre, entend essentiellement le résoudre par des parlotes qu’elle décrit dans cet inimitable style ampoulé qui caractérise les jeunes socialistes : on organisera à la fin octobre, époque à laquelle on constate toujours un pic de la violence, une semaine sur le thème du "vivre ensemble", une campagne sur la citoyenneté, journées citoyennes qui devront permettre (notamment) d’"inciter les parents à assumer leurs responsabilités", le thème général de l’instruction civique étant "des jeunes responsables dans une école sûre et efficace". Mais, après ce discours digne d’une publicité pour une marque de yaourt, elle ajoute qu’on créera des postes d’infirmières et d’assistantes sociales dans les quartiers difficiles, et des vacations de médecin. Est-ce à dire qu’elle prévoirait déjà le pire, doutant de l’efficacité de son discours à la fois bénin et benêt ? Comme on s’en doute, le style employé par M. Allègre lorsqu’il aborde le problème est tout différent ; mais ce problème, il n’est jamais abordé que sous des angles très particuliers. Alors que les parents lorsqu’ils pensent à la violence pensent d’abord au racket, aux incursions des "grands frères", aux désordres et aux bagarres rangées aux récréations, aux armes véhiculées, aux dealers, M. Allègre leur répond qu’il sera intransigeant avec les pédophiles. Mais si c’est une forme de violence particulièrement basse, ce n’est probablement pas la plus fréquente. Cette réponse n’était qu’une façon d’avouer qu’on n’était pas tellement sûr des remèdes à proposer et qu’on préférait égarer l’auditeur en lui parlant d’autre chose. Aujourd’hui, M. Allègre réitère son procédé en pire : sa lutte contre la violence serait en premier lieu une lutte contre le bizutage. Et une circulaire ministérielle aligne les années de prison qui pourraient s’abattre sur ceux qui pratiquent, encouragent ou tolèrent le bizutage. Je n’ai aucune sympathie pour ces pratiques qui ont pris des formes de plus en plus répugnantes lorsque progressivement notre société s’est enfoncée dans la barbarie à partir de 1968. Mais enfin, il y a quelque disproportion entre les faits en cause et les sanctions dont on menace leurs auteurs. Il faut raison garder. Si M. Allègre ne domine pas ses humeurs, on le verra très bientôt proposer le rétablissement des galères. Maurice Boudot
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