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Lettre N° 47 - ALLOCUTION DE M. ANTOINE HUMBLET
Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je suis très honoré d’avoir l’occasion de vous dire quelques mots en cette fin de manifestation. C’est en ma qualité de Président de l’Organisation internationale pour la défense et la liberté d’enseignement que je suis votre invité. Aussi, je vous dis deux mots sur l’OIDEL. Notre organisation est une organisation non-gouvernementale, une ONG comme on dit, agréée par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe, dont l’objectif fondamental est, par toutes sortes de moyens - études, congrès, publications, réflexions -, de populariser, de répandre l’idée, de faire connaître les fondements de droit international sur lesquels est fondée la liberté d’organiser l’enseignement. Il ne faut pas confondre : nous ne sommes pas une association de défense de l’enseignement libre qui, en Belgique comme en France, se limite souvent à l’enseignement catholique. Toutefois, cet enseignement est la concrétisation du droit qui existe dans certains pays d’organiser librement l’enseignement et de choisir librement son école. Ce que nous voulons, c’est influencer l’opinion publique, parce que si on n’influence pas l’opinion publique, on n’influence pas les gouvernements dans les pays démocratiques. Influencer et informer l’opinion publique pour lui faire prendre conscience du fait que le droit à l’éducation suppose, postule absolument le droit à la liberté pour la société civile, pour chacun, d’organiser l’enseignement, et le droit corrélatif, pour les parents et pour les jeunes gens lorsqu’ils ont la capacité personnelle de choisir, de choisir leur type d’enseignement. Tel est le but de l’OIDEL. C’est une œuvre de longue haleine. Nos arrière-petits-enfants lutteront encore pour le même objectif, mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, et nous sommes donc bien déterminés à mener ce combat. * Votre Président m’a demandé de faire le point sur la situation internationale en matière de liberté d’enseignement, sur son évolution prévisible, ainsi que sur les limites d’une libéralisation des systèmes d’enseignement - vous avez bien entendu ! - et, au même moment, on m’a demandé - et j’en suis ravi - de limiter mon intervention à dix minutes. Comme l’analyse qui m’est demandée nécessiterait un bon week-end de réflexion et de colloque, je vais me limiter à vous proposer deux ou trois pistes de réflexion. L’essentiel, quand on s’adresse à un public comme vous, ce n’est pas de lui dire beaucoup de choses. Parce que si vous lui en dites trop, au fur et à mesure que vous avancez dans votre exposé, il oublie ce que vous avez dit au début et enfin, dans certains cas, ne vous écoute plus, ce qui est encore plus grave. Il finit peut-être par ne rien retirer de votre intervention et le temps est tout à fait perdu pour l’orateur et pour vous. Alors, je crois qu’il est préférable de soumettre deux ou trois idées à votre réflexion pour les heures et les jours qui viennent, puisque vous êtes des personnalités motivées. Vous êtes ici librement, membres de cette magnifique association, parce que vous voulez faire quelque chose, vous voulez influencer, vous voulez peser sur l’évolution. Ma première réflexion concerne la réalisation de l’égalité financière entre l’enseignement organisé par les pouvoirs publics et celui organisé par l’initiative privée, par la société civile. En effet, sans égalité financière, il n’y a pas de réelle liberté de choix. Affirmer dans des textes légaux que la liberté d’enseignement est garantie, mais maintenir un système dans lequel les parents qui choisissent l’enseignement libre sont pénalisés financièrement, c’est une hypocrisie, c’est un mensonge. Aussi, notre premier objectif est d’obtenir des gouvernements que soit assurée l’égalité financière entre l’enseignement organisé par les pouvoirs publics et l’enseignement organisé par l’initiative privée. Effectivement, dans beaucoup de pays d’Europe, la situation évolue favorablement. D’année en année, il y a des progrès et j’ai le privilège d’être le citoyen d’un pays où l’égalité financière est pratiquement totale. Donc, le libre choix sur le plan financier est pratiquement assuré. Nous n’avons pas le chèque scolaire, je pense qu’on devra un jour y arriver. Le chèque scolaire est une indemnité accordée à chaque enfant, selon son âge, en vue de couvrir le coût de l’école. Les parents remettent ce montant au pouvoir organisateur de l’école dans laquelle ils inscrivent leurs enfants. Et ce pouvoir organisateur assume la responsabilité financière de l’école. Dans le courant de l’année prochaine, l’OIDEL compte organiser à Paris un colloque sur le chèque scolaire, qui est déjà en application dans certains pays. Il faudra bien définir la nature de ce bon scolaire et évaluer les obstacles qui s’opposeraient à sa mise en application. Il faut observer que la réalisation de l’égalité financière ne résout pas tout. Dans mon pays, l’égalité financière entre les différents réseaux d’enseignement - Etat, Collectivités locales et privé - est pratiquement acquise depuis une vingtaine d’années. Malgré cela, depuis de nombreuses années l’enseignement est en crise : les parents ne sont pas satisfaits, les enseignants sont mécontents et, pendant toute la semaine dernière, les étudiants de la Communauté française de Belgique étaient dans les rues, bloquaient une réunion gouvernementale pendant quatorze heures. L’égalité financière est une condition nécessaire à la concrétisation de la liberté d’enseignement, mais elle n’est pas suffisante. Il faut même attirer l’attention sur le fait qu’elle peut entraîner une démobilisation des parents. Quand les parents membres d’une association comme la vôtre luttent pour obtenir l’égalité financière - et ils doivent le faire - ils se trouvent mobilisés : l’école est leur affaire. En effet, pour la survie de l’école de leur choix, ils s’imposent des sacrifices financiers. Mais quand la charge financière est entièrement supportée par l’Etat - nous en faisons l’expérience en Belgique - un grand nombre de parents sont moins motivés. L’école est affaire de l’Etat : les parents deviennent des consommateurs, alors qu’ils doivent être des acteurs. En ce qui concerne l’obtention de l’égalité financière, l’obstacle le plus important est d’ordre budgétaire. Il reste idéologique lorsque le combat se livre en faveur d’une école engagée philosophiquement et religieusement par opposition à l’école publique laïque et neutre. C’est la raison pour laquelle les parents doivent essentiellement exiger l’égalité financière entre toute école d’initiative privée (peu importe sa base idéologique) et l’école publique. Dès que le problème ne se pose plus sur le plan idéologique, mais sur le plan de l’égalité entre tous les citoyens, les politiciens doivent y être favorables parce que assurer l’égalité est populaire. La preuve en a été faite en Belgique : c’est la mobilisation des parents de toute opinion, sous l’appellation : "Rassemblement pour les libertés démocratiques" qui a renversé un gouvernement laïc à majorité socialiste, a provoqué des élections anticipées et a mené au pouvoir un gouvernement démocrate chrétien. A ce moment-là, l’ensemble des partis a conclu un pacte dit "pacte scolaire" qui a valeur constitutionnelle. Le combat doit donc se mener en faveur de la liberté d’enseignement et du libre choix, non pas en faveur de l’école catholique comme telle et non pas contre l’enseignement laïc comme tel. Comme je le disais il y a un instant, à partir de là, l’obstacle est budgétaire. Or, il apparaît que, vu sa lourdeur et sa centralisation, l’enseignement public coûte plus cher que l’enseignement organisé par l’initiative privée. En Belgique, l’enseignement national catholique accueille 50 % de la population scolaire et sa charge ne représente que 42 % du budget, c’est-à-dire qu’un élève de l’enseignement libre coûte 60 F au contribuable quand un élève de l’enseignement public coûte 100 F ! L’aspect budgétaire devient un argument favorable à la privatisation. L’obstacle principal demeure les grandes fédérations d’enseignants. * Ma seconde réflexion procède de la précédente : si l’égalité financière n’apporte pas la solution, il faut rechercher celle-ci d’une autre manière. Votre Président y a fait allusion dans son discours au début de cette séance : ce dont nous avons besoin, c’est d’une réforme profonde, d’une transformation des structures. Le slogan de l’OIDEL est : "Nous cherchons créateurs d’écoles". Si l’école ne devient pas une œuvre assumée par des associations animées par les parents et les grands-parents - les grands-parents ont généralement plus d’expérience, de moyens et de temps - et par les enseignants, elle ne sortira pas de la crise. Je viens de citer les enseignants. Leur rôle est capital et leur collaboration active essentielle. L’enseignement est un type d’activité qui postule la cogestion. Les enseignants doivent faire partie intégrante du pouvoir organisateur. En Belgique, la dénomination "pouvoir organisateur" désigne ceux qui assument la responsabilité d’une école ou d’un ensemble d’établissements scolaires : l’Etat est un pouvoir organisateur, comme les départements (chez nous, les provinces) et les communes, comme l’Episcopat catholique, comme certains parents regroupés en associations, type loi 1901 chez vous. Le pouvoir organisateur doit être composé de parents, de grands-parents, voire d’étudiants majeurs et, surtout, d’enseignants motivés. Dans cette structure, l’enseignant n’est plus le fonctionnaire qu’il est devenu dans le type étatique. J’ai la plus grande considération pour les fonctionnaires : mais le statut de fonctionnaire est un statut qui ne peut convenir à la vocation pédagogique. Enseigner et éduquer est une mission qui postule énormément d’engagement personnel et individuel. C’est un métier qui doit rester une vocation. C’est une fonction qui doit trouver sa consécration, à la fois dans la considération des parents et de la société et dans une reconnaissance matérielle et financière. L’enseignant doit bénéficier d’une rémunération au moins égale à celle d’un cadre d’une entreprise industrielle ou financière. Ces institutions d’enseignement seraient comparables à des P.M.E. dans lesquelles chacun est honoré selon ses mérites, en dehors de tout carcan statutaire. Les pouvoirs publics ne sont pas exclus du système, ni les églises, mais les situations de monopole n’existeraient plus. Il faut convaincre le monde enseignant que là se trouve la solution à la crise de l’enseignement. Et enfin, troisième piste : le bac pour tout le monde ! Certains d’entre vous ont peut-être entendu à la radio française, - je l’écoute en voiture - un académicien, qui doit pratiquer un langage qui n’est pas celui qu’il a employé en l’occurrence, mais que je vous rappelle, dire : Monsieur le Président - s’adressant au Président de la République - je vous admire, mais je vous dis, le bac pour tous c’est une connerie ! C’est un académicien français qui a dit cela à la radio, je l’ai entendu sur France Culture. J’ai applaudi, mais pourquoi les politiciens veulent-ils donner le bac à tout le monde ? Parce que les parents le veulent. Ne pas maintenir l’obligation scolaire jusqu’à dix-huit ans et au-delà, ne pas offrir à chacun comme signe de la réussite le fait d’être bachelier, quelle que soit sa vocation individuelle, ce n’est pas accepté par les parents. Et pourquoi ? Parce qu’on n’a plus d’estime pour les fonctions dans la société qui ne sont pas de nature intellectuelle ou académique. Et je comprends fort bien qu’un contremaître de la SNCF qui envie son ingénieur n’ait qu’un vœu, c’est que son fils devienne ingénieur. Le papa peut-être était à même de l’être et les circonstances sociologiques du moment ne le lui ont pas permis. Et il le voudrait pour son fils, mais il se trouve que son fils n’a pas cette vocation, qu’il serait peut-être un excellent conducteur de locomotive et que, dans ce métier, il serait utile et heureux. Alors ce sont les parents, mesdames et messieurs, qu’il faut convaincre. C’est une révolution culturelle. Nous devons revoir nos critères d’appréciation des valeurs dans une vie d’homme : c’est saint Augustin qui souligne que les valeurs du cœur dépassent celles de l’intelligence. Avoir des enfants généreux, travailleurs, doués de bon sens et de jugement, c’est aussi riche, voire davantage, que d’avoir des fils et des filles postgradués ! Et ce dont nous devons témoigner pour que la génération suivante y croie et le veuille, ce dont l’homme peut être fier, ce n’est pas de la fonction qu’il occupe mais de l’excellence avec laquelle il l’assume. Tweet |