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Lettre N° 46 - RAPPORT MORAL
Comme si cela constituait déjà une tradition, pour la troisième fois, nous allons tenir une assemblée générale de notre association qui sera suivie de la remise aux lauréats des prix d’Enseignement et Liberté, décernés par un jury dont M. Cazeneuve veut bien assurer la présidence, ce dont je le remercie vivement.
Pour la troisième fois, c’est à nouveau au Palais du Luxembourg que se déroule cette cérémonie. Je tiens à exprimer à la Présidence du Sénat toute notre reconnaissance pour la sollicitude qu’elle nous marque et le très grand honneur qu’elle nous fait. Au moment de composer ce rapport, après avoir relu les deux précédents, je fus atterré de constater que, pour l’essentiel, j’allais être contraint de répéter ce que j’avais déjà dit deux fois ici-même (et bien souvent rappelé dans la lettre d’Enseignement et Liberté). C’est que la situation générale a très peu évolué et qu’en conséquence ni nos objectifs, ni nos modes d’action ne peuvent donner lieu à d’authentiques innovations. Le monde change rapidement, souvent de façon imprévisible, et pourtant, depuis dix ans la situation n’évolue nullement en ce qui concerne la liberté de l’enseignement dans notre pays. Je ne dirai pas qu’il y a stabilité, mais stagnation, aussi bien dans les institutions que dans les problématiques. Les quelques différences qu’on peut noter depuis 1990 sont loin d’être toutes à l’avantage des défenseurs de la liberté de l’enseignement. Certes, le changement de majorité politique a vraisemblablement éloigné pour un temps les menaces les plus graves, les plus directes et les plus immédiates qui pesaient sur la liberté de l’enseignement. Mais sur le fond, la situation n’est aucunement améliorée. Ne nous en étonnons pas. D’abord tout était mis en place pour que par le simple effet de la pesanteur des nombres, la situation générale des établissements d’enseignement aille en empirant. Personne n’est explicitement revenu sur l’objectif de conduire 80 p. 100 d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. L’objectif est encore loin d’être atteint, mais déjà se font sentir les effets déplorables de cette décision démagogique et inconsidérée. Cette année, les universités ont été proprement submergées par un flot de nouveaux bacheliers qu’elles ne pouvaient que très imparfaitement accueillir. Les difficultés consécutives à cette situation ont été décrites par le menu dans la presse ; mais on s’est beaucoup moins attardé sur les deux questions fondamentales : d’où vient ce surplus d’étudiants, et où vont-ils donc tous ces aveugles ? Une espèce de consensus s’est établi pour ne pas aborder le problème qu’aucun gouvernement n’est en mesure de résoudre : comment lutter contre la prolongation abusive de la scolarisation et contre l’uniformité de formations qui, pour une partie importante de ceux auxquels elles s’adressent, ne déboucheront que sur le chômage. Les statistiques immédiates du chômage, qu’il ne faut pas trop aggraver, l’emportent toujours sur toute autre considération pour ne rien faire. Aussi, les efforts de M. Bayrou pour diversifier les parcours de formation, éviter de précipiter tous les adolescents dans le piège d’un collège unique de M. Haby, maintenir envers et contre tous les filières de qualité, sont à la fois extrêmement méritoires et d’efficacité douteuse. Il faut toujours une dépense d’énergie disproportionnée au résultat pour venir à bout de l’inertie du système. L’institution des C.I.P. qui d’ailleurs ne relevaient pas de l’Education nationale devait nécessairement échouer au printemps. Tout se conjugue en quelque sorte pour que la jeunesse se sente agressée par toute mesure qui pourrait rendre moins assuré ce refuge que constitue pour elle le système scolaire. Le tableau que je viens de tracer concerne l’enseignement en général, et d’abord le secteur public, mais il retentit sur l’enseignement privé, qui d’une part est entraîné dans ce mouvement et, d’autre part, vu l’ampleur des problèmes qui se posent, est très naturellement tenu pour le parent pauvre, encore que privilégié. On ne s’étonnera pas de voir les mêmes problèmes exaspérants qui entravaient les règles de fonctionnement de l’enseignement public se répandre de telle sorte qu’ils se posent aujourd’hui dans les établissements privés et qu’ils finissent par envenimer les rapports de l’autorité ministérielle et de l’enseignement privé catholique. Je veux parler naturellement de la fameuse histoire des foulards islamiques qui régulièrement, depuis cinq ans, malgré d’assez longues éclipses, empoisonne les débats au sujet de l’éducation et perturbe la vie scolaire dans un certain nombre d’établissements. Tout commence à l’automne 89, lorsqu’un principal de Creil décide, en invoquant la neutralité du service public, de faire exclure quelques élèves qui s’obstinent à porter des foulards islamiques. Au lieu de soutenir cette décision courageuse, qui suscite naturellement une de ces polémiques dont la presse est friande, M. Jospin ne veut ni décider, ni légiférer. Il se décharge de ses responsabilités en quémandant un avis du Conseil d’Etat qui ne peut que lui renvoyer la balle en lui rappelant les textes en vigueur, avec toutes leurs ambiguïtés. Et c’est ainsi que depuis cinq ans, au gré des arrêts naturellement divergents des juridictions administratives, les foulards resurgissent ou disparaissent. Parce que le foulard se répandait à nouveau, parce que la signification de son port était mieux connue, M. Bayrou a jugé bon, en septembre, de publier une circulaire qui demande qu’après avoir tenté de convaincre les intéressées, si elles ne veulent pas s’incliner devant les règles communes, on les exclue de l’enseignement public. En même temps, et à très juste titre, la circulaire interdit aux chefs d’établissement toute médiatisation des situations conflictuelles. On ne saurait trop approuver le bon sens et la résolution du Ministre. Mais j’avais exprimé mon scepticisme sur l’efficacité d’une simple circulaire, qui de plus vise presque électivement le "foulard islamique". Comme l’affirmait l’ancien proviseur de Creil : "On ne pose pas le problème de la laïcité en désignant une communauté du doigt [...]. Ce qu’il faut, c’est une loi organique fixant le concept de neutralité de la laïcité." Je pense qu’effectivement on n’évitera pas le vote d’une loi, et plus tôt elle sera votée, mieux cela vaudra. L’affaire est en train de s’envenimer et de prendre une direction qui risque de mettre en cause les libertés qui résultent du caractère propre des établissements sous contrat. Au problème de savoir si la circulaire Bayrou s’applique aux établissements privés sous contrat qui dépendent de l’enseignement catholique, dans un premier temps son auteur avait répondu affirmativement : le concept de laïcité serait fondateur de l’éducation nationale, que ce soit dans sa partie publique ou dans sa partie sous contrat d’association. Il n’en a pas fallu plus pour que le Secrétaire général Max Cloupet voie dans ces propos une mise en cause du caractère propre des enseignements privés et que son successeur, Pierre Daniel, qui n’a pas laissé que de bons souvenirs de la période où, président de l’UNAPEL, il essayait à tout prix de trouver une conciliation avec M. Savary et d’éviter l’épreuve de force qui devait tourner à son avantage le 24 juin 1984, lui emboîte immédiatement le pas : "la présence de jeunes élèves musulmanes éventuellement voilées n’est pas nouvelle dans nos maisons [...]. Elles ont été admises après un long entretien du directeur avec les parents [...]". Je veux bien croire que la loi Debré fasse obligation depuis 1959 aux établissements catholiques sous contrat d’accueillir les élèves indépendamment de leur appartenance confessionnelle. Mais, au moins, les parents doivent-ils accepter le projet d’établissement. Je serais curieux de savoir sur quoi porte ce "long entretien" avec les parents, qui conduit le directeur d’un établissement catholique à inscrire au nombre de ses élèves une porteuse du voile. Je comprends parfaitement que l’enseignement catholique s’inquiète du fait que la circulaire Bayrou puisse remettre en cause les libertés qui lui sont accordées. Mais encore faudrait-il que ceux qui le représentent ne fassent pas preuve de démagogie et qu’on ne détourne pas le contrat d’établissement de son sens primitif. Je doute que la tolérance ou les obligations légales le contraignent à servir de refuge aux porteuses de voile. Heureusement toutes les autorités n’ont pas réagi comme celles que nous venons de citer ni suivi Mme Veil qui aurait proposé de faire appel à des médiatrices musulmanes, comme si le simple appel à une médiation ne signifiait pas qu’on doute de son bon droit. On a pu entendre des paroles de sagesse : "personne ne peut croire que les jeunes chrétiens qui portent une croix, les jeunes juifs qui portent une kipa iront le lendemain servir d’outil à une prise de pouvoir, ou porter atteinte aux droits de l’homme ; les petites jeunes filles qui portent le voile sont probablement innocentes ; mais que signifie cette stratégie de la provocation dans les établissements ? II faut placer le débat dans le domaine politique. Si on s’est laissé piéger en laissant une question politique se déplacer sur une question symbolique d’ordre religieux, c’est la société entière qui s’est fait piéger". On ne peut qu’adhérer à ces fortes paroles du Cardinal Lustiger (lundi 31 octobre, à Europe 1). Toute l’affaire démontre simplement qu’il serait illusoire de supposer l’enseignement privé à l’abri des difficultés qui assaillent le secteur public. Avant le changement de majorité, nous avions appelé de nos vœux deux réformes. La première concernait la formation des maîtres. Nous avions insisté pour que les I.U.F.M. (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) soient supprimés. Après un assez long débat intérieur au gouvernement sans que soient portés à la connaissance du public les arguments échangés, il fut malencontreusement décidé qu’il n’en serait rien. Ainsi reste-t-on avec une encombrante relique de l’ère du socialisme triomphant. La seconde réforme, beaucoup plus importante, concernait la révision de la loi Falloux, de sorte que l’enseignement privé puisse disposer d’aides des collectivités locales afin qu’il soit mis à parité avec le secteur public. On se souvient que la discussion d’un projet de révision d’abord longtemps différé par un caprice de Président de la République, ensuite voté en catastrophe à la fin de l’année 1994 après une mémorable séance au Sénat, a été suivie d’une manifestation où la gauche ressuscitée retrouvait son unité autour d’idées désuètes et en définitive, a donné lieu à la censure du Conseil constitutionnel. Cet échec, dont nous ne devons pas nous masquer la gravité, doit nous servir de leçon. La situation actuelle est profondément bloquée, sauf à imaginer qu’on passe outre ou qu’on contourne l’obstacle que constitue l’arrêt constitutionnel. Il nous reste à chercher comment les pays voisins et comparables au nôtre essaient d’assurer le libre choix des établissements d’enseignement et de surmonter les obstacles analogues à celui que nous avons rencontré, en ce qu’ils résultent de dispositions constitutionnelles. Le cas de l’Italie, où les partisans de la liberté de l’enseignement pour échapper au carcan de la constitution pensent instaurer un système de chèque scolaire, est tellement significatif que j’ai demandé à mon collègue le Professeur Petroni de nous présenter l’état de la question dans son pays. Les travaux qui y sont conduits sont suffisamment avancés pour qu’il y ait beaucoup d’enseignement à en tirer. Comme programme d’action pour l’avenir, je demanderai qu’en plus du renouvellement dans un délai de deux ou trois ans, de l’attribution de prix et éventuellement d’une bourse pour un livre scolaire dans une matière à choisir, à l’instar de ce que nous avons fait pour la biologie, avec succès puisque le livre de M. Didier Pol vient de paraître chez Bordas, l’assemblée nous autorise à organiser une journée d’études sur le problème du financement de l’éducation, si les circonstances sont favorables à la réalisation de ce projet. Bien entendu, nous souhaitons rester membre de l’OIDEL, ce qui nous permet de bénéficier d’une précieuse information notamment sur les pays européens ; enfin nous continuons à collaborer avec les associations de province qui ont un but proche du nôtre. Est-il enfin bien nécessaire de rappeler que l’élection présidentielle sera l’occasion d’exiger des candidats qu’ils explicitent leur position au sujet de la liberté de l’enseignement. Tweet |