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Lettre N° 32 - LA RAGE DE DÉTRUIRE
Faute de place, je ne puis consacrer aux problèmes généraux du système éducatif qu’une analyse extrêmement sommaire. Pourtant, il faut dès maintenant prendre date, car il est à craindre qu’on profite des vacances pour mettre en œuvre des projets qu’on dissimule par une présentation particulièrement brumeuse, de sorte qu’à l’automne on sera mis devant le fait accompli et qu’il sera trop tard pour agir et porter remède à une situation pratiquement irréversible. Je me limiterai à deux questions qui suscitent les plus grandes inquiétudes. LE BACCALAURÉAT D’abord le baccalauréat. La première épreuve était à peine achevée que le premier ministre annonce une réforme radicale, aussi floue dans ses modalités qu’expéditive dans son application : tout devait être changé d’ici 1992. Les réactions devaient être diverses. Les syndicats de la F.E.N. divisés comme à l’habitude. Quant à Monsieur le Ministre d’Etat qui peut consacrer toute son attention à la seule Éducation Nationale, il ne manifestait visiblement qu’un enthousiasme limité pour ce projet. M. Jospin a dû apprendre par expérience qu’il est difficile de faire admettre aux enseignants une réforme qui ne présente pas un minimum de sérieux. Toujours est-il que deux jours plus tard, on apprend que le projet n’exprimait qu’une déclaration d’intention et qu’on ne toucherait pas à la forme du Baccalauréat avant 1995. Mais je voudrais poser trois questions : 1. Pourquoi tout cet émoi artificiellement soulevé au milieu des épreuves. Joue-t-on avec les nerfs des candidats ? Veut-on qu’ils doutent de la valeur de l’examen qu’ils sont en train de passer ? J’ai peur qu’on ait bien peu pensé à ces considérations, à moins qu’on ait eu pour dessin pervers de soulever chez les candidats un tel rejet de l’examen qu’ils accueillent avec enthousiasme la première réforme qu’on leur présentera. 2. Quant à la raison qui rendrait urgente la "réforme du baccalauréat", serpent de mer qui resurgit à la fin de chaque printemps depuis au moins vingt ans, on évoque l’impossibilité d’organiser l’examen, ou plus sordidement son coût excessif, ou enfin la désorganisation de l’année scolaire, le rétrécissement du troisième trimestre qu’il entraîne. Mais enfin, qui a découpé de façon absurde l’année scolaire, avec des vacances de printemps trop tardives, soigneusement séparées des fêtes pascales, sinon le Ministre lui-même ? Quant à l’organisation matérielle des épreuves, elle serait un peu moins difficile si on n’avait pas au préalable précipité vers cet examen des masses d’élèves qui n’ont rien à faire au lycée. Bref, on en vient à penser qu’on crée délibérément les conditions qui rendent inorganisable le baccalauréat pour en justifier la suppression. 3. A supposer qu’on réforme le baccalauréat pour le remplacer par un système dit de "contrôle continu", avec des épreuves passées pour l’essentiel dans l’établissement scolaire, jugées par les professeurs habituels du candidat, il est clair que ce système, qui n’offre pas les garanties d’objectivité et d’homogénéité que seul assure le système de l’examen national avec anonymat des copies, réduit le baccalauréat au rôle de simple certificat de fin de scolarité. Ce système est parfaitement concevable - après tout, c’est celui du Japon - mais sous réserve qu’on laisse aux utilisateurs toute latitude pour vérifier le niveau des élèves qui sortent du secondaire. Par exemple, la logique du système exige que les Universités soient autorisées à instaurer des examens d’entrée, ce qui va contre le sacro-saint dogme du refus de la sélection. On peut débattre au sujet des mérites comparés des deux systèmes, mais ce qui n’est pas tolérable c’est qu’on reste assis entre deux chaises, qu’on laisse miroiter une position médiane strictement irréalisable. A moins que le dessein délibéré de tous ces mouvements désordonnés ne soit un considérable accroissement du nombre des bacheliers qu’on inciterait tous à s’engouffrer dans des Universités qui ne peuvent les accueillir et d’ailleurs où beaucoup d’entre eux n’ont rien à faire. Au milieu du marasme général, il y eut une seule parole de sagesse : c’est lorsque Mme Cresson a eu le courage de dire qu’il faudrait peut-être en revenir en matière d’éducation à certaines formes d’apprentissage. Mais ce ne fut qu’un éclair de lucidité : le patron de la F.E.N. lui a vite fait comprendre qu’elle devait abandonner un projet contraire aux intérêts de son syndicat. Aussi s’est-elle résolument engagée dans une direction opposée à celle qu’indiquait ce propos courageux. LA FORMATION DES MAÎTRES Le second problème est la réforme de la formation des maîtres. Les I.U.F.M. (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) répondent à la volonté de donner des formations très voisines à tous les enseignants (de la maternelle au second cycle des lycées), à priver en partie les Universités du soin de cette formation (alors que c’était l’une de leurs missions traditionnelles) et, sous prétexte de donner toute sa place à la pédagogie, d’alléger le bagage de connaissances de sa discipline exigé d’un enseignant. Tout cela pour satisfaire les appétits gloutons du syndicat des Instituteurs, disposer rapidement d’un personnel malléable formé à la hâte, mais qu’on payera naturellement au rabais. Les I.U.F.M. ont été mis en place dans trois Académies à titre expérimental. Aucun document officiel ne nous a informé du bilan de cette "expérience" ; les seuls éléments d’information véhiculés par la rumeur obligent à penser que ce bilan est lourdement négatif. Le projet est la cible d’innombrables critiques bien fondées. Néanmoins, les I.U.F.M. vont être généralisés dès l’an prochain à l’ensemble de la France. Et toute l’opération est conduite dans un total désordre, et dans une quasi clandestinité. On ne sait exactement ni ce que seront les concours de recrutement des enseignants, ni qui dirigera les I.U.F.M., ni quel rôle exact joueront les Universités. Faut-il qu’on ait de noirs desseins pour avancer de façon aussi sournoise ! Et, pendant ce temps, des établissements scolaires, des maternelles aux collèges, brûlent à Meaux ou quelque part ailleurs, en France. Au lycée Faidherbe, à Lille, au collège République de Bobigny, les professeurs se mettent en grève parce qu’il exigent que leur sécurité soit assurée. On nous apprend qu’au collège Hector Berlioz (Paris XVIIIe) un élève casse le bras d’un professeur ; si j’ai bien compris, il n’est pas certain qu’il ait voulu ce résultat ! J’oublie certainement des cas, car assez étrangement les services de M. Jospin ne sont pas très pressés de faire un bilan exact de la situation. Néanmoins, France-Soir pouvait faire son titre essentiel (numéro daté du 12 juin) sur "la révolte des profs battus". Personne ne doute que cette information multipliera les vocations d’enseignants. Mais, nous le savons, l’éducation est pour ceux qui nous gouvernent depuis dix ans "la priorité des priorités". Maurice BOUDOT
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