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Lettre N° 19 - LA VICTOIRE VOLÉE
Le 24/6/84, les Français manifestaient avec éclat leur volonté de défendre le pluralisme scolaire et forçaient le pouvoir socialiste à reculer dans sa tentative brutale d’unification du système éducatif. Mais, l’euphorie de la victoire peut avoir les vertus de l’opium. Elle anesthésie la vigilance et suscite le rêve. C’est à ce moment qu’un adversaire habile regagne par la ruse ce qu’il a perdu par la force. LE PIÈGE DE CHARME Chacun connaît les talents de M. MITTERRAND. Tirant avec lucidité les leçons du passé, il a le génie des revirements qui transforment en succès les situations les plus délicates, de sorte que, trois ans et demi après cette journée historique, il est parvenu à en neutraliser les effets. Tout en simulant de se soumettre à la volonté populaire, loin de renoncer à son objectif, il choisit de l’atteindre par des voies détournées, moins rapides mais tout aussi efficaces. Il confia, pour ce faire, le Ministère de l’Éducation Nationale à un homme intelligent et subtil qui mit toute son habileté à faire croire que la gauche, troublée par la grande explosion de l’été, abandonnant ses fantasmes intégrationnistes et modérant les ardeurs de ses extrémistes, saurait se contenter de quelques "mesures simples et pratiques" dénuées de toute arrière-pensée idéologique. Mis en place dans un climat trouble de désinformation, le dispositif législatif de M. CHEVENEMENT, loin d’être anodin comme il a voulu le faire croire, constitue, en fait, l’arme cachée du crime parfait : suffisamment imprécis pour permettre des interprétations variables, ces textes peuvent à la fois s’adapter aux exigences d’une temporisation immédiate tout en contenant, pour l’avenir, le poison dont les adversaires du pluralisme scolaire auront besoin pour détruire à bas bruit, le moment venu, la liberté scolaire. En effet, interprétée dans un sens restrictif, la loi JOXE-CHEVENEMENT donne la possibilité à qui le souhaite d’asphyxier financièrement l’enseignement privé, de le marginaliser en limitant son développement et de le détruire de l’intérieur en infiltrant dans ses écoles des maîtres opposés à l’application de leurs projets éducatifs. Que peut-on espérer de plus efficace pour parvenir à cette uniformisation du système scolaire français à laquelle la gauche ne renoncera jamais ? En supprimant la stimulation née de la diversité, l’abolition du pluralisme dans l’enseignement permet le nivellement et représente, pour cette raison, un objectif que l’idéologie socialiste se doit d’atteindre pour assurer sa pérennité. Pour parvenir au but, la sagesse veut qu’après l’échec de 84, elle simule la retraite en préparant la contre-attaque. Seuls certains maladroits tels que M. SIMBRON, secrétaire général de la F.E.N., commettent encore quelques erreurs à la Laignel dont les états-majors affectent de s’indigner, mais l’ensemble des responsables a compris que la tactique idéale consistait à séduire l’adversaire pour exploiter sa confiance et sa crédulité. PROMESSES ET RÉALITÉS Très conscients des menaces qui planent sur le pluralisme scolaire, les candidats de l’actuelle majorité s’étaient engagés, au printemps 86, à renforcer la garantie constitutionnelle de la liberté d’enseignement et à substituer à la législation JOXE-CHEVENEMENT des textes qui, sans se contenter d’affirmer le principe de cette liberté, lui donneraient, dans les faits, des possibilités réelles d’existence. Les mois ont passé. Le nouveau Gouvernement, semblant oublier ses engagements d’hier, s’est contenté de minimiser les effets de la législation en vigueur. Il donna des consignes de "souplesse et de modération" dans l’application de la loi - prouvant ainsi, s’il en était besoin, ses dangers -, prit des mesures, en particulier sur le plan financier, pour assurer la survie immédiate de l’enseignement privé, mais négligea d’entreprendre ces indispensables réformes destinées à écarter les risques pour l’avenir. D’autant plus préoccupés par cette situation que nous sommes à la veille de nouvelles échéances électorales, les Associations et Comités de défense de la liberté d’enseignement sont allés exprimer clairement le 2 juillet 87 leurs craintes et leur désillusion à M. ROGER, Directeur du cabinet de M. MONORY. Faut-il voir là le fruit de notre démarche ? A l’automne, nous prenions connaissance d’un projet de décret concernant les conditions de nomination des maîtres de l’enseignement privé établi à la demande du Premier Ministre. Or, ce texte, satisfaisant puisqu’il redonne aux chefs d’établissement une réelle liberté dans la constitution de leur équipe éducative, reste actuellement en attente à Matignon. Notre détermination, qui a le mérite de la constance, nous conduisit une deuxième fois au Ministère de l’Éducation Nationale, le 2 décembre dernier, pour y apprendre que J. CHIRAC s’interroge désormais sur l’opportunité d’abolir une législation dont l’Enseignement Catholique ne demande pas la modification dans l’immédiat. Lors de l’audience qu’il accorda à quatre de nos représentants le 8 janvier, le Père CLOUPET explicita la position des dirigeants de l’Enseignement Catholique. Elle se résume ainsi : certes la loi JOXE-CHEVENEMENT "n’est pas bonne" et devra un jour être changée, mais "elle n’est pas pernicieuse" parce qu’elle a le mérite de reconnaître "le principe" de la liberté d’enseignement. Dans l’immédiat, l’Enseignement Catholique ne demandera aucune modification de la législation en vigueur, se contentant d’en obtenir une application conforme à ses intérêts et se réservant la possibilité d’intervenir ultérieurement si des difficultés apparaissaient. Stupéfiante analyse que M. VAUJOUR, président de l’U.N.A.P.E.L. porte à son paroxysme en écrivant le 4 septembre 87 aux Présidents départementaux et académiques de son mouvement : "Nous estimons que la loi de 1959, dans son état actuel, a fait l’objet d’un large consensus transcendant les clivages politiques. Elle doit demeurer dans son état actuel, la loi fondamentale qui régit les rapports de l’enseignement privé avec les pouvoirs publics"... Et d’ajouter plus loin : ..."nous devons donc nous fixer pour règle de ne pas interroger les candidats ou les partis sur leurs intentions quant aux relations de l’enseignement privé avec les pouvoirs publics, ni répondre à leurs sollicitations éventuelles autrement qu’en réaffirmant notre position". On croit rêver ! Aucun de nous n’a oublié le temps où, pour sauvegarder son existence, l’Enseignement Catholique se battait en tenant scrupuleusement à l’écart les élus qui voulaient lutter avec lui par peur, disait-il, d’aliéner son indépendance. Il accepte pourtant aujourd’hui, sans murmurer, une législation qui le livre, pieds et poings liés, au bon vouloir du pouvoir politique. Une telle attitude traduit-elle l’inconcevable naïveté de ceux à qui la gauche a réussi à faire croire qu’elle n’est plus ce qu’elle était ou bien plutôt la peur, en défendant sa spécificité, de heurter tous ceux qui, en son sein, appellent de tous leurs vœux ce statut de droit public dont ils attendent tant d’avantages ? Par crainte d’affronter une situation qu’il n’a pas su maîtriser en temps opportun, ne recule-t-il pas le moment où il lui faudra choisir, soit de perdre son âme en se fondant dans un système d’éducation unifié où son caractère propre disparaîtra, soit, débarrassé de ses chimères et de ses déchirements internes, de reconstruire son unité sur des bases solides pour défendre les valeurs auxquelles il croit ? LE DILEMME Quoi qu’il en soit, que fera désormais J. CHIRAC ? Va-t-il écouter les responsables de l’Enseignement Catholique en prenant ainsi le risque de se déjuger aux yeux de ses électeurs de mars 86 ou bien va-t-il décider d’honorer ses engagements et de répondre à l’attente de ceux qui firent le succès de juin 84 ? Comprendra-t-il que les analyses de quelques-uns ne représentent pas l’opinion de l’ensemble ? Au-delà des convictions, où se situe maintenant l’intérêt politique ? Par un curieux paradoxe, l’attitude des responsables de l’Enseignement Catholique - qui prétendent tellement redouter la politisation du problème scolaire -, contraint le Premier Ministre - candidat à la Présidence de la République à analyser la situation en terme électoral. De sa décision, de sa volonté d’établir aujourd’hui les conditions d’un véritable pluralisme scolaire peut dépendre l’avenir d’une liberté. Souhaitons qu’il se souvienne en temps utile des mots qu’il prononça à Nantes le 4 décembre 85 : ... "ne croyez pas que le problème soit réglé. Ce n’est pas vrai. Il y a une grande hypocrisie à se taire ou une grande lâcheté, car, en vérité, les socialistes poursuivent leur chemin (...) Il faut que les responsables de l’enseignement libre le sachent : nous ne les (les socialistes) laisserons pas poursuivre leur route, avec ou sans la complicité de qui que ce soit, et nous sommes bien déterminés à faire en sorte que, demain, l’abrogation de tous les textes existants et qui ont été faits par ce gouvernement dans ce domaine, et l’institution d’une nouvelle législation donnent à chaque famille le droit, sans pénalité, de choisir l’école de son choix". C’est très exactement ce que nous attendons de lui. Ghislaine WETTSTEIN-BADOUR Tweet |