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Lettre N°15 - LES BLOCAGES
49 % des Français estiment que dans le domaine de l’Éducation Nationale la politique du gouvernement est orientée dans la mauvaise direction ; 31 % tiennent cette direction pour bonne, dont seulement 10 % pensent qu’elle a déjà permis d’obtenir des résultats (sondage de la S.O.F.R.E.S. publié dans le Figaro du 13 mars 1987). Parmi les appréciations portées sur l’action gouvernementale, domaine par domaine, c’est de loin la plus défavorable. Certes, on pourrait admirer l’aptitude des personnes interrogées à discerner une quelconque direction dans la politique gouvernementale, tant on a l’impression qu’aucune mesure importante n’a été prise et que la maxime adoptée est de laisser les choses en l’état. Ma première réaction serait presque de me situer parmi les 20 % de sans opinion. Mais, conscient comme chacun que le maintien du statu quo aggrave la situation, qu’avec le temps qui passe de nouvelles générations de jeunes Français voient leur éducation sacrifiée, je me rangerai délibérément au nombre des opinions défavorables. Comment en est-on venu là ? Et s’il y a un responsable immédiat, à qui la faute ? LA VÉRITÉ DE M. DEVAQUET La plate-forme commune de gouvernement R.P.R.-U.D.F. a pu donner prise à un certain nombre de critiques, mais, dans le domaine de l’éducation, il est une question sur laquelle s’était dessiné un large accord, sans réticences notables, qui débordait même les frontières des deux partis strictement concernés : il s’agit de l’enseignement supérieur. L’abrogation de la loi SAVARY était promise ; les principes sur lesquels devait se fonder la rénovation des Universités et de la Recherche nettement affirmés dans une rédaction claire. On sait pourtant ce qu’il en est advenu du projet DEVAQUET qui a donné aux adversaires du gouvernement l’occasion de lui infliger sa première grave défaite. Est-ce à dire que les principes de liberté qui avaient été affirmés se révélaient désastreux lorsqu’on essayait de les appliquer ? Cette conclusion ne s’imposerait que s’il était établi que le projet DEVAQUET reflétait fidèlement ces principes. Tout le monde a reconnu en temps utile l’ambiguïté du texte de M. DEVAQUET qui ne plaisait ni aux uns, ni aux autres, et qui ne trouvait guère de soutien chez ceux qui auraient dû constituer ses partisans naturels. Aujourd’hui les choses sont claires : ce n’est pas du côté qu’on peut imaginer que M. DEVAQUET cherchait des appuis. Dans une interview significativement accordée au Nouvel Observateur (13-19 Mars 1987, pages 38-41), il confirme que ce projet de loi était bien exclusivement le sien. Il en "assume totalement la responsabilité", qui vraisemblablement ne lui sera disputée par personne. Avec beaucoup de complaisance, il nous explique comment son souci fut de s’opposer à ceux qu’il nomme les "ultras de la majorité" dont le Recteur Durand, Conseiller du Premier Ministre pour l’éducation et la recherche, constitue à ses yeux le démoniaque chef de file, et il se vante d’avoir empêché l’examen de la proposition de loi Foyer, conforme aux vœux des ultras. Comme il est rappelé que MM. Barre, Messmer et Gaudin étaient au nombre des signataires de cette proposition de loi, faut-il les compter au nombre des ’’ultras" ? J’en ai bien peur. En tout cas, on a rarement vu un Ministre se préserver de ses amis politiques avec tant de constance et tant de succès. Le projet présenté était imparfait et notamment ambigu. M. DEVAQUET le reconnaît bien volontiers, mais c’est que s’il avait tenu bon sur l’essentiel, il avait dû aussi, quelquefois, "déplacer le curseur" (l’expression est de lui). La rédaction donnée (contre son vœu) à l’article 31, continue de le chagriner. Elle pouvait laisser place à certaines formes de sélection à l’entrée des Universités : "Au cours des discussions à Matignon, le principe de libre entrée fut sauvé au premier alinéa de l’article 31 et assassiné au second". Mais M. DEVAQUET avait trouvé la parade : il avait pris des engagements publics devant les lycéens et les étudiants, interlocuteurs beaucoup plus dignes d’égards à ses yeux que les parlementaires qu’il s’apprêtait à rouler dans la farine puisqu’il pensait "verrouiller cette assurance (du libre accès) dans les décrets d’application de la loi". (Remarquons au passage que ce grand libéral affectionne particulièrement le verbe "verrouiller".) Que penser d’un Ministre plus sensible aux cris de la rue qu’aux vœux du Parlement, et qui feint de concéder d’une main ce qu’il se dispose à retirer de l’autre ? M. DEVAQUET a-t-il jamais eu l’intention d’appliquer la plate-forme commune de gouvernement ? Lorsqu’il écrit que les dispositions de son projet de loi "reflètent (ses) convictions personnelles, telles qu’(il) les (a) construites bien avant le 16 Mars", il faut entendre qu’il appliquait des idées personnelles assez vétustes et assez éloignées de celles sur lesquelles avait été élue une nouvelle majorité. D’ailleurs, la plate-forme promettait l’abrogation de la loi SAVARY, mais M. DEVAQUET tient à préciser : "L’abrogation de la loi SAVARY a été décidée sans que je sois en aucune manière associé à la décision". Que penser d’un Ministre qui se sent aussi libre à l’égard du programme du Gouvernement auquel il appartient ? Je sais parfaitement quelle conclusion j’en tirerai personnellement si je dois un jour être au nombre des électeurs de M. DEVAQUET. UN REPLI STRATÉGIQUE Dans le domaine de l’Enseignement Supérieur, les conséquences de ce recul politique sont très manifestes. Faute de mieux, pour colmater les brèches, chaque université va continuer à vivre sous le régime qu’elle a choisi. Loi SAVARY pour les uns, loi FAURE pour les autres, ou même régime mixte, pendant une "période de réflexion" dont personne n’ose fixer le terme, mais dont chacun pense qu’elle se prolongera jusqu’aux présidentielles. Cette incertitude de l’avenir ne dispose guère à innover, à entreprendre cette rénovation qui devait adapter l’Enseignement Supérieur aux besoins du pays. Ne parlons pas du destin des organismes de recherche dont M. DEVAQUET avait obtenu qu’ils constituent son "domaine réservé" et qui continueront leur paisible existence de dinosaures budgétivores ! Mais les dégâts s’étendent bien au-delà. On sait comment la contestation des lycéens et des étudiants a donné le signal du départ à toute une série de conflits sociaux. J’avais dit que dès l’origine cette contestation visait tout un pan de la politique gouvernementale (la réforme du Code de la Nationalité, la politique sécuritaire). On sait aujourd’hui ce qu’il en est advenu de certains projets gouvernementaux. Bref, des forces politiques ont profité de leur percée et sont bien décidées à exploiter l’avantage. Le gouvernement semble avoir perdu toute capacité d’initiative dans le domaine culturel, ou dans celui des problèmes de société. Tout au plus ses adversaires lui concèdent-ils le droit de résoudre les difficultés économiques ; ailleurs, la moindre initiative se heurte à un tollé. Bien entendu, ce partage des territoires est une duperie. C’est la même logique qui conduisait les étudiants à demander pour tous le libre accès à l’Université et les cheminots à refuser la prise en considération du mérite dans les rémunérations et l’avancement. Que sera la rentabilité des entreprises si leur organisation doit se conformer aux principes de l’égalitarisme niveleur défendu par ces "étudiants" que M. DEVAQUET était si disposé à écouter ? Il n’est pas jusqu’au langage qui n’ait changé. A nouveau on ne parle plus que de "réduction des inégalités". Le terme sélection est censuré, même dans les discours libéraux ; "orientation" fait manifestement plus décent ; les esprits très audacieux se reconnaissent à ce qu’ils qualifient cette orientation de "sélective". Où sont aujourd’hui les audaces de langage auxquelles nous avait habitués M. CHEVENEMENT ? Ces traits seraient cocasses s’ils ne révélaient un état d’esprit qui peut avoir des conséquences catastrophiques. A ne pas affirmer ses idées, on donne à penser qu’elles sont inavouables. LE RETOUR DE LA F.E.N. Bien entendu, c’est dans le domaine limitrophe de celui de M. DEVAQUET que ces effets funestes se font le plus sentir. M. MONORY mettait en application un certain nombre de décisions, peut-être de portée limitée, mais pour l’essentiel bénéfiques. Son action est très sensiblement entravée. Nous avons dit et écrit qu’il était la véritable cible du mouvement de Décembre, à laquelle la F.E.N. n’était pas étrangère, même si elle n’agissait que par le réseau de ses alliés. Il s’agissait de punir un Ministre tenu pour dangereux, parce qu’en privant la F.E.N. de quelques-uns de ses privilèges, il mettait en cause et son pouvoir et son prestige. Tout le confirme : l’extravagante agitation autour du problème des maîtres-directeurs est le prolongement naturel du mouvement de Décembre. Pourtant cette mesure est très limitée, bien accueillie par la majorité des parents ; elle améliore la qualité du "service public" et même également le statut financier des instituteurs. Elle est refusée simplement parce qu’elle instaure un avancement au mérite et parce qu’elle précise les responsabilités de chacun : en cela, elle porte atteinte au pouvoir du S.N.I., attaché à l’unité du corps des instituteurs. Elle fournit ainsi l’occasion d’une agitation endémique, irritante et impopulaire. On invoque contre elle des prétextes mensongers. La présence d’un Directeur priverait les instituteurs de la liberté de choix des méthodes pédagogiques dont ils disposeraient actuellement. Soyons clairs : pour avoir enseigné dans une école normale d’instituteurs, je puis assurer qu’en ce qui concerne le choix des méthodes pédagogiques, la liberté des instituteurs a toujours été limitée, beaucoup plus que ne l’est celle d’un professeur de lycée. Les instructions officielles sont souvent très directives, de nombreuses réunions pédagogiques contribuent à répandre les "méthodes officielles" et la pratique du corps de contrôle (les I.D.E.N.) n’est peut-être pas un modèle de libéralisme. Les publications syndicales de la F.E.N. elles-mêmes contribuent d’ailleurs largement à répandre la doctrine officielle en matière de pédagogie. La présence des maîtres-directeurs ne change donc rien d’essentiel sur ce point contrairement à ce qu’on nous dit. Souhaitons simplement que ce nouveau corps n’offre pas une courroie de transmission supplémentaire pour diffuser les âneries concoctées au sommet par les pédagogues officiels ! Car il n’est pas à exclure que la réforme se retourne contre les intentions de son auteur. Deux réformes pouvaient être entreprises sans difficultés :
Il est à présumer que bientôt la F.E.N. n’autorisera M. MONORY qu’à mettre en application son projet, malencontreux parce que démagogique, de porter à 80 % d’une classe d’âge le nombre des bacheliers ! La situation semble irrémédiablement bloquée et les syndicats ont imposé leur volonté conservatrice. Il n’est que temps de réagir et de cesser d’interpréter l’échec de la politique personnelle de M. DEVAQUET comme la défaite des principes qui auraient dû fonder l’action du Gouvernement en matière d’éducation. Maurice BOUDOT
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