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Lettre N°14 - LA REVANCHE
Faut-il commenter des événements dont la signification, le déroulement et l’aboutissement semblent manifestes ? Je le pense, parce qu’une gigantesque opération de désinformation dupe encore aujourd’hui les Français. Quant à la signification, on met en parallèle ces événements avec le vaste mouvement couronné par la manifestation du 24 juin 1984, qui a réuni, notons-le, une foule numériquement supérieure à toutes celles réunies ces temps derniers. A la revendication au nom de la liberté s’opposerait celle au nom de l’égalité et de la solidarité. Valeurs contre valeurs, dira-t-on. C’est faux : ·Le 24 juin achevait une longue série de manifestations qui toutes s’étaient déroulées dans le plus grand calme et qui avaient reçu l’approbation de la majorité de la population comme l’attestaient tous les sondages (et les résultats des élections européennes qui avaient eu lieu huit jours auparavant). En revanche, quelques semaines avant qu’il ébranle la France, le médiocre projet DEVAQUET n’était connu que de cercles très restreints. Dans sa majorité, la population aurait été très embarrassée pour formuler la moindre opinion à son sujet. D’ailleurs, son adoption au Sénat à la fin du mois d’octobre était passée totalement inaperçue, même dans les milieux d’étudiants. Rien ne peut donc attester qu’il y avait cette fameuse vague de fond au nom de l’égalité ou de la solidarité dont on donne d’ailleurs une interprétation caricaturale. ·Au soir du 24 juin, les manifestants sont rentrés paisiblement dans leur logis, sans avoir obtenu au cours d’une entrevue le plus petit apaisement... pour la simple raison qu’aucune entrevue n’avait eu lieu. Il leur a fallu attendre plus de deux semaines (au cours desquelles aucune manifestation n’avait eu lieu) pour obtenir imparfaitement gain de cause. Il a suffi qu’au soir du 4 décembre Monsieur MONORY ne cède pas tout et tout de suite à des interlocuteurs aussi intransigeants qu’éphémères pour que le caractère des manifestations change du tout au tout. Signe que les intentions étaient tout autres et que les organisations avaient le sentiment de s’appuyer sur un mouvement qui ne pouvait s’entretenir sans s’accélérer. ·Quant au déroulement, le 24 juin était organisé par l’UNAPEL qui veillait scrupuleusement à ce qu’il n’y ait aucun débordement sur un terrain autre que celui concerné par la manifestation ; les organisations syndicales, à l’exclusion naturellement de celles des maîtres de l’enseignement privé, n’étaient pas autorisées à participer à la manifestation, les partis politiques proscrits, la discrétion imposée aux hommes politiques qui n’étaient admis à manifester leur soutien qu’en quelque sorte à titre individuel. Le scrupule était poussé jusqu’au ridicule lorsqu’on faisait tout pour faire oublier aux manifestants que les socialistes avaient bien inscrit à leur programme le projet auquel ils s’opposaient. Le triomphe du 24 juin n’a jamais été exploité par ceux qui l’avaient obtenu pour susciter une quelconque inflexion de la politique gouvernementale hormis le retrait du projet SAVARY. Beaucoup de choses restent à décrire et d’abord à connaître sur l’enchaînement des événements de décembre. Mais il est impossible de nier le caractère politique du mouvement. La télévision nous a complaisamment montré des étudiants qui se disaient "apolitiques" et il n’y a pas lieu de mettre leur parole en doute ; mais nous avons aussi appris que nombre de représentants choisis parce qu’apolitiques étaient changés lorsque leurs mandataires s’apercevaient qu’ils militaient dans des groupes gauchistes ! Il y avait sans cesse de petites révolutions de palais (ou d’amphis) dans lesquelles tel groupe cédait le pas à tel autre. Le mouvement avait pour fin essentielle (partiellement réussie probablement) de politiser une masse de jeunes inorganisés dans laquelle d’ailleurs les lycéens étaient plus nombreux que les étudiants. Car qui peut douter de l’existence d’organisateurs ? L’ampleur des moyens matériels mis en œuvre, qui vont de l’édition de tracts et des voitures de sonorisation dans les manifestations à la disposition de moyens de transport très importants le prouve amplement. La politisation est aussi prouvée par la participation des syndicats (de la manifestation annonciatrice de la F.E.N. le 23 novembre à la présence de la C.G.T. le 10 décembre). Enfin elle l’est parce que de façon permanente des tracts, souvent signés de mouvements politiques et non d’obscurs "comités de coordination", annonçaient qu’il fallait lutter non seulement contre les réformes MONORY et la loi DEVAQUET, mais aussi contre le code de la nationalité et la politique sécuritaire du gouvernement. La récupération politique n’est donc pas un phénomène tardif de guerre de mouvement ; elle a toujours été présente. Inutile d’épiloguer sur le rôle de la télévision, tant il est manifeste. Nous avons constaté que triomphent en France, au moins temporairement, ceux qui ont les honneurs du petit écran et que, littéralement, les autres n’existent pas. Une télévision monolithique est-elle aujourd’hui capable de transformer une agitation parcellaire en quasi-révolution ? Il faut poser la question si l’on se soucie du fonctionnement de la démocratie. Juin 1984 et décembre 1986 ont en apparence le même aboutissement : un projet de loi est retiré dont l’auteur démissionne ; un gouvernement, peu importe après tout qu’il change ou non, est contraint à la pause. Mais là s’arrête l’analogie. Le retrait du projet SAVARY avait satisfait les Français. Leurs idées n’avaient pas changé ; persuadés qu’elles l’avaient emporté, ils étaient un peu trop prêts à se contenter des mesures "simples et pratiques" qui en apparence préservaient l’essentiel. On ne peut dire qu’il en soit de même aujourd’hui. Car on nous a déjà prévenu que le combat est politique et global. D’autres tempêtes sont donc à prévoir, qui auront vraisemblablement d’autres centres, mais dont on fera en sorte qu’elles prolongent la première bourrasque. Quant à l’université, et à l’enseignement en général, on les abandonne à leur pitoyable état. Aucun homme politique n’ose approcher des monstres somnolents. Sous prétexte de se préserver de l’idéologie, on n’ose plus formuler aucune idée sur les finalités de l’enseignement, ni sur son mode souhaitable d’organisation. Les voix raisonnables de gauche qui suivaient Laurent SCHWARTZ lorsqu’il rappelait la nécessité de la sélection se sont tues. Quant à la liberté de l’enseignement, personne n’a osé en parler ces dernières semaines. On se contente de promettre à la jeunesse qu’elle poursuivra ses études aussi longtemps qu’elle le voudra, dans les conditions qu’elle souhaitera... Est-ce donc là la réponse à fournir à son angoisse ? Cette situation durera-t-elle ? Je ne sais. Que pensent le Français de ce triste mois de décembre ? Je l’ignore. Ont-ils changé de système de valeurs ? Il est beaucoup trop tôt pour le savoir. Certains voulaient une revanche sur le 24 juin. Incontestablement, ils l’ont eue. Mais avec quels résultats ! Une jeunesse qu’on s’efforce de couper de la Nation, abandonnée aux seuls flatteurs qui n’ont d’autre souci que de piper ses voix. Est-ce cela qu’ils voulaient ? Maurice BOUDOT
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