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Lettre N° 61 - 3ème trimestre 1998
LA DEMAGOGIE NIVELEUSE EN ACTION LA DEMAGOGIE NIVELEUSE EN ACTION Ceux qui attendaient que les oppositions auxquelles se heurte l’application de la politique de Claude Allègre, oppositions qui viennent notamment de larges secteurs du personnel enseignant, conduisent le ministre à en tempérer les principes fondamentaux ou au moins à ralentir le rythme de leur application, doivent revenir de leurs illusions. D’une année à l’autre, cette politique restera la même. Tout simplement, on étendra le champ d’application des principes qui la régissent. La preuve nous en est apportée par diverses initiatives portées à notre connaissance pendant les vacances, car, contrairement à la coutume, il semble qu’on ne se soit guère assoupi, cet été, dans les hautes sphères du ministère. De façon permanente, on a eu la preuve que n’avaient changé ni le ministre, ni sa politique. Par là, on peut déjà deviner ce que sera la prochaine année scolaire. Le baccalauréat Au mois de juin, alors que se passaient les épreuves écrites de l’examen, la mission de la communication du ministère a publié une brochure, au demeurant très claire et bien constituée, qui présentait des données chiffrées sur la session. On y apprenait, notamment, que le nombre des candidats s’était légèrement accru (635 000), même si les effectifs des baccalauréats généraux sont très légèrement en baisse (par opposition aux baccalauréats technologiques ou professionnels). On n’oubliait pas, au passage, d’indiquer le coût moyen national par candidat (de 244 F à 464 F, selon le type de baccalauréat, et le tarif des indemnités des correcteurs, dont on verra qu’il n’a rien d’excessif !). L’idée qui devait nécessairement se dégager de ce développement est que le baccalauréat revient très cher, et la lecture d’une partie ultérieure, intitulée les coulisses du baccalauréat (p. 19 et 21), qui est un modèle d’exposé, laissera, inévitablement, le sentiment que l’organisation du baccalauréat est un dispositif très compliqué qui met à contribution et dissipe des ressources humaines considérables. Ce qui est en cause, alors, ne concerne que les parties "immergées" du dispositif : pour le reste, tous ceux - élèves ou parents - qui sont au contact des établissements scolaires savent quelles perturbations sème l’organisation du baccalauréat au troisième trimestre. La question : le jeu en vaut-il bien la chandelle ? naît naturellement. Ne pourrait-on pas sans inconvénients majeurs supprimer le baccalauréat ? Pour être honnête, il faut dire que la comparaison de notre système d’évaluation avec ceux de nos voisins européens, objectivement conduite, ne conclut aucunement en faveur d’un système tout différent (avec, notamment, une place privilégiée au contrôle continu). Néanmoins, l’intérêt de cet examen dont le poids est si lourd est une question pendante. Ce qui va lui donner toute son acuité, c’est le bilan de la dernière session, bilan inconnu mais que les rédacteurs de la magnifique brochure dont nous parlons avaient tous les moyens de prévoir. Il devait y avoir en 1998 une augmentation sensible de la proportion des admis, supérieure à 80 %, qui atteint et dépasse même les taux qui ont fait du baccalauréat 1968 un cru légendaire. On dira que ceci change peu par rapport au 76,7 ou 77 % de 1997, lui-même issu d’une progression continue sur plusieurs années. Mais, d’abord, il y a une sorte de hiatus, assez difficilement explicable et qui n’est vraisemblablement pas une variation aléatoire. Tout laisse à penser qu’on a mis en oeuvre divers dispositifs pour améliorer le taux de succès (choix des sujets, composition des commissions de conciliation chargées de rédiger les instructions aux correcteurs, ou les barèmes dans certaines disciplines, composition "équilibrée" des jurys). Faute d’informations suffisantes, et déjà de données précises sur l’accroissement du taux de succès selon les séries, je suis incapable de faire autre chose que formuler des hypothèses. Mais ce 80 % ne me semble pas le pur fruit du hasard. Or, sans céder à une sorte de mystique des nombres, on peut dire que, lorsque le taux de succès au baccalauréat atteint 80 %, l’examen change de nature : il perd une partie de sa signification et tend à devenir une simple formalité. Ce ne sont pas les lauréats qui sont couronnés de lauriers, mais les recalés qui sont offerts à la réprobation générale. Très naturellement, on en vient à penser que le système aurait dû les repérer et les éliminer antérieurement, donc qu’intrinsèquement le baccalauréat est inutile. En tout cas, cet examen, qui coûte si cher et dont l’organisation gaspille tant d’énergie, ne peut conserver toutes les fonctions qu’on lui attribue bien souvent. Il n’est pas un discriminant de la valeur de l’enseignement, dans une classe déterminée ou un établissement donné. On ne peut mesurer la valeur d’un lycée selon son simple palmarès, établi à partir de taux de résultat au baccalauréat. On a pu multiplier les objections contre ce genre de palmarès. Le Monde de l’éducation (septembre 98, p. 25-29) livre à la critique d’un forum cette idée d’un palmarès des établissements qu’il avait lui-même lancée six ans plus tôt. Parmi tous les arguments avancés qui sont loin de me paraître décisifs, il y a une objection indubitable à l’idée d’évaluer les établissements selon les taux de réussite au baccalauréat. Robert Ballion la formule en écrivant que "alors que le taux de réussite au bac avoisine les 80 % (...) ce critère perd beaucoup de sa capacité de différenciation" : affirmation incontestable. Lorsqu’on se souvient de la campagne contre le baccalauréat, lors du colloque Meirieu au printemps dernier, on ne peut éviter de penser que les résultats du baccalauréat avaient cette année quelque chose de providentiel, que dis-je, de presque miraculeux. Et, c’est ainsi qu’en encourageant la démagogie, ou simplement en négligeant de soutenir ceux qui s’y opposent on annihile tout classement, les titres étant également engloutis dans un même néant. Les heures supplémentaires En passant de ces considérations sur le baccalauréat aux diatribes qui ont suivi la publication, le 7 août, d’un décret sur le taux de rémunération des heures supplémentaires, je ne change pas vraiment d’objectif. Il s’agit toujours de montrer comment la politique de M. Allègre est régie par la démagogie. Mais il s’agit d’une autre variante de ce comportement. La démagogie en cause, c’est celle qui s’exerce aux dépens des enseignants, plus exactement des professeurs du secondaire, dépeints comme des privilégiés, grassement payés pour un travail limité qu’ils accomplissent de façon désinvolte. M. Allègre a trouvé la racine de sa popularité auprès de nombreux parents, souvent de droite, dans ses attaques grossières et mal fondées au sujet de l’absentéisme des enseignants : les sondages le manifestent. Alors, sans une finesse, parfaitement inutile en ce cas, il renouvelle l’opération. Cette fois, on va montrer que les professeurs sont de véritables sangsues budgétivores, très économes de leurs efforts. Quelle idée de protester contre une baisse des heures supplémentaires qui arrondissent leur traitement et dont ils sont si avides, alors que des chômeurs cherchent en vain un emploi modeste pour subsister ! Voyons ce qu’il en est exactement. En vertu de son statut, un professeur doit un service hebdomadaire, mesuré en heures de cours : 15 pour un agrégé, 18 pour un certifié. Je passe sous silence diverses considérations - par exemple, décharges pour classes nombreuses - qui modifient cette règle, mais ne touchent pas à l’essentiel. Si son service est plus lourd, on lui paiera des heures supplémentaires. Le taux de rémunération est déterminé selon des principes assez simples et très rationnels. On prend en considération la rémunération moyenne d’un enseignement du grade considéré ( entendons par-là la moyenne entre la rémunération sur dix mois d’un débutant et celle d’un fonctionnaire en fin de carrière dans ce grade ) on la divise par le nombre d’heure dues : on a ainsi le montant de l’heure-année, calculé sur dix mois. M. Allègre a cru opportun de modifier ce mode de calcul, sous prétexte qu’on calculait jusque-là les heures supplémentaires sur 42 semaines théoriques, alors que l’année scolaire n’est que de 36 semaines et qu’il avait besoin d’argent pour financer les emplois jeunes ! Ce qui revient à réduire de près de 20 % la rémunération de ces heures : mesure extravagante prise sans consulter les représentants des personnels. On peut se demander si un ministre qui prend une telle mesure qui devait être, naturellement, qualifiée de provocation ne s’est pas laissé emporter par son humeur. Mais d’abord il conserve quelques alliés dans les rangs syndicaux : le SGEN-CFDT qui applaudit à toute mesure qui restreint la hiérarchie, ensuite "le syndicat des enseignants", petite organisation constituée de dissidents du SNES, qui n’ont pas voulu quitter la FEN avec leur syndicat. Qu’importe que ces organisations ne représentent qu’à peine 20 % des professeurs, d’autant plus que les seuls qui sont visés et atteints sont les enseignants du second degré, tandis qu’instituteurs et professeurs des écoles ne sont nullement concernés. Enfin, M. Allègre sait très bien que, dans le grand public, les attaques contre les personnels enseignants trouvent des oreilles favorables : il suffit de lire les articles consacrés par la presse modérée à une question comme celle dont nous parlons pour s’en convaincre. La partie était donc jouable... je ne dis pas qu’elle a été gagnée, mais, pour l’instant, avec une grève remise par le syndicat le plus important et des négociations engagées, un peu sous la contrainte, la situation reste indécise. C’est que M. Allègre veut exploiter les ambiguïtés des positions de ses adversaires. Que demandent-ils ? À l’exclusion du SNALC, le seul syndicat d’opposition dont la conduite soit franche, non pas simplement qu’on ne baisse pas d’autorité des rémunérations, mais qu’on supprime totalement les heures supplémentaires, en créant des postes obtenus à partir de leur regroupement, ce qui est totalement utopique, car, en divisant les heures d’enseignement dans une discipline donnée, un établissement donné, par le service d’un professeur, on ne tombe pas nécessairement sur un nombre entier ! C’est du reste de cette division que résultent inévitablement certaines heures supplémentaires. Et je passe sous silence le cas des professeurs absents temporairement ou de façon durable, et dont il faut que leurs collègues assurent le service en heures supplémentaires ! C’est aussi ce qui justifie qu’un fonctionnaire ne puisse refuser d’assurer les deux premières heures-années qu’on lui demande (au-delà, il faut qu’il donne son accord). Mais, ce qui est saumâtre, c’est que ce sont ces heures obligatoires qui voient leur rémunération baisser. Et pourtant, quel tissu de sophismes employé par le ministre, et qu’il serait si facile de déchirer ! D’abord, tout le décompte en termes de semaines ne correspond qu’à des approximations et à aucun texte existant. Ensuite le fait qu’on s’attaque d’abord aux heures obligatoires. (Les autres conserveraient-elles leurs rémunérations ?). De plus, on oublie de dire qu’un poste assuré en heures supplémentaires (ce qui est le cas lorsqu’un fonctionnaire est en congé de longue durée) offre à l’État l’occasion de faire de substantielles économies. Enfin, ce fait souvent noté par ceux qui en sont victimes que l’État est le seul employeur qui rémunère nettement moins les heures supplémentaires que les heures normales. Bref, c’est une méchante querelle, mais la mauvaise foi ministérielle pouvait tenter de s’opposer à une certaine hypocrisie de quelques syndicats, en s’appuyant sur une vieille rancœur d’une partie de la population. Ici encore, c’est un bel exemple d’usage de la démagogie. Les manuels scolaires La remise du rapport de Dominique Borne, inspecteur général d’histoire, sur les manuels scolaires, a donné au ministre l’occasion de tempêter une fois plus. Lorsque M. Borne écrit (je cite selon un quotidien) que "un quart à un tiers des manuels scolaires comportent parmi leurs auteurs un membre des Corps d’inspection" et que "un nombre non négligeable des groupes chargés de la rénovation des programmes sont auteurs ou co-auteurs de manuels", je ne saurai le désapprouver. Faut-il rappeler qu’un prix d’Enseignement et Liberté a jadis couronné l'ouvrage de Mme Hélène Huot, Dans la jungle des manuels scolaires, qui dénonçait de semblables connivences. Toutefois, il faut noter qu’il est naturel que des inspecteurs figurent au nombre des auteurs de manuels. La connivence commence si, par exemple, ils abusent de leur pouvoir pour imposer leurs manuels, ou si des fuites permettent à certains éditeurs d’être informés de réformes avant les autres, etc. Dans son rôle d’ange exterminateur M. Allègre est beaucoup plus exigeant : tous sont suspects, sauf le ministre qui dénonce ces livres qui fixent le niveau des programmes - mais quelle autre procédure proposer pour fixer un "usage" interprétant les programmes ? - ou "gavent les enfants de sujets complètement inutiles". Le thème des programmes surchargés, démentiels, est toujours bien reçu. On dénoncera le poids et le prix de ces manuels... au moment où les parents viennent d’être contraints d’ouvrir leur porte-monnaie ! Mais Murielle Frat (in Le Figaro, 9 septembre 1998, p. 25) met au pilori d’autres coupables : les professeurs qui sont inondés de spécimens gratuits (500000 "cadeaux" annuels) qui alourdissent le prix des livres, choyés bien sûr parce qu’ils sont les prescripteurs et qu’ils jouissent d’une totale liberté pour "choisir les bouquins qu’ils imposeront à leurs classes", ce qui n’est que très partiellement vrai. Des propos aussi virulents m’autorisent à formuler une remarque : la distribution de spécimens gratuits est une procédure légitime puisqu’on ne peut demander au professeur qu’il consacre une part importante de son budget à l’achat de multiples manuels simplement pour éclairer son choix. Quant au système qui lui laisse une certaine liberté, il est nécessaire au pluralisme. Le choix est clair : ou ce système, ou celui où un manuel est imposé par quelque autorité émanant d’un État centralisé, avec tout ce qui s’ensuit pour la liberté d’opinion. Je sais les excès auxquels ont conduit les mécanismes de la publicité. Je sais aussi que dans une société de consommation riche comme la nôtre, on a pris la déplorable habitude de faire des livres scolaires qui satisfont tous les instincts ludiques et, en même temps, étourdissent plus qu’ils n’instruisent. Je sais aussi que la concurrence entre éditeurs peut être biaisée, néanmoins je ne vois pas ce qui rend légitime cette attaque virulente du ministre, tout de suite relayé par des journalistes, contre des ouvrages qui ont des défauts, mais qui n’ont pas que des défauts. À moins qu’on ne leur reproche secrètement d’apporter, peut-être avec maladresse, mais d’apporter quand même, quelques connaissances à la population scolaire. Si on voit le peu de place qu’occupe l’apprentissage des connaissances dans les objectifs de l’école, selon les projets ministériels, il y a tout lieu de le penser. La lecture de la "charte" relative à la réforme de l’école élémentaire et intitulée "bâtir l’école du XXIe siècle" le donne à penser. Mais c’est là une autre question qui nous arrêtera ultérieurement. Maurice Boudot Lucien Gorre faisait partie de ce groupe très limité de personnes, diverses par leurs fonctions, leur formation, leur âge et même leurs opinions, que des convictions communes avaient conduit à se réunir et à fonder notre association, pour défendre la liberté d’enseignement, et qui commencèrent en mai 1983 à recruter des adhérents et à diffuser leurs idées. Cet ingénieur civil des Mines, Commissaire contrôleur général honoraire des assurances et ancien chef du corps de contrôle des assurances, m’a toujours impressionné par sa discrétion, sa modestie, mais aussi par la vivacité d’une intelligence qui était également un modèle de rigueur. Homme de convictions, et d’un courage qu’il avait prouvé, en juin 1940 et par son engagement dans la 1e armée lors de la dernière guerre, on pouvait compter sur sa fidélité. Malgré l’affaiblissement de sa santé, il a tenu jusqu’à la fin à être présent aux séances de notre conseil d’administration. Il avait bien voulu également assurer la charge de membre du jury des prix. Enseignement et Liberté lui doit beaucoup et salue, aujourd’hui, sa mémoire. Comme tous les deux ans, depuis 1990, le prix d’enseignement et liberté sera remis à son lauréat par M. Jean Cazeneuve, membre de l’Institut, président du jury, le samedi 24 octobre, à 18 heures, au palais du Luxembourg. Cette manifestation sera suivie d’un rafraîchissement et précédée :
Ces questions appellent la plus grande vigilance de la part des défenseurs de la liberté d’enseignement. Nos deux invités sont particulièrement bien placés pour leur apporter les informations et les réflexions sur lesquelles ils pourront fonder leur action. Les destinataires de cette Lettre, ainsi que l’ensemble de nos adhérents, ont reçu ou vont recevoir, par un courrier séparé, une invitation à cette réunion. Nous enverrons également une invitation aux personnes intéressées dont nos lecteurs voudraient bien nous communiquer l’adresse, en y joignant leurs propres coordonnées. Tweet |