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Lettre N° 53 - 3ème trimestre 1996
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN La commission Fauroux, mise en place à l’initiative de M. Bayrou en septembre 1995, avait pour mission d’établir le bilan le plus objectif possible de l’état de notre système de formation" : elle était invitée à faire des propositions, notamment en ce qui concerne la réorganisation des rythmes scolaires, la revalorisation de la formation professionnelle, la réforme des premiers cycles universitaires. Ses travaux, conduits rondement, avec les inévitables séances d’auditions télédiffusées, se sont achevés au printemps. D’obscurs conflits Avant que les conclusions soient rendues publiques, alors qu’il n’était question que d’un "rapport d’étape", une polémique éclatait. Un quotidien du soir, qui semble être dans la confidence de toutes les instances officielles, était en mesure de faire connaître à ses lecteurs l’essentiel de ces résultats : une liste de seize propositions était donnée en pâture à l’opinion. Leur contenu était tel que les syndicats de la F.E.N. (ou, plus généralement, de la mouvance de gauche) trouvaient motif ou prétexte à s’indigner et à dénoncer une "provocation". Ces réactions, dont la virulence était plus ou moins feinte, expliquent que le ministre ait jugé bon de se démarquer : il fait savoir par son entourage, puis par un communiqué personnel, son "désaccord fondamental" avec les initiatives de la commission dont certaines propositions sont "susceptibles de rallumer la guerre scolaire", dit-il en utilisant une formule rituelle qui a pour but de condamner une proposition sans appel ! (Voir Le Monde du 13 avril 1996, pp. 1 et 12.) A partir de ce moment commence une étrange phase des projets de réforme : on a l’impression que M. Bayrou, plus ou moins tancé par l’Elysée pour sa trop grande prudence et son absence de zèle réformateur, est en quelque sorte opposé à M. Fauroux. Le ministre, qui conserve son poste et l’initiative des opérations, fait en sorte que le rapport de la commission Fauroux ne soit officialisé qu’un peu après qu’il eut annoncé ses propres projets de réforme des premiers cycles universitaires. Si bien qu’on est renvoyé à la mi-juin (le 20 exactement) pour qu’on soit en mesure de juger, après qu’on eut pris connaissance des pièces du dossier. Le rapport Fauroux est enfin édité en juillet, et donne lieu à un nombre raisonnable de commentaires. C’est alors, mais alors seulement, qu’on peut se prononcer en connaissance de cause. Ainsi s’explique que nous ayons très peu parlé des travaux de cette commission qui n’allaient pas être immédiatement sanctionnés par des décisions et sur lesquels on ne pouvait antérieurement avoir que des renseignements incertains. Il est temps de combler cette lacune. Mais notons d’abord l’étrangeté de la situation. En suscitant la formation de cette commission, M. Bayrou semblait vouloir noyer le projet de référendum conçu par le chef de l’Etat et qui avait suscité ses réticences. Voilà que soudain la commission Fauroux devient en quelque sorte un moyen d’aiguillonner un ministre porté au conservatisme par une extrême prudence. Si on ajoute à cela que la composition de cette commission était déroutante et, enfin, que certains de ses membres ont exprimé leur divergence la plus nette sur certains aspects du rapport, il n’est pas abusif de conclure que la situation est assez embrouillée. Depuis trois mois, les conflits latents, réels ou fictifs, se sont apaisés. Le rapport Fauroux est tenu pour une étude précieuse qui alimentera les décisions à prendre ; ce qui ne signifie pas que toutes les propositions seront retenues. Enfin, M. Bayrou annonce son intention de confier à M. Fauroux une "mission" dont la nature n’est pas précisée. Cet aboutissement n’a rien d’étonnant : les fins visées par les deux protagonistes n’étaient pas vraiment distinctes, ni les moyens adaptés pour les atteindre. Il y avait essentiellement une différence d’appréciation concernant la possibilité de mener le processus à son terme sans se heurter à des résistances invincibles. Mais, du coup, lorsqu’on connaît le souci de M. Bayrou de ne rien bouleverser, ne doit-on pas en conclure que le rapport Fauroux, loin d’offrir matière à protestations scandalisées, est en définitive mesuré, au point d’être presque banal par ses jugements et par les remèdes qu’il propose ? Telle est bien en définitive notre appréciation : si on excepte quelques propositions particulières, notamment celles qui avaient suscité le scandale, il n’y avait pas de quoi déclencher une polémique. Un diagnostic, non une thérapeutique Le rapport, contrairement à nombre de documents officiels, ne farde aucunement la vérité : les défaillances du système de formation sont dénoncées avec vigueur. Même s’il note qu’il est difficile d’apprécier le taux d’échec dans les premiers cycles universitaires (p. 15) - les chiffres avancés (40 %) résultant de l’absence d’information sur le destin de très nombreux inscrits dans les universités. Dire que 10 % d’une classe d’âge sortent de l’école sans aucun diplôme, n’a rien d’excessif. Cantonnons-nous au niveau de l’école élémentaire, puisque d’une part ses lacunes sont plus faciles à apprécier et que d’autre part ce sont elles qui ont les conséquences les plus funestes. Pour l’essentiel, le rapport reprend des données bien connues, pour estimer l’ampleur de cet échec (du type proportion d’élèves qui ne lisent pas correctement en 6e). M. Fauroux dira qu’un écolier sur sept entre au collège sans savoir lire, un sur quatre sans savoir compter, deux sur cinq sans savoir distinguer un carré d’un rectangle (interview donnée au Figaro Magazine, le 28 juin 1996, p. 21). Ce qui est plus original, c’est la proposition d’un critère pour estimer la nature de cet échec et la recherche de ses causes. Il y a échec parce que l’école élémentaire ne remplit pas la fonction qui est la sienne - transmettre aux élèves les savoirs fondamentaux -, et cela probablement parce qu’elle n’a pas su distinguer, en matière de savoir, le fondamental et l’accessoire, parce qu’elle a inutilement surchargé les programmes (thème amplement développé). Ces savoirs fondamentaux sont définis de façon assez stricte : "lire, écrire, parler correctement et aisément le français, calculer, connaître les figures et les volumes... se situer dans le temps et l’espace". Toutefois, l’énumération conduit à des objectifs moins précis : "éduquer son corps" ou "faire siennes les valeurs qui sont au fondement de notre démocratie". Sur ce dernier point, lorsque le rapport suggère que la connaissance de la déclaration des droits de l’homme et du préambule de 1946 constitue une condition nécessaire et suffisante à l’apprentissage de la civilité et de la citoyenneté, il se paye d’illusions (p. 103). Aucune indulgence donc sur les performances de l’école et même des considérations féroces pour ceux qui évoquent le taux de succès au baccalauréat : "L’objectif fixé par la loi d’orientation sera atteint au début du siècle prochain... Mais le caractère d’obligation de résultat que le système éducatif attache aux taux de réussite à cet examen conduit à multiplier les moyens de faciliter son obtention. Il y a bien 75 % de réussite, mais le lauréat moyen n’a pas la moyenne dans les épreuves fondamentales. Les présidents de jurys... sont parfois rappelés à l’ordre lorsqu’ils ne respectent pas les normes académiques et nationales de réussite... des instructions d’indulgence... Equivoques connues de tous. Mais nul n’ose les lever." (p. 125.) Après ce constat sans complaisance, qu’attend-on ? une condamnation du collège unique puisque les défaillances à l’issue de l’école élémentaire sont toujours amplifiées par la suite, une demande de sélection à l’entrée des universités, ou enfin la restauration des redoublements obligatoires ? Sur ces trois points, on sera amèrement déçu. Aucune de ces mesures n’est préconisée. La sélection à l’entrée des universités est rejetée sans argumentaire nourri, encore qu’on rende hommage aux filières sélectives, type classes préparatoires aux grandes écoles, qui coûtent cher par étudiant, mais sont en définitive très rentables pour la collectivité. Quant au collège unique, le principe en est à peine écorné par la proposition de développer filières technologiques et enseignements professionnels. Mais c’est sur le problème du redoublement que M. Fauroux est le plus explicite. Il avait écrit : "Il n’y a aucune raison pour que les décisions concernant les "redoublements", prises après mûre réflexion par les conseils de classe, soient annulées par d’expéditives commissions d’appel. Par ailleurs, on rencontre dans de multiples collèges des enfants manifestement rebelles à l’acquisition de connaissances abstraites, sans remettre en cause le principe du collège unique, il faut élargir la pratique des dispositions préparatoires à l’apprentissage accessibles dès l’âge de quatorze ans." (p. 23.) Dans son interview, il dira qu’"il avait d’abord songé à remettre en cause le principe de non-redoublement" mais qu’il a renoncé à le faire. Les raisons ? Une trop grande confiance en l’efficacité des conseils d’orientation qui ferait qu’on pourrait se contenter de persuader sans avoir à obliger et aussi la conscience que semblable mesure soulèverait un tollé. A force de prudence, M. Fauroux ne dispose guère que de quelques placebos. Ce n’est pas en ajoutant ou non une once de contrôle continu au baccalauréat que les choses changeront vraiment. Statut et fonction des enseignants Faute d’un projet cohérent de révision des cursus des élèves, il restait à la commission à proposer un bouleversement dans les conditions d’exercice du métier d’enseignant. C’est sur ce point qu’elle est le plus audacieuse, mais c’est ici aussi qu’elle soulève une tempête qui déborde de loin les rangs des syndicats de gauche. Passons sur les considérations relatives à l’absence de formation professionnelle : "La réussite à un concours difficile évaluant un niveau de connaissances savantes vaut présomption de compétence enseignante." (P. 112.) Nous sommes habitués à ce type de considérations qui ici ne conduisent à aucune conclusion nette. Le bavardage sur le travail en groupe au sein de l’équipe pédagogique qu’exigerait la transdisciplinarité n’atteint pas le niveau de l’insupportable (p. 228). De même l’idée d’accroître le temps de présence des enseignants sans toucher à leurs maxima de services (car visiblement on redoute les réactions s’ils étaient mis en cause) est visiblement mal intentionnée, mais elle ne conduit pas très loin (p. 233). De même demander aux normaliens agrégés qui ne sont pas engagés dans un projet de recherche d’exercer trois ans (à titre de formateurs) dans ces temples de la pédagogie que sont les I.U.F.M. laisse rêveur. Ces instituts créés par M. Jospin sont-ils de tels repoussoirs ? Tout ceci est d’assez mauvais aloi, mais ne constitue pas un ensemble cohérent de réformes. Il en va tout autrement de la pièce essentielle qui concerne le recrutement des enseignants et leurs conditions d’exercice. Je comprends que M. Fauroux souhaite que le choc constitué par le passage du maître unique de l’école élémentaire à la pluralité des professeurs soit en quelque sorte atténué, rendu progressif, pour éviter que les plus fragiles des élèves soient déroutés, en veillant à ce que les maîtres enseignent deux disciplines (au moins). Mais comment réaliser ce vœu sans créer un nouveau corps d’enseignants ? Il y a là le signe d ’une espèce de fascination par la pluridisciplinarité, sans aucune mesure strictement applicable. Mais surtout ces suggestions introduisent la proposition suivante : on nous propose que, sans porter atteinte à leur caractère national, les concours de recrutement des professeurs du secondaire soient organisés régionalement et que les nominations se fassent dans la région de recrutement. On ne voit pas bien le bénéfice de cette réforme (si ce n’est la satisfaction apportée aux fanatiques de la décentralisation). A moins qu’elle ait pour seul but de préparer les propositions relatives au rôle du chef d’établissement. La commission a beaucoup compati au sort réservé aux pauvres chefs d’établissements. Mal rémunérés, souvent moins payés que certains de leurs professeurs - idée qui repose sur des données grossièrement fausses (le salaire net mensuel d’un professeur de classe supérieure n’atteint pas 32.000 F par mois, mais moins de 22.000 F) dont la présence (p. 197) est absolument stupéfiante - les chefs d’établissements, comme d’ailleurs les recteurs et les présidents d’universités, ne disposent que d’un pouvoir très restreint. En particulier, ils ne peuvent ni noter leurs professeurs (sinon par une annotation portée selon des critères restrictifs) ni les choisir pour constituer leur équipe pédagogique. M. Fauroux ne semble pas s’étonner du fait qu’ils arrivent néanmoins à marquer de leur personnalité les établissements dont ils ont la charge. Du coup, on se rallie à une idée qui a eu les faveurs de certains milieux nullement orientés à gauche : le chef d’établissement devrait devenir un chef d’entreprise (quitte, en réalité, à se transformer en petit chef). Le projet est décrit de la façon la plus nette : "La dévolution explicite au chef d’établissement de la responsabilité globale, à la fois pédagogique et administrative, de son lycée ou de son collège, à charge pour lui de constituer de vraies équipes pédagogiques... Dans les cas extrêmes où un professeur ne répondrait pas ou plus aux exigences de ses fonctions, une évolution de carrière devrait permettre de régler le problème en accord avec l’intéressé et le recteur." (p. 32.) Personne n’aurait dû imaginer que de telles propositions qui ôtent au corps enseignant une indépendance dont il est justement jaloux passeraient sans déclencher un tollé. Que le pouvoir des chefs d’établissements demande à être renforcé, sans doute, mais c’est le pouvoir sur les professeurs qui est ici en cause, non le pouvoir sur les élèves. On ne nous propose ni de modifier les procédures de redoublement, ni celles d’exclusion. Le proviseur peut constituer son équipe pédagogique, il semble qu’il n’ait rien à dire au sujet du recrutement des élèves. Au sujet des établissements difficiles, on se contente, selon la tradition, de déplorer que les meilleurs professeurs soient nommés dans les meilleurs établissements ; mais comment en irait-il autrement si on veut que l’ordre de prise en considération des vœux des enseignants reflète leur mérite ? Il y a là, en réalité, une seule idée intéressante en la matière : on propose que les meilleurs élèves de ces établissements difficiles reçoivent des bourses qui leur permettent d’aller suivre leurs études dans les collèges les plus prestigieux (p. 31). La mesure est sûrement d’effet limité, mais elle mérite d’être instaurée. Enfin, une discrimination positive ! En passant du recrutement de l’équipe pédagogique à celui des élèves, j’ai mis le doigt sur ce qui constitue la faiblesse du rapport Fauroux. Un problème a été rigoureusement évacué : celui du choix de l’école. C’est pourquoi, avec la meilleure volonté du monde, on ne pouvait rien proposer de décisif au sujet de la réforme du système éducatif. Maurice Boudot Les spectateurs qui suivaient le bulletin télévisé de TF 1, vendredi 13 septembre à 20 heures, ont assisté à une séquence très instructive sur le traitement des demandes de dérogation aux affectations d’élèves de 6e selon les principes de la carte scolaire. Ce que j’apprenais avait pour moi un parfum de nouveauté. Il en allait différemment pour les lecteurs de Libération : ils avaient pris connaissance le matin même dans leur quotidien sous une forme détaillée des données qu’on leur présentait ici de façon plus sommaire (le titre en page 1 et trois grandes pages). Qu’est-ce qui est en cause ? Comme les collèges ont des réputations (fondées ou non) très diverses, les parents qui se voient imposer un mauvais collège en vertu des principes de la sectorisation tentent d’inscrire ailleurs leur progéniture en demandant une dérogation sous divers motifs. Les demandes concernent à peu près le quart des entrées en 6e à Paris. Ceci est une bonne mesure de la confiance qu’inspirent certains établissements. Soucieux d’enrayer cette atteinte au principe sacro-saint de la sectorisation, craignant que les chefs d’établissement cèdent aux pressions (ou peut-être au souci de rassembler des élèves honorables !), le rectorat de l’académie de Paris a créé un service central qui décide de la suite à donner à la demande. Ce service qui examine à la loupe les pièces présentées à l’appui des demandes (type quittance de loyer) est placé sous l’autorité d’un inspecteur d’académie (!), qui déplore dans Libération qu’on ait essayé d’assouplir la carte scolaire dans certains arrondissements parisiens, en autorisant le choix entre plusieurs établissements, car on n’a fait, dit-il, que renforcer la hiérarchie entre établissements : "Plus un établissement est demandé et plus il trie ses élèves, plus il les fascine." Il se réjouit qu’on en finisse au plus tôt avec ces "secteurs assouplis". Et, bien entendu, Libération applaudit et appelle à plus de rigueur. Où sont les belles promesses de M. Bayrou d’assouplir la sectorisation ? Où est le pouvoir des chefs d’établissements dans tout cela ? Qui aura vu ce reportage sur ce service académique, dont l’atmosphère est à peu près aussi chaleureuse que celle d’un service de la P.J., aura compris. La liberté de choisir son école n’a pas que des amis chez les grands administrateurs de l’éducation nationale. Maurice Boudot
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