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Recours devant le Conseil d’Etat : Conclusions du commissaire du gouvernement
M. Rémi Keller nous a aimablement autorisé à reproduire le texte de ses conclusions sur le recours que nous avons exercé contre l’arrêté du 24 mars 2006 qui préconise l’utilisation de « deux types d’approches complémentaires ».
On sait que, suivant les recommandations de M. Keller, le Conseil d’Etat a déclaré notre recours irrecevable au motif que la liberté pédagogique ne figurait pas dans nos statuts.
Envisageant que le Conseil ne le suivrait pas sur ce point, M. Keller a justifié par ailleurs le rejet de notre recours en argumentant qu’il était en quelque sorte inutile puisque le texte ne donnerait selon lui aucune consigne aux enseignants et les laisseraient libres de n’employer que la méthode syllabique. Cette opinion, basée sur l’argumentation en défense du ministre, ne nous semble pas pouvoir être contestée par ce dernier.
Conclusions de Rémi Keller, commissaire du gouvernement
Cette affaire s'inscrit dans le cadre de la querelle qui oppose, au sujet de l'apprentissage de la lecture, les tenants de la méthode dite globale à ceux de la méthode dite syllabique (plus connue sous le nom de B-A-BA). Les questions de recevabilité qu’elle soulève sont plus délicates que les questions de fond.
L’origine du litige est la suivante. Par un arrêté du 25 janvier 2002, le ministre de l'éducation nationale a fixé les programmes d'enseignement de l'école primaire. Au III de l’annexe de cet arrêté, dans la partie consacrée aux méthodes d'apprentissage de la lecture, figurait la disposition suivante : « La plupart des méthodes proposent deux types d'approches complémentaires » : suivait la définition de la méthode globale et celle de la méthode syllabique.
Cette disposition a été modifiée par un arrêté du 24 mars 2006. Les mots : « La plupart des méthodes proposent deux types d'approche complémentaires » ont été remplacés par les mots : « Pour ce faire, on utilise deux types d'approches complémentaires ».
L'association « Enseignement et Liberté », qui voit dans cette modification une atteinte à la liberté pédagogique des enseignants, a demandé au ministre de l'éducation nationale d'abroger son arrêté modificatif du 24 mars 2006. Elle vous demande d'annuler le refus implicite qui a été opposé à sa demande. En réalité, seule la disposition que nous venons de voir était contestée : vous regarderez donc la requête comme dirigée contre le refus d'abroger cette seule disposition.
I - Le ministre oppose en défense trois fins de non-recevoir dont chacune soulève une petite difficulté.
1. En premier lieu, le ministre prétend qu’une demande tendant non à l’annulation mais à l’abrogation d’un texte modificatif n’est pas recevable, pour deux raisons tenant aux effets de l’abrogation.
D’abord, vous dit le ministre, l’abrogation de la disposition en cause n’aurait pas pour effet – contrairement à son annulation - de remettre en vigueur les dispositions antérieures ; elle aboutirait donc à un texte incomplet et incohérent. Ce raisonnement ne nous semble pas exact. Si un texte modificatif est abrogé, il disparaît pour l’avenir, et avec lui la modification qu’il comportait : il s’ensuit que le texte non modifié est remis en vigueur (voyez, pour un exemple proche : 6 mars 1963, Baron, p. 133).
Le ministre soutient ensuite que l’arrêté contesté, qui a pour seul effet d’apporter une modification dans la rédaction d’un texte, a épuisé ses effets dès son entrée en vigueur. Il n’y a donc pas lieu, en application d’une jurisprudence constante, de statuer sur la demande tendant à ce qu’il soit abrogé. Selon le ministre, c’est la raison pour laquelle, lorsque des dispositions sont codifiées, on abroge les textes initiaux mais pas ceux qui les ont modifiés (qui ne sont plus dans l’ordre juridique). L’abrogation d’un texte modificatif n’aurait donc aucun effet.
On remarquera au passage que cette objection est contradictoire avec la précédente, par laquelle le ministre mettait en avant, au contraire, les effets négatifs qu’aurait l’abrogation demandée.
Cette contradiction mise à part, l’objection doit être écartée.
Bien sûr, si les dispositions attaquées n’avaient qu’un effet temporaire, comme le prétend le ministre, les requérants ne sauraient utilement demander leur abrogation après que ces dispositions auraient produit leurs effets. Ainsi, vous jugez que les dispositions qui prévoient la date d’entrée en vigueur d’un texte ont épuisé leurs effets à la date en question, ce qui rend sans objet une demande postérieure tendant à leur abrogation (16 juin 2000, Confédération nationale du Travail, n° 203128 ; 28 décembre 2005, Brunel, n° 229790).
Mais suivre le raisonnement du ministre revient à nier la portée du texte modificatif. Celui-ci a pour conséquence de mettre en vigueur de nouvelles dispositions. Ses effets ne cessent donc pas au moment où il entre en vigueur ; ils sont identiques à ceux que produirait un texte qui, au lieu de se borner à modifier le texte antérieur, l’abrogerait entièrement pour le remplacer par un autre. Or, vous admettriez évidemment la recevabilité d’une demande d’abrogation dirigée contre ce dernier texte. Il est donc erroné de dire que l’un peut être utilement abrogé et l’autre pas.
Nous ne vous proposons donc pas de retenir la première fin de non recevoir.
2. En deuxième lieu, le ministre conteste l'intérêt pour agir de l'association.
Si l’on se réfère à ses statuts, on constate que l’association a pour objet « la défense et la promotion de la liberté de l'enseignement ». Cet objet est ensuite décomposé en plusieurs thèmes, parmi lesquels figurent « la liberté en matière d'éducation » ou encore « l'indépendance et la dignité de l'enseignement privé ». On voit qu’il s’agit d’une association constituée essentiellement pour la défense de l’enseignement privé.
Il est vrai que les statuts prévoient également de défendre « la liberté du choix de l'enseignement à l'intérieur du secteur public ». En faisant un effort, on pourrait tenter de rattacher à ce thème l’objet du litige. Mais il faudrait admettre que la notion de choix de l'enseignement englobe le choix des méthodes pédagogiques. Or, eu égard aux autres dispositions des statuts, la question de « la liberté du choix de l'enseignement à l'intérieur du secteur public » semble concerner non pas la liberté, pour les enseignants du secteur public, de choisir leurs méthodes pédagogiques, mais plutôt la possibilité, pour les parents, de choisir entre différents établissements publics – c’est la question de la carte scolaire.
Au total, nous inclinons à penser que les statuts de l’association ne lui confèrent pas un intérêt à agir en l’espèce.
3. Enfin - 3è fin de non-recevoir - le ministre soutient que la disposition contestée n’a aucune portée normative.
Rappelons les termes du litige. Dans sa version antérieure, la circulaire disait : « La plupart des méthodes proposent deux types d'approches complémentaires » : suivait la définition de la méthode globale et celle de la méthode syllabique. Dans la nouvelle version, les mots « La plupart des méthodes proposent deux types d'approches complémentaires » ont été remplacés par les mots : « Pour ce faire, on utilise deux types d'approches complémentaires ».
Certes, en décidant cette modification – subtile - le ministre a souhaité mettre l’accent, plus que dans la rédaction précédente, sur la complémentarité des deux méthodes. Mais la nouvelle disposition, prise à la lettre, ne donne aucune instruction aux enseignants : elle se borne à décrire les deux types de méthodes de lecture habituellement utilisées. On peine à donner une portée vraiment impérative à cette disposition, même - comme le dit le ministre – « avec une méthode de lecture particulièrement performante ». Ce qui vous intéressera, dans ce propos du ministre, c’est moins son côté humoristique que ce qu’il révèle, à savoir que l’auteur du texte reconnaît lui-même que la circulaire n’a, sur ce point, aucun caractère impératif : autrement dit qu’elle ne donne aucune consigne aux enseignants sur les méthodes d’apprentissage de la lecture.
En réalité, si les auteurs de la circulaire ont eu recours à cette formule alambiquée, c’est parce qu’ils n’ont pas voulu imposer une méthode aux enseignants, sans doute pour ne pas provoquer de nouvelles réactions sur un sujet toujours sensible. Nous ne pensons pas – et c’est l’argument qui nous détermine le plus – qu’il vous revienne de donner à cette disposition le caractère impératif que l’administration elle-même n’a pas osé lui donner – alors que les auteurs de la circulaire n’ont pas hésité, dans d’autres parties de la circulaire, à employer un ton beaucoup plus impérieux : ainsi, on lit que les élèves « doivent lire et écrire tous les jours », qu’ « un programme de travail doit être mis en place », ou encore qu’ « il convient de multiplier les exercices permettant de catégoriser les unités sonores » - ce qui est à la fois impératif et incompréhensible.
Si vous estimez comme nous que la disposition litigieuse n'a aucun caractère normatif, vous en déduirez qu’elle ne fait pas grief (Section, Commune de Papara, 1er février 2006, p. 40 ; 9 mars 2005, Syndicat national des professions du tourisme ; 19 décembre 2007, Conseil presbytéral de l’église réformée de Sarrebourg).
Vous avez donc le choix entre deux terrains de rejet pour irrecevabilité : soit l’absence d’intérêt pour agir de l’association requérante, soit l’absence de portée normative du texte attaqué – cette dernière solution donnerait d’ailleurs une satisfaction relative à la requérante, puisque vous affirmeriez que le ministre n’a donné aucune instruction sur la question en litige, autrement dit que la liberté des enseignants reste entière.
II – Si vous estimez – ne nous ayant pas suivi - que la demande est recevable, il vous faut maintenant examiner les moyens de l’association.
Au préalable, vous admettrez l'intervention de Mme Ansart de Lessan et de cinq autres particuliers, dont quelques-uns au moins, en leur qualité d'enseignants, ont intérêt à intervenir en l'espèce.
1. Vous ne vous attarderez pas sur l'unique moyen de légalité externe, tiré de ce que le conseil supérieur de l'éducation n'était pas régulièrement composé lorsqu'il a émis un avis sur le projet d'arrêté contesté : ce moyen n'est assorti d'aucune précision.
2. Le moyen suivant est tiré de l'atteinte à la liberté pédagogique des enseignants. Mais cette liberté n'est pas absolue, ainsi qu’il est dit à l'article L. 912-1-1 du code de l'éducation : « La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre ». Or, il entre sans aucun doute dans les attributions du ministre de l’éducation de délivrer des instructions sur une question aussi importante que l'apprentissage de la lecture.
3. Il est ensuite soutenu que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en préconisant l'usage complémentaire des deux méthodes d’apprentissage.
Bien qu’il convienne, en effet, de n’exercer dans ce domaine qu’un contrôle restreint, nous aurions quelque scrupule à vous proposer de vous engager dans une comparaison des mérites de la méthode globale, de la méthode syllabique, et d’une utilisation combinée des deux méthodes. Au demeurant, rien au dossier ne permet d'affirmer que l'approche suggérée par l'administration aurait des conséquences manifestement négatives sur l’apprentissage de la lecture. L'association requérante elle-même peine à vous en convaincre. Ne pouvant pas s’appuyer sur des études conduites en France sur cette question, elle en est réduite à invoquer « des rapports commandés par le gouvernement australien en 2003 », et une étude menée au sein d’une faculté de psychologie écossaise. Quelle que soit la valeur de ces documents, ils ne sauraient emporter votre conviction.
Dans ces conditions, il ne nous paraît pas possible de retenir le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.
4. Enfin, l'association requérante soutient que la disposition contestée crée une rupture d'égalité entre, d'une part, les élèves des établissements publics et des établissements privés sous contrat d’association avec l'Etat, qui sont soumis aux instructions ministérielles, d'autre part, ceux des établissements privés hors contrat - qui n'y sont pas soumis.
Mais le principe d’égalité ne peut pas être invoqué utilement en l’espèce. Car c’est précisément parce qu’ils disposent d’une large liberté pédagogique que les établissements hors contrat sont, au regard de l’objet du texte contesté, dans une situation différente de celle des autres établissements, qui justifie qu’ils soient traités différemment (voyez deux décisions du 4 octobre 1985 : Conseil national de l'enseignement agricole privé, p. 270, et Fédération nationale de l'enseignement privé laïque, p. 272 ; également : 14 mars 1997, Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation, p. 82).
Le dernier moyen, tiré de l’atteinte au principe d’égalité, ne peut donc pas être retenu.
Mais, par les motifs que nous avons exposés tout à l’heure, c’est pour irrecevabilité que nous concluons :
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