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Apport des neurosciences et pédagogie du langage écrit (Janvier 2005)
Dr Ghislaine WETTSTEIN-BADOUR
Janvier 2005 PRESENTATION ET BUTS DE L’ETUDE
Basé sur plus de 25 ans d’exercice médical consacré à aider les enfants, adolescents et jeunes adultes ayant des difficultés dans l’apprentissage de l’écrit, ce travail a pour but de présenter une synthèse des principales connaissances que les neurosciences contemporaines apportent afin de mieux comprendre les mécanismes d’apprentissage de la langue écrite et de dégager, par voie de conséquence, les principes généraux que la pédagogie doit respecter pour donner à tous les enfants un maximum de chances de réussite en ce domaine.
La démarche suivie trouve son origine dans une constatation : la très grande majorité des élèves en difficulté qu’il m’a été donné de voir en clientèle libérale, ne présentait ni handicaps neuro-sensoriels ni anomalies de nature psycho-affective susceptibles d’expliquer leur échec. Quelles raisons pouvaient motiver cette absence de maîtrise de l’écrit qui leur faisait si gravement défaut ?
L’éventualité d’une inadaptation de ces élèves aux pédagogies qui leur étaient proposées méritait d’être envisagée. Mais, pour confirmer ou infirmer cette hypothèse, une nécessité s’imposait : comprendre comment le cerveau opère pour découvrir la signification de la langue écrite puis comparer les exigences de son fonctionnement avec les techniques pédagogiques utilisées dans l’apprentissage celle-ci.
La première phase de ce travail eut donc pour but de tenter d’obtenir une vision claire des mécanismes qui conduisent à la compréhension du sens de l’écrit. Il serait bien prétentieux de déclarer y être totalement parvenu. Cependant, les travaux scientifiques de ces vingt dernières années ont apporté suffisamment d’informations pour permettre d’en déduire le cahier des charges qu’il est possible de proposer pour simplifier le travail du cerveau et apporter à celui-ci les éléments dont il a besoin pour optimiser la mise en place et le fonctionnement des circuits du langage écrit.
Ce travail n’est pas un traité de neurologie et n’a pas la prétention de couvrir de manière exhaustive un sujet aussi vaste et aussi complexe que l’apprentissage de la langue écrite mais de faire la synthèse des principaux acquis des neurosciences qui devraient servir de base à la réflexion pédagogique dans le domaine de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de l’orthographe pour en optimiser les résultats.
Parallèlement à ce travail, une étude personnelle menée sur un échantillon de 431 élèves en difficulté en lecture, écriture et/ou orthographe m’a permis de mettre en évidence la présence, chez ceux-ci, d’une fréquence élevée d’anomalies rarement prises en compte dans les travaux publiés sur ce sujet mais dont l’existence est particulièrement significative. Le détail en est présenté en annexe.
Enfin, cette publication a pour but d’attirer l’attention de tous ceux dont la voix peut-être entendue sur la nécessité d’amener les responsables des choix pédagogiques en matière d’apprentissage de l’écrit à prendre en compte et respecter le mode de fonctionnement que la nature du cerveau nous impose. A une époque où il devient possible, grâce à l’imagerie cérébrale, de constater les effets de l’apprentissage sur la structuration des circuits du langage oral et écrit, il n’est plus acceptable d’élaborer des pédagogies sur des hypothèses que la science contemporaine contredit et d’ignorer l’influence des choix pédagogiques sur la construction de réseaux dont la qualité conditionne les possibilités ultérieures d’accès au savoir jouant ainsi un rôle majeur dans le développement de la pensée conceptuelle.
Si ces quelques pages peuvent, à leur modeste niveau, y contribuer, elles auront atteint leur objectif.
PLAN DE L’ETUDE
PRESENTATION DE L’ETUDE
(p 1-2)
DOMINANCE HEMISPHERIQUE GAUCHE ET TRAITEMENT ANALYTIQUE DU LANGAGE ORAL ET ECRIT
(p.5-6)
LES DIFFERENTS TEMPS DE LA LECTURE
(p.7-31)
LE TEMPS PHONOLOGIQUE (p.8-20)
Identification des sons et constitution du lexique des phonèmes (p.8-13)
Discrimination des sons (p.9-11) Identification des formes et constitution du lexique des graphèmes (p.13-17) Saccades oculaires et lecture (p.14-17) Mise en correspondance du lexique des phonèmes et du lexique des graphèmes (p.17-21) Supériorité de l’apprentissage explicite du code (p.18 - 19)
LE TEMPS SEMANTIQUE ET LA DECOUVERTE DU SENS (p.20 - 31) Le lexique du vocabulaire (p.22 -23) Voie directe d’accès au sens des mots (p 24 - 26) Complémentarité du module phonologique et sémantique (p.27- 31) Effet facilitateur (p.27-29)
CAPACITES LANGAGIERES DE L'HEMISPHERE DROIT
(p.31-33)
ANATOMIE CEREBRALE ET DIFFICULTES D’APPRENTISSAGE DE LA LANGUE ECRITE
(p.34-38) Principales anomalies organiques significatives (p.34 - 36) Modifications de l’asymétrie du Planum Temporale (p.34) Modifications anatomiques constatées après rééducation orthophonique (p.36 - 38) CONSEQUENCES PEDAGOGIQUES (p.39 - 45)
Démarche analytique et apprentissage explicite du code alphabétique (p.39 - 40) Moyens à mettre en œuvre pour permettre un apprentissage explicite optimisé (p .40 - 42) Favoriser la discrimination des sons (p. 40) Moyens à mettre en œuvre pour faciliter le travail du module sémantique (p.42 - 43) Autres exigences pédagogiques (p.43 - 45) Présentation des textes en noir et blanc (p.43)
CONCLUSION
(p.45 - 46)
ANNEXE
(p.47 - 59)
BIBLIOGRAPHIE
(p.60 - 69)
PRESENTATION DU DOCTEUR GHISLAINE WETTSTEIN-BADOUR
( p 70)
DOMINANCE HEMISPHERIQUE GAUCHE ET TRAITEMENT ANALYTIQUE DU LANGAGE ORAL ET ECRIT
De grands noms de la neurologie sont attachés à la connaissance de la localisation très dominante des centres du langage oral et écrit dans l’hémisphère gauche. Les trente dernières années du 20ème siècle ont permis d’approfondir et d’affiner considérablement les acquis antérieurs.
R.W.SPERRY (Prix Nobel de médecine en 1981) par ses études portant sur les effets des commissurotomies pratiquées à cette époque pour traiter les épilepsies gravissimes a beaucoup contribué à la compréhension des rôles de chaque hémisphère et de leur mode de traitement de l’information. Il a fait apparaître la différenciation qui existe entre les signes qui symbolisent le langage oral et les autres éléments de l’information graphique. Les premiers, porteurs de signification sonore, sont pris en charge par l’hémisphère gauche qui les traite de manière analytique. Les seconds, assimilables à des images, sont adressés à l’hémisphère droit qui en découvre la signification par des processus analogiques. (Sperry, 1974, 1980, 1982; Gazzaniga & Sperry, 1967; Franco & Sperry, 1977; Zaidel E, Zaidel DW, & Sperry, 1983; Plourde, Sperry 1984).
Les travaux de Sperry ont été très critiqués par ceux qui pensaient que les éléments issus de ses observations étaient la conséquence d’une réorganisation corticale induite par la pathologie ancienne préexistante. Mais d’autres études, effectuées à partir de lésions inter-hémisphériques survenues à la suite d’infarctus du corps calleux, sans pathologies chroniques préexistantes, arrivent à des conclusions très proches de celles de SPERRY et permettent d’éliminer l’argument d’artéfacts liés aux conditions d’expérimentation (Habib, Ceccaldi & Poncet, 1990a ; Touze, Habib, Blanc-Garin & Poncet, 1990 ; Faure & Blanc-Garin, 1994).
Les procédés les plus modernes d’exploration fonctionnelle du cerveau (IRM.f et PET) confirment, eux aussi, les travaux de Sperry. On constate, en effet, que l’entraînement et l’automatisation de la lecture n’entraîne aucun déplacement des aires de traitement du langage qui restent localisées dans l’hémisphère gauche quel que soit le stade de maîtrise de la lecture. Le fait que chaque hémisphère utilise toujours sa propre technique n’a jamais été remis en cause. Par conséquent, à partir du moment où toutes les opérations conduisant à la production et à la compréhension du langage écrit sont exécutées dans l’hémisphère gauche, leur traitement ne peut être qu’analytique à tous les stades de son développement,
chez le lecteur entraîné comme chez le débutant, et dans tous les types d’écriture qu’il s’agisse de langues idéogrammiques ou alphabétiques.
La similitude de nature entre des différents types d’écriture apparaît à la fois dans les observations cliniques et dans les explorations en imagerie médicale.
Des études japonaises (Iwata, 1986) ont apporté en ce domaine un éclairage particulièrement instructif. Elles ont été
réalisées chez des sujets qui, antérieurement à leurs lésions cérébrales, lisaient deux langues, une alphabétique, le Kana, une idéogrammique, le Kanji. Les lésions importantes de la région temporo-parieto-occipitale droite n’altèrent ni la lecture du Kana ni celle du Kanji. Les sujets atteints de lésions de l’hémisphère gauche responsables d’alexie sont incapables de lire le Kana mais ils parviennent à identifier quelques signes Kanji : ceux qui représentent de manière figurative l’objet qu’il signifie. Il ne s’agit donc plus ici d’idéogrammes mais de pictogrammes assimilables à des dessins. Ceux-ci sont donc traités comme tels et pris en charge par l’hémisphère droit. Ainsi le mot « arbre », représenté en Kanji par la forme stylisée d’un sapin, est reconnu. Par contre, l’ensemble graphique qui correspond au mot « forêt » symbolisé par trois pictogrammes regroupés figurant chacun un arbre, est perçu comme trois arbres successifs. L’hémisphère droit traite cet objet visuel comme une association de dessins mais, en l’absence d’intervention de l’hémisphère gauche, n’a pas accès à la compréhension du concept linguistique que représente ces signes associés.
Confirmant ces faits, l’imagerie médicale montre que les aires du langage activées lors de la pratique de l’écrit sont identiques dans tous les types de lecture que celle-ci soit phonogrammique ou idéogrammique.
Ces travaux montrent clairement que les signes graphiques abstraits porteurs de signification sonore, qu’ils s’agissent de mots ou d’idéogrammes, ne peuvent en aucun cas être assimilés à des images. Traités par l’hémisphère gauche, ils sont donc, eux-aussi, soumis à des procédures d’analyse.
Où s’opère cette différenciation entre les différents types de graphismes ? Les aires visuelles primaires occipitales semblent capables de répondre à la question : « qu’est-ce que je vois ? » (Ungerleider & Mishkin, 1982; Reppas, Dale, Sereno & Tootel, 1996). Il en découle un tri entre les perceptions qui détermine l’orientation de l’information vers les régions les mieux adaptées à son traitement.
Cette prise de conscience de la nature spécifique de l’information linguistique et de son mode de traitement est une donnée qu’il faut impérativement prendre en compte dans l’élaboration d’une pédagogie du langage écrit. Assimiler le mot à un dessin ou à une image que le cerveau photographierait et serait ensuite en mesure de reconnaître de manière globale est un non-sens lié à la localisation dans l’hémisphère gauche des aires de traitement du langage oral et écrit.
LES DIFFERENTS TEMPS DE LA LECTURE
Présenter une synthèse des connaissances dans le domaine du langage écrit est une tâche complexe et inévitablement réductrice dans la mesure où le caractère linéaire du langage et de la pensée qu’il exprime exige d’exposer de manière successive des opérations multiples qui se produisent simultanément dans des circuits bouclés interactifs. En effet, si la conception cybernétique de la circulation de l’information conserve sa place pour expliquer la complémentarité du travail neuronal, de nombreux chercheurs considèrent aujourd’hui que cette notion ne peut pas rendre compte, à elle seule, de la complexité des opérations mises en cause dans l’élaboration et la compréhension des fonctions cognitives complexes et tout particulièrement de celle du langage oral et écrit. Ils pensent qu’il faut lui adjoindre le concept de connexivité qui sous-entend une architecture en réseaux de nœuds interconnectés dont chacun peut activer ou inhiber ceux avec lesquels il est connecté (Paillard, 1999). Cette conception de l’organisation en réseau permet de comprendre que des neurones effectuant des tâches de degré de complexité très divers puissent coexister au sein d’une même aire corticale. L’aire de Wernicke est un bon exemple de cette complémentarité. Y ont été isolés, des neurones qui traitent les informations de base au niveau phonologique et des cellules impliquées dans les opérations les plus élaborées de la recherche du sens. Cette proximité permet d’établir des circuits courts et donc d’accélérer la circulation de l’information dans les réseaux. Ce qu’on pourrait appeler un « désordre organisé » est sans doute le meilleur moyen que la nature ait trouvé pour raccourcir les circuits et optimiser le traitement des informations les plus complexes.
Le concept de connexivité apporte à la compréhension du langage écrit, un éclairage dont l’importance est fondamentale. Certains chercheurs s’interrogent sur l’ordre d’entrée en scène des différents paramètres qui conduisent à la découverte du sens dans la lecture (Habib. 1997, dyslexie : le cerveau singulier. p.109). Le principe de connexivité me semble permettre de répondre à cette question. En effet, si l’information circule dans un système de réseaux de neurones interconnectés, à partir du moment où elle atteint le cortex, toutes les données qu’elle contient s’interpénètrent et il devient alors impossible de définir un ordre dans l’exécution des tâches accomplies.
Malgré le côté artificiel de la présentation successive des opérations qui conduisent à la compréhension du langage écrit, celles-ci seront ici, pour des raisons de clarté, rassemblées en deux groupes qui constituent deux niveaux de traitement de l’information, en sachant que ceux-ci sont totalement indissociables l’un de l’autre.
-1 le temps phonologique de la lecture qui permet de réaliser la liaison entre les signes graphiques et les sons qu’ils représentent;
-2 le temps sémantique qui intègre les éléments identifiés dans des ensembles de plus en plus grands et aboutit à la découverte du sens du message écrit.
LE TEMPS PHONOLOGIQUE
Exécuté par l’ensemble des circuits cérébraux appartenant au module phonologique du cerveau, cette phase de la lecture a pour but de parvenir à la prise de conscience phonologique c’est à dire à la compréhension du lien qui relie les phonèmes de la langue orale aux graphèmes qui les représentent.
Pour que ce travail soit réalisable, le cerveau doit disposer dans sa mémoire de deux lexiques, l’un comprenant l’ensemble des phonèmes de la langue, l’autre la totalité des graphèmes qui leur correspondent. Il pourra alors établir une comparaison entre ces éléments mémorisés et les informations auditives et visuelles qu’il reçoit. Il importe donc de comprendre comment se constitue chacun de ces lexiques et comment s’établit leur mise en correspondance.
Identification des sons et constitution du lexique des phonèmes
C’est le temps de la lecture qui a donné lieu au plus grand nombre de travaux. La bibliographie ci-jointe ne peut en citer qu’une partie très limitée.
Dans toutes les langues, l’écrit a pour but de représenter les sons de l’oral sous forme de signes graphiques. La différence entre les langages réside dans le niveau auquel s’établit le lien entre ces deux formes de symbolismes. Dans les langues idéogrammiques, la correspondance entre les sons et les graphies s’établit soit au niveau des équivalents sonores de nos syllabes (les mores) soit avec l’ensemble du mot. Dans les langues alphabétiques, le lien entre sons et graphismes se réalise entre les unités sonores qui composent les syllabes, les phonèmes, et les signes qui les représentent, les graphèmes. Cette conception de l’écrit allége considérablement le travail de mémorisation en réduisant le nombre de signes graphiques nécessaires pour former les mots. Par contre, elle nécessite de pouvoir identifier tous les phonèmes des mots entendus et de maîtriser les lois de la combinaison des graphèmes qui les représentent ainsi que celles du système orthographique dans les langues où, comme en français, l’écriture du mot varie en fonction de sa nature et de son rôle dans la phrase.
Le nombre de phonèmes et de graphèmes diffère largement suivant les langues. Il existe souvent plusieurs combinaisons graphiques pour transcrire le même phonème. Ainsi l’anglais comporte plus de 1000 graphèmes pour 41 phonèmes. Le français est constitué de 35 phonèmes transcrits par 190 graphèmes. L’Italien et l’Espagnol ont pratiquement autant de phonèmes que de graphèmes. Plus l’écart entre le nombre de phonèmes et de graphèmes est grand, plus l’apprentissage des correspondances entre sons et graphismes est complexe. Ce n’est pas un hasard si la dyslexie touche majoritairement les pays anglophones et francophones alors qu’elle se réduit en général à une simple lenteur de la lecture chez les Italiens et les Espagnols.
Discrimination des sons
Si le langage oral est une fonction cognitive de caractère inné chez l’Homme, la constitution du lexique phonologique n’en reste pas moins une difficulté majeure pour un très grand nombre de sujets.
Pour le mettre en place, le cerveau doit pouvoir identifier avec précision tous les phonèmes qui constituent sa langue en distinguant les uns des autres ceux dont les composantes phonologiques sont proches (ex : p/b/d, s/z/ss/ch, v/f).
L’aire primaire auditive de l’hémisphère gauche poursuit le travail d’analyse entrepris par l’oreille interne et communique aux aires cérébrales concernées par le traitement du langage oral les informations qu’elles traitent au rythme de leur émission. Les sons identifiés sont mis en mémoire pour pouvoir ensuite être reconnus.
La parole est une émission de sons successifs. Qu’il s’agisse d’une succession de syllabes comme dans les langues idéogrammiques (les mores) ou d’une suite de phonèmes, la perception auditive de la parole reste linéaire. C’est probablement à cause de la nature physique de la parole, faite de sons émis successivement, impossibles à globaliser, que le traitement du langage s’est, au cours de l’évolution du cerveau, localisé dans l’hémisphère gauche qui est le seul à pouvoir répondre à la nécessité de traitement analytique que ce mode d’expression impose. L’hémisphère gauche poursuit le travail entrepris par l’oreille interne et met en mémoire les unités sonores constitutives de la langue pour pouvoir ensuite les reconnaître dans les mots. Il s’agit là de processus analytiques de traitement de l’information. C’est bien ce que confirme l’IRM.f qui ne montre aucune différence de localisation du traitement cérébral de l’information quelle que soit la langue pratiquée.
Depuis plus de 25 ans, les publications montrant la nécessité pour le lecteur d’établir les relations entre les unités de sa langue et les signes qui les représentent sont multiples (on trouve parmi les principales Vellutino, 1979; Bradley & Bryant 1983; Perfetti,1985 ; Wagner & Torgensen, 1987 ; Mann, 1987; Lundberg, Frost & Petersen, 1988; Kamhi & Catts, 1989; Libermann, Shankweiler & Liberman, 1989; Adams, 1990; Goswami & Bryant, 1990; Gough, Ehri & Treiman, 1991; Riben & Perfetti, 1991; Vellutino & Scanlon, 1991; Stanovitch, 1992 ; Bruck, 1992; Ball, 1993 ; Tunmer & Hoover, 1993; Vellutino, Scanlon & Tanzman, 1994; Stahl & Murray 1994; Ehri 1994; Rayner & Pollatsek, 1994; Beck & Juel 1995; Fawcet & Nicholson, 1995; Rayner, Sereno, Lesch, Pollatsek, 1995 ; Liberman, 1996; Habib, 1997; Shaywitz, 1996; Habib, Robichon & Démonet, 1996; Torgensen, 1997; Torgensen, 2002, 2004; Francis & Fletcher, 2003 ; Formann, Chen, Carlson, Moats, Francis & Fletcher, 2003; King & Torgensen, 2003 ; ainsi que les très nombreuses publications de J.M.Fletcher et R. Lyon dans le cadre du National Institute of Child Health and Human Devlopment, NICHD).
La place prépondérante qui revient au découpage phonologique est bien résumée par Sally SCHAYWITZ qui écrit dans « pour la SCIENCE » (janvier 1997):
"Le phonème, le plus petit segment du langage, est l’élément fondamental du système linguistique…Les mots ne sont identifiés, compris, stockés ou retrouvés dans la mémoire qu’après avoir été décomposés en phonèmes par le module phonologique du cerveau". L’auteur explique que l’homme est le seul être à disposer dans le cerveau d’un "module phonologique génétiquement déterminé (qui) assemble automatiquement les phonèmes en mots pour celui qui parle et décompose les mots parlés en leurs composants phonologiques pour celui qui écoute". Elle précise:"L’information de plusieurs phonèmes est (ainsi) incorporée dans une seule unité sonore et, comme il ne subsiste pas d’indice apparent de la nature segmentée du discours, les mots semblent monolithiques… Mais le système linguistique humain distingue les (…) phonèmes composant ce mot. La lecture fait intervenir le langage parlé et se fonde également sur un traitement phonologique… Celui qui lit doit transformer les signes visuels de l’écriture alphabétique en signes linguistiques, c’est-à-dire décoder les graphèmes et les coder en phonèmes correspondants. A cette fin, les lecteurs débutants doivent d’abord identifier la structure phonologique des mots parlés; puis ils doivent comprendre que l’orthographe, la séquence des lettres sur la page, représente les mots. Un enfant qui apprend à lire réalise cette recombinaison."
L’inscription dans le code génétique de l’Homme de cette aptitude très particulière à discriminer les sons est prouvée par les expériences de succion non nutritive chez des nouveau-nés. Elles montrent que l’enfant apprend très vite à discriminer les sons de sa langue maternelle (Bertoncini, Floccia, Nazzi, & Melher, 1995 ; Van Ooijen, Bertoncini, Sansavini, & Melher, 1997). Cette aptitude a également été visualisée en IRM.f chez des enfants de 2 à 3 mois (Dehaene-Lambertz & Dehaene S, 1994).
L’enfant acquière très tôt la possibilité d’utiliser des structures neuronales qui lui permettent d’identifier une unité sonore universelle (la syllabe ou la more).L’exposition à la langue maternelle intervient ensuite pour adapter la discrimination aux besoins propres de chacune d’entre elles. Elle s’arrête aux mores dans les langues idéogrammiques mais se poursuit jusqu’à l’identification des phonèmes dans les langues phonogrammiques. Les sujets qui pratiquent
des langues idéogrammiques où l’analyse phonologique n’intervient pas éprouvent de très grandes difficultés pour accéder ultérieurement à la conscience phonologique exigée par l’usage des langues phonogrammiques auxquelles ils n’ont pas été exposés dans les premières années de leur vie (Bertelson 1986 ; Mann, 1987 ; Read, Zang, Nie & Ding, 1987; Habib, 1997). De même, il a été clairement mis en évidence que les illettrés présentent très fréquemment des difficultés de reconnaissance phonologique (Morais, Bertelson, Cary & Alegria, 1987). Cette incapacité à discerner les phonèmes de leur langue constitue un handicap majeur qui les a empêchés d’accéder à la maîtrise de l’écrit.
Si la segmentation phonologique est une aptitude innée, celle-ci n’atteint pas pour autant le même degré de qualité chez tous les sujets. P.Tallal a montré qu’il existe d’importantes variations entre les sujets en ce qui concerne les capacités de discrimination des sons. Elle a explicité le fait que si le cerveau peut différencier des sons séparés en moyenne de 20 millisecondes, la plupart des dyslexiques ont besoin de 300 à 500 millisecondes pour parvenir à ce résultat. Ceci leur rend très difficile la séparation de la perception des phonèmes dans un discours de fluidité normale (Tallal & Percy, 1973).
Les capacités d’adaptation à la discrimination phonologique, maximales dans les trois premières années de la vie, diminuent assez rapidement ensuite mais lorsque l’évolution du langage se produit normalement, la conscience phonologique est acquise vers l’âge de cinq ans. De nombreuses études (dont celles de Libermann, Shankweiler & Libermann, 1989 et Libermann, 1996) montrent cependant que 30% des enfants de six ans n’ont pas acquis la conscience des phonèmes. Il leur est encore possible de corriger cette carence mais ils ne peuvent plus y parvenir seuls. Sans aide, ils conserveront tardivement ces perturbations (Torgensen, Wagner, Rashotte, Alexander & Conway ; 1997). Ce pourcentage important d’enfants qui présentent des difficultés de discrimination des sons permet de penser que dans une population scolaire standard, de nombreux élèves, sans être de vrais dyslexiques, présentent cependant des anomalies neurologiques qui, pour être plus limitées, n’en sont pas moins perturbatrices au moment de l’apprentissage de la lecture.
Le caractère prédictif des capacités de discrimination phonologique.
L’importance de la discrimination phonologique est telle que la capacité de segmentation de la chaîne sonore en phonèmes vers l’âge de cinq ans est considérée comme l’élément prédictif le plus important en matière d’apprentissage de la lecture. C’est également le meilleur indicateur des dyslexies (Ball & Blachman, 1991 ; Bradley & Bryant, 1983; Byrne, Fielding-Barnsley, 1991, 1993, 1995; Cunningham, 1990 ; Lundberg, Frost & Petersen, 1988; Habib, Robichon, Démonet, 1996 ; Habib, 1997).
Les études mentionnées dans la publication en 2000 du rapport du NICHD (National Reading Panel 2000) montrent que le rôle prédictif de la discrimination phonologique est indépendant des conditions de vie socio-économiques : seuls 27% des enfants identifiés comme étant « à risques » dans le domaine de l’apprentissage de l’écrit étaient issus de famille dont le niveau socio-économique était faible. Cette constatation est d’une grande importance. Le fait que la capacité de discriminer les phonèmes soit indépendante des conditions d’environnement conduit à penser que dans toutes les classes, un nombre non négligeable d’enfants est porteur de difficultés de discrimination des sons qui les empêcheront d’accéder à une lecture correcte.
Une des manifestations de l’interactivité qui caractérise le fonctionnement des circuits cérébraux s’exprime par le fait que si la prise de conscience de la nature phonologique de la langue est essentielle à la réussite de l’apprentissage de l’écrit, cet apprentissage joue à son tour un rôle facilitateur dans l’acquisition de la conscience phonologique. M.Habib écrit : « On peut dès lors envisager qu’il existe un processus neurobiologique unique permettant le développement de toutes les aptitudes métaphonologiques, mais que celles aboutissant à la segmentation en unités de plus petites tailles, les phonèmes, ne peuvent se mettre en place correctement que si le processus de base est « consolidé » par l’apprentissage, au cours d’une période critique, d’un code alphabétique, faute de quoi, elles ne pourront plus se développer ». (Dyslexie : le cerveau singulier, p. 117).
S’il en est ainsi, ce qui semble hautement probable en raison de la convergence des travaux publiés sur cette question, et s’il existe une « période critique » pendant laquelle le processus qui relie phonèmes et graphèmes doit se mettre en place, on comprend l’importance que revêt l’apprentissage de la structure phonologique de la langue dans les premières années de la vie et tout particulièrement de la scolarité. Le défi que doivent relever les enseignants consiste donc, dès l’entrée en maternelle et lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, à permettre à tous les enfants, grâce à des techniques pédagogiques adéquates, d’acquérir une bonne conscience de la structure phonologique de leur langue. Les chercheurs du Laboratoire Cogni-Sciences et Apprentissage de Grenoble qui ont mis au point un bilan d’évaluation du développement cognitif de l’enfant proposent depuis de nombreuses années d’inclure dans l’examen médical obligatoire chez les enfants au cours de leur 6ème année un dépistage des difficultés de discrimination des sons et d’appliquer à ceux qui en sont victimes des exercices destinés à corriger leurs déficits. Il est très regrettable que cette mesure - qui éviterait des échecs graves à un très grand nombre d’enfants - ne soit pas mise en œuvre.
Rôle préventif de l’apprentissage phonologique.
De très nombreux travaux permettent de mesurer le rôle positif de l’apprentissage phonologique sur la qualité de la lecture (Bradley & Bryant, 1983; Vellutino, Scanlon, 1987; Lundberg, Frost & Petersen, 1988; Brown, Felton, 1990; Cunningham, 1990; Foorman, Novy, Francis, Liberman, 1991; Tangel & Blachman, 1992; Felton, 1993; Byrne, Fielding- Barnsley, 1993, 1995; Blachman, Ball, Black & Tangel, 1994; O’Connor, Jenkins, 1995; Torgersen, Wagner, Rashotte, 1994; Byrne, Fielding-Barnsley, 1991, 1993, 1995; Yopp 92; Scanlon & Vellutino, 1996; Felton, 1993; Shefelbine, 1995; Share & Stanovitch, 1995; O’Connor, Jenkins, 1995; Torgesen, 1997; Torgersen, Wagner, Rashotte, Alexander & Conway, 1997; Fielding-Barnsley, 1997; Rumsey, Horwitz, Donohue, Nace, Maison & Andreason, 1997; Lundberg, Frost & Petersen, 1998; Fletcher & Lyon, 1998; King & Torgensen, 2003). Nous verrons ultérieurement que l’effet positif de l’entraînement phonologique se fait sentir non seulement au niveau de la fluidité de la lecture mais aussi – et de manière durable - à celui de la compréhension des textes lus et de la maîtrise de l’orthographe (Bradley & Bryant, 1985; Ball & Blackman, 1991).
Identification des formes et constitution du lexique des graphèmes
A partir du moment où la parole est composée d’éléments qui se déroulent dans le temps et l’espace, l’écriture doit traduire graphiquement la structure linéaire de la langue orale.
Dans les langues alphabétiques auxquelles se limitent ce propos, l’équivalence son/graphisme s’établit au niveau des éléments de bases constitutifs de la langue (lettres ou regroupement de lettres) qui représentent chaque phonème. Il faut donc, pour pouvoir les identifier, différencier les unes des autres les modifications morphologiques qui les caractérisent. L’analyse du graphisme est une obligation incontournable liée à la nature physique de l’information traitée.
La perception de l’écrit est soumise aux lois de la vision rapprochée et du balayage visuel lié lui-même aux mouvements des yeux qui permettent la découverte du texte lors des pauses qui séparent les saccades oculaires.
L’identification et la reconnaissance d’un objet visuel commence par l’analyse de ses caractéristiques par la rétine (Imbert, 1999). Celle-ci traite séparément tous les points qu’elle peut identifier et transmet aux aires visuelles, par des canaux séparés, les résultats de son travail concernant la forme, l’orientation dans l’espace, la longueur d’onde, les contrastes, etc. Deux points étant perçus de manière distincte quand la projection de leur image se fait sur deux cônes différents, c’est au niveau de la macula, et tout particulièrement de la fovéa, que la capacité de différenciation et d’identification des signes graphiques est optimisée puisque c’est à ce niveau que les cônes sont les plus petits, les plus nombreux et les plus proches les uns des autres. Les lettres de l’alphabet ne comportent souvent que de faibles différences morphologiques. La lecture exige donc une grande précision de la perception des détails qui permettent de différencier les lettres. Ceci exige que les signes à identifier se situent le plus près possible du centre de la macula. Il a été démontré que les meilleurs lecteurs sont ceux qui sont capables d’identifier de très petites variations de formes dans un mot (Mc Conkie & Zola 1981). A l’opposé, une des particularités des dyslexiques est d’éprouver des difficultés pour analyser les caractéristiques visuelles des lettres (Habib, Robichon & Démonet, 1996).
Une étude personnelle jointe en annexe portant sur 431 cas d’élèves présentant d’importantes perturbations dans l’apprentissage de l’écrit a permis de constater que 42% d’entre eux étaient porteurs de perturbations significatives dans la reconnaissance des formes. Sans entrer ici dans le détail des conclusions de ce travail, signalons que la fréquence de cette anomalie est d’autant plus élevée que le niveau intellectuel des élèves, mesuré grâce aux échelles de Wechsler, est plus bas. Présentes chez 17,5% des élèves de quotient supérieur à la moyenne (QI > 109) les difficultés de reconnaissance des formes sont retrouvées chez 50% des sujets moyens (QI compris entre 90 et 109) et chez 86% chez les enfants dont les aptitudes intellectuelles sont inférieures à la moyenne (QI<90). Les perturbations de la latéralisation sont, quant à elles, constatées dans la moitié des cas sans variations significatives en fonction des QI. Enfin, il faut noter que dans la moitié des cas, cette population d’élèves présentait à la fois des troubles d’identification des formes et de latéralisation. Ceci n’exclut pas chez eux la possibilité de perturbations dans la discrimination des sons qui n’ont pas été étudiées dans ce travail. Ces constatations montrent, qu’à côté des efforts faits pour développer la discrimination phonologique chez l’enfant, il faut également prendre en compte les perturbations issues du traitement visuel des formes et de leur orientation dans l’espace.
Saccades oculaires et lecture
Les mécanismes mis en œuvre dans la lecture sont intimement liés aux caractéristiques de la perception visuelle.
Afin de répondre aux exigences de vision fine exigée par la lecture et l’écriture les saccades oculaires dirigent l’axe du regard de manière à ce que l’image à traiter se projette sur la fovéa.
La surface du texte explorée par la rétine lors de chaque pause oculaire, estimée en moyenne à 2% du champ visuel total, soit une surface angulaire d’environ trois degrés, ne dépend que des caractéristiques du système optique que constituent l’œil et de la distance qui sépare la fovéa de sa cible. La fovéa, quant à elle, couvre un angle d’environ un degré. Le nombre de lettres qui peuvent être vues ensemble lors de chaque pause est défini par la surface angulaire correspondant à la distance à laquelle le support visuel est situé par rapport à la macula et, bien évidemment, par les dimensions de la calligraphie utilisée. Les chercheurs s’accordent sur le fait que la vision maculaire (fovéale et péri-fovéale) couvre, dans une écriture de taille courante et dans des conditions normales d’éclairement, un espace occupé par 6 à 8 lettres. Mais lors de chaque pause la fovéa ne peut identifier distinctement qu’un nombre beaucoup plus réduit de caractères (2 à 3) en raison de la faible dimension de la surface qu’elle est en mesure de traiter. Les signes qui encadrent ces 2 ou 3 lettres se projettent sur la région péri-fovéale. Elles sont donc vues avec une précision plus faible. Si cette vison ne permet pas l’identification des signes graphiques, se produisent alors des micro-saccades d’ajustement destinées à placer chaque élément graphique à décrypter au centre de la fovea. Le nombre de saccades et de micro-saccades nécessaires pour identifier avec précision les éléments graphiques qui composent un mot dépend de la longueur de celui-ci. Seuls les mots très courts peuvent être identifiés avec précision lors d’un seul mouvement oculaire. La majorité d’entre eux nécessite l’intervention de plusieurs saccades ou micro-saccades pour couvrir la totalité de leur surface. Les informations concernant chaque mot parviennent donc aux aires cérébrales gauches en se succédant dans le temps au rythme des saccades oculaires et des mouvements d’ajustement nécessaires au décryptage précis des informations visuelles. Cette nature séquentielle de l’information est parfaitement adaptée au mode de fonctionnement de l’hémisphère gauche qui en poursuit l’analyse et les compare à ceux dont il dispose en mémoire.
Pour un sujet donné, la vitesse d’exécution de la saccade est constante (en moyenne moins de 300 millisecondes) et rien ne peut la modifier. Par contre, la durée de la pause qui sépare deux saccades l’une de l’autre est variable. Résultat d’un ensemble très complexe d’ordres d’action et d’inhibition, la saccade se produit dans le court instant où les neurones pauseurs qui interviennent pour fixer l’oeil sur sa cible se trouvent désinhibés (Berthoz & Petit, 1996).
Parmi les facteurs qui autorisent le déclenchement de la saccade suivante la compréhension issue de chaque pause oculaire joue un rôle prépondérant (Rayner, 1986, 1998). Pendant le temps où le lecteur garde l’oeil fixé sur sa cible il doit en avoir extrait une information suffisante pour permettre la levée de l’inhibition des neurones pauseurs (Posner & Abdulaev, 1996). La saccade se produit alors et permet le centrage de la fovéa sur l’objectif suivant. Si la vision péri-fovéale suffit à identifier les lettres qui entourent celles qui sont parfaitement décryptées par la fovéa, l’ordre moteur pose l’axe du regard au centre du mot suivant. Cette situation optimisée, liée au phénomène de facilitation dont l’importance apparaîtra nettement dans la découverte du sens, se produit chez les bons lecteurs qui utilisent mieux que les autres leur vision péri-fovéale et se rencontre essentiellement pour les mots fréquemment rencontrés (Carpenter & Just, 1983 ; Rayner & Duffy, 1988; Radach & Kempe 1993; Lavigne, Vitu, d’Ydewalle, 2000). Nous en verrons ultérieurement les
raisons. Par contre, lorsqu’une compréhension suffisante n’est pas extraite lors de la fixation de l’oeil sur sa cible, les neurones pauseurs en prolongent l’immobilisation. Une procédure de retour en arrière peut même être déclenchée pour aider à la résolution du problème. Ce mécanisme, souvent utilisé chez les lecteurs en difficulté, est rarement mis en œuvre par les bons lecteur (Everatt, Undrewood, 1994 ; Everatt, Bradshaw & Hibbard, 1998).
L’importance du rôle de la vision fovéale apparaît dans les recherches effectuées sur les mouvements de l’oeil pendant la lecture. Celles-ci révèlent que les meilleurs lecteurs, contrairement à ce qui est souvent affirmé, sont ceux dont la fovéa traite le texte à lire lettre après lettre en faisant porter tout l’effort sur l’identification de la forme des signes graphiques. Ces lecteurs font très peu appel au contexte rapproché et aux processus d’anticipation (McConkie & Rayner, 1975). Ils n’essaient pas de prédire la suite du texte ou de « reconnaître » les mots mais en identifient chaque lettre séparément (Adam, 1990 ; Rieben & Perfetti, 1991; Share & Stanovitch, 1995; Adam, Treiman & Presley, 1996; Share & Stanovitch, 1995; Leege, Anh, Klitz & Luebker, 1997).
Le processus de lecture lettre à lettre réduit le champ oculaire aux dimensions du champ fovéal et optimise ainsi la reconnaissance de la forme des éléments à traiter. Ces observations sont en accord avec les études qui montrent que le déclenchement des saccades est d’autant plus rapide que le champ oculaire utilisé est plus étroit (Leege, Anh, Klitz & Luebker, 1997). A contrario, on a constaté que de nombreux dyslexiques présentent un élargissement de leur champ maculaire qui a été rendu responsable d’une partie de leur difficulté. L’augmentation du nombre de lettres vues lors de chaque pause, éloigne leur projection du centre de la macula et diminue ainsi la précision de leur analyse. L’identification étant moins rapide, la durée de la pause oculaire augmente. Si la durée de la pause devient supérieure à celle du maintien en mémoire des souvenirs rappelés, la possibilité de prise de conscience de la valeur phonologique du signe graphique disparaît, interdisant ainsi toute possibilité de lecture. C’est en se basant sur ces faits que certaines rééducations chez les dyslexiques tendent à réduire leur champ maculaire par une meilleure focalisation du regard (Habib, 1997). L’utilisation d’un doigt curseur suivant la ligne graphique chez l’enfant qui apprend à lire simplifie son travail en réduisant volontairement le champ visuel et permet de placer plus facilement la fovéa sur chacun des éléments graphiques à identifier.
De prime abord le fait qu’il existe chez les bons lecteurs à la fois une capacité de lecture lettre à lettre et une meilleure utilisation de la vision péri-fovéale peut paraître contradictoire. En ce qui me concerne, ces deux capacités me semblent complémentaires. Lorsqu’un sujet dispose d’une vision péri-fovéale de bonne qualité, cela sous-entend que les cônes situés autour de la fovéa sont plus petits, plus serrés et donc plus performants que ceux de la moyenne des individus. On peut alors concevoir que lors de l’identification d’une lettre en vision fovéale, ils fournissent sur la lettre suivante des indices suffisamment précis pour en accélérer la reconnaissance lors de la micro-saccade suivante. La qualité de la vision péri-fovéale viendrait alors s’adjoindre à la capacité de pouvoir identifier chaque lettre séparément et constituerait une phénomène de facilitation qui accentuerait la vitesse de lecture.
L’importance attribuée à la vision maculaire dans la lecture ne réduit pas pour autant à néant le rôle de la rétine périphérique. Si celle-ci ne permet pas la reconnaissance des lettres, elle participe cependant à la lecture en explorant un large champ visuel dans lequel elle repère un certain nombre d’indices : les contrastes, les intervalles vides qui rompent la chaîne graphique et les altérations qui y sont incluses (signes de ponctuation). Elle recueille ainsi des informations sur la longueur des mots. L’importance de ce travail apparaîtra lors de l’étude des procédures mises en œuvre dans la découverte du sens.
L’ensemble des éléments précités montre que tous les facteurs qui facilitent l’identification du contenu de chaque pause oculaire accélèrent le rythme de la lecture et participent à sa fluidité. Parmi eux, citons la perception des contrastes : le temps nécessaire à la reconnaissance des lettres lors de chaque pause est d’autant plus court que les contrastes sont plus intenses, l’optimisation étant obtenue pour les calligraphies noires sur fond blanc (Leege, Ahn, Klitz, & Luebker, 1997). Cet élément doit être pris en compte dans la pédagogie.
Mise en correspondance du lexique des phonèmes et du lexique des graphèmes
L’identification des graphèmes et des phonèmes a pour but, de les apparier au cours de chaque pause oculaire afin d’aboutir à la prise de conscience des liens qui unissent les sons aux graphismes qui les représentent. La mise en correspondance des deux lexiques qui les stockent aboutit à la connaissance du code alphabétique de la langue. On comprend facilement que si les données présentes dans l’un ou l’autre lexique sont erronées la comparaison des différents éléments entre eux sera perturbée, voire impossible.
Le pourcentage élevé d’enfants porteurs de difficultés de discrimination des sons vers 5 à 6, ans, mentionné ci-dessus, ainsi que de perturbations de la reconnaissance et de l’orientation des formes dont ils peuvent être victimes montrent l’importance capitale de la mise en œuvre systématique pour tous les enfants de moyens pédagogiques qui permettent à chacun d’eux de se constituer des lexiques phono-graphémiques de bonne qualité et d’apprendre à en relier chacun des éléments.
Supériorité de l’apprentissage explicite du code
Les travaux dont nous disposons apportent la preuve que les modalités d’apprentissage du code interfèrent sur la qualité du résultat obtenu.
Un premier point - et non des moindres ! - sur le plan de ses conséquences pédagogiques apporte la preuve de la supériorité des résultats obtenus avec un mode d’apprentissage explicite du code alphabétique.
Il existe en effet deux manières d’aborder l’apprentissage du code phonologique de la langue.
- Fournir à l’élève la correspondance des graphèmes et des phonèmes.
C’est ce que proposent les méthodes alphabétiques dont la démarche part des graphèmes les plus simples et les combine entre eux pour former des mots et des phrases.
- Amener l’élève à découvrir le code alphabétique par des moyens implicites comme le font les pédagogies de type global ou semi-global. Les méthodes semi-globales actuelles (qui incluent les méthodes mixtes, naturelles ou par hypothèses) correspondent, comme les méthodes globales, à un mode d’apprentissage implicite : elles présentent aux apprentis lecteurs des phrases composées de mots contenant des graphèmes qu’ils doivent lire en s’aidant des connaissances qu’ils ont acquises en « fréquentant », comme le disent actuellement les enseignants, d’autres mots.
Les conclusions des études comparatives effectuées sur cette question des plus anciennes aux plus récentes sont sans appel : dans tous les cas l’apprentissage explicite du code est plus efficace que sa découverte par des procédés implicites (Williams, 1980 ; Chall, 1983; Adams, 1990; Brown & Felton, 1990; White, Graves & Slater, 1990; White, Graves & Slater, 1990; Felton, 1993; Tunmer & Hoover, 1993; Dole, Sloan & Trathen, 1995; Chall, 1996a ; Vellutino, Scanlon, Sipay, Small, Pratt, Chen & Denckla, 1996; Rinaldi, Sells & McLaughlin, 1997; Fielding-Barnsley, 1997 ; Tomesen & Aarnouste,1998).
Les résultats de l’apprentissage du code alphabétique sont de meilleure qualité lorsque reconnaissance et segmentation des sons, (O’Connor & Jenkins, 1995), écriture avec manipulation des lettres, apprentissage de leur forme et du son qu’elles représentent, sont associés à celui de la lecture (Adams, 1990; Ball & Blachman, 1991; Tangel & Blachman, 1992; Wise & Olson, 1992; Felton, 1993; Blachman, Ball, Black & Tangel, 1994; Share & Stanovitch, 1995). Tous les procédés pédagogiques susceptibles de faciliter la mise en mémoire du lien qui unit les sons aux graphismes répondent à ce besoin d’apprentissage explicite du code alphabétique. L’entraînement phonologique réalisé avec un ordinateur vocal auquel des études spécifiques ont été consacrées, en est un parmi d’autres (Wise & Olson, 1992, 1995; Davidson, Elcock & Noyes, 1996).
Intérêt de l’apprentissage précoce du code alphabétique
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Un très grand nombre d’études apportent la preuve de l’effet préventif de l’apprentissage du code alphabétique vis-à-vis des difficultés d’accès à la langue écrite (Foorman, Francis, Fletcher, Schatschneider & Mehta, 1998; Lyon, Fletcher, Shaywitz,S.E., Shaywitz,B.A., Torgensen, Wood, Schulte & Olson, 2001; Francis & Fletcher, 2003; King & Torgensen, 2003; Torgensen, 2000, 2002, 2004).
La période idéale d’apprentissage des éléments de la structure phonologique de la langue se situe avant les premiers contacts avec le langage écrit, ce qui ne peut surprendre dans la mesure où les capacités d’acquisition de la conscience phonologique diminuent rapidement avec l’âge. Peut-on penser que lorsque cet apprentissage doit être entrepris plus tardivement les circuits cérébraux qui ont tenté de se structurer avec les éléments dont ils disposaient ont introduit dans les connexions cérébrales un chaos qui constitue une entrave à la mise en place des connexions optimisées qui sont proposées dans un deuxième temps ? Les modifications constatées en IRM.f. avant et après rééducation du langage écrit chez les dyslexiques, dont il sera fait état ultérieurement, permettent d’envisager cette hypothèse.
Les avantages apportés par l’apprentissage du code alphabétique bénéficient à tous les types de lecteurs
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Loin d’être réservés aux dyslexiques, les effets positifs de l’apprentissage du code alphabétique bénéficient à tous les types de lecteurs quelles que soient la nature et l’ampleur de leur handicap face à l’acquisition du langage écrit (Fletcher, Simos, Papanicolaou & Denton, 2002; Pogorzelski & Whedall, 2002). Les difficultés de reconnaissance du code persistent plus longtemps chez les sujets les plus atteints mais tous parviennent à progresser (Bruck, 1992, 1993; Fawcett & Nicholson, 1995). Cette constatation est d’une importance capitale car il est bien évident qu’une population scolaire est composée d’enfants qui présentent des degrés très divers de difficultés. Le rôle des enseignants n’est pas de poser un diagnostic médical sur la nature des perturbations que présentent leurs élèves mais d’aider chacun d’entre eux le plus efficacement possible à en triompher. Les travaux mettant en évidence le fait que l’usage intensif de techniques d’apprentissage du code phonologique de la langue permet à tous les élèves, quelle que soit la nature de leurs difficultés, de progresser montrent la nécessité de fournir systématiquement à tous les enfants des programmes d’entraînement spécifique en ce domaine. Ceci est d’autant plus justifié que les effets positifs de l’apprentissage intensif du code alphabétique ne se limitent pas à la fluidité de la lecture mais sont constatés au niveau de la compréhension des textes lus et de la capacité de restituer l’oral par écrit (Ball & Blachman 1991) avec un bénéfice constaté pendant toute la durée de l’enseignement primaire (Bradley & Bryant, 1983, 1985; Lundberg, Frost, Petersen, 1988; Foorman, Francis, Fletcher, Schatschneider & Mehta, 1998; Foorman, 2003; Torgensen, 2002, 2004; Foorman, Chen, Carlson, Moats, Francis & Fletcher, 2003; King & Torgensen, 2003).
L’ensemble de ces travaux montre clairement que l’apprentissage efficace du code alphabétique dans les langues combinatoires est une nécessité absolue. Les méthodes alphabétiques répondent à cet objectif et apportent ainsi aux enfants les meilleures chances de succès dans la maîtrise de la langue écrite. Elles sont pourtant considérées, en France, par beaucoup d’enseignants mais surtout par pratiquement tous les décideurs de ce pays en matière de pédagogie, comme un obstacle à la découverte du sens de l’écrit. L’étude du temps sémantique de la lecture montre, au contraire, que la qualité de la compréhension du sens de l’écrit dépend de celle du travail effectué par le module phonologique du cerveau.
LE TEMPS SEMANTIQUE ET LA DECOUVERTE DU SENS
Au fur et à mesure où s’effectue le traitement phonologique, les résultats de ce travail parviennent au module supérieur du cerveau qui effectue les opérations destinées à la découverte du sens.
Ce module est, lui aussi, très majoritairement situé dans l’hémisphère gauche. Il comprend cependant quelques formations dispersées dans l’hémisphère droit mais leur intervention n’est pas déterminante. En effet, les lésions massives de l’hémisphère droit dont le rôle dans le langage écrit ainsi que celui du corps calleux sera mentionné ultérieurement, ne s’accompagnent que de perturbations mineures de la compréhension du sens de l’écrit.
Les formations du module supérieur, en raison de leur situation dans l’hémisphère gauche, utilisent, comme celles du module phonologique, une technique de travail analytique. Elles permettent de passer de la conscience phonologique issue de chaque pause oculaire à la compréhension des mots, des phrases et des textes. Elles traitent les unités analysées qui leur parviennent en les réunissant entre elles jusqu’à ce qu’elles puissent établir une concordance parfaite entre les éléments identifiés et ceux dont sa mémoire connaît le sens. C’est à ce niveau qu’intervient la vision périphérique. Elle fournit des indications sur la longueur des mots par le repérage des espaces qui les séparent. Les neurones du module supérieur savent ainsi où doit commencer et finir les opérations d’analyse et de synthèse à effectuer pour trouver la signification de chaque mot.
Il est bien évident que la rapidité de ce travail et son exactitude dépendent directement de la qualité des informations que le module phonologique transmet au module supérieur. Si le module supérieur s’appuie sur des données erronées, il ne parviendra pas à découvrir les similitudes entre ce qu’il voit et ce qu’il connaît. Il devra alors s’aider du contexte pour faire des hypothèses sur le sens possible des mots qu’il ne lit pas, avec tous les risques d’erreurs que cette stratégie peut comporter.
Une identification parfaite de l’information par le module phonologique est d’autant plus indispensable que la découverte du sens nécessite très souvent de savoir si une lettre se lit seule ou avec celle qui la précède ou la suit.
L’imbrication des temps phonologique et sémantique de la lecture et l’incapacité de les dissocier l’un de l’autre apparaît clairement dans le phénomène d’identification des lettres en vision péri-fovéale auquel il a été fait allusion lors de l’étude des saccades oculaires. Il a alors été signalé que seule la vision fovéale peut apporter une identification précise des lettres. Cependant, dans certaines conditions, la vision péri-fovéale peut fournir des informations suffisantes pour permettre la lecture de certains mots sans nécessiter la mise en œuvre de micro-saccades d’ajustement. Comment ce phénomène peut-il permettre une lecture exacte ? La perception des signes graphiques projetés sur le champ péri-fovéal permet de transmettre au module supérieur du cerveau des informations incomplètes sur la forme des lettres mais des indices morphologiques dominants peuvent cependant en être extraits. Ces indices peuvent être suffisants pour donner au module supérieur des possibilités de suggestions permettant de déboucher sur un mot qui corresponde à une solution sémantique correcte. La saccade d’ajustement est alors inutile. Le regard peut se centrer sur le mot suivant. Ce phénomène représente une forme d’utilisation du contexte rapproché réservé aux mots connus et fréquemment rencontrés (Carpenter & Just, 1983 ; Rayner & Duffy, 1988 ; Radach & Kempe, 1993). Dans cette configuration une connaissance parfaite du code alphabétique est la condition indispensable à la résolution des problèmes posés.
Lorsque le contenu de la saccade permet d’aboutir à la compréhension du contenu de la pause oculaire, il a été prouvé que la saccade suivante fixe l’axe du regard sur le centre du mot suivant (Lavigne, Vitu, d’Ydewalle, 2000). La rétine périphérique joue, à ce niveau, un rôle important en permettant l’appréciation de la longueur du mot et en apportant des informations issues de la perception des espaces qui les séparent.
Rappelons à ce propos que les premières langues phonologiques n’avaient pas intégré dans l’écriture cette notion d’espace qui figure les silences du langage oral. La chaîne graphique était une suite ininterrompue de signes. On comprend sans peine la difficulté que représentait la lecture de ces langues. Le lecteur devait impérativement être en mesure de découvrir où commençait et où finissait chaque mot pour avoir accès au sens de l’écrit. Elles nécessitaient une maîtrise parfaite du code de correspondance phono-graphémique et de ses différentes possibilités de combinaisons pour pouvoir pratiquer des essais successifs d’analyse et de synthèse destinés à envisager les différentes solutions possibles afin de déterminer les choix de segmentation dans la chaîne graphique.
Dans le traitement de l’information visuelle comme dans celui du son, le résultat ne peut être atteint que si les différentes opérations à effectuer débouchent sur une solution avant que les souvenirs rappelés de la mémoire ne soient effacés. S’il n’en est pas ainsi, la lecture du mot devient impossible ou n’est qu’un déchiffrage laborieux de signes graphiques sans signification. La rapidité du processus de prise de conscience phonologique est un élément essentiel pour l’accès au sens. Une des priorités de la pédagogie doit donc être de mettre en œuvre des mesures qui accélèrent la prise de conscience phonologique afin d’éliminer une absence de compréhension liée à la lenteur du décodage (Wolf, 1991).
Le lexique du vocabulaire
De même que le cerveau se constitue un lexique des phonèmes et des graphèmes, il élabore et stocke dans sa mémoire un répertoire des mots de la langue orale et de leur signification qui s’enrichit très rapidement pendant les premières années de la vie. Le stockage des mots du langage oral se fait par catégories lexicales dans des sites dont certains ont pu être mis en évidence (Damasio, A. & Damasio, H. 1992). Un mot lu ne peut être compris que si sa signification dans le langage oral est connue. Pour être efficace, l’apprentissage de l’écrit doit s’accompagner d’un travail permanent centré sur l’enrichissement du vocabulaire. Les preuves concrètes de l’effet enrichissant du vocabulaire sur la qualité de la lecture sont nombreuses (Beck, Perfetti & McKeown, 1982; Leung, 1992; Heller, Sturner, Funck & Feezer, 1993; Brett, Rothlein & Hurley, 1996; Medo & Ryder, 1993; Robbins & Ehri, 1994; Senechal & Cornell, 1993; Dole, Sloan & Trathen, 1995; Sénechal, 1997; Davidson, Elcoock & Noyes, 1996).
Si l’apprentissage explicite du sens des mots doit être systématique (Beck, Perfetti, & McKeown, 1982; Dole, Sloan, & Trathen, 1995; Tomesen & Aarnouste, 1998 ; Rinaldi, Sells, & McLaughlin, 1997), il est indispensable de lui adjoindre un travail qui permet à l’élève de comprendre qu’un mot peut avoir plusieurs sens entre lesquels il faut pouvoir choisir en tenant compte du contexte dans lesquels ils se trouvent (Sénéchal, 1997 ; Leung, 1992; Dole, Sloan, & Trathen, 1995).
De même, la compréhension du sens nécessite un minimum de connaissances concernant la structure syntaxique de la langue et la fonction des mots qui composent la phrase. Ces savoirs se mettent en place de manière implicite au fur et à mesure de l’apprentissage de la langue orale. Les mots, mis en mémoire par catégories grammaticales (Damasio, A. & Damasio, H. 1992), s’organisent autour du verbe, enrichissant l’expression au fur et mesure des acquisitions.
Si la maîtrise grammaticale de l’oral est difficile à acquérir, celle de l’écrit dans les langues combinatoires l’est bien davantage car la forme graphique des mots varie avec leur rôle grammatical dans la phrase. Il faut, par exemple, définir si une ou plusieurs lettres finales de certains mots font partie intégrante de ce mot ou sont l’expression du genre, du nombre ou de la fonction grammaticale de celui-ci. Deux mots strictement identiques sur le plan graphique peuvent correspondre à des significations différentes. La célèbre phrase « les poules du couvent couvent » en est un exemple significatif. La compréhension du sens decette phrase nécessite à la fois de connaître la signification des mots « couvent » et « couver » mais aussi de pouvoir différencier la fonction grammaticale de ces mots. Le lecteur doit, en effet, comprendre que le premier mot est un nom terminé par le son « en » suivi d’un « t » muet et le second un verbe dont le « ent » final est une de ses formes conjuguées liée à la présence d’un sujet pluriel. Si ces conditions ne sont pas réunies tout accès au sens de la phrase est impossible.
Le lexique de la forme orthographique des mots
S’il est actuellement possible de mettre en évidence l’existence d’aires corticales spécialisées dans le stockage des mots de la langue orale par catégories lexicales et grammaticales (Damasio, A. & Damasio, H. 1992), qu’en est-il de la mise en mémoire de la forme orthographique des mots ? En d’autres termes, existe-t-il un lexique de la forme écrite des mots comme il en existe un pour leur forme orale ?
La grande majorité des chercheurs considère aujourd’hui que ce lexique orthographique existe très vraisemblablement mais que son contenu reste assez limité. Selon M.HABIB (1997), l’apprentissage de l’écriture en facilite l’installation.
Si l’existence d’un lexique de la forme écrite des mots est probable, les chercheurs pensent, dans leur majorité, que son contenu est surtout envisageable pour les mots invariables et très souvent rencontrés. La possibilité de stockage de tous les mots sous leurs différentes formes orthographiques dans des aires spécifiques dédiées à la grammaire paraît, en effet, difficilement envisageable.
Beaucoup de travaux réalisés sur cette question, en particulier chez des sujets présentant des lésions neurologiques responsables d’alexies, tendent à montrer qu’il n’existe pas d’aires spécifiques de la reconnaissance des mots écrits mais que toutes les aires temporo-occipito-pariétales gauches impliquées dans le traitement du langage sous ses différentes formes participent à un vaste et très complexe réseau associatif de structure connexionistedont toutes les composantes seraient à divers titres, impliquées dans ce travail de reconnaissance orthographique des mots. J.Cambrier et P.Verstrichel dans « Le cerveau réconcilié » publié en 1998, apportent cette précision concernant ce point : « ce lexique peut-être imaginé comme une sorte de répertoire des mots écrits acquis par l’expérience et conservés en mémoire. En réalité, ce répertoire est un ensemble de réseaux synaptiques déjà frayés susceptibles d’être réactivés par la forme visuelle du mot correspondant » (p.222).
Les voies d’accès au sens des mots
La possibilité de stockage de la forme graphique des mots pose alors la question de savoir comment se réalise, dans cette configuration, l’accès à leur signification.
Voie directe d’accès au sens des mots
Lorsque le sujet est mis en présence d’un mot stocké en mémoire sous sa forme graphique, va-t-il devoir passer systématiquement par la voie phonologique pour accéder à sa signification ou pourra t-il la découvrir directement sans évocation de sa forme sonore ?
Il ne semble pas encore possible d’apporter une réponse claire à cette interrogation qui a donné lieu à de nombreuses réflexions liées, pour la plupart, aux hypothèses issues de l’approche cognitiviste de l’étude des comportements. Mais comme le dit très justement M.Habib (Dyslexie : le cerveau singulier, 1997, pp.97-98) en évoquant la méthodologie cognitiviste appliquée aux cas d’alexie où l’hypothèse d’un trouble de la lecture situé au niveau du traitement de la forme visuelle des mots est envisagée : « Très curieusement, et de manière fort regrettable, alors que ce même syndrome (l’alexie) avait fait l’objet d’une multitude de publications neurologiques cherchant à en préciser les caractères anatomiques, l’approche cognitiviste n’a pas su tirer parti de ces travaux antérieurs, ni mettre à profit la finesse de ses moyens d’analyse pour essayer de répondre aux questions posées par les neurologues. C’est là, du reste, le défaut primordial de cette « révolution cognitiviste » que de ne pas avoir tenu compte de deux éléments qui constituent la base de l’analyse neurologique classique : la topographie lésionnelle et le regroupement en syndromes des troubles observés.»
Cette prise de position - que l’auteur de ces lignes partage totalement – n’a pas pour but d’alimenter un débat qui opposerait l’approche neurologique à l’approche cognitiviste mais de montrer que les travaux sur lesquels s’appuient certaines affirmations ne sont que des hypothèses de travail qui ne correspondent pas au même niveau d’exigence que la recherche scientifique. Celle-ci ne retient, en effet, que les hypothèses validées alors que l’approche cognitiviste construit des théories à partir de pistes de réflexion qui s’apparentent à la philosophie et qui, comme cette dernière, ne nécessitent pas d’être justifiées pour exister. L’approche cognitiviste propose des axes de réflexion mais ceux-ci doivent, pour être acceptables scientifiquement, être confirmés par des travaux dont la rigueur ne peut être contestée. L.Sprenger Charolles, chercheur au CNRS, qui admet le rôle essentiel de la connaissance du code phonologique dans la lecture présente
ainsi sa conception d’une voie d’accès direct à la forme orthographique des mots (Les actes de la Villette, 1993)
« …L’hypothèse la plus plausible est qu’on devrait trouver, en français, au début de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, des procédures de traitement par médiation phonologique. Mais on peut également postuler que les débuts de cet apprentissage se caractérisent essentiellement par la mise en œuvre de procédures logographiques auxquelles pourraient succéder – directement - des procédures orthographiques, sans intervention de traitement par médiation phonologique. »
Cette citation montre, que son propre auteur considère la voie directe d’accès au sens de l’écrit sans passage par la voie phonologique comme une hypothèse de travail et non comme une certitude.
Quelques points me semblent cependant pouvoir éclairer la compréhension des conditions d’accès direct au sens des mots.
Une partie du voile qui recouvre cette question peut être levée grâce aux travaux d’Eric Kandel, Prix Nobel de Médecine 2000. Ce chercheur montre comment l’apprentissage laisse des traces dans les circuits neuronaux ce qui permet de comprendre comment s’opère la mise en mémoire de l’information, le rappel du souvenir, la facilitation de l’apprentissage et de la circulation de l’information dans les circuits neuronaux (Kandel & Hawkins, 1992). Les traces laissées par les stimulations antérieures sont réactivées lorsque les neurones sont à nouveau mis en présence d’une information antérieurement traitée. Cette réactivation est d’autant plus forte que les stimulations antérieures ont été plus intenses, proposées à intervalles plus rapprochés et que la situation qui provoque le rappel du souvenir est plus proche des conditions qui ont permis sa mise en mémoire. Le fait d’avoir déjà rencontré un mot accélère sa compréhension parce que les réseaux qui véhiculent cette information en ont conservé une trace qui facilite la mise en place des connexions interneuronales. On comprend, dans cette optique, que la circulation de l’information dans des circuits qui incluent la mémorisation de la forme écrite du mot puisse aboutir, en cas de répétitions très fréquentes, à un raccourcissement du trajet menant directement de l’analyse graphique des constituants du mot à la compréhension de sa signification. On peut envisager que, au fur et à mesure des répétitions des opérations de recherche du sens, une bifurcation dans la circulation de l’information puisse s’établir. Il est concevable qu’à côté de la branche qui conduit à l’identification phonologique de chaque élément graphique qui est une réalité incontestée, se crée une voie qui permette le passage direct de l’analyse du contenu graphique du mot au souvenir mémorisé de sa forme écrite. L’entraînement pourrait ainsi, par le renforcement progressif de ce chemin, permettre un effacement de la branche phonologique qui deviendrait de moins en moins utile à la compréhension du mot. L’information gagnerait ainsi directement les circuits qui conduisent à la confrontation directe des éléments analysés avec la forme graphique des mots mis en mémoire (Rumsey, Horwitz, Donohue, Nace, Maisog & Andreason, 1997). On conçoit facilement que, dans ces conditions, ce raccourcissement des circuits ne soit envisageable que pour des mots fréquemment rencontrés et dont la forme graphique n’exige aucun arbitrage d’ordre grammatical pour être comprise.
Si la voie directe d’accès au sens existe, la question se pose alors de savoir où s’opère la bifurcation qui permet de quitter le circuit phonologique habituel pour emprunter le raccourci qui conduit à la compréhension directe du sens sans évocation de la valeur sonore des graphismes qui le constituent. Les chercheurs qui se penchent sur cette question sont partagés entre deux hypothèses. La séparation peut se faire soit lorsque l’analyse visuelle des différents éléments graphiques du mot est terminée soit dès le début de cette analyse.
Voie d’accès direct à la compréhension du mot et lecture globale
Certains ont voulu voir dans la compréhension du mot par accès direct à son sens une preuve de l’existence d’une lecture globale des mots. Ceci constitue, à mes yeux, une erreur, pour plusieurs raisons.
1- L’équipe de S.Shaywitz a mis en évidence au sein des structures temporo-pariétales gauches de traitement du langage écrit, une aire qui lui semble participer au stockage de la forme écrite des mots. La situation de cette aire dans l’hémisphère gauche lui confère un fonctionnement analytique.
2- C’est dans la lecture experte que les phénomènes de facilitation et d’automatisation nécessaires à la mise en place d’une éventuelle voie d’accès direct à la forme graphique du mot ont le plus de chance de se développer. Or, on constate en IRM.f. que l’automatisation de la lecture ne modifie pas le lieu de traitement de l’information qui reste situé dans l’hémisphère gauche et conserve donc, de ce fait, une nature analytique. De même, nous le verrons ultérieurement, la rééducation du langage écrit, en améliorant les performances en lecture, renforce l’activité de l’hémisphère gauche ce qui accentue donc la prééminence du traitement analytique de l’information en ce domaine.
3- Aucun chercheur, à ma connaissance, ne remet en cause la nécessité de l’analyse visuelle des éléments morphologiques que J.Cambrier et P.Vestrichel considèrent comme « le préalable obligé à l’accès au lexique orthographique et au système sémantique » (Le cerveau réconcilié, 1998, p.222). Pour que l’accès à la forme graphique du mot puisse se réaliser, il faut que s’établisse une parfaite reconnaissance des unités constitutives des mots afin que leur mise en correspondance avec les éléments stockés en mémoire soit possible. La réussite de la découverte du sens par comparaison directe du mot avec son équivalent graphique stocké en mémoire ne peut se concevoir que dans le cadre d’un processus analytique et n’est en aucune manière assimilable à une lecture de type global. Ce n’est pas, comme le pensent trop souvent les pédagogues, « la silhouette du mot » qui est reconnue comme le serait une photographie. L’hémisphère gauche ne sait pas exécuter ce type de performance réservé à son homologue droit. Le travail nécessaire à la compréhension du mot, réalisé par l’hémisphère gauche, consiste à identifier les éléments graphiques de proche en proche et à les comparer à des suites de graphismes qui constituent des combinaisons mises en mémoire avec leur signification. Dans ce travail interviennent des mécanismes facilitateurs qui se retrouvent, en fait, à tous les stades du traitement de l’information.
Complémentarité du module phonologique et sémantique
L’effet facilitateur
Issu de l’automatisation des circuits cérébraux, il ne se manifeste pas seulement dans l’intervention éventuelle d’un accès direct à la lecture de certains mots. Il est la conséquence des mécanismes d’apprentissage dans les circuits neuronaux clairement explicités par E.Kandel. L’effet facilitateur résulte de l’utilisation des traces laissées en mémoire dans les circuits cérébraux par le passage d’une information antérieure. Il a déjà été évoqué au sujet de la lecture des lettres en vision péri-fovéale mais il intervient à tous les niveau de la lecture et tout particulièrement dans les échanges entre le module phonologique et le module supérieur du cerveau.
Comment peut se concevoir la complémentarité fonctionnelle du module phonologique et sémantique du cerveau ?
Le travail du module supérieur est lié aux informations qu’il reçoit du module phonologique mais apporte à son tour à ce dernier une aide destinée à faciliter son travail. Au fur et à mesure où le module supérieur rassemble des informations venant du module phonologique, les circuits qui conservent dans leur mémoire la trace de mots commençant par les mêmes éléments graphiques sont activés et rappellent de leur mémoire tous les mots qui commencent par les mêmes lettres rangées dans le même ordre. Il envoie alors, par les multiples interconnexions qui unissent les circuits du langage, des suggestions de solutions susceptibles d’aider et donc d’accélérer l’identification des lettres. Plus le travail avance, plus le nombre de solutions envisageables se réduit pour arriver à une possibilité unique. Ce schéma est cohérent avec l’observation de la lecture des apprentis lecteurs. On constate souvent que ceux-ci, lorsqu’ils rencontrent une difficulté, modifient souvent une partie de mot pour la remplacer par une autre, plus ou moins éloignée de ce qu’ils doivent lire. Le module supérieur a suggéré au module phonologique une solution inadaptée que ce dernier n’a pas su évacuer en raison de son absence de maîtrise du code alphabétique. Le lecteur commet alors de nombreuses erreurs avec introduction dans le texte lu de mots plus ou moins bien adaptés à son sens.
Ces mécanismes permettent de comprendre l’importance d’une identification parfaite des unités graphiques et sonores. Si la correspondance entre les sons et les graphismes établie par le module phonologique contient des erreurs, le module supérieur a de grandes chances de proposer des solutions erronées.
Pour trier parmi les suggestions apportées et censurer celles qui ne correspondent pas parfaitement aux graphèmes auxquels le lecteur est confronté, le module phonologique doit être capable d’identifier sans erreurs les graphismes qui lui parviennent. En cas de difficulté de lecture et de nécessité de choix entre différentes options possibles, c’est le module phonologique qui, par son arbitrage, est le garant de l’exactitude de la lecture. Les études qui montrent que l’amélioration du décryptage favorise de manière durable la compréhension des textes sont une bonne illustration de l’effet de facilitation et de la complémentarité du module phonologique et supérieur du cerveau (Herman, 1985; Ball & Blachman, 1991 ; Calfee & Piaotkowski, 1998). Le lien étroit qui unit identification des signes graphiques et compréhension est la traduction clinique de la construction en réseaux interconnectés. Cette imbrication des mécanismes de la lecture, où sens et compréhension sont intimement liés à tous les stades du traitement de l’information, rend bien compte du fait que les meilleurs lecteurs soient ceux qui associent le plus rapidement les symboles graphiques aux sons qui les représentent et décryptent le texte lettre à lettre. A l’opposé, le lecteur qui éprouve des difficultés d’identification phono-graphémiques demande au contexte de lui permettre de deviner ce qu’il ne parvient pas à identifier avec précision. Le bon lecteur centre les lettres à analyser sur sa fovéa. Le module phonologique fournit alors au module supérieur des informations optimisées au niveau de l’identification des caractères graphiques. Le choix entre les différentes possibilités de compréhension du mot est ainsi considérablement simplifié et la probabilité d’erreurs d’interprétation très limitée. Ces lecteurs réduisent l’utilisation du contexte aux cas où la lecture des mots demande un arbitrage lexical ou grammatical complexe. C’est la raison pour laquelle, contrairement à ce qui est trop souvent affirmé, la fluidité de la lecture dépend essentiellement de la qualité du travail phonologique (Adams, 1990 ; Adam, Treiman & Presley, 1996 ; Rieben & Perfetti, 1991; Share & Stanovitch, 1995).
Si dans le déroulement normal de la lecture, fluidité et compréhension sont intimement liées, on peut cependant observer dans la pratique que la fluidité de la lecture n’est pas systématiquement associée à sa compréhension. Certains sujets sont capables de lire très rapidement, en respectant la ponctuation et en adaptant correctement l’intonation au sens du texte dans leur lecture orale sans pouvoir cependant, malgré une intelligence normale, résumer, même succinctement, le contenu du texte lu. Ils parviennent uniquement à en reformuler les derniers mots. Leur compréhension instantanée au moment de la lecture est correcte puisqu’ils sont capables d’adapter l’intonation au sens du texte mais tout se passe comme si la vitesse à laquelle se succèdent les informations issues du traitement de chaque élément débordait les capacités de rétention du souvenir et comme si la lecture des mots suivants effaçait le souvenir des précédents. L’expérience prouve que, dans la très grande majorité des cas, il suffit de demander à ces sujets de ralentir leur rythme de lecture pour que la compréhension de l’ensemble du texte devienne possible.
L’automatisation de la lecture
La mise en place des circuits qui conduisent à la compréhension du langage écrit s’accompagne de procédures dont le but est d’automatiser leur action.
La répétition d’une même stimulation sensorielle s’accompagne d’une diminution du nombre de neurones impliqués dans son traitement en raison d’un phénomène de sélection qui retient les neurones les plus performants pour accomplir la tâche demandée (Ungerleider, 1996). C’est également la répétition de la stimulation qui permet d’envisager la possibilité d’un aiguillage de l’information à traiter vers des circuits qui éliminent certaines étapes intermédiaires. Il ne faut pas confondre cette économie neuronale observée dans les fonctions cognitives avec les modifications de l’anatomie qui se produisent lors de l’acquisition des savoir-faire. Dans les cas où intervient une composante motrice, l’entraînement opère un recrutement de neurones dans des régions corticales voisines pour améliorer les performances dans la réalisation de la tâche, augmentant ainsi la surface des aires concernées pour le travail à accomplir. L’IRM.f le montre clairement, par exemple, dans les études pratiquées sur le cerveau des violonistes virtuoses (Elbert & Rockstroh, 1996).
Parallèlement à la sélection des neurones interviennent des phénomènes d’automatisation qui optimisent les possibilités de compréhension en accélérant l’exécution des différentes opérations phonologiques et sémantiques.
En raison des traces laissées dans les circuits par les stimulations précédentes la répétition de celles-ci est un élément clé de l’apprentissage. Plus elles sont intenses et proches dans le temps de celles qui ont permis la mise en mémoire de l’information, plus les circuits concernés se mobilisent rapidement (Kandel & Hawkins, 1992). La capacité d’utilisation des savoirs acquis dépend de la qualité de la stimulation qui a permis de les mettre en mémoire ainsi que des conditions dans lesquelles elle se produit.
D.Share(1995) a montré qu’une des caractéristiques des lecteurs en difficulté est le fait qu’ils n’ont pas une maîtrise suffisante du code pour pouvoir l’appliquer aux mots pour lesquels des circuits ne sont pas déjà créés. Pour les bons lecteurs, la connaissance du code alphabétique est suffisante pour que toutes les combinaisons possibles de ces éléments aboutissent à leur prise de conscience phonologique. Chez les lecteurs en difficulté, les connexions entre les morceaux du puzzle s’établissent laborieusement. Un entraînement important est chez eux nécessaire pour que chaque possibilité d’assemblage puisse donner naissance à un circuit stable mais la lecture des non-mots leur reste toujours difficile. Le fait de ne pouvoir parvenir à manipuler facilement les graphèmes et phonèmes pour créer, à partir de cette connaissance, toutes les associations possibles constitue un handicap majeur dans le maniement des langues combinatoires dont la nature même est basée sur ce principe. On comprend ainsi que plus l’écart est grand entre le nombre de graphèmes et de phonèmes, plus l’apprentissage écrit d’une langue en est difficile pour les sujets qui ne parviennent pas à associer facilement ces éléments. L’anglais présente, en ce domaine, une difficulté majeure.
Quelle que soit l’origine de cette difficulté d’assemblage phono-graphémique, l’apprentissage joue, au niveau du résultat, un rôle essentiel. Meilleure sera la connaissance des parties qui composent le code, meilleures seront les possibilités de réutilisation de celui-ci dans des combinaisons aux multiples variations. C’est ce phénomène qui explique que l’apprentissage explicite du code, en limitant le nombre d’erreurs possibles, soit plus efficace qu’un apprentissage implicite qui laisse place à une probabilité beaucoup plus grande de confusions dans l’acquisition de la connaissance des concordances entre le lexique des phonèmes et celui des graphèmes. C’est aussi la raison de l’efficacité des mesures pédagogiques qui utilisent la manipulation des sons associée à celle des lettres et à l’écriture dans l’apprentissage du code (Williams, 1980; Chall, 1983; Adams, 1990; Brown & Felton, 1990; White, Graves & Slater, 1990; White, Graves & Slater, 1990; Felton, 1993; Tunmer & Hoover, 1993; Dole, Sloan & Trathen, 1995; Chall, 1996a ; Vellutino, Scanlon, Sipay, Small, Pratt, Chen & Denckla, 1996; Rinaldi, Sells & McLaughlin, 1997; Fielding-Barnsley, 1997; Tomesen & Aarnouste, 1998).
L’ensemble de ces faits montre à quel point le travail du module phonologique et supérieur du cerveau sont complémentaires, imbriqués l’un dans l’autre et indissociables, situation qui ne fait que se renforcer lors de l’apprentissage de l’écrit et de l’apparition des automatismes qui traduisent sa maîtrise. Tous les procédés pédagogiques qui facilitent la mise en mémoire des liens qui unissent les graphèmes et les phonèmes simplifient le travail du module supérieur du cerveau et lui permettent d’atteindre son maximum d’efficacité en s’appuyant sur des données phonologiquement exactes, facilement et rapidement utilisables. C’est ce que prouvent les études qui mettent en évidence le fait que la compréhension se développe quand la maîtrise du code phonologique progresse (Calfee & Pientkowski, 1981 ; Herman, 1985). Ainsi, non seulement l’apprentissage explicite du code alphabétique réalisé avec des procédés pédagogiques qui en renforcent l’efficacité, n’est jamais une entrave à la compréhension du texte lu mais il en est une nécessité incontournable.
Avant d’envisager les liens qui unissent l’anatomie et l’apprentissage du langage écrit, il est utile de rappeler quelques notions essentielles concernant le rôle de l’hémisphère droit dans la lecture.
CAPACITES LANGAGIERES DE L’HEMISPHERE DROIT
Dans les conditions normales du fonctionnement cérébral, l’hémisphère gauche assure pratiquement à lui seul les opérations qui conduisent à la compréhension et à la production de la langue orale et écrite.
En ce qui concerne le langage oral, l’hémisphère droit n’a pas accès à la parole. Il ne peut nommer les objets mais est capable de les apparier avec des images, montrant ainsi qu’il les reconnaît (Cambrier & Verstichel, 1998).
Chez des enfants dont l’hémisphère gauche a été lésé de manière très importante ou a même dû être totalement retiré, l’hémisphère droit a pu acquérir des fonctions langagières mais celles-ci sont demeurées très rudimentaires. Le langage n’a jamais atteint le niveau du discours intentionnel. Il reste une réaction affective à l’expression très pauvre et le plus souvent stéréotypée, avec répétition des mêmes mots. Il existe, dans ces cas, des capacités de réorganisation cérébrale partielle de la fonction langagière au profit de l’hémisphère droit mais on a pu constater qu’elles diminuaient assez rapidement avec l’âge pour devenir nulles si la lésion survenait après l’âge de 14 ans. En cas de transfert du langage à l’hémisphère droit, les aires cérébrales modifient partiellement leur spécificité et des neurones des régions pariéto-temporales droites, habituellement destinés à la reconnaissance spatiale sont recrutés pour assurer une fonction langagière rudimentaire. On a alors pu constater chez ces sujets l’apparition de troubles de la représentation de l’espace (Habib, 1997 ).
Dans le domaine de la lecture, nous savons que les lésions de l’hémisphère droit ne perturbent ni la lecture du Kana ni celle du Kanji (Iwata, 1986). D’autres études portant sur des sujets victimes de lésions de l’hémisphère droit ont montré qu’ils étaient capables de lire et de comprendre ce qu’ils lisent avec, pour certains d’entre eux, une simple « dyslexie de négligence » (difficulté de lecture, peu perturbatrice, portant sur la partie gauche des mots)(Habib, 1997).
Les pathologies ou les sections chirurgicalesdu corps calleux au sein duquel s’établissent les connexions interhémisphériques par croisement des axones issus des aires d’association, ont permis de mettre en évidence la participation de chaque hémisphère dans les fonctions cognitives. En cas de section du corps calleux, les mots qui parviennent à l’hémisphère gauche, sont parfaitement lus, compris et oralisés quelles que soient leurs caractéristiques : longueur, fréquence d’usage, forme grammaticale. Par contre, les mots traités uniquement par l’hémisphère droit, ne peuvent être reconnus que s’ils sont courts, très fréquemment utilisés et concrets. Même si des efforts d’attention améliorent les résultats de ces sujets, leurs performances restent limitées et ils ne peuvent accéder que difficilement à la signification des termes qu’ils parviennent à lire (Sperry & Gazzaniga, 1967; Sperry, 1974 ; 1982, Habib, 1997 ; Cambrier & Verstichel, 1998, Habib, Ceccaldi & Poncet, 1990a).
Alors que l’hémisphère droit domine le traitement du dessin, de l’image et de la perception (en particulier en trois dimensions), il apporte uniquement, au niveau du langage écrit, des informations concernant le contrôle de la ligne d’écriture sur la page (Cambrier & Verstichel, 1998) mais n’intervient pas dans la reconnaissance de la forme et de l’orientation des lettres qui sont assurées par l’hémisphère gauche.
Il participe au rappel du souvenir et facilite l’élaboration du sens des éléments lus de plusieurs manières. Il intervient dans leur intégration dans leur contexte lexical, grammatical et sémantique. Il permet la perception des nuances, du rythme de la phrase et enrichit la compréhension par la prise en compte du contexte esthétique et affectif du texte. Alors que la logique s’élabore dans l’hémisphère gauche en raison de son mode de fonctionnement analytique, l’hémisphère droit, comme le résument très clairement J.Cambrier et P.Verstrichel, « atténue la rigueur sémantique au profit d’une dimension poétique, voire, il témoigne d’une certaine critique exprimée par l’intonation, la mimique, des adverbes modulatoires ou des locutions automatiques qui tempèrent la rigueur logique de l’hémisphère dominant » (Le cerveau réconcilié, 1998, p.212). Apporte-t-il dans le discours et la compréhension de l’écrit un « supplément d’âme » qui en enrichit la pratique ? Est-ce de son action que dépendent les différences entre les individus concernant leur qualité d’expression verbale et écrite, leurs niveaux de sensibilité littéraire ou de créativité ? Il n’existe pas, à ma connaissance, de travaux permettant d’affirmer ceci mais, en raison du rôle joué par l’hémisphère droit dans la compréhension des situations artistiques, intuitives et affectives, cette hypothèse paraît envisageable. Peut-être que dans un proche avenir, la comparaison en IRM.f. du fonctionnement cérébral de différents groupes de sujets présentant des aptitudes bien caractérisées, permettra de préciser cette question. Quelle que soit la réponse à cette interrogation, le point important en ce qui concerne la lecture est que, dans les conditions normales du fonctionnement cérébral, la domination de l’hémisphère gauche dans le domaine du langage est telle que celui-ci réduit à peu de chose l’intervention de son homologue droit. Même lésé, sa seule présence suffit à bloquer toute intervention déterminante de l’hémisphère droit dans cette fonction cognitive (Cambrier & Verstichel, 1998).
A cette situation s’ajoute l’action inhibitrice du corps calleux qui par « effet bouclier » (M.Habib, 1997) empêche le passage vers l’hémisphère gauche des informations issues de l’hémisphère droit susceptibles de venir perturber son travail. On constate, en effet, qu’il existe très fréquemment chez les dyslexiques une moindre activation de l’hémisphère gauche dans la lecture, associée à une plus grande participation de l’hémisphère droit que chez le sujet normo-lexiques (Habib, Robichon & Demonet, 1996).
Qu’il s’agisse de l’étude des lésions anatomiques cérébrales, des travaux réalisés en IRM.f ou PET chez de bons lecteurs ou des sujets en difficultés au niveau du langage écrit, la prédominance de l’hémisphère gauche, ne laisse plus place au doute concernant le caractère analytique de la lecture à tous les stades de son évolution.
ANATOMIE CEREBRALE ET DIFFICULTES D’APPRENTISSAGE DE LA LANGUE ECRITE
Ce travail n’étant pas un traité de neurologie n’a pas la prétention de présenter une étude anatomique détaillée des circuits du langage ou une description de l’ensemble des anomalies rencontrées dans le cerveau des dyslexiques. Il retient uniquement les éléments qui permettent de mieux comprendre les mécanismes mis en œuvre dans la lecture pour en optimiser l’apprentissage.
Principales anomalies organiques significatives
Parmi les anomalies organiques les plus significatives observées chez les lecteurs en difficulté, nous retiendrons ici les éléments essentiels.
Modifications de l’asymétrie du Planum Temporale
Cette portion du lobe pariétal qui joue un rôle majeur dans la lecture est 7 fois plus développée à gauche qu’à droite chez les sujets normo-lexiques. De nombreuses publications font état d’une diminution de cette asymétrie par augmentation de surface du Planum Temporale droit, observée chez de nombreux dyslexiques. Cette modification des symétries est fréquemment associée à la présence d’ectopies cellulaires à la surface du cortex de l’hémisphère gauche ainsi qu’à une altération de l’ordonnancement des colonnes de neurones dans les zones dévolues au traitement du langage (Galaburda, 1985; Galaburda, Corsiglia, Rosen, Sherman, 1987; Habib & Galaburda, 1994; Habib, Robichon, 1996; Léonard, Lombardino, Mercado, Browd, Breier & Agee, 1996; Habib 1997; Fletcher, Simos, Papanicolaou & Denton, 2002). Ces perturbations neurologiques, liées à une migration atypique des cellules neuronales pendant la vie embryonnaire, pourraient être la cause de l’augmentation du temps nécessaire à l’identification de deux sons distincts en rendant les connexions plus difficiles à établir entre les neurones lors de la mise en place des circuits du langage (Habib, Robichon, & Démonet, 1996).
Modifications métaboliques dans les aires du langage
On constate que chez de nombreux sujets en difficultés dans l’apprentissage et la pratique de l’écrit, il existe une diminution de la consommation en oxygène des aires du langage (Rumsey, Andreason, Zametkin, Aquino, King, Hamburger, Pileus, Rapport & Cohen 1992; Rumsey, Nace, Donohue, Wise, Maisog, Andreason 1997; Fletcher, Simos, Papanicolaou & Denton, 2002) et en particulier du gyrus angulaire gauche attestant de l’existence de troubles métaboliques à ce niveau chez les lecteurs en difficulté. (Gross-Glenn, Duara, Barker, Lowenstein, Chang, Yoshii, Apicella, Pascal, Boothes, Seuush, Jallad, Novoa, & Lubs, 1991).
Anomalies de la substance blanche cérébrale
Celles-ci traduisent des perturbations de la myélinisation des fibres conductrices de l’influx nerveux et perturbent sa circulation dans les circuits cérébraux (Klinkenberg, Hedehus, Temple, Salz, Gabrieli, Moseley, Poldrack, 2000).
Diminution du nombre de connexions entre le Gyrus Angulaire et les autres aires du langage
Cette constatation apparaît dans de nombreuses études (Shaywitz,S.E., Shaywitz,B.A., Pugh, Fulbright, Constable, Mencl, Shankweiler, Liberman, Skudlarski, Fletcher, Katz, Machione, Lacadie, Gatenby, Gore, 1998 ; Pugh, Mencl, Shaywitz,B.A, Shaywitz,S.E. Fulbright, Constable, Skudlarski, Marchione, Jenner, Fletcher, Liberman, Shankweiler, Katz, Lacaldie & Gore, 2000; Schaywitz, Pugh, Jenner, Fulbright, Fletcher, Gore, Shaywitz,B.A, 2000 ; Simos,Breier,Wheless, Maggio, Fletcher, Castillo, Papanicolaou,2000a). Elle confirme le rôle crucial que N.Geschwind (1970) attribuait déjà à ce carrefour dans la circulation des informations liées à la production du langage écrit.
Modifications de taille des aires du langage et participation atypique de l’hémisphère droit à la lecture
Chez les lecteurs en difficultés, l’IRM.f. a permis de constater, avec une grande fréquence, une diminution de la taille des aires temporales, pariétales et frontales gauches concernées par le langage écrit avec une plus grande participation de l’hémisphère droit à cette fonction cognitive. (Filipeck,1996; Shaywitz,S.E., Shaywitz,B.A., Pugh, Fulbright, Constable, Mencl, Shankweiler, Liberman, Skudlarski, Fletcher, Katz, Marchione Lacadie, Gatenby, Gore, 1998; Pennington, Filipek, Churchwell, Kennedy, Lefley, Simon, Filley, Galagurda, Alarcon & DeFries, 1999; Shaywitz,S.E., Pugh, Jenner, Fulbright, Fletcher, Gore, & Shaywitz,B.A.2000; Shaywitz,S.E., Shaywitz,B.A., Pugh, Mencl, Fulbright, Constable, Shankweiler, Jenner, Fletcher, Marchione, Shankweiler, Katz, Liberman, Lacadie, Gore, 2002).
La prééminence de l’hémisphère gauche, tout en restant dominante chez les dyslexiques est moins marquée que chez les bons lecteurs. Les aires pariéto-temporales droites ainsi que les aires visuelles occipitales droites sont, chez eux, beaucoup plus impliquées dans la lecture que celles des sujets qui ne présentent pas de difficultés en ce domaine (Gross-Glenn, Duara, Barker, Lowenstein, Chang, Yoshii, Apicella, Pascal, Boothes, Seuush, Jallad, Novoa, & Lubs, 1991).
Ces études montrent également que les anomalies trouvées chez les élèves considérés comme « à risques » parce qu’ils présentent des difficultés de discrimination des phonèmes sont identiques à celles qui sont mises en évidence chez les lecteurs âgés qui ne sont pas parvenus à lire correctement (Simos, Breier, Fletcher, Bergman, Papanicolaou, 2000b ; Simos, Fletcher, Bergman, Breier, Foorman, Castillo, Davis, Fitzgerald, Papanicolaou, 2002a ; Simos, Fletcher, Foorman, Francis, Castillo, Davis, Fitzgerald, Mathes, Denton, Papanicolaou, 2002b).
La connaissance de ces perturbations est d’autant plus importante que l’imagerie médicale montre qu’un grand nombre d’entre elles disparaissent après rééducation.
Modifications anatomiques constatées après rééducation
Des études comparatives effectuées par IRM.f chez des sujets victimes de difficultés de lecture avant et après rééducation orthophonique montrent que celle-ci réduit la participation de l’hémisphère droit à la lecture au profit de celle de l’hémisphère gauche qui s’amplifie, conférant ainsi
Au cerveau qui se rapproche de celle des sujets normo-lexiques. Ceci confirme bien que l’intrusion de l’hémisphère droit dans la lecture est un élément perturbateur.
Le supplément d’activation de l’hémisphère gauche porte sur toutes les aires du langage mais est plus marquée au niveau du gyrus angulaire (Fletcher, Simos, Papanicolaou & Denton, 2002; Simos, Fletcher, Bergman, Breier, Foorman, Castillo, Davis, Fitzgerald, & Papanicolaou, 2002a; Temple, Deutsch, Poldrack, Miller, Tallal, Merzenich & Gabrieli, 2003; Aylward, Richards, Berninger, Nagy, Field, Grimme & al. 2003). Or, l’IRM.f montre clairement que le cerveau des dyslexiques qui ont bénéficié d’une rééducation orthophonique perd cette particularité anatomique. Il se rapproche de celui d’un sujet qui ne présente pas de difficultés de lecture. Les récents travaux de J.M.FLETCHER, P.G.SIMOS, A.C.PAPANICOLAOU et C.DENTON (2002) dont sont issus les schémas présentés ci-dessous montrent bien qu’après rééducation du langage écrit, le nombre des localisations droites des centres du langage diminue au profit des aires de l’hémisphère gauche qui se développent.
FIGURE 5. Activation maps from a poor reader before and after intervention. Note the dramatic increase in left temporoparietal activation associated with the significant improvement in phonological decoding and word recognition ability (data adapted from Simos et al., 2002a).
(une des figures illustrant le texte "neuroimaging in reading research" dont les auteurs sont Jack M.Fletcher, Panagiotis G. Simos, Andrew C. Papannicolaou et Carolyn Denton)
Par quel procédé la rééducation parvient-elle à ce résultat ? Agit-elle en renforçant les capacités d’inhibition du corps calleux, trop faibles chez le dyslexique ? Ceci serait cohérent avec le fait que les dyslexiques présentent souvent un corps calleux plus volumineux que la moyenne des sujets au niveau de l’isthme. Ce volume excessif pourrait être dû à une régression insuffisante pendant la période péri-natale des fibres d’association qui relient les régions pariéto-temporales des deux hémisphères (Habib, 1997). Il serait intéressant de mener des études destinées à savoir si le travail de rééducation parvient à bloquer les informations issues de ces fibres surnuméraires et renforce le rôle inhibiteur du corps calleux, parvenant ainsi à faire « taire » l’hémisphère droit et à normaliser une situation de lecture antérieurement perturbée par l’irruption de données analogiques dans un système neuronal au fonctionnement analytique.
Ces observations démontrent que la rééducation, comme l’apprentissage, modifie la structuration des circuits cérébraux (Lyon, Fletcher, Barnes, 2002). Cette connaissance d’une importance capitale confère aux pédagogues un rôle dont on mesure à la fois toute la noblesse mais aussi tous les risques. De leur action dépendra, en effet, la structuration des jeunes cerveaux qui leur sont confiés. Plus leurs choix pédagogiques apporteront aux structures neuronales les éléments dont elles ont besoin pour découvrir le sens du message écrit, plus les chances de structurer des circuits de qualité seront élevées. Cette exigence s’avère d’autant plus fondamentale que les circuits du langage jouent un rôle essentiel dans l’élaboration et l’expression de la pensée conceptuelle et donc dans le développement de l’intelligence verbale. Nous avons vu précédemment que dans une population d’élèves en âge d’apprendre à lire, se trouve un pourcentage élevé d’enfants qui, sans être de vrais dyslexiques, sont cependant porteurs de difficultés de discrimination des sons, de reconnaissance ou d’orientation des formes. La sagesse doit donc conduire à choisir une pédagogie qui facilite pour tous les élèves l’acquisition d’une parfaite connaissance du code alphabétique de leur langue. Les études mentionnées dans ce travail montrent clairement que l’apprentissage explicite du code est la condition essentielle de cet apprentissage optimisé. La pédagogie doit donc tendre à un double but : permettre l’apprentissage du code alphabétique en prévenant ou corrigeant d’éventuelles anomalies dans l’acquisition des correspondances phono-graphémiques et lui associer un travail destiné à favoriser la compréhension du texte. On diminue ainsi considérablement la probabilité d’échecs, en particulier chez les sujets « à risques » quelle que soit la cause de leur fragilité. Par contre, si la pédagogie n’apporte pas les éléments dont le cerveau a besoin pour se construire, des connexions aberrantes conduisant à la mise en mémoire de données erronées risquent de s’établir et d’être source d’erreurs lors du traitement phonologique et sémantique de l’information lexique avec toutes les conséquences que ces perturbations entrainent à court et long terme. Comme l’écrivaient M.HABIB, F.ROBICHON et J.F.DEMONET en 1996 (Le singulier cerveau des dyslexiques) : « La mise en activité, lorsque l’enfant apprend à lire, de circuits improprement connectés, pourrait jouer un rôle déterminant dans la stabilisation de ces connexions aberrantes et, par là même, dans la pérennisation des difficultés d’apprentissage ».
Au terme de cette courte – et bien incomplète - synthèse, se dégagent les points essentiels qui constituent la charpente d’un cahier des charges d’une pédagogie optimisée de l’apprentissage de la langue écrite. Il n’en sera présenté ici que les lignes directrices. L’expérience prouve que leur prise en compte optimise les résultats pour l’ensemble des enfants auxquels elles sont appliquées.
CONSEQUENCES PEDAGOGIQUES.
Les différents éléments qui se dégagent de la synthèse des mécanismes cérébraux qui conduisent à la compréhension de l’écrit permettent de mettre en évidence un ensemble de principes directeurs qui constituent le « cahier des charges » des mesures à respecter pour optimiser l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Démarche analytique et apprentissage explicite du code alphabétique
La dominance presque exclusive de l’hémisphère gauche dans la lecture conditionne la nature analytique des tous les mécanismes qui conduisent à la découverte du sens de l’écrit que ceux-ci soient de nature phonologique ou sémantique, quelle que soit la nature de la langue et son niveau d’automatisation (p.5-6). Cette localisation hémisphérique gauche exclut toute approche de type global que ce soit dans le cadre d’une découverte du sens par la voie phonologique ou par accès direct à la forme graphique des mots (p.24 -27). Nous avons largement montré les raisons pour lesquelles une maîtrise parfaite du code alphabétique est indispensable pour accéder au sens du texte lu. Quant à l’écriture, qu’elle soit manuelle où réalisée par l’intermédiaire d’un clavier d’ordinateur, elle s’effectue lettre à lettre et ne peut se concevoir sans maîtrise parfaite du code alphabétique. Tous les procédés pédagogiques qui tendent à faciliter la connaissance de la structure phonologique de la langue écrite optimisent donc son apprentissage.
L’apprentissage du code alphabétique doit être effectué de manière explicite. Les études comparatives pratiquées sur cette question montrent sans ambiguïté la supériorité de l’apprentissage explicite du code en partant des phonèmes pour les combiner entre eux par rapport à une approche de type implicite qui conduit à la découverte du lien qui unit phonèmes et graphèmes à partir des ensembles graphiques inclus dans des phrases ou des mots (p.18-19). Mais, qui dit apprentissage explicite du code ne signifie pas pour autant une répétition insipide de syllabes dépourvues de sens. Le travail concret que l’auteur de ces lignes a réalisé en ce domaine montre qu’il est possible de concilier apprentissage explicite du code alphabétique et intérêt de la lecture tout en respectant une contrainte incontournable : construire des phrases qui ne contiennent pour chaque leçon que le graphème en cours d’apprentissage associé à ceux qui ont été antérieurement étudiés. Cet objectif est atteint en choisissant, dès que l’apprentissage des voyelles est terminé, un ordre de présentation des graphèmes qui permette de construire des phrases porteuses de sens, courtes au début puis très rapidement intégrées dans des textes de plus en plus étoffés. Doivent, bien évidemment être exclus les mots qui contiennent des lettres muettes finales tant qu’il n’est pas possible de fournir à leur sujet une explication correspondant au niveau de connaissance atteint. La langue française est suffisamment riche pour permettre de relever ce défi et pour offrir à l’apprenti lecteur des pages susceptibles de retenir son intérêt tout en associant apprentissage du code et travail de compréhension.
Cette technique a l’avantage de répondre à la nécessité de comprendre la lecture sans laisser de place à l’improvisation. Elle assure la mise en mémoire et l’automatisation des acquis en permettant de revoir à chaque leçon les éléments appris antérieurement, présentés dans une grande diversité de combinaisons.
Moyens à mettre en œuvre pour permettre un apprentissage explicite du code alphabétique
Les procédés pédagogiques utilisés pour l’apprentissage du code alphabétique ont pour but d’alimenter le lexique des phonèmes et celui des graphèmes et de faciliter la comparaison des unités graphiques analysés avec les éléments mis en mémoire dans l’un et dans l’autre. Le raccourcissement du temps de traitement de l’information dans chaque pause oculaire ainsi obtenu améliore les chances de découverte du lien son/graphisme en permettant à celui-ci de se réaliser avant la disparition des souvenirs rappelés de la mémoire. Meilleure sera la qualité des informations transmises au module sémantique, meilleure sera la compréhension issue de celui-ci. (p.27 - 31).
Favoriser la discrimination des sons
En raison du rôle fondamental de la discrimination phonologique dans l’apprentissage de la langue orale et écrite et de la fréquence des difficultés présentées en ce domaine chez les enfants en âge d’apprendre à lire, des exercices spécifiques doivent être proposés en ce domaine, avant et pendant cet apprentissage à tous les enfants qu’ils soient ou non considérés comme « à risques » dans l’acquisition de la langue écrite (p.8-13).
Favoriser la discrimination des formes
Lire nécessite de reconnaître la forme d’un graphisme et écrire de savoir la reproduire. Ces deux visages de la même réalité sonore se complètent et sont indissociables l’un de l’autre. Leur apprentissage doit donc être simultané. C’est la raison pour laquelle les exercices permettant de mémoriser la forme des lettres doivent être réalisés systématiquement pour les lettres d’imprimerie et pour les lettres manuscrites. Les études mentionnées pages 19 et 20 ont montré l’efficacité de ce travail associé.
Les meilleurs lecteurs perçoivent facilement de très petites variations de formes alors que les dyslexiques présentent au contraire des difficultés pour les analyser visuellement et les identifier dans les mots (p.14-17). L’optimisation de l’apprentissage passe donc par l’acquisition d’une parfaite connaissance des graphèmes chez tous les enfants.
De nombreux exercices permettent d’y parvenir. Ils ont pour but de faciliter la mise en mémoire de la forme des lettres en créant une stimulation forte produite par des techniques complémentaires.
Aux exercices moteurs et sensoriels qui sont spécifiquement destinés à développer la reconnaissance des formes des lettres s’ajoutent ceux qui permettent l’acquisition d’une bonne maîtrise de l’espace. L’utilisation de stimulations motrices et sensorielles fait parvenir l’information au cortex sous plusieurs formes afin d’en augmenter l’intensité. Nous signalons ici ceux qui nous paraissent indispensables en sachant que la créativité des pédagogues doit leur permettre d’en élaborer d’autres.
Utiliser le toucher
L’expérience permet de constater l’efficacité de l’utilisation de lettres tracées dans des supports rugueux. Cette technique d’apprentissage, introduite dans de la lecture par Maria Montessori, permet d’adjoindre stimulations tactiles et visuelles qui se renforcent l’une et l’autre pour favoriser la mise en mémoire de la forme de l’objet perçu.
Manipuler des lettres mobiles
Associée à la prononciation du son auquel elles correspondent ainsi que la construction, avec ces lettres, de mots réalisables avec les graphèmes étudiés, la manipulation de lettres mobiles est également une nécessité pédagogique (p.18). Elle facilite à la fois la mise en place du lien son/graphisme et la compréhension de l’ordre des lettres dans un mot.
Utiliser le geste
L’étude de certaines alexies montrent que les sujets qui cherchent à lire sans y parvenir tentent de retrouver la signification des lettres en essayant de reproduire leur tracé grâce à des gestes effectués dans l’espace ou tracés au doigt sur leur table. Ils parviennent ainsi, parfois, à retrouver le son des lettres et peuvent parvenir à épeler les mots. Cependant, cet exercice ne leur permet pas d’accéder à la lecture. Leur déficit de mémorisation des éléments phonologiques identifiés ne leur donne pas la possibilité d’assembler les lettres pour lire des mots, sauf lorsque ceux-ci sont très courts (Cambrier & Verstichel, 1998, p.228). Ces observations montrent que le geste, comme le toucher, représente une aide dans l’identification du graphisme et justifie l’usage de techniques qui mettent en œuvre la motricité et les perceptions sensorielles pour augmenter les chances de mémorisation du code phono-graphologique de la langue écrite. L’observation de la technique utilisée par les alexiques pour tenter de reconnaître les graphèmes m’a personnellement incitée à préconiser l’usage de gestes représentant le tracé de la lettre dans l’espace plutôt que d’introduire un mouvement destiné à la représenter de manière plus ou moins figurative ou symbolique.
L’expérience montre que le fait d’adjoindre systématiquement exercices phonologiques et sensori-moteurs accélère l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez tous les enfants, y compris chez les dyslexiques. L’optimisation des résultats est atteinte quand ces stimulations sont administrées par périodes courtes et à intervalles rapprochés, ce qui est en accord avec les résultats des recherches effectuées sur les conditions de l’apprentissage dans les neurones (p.25-26 : travaux Kandel).
Moyens à mettre en œuvre pour faciliter le travail du module sémantique
Nous avons montré antérieurement que l’amélioration du travail phonologique est essentielle pour faciliter la compréhension. Tous les procédés d’apprentissage de l’écrit qui sont susceptibles d’améliorer la qualité et la rapidité du travail phonologique ont donc une incidence directe sur la compréhension (p. 8-20).
Cependant, les études portant sur cette question montrent aussi la nécessité d’associer à l’apprentissage du code un travail destiné à faciliter la compréhension du texte. Celui-ci s’adresse au module sémantique auquel il faut fournir les éléments dont il a besoin pour accomplir son travail. On retrouvera donc dans la méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture proposée ici les axes de travail signalés antérieurement pour favoriser la compréhension (p. 22-23).
Ce travail sur le sens doit s’intégrer, dès son début, à l’apprentissage de l’écrit pour répondre à la nécessité d’installation immédiate du lien qui existe entre le temps phonologique et sémantique du traitement du langage écrit. S’y ajoute deux autres raisons essentielles : d’une part, l’élève doit prendre conscience du fait que lire conduit à comprendre et, d’autre part, il doit ressentir le sentiment de récompenses qui accompagne l’effort couronné de succès.
Une bonne pédagogie de la lecture se doit donc de présenter des phrases et textes dont le contenu soit riche sur le plan lexical. Mais, en raison de la grande disparité dans les connaissances des élèves en ce domaine, le maître doit s’assurer de la compréhension de chaque mot rencontré par chacun des enfants de sa classe. Demander aux élèves de formuler avec leurs propres mots ce qu’ils ont compris en lisant a le double avantage de permettre de compléter leurs connaissances en vocabulaire et d’améliorer leur maîtrise de la syntaxe de base de la phrase. S’il n’est pas réaliste de penser proposer de la grammaire explicite à ce stade de l’apprentissage, il est cependant indispensable d’amener les enfants à comprendre que l’usage du langage, oral et écrit, nécessite l’emploi de mots dont la fonction dans la phrase détermine la compréhension de celle-ci. Dès que les textes comportent quelques phrases, la formulation est remplacée par le résumé du texte lu afin d’apprendre au lecteur à en retenir les éléments essentiels et à exercer leurs capacités d’analyse et de synthèse.
Enfin rappelons que le travail de lecture doit être, en permanence, associé à l’écriture. L’apprentissage de chaque graphème doit donc comporter des exercices de restitution écrite de mots et phrases construites avec les éléments disponibles à chaque étape de l’apprentissage. L’enfant acquière et automatise ainsi peu à peu les circuits cérébraux qui lui permettent de comprendre ce qu’il lit, de maîtriser l’écriture et de développer ainsi les structures indispensables à l’utilisation de sa pensée conceptuelle.
Autres exigences pédagogiques
A ces obligations, nous ajouterons deux éléments qui contribuent, eux aussi, à l’efficacité de cette pédagogie.
La présentation des textes en noir et blanc
Les connaissances dont nous disposons concernant la perception des contrastes nous montrent que ceux-ci sont optimisés par une calligraphie noire sur fond blanc qui facilite la perception de la forme des lettres (p.17)
L’absence d’images
Nous avons vu que l’évolution du cerveau du dyslexique pendant la rééducation conduit à réduire l’influence de l’hémisphère droit dont l’action est largement inhibée par la rééducation (p.36-37). Les observations issues de l’IRM.f. montre que plus le rôle de l’hémisphère droit se réduit dans la lecture, plus les performances du lecteur s’améliorent. Dans le cas d’un texte illustré, l’hémisphère gauche se charge de la compréhension des signes graphiques traités selon le mode analytique alors que l’hémisphère droit prend en charge le traitement analogique de l’image. L’attention se trouve donc partagée entre ces deux types de travaux. Il serait instructif d’observer en IRM.f. les résultats d’une lecture de texte avec et sans images chez de bons lecteurs et chez des sujets en difficultés face à l’écrit. Ce double travail peut, en effet, être une source supplémentaire d’échec. L’image, proposée sous forme d’illustrations en même temps que la lecture, traitée par l’hémisphère droit, détourne à son profit une partie de l’attention destinée au traitement du graphisme. Elle constitue, de plus, une source d’erreurs en mêlant les interprétations issues de l’hémisphère droit aux efforts de compréhension de l’hémisphère gauche. Nous vivons dans une civilisation où l’image prend une place prépondérante. Le cerveau de l’enfant est très tôt confronté à des situations qui sollicitent, plus que par le passé, l’hémisphère droit. La télévision et les jeux vidéo remplacent souvent les histoires que les mères et grands-mères lisaient jadis aux enfants. Lors de ses premiers contacts avec l’écrit, son hémisphère droit a été beaucoup plus stimulé que son hémisphère gauche. Le risque de lui voir donner la priorité à la compréhension de l’image et à l’interprétation du sens à partir de celle-ci est donc important. Cette réflexion conduit à proposer une méthode qui ne comporte aucune illustration. L’expérience prouve que cette approche, souvent considérée comme austère par les adultes, est très bien acceptée des enfants et favorise l’apprentissage de la lecture. Là encore on constate que la neurologie apporte la justification de cette réalité : les liens qui existent entre le cortex superficiel et les formations cérébrales plus profondes font que le cerveau dans son ensemble est concerné par les performances qu’il obtient et trouve sa récompense et la satisfaction qui en résulte dans ses propres réussites. Le plaisir de lire n’est pas lié à l’aspect esthétique de l’ouvrage mais à la compréhension extraite du texte lu.
L’oralisation de la lecture
Enfin, signalons que nous donnons, chez l’apprenti lecteur une priorité absolue à l’oralisation. L’écrit n’a pas d’existence propre. Il a pour but de traduire la parole par des signes graphiques qui en assure la pérennité. Il n’est pas surprenant que dans l’évolution du cerveau les aires de langage oral et écrit soient contiguës des aires motrices qui commandent la production de la parole L’oralisation de la lecture représente son aboutissement naturel. L’expérience montre que spontanément, le jeune lecteur lit à voix haute. La lecture silencieuse nécessite, en effet, l’intervention de neurones inhibiteurs qui coupent les circuits du langage avant leur entrée dans les zones motrices. Il s’agit d’une complexification du traitement de l’information dont l’apprenti lecteur doit être dispensé. D’autre part, l’oralisation des éléments prononcés et perçus par le lecteur lui permet de prendre conscience concrètement du lien qui unit le son aux graphismes et, éventuellement, d’autocensurer sa production phonologique. On voit mal sur quels arguments logiques on peut s’appuyer pour défendre la lecture silencieuse pourtant si largement prônée pendant de très nombreuses années.
Nous avons résumé ici les éléments pédagogiques qui nous paraissent devoir figurer dans toute pédagogie de la lecture et de l’écriture. Cette démarche a pour but essentiel d’optimiser les résultats en respectant les lois du fonctionnement cérébral et en apportant au module phonologique et sémantique du cerveau les éléments dont ils ont besoin pour structurer les circuits conduisant à la découverte du sens de l’écrit. La meilleure preuve de l’efficacité de cette technique d’apprentissage réside dans les résultats qu’elle permet d’obtenir aux enfants auxquels elle est proposée. Ils la pratiquent avec plaisir et parviennent à lire et à écrire sous la dictée qu’ils soient dyslexiques ou non et quel que soit le contexte psycho-affectif dans lequel ils vivent. C’est la meilleure récompense que puisse en attendre son auteur.
CONCLUSION
Grâce aux acquis des neurosciences de ces trente dernières années, il est possible de mettre en évidence les principes directeurs d’une pédagogie optimisée de la lecture et de l’écriture. Les plus récentes études, effectuées avec les procédés les plus modernes d’investigation non invasives du fonctionnement cérébral montrent que les choix pédagogiques ont une importance majeure sur la structuration du cerveau. Ainsi, non seulement ils ont une incidence directe sur l’acquisition des savoirs liés à l’usage de l’écrit mais ils jouent également un rôle capital dans le développement des aptitudes qui utilisent le langage comme moyen d’expression. Ils constituent donc un des supports privilégiés de la pensée conceptuelle.
A une époque où la connaissance issue du progrès scientifique a une influence grandissante dans la vie journalière de chacun d’entre nous, il est plus que surprenant de constater que les pédagogues, en tout cas en France, ne sont pas sensibilisés au rôle majeur que le cerveau joue dans les apprentissages et à leurs responsabilités dans la structuration de celui-ci. Maintenus à l’écart des connaissances en ce domaine, leurs choix pédagogiques ne peuvent se fonder que sur des techniques élaborées à partir d’hypothèses qui n’ont reçu aucune validation et dont l’étude montre, pour un très grand nombre d’entre elles, la nocivité. Certes, personne ne peut se vanter d’avoir percé tous les mystères de cet étrange organe qui doit parvenir à découvrir et expliquer lui-même son propre fonctionnement et chaque découverte, en nous éclairant d’avantage, génère de nouvelles interrogations. Cependant, nous disposons désormais d’un faisceau suffisant de connaissances pour mettre en œuvre des mesures pédagogiques susceptibles d’apporter à tous les enfants, quel que soit leur milieu social, leurs éventuels handicaps et leur potentiel intellectuel, le moyen de maîtriser les différents aspects de leur langue et de se construire des circuits cérébraux de qualité afin de pouvoir tirer le meilleur parti de leurs aptitudes. L’auteur de ce travail et des propositions pédagogiques qu’il lui a été possible d’élaborer et d’expérimenter auprès d’élèves en difficulté, espère, à son modeste niveau, contribuer à atteindre cet objectif. Mais sa seule action isolée est bien insuffisante face à l’importance du nombre d’enfants qui rentrent chaque année dans la spirale de l’échec, avec toute la souffrance que cette situation engendre pour eux comme pour leur famille. Certains diront qu’il s’agit là d’un discours qui n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Pourtant, malgré les les diverses déclarations des uns et des autres, les textes officiels émanant du ministère français de l’éducation nationale ainsi que les réalités quotidiennes de la vie scolaire telles qu’on peut les observer actuellement, montrent que rien ne change et ne changera dans les modes d’apprentissage de la langue écrite à court et moyen terme. L’espoir ne pourra renaître que lorsque les responsables de la formation des maîtres auront admis le rôle que joue le cerveau dans les apprentissages et la nécessité de tenir compte dans la pédagogie des exigences de son fonctionnement. Ce jour viendra car les réalités finissent toujours par s’imposer. Mais combien faudra-t-il encore d’années pour que se produise une évolution des mentalités suffisante afin de sortir de l’obscurantisme et de proposer aux enfants des pédagogies qui leur donnent, enfin, les moyens de maîtriser leur langue afin que chacun d’eux puisse disposer accéder au savoir et développer ses aptitudes intellectuelles ?
ANNEXE
Alors que les difficultés de discrimination des sons ont été très largement étudiées dans les divers troubles de l’apprentissage de l’écrit, nous n’avons trouvé qu’un nombre réduit de travaux portant sur les conséquences des perturbations de reconnaissance et d’orientation des formes chez les enfants en échec dans le domaine de l’écrit.
Une étude personnelle effectuée sur 431 cas d’élèves en échec face à l’écrit, publiée en annexe de ce texte permet de mettre en évidence le fait que 42% des sujets atteints de difficultés d’apprentissage de l’écrit pris en compte dans ce travail présentaient une difficulté d’identification des formes et 51% des anomalies de latéralisation. 24% d’entre eux présentaient ces deux difficultés associées.
Cette étude porte sur une population de 431 d’élèves vus en consultations privées. Ils sont scolarisés du CP à la 5ème. Ils présentent tous des difficultés importantes pour lire ou/et des dysorthographies massives.
Tous les élèves de cet échantillon ont appris à lire avec une pédagogie de type global ou semi-global.
Les enfants présentant des troubles psychoaffectifs qui étaient la cause de leurs difficultés n’ont pas été inclus dans cette étude. Deux raisons motivent ce choix.
Ces 431 cas ont été vus à la demande de leurs parents. Il s’agit donc d’un échantillon différent de celui d’une population standard car tous ces enfants bénéficient ici d’un environnement favorable à la réussite. Pourquoi ces enfants sans perturbations psychoaffectives, vivant dans un contexte socio-familial porteur, sont-ils cependant en échec face au langage écrit ? Peut-on éviter ces échecs en lecture et, si oui, comment ?
Une lecture de bonne qualité nécessite à la fois de réussir les étapes du temps phonologique et celles du temps sémantique de traitement du langage. Pour y parvenir le cerveau doit disposer d’un certain nombre d’aptitudes :
- capacité de fixer l’attention sur la tâche à accomplir ;
- capacité de discriminer les sons en particulier ceux qui sont phonologiquement proches (ex : f/v ; s/z/ss ; ch/s)
Les pédagogies actuellement utilisées en France sont presque exclusivement d’inspiration globale ou semi-globale. Elles l’étaient lorsque cette étude a été menée, elles le sont encore malgré les diverses déclarations des uns et des autres. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le travail demandé aux enfants pour constater que l’apprentissage de la concordance entre phonèmes et graphèmes est abordée exclusivement par des moyens implicites. Placé devant des mots ou des ensembles de mots dont il ne connaît pas les éléments constitutifs, l’enfant entreprend un travail de décryptage qui est censé lui permettre de découvrir le code de correspondance entre graphèmes et phonèmes. Pour y parvenir, il compare ce qu’il voit avec ce qu’il entend. Les élèves qui ne présentent pas de dysfonctionnements dans le travail du module phonologique et supérieur du cerveau réussissent à apprendre à lire avec cette pédagogie. Les autres commettent des erreurs plus ou moins nombreuses qui transforment la lecture en un périlleux exercice de « devinettes ». Ces élèves comprennent mal le sens du texte, restent de mauvais lecteurs et présentent très souvent des dysorthographies très importantes. Ce sont eux que nous avons rencontrés dans cette étude.
Nous limiterons volontairement ce travail à l’analyse des anomalies qui peuvent perturber le traitement de l’information graphique : isolement des éléments de la chaîne graphique, reconnaissance de la forme, orientation dans l’espace des graphèmes et découverte de leur signification sonore.
CRITERES DE L’ETUDE ET CARACTERISTIQUES DE L’ECHANTILLON ETUDIE.
Ils portent sur :
1- SEXE
Les 431 cas sont composés de 151 filles (35%) et 280 garçons (65%). On retrouve ici la prédominance des garçons comme dans presque toutes les études portant sur les perturbations d’acquisition du langage écrit.
2- REPARTITION SELON LES CLASSES.
Toutes difficultés confondues (lecture et/ou orthographe), les 431 élèves se répartissent comme suit :
CP : 58 soit 13,5%
On constate que parmi cet échantillon d’élèves en difficultés 34% sont en début de Collège (classe de 6ème ou 5ème ). Leurs carences ont été découvertes ou persistent donc tardivement et leur interdisent de suivre une scolarité normale.
NATURE DES DIFFICULTES RENCONTREES
Nous isolerons ici deux groupes.
-Les élèves présentant des difficultés de lecture.
-Les élèves présentant des dysorthographies isolées.
Difficultés en lecture
Les enfants qui constituent ce groupe ont une lecture de si mauvaise qualité ou si lente qu’ils ne peuvent pas utiliser l’écrit avec efficacité et sont incapables de comprendre les consignes contenues dans un texte simple. Ils présentent tous une dysorthographie liée à leur méconnaissance de la lecture. Ce groupe représente 326/431 élèves vus pour échec face à l’écrit soit 75,5% de l’échantillon. Leur répartition par classes donne les résultats suivants :
CP : 47/58 soit 81% des élèves vus en CP.
CE1/CE2 : 87/113 soit 77% des élèves vus en CE1 et CE2.
CM1/CM2 : 92/113 soit 81,5% des élèves vus en CM1 et CM2.
6ème/5ème : 120/147) soit 81,5% des élèves vus en 6ème et 5ème.
On constate donc que 346 élèves/431 soit 80% des enfants présentant des difficultés face à l’écrit, sont incapables de lire correctement. S’il paraît logique qu’un pourcentage élevé de difficultés de lecture soit trouvé dans les premières classes du primaire, il est beaucoup plus anormal de constater que 81,5 % des élèves vus en fin de primaire et en début de collège (6ème, 5ème) dans cet échantillon sont incapables de lire correctement un texte simple. Ce chiffre est considérable dans une population d’enfants exempts de troubles affectifs et vivant dans de bonnes conditions d’environnement familial.
On mesure ici la responsabilité de l’insuffisance de maîtrise de la lecture dans l’échec scolaire ainsi que le caractère tardif de la prise de conscience des difficultés par l’entourage de l’enfant.
Difficultés orthographiques isolées.
Nous trouvons là 20% de l’échantillon total (soit 85 cas/431).
Ces élèves lisent correctement mais présentent des dysorthographies majeures.
Leur répartition par classe est la suivante :
CP : 13% (11/85)
Les 11 élèves de CP trouvés ici sont des enfants qui savent lire mais ne peuvent pas écrire des mots très simples dictés.
Nous constatons, là encore, le nombre important d’élèves qui présentent des dysorthographies sévères en fin de primaire et début de collège : 48/85 soit 56,5% de ce sous-groupe et 32,5% des élèves des classes de CM, 6ème, 5ème dans cet échantillon.
4-LATERALITE
La population étudiée comprend 90% de droitiers (386 cas) pour 10% de gauchers (45 dont 10 filles et 35 garçons). Le pourcentage de gauchers est donc identique à celui de la population générale. Le fait d’être gaucher n’augmente pas les risques de difficultés d’apprentissage de l’écrit.
5-QUOTIENT INTELLECTUEL
Il est important de savoir si un déficit intellectuel peut expliquer l’échec de ces élèves. Pour répondre à cette question, tous ont donc subi un test de WECHSLER destiné à mesurer leurs aptitudes dans le domaine de la pensée conceptuelle, de l’intelligence pratique et sociale. Les résultats obtenus sur les 431 cas sont les suivants :
QI < 90 : 10% (43/431)
QI moyens : 53% (229/431)
QI> 109 : 37% (159/431)
Cette répartition appelle quelques commentaires. Dans une population standard la répartition des quotients intellectuels se fait suivant une courbe de Gauss avec 50% des cas situés dans la moyenne (QI entre 90 et 109), 25% en dessous de la moyenne (QI<90) et 25 % au-dessus (QI> 109). On constate donc ici une répartition décalée vers les quotients plus élevés (37% au lieu de 25%) et une diminution des quotients <90. Ceci est dû au fait que l’échantillon étudié est obtenu après une sélection introduite par deux éléments.
- Les enfants de cet échantillon ont été vus à la suite d’une démarche volontaire de familles motivées qui s’interrogent sur les mesures à mettre en œuvre pour les aider. Ces enfants ont tous bénéficié d’une stimulation favorable à leur développement intellectuel.
- Les enfants porteurs de troubles psychoaffectifs ont été écartés de cette étude pour mettre en évidence des causes d’échec indépendantes des facteurs psychosociaux difficiles à quantifier. Or, dans un travail précédent, exécuté dans des conditions semblables, publié en 1993 (« Lecture : la recherche médicale au secours de la pédagogie »), nous avions pu montrer que les troubles psychoaffectifs étaient statistiquement plus fréquents lorsque le QI était inférieur à 90.
Les caractéristiques de cet échantillon ne constituent pas un handicap mais conduisent à deux conclusions importantes. La stimulation intellectuelle n’empêche pas un nombre non négligeable d’enfants d’avoir un QI inférieur à la moyenne. D’autre part, il existe un nombre très important d’enfants sans perturbations psychosociales, sans déficit intellectuel, et même souvent d’intelligence supérieure à la moyenne (37% des cas dans cet échantillon) qui sont incapables de maîtriser l’écrit jusqu’à un point avancé de leur scolarité.
6-ANOMALIES PORTANT SUR LE TRAITEMENT DES GRAPHEMES PAR LE MODULE PHONOLOGIQUE DU CERVEAU.
Nous allons maintenant analyser la nature des anomalies qui peuvent perturber l’identification des graphèmes dans le module phonologique du cerveau. Certaines aptitudes ont été étudiées en relevant les résultats obtenus à des sub-tests de l’échelle psychométrique de Wechsler mesurant les performances d’un sujet dans des domaines qui jouent un rôle essentiel dans le traitement des graphèmes. Les résultats obtenus à chacun des sub-tests de l’échelle de Wechsler se répartissent, comme l’ensemble de l’épreuve, selon une courbe de Gauss. Les capacités d’un sujet sont réduites quand la notation est inférieure à 10. Le pourcentage de sujets touchés par des résultats inférieurs à la moyenne dans une ou plusieurs de ces aptitudes est certes très instructif mais, en raison de la déviation de notre population vers les QI élevés, il est indispensable de présenter également les résultats obtenus par tranches de QI.
Pour la latéralisation les moyens utilisés pour apprécier les handicaps éventuels des sujets ont varié avec l’âge. L’objectif n’est pas ici de quantifier l’anomalie mais d’apprécier si elle existe ou non. Lorsque des anomalies ont été dépistées, celles-ci ont toujours été comparées aux éléments fournis par l’interrogatoire des familles sur les antécédents de l’enfant. La fonction de repérage spatial a été considérée comme perturbée lorsqu’il existait au moins deux anomalies importantes identifiables.
61- RECONNAISSANCE ET IDENTIFICATION DES FORMES
Le sub-test de complètement d’images permet d’évaluer les capacités d’identification et de reconnaissance des formes.
42% des cas de cet échantillon d’élèves en difficulté face à l’écrit (180/431) présentent des résultats inférieurs à 10 à cette épreuve. Les valeurs faibles se répartissent ainsi par tranche de QI :
QI< 90 : 86% (37/43)
Nous constatons que la très grande majorité des élèves dont le Quotient Intellectuel est inférieur à la moyenne a des difficultés de reconnaissance des formes. Un enfant sur deux de niveau moyen est dans la même situation et un nombre non négligeable de sujets de niveau supérieur à la moyenne sont également en difficulté en ce domaine. On comprend pourquoi ces enfants auxquels on a laissé découvrir seul le lien qui unit la forme des lettres à un souvenir sonore se retrouvent en échec.
62-LATERALISATION
Nous obtenons les résultats suivants : 51% des enfants de l’échantillon sont victimes de difficultés de repérage spatial (220/431). Ceux-ci se répartissent comme suit dans les trois tranches de QI :
QI<90 : 60,5% (26/43)
Il est frappant de constater l’importance de ce type de problème chez les élèves de cet échantillon, en particulier chez ceux dont le niveau intellectuel est supérieur à la moyenne. Le fait qu’un enfant sur deux dans ce sous-groupe soit porteur de difficultés de latéralisation est le facteur qui a le plus de répercussion sur l’apprentissage de l’écrit dans cet échantillon.
La fréquence des anomalies de reconnaissance des formes et de latéralisation conduit à se demander si ces deux éléments peuvent se cumuler fréquemment chez un même enfant
.
L’association des troubles de latéralisation et des difficultés d’identification des formes est présente chez 105 élèves soit sensiblement 24% des cas (105/431):
- 9% des QI inférieurs à la moyenne ;
L’association de pourcentages élevés de deux types de perturbations dans des domaines qui jouent un rôle majeur dans l’apprentissage de la lecture est donc fréquente dans notre échantillon. On mesure bien ici la nécessité de proposer des pédagogies qui facilitent pour tous les élèves la mise en place du lien entre le son et le graphisme celui-ci étant difficile à réaliser pour un grand nombre d’enfants.
Il existe, par contre, dans cet échantillon, 49% d’enfants (210 cas) qui n’ont pas de difficultés d’orientation spatiale. Pourquoi sont-ils en échec ? L’analyse des données montre que 82% d’entre eux (tous QI confondus) sont victimes de difficultés d’identification des formes (73/211).
De même parmi les 58% d’élèves qui n’ont pas de déficit d’identification des formes on observe que, tous QI confondus, 49% (126 cas) ont des difficultés d’orientation spatiale.
Ces observations montrent que l’identification des formes et l’orientation dans l’espace sont au cœur des difficultés qu’un élève rencontre pour traiter l’information graphique et l’associer au son qu’elle représente. Si des difficultés de discrimination des sons s’ajoutent à ces handicaps, on comprend que l’obstacle devienne alors infranchissable.
63-ADAPTATION AU SYMBOLISME GRAPHIQUE
Cette aptitude est mesurée par l’épreuve de code du test de WECHSLER. Ce sub-test met en évidence les capacités d’adaptation au graphisme des sujets mais est aussi révélatrice de leur capacité de fixation de l’attention.
On trouve ici 123 élèves de l’échantillon soit 28,5% avec des résultats inférieurs à la moyenne dans ce sub-test. Ceci n’est pas très différent des résultats que l’on pourrait attendre dans une population standard. Ce sub-test est donc en lui-même assez peu significatif. Par contre, l’association de valeurs faibles en ce domaine à d’autres difficultés constitue un handicap supplémentaire (nous présenterons ci-dessous le tableau des cumuls de déficits).
A titre indicatif, signalons la répartition de cette anomalie dans les différentes tranches de QI.
- QI< 90 : 50% des enfants (21/43) ont des résultats faibles à ce sub-test. Notons que cette épreuve est la seule parmi celles qui ont été étudiées à donner d’assez bons ou de bons résultats (notes >13) dans cette tranche de QI.
Dans ce groupe cette anomalie n’est jamais isolée. Dans la grande majorité des cas elle est associée à plus de deux autres handicaps.
- QI>109 : 25% des enfants sont victimes de ce déficit (31/123). Pour 18 d’entre eux, il s’agit de la seule perturbation retrouvée et dans 12 cas sur ces 18, cette anomalie est associée à des troubles de l’orientation spatiale.
7-ANOMALIES PORTANT SUR L’ACTIVITE DU MODULE SUPERIEUR DU CERVEAU.
Nous allons maintenant envisager les perturbations qui peuvent retentir sur le fonctionnement du module supérieur du cerveau c’est-à-dire sur les opérations qui aboutissent à la découverte du sens. Deux éléments principaux peuvent être mesurés :
- les connaissances en vocabulaire, indispensables pour attribuer une signification à chaque mot ;
- les aptitudes à l’abstraction, indispensables pour découvrir le sens du langage écrit.
Nous avons utilisé, là également, des épreuves du test de WECHSLER : le sub-test de vocabulaire et le sub-test de similitudes pour apprécier les facultés d’abstraction.
71-VOCABULAIRE
Dans notre échantillon, 63,5% des élèves (274/431) présentent des résultats inférieurs à 10 en vocabulaire. La répartition par tranche de QI est instructive.
- QI<90 : 88% (38/43 cas)
Il est logique de trouver un pourcentage élevé d’enfants à vocabulaire pauvre parmi les QI inférieurs à la moyenne. Par contre, il est beaucoup plus étonnant de découvrir un pourcentage de 81% chez les enfants de QI moyen chez lesquels ce chiffre ne devrait pas dépasser 50%. Notons également le pourcentage élevé de cas chez lesquels le vocabulaire est peu développé dans le sous-groupe des enfants dont le QI est supérieur à la moyenne (32%). Cette anomalie est très significative dans un échantillon dont les conditions d’environnement social facilitent ce type d’acquisition.
Cette pauvreté du vocabulaire constitue un handicap considérable pour la découverte du sens. Devant des chiffres aussi élevés, il nous a paru utile d’analyser les associations de difficultés pour voir si des anomalies touchant le module phonologique du cerveau dans son aspect graphique peuvent ou non être fréquemment associées à ce déficit en vocabulaire chez les enfants de notre échantillon. Nous avons donc étudié le cas des élèves à vocabulaire faible présentant également un déficit d’identification des formes ou de latéralisation.
Difficultés d’identification des formes et vocabulaire faible
Sur les 274 enfants qui ont un vocabulaire pauvre, 146 sont également porteurs de difficultés d’identification des formes soit 53% d’entre eux, ce qui représente 34% de l’échantillon total (146/431).
Voici la répartition par tranches de QI.
- QI<90 : 84% (36/43)
Ces pourcentages sont considérables. Pour l’ensemble de notre échantillon, plus de la moitié des enfants présentent cette association de déficits. Leurs difficultés concernent donc à la fois le travail du module phonologique et celui du module supérieur du cerveau. Là encore l’importance du cumul des difficultés augmente avec la baisse du QI.
Difficultés d’orientation et faiblesse du vocabulaire
Parmi les enfants qui présentent un vocabulaire pauvre 50% (146/274) sont victimes de difficultés d’orientation spatiale. Ils se répartissent par tranche de QI dans les pourcentages suivants :
- QI<90 : 58% (25/43)
Dans cette population scolaire en échec face à l’écrit, un enfant sur deux est donc porteur de deux difficultés majeures pour apprendre à lire !
Parmi eux certains appartiennent au groupe de ceux qui ont 3,4,5 ou même 6 difficultés associées.
72-ABSTRACTION
L’épreuve de similitude permet d’évaluer les performances d’un sujet qui doit trouver le point commun entre des mots faisant appel à des concepts de plus en plus abstraits.
La remarque est identique à la précédente puisque nous obtenons un chiffre de 33% des cas (143) de l’échantillon examiné déficitaires en abstraction avec une répartition par tranche de QI de :
- QI<90 : 79% (34/43)
8- LE CUMUL DES DEFICITS
L’existence d’associations de déficits, constatée, en particulier, dans le domaine de la reconnaissance des formes et de leur orientation dans l’espace nous conduit à nous interroger sur la fréquence d’associations de plusieurs performances faibles chez un même sujet dans notre échantillon. Le cumul des déficits dans des domaines fondamentaux pour l’apprentissage de l’écrit constitue, bien évidemment, un handicap considérable pour les enfants qui en sont victimes. Nous allons donc chercher à savoir de combien de valeurs inférieures à la moyenne sont porteurs les enfants de cet échantillon.
Nombre de déficits associés chez un même élève
Il existe donc des pourcentages élevés d’enfants qui cumulent plusieurs déficits.
Sur l’ensemble de l’échantillon, 71% des élèves (306/431) sont porteurs d’au moins deux déficits dans des aptitudes essentielles pour l’acquisition de l’écrit sans prendre en compte, rappelons-le, les difficultés de discrimination des sons qui peuvent s’adjoindre à ce tableau. Le cumul des difficultés est d’autant plus important que le quotient intellectuel est plus faible, ce qui n’est pas fait pour surprendre. Par contre, il est intéressant de noter que 61% des élèves dont le QI est supérieur à la moyenne (97/159) cumulent au moins deux anomalies. Il est bien évident que plus le nombre de déficits sera élevé, plus les risques d’échec seront importants.
Pour les cas chez lesquels nous ne mettons en évidence aucun déficit, c’est ailleurs qu’il faut chercher la cause de leur échec. La paresse n’étant pas une « explication » puisqu’il est impossible d’en apporter la preuve et que, de surcroît, dans la plupart des cas, le comportement de l’enfant ne permettait pas de l’incriminer, nous aurions aimé pouvoir mesurer tout particulièrement chez ces élèves les capacités de discrimination des sons pour savoir s’ils étaient ou non victimes de cette difficulté.
CONCLUSIONS PEDAGOGIQUES
Les observations présentées ici sur un échantillon composé d’enfants vivant dans un environnement favorable à une intégration scolaire de bonne qualité permettent de comprendre pourquoi des élèves considérés comme « normaux » peuvent éprouver d’importantes difficultés dans l’apprentissage de l’écrit. En effet, il existe dans cette population des déficits significatifs dans des domaines qui jouent un rôle essentiel dans l’apprentissage de la lecture.
Notons également que les difficultés dont sont victimes ces enfants persistent tardivement puisque 60% des élèves de cet échantillon sont scolarisés en fin de primaire et début de collège dont 34% en 6ème ou 5ème..
Nous avons constaté la fréquence des déficits affectant le bon fonctionnement du module phonologique et/ou supérieur du cerveau. De plus, nous avons observé que 71% des élèves de cet l’échantillon sont victimes d’au moins deux handicaps associés. Il faudrait ajouter à ces éléments les difficultés de discrimination des sons non prises en compte ici mais qui, comme l’indiquent les nombreuses études centrées sur cette question, ne se résorbent jamais après l’âge de 5 ans sans aide adaptée. On comprend alors pourquoi il ne suffit pas de disposer d’une intelligence moyenne ou même supérieure pour réussir à apprendre à lire.
Ces observations montrent le rôle déterminant que jouent les choix pédagogiques dans la qualité des apprentissages. Il est bien évident que s’il existe des perturbations de nature psycho-affectives ou psycho-sociales, celles-ci ne pourront qu'aggraver les difficultés des élèves. Les pédagogies de type global ou semi-global - et toutes celles qui en dérivent (méthodes dites « mixtes », « naturelles » ou « par hypothèse » - conduisent l’élève à découvrir seul le lien qui unit sons et graphismes. Au niveau du module phonologique, elles constituent un double danger :
Le module supérieur travaille à partir des données qui lui sont transmises par le module phonologique. Si des éléments erronés lui sont communiqués, il sera en difficulté pour effectuer des comparaisons avec ses acquis antérieurs aussi bien en vocabulaire qu’au niveau de l’analyse des éléments grammaticaux de la langue. Par contre, si le code qui unit graphèmes et phonèmes est fourni à l’enfant par des pédagogies qui facilitent à la fois le travail des modules phonologique et supérieur du cerveau, on limite considérablement les sources d’erreurs et on optimise l’apprentissage. Pour que le plus grand nombre possible d’enfants apprennent à lire correctement il est indispensable de favoriser le temps phonologique de la lecture en explicitant le lien son/graphisme. Pour optimiser cette étape incontournable du processus lexique il faut utiliser toutes leurs ressources de l’appareil moteur et sensoriel, ce qui va bien au-delà de la simple méthode alphabétique traditionnelle. Il faut aussi enrichir le vocabulaire et entraîner les capacités d’analyse et de synthèse du futur lecteur pour faciliter le travail de découverte du sens par le module supérieur du cerveau. On permet ainsi la construction de circuits efficaces et bien interconnectés au niveau de l’ensemble des formations cérébrales qui entrent dans l’élaboration de la lecture. Quand on sait que ces circuits sont largement sollicités dans de nombreuses autres activités de la pensée conceptuelle, on comprend que bien apprendre à maîtriser la langue écrite est un facteur primordial dans le développement de l’intelligence. Des pédagogies optimisées, répondant aux attentes du fonctionnement cérébral fournissent à ceux qui n’ont pas de difficultés un apprentissage de qualité. Pour ceux qui sont porteurs de déficits elles constituent une véritable rééducation. Tenir compte des conclusions des découvertes des neurosciences pour apprendre à maîtriser l’écrit devrait être une priorité de santé publique pour lutter contre l’échec scolaire et pour donner à chacun les moyens d’utiliser et de développer son potentiel intellectuel
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