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Analyse du livret Lire au CP : Repérer les difficultés pour mieux agir (Décembre 2002)
Analyse du livret " Lire au C.P. Repérer les difficultés pour mieux agir" établi par le Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche. Par Mme Élisabeth Nuyts
Nous avons depuis quelques décennies une lecture globale, de reconnaissance visuelle, silencieuse et sans analyse. Les résultats commençant à inquiéter les parents, on nous a promis l’abandon de la globale. Nous allons voir ici si c’est l’objectif de ce projet. PLAN DE LA NOTE
I. Présentation des méthodes globales
semi-globales, et CLASSIQUES
I.1. La globale C’est une lecture de mots appris comme un tout, sans décomposition préalable. Ça commence par le prénom de l’enfant, puis les mots les plus usuels qu’il apprend, accolés à leur image (chien, chat, maison, etc.) tout au long de la maternelle. Il apprend à les nommer comme on nomme une image, par reconnaissance de la forme. Quand on alignera ces mots-images avec quelques autres inconnus pour en faire des phrases, il devra deviner par déduction le sens des mots non-appris. Plus il aura mémorisé de mots-images, plus ses hypothèses sur le sens auront des chances d’être justes. Nous avons donc là :
Toutes ces activités mettent en jeu les fonctions du cerveau global et spatial, qui perçoit les formes et les traite par analogie, en prenant pour repère l’espace. Opérant sur une base binaire, connu/inconnu, il est très rapide. John ECCLES, prix Nobel de médecine, le considère comme un automate préconscient. I. 2. La semi-globale Elle fonctionne au départ, pendant toutes les années de maternelle, comme la globale. Et puisque les premiers circuits neuronaux montés au cours d’un apprentissage sont, sauf rééducation appropriée, toujours réutilisés par la suite, les circuits montés par la semi-globale seront les mêmes que ceux de la globale. De plus, la différence est très minime : elle va uniquement porter sur les exercices effectués ensuite pendant quelques mois au CP. Il s’agira de découper des mots pris dans des phrases complètes, pour en isoler certains phonèmes 2 à étudier. On entraînera l’enfant à retrouver ces mêmes phonèmes dans des mots différents. Il s’agit donc de repérer des éléments simples et semblables dans des ensembles différents. Ce n’est pas un véritable décodage, qui lui part de l’élément pour aller vers le tout, mais une recherche d’analogie. Pour ce qui est de l’accès au sens, il est ensuite le même que dans la globale : reconnaissance des mots appris, et hypothèses sur les autres :
nous sommes toujours dans le cerveau droit, global, cet automate préconscient. On comprend dès lors que les méthodes globales ou semi-globales, s’adressant au même cerveau préconscient, conditionnent l’accès à une lecture très rapide certes, mais intuitive. Sera-t-elle pour autant efficace ? Pour être efficace, une lecture doit être autonome. Elle doit donc déboucher sur la compréhension, et s’inscrire dans la mémoire à long terme. Voyons ce qu’il en est pour ces lectures idéovisuelles. • Une lecture qui s’adresse uniquement au cerveau droit n’est pas autonome. En effet le cerveau global, intuitif et analogique, n’étant pas verbal, ne peut traiter que des mots enseignés, et non des mots glanés personnellement dans un bain linguistique. Il est donc dépendant de données extérieures. • Permettrait-elle malgré tout d’accéder correctement au sens d’un message écrit ? Puisqu’elle ne repose que sur l’analogie, elle ne pourra que traiter des données déjà connues. Seuls les textes explicites, techniques ou documentaires seront accessibles. L’apparition de nouveautés sera problématique, et les connotations d’un texte littéraire, ou d’un essai, ne seront pas perçues. • Enfin est-elle mémorisable ? Au moment de l’apprentissage, une lecture n’est pas mémorisable sans analyse. L’enfant ne mémorise réellement que les points sur lesquels on lui pose des questions. Seule l’analyse linéaire d’un texte permet à l’apprenti lecteur de mémoriser à long terme. Sans analyse l’enfant ne pourra garder le souvenir de ses lectures, il restera donc fermé à notre littérature, à ses racines culturelles. I.3. Les pédagogies classiques le cerveau gauche lui, analytique, temporel et verbal, a accès au langage autonome dont il va pouvoir dégager le sens si on l’entraîne à faire des liens logiques. C’est ce que l’on faisait autrefois, tout au long du cursus scolaire. Dans l’apprentissage de la lecture, les pédagogies analytiques sollicitaient pour ce faire nos deux cerveaux, qui sont complémentaires :
Passant par l’hémisphère conscient, elles permettaient au lecteur d’intégrer consciemment ses lectures, pour s’en nourrir ou les rejeter en toute liberté. Elles construisaient donc l’esprit analytique et critique. Elles donnaient accès à une lecture autonome, compréhensible, et mémorisable à long terme. En analysant le projet ministériel à la lumière de ce que nous savons sur les fonctions respectives de nos deux hémisphères cérébraux, nous avons cherché à voir si les exercices proposés suivent bien ce chemin de l’accès des informations lues à la pensée consciente et autonome.
R. W. Sperry, prix Nobel de médecine en 1981, a découvert que le cerveau gauche (conscient) traitait les écritures alphabétiques, et le cerveau droit (préconscient) les images. A notre grande surprise, nous avons pu constater que, en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture, les fonctions sollicitées par les exercices prévus dans ce projet relèvent essentiellement de l’hémisphère droit préconscient, global, analogique, et non verbal. Les rares exercices s’adressant également au cerveau gauche, verbal, analytique et temporel ne sont que des exercices de communication orale, ou d’écriture :
La lecture à proprement parler est vraiment l’enfant pauvre de ce projet.
Dans le monde rapide dans lequel nous nous essoufflons, nous pensons parfois que sauter des étapes devrait permettre d’aller plus vite, comme un raccourci que l’on prend. Constatant que le lecteur adulte lit vite et silencieusement, on a peut-être pensé qu’il suffisait d’ouvrir l’enfant à la lecture visuelle rapide et silencieuse dès l’enfance pour lui faire économiser les années de formation qui nous avaient amenés à nos capacités actuelles de lecteurs. Mais on a alors certainement oublié que les circuits neuronaux de l’enfant sont à établir, alors que ceux de l’adulte sont en place. Vous qui êtes des lecteurs chevronnés, formés par des méthodes classiques, vous vous entendez sans doute dans votre tête quand vous lisez silencieusement. Cela vous paraît aussi naturel que de penser avec des mots, et vous croyez que ces deux phénomènes sont innés. Or il n’en est rien : cette petite voix que vous entendez en vous lorsque vous lisez, (la subvocalisation) et celle que vous entendez lorsque vous pensez verbalement (la pensée langagière) sont en fait le résultat d’un long apprentissage qui passe par l’analyse. I.4. Les mécanismes cérébraux en jeu C’est en associant constamment dès le départ la parole à la lecture et à l’analyse de texte dans notre enfance, qu’on avait fini par intérioriser notre voix lorsque nous lisons silencieusement. De même, c’est en fouillant nos analyses de texte, qu’on avait pu accéder au sens précis et à la mémorisation des informations, puis automatiser et intérioriser ces deux opérations. Si bien qu’actuellement, quand nous lisons silencieusement, non seulement nous nous entendons dans notre tête, mais de plus, pour peu que nous ayons eu la chance de beaucoup analyser dans notre enfance, nous accédons au sens précis de ce que nous lisons, nous en comprenons les implications, et nous mémorisons nos lectures. Un enfant de 6 ans qui apprend à lire n’entend rien dans sa tête lui quand il regarde un mot. Comment pourra-t-il alors apprendre à lire avec les nouvelles méthodes visuelles et silencieuses qui n’associent pas parole, lecture et analyse ? C’est un autre réflexe conditionné que l’on va monter chez lui, et qui passera, non plus par la parole et le cerveau verbal et analytique, mais par l’œil, et le cerveau intuitif, spatial et analogique. Quand il lira silencieusement, l’enfant devra visualiser le texte dans sa tête, puis le comparer à d’autres données stockées. Or, d’une part, la visualisation n’est pas accessible à tous, et d’autre part, le cerveau qui visualise n’est pas outillé pour traiter l’information verbale. Il n’accède pas au sens, mais seulement à l’intuition du sens, et sa mémoire est évanescente. Il est outillé pour traiter la forme, l’image, et le chiffre, à partir de repères spatiaux. Mais l’écriture n’est-elle pas la transcription écrite d’un message verbal, et la lecture, le décodage de ce même message ? C’est d’ailleurs si vrai que ces deux activités, même effectuées en silence, étaient jusqu’ici traitées dans les aires auditives de notre cerveau verbal 3. Voyons maintenant comment peut se monter le mécanisme de la lecture visuelle chez les enfants doués de visualisation, ceux qui, actuellement, réussissent en classe. Analysons pour ce faire le projet du Ministère.
La lecture visuelle, ayant pour objectif l’intériorisation du signe, la visualisation du texte regardé, on va entraîner nos enfants à retrouver des formes, à associer des éléments vus avec des sons entendus, en dissociant le plus possible la parole de cet apprentissage, comme nous allons le voir. Visuelle, elle s’adresse au cerveau qui traite les informations visuelles à partir de repères formels et spatiaux, et fonctionne en reconnaissance. Or on ne peut reconnaître que ce que l’on connaît déjà. Avant de pouvoir accéder à la lecture proprement dite, l’enfant devra donc stocker dans sa mémoire visuelle un certain bagage de vocabulaire visuel associé à sa signification. C’est désormais le travail de la maternelle. Ensuite, au CP, il apprendra à procéder à des tris en fonctions de la forme brute des mots, des sons correspondants, de catégories, et enfin de thèmes. Plus il affinera ses tris, mieux il approchera du sens. Seule une bonne mémoire visuelle lui permettra d’engranger suffisamment d’informations visuelles pour pouvoir les traiter correctement et accéder au sens littéral. Par hypothèses successives, il apprendra à « construire » ensuite un certain sens dont la justesse dépendra du nombre de mots mémorisés visuellement.. Puisque l’essentiel du travail est visuel, on comprend aisément que sur les 23 fiches proposées ici aux enseignants, un seul et unique exercice concerne la lecture à voix haute de l’enfant. Et encore y stipule-t-on bien qu’il n’est pas question de lui faire lire à voix haute un texte inconnu. Voyons maintenant dans les détails, comment s’effectue cet apprentissage de la lecture visuelle de reconnaissance. II.1– Le chargement des mots : le capital de mots visuels Dès la maternelle, on a appris à l’enfant un stock de mots visuels accolés à des images, et enregistrés grâce à leur forme, des mots appris par cœur qu’il va devoir ensuite retrouver dans « une suite de mots » appelée phrase. Dans cette suite, un certain nombre d’éléments lui seront inconnus, qu’il devra deviner, comme l’apprenti lecteur d’une langue étrangère. Plus il en mémorisera, mieux il pourra travailler. Voilà pourquoi on demande au maître :
Reconnaître, mémoriser des mots appris, il s’agit bien de mémoire visuelle. Les mots à connaître doivent ensuite être portés dans « un cahier de mots », et constituer « le dictionnaire de la classe » (p. 23). La sélection à l’école va donc se faire dès la maternelle et le CP, en fonction des capacités de mémoire visuelle du petit élève, donc en fonction de son mode cognitif. Les visuels seront avantagés, les auditifs exclus, et les kinesthésiques se bloqueront dès qu’ils auront atteint le seuil de saturation de leur mémoire visuelle. II.2– Le traitement : l’analogie Le cerveau intuitif fonctionne par comparaison, sur un système binaire : connais/ connais pas, semblable/différent, vrai/faux. On va donc entraîner l’enfant à reconnaître des portions de mots, puis des mots, et enfin des phrases dans des ensembles plus ou moins grands. II.2.1. Analogie par différences. Intrus de forme ou de sons
Les différences ou ressemblances perçues par l‘enfant ne doivent pas être parlées, mais ‘pointées’. Sans parole, on reste dans le cerveau non verbal, spatial et intuitif. II.2.2. Analogie par ressemblances
II.2 3. Analogie par substitutions
II.2.4. Analogie par synonymie.
Rappelons ici qu’il s’agit du CP et que donc l’enfant n’a pas encore accès aux nuances du vocabulaire. Dans un exercice semblable, effectué à six ans, on peut imaginer l’exemple suivant : Le facteur distribue le courrier ---> Le facteur donne le courrier. Ainsi pour l’enfant distribuer et donner auront la même valeur. Cela risque fort de construire chez lui un vocabulaire très approximatif. II.2.5. Analogie par comparaison de textes.
La progression nous est donnée là. Elle continuera jusqu’au lycée et à l’université, sur des textes entiers, parfois longs de plusieurs pages et très complexes, à comparer dans un temps record. On admirera la rapidité de ceux qui y parviendront, or c’est un travail purement mécanique effectué par le cerveau préconscient. II.3. Le tri : les catégories. Pour pouvoir ensuite utiliser les informations brutes stockées par reconnaissance et analogie, on va les trier en catégories, des plus simples aux plus complexes (termes génériques, familles, thèmes).
On conseille de fournir à l’enfant titres et illustrations pour l’aider à identifier le sujet traité. S’il en a besoin pour savoir ce dont on parle, peut-on dire qu’il ait appris à lire ? D’autre part, le classement de son vocabulaire par thèmes va réduire considérablement son accès au vocabulaire. On l’ouvre au vocabulaire français comme certains apprennent leur vocabulaire anglais, par listes thématiques. Or une langue maternelle doit normalement s’apprendre par imprégnation dans un bain linguistique, et non à coup de vocabulaire appris hors contexte. II.4. La lecture de reconnaissance Une fois qu’on a bien entraîné le cerveau visuel à reconnaître des mots, puis des phrases, il va falloir le préparer à certaines opérations utiles dans la vie en collectivité : comprendre les grandes lignes de ce qu’il entend, et de ce qu’il voit, et même, but ultime de son apprentissage, les très grandes lignes de ce qu’il lit. Ce cerveau fonctionnant par reconnaissance, on va l’entraîner à retrouver une similitude entre lecture et histoire déjà entendue, entre lecture et images données. Puis on automatisera le tout. II.4.1. Reconnaître dans un texte une histoire. Bien que cet exercice s’intitule « découverte d’un court récit inconnu », il ne s’agit pas d’analyse. Voici la démarche conseillée.
On fait bien en sorte qu’il n’y ait pas d’analyse, puisque le maître doit décourager le questionnement entre ses élèves, qui apprennent à lire, et lui, qui sait. L’échange va donc avoir lieu uniquement entre des enfants qui n’ont pas lu le texte mais à qui on en aura raconté les grandes lignes, et des enfants qui auront essayé de deviner le sens du texte à partir des mots visuels connus. On devine aisément à quel point le sens de la lecture va être aléatoire, chez les «bons élèves», et pire encore chez les «mauvais». II.4.2. Reconnaître la similitude entre image et lecture (p.11).
Les enfants dits en difficulté sont ceux qui n’ont pu mémoriser qu’un très petit nombre de mots/images grâce à leur forme. Ils ont besoin de parler pour intégrer consciemment une information visuelle, comme cela a été prouvé. Or ils vont devoir relier silencieusement le dessin correspondant à ces trois phrases lues silencieusement. Pour réussir un tel travail, nous devons nous parler dans notre tête pour lire le texte, et même nous dire la consigne. Cette pensée langagière s’est peu à peu construite dans notre enfance, au fil des analyses de textes, et des multiples activités dans lesquelles nous avions associé, en même temps, les quatre entrées suivantes : la parole et l’ouïe, la vue, et le geste de l’écriture. Chez nos enfants, ces entrées ont été montées séparément, ou deux à deux, mais on n’a jamais associé les quatre en même temps. Et surtout, la parole a été dissociée de la lecture et de l’écriture. Ils ont ainsi mécanisé ces activités. Voilà pourquoi lorsqu’ils regardent un mot, ou l’écrivent silencieusement, ils ne l’entendent pas dans leur tête. Sans se parler, comment peuvent-ils effectuer un tel exercice ? Depuis leur entrée en maternelle, ils ont appris des mots, accolés à leur image, en fonction de leur forme, puis les ont intégrés comme des images dans leur cerveau global, formel, et analogique. Ils vont maintenant comparer intuitivement ces trois phrases dont j’ai écrit en petits caractères les mots inconnus. Ils connaissent le sens des autres mots soit parce qu’ils les ont accolés à leur image (le chat, la table), soit parce qu’ils les ont appris dans des listes de mots (de et sur, dans la liste de la page 40). Silencieusement, ils vont procéder par comparaison et élimination. Pour associer l’image et le texte de la deuxième phrase, ils n’auront qu’à reconnaître les mots suivants : le chat sur la table. Ils devineront aisément monte. Pour la troisième, ils auront : le chat de la table, et ajouteront par hypothèse descend, la troisième image s’associera avec ce qui restera. C’est ainsi qu’ils apprendront intuitivement les mots dort, sous, monte et descend.
Nous avons utilisé des caractères peu visibles dans les mots inconnus, pour essayer de reproduire ce que les enfants et les jeunes adultes en difficulté voient effectivement à leur arrivée chez nous lorsqu’ils lisent sans parler : ils ont tous une mauvaise discrimination visuelle. Or il suffit de leur donner des exercices de discrimination fine à effectuer à voix haute pour que celle-ci s’affine. Plus de vingt années d’observations sur le terrain nous ont permis de constater que tant qu’ils n’ont pas appris à mettre en mots leurs perceptions visuelles, celles-ci n’atteignent pas leur conscience. C’est le cas de la personne qui cherche une brique de lait dans un réfrigérateur bondé, et qui ne la trouve que lorsqu’elle la nomme, même si elle l’a sous les yeux.
Ils n’ont pas à apparier texte et dessin, mais à produire un dessin. Leur compréhension va dépendre du nombre de mots visuellement mémorisés (chat, table, verbes et prépositions), et/ou de leur capacité à imaginer un scénario à partir de ces mots. Visuels et kinesthésiques, à la mémoire visuelle efficace, pourront effectuer cet exercice sans difficulté. Cependant les kinesthésiques resteront dans le flou de l’intuition, car ils auraient eu besoin de joindre la parole au geste pour que les mots devinés et traduits en dessin atteignent leur conscience. De même, pour la même raison, leur mémorisation restera éphémère, si elle n’est pas souvent réactivée. Quant aux auditifs, n’ayant pu mémoriser à court ou à moyen terme qu’un nombre très restreint de mots appris par leur forme, ils seront encore plus handicapés : l’école les laissera sur le bord du chemin dès la maternelle ou le primaire. Vingt années de recherches sur le terrain nous ont prouvé que la parole, et quand il s’agit de lecture, la reformulation et/ou l’analyse sont indispensables en effet à la mémorisation consciente, la seule mémorisation durable. On monte donc une lecture qui présente trois inconvénients majeurs : elle n’est pas accessible à tout le monde (elle met en échec les littéraires en puissance), elle n’est qu’intuitive, enfin elle n’est pas mémorisable à long terme. C’est pour cela qu’actuellement les lecteurs ainsi formés lisent de façon très superficielle, et sans mémoriser au-delà du moyen terme, c’est-à-dire au-delà du test ou de l’examen. Une fois leurs examens passés, certains adultes, qui ont pourtant accumulé des diplômes parfois prestigieux, se retrouvent très démunis : il leur faut tout réapprendre sur le tas. II.4.3. Automatisation de la reconnaissance On va entraîner l’enfant « à situer les mots d’une phrase écrite après lecture par l’adulte » et pour cela
La reconnaissance se faisant hors conscience, il s’agit donc d’automatiser un travail sans qu’il ait été perçu consciemment par un travail verbal d’analyse et de reformulation. C’est également ce que conseillait E. BARONE 4 lorsqu’il invitait les enseignants qu’il forme à transformer l’enseignement en réflexes, puis faire automatiser ces réflexes avant de les avoir structurés. Cela conduit tout droit à la mécanisation. II.5. L’accès au sens II.5.1. Les hypothèses. Le cerveau préconscient est incapable de décoder le sens exact. Pour essayer de «construire du sens», il va se livrer à toutes sortes d’hypothèses, en s’appuyant sur les mots et phrases appris et reconnus. A partir de ces fameux mots clés que l’on appelle ici «mots forts» (p.26), il va chercher à approcher du sens par tâtonnements successifs :
Voilà pourquoi, après lecture d’un petit texte d’une vingtaine de lignes, nos collégiens nous diront plus tard, à notre profonde surprise : « On peut supposer qu’il s’agit de … car, à telle ligne, il est écrit … ». Leur maître du CP, comme tous les autres par la suite, auront en effet suivi des conseils semblables à ceux du livret, et dialogué avec leurs élèves pour leur faire
Devoir toujours se contenter de deviner le sens d’un mot nouveau à partir du contexte est fatigant, surtout si le nombre de mots connus est insuffisant. C’est la situation inconfortable dans laquelle se trouvent collégiens et lycéens qui n’ont jamais vécu en Angleterre et qui doivent lire un roman anglais dans le texte. S’ils sont submergés par le vocabulaire inconnu, ils abandonnent. Or nos petits CP travaillent sur leur propre langue maternelle, et ne peuvent guère abandonner, puisque leur critère de réussite, c’est justement leur capacité à deviner les mots :
Certains, très analytiques, souffrent de devoir rester constamment dans le flou. On va déconseiller au maître compatissant de chercher pour eux une autre approche :
et l’on intensifiera la pression :
Pauvres auditifs qui sans mémoire visuelle, sont très vite perdus, et que toute pression bloque ! Mais pauvres kinesthésiques aussi, puisque cette lecture n’atteint pas leur conscience. Que la lecture ainsi montée soit artificielle et mécanique chez de très nombreux lecteurs, nous est prouvé tous les jours. Des enfants qui n’ont jamais appris à lire ou écrire le mot tabouret, alors qu’ils utilisent cet objet toutes les semaines chez nous, sont incapables de lire le mot quand ils le rencontrent dans un écrit. D’autres (de 6 à 8 ans), qui connaissent la forme graphique du mot, savent dans quelle liste ils l’ont appris, mais ne font pas le lien entre le graphisme de ce mot et le siège. Le lien entre lecture, écriture et réalité n’ayant pas été construit, on comprend qu’ils soient aussi peu réalistes, et donc aussi influençables. Il suffit la plupart du temps de faire lire les enfants à haute voix, et de leur faire analyser leur lecture phrase après phrase pour qu’ils y retrouvent les mots qu’ils emploient dans la vie. Alors, tout prend sens. Pour s’en convaincre, il suffit de voir s’éclairer le visage de nos élèves lorsqu’ils accèdent enfin au sens de leur lecture, et qu’ils comprennent enfin ce que lire veut dire. II.5.2. L’accès au sens littéral. Émettant des hypothèses à partir des mots appris, intégrés par catégories et thèmes, l’enfant va pouvoir accéder au sens, mais au sens littéral seul.
Même dans une histoire lue par le maître, on conseille à l’enseignant de faire travailler les enfants «sur les informations explicites, et les événements essentiels. » (p.20) Le seul travail d’imagination et de logique demandé aux enfants, cantonné aux images et dessins (p. 20), sera plus valorisé que celui de la lecture.
Le seul questionnement portant sur un texte concernera un texte entendu par l’enfant et non lu. De plus, il se rapportera à des évidences : "Qui a fait … ? Qui a dit … ? Qui rencontre ? ? » (p.20) La question «pourquoi» ne figure pas une seule fois dans le livret ; elle est d’ailleurs fortement déconseillée au cours des formations de maîtres. Et quand l’enfant lira seul, le maître n’aura pas à lui poser de questions, puisque l’enfant connaîtra déjà l’histoire. Il s’agira simplement de
III - LES DANGERS DE CETTE Pédagogie III.1. La Parole dissociée des apprentissages : mise en place de réflexes au lieu de réflexion A la différence de l’animal, l’homme est un être du verbe. Certes, il y a fort longtemps qu’il a quitté sa condition animale en accédant à la parole. Mais il y a plusieurs sortes de paroles. La parole intuitive ne demande pas de réflexion élaborée : c’est celle de l’enfant que l’on n’a pas encore ouvert à l’analyse. La parole réfléchie, elle, est liée à l’analyse. Elle consiste à faire retour sur une idée et à l’approfondir. Elle vient plus tard dans la construction de l’être, à la condition expresse que l’on habitue l’enfant à faire ce retour. Pour qu’un enfant puisse réfléchir d’une façon autonome à partir du réel, il faut d’abord qu’il entre des informations sur le monde par le canal de ses cinq sens, puis qu’il les intègre et les traite de façon consciente par la parole. Si son seul moyen d’accès à l’information doit dépendre d’une tierce personne, tout son raisonnement sera déconnecté de ses propres perceptions et de sa propre expérience. Il courra un double risque : la perte d’autonomie, et la mécanisation. Des années de travail sur le terrain nous ont prouvé que des pédagogies qui dissocient la parole des grands apprentissages, privent l’être d’autonomie de pensée et le subordonnent à une autorité qui lui est extérieure. Connaissant le rôle de la parole dans l’intégration et le traitement conscients de la lecture et de l’écriture, nous sommes surpris de constater que ce projet ministériel ne l’ait réintégrée que très timidement, et encore que pour un nombre extrêmement limité d’exercices. III.1.1. Association silencieuse dessin/écriture. Reprenons sous l’angle de la parole l’exercice précédent d’appariement entre dessin et écriture (histoire du chat). Aucun des deux groupes (bons et mauvais lecteurs) n’analyse à voix haute le texte. Ensuite on réunit les deux groupes, et on les fait échanger sur ce qu’ils ont apparié ou dessiné. Ils parlent, certes, mais à propos du texte. Ils ne le lisent pas à voix haute. Ce qu’ils vont associer ainsi sans parole, c’est écriture et dessin, deux activités qui seront alors uniquement traitées par le cerveau intuitif et spatial. III.1.2. Copie silencieuse. Beaucoup d’enseignants ont constaté la grande difficulté de certains enfants à copier sans faute ce qui est écrit au tableau. Toute notre expérience nous prouve qu’il suffit que l’enfant qui a peu de mémoire visuelle dise ce qu’il voit écrit, au besoin en l’épelant, pour qu’il puisse le recopier sans faute, sa mémoire auditive relayant alors sa mémoire visuelle trop courte. Or voici ce que l’on nous propose (p.12).
Tous les groupes travaillent silencieusement. Ce qui les différencie, c’est uniquement l’éloignement entre le texte écrit et la copie de l’enfant. Or la difficulté des auditifs à copier ne provient pas de leur plus ou moins grande distance au texte à transcrire, mais de leur incapacité à mémoriser une information visuelle fine sans passer par la parole. Cette lecture et cette écriture silencieuses sont bien souvent à l’origine de l’exclusion scolaire d’un grand nombre d’auditifs, parfois même dès la maternelle. Pauvres auditifs, qui autrefois occupaient la tête des sections littéraires. Notons encore l’usage d’une fiche sans lignes. Cela prive l’enfant d’un repère spatial stable qui à cet âge-là est très utile à la plupart d’entre eux, et plus particulièrement aux auditifs. III.1.3. Lecture silencieuse. L’accès à la lecture consciente doit comporter des étapes successives :
Il faudrait donc apprendre à l’enfant à effectuer lui-même chacune de ces opérations en parlant. Or ici on va annuler le bénéfice de chacune des trois premières étapes en les désolidarisant de la parole, et on va omettre les quatre dernières. • La discrimination (p.26). Elle est faite sans parler en cherchant des paires dans des mots de graphies très proches (fosse, gosse, bosse etc.), en cas de confusion de mots, on conseille d’utiliser un ’’calque’’ (sic) pour faire percevoir la différence de forme par la seule vue, alors qu’en parlant, l’enfant utiliserait trois entrées sensorielles : la vue, l’ouïe, et la parole articulée. Ceci permettrait à l’enfant de déceler les différences beaucoup plus aisément, comme nous le constatons très régulièrement. • La syllabation. Elle n’est plus qu’un découpage manuel silencieux.
Or la syllabation consiste à isoler chaque phonème. Cela devrait être l’exercice oral par excellence. Il est indispensable à l’auditif et aux kinesthésiques. • La scansion des syllabes. Alors que c’est un exercice qui permet de percevoir oralement les différentes syllabes, elle est effectuée silencieusement par l’enfant. C’est le maître qui dit, et l’enfant qui scande le mot :
Le but officiellement recherché est la coordination entre le geste et la parole, or il ne peut y avoir coordination que si c’est la même personne qui effectue les deux activités à la fois. Cette non-coordination empêche certains enfants de passer à l’écrit. • Le décodage Alors que c’est le seul moyen qu’ont l’auditif et le kinesthésiques, c’est-à-dire l’immense majorité des enfants, d’arriver à une lecture consciente, c’est ici le maître qui va prendre la parole « pour décoder les mots inconnus » (p.10). Alors que c’est justement devant l’inconnu que le décodage est utile à l’enfant. Si c’est le maître qui décode, l’enfant travaillera en reconnaissance sur ce qui aura été lu par le maître. De plus, le décodage de l’enfant est considéré comme un défaut chez l’enfant qui est :
On conseille alors à l’enseignant de lui faire réactiver sa mémoire en lui faisant copier ces mots. A quoi va lui servir de copier vingt fois ou quarante fois un mot sans parler. Ce dont il a besoin, c’est d’accéder à voix haute au décodage dans la lecture, et à l’épellation ou la syllabation dans l’écriture. Si, heureusement, on propose parfois l’épellation dans l’écriture (p.26), on discrédite toujours le décodage dans la lecture. • Alors, qui va parler ?
Faire toujours travailler les enfants en reconnaissance les bloque dans leur créativité. C’est ainsi que l’on voit des enfants qui sont totalement incapables d’inventer des histoires de leur propre cru à partir d’images. Ils ne peuvent plus que les décrire.
Les rares fois ou l’enfant lira à voix haute, il lira peu, généralement une phrase, et on mettra aussitôt l’accent sur l’intonation (p.35). C’est ainsi que nous recevons des enfants, ou de jeunes adultes, qui ont une élocution et une intonation magnifiques, et qui pourtant ne peuvent nous parler de ce qu’ils viennent de lire. Ils mettent toute leur attention à respecter l’intonation en fonction de repères de ponctuation, et ne peuvent se concentrer sur le sens. III.2.4. Disparition de la reformulation et de l’analyse Il est évident que si l’on n’apprend pas à l’enfant à décoder un texte inconnu, on ne va pas non plus le lui faire reformuler ni analyser. Les seuls exercices de reformulation proposés concernent les histoires ou les consignes entendues et encore se limite-t-on à reformuler les seuls passages difficiles :
Or toute notre expérience nous prouve qu’au moment de l’apprentissage l’analyse est nécessaire, non seulement à la compréhension fine, mais encore à la mémorisation à long terme. Tant qu’il n’aura pas beaucoup pratiqué d’analyses, qui finiront par s‘automatiser, l’enfant ne pourra mémoriser que les éléments sur lesquels auront porté les questions du maître. Reformulation et analyse construisent en effet la mémoire, la première la mémoire à court ou moyen terme, la seconde la mémoire à long terme. Privant l’enfant de mémoire à long terme un enseignement sans analyses de textes prive l’enfant de culture autonome. III.2 Les dysfonctionnements induits par cette pédagogie Nous allons voir maintenant que cette lecture non analytique est dangereuse à plusieurs titres. D’abord elle est inefficace tant elle est superficielle. S’appuyant sur des mots clés (p.26), sur la recherche du thème (p.17), elle débouche sur des informations littérales (p. 20), dont on ne retiendra que les éléments essentiels (p.20). Or au niveau du CP, se contenter de retenir l’essentiel d’un petit texte, c’est vraiment très peu. On comprend dès lors le désintérêt évident des enfants pour la lecture. Mais il y a pire. Cette nouvelle pédagogie va créer de véritables dysfonctionnements lourds de conséquences : dyslexie, risques de dissociation, et robotisation de l’enfant. III.2.1. Dyslexie. Rappelons qu’un dyslexique intervertit lettres, syllabes, et mots. Or tout au long de ce livret, nous constatons que de nombreux exercices consistent justement à jouer avec les lettres très ressemblantes par la forme, ou à intervertir la place des lettres dans les mots, et celle des mots dans la phrase :
Ces exercices vont suivre nos enfants jusque dans l’apprentissage des langues étrangères. Alors que l’on sait que ce travail peut s’effectuer mécaniquement, hors sens par le jeu des règles grammaticales d’accord, et de la ponctuation. John Bradshaw, professeur en neuropsychologie cognitive en Australie, nous a en effet appris que le cerveau préconscient, qui n’a accès qu’au sens intuitif, était capable de remettre en ordre des mots et des phrases en désordre.
• Le travail sur les rimes, lui, ne va pas créer des dyslexies, mais il décentrera l’attention des enfants sur le son, et non sur le sens. Or, il sera très utilisé : « Constituer un bagage de mots qui riment.» (p. 30) Il est intéressant de voir la place qu’occupent régulièrement les tests de rimes dans la détection des dyslexies. Avec les pédagogies visuelles qui sont inabordables aux auditifs dont la mémoire n’est pas visuelle, mais auditive, les auditifs deviennent très facilement dyslexiques. Or, un auditif part du sens, et non du son. Dans une comptine, il ne va retenir que le sens, et pas la rime. D’où son handicap devant de tels tests. Contrairement à ce qui a souvent été écrit, la dyslexie n’est généralement pas une maladie génétique, mais un trouble dont les causes sont épigénétiques. C’est-à-dire qu’elle touche des personnes qui ont une caractéristique génétique commune (les dyslexiques sont actuellement des auditifs, des gens du verbe), et qui sont soumises à un environnement ou un apprentissage qui ne respecte pas leurs caractéristiques. Et, de fait, nos auditifs ne posent problème qu’à l’école, le jour où ils commencent leurs apprentissages fondamentaux. Alors que pour eux c’est la parole, et non la vue, qui est reliée à la conscience, on leur impose une lecture visuelle et silencieuse. Ils ont besoin de partir de l’élément, on les gave d’ensembles. Ils ont pour repère le temps, c’est-à-dire la chronologie, et ils doivent se débrouiller avec des repères spatiaux. Alors qu’ils ont de fait une dominante cerveau gauche, on leur impose une pédagogie du cerveau droit. Avec les pédagogies classiques, les auditifs devenaient d’excellents littéraires. Et maintenant, nombre d’entre eux sont privés de lecture, et d’écriture. D’où tirerons-nous désormais nos littéraires, si nous étouffons les nôtres dans l’œuf ?
III
. 2. 2. La violence La privation de la parole induit aussi d’autres troubles graves. Elle est un facteur de violence. C’est l’écriture silencieuse qui est alors en cause. Dans une activité d’écriture, lorsque la main n’est pas reliée à la conscience par la parole, effective ou intériorisée, l’écriture se mécanise. Et cette mécanisation est porteuse de tensions très fortes. Cela peut se traduire par une angoisse existentielle, ou par de la violence, dirigée contre soi ou contre les autres. Quand on rétablit les circuits normaux qui nécessitent la parole cette tension décroît à vue d’œil. Mais il faut pour cela que la main soit parfaitement synchronisée avec la parole. D’où l’utilité de la syllabation à haute voix, qui est bâclée et ridiculisée ici. Quand on n’habitue pas les enfants à copier, puis à écrire, en parlant, on monte chez eux une écriture mécanique, cette écriture ronde et enfantine qui fait l’émerveillement des correcteurs. C’est une écriture que l’on a montée comme un dessin. III.2. 3. Du hors sens à la mécanisation
On a si bien fait travailler un mot par sa forme, comme s’il était une image ou un chiffre, qu’il va falloir apprendre à le distinguer d’une image :
On n’avait jamais eu ce problème à l’époque où l’on sollicitait conjointement nos deux hémisphères : le gauche, verbal et conscient qui traite analytiquement la lecture et l’écriture alphabétiques, et le droit, analogique et spatial, qui traite l’image et le chiffre à partir de repères spatiaux.
D’une part ça ridiculise la syllabation, indispensable à la lecture et à l’écriture autonomes, et d’autre part, en déconcentrant l’enfant, ça lui fait perdre le bénéfice d’un des rares exercices utiles de cette panoplie.
On pourrait croire qu’il s’agit enfin de sens. Or il s’agit là de la seule fiche (A4) dans laquelle l’enfant doive lire seul. Avec cette nouvelle pédagogie visuelle, tout travail effectué seul est silencieux. Puisqu’il ne s’entend pas lorsqu’il lit, comment l’enfant peut-il effectuer cet exercice ? Par analogie, le cerveau intuitif va pouvoir associer des mots qui vont ensemble, travail qui va être utilisé dans les exercices de phrases à trous et de phrases à erreurs, dans lesquels il faudra replacer les bonnes étiquettes. Cela correspond au mécanisme cérébral dénoncé par Huxley dans Le Meilleur des Mondes. Dans une scène devenue fameuse, un enfant a appris sa leçon de géographie en dormant, avec un magnétophone sous son oreiller. Le lendemain, il ne peut répondre aux questions posées sur sa leçon que si on lui on donne le début de la réponse, parce que de lui-même il ne fait pas de liens entre questions et réponses. Si on lui demande par exemple quel est le fleuve le plus long d’Afrique, il est incapable de le dire, mais si l’on commence la première phrase de sa leçon ‘’Le Nil est le fleuve …’’ il peut alors réciter toute sa leçon. Actuellement, du CP jusqu’en terminale et parfois au-delà, toute la pédagogie est axée sur ce type d’exercices qui s’adressent au cerveau préconscient (QCM, Phrases à trous etc.). - Les phrases repères. Pour lier tous les mots-images qu’il a stockés dans son cerveau analogique, on va lui donner des outils : des mots de lien (de, sur, sous, etc. les prépositions de la page 40) qu’il va devoir apprendre par cœur.
C’est à partir de cette liste de fréquence que MM. Richaudeau et Foucambert ont établi l’index de lisibilité d’un texte. III.2.4. La mécanisation : risques de dissociation.
Si l’on fait travailler quelqu’un sur des activités qui n’ont pas de sens, on finit par le dissocier. Autrefois on partait du son pour arriver au sens. Ici on part de mots qui ont du sens, et l’on se décentre de celui-ci pour se concentrer sur le son ou sur la forme. On propose alors un travail sur les sons, la forme des lettres, le lien entre forme des lettres et sons, en somme, le lien son/signe mais hors sens.
C’est par ce biais que l’on arrivera progressivement au CE1 à faire reconnaître les verbes (ces mots qui changent de forme en fonction des petits mots - je, tu, il - qui les précèdent). III.2.5. Mécanisation, ou perte d’autonomie. • Au lieu de solliciter l’imagination créative de l’enfant, et certains sont très créatifs dès la petite enfance, on exige de lui qu’il parte d’éléments stéréotypés du répertoire culturel :
Tous les loups se ressembleront si bien que le loup lui-même deviendra une catégorie, un thème. C’est la mort assurée de la psychologie des contes. • Après les mots et les personnages, ce sont les situations qu’on va imposer aux enfants puisque les enseignants devront
Toute la créativité verbale de l’enfant est alors entravée. C’est ainsi que nous avons rencontré des jeunes et de jeunes adultes qui avaient le plus grand mal à exprimer par écrit ou même par oral la moindre idée personnelle. Ils cherchaient où, c’est-à-dire dans quelle liste, catégorie, ou texte déjà vus, ils pourraient trouver l’expression toute faite qui traduirait leur pensée. On rencontrait jusqu’ici ce problème uniquement chez les gens qui n’ont pas l’habitude d’exprimer leur pensée dans une langue étrangère. Ils cherchent les mots là où ils les ont appris. Mais ça ne les empêche pas de penser dans leur propre langue. Par contre, ce phénomène est tout à fait nouveau chez nos jeunes, et profondément handicapant, puisqu’ils n’ont pas d’autre pensée que celle qui est véhiculée par les seuls mots appris. Il est intéressant de noter toutefois que quand on fait régulièrement travailler la lecture à partir d’analyses de textes tant orales qu’écrites, et toutes les fonctions du cerveau gauche, logique verbale, temps, analyse, et liens logiques, on assiste peu à peu chez l’enfant à une sorte de débridage de la parole, et de l’expression personnelle. Le vocabulaire glané dans l’environnement remonte alors à la conscience et enrichit de lui-même l’expression de l’enfant. C’est comme une explosion de liberté. Cette liberté qu’avait étouffée la pédagogie globale et silencieuse. III.3. COMMENT CETTE Mécanisation Échappe-T-ELLE AUX PARENTS ET AUX ENSEIGNANTS ? Tout est fait pour qu’elle ne soit pas apparente. • On enseigne même l’attitude que doit avoir le lecteur, c’est-à-dire qu’on apprend à l’enfant à faire semblant de lire :
• On travaille l’intonation d’une façon très particulière : - On enseigne à grouper les mots en fonction de la ponctuation : segmenter la phrase « en groupes de souffle/sens » (p.35). Nous avons vu parmi nos élèves des enfants ainsi formés qui s’arrêtaient plus ou moins longtemps après une virgule, deux points, ou un point. Suivant le cas, ils devaient compter dans leur tête : 1 ou 1.2 ou 1.2.3, et monter ou descendre la voix, en conséquence. Le tout, mécaniquement, hors sens. - Puis on entraîne les enfants à copier l’intonation du maître.
• Ensuite, pour ne rien laisser au hasard, on apprend à l’enfant le mot sur lequel il devra tourner la page. Quelques parents, malins, avaient constaté que, quand ils tournaient la page trop tôt, leur enfant continuait à « lire » sans se rendre compte de rien. Avec les nouvelles directives adressées aux maîtres, ce ne sera plus possible :
• Enfin, pour plus de sûreté, le maître ne devra jamais laisser les enfants s’aventurer dans la lecture d’un texte inconnu.
Ainsi, si les enseignants observent rigoureusement les consignes officielles, rien ne pourra trahir l’incapacité de leurs élèves à lire. Eux-mêmes ne s’en rendront d’ailleurs pas toujours compte. On leur a tellement appris à rejeter sur la famille la responsabilité des difficultés des enfants ! Bien que les "conséquences catastrophiques" des méthodes de lecture globale aient été signalées, il apparaît qu'elles sont loin d'avoir été abandonnées, et qu'elles sont même sur le point d'être renforcées avec la diffusion de ce livret. Nous avons vu que les enfants auditifs étaient les principales victimes de ces méthodes dès la maternelle. Ces enfants dont le seul "défaut" est d'avoir besoin de la parole pour comprendre, et qui sont de ce fait prédestinés à l'échec scolaire en raison de pédagogies qui leur interdisent de se parler. Les autres enfants sont handicapés aussi, car ils ne peuvent atteindre une véritable lecture autonome. Les promoteurs des lectures différenciées, rapides et sélectives, disent faire gagner du temps. Ils oublient coupablement que l'enfant doit apprendre à lire avant d'exercer ce type de compétence. Travailler à développer l'intelligence de tous, c'est assurer le développement futur de notre pays. Le bridage des intelligences entrepris par petites touches depuis deux générations est manifeste aujourd'hui, et entrave toute notre société. De plus en plus de parents apprennent à lire avec succès à leurs enfants en utilisant des méthodes classiques, puisque les maîtres ne savent plus le faire, ou n'en ont plus le droit. Mais que vont devenir ceux dont personne ne peut s'occuper à la maison ?
Le 24/12/02 1 Ce document a été rédigé par des spécialistes et des praticiens de l’apprentissage de la lecture sous la responsabilité de l’inspection générale et signé par le ministre Luc Ferry et son ministre délégué Xavier Darcos. Il est disponible sur Internet à : eduscol.education.fr/D0135/ 2 phonème : unité de son du langage articulé, exemple : a, ai, ou, on. 3 A .J.Vander, J.H. Sherman, D.S. Luciano, J.R. Gontier, Physiologie humaine. 4 L’ABC de l’hypnose, E. Barone , J. Mandorla, éd. J. Grancher, p.177. Tweet |