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Lettre N° 51 - VIOLENCE A L’ECOLE (2)
La violence à l’école occupe périodiquement l’avant-scène médiatique. Il n’y eut guère, ces derniers temps, que les carnages d’Israël pour intéresser davantage les journalistes. Que l’on ne se méprenne pas : en dépit de la récente focalisation sur ces faits, les soubresauts du monde scolaire ne sont pas nouveaux. Ils déstabilisent l’institution depuis de longues années déjà... Au nez et à la barbe de pouvoirs publics jusqu’ici impuissants...
Nous ne reviendrons pas inutilement sur un long descriptif de faits à propos desquels tout, ou presque, a été dit ou écrit. Que le lecteur se remémore simplement l’interminable litanie des incursions de bandes armées, les insultes diverses à l’encontre des professeurs ou des équipes de direction, les coups, les blessures, les viols et - mais oui - les assassinats perpétrés dans l’enceinte scolaire. Alertées, plusieurs équipes de journalistes sont parvenues à filmer la vie quotidienne de ces établissements dits "sensibles", où se cristallise la terreur des fameuses "zones de non-droit" et s’installe, selon l’expression d’Alain Minc, quelque "nouveau moyen âge". Le spectacle en fut édifiant. Bref, n’en jetons plus : chacun - même le ministre - sait à présent qu’il faudra bien faire quelque chose et que l’on ne saurait laisser ainsi bafouer perpétuellement la légitimité républicaine. Les constats du rapport Fotinos. Commandé par Jack Lang, alors ministre de l’éducation nationale, édité en 1995, un rapport, le rapport Fotinos, du nom de son auteur, Inspecteur Général, évaluait avec une grande précision la situation. Par-delà la rhétorique prudente qui sied à un inspecteur général, le portrait brossé ne laissait d’être éloquent. Le premier constat s’y avérait particulièrement affligeant : sur dix-huit académies étudiées seules quatre proposaient un train de mesures tendant à enrayer avec quelque chance de succès l’inexorable montée de la violence à l’école. Cinq académies ne comportaient aucun système de coordination avec la police et la justice. Neuf autres n’avaient pas estimé que la situation impliquait d’urgence la mise en place de remèdes. Tel constat frappait de stupeur. Les faits ne pouvaient être ignorés ni du ministère, ni des équipes rectorales. Aucun outil standardisé n’avait été façonné pour permettre l’élaboration d’un véritable dossier statistique. Des enquêtes académiques, dans la plus grande discrétion, avaient été organisées, leurs résultats ne furent jamais divulgués. Nul ne sait même s’ils furent exploités. On sait, aujourd’hui, que plus de 50 % des établissements scolaires sont touchés. Le rapport Fotinos poursuivait en constatant, dans ces conditions, l’extrême pauvreté des remèdes préconisés. Les Missions Académiques de Formation des Personnels de l’Éducation Nationale (MAFPEN), plus préoccupées de fumeuses théories pédagogiques que des réalités du terrain n’offraient généralement aucun secours. Une seule sur dix-huit proposait une action exemplaire, fondée sur la formation véritable des maîtres à la gestion des situations violentes ainsi qu’une formation spécifique pour les chefs d’établissement. Ailleurs, le folklore reprenait ses droits : alors que les professeurs se faisaient poignarder, les "formateurs" des missions académiques associaient, dans leurs recherches, "violence sociale et violence pédagogique", d’autres s’adonnaient... à l’analyse transactionnelle, certains préconisaient... la sophrologie et même... les jeux de rôle. Le troisième constat concernait le manque presque total de relations entre l’éducation nationale, les établissements scolaires, la police, l’institution judiciaire. Et de citer en exemple l’assassinat d’un père de famille par des élèves d’un collège de banlieue. L’enquête menée par la police le fut, à l’intérieur de l’établissement, sans concertation avec le principal ; elle aboutit au maintien des élèves soupçonnés de meurtre au sein du collège - au nom de l’obligation scolaire - jusqu’au moment où le principal, de sa propre initiative, dut leur chercher un autre établissement d’accueil. La loi du silence sévit donc à tous les échelons. Elle s’avère particulièrement anxiogène pour les professeurs, qui finissent par percevoir la situation comme résultant de leur propre incompétence... Elle concerne aussi les chefs d’établissements, auxquels la hiérarchie ne manque pas une occasion de faire savoir, implicitement ou non, que la finalité de leur action doit être l’absence d’histoire. Elle concerna longtemps les pouvoirs publics, peu désireux de se voir contraints à d’inconfortables remises en cause. Le rapport Fotinos, bien trop confidentiel, eut le mérite, avant les médias, de lever le voile sur le scandale des enseignants et des élèves, livrés sans protection, dans le silence, la honte et la complicité, aux défaillances de tout le corps social... Sanctuariser l’école ? Incontestablement, la violence a des causes sociales. Détournés, le plus souvent, des voies traditionnelles d’accès à la culture, au profit de l’audiovisuel, les élèves sont assaillis quotidiennement par une multitude d’images où la violence tient une large place (Audimat oblige...). Par ce biais, la société les invite à cultiver une esthétique de la sauvagerie qui, tout naturellement, altère leur comportement. Le déclin général de l’autorité, le recul des valeurs traditionnelles de la famille, la multiplication des familles monoparentales contribuent à la suppression de tout repère. La drogue et son cortège de déviations, l’explosion générale de la licence en matière de morale, ajoutent alors le coup de grâce. L’immigration incontrôlée contribue puissamment au phénomène. Elevés dans la religion musulmane, de nombreux jeunes immigrés ne parviennent pas à s’adapter, ou refusent, sous la pression des intégristes, de s’adapter à nos références sociales et culturelles. Prédisposés par des traditions culturelles à considérer la femme comme une personne socialement inférieure, ils multiplient les incidents avec un corps enseignant où, précisément, le taux de féminisation s’accroît régulièrement. Ces phénomènes explosent littéralement dans les banlieues, où la multiplication des facteurs que nous venons d’énoncer, crée les conditions d’une nouvelle barbarie. L’établissement scolaire, lieu de rassemblement, mais aussi symbole d’une autorité et d’une culture rejetées, cristallise alors toutes les haines... Le laxisme dont fit preuve, à l’égard du foulard islamique, l’ensemble de la société française, constitue et constituera, au surplus, un obstacle à l’intégration des jeunes maghrébines, qui était pourtant primordiale dans les processus généraux d’assimilation des populations immigrées... Face à pareille situation, François Bayrou va clamant qu’il faut refaire de l’école un "sanctuaire". Mais la violence n’a-t-elle que des causes extérieures ? Un système scolaire fondamentalement inadapté. Pour bien comprendre la situation, il importe de considérer l’évolution du système éducatif depuis la seconde guerre mondiale. Sous l’égide du plan Langevin-Wallon, l’éducation nationale a franchi peu à peu les étapes d’une massification qui devait conduire au fameux objectif des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat. Destiné à élever le niveau de connaissance de l’ensemble de la nation, ce processus a entraîné, dans son sillage, une dérive "égalitariste" sans précédent. Persuadés que, pour bénéficier de la paix scolaire, ils devaient abandonner l’éducation nationale aux syndicats de gauche majoritaires, les pouvoirs publics consentirent au "Yalta pédagogique" de la réforme Haby. Au lieu que de devenir "pour tous", le collège devint "unique". La classe hétérogène fut élevée au rang d’exigence sociale et d’impératif catégorique. Tous les paliers d’orientation furent supprimés, pratiquement jusqu’à la fin de la classe de seconde. Un seul cursus fut désormais ouvert - et imposé - à tous les élèves. Cet état de fait eut plusieurs conséquences. Il nécessita, tout d’abord, un recul presque total de la prise en compte des résultats dans les procédures d’orientation. Privés de tout pouvoir, méprisés par les technocrates et certaines organisations de parents d’élèves, les professeurs se virent imposer un véritable passage automatique de la sixième à la troisième, puis de la sixième à la terminale... L’ensemble aboutit à ne plus faire de la transmission des connaissances la finalité du système d’éducation. Il conduit aussi à l’effrayante réalité du chômage des jeunes. Cette situation, comme on peut s’en douter, ne fait qu’amplifier les inégalités. Partout, filières occultes et choix optionnels consacrent le privilège de la fortune et du savoir. Méprisés parce que réduits à l’impuissance, accusés par les uns d’être inefficaces et par les autres d’être la cause de toutes les injustices, les enseignants - et l’école en général - constituent désormais les boucs émissaires de toute la société. De ce point de vue, aux causes extérieures de la violence, il convient donc d’ajouter des causes internes, structurelles. A une situation de violence produite par la société en général, l’école oppose une réponse fondamentalement inadaptée... Comment s’étonner que la crise s’y amplifie au lieu d’y trouver solution ? Une nécessaire réforme du système éducatif. Face à la crise, force est de reconnaître que les réponses manquent de variété ainsi que de conviction. En Mars 1995, François Bayrou avait fait connaître un train de douze mesures contre la violence. Accusées par les organisations syndicales d’être des "mesurettes", celles-ci ne furent même pas toutes appliquées. Ainsi, les nominations de professeurs débutants sur les postes difficiles se poursuivent-elles, en dépit des promesses. A peine note-t-on quelques progrès dans la relation police-éducation-justice. Les propositions de modification des rythmes scolaires, qui posent bien plus de problèmes que ne veut l’avouer le pouvoir, restent à l’état de projet. Les organisations syndicales de gauche (FENFSU...) ne préconisent, elles, aucune mesure fors leur perpétuelle demande de moyens supplémentaires. Pourtant, les établissements des Zones d’Education Prioritaires (ZEP), les établissements dits "sensibles" reçoivent déjà une dotation sensiblement plus importante que les autres. On n’y constate pas pour autant, au contraire, de diminution sensible de la violence... Les mesures préconisées, lors de la table ronde du 20 février, par le premier ministre, lui-même relayé, le 20 mars, par le ministre de l’éducation, si elles relèvent, pour la plus grande part, du simple bon sens, restent trop périphériques ; elles ne s’attachent pas à la nature profonde du problème. Si les classes pour délinquants ("classes sas") constituent une piste intéressante, ni les internats, ni les militaires du contingent, ni les moyens supplémentaires pour les ZEP, ni la plus grande sévérité à l’égard des intrusions extérieures, ne réussiront, à eux seuls, à éradiquer le fléau. En vérité, c’est l’ensemble de l’éducation nationale qu’il faudrait réformer en profondeur si l’on veut apporter, à terme, une réponse adéquate à la violence et à la montée générale de l’indiscipline. "Sanctuariser" l’école ne signifie pas seulement la protéger contre les agressions extérieures, c’est aussi la protéger de ses démons intérieurs, la rendre à sa vocation originelle : transmettre la connaissance. Sanctuariser l’école, c’est rompre avec "l’ânerie sanglante du collège unique". C’est à ce prix que l’on restaurera l’autorité des professeurs, en rendant à la connaissance toute sa dignité. Il convient d’en faire une priorité nationale. Bernard Kuntz Tweet |