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Lettre N° 45 - ÉDUCATION : LA NOUVELLE DONNE EUROPÉENNE (2)
La ratification du traité de Maastricht à la fin 1993, substituant l’Union européenne à la Communauté, a élargi son rôle dans le domaine éducatif. L’Union et ses organes sont appelés dorénavant à contribuer au "développement d’une éducation de qualité" (article 126). En mars dernier, la commission de Bruxelles a eu l’heureuse initiative de lancer une grande consultation en publiant un livre vert (document de base pour ouvrir un débat) sur l’avenir de l’éducation dans les Etats de l’Union. C’est la première fois qu’un débat d’une telle ampleur a lieu et il convient de le signaler. Les réflexions qui suivent se veulent une contribution à cet échange de vues.
Il importe de tenir compte, avant tout, d’une innovation dans le cadre de la construction européenne qui peut être de taille. Le traité de l’Union est bâti sur une notion nouvelle, la subsidiarité, qui règle les rapports entre les Etats et l’Union. Cette notion, comprise dans son sens originaire, devrait permettre une grande autonomie des Etats, réservant à l’Union les tâches que ceux-ci ne pourraient développer convenablement. Mais la subsidiarité ne devrait pas se limiter aux rapports Etats/Union, elle devrait également régler les relations à l’intérieur des Etats entre les pouvoirs publics et la société civile. Nous allons ainsi vers une nouvelle conception de l’Etat, l’unique, à notre avis, pouvant faire face aux défis des sociétés actuelles. Dans ce sens, le document Une proposition pour le renouveau de l’éducation en Europe présentée lors du symposium organisé par l’OIDEL avec le soutien de la Commission des communautés européennes à la fin de l’année dernière souligne avec force : "Il faut passer d’un Etat d’assistance à un Etat subsidiaire. Dans un Etat subsidiaire, les pouvoirs publics recherchent l’intérêt général ou la justice en laissant la plus large autonomie et liberté aux personnes et aux institutions. Mais la subsidiarité ne va pas assez loin si elle signifie seulement décentralisation, elle implique un regard nouveau de l’Etat sur la société." 1 Le Livre vert affirme que "la dimension européenne de l’éducation se positionne comme un élément important contribuant à un ajustement de l’action éducative au nouvel environnement économique, social et culturel" (n. 5). Il ne faudrait pas toutefois réduire cette "nouveauté" à la signature du traité sur l’Union européenne. Les sociétés européennes ont vécu des changements en profondeur le plus souvent ignorés par les systèmes éducatifs. Même s’il faut souligner, comme le fait le Livre, que des efforts ont été déjà engagés pour améliorer l’école on ne peut oublier que les constats des carences des systèmes éducatifs se multiplient. Il convient de jeter un regard lucide et d’être disposés à initier des réformes en profondeur. Mais il ne semble pas possible de parler de la dimension européenne de l’éducation sans réfléchir à l’idée d’Europe sur laquelle nous souhaitons bâtir l’Union. Comme le réaffirme la Résolution sur la dimension européenne de l’éducation adoptée par le Conseil et les ministres de l’Education en 1988, l’objectif premier est de "renforcer chez les jeunes le sens de l’identité européenne et leur faire comprendre la valeur de la civilisation européenne et les bases sur lesquelles les peuples européens entendent fonder aujourd’hui un développement". A notre sens, l’élément central de cette identité européenne est la liberté et le pluralisme. Le penseur européen qu’était Ortega y Gasset disait avec force : "La liberté et le pluralisme sont deux choses réciproques et constituent toutes les deux l’essence permanente de l’Europe." 2 Dans le cadre de cette mission, il nous semble que la Communauté devrait aider les Etats à adapter leur législation aux instruments internationaux dans le domaine éducatif. Une attention particulière, du fait des violations flagrantes qui se produisent, doit être accordée à la liberté d’enseignement. La Résolution sur la liberté d’enseignement du Parlement européen de 1984 est demeurée lettre morte dans bon nombre de pays, notamment en ce qui concerne la parité financière entre les écoles étatiques et non-étatiques. Et pourtant le paragraphe 9 de la Résolution affirmait : "Le droit à la liberté d’enseignement implique l’obligation de rendre possible, également sur le plan financier, l’exercice pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de leur mission dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics correspondants." Une évaluation de la situation de la liberté d’enseignement dans tous les pays de la Communauté et des progrès accomplis depuis 1984 semble urgente. Le Livre vert aborde pertinemment les missions générales de l’école en insistant sur l’aspect éthique et sur le développement des attitudes et des qualités stables de la personnalité. Le manque d’éducation dans ce domaine et l’état de délabrement de l’enseignement des valeurs sont inquiétants. Comme l’OIDEL l’a exprimé devant la Conférence internationale de l’éducation en 1992 : "Il convient de se rendre compte de la difficulté technique d’enseigner l’éthique dans une société pluraliste dans le domaine des valeurs. L’enseignement étatique, et l’enseignant surtout, est soumis à une double exigence quasiment contradictoire : enseigner une éthique en respectant des convictions plurielles. Dans la réalité scolaire cela s’est traduit soit par une neutralité qui a transformé l’école en un no man’s land, soit par un pluralisme brouillon et chaotique. Dans les deux cas, l’école est incapable de générer ce sens de l’existence que les jeunes demandent. Le suicide est actuellement la deuxième cause de mortalité dans ces générations. Comment ne pas interpréter ces faits comme l’expression d’un manque de sens de l’existence ?" Une vraie éducation ne peut exister sans pluralisme scolaire. Il faut généraliser des systèmes comme ceux des Pays-Bas ou de la Belgique qui permettent un vrai choix de l’école et une formation de la personnalité dans toutes ses dimensions. Comme le souligne le document de l’OIDEL Une proposition pour le renouveau de l’éducation en Europe : "L’objectif premier est d’offrir aux jeunes des écoles "porteuses de sens" qui ne se bornent pas à transmettre un savoir technique mais où les valeurs et les questions fondamentales sont posées. L’élève a droit aussi à une formation cohérente et organisée lui permettant de se forger un esprit critique et une personnalité autonome dans un cadre libre et ouvert." 3 Pour ce faire, un changement doit s’opérer dans les relations entre l’école publique et l’école privée dans le sens de la Résolution sur la liberté d’enseignement citée auparavant. Un système performant et respectueux des libertés publiques devrait faire coexister des institutions privées créées par la société civile et un réseau d’enseignement organisé par les pouvoirs publics nationaux, régionaux et locaux, tous également financés par l’impôt. Le Livre vert signale opportunément le besoin de respecter les différences et de veiller à ce que les systèmes éducatifs ne se transforment pas en véhicule de "simple reproduction culturelle". Le risque est grand lorsque l’école est dirigée en régime de monopole ou quasi-monopole par l’Etat. Les pourcentages des écoles étatiques sur le total montrent bien cette situation de quasi-monopole : par exemple dans l’enseignement primaire en Italie les écoles publiques représentent 91 %, en France 86,8 %, en Allemagne 98,5 % et en Grèce 97,8 %. Le progrès social requiert l’émergence d’idées nouvelles, celles-ci ne peuvent naître si le système est uniforme, s’il ne permet pas la formation de pensées indépendantes. La qualité de l’éducation évoquée aussi par le Livre vert est la préoccupation première des acteurs de l’éducation, et l’action communautaire devrait lui accorder une priorité élevée. Un consensus de plus en plus large s’établit autour d’un certain nombre d’idées. J.-C. Tedesco, le directeur du Bureau international d’éducation (UNESCO) les résumait bien lors de son intervention dans le symposium de l’OIDEL cité plus haut : "les bons résultats éducatifs se trouvent généralement associés à des facteurs de type institutionnel : existence de projet pédagogique, leadership, travail en équipe, responsabilité pour les résultats. Tous ces facteurs et possibilités se trouvent normalement associés au fonctionnement d’institutions éducatives privées. Cependant, là où le secteur public accorde ces possibilités à ses institutions les résultats sont également satisfaisants." 4 Enfin, en ce qui concerne les acteurs, le Livre vert ne tient pas suffisamment compte du rôle des parents dans l’éducation, alors qu’il y a consensus sur le besoin d’établir une collaboration étroite entre l’école et la famille. Nous pensons que le rôle de l’Association européenne des parents d’élèves doit être renforcé, et que celle-ci doit être particulièrement consultée lors de la mise en œuvre des politiques. Comme le soulignait M. V. Guillen-Preckler, vice-président de cette association, lors d’un colloque organisé par l’OIDEL : "Les Etats perçoivent souvent les parents comme des concurrents dangereux dans la formation du futur citoyen. Il me semble que si les pouvoirs publics veulent la collaboration sincère des parents, ils doivent prendre une série de dispositions : faire preuve de respect et de neutralité vis-à-vis des différentes convictions notamment les convictions minoritaires, respecter les engagements internationaux car les instruments de protection des droits de l’homme sont clairs sur ce droit, et notamment reconnaître la priorité des parents dans le choix de l’éducation de l’enfant, et enfin, aider les parents à faire un choix éclairé lorsque cela est nécessaire" 5 Alfred Fernandez 1 Une proposition pour le renouveau de l’éducation en Europe, document présenté lors du symposium de l’OIDEL. Europe unie et plurielle ; le rôle des pouvoirs publics dans l’éducation, Genève, 1993.
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