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Lettre N° 15 - LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT : UNE SIMPLE HISTOIRE DE GROS SOUS ?
Depuis le 24 juin 1984 jusqu’aux élections de mars 1986, la défense de "l’enseignement libre" a beaucoup préoccupé l’opinion. Puis, à partir de ces élections jusqu’au mois d’octobre 1986, le nouveau gouvernement a manifesté une volonté de parer au plus pressé : trouver de l’argent afin de combler les graves retards d’attribution de crédits publics dont souffraient les établissements privés "sous contrat d’association". Enfin, subitement, au moment de la dernière rentrée scolaire et universitaire, l’enseignement privé est disparu de la scène politique et de la presse ; ce sont les tenants de l’enseignement "laïc" public qui ont joué les vedettes, vedettes du désordre d’ailleurs, par des grèves et des manifestations de rue politiquement très marquées. Il est indispensable de souligner que les manifestations de 1984, dans diverses villes, puis à Paris, en faveur de l’enseignement privé, ont été à tort, mais intentionnellement interprétées comme orientées "à droite". En réalité, elles traduisaient surtout un sursaut instinctif de parents effrayés de la dégradation de l’enseignement public, et décidés à continuer de sauver leurs enfants grâce à l’existence d’établissements privés. Il n’y a pas eu d’encadrement politique, et les autorités religieuses se sont montrées pour le moins discrètes. Au contraire, la "revanche" de l’automne dernier a été organisée par des associations politiquement téléguidées, et par des syndicats, qui étaient les uns et les autres, d’abord désireux d’empêcher le gouvernement et le parlement d’amorcer des réformes et de toucher au statut des enseignants, mais aussi soucieux de conserver aux jeunes le droit de suivre n’importe quelles études, aussi longtemps que possible, afin de retarder le moment où ils auront à affronter la vie réelle. LE "CONTRAT D’ASSOCIATION" ALIENE LES ÉCOLES PRIVÉES Dès lors, pourquoi affirmer dans le titre de cette analyse, que les "gros sous" ont joué un rôle déterminant dans le déroulement des événements de 1986 ? Parce que, provisoirement, quelque argent a été trouvé afin de permettre une rentrée acceptable dans l’’’enseignement libre", ce qui a apaisé les protestataires de 1984. Bien sûr l’argent est, à juste titre, considéré, comme le nerf de la guerre. Mais il peut produire le pire ou le meilleur, suivant qu’il asservit, ou qu’il donne les moyens d’une vraie liberté ; il peut aussi, parfois, tranquilliser dans une fausse sécurité ceux qui en ont recueilli. A cet égard, "l’enseignement libre" en obtenant des secours d’urgence pour la rentrée scolaire de 1986, a reçu la possibilité de ne pas refuser trop d’élèves, c’est-à-dire la faculté de survivre mais rien de plus ; c’était essentiel mais non satisfaisant au sens plein de ce mot. En outre, il ne faut jamais manquer une telle occasion de rappeler aux syndicalistes de l’enseignement "laïc", les conceptions des "grands ancêtres" qu’ils ne cessent d’honorer en paroles. La déclaration des droits de 1789 place sur le même plan parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme, la liberté et la propriété. Nous avons trop tendance à oublier aujourd’hui, que les libertés et la propriété sont liées à l’origine même de nos institutions. Certes, les établissements privés placés sous "contrat d’association", ou plutôt le plus souvent les associations qui en sont matériellement responsables, ont la propriété de leurs bâtiments et de leurs sols. Mais ils sont obligés de quémander, chaque année, les crédits publics nécessaires à leur fonctionnement (forfait d’externat...), et leurs maîtres sont payés par l’État, ce qui, nécessairement, altère quelque peu leur indépendance. Et parfois les enseignants eux-mêmes, se comportent comme des propriétaires, non seulement des établissements, mais des jeunes qui les fréquentent. Et ils paraissent enrager de se trouver contraints par la loi, de sous-traiter pour ainsi dire à des établissement privés extérieurs à la citadelle officielle, l’instruction d’une part minoritaire des élèves. Ainsi s’éclaire un peu, la notion, combien ambiguë, de "contrat d’association" des établissements privés à l’enseignement public. Les établissements dits "libres" vivent, en fait, sous un régime de concession sans cesse révocable. Leur existence repose, bien sûr, sur des bases légales, mais il demeure à chaque instant possible de leur couper, au moins partiellement, les vivres, comme l’expérience l’a démontré. Les questions de "gros sous" sont sans cesse là afin de rappeler à chacun le "domaine éminent" que l’État, et plus encore les syndicats d’enseignants, exercent sur la jeunesse de France. A y regarder de près, la notion de contrat perd toute signification lorsqu’il s’agit de concrétiser un accord entre les volontés de partenaires aussi inégaux qu’un État tout-puissant, ou tout autre collectivité publique, et des responsables d’établissements privés d’enseignement. Dans le cadre de ces relations déséquilibrées, il devient normal pour les pouvoirs publics, de laisser en attente de solution, des questions aussi fondamentales que celles du mode de nomination des maîtres des établissements privés, ou de leurs garanties de carrière. L’octroi qui leur a été consenti de quelque argent nécessaire à leur vie immédiate, a conduit les chefs d’établissements privés à observer un silence prudent. Mais il faut souligner que le réajustement par référence à l’enseignement public, de l’allocation de base des crédits de fonctionnement en proportion du nombre des élèves scolarisés, a été renvoyé à une commission d’évaluation. Ainsi même sur les problèmes de "gros sous" le plus important n’est pas réglé. LES ÉCOLES PUBLIQUES ONT PERDU LA LIBERTÉ DE TRANSMETTRE NOTRE CIVILISATION Comment s’expliquer que les défenseurs du monopole public de l’enseignement puissent ainsi tenter de dicter les décisions relatives à l’enseignement privé ? Il est étonnant que devant "l’illettrisme" (mot affreux) d’un grand nombre de jeunes Français, la valeur des méthodes pédagogiques de l’enseignement public n’ait pas été très officiellement remise en cause, et que la question de la compétence d’une partie du corps enseignant public n’ait pas été clairement posée. Un bon arbre ne peut produire une telle abondance de mauvais fruits. La réponse à ces questions semble pourtant toute simple. Le Ministère de l’Éducation Nationale s’est installé dans une position de quasi-monopole au-delà de l’influence de tous les ministres qui passent ; or, qui dispose d’un monopole finit par se scléroser. Il ne faut pas avoir peur de rétablir les mots dans leur véritable sens. S’il est devenu habituel de parler "d’enseignement libre", c’est bien parce que l’autre enseignement, majoritaire en effectifs et en puissance, n’est pas libre, c’est-à-dire qu’il a perdu ses libertés essentielles sous la pression de l’omnipotence des services du Ministère. Pourtant, tout l’enseignement devrait bénéficier d’une large liberté, qu’il soit donné par des établissements publics ou privés. Les établissements publics peuvent, et devraient fonctionner plus librement vis-à-vis de l’administration centrale. Ils ont pour vocation de dispenser une instruction à la fois traditionnelle et exemplaire, sans qu’elle soit marquée d’aucune orientation philosophique ou religieuse. Leur devoir principal consiste à "transmettre" les connaissances qui ont été accumulées de génération en génération, et qui ont contribué à former la civilisation de notre pays. Il est absurde de tenter, à l’abri d’un quasi-monopole public, des expériences pédagogiques prétendument novatrices sur la masse de la jeunesse française. La vieille loi abrogée du 28 mars 1882 enjoignait aux instituteurs d’inculquer aux enfants les notions fondamentales non seulement de la lecture, de l’écriture et du calcul, mais de l’histoire et de la géographie de la France, ainsi que des éléments des sciences physiques, naturelles... En définitive, son rôle de référence quant à la neutralité et la qualité de l’enseignement, l’école publique ne l’a souvent, malheureusement, pas bien tenu. Au moins sur le manque de qualité, un ministre de l’éducation, de convictions "laïques", l’a honnêtement reconnu en 1985. Trop longtemps, elle n’a pas subi assez la concurrence ; il faut la lui infliger en plein. Il n’est en outre pas inutile de rappeler que les écoles primaires publiques ont été installées partout en France en vue de répondre, en théorie, à une certaine forme de liberté de l’enseignement. La législation qui oblige toutes les communes à assurer un enseignement primaire tend à garantir le droit des parents de soustraire leurs enfants à une ambiance confessionnelle. C’est là, en effet, une forme de liberté, mais à la condition que l’école publique soit vraiment neutre, et n’impose pas aux jeunes une instruction civique politisée. FINANCEMENT PAR LA MÉTHODE HOLLANDAISE OU BON SCOLAIRE ? L’instauration d’une authentique liberté de l’enseignement tant public que privé, suppose, comme préalable, une réforme de leurs modes de financement. Afin d’assurer le libre choix de l’établissement par les usagers, c’est-à-dire les parents d’abord, et les étudiants majeurs ensuite, mais aussi la liberté de choix des élèves par les responsables des établissements, et afin de faire jouer une saine compétition entre tous les établissements d’enseignement dans des conditions parfaitement équitables, deux méthodes paraissent seules possibles à envisager : 1/ L’attribution de crédits publics, calculés en fonction du nombre d’élèves inscrits, directement aux établissements publics ou privés, et pour l’intégralité de leurs dépenses : c’est le procédé en usage aux Pays-Bas ; 2/ La remise aux parents pour les mineurs de dix-huit ans, et aux étudiants eux-mêmes au-delà de cet âge, d’un "bon" scolaire ou universitaire valant des sommes payables par l’État, et destiné à l’établissement avec lequel ils se seront mis d’accord sur des inscriptions. La mise en pratique de tels systèmes de financement poserait, bien sûr, initialement, quelques problèmes relatifs, par exemple à des garanties de rémunération similaire des enseignants dans l’ensemble du pays, et aussi aux échelles de valeur des bons individuels ou collectifs, en fonction des filières d’enseignement et des niveaux des classes. Mais les vrais obstacles relèvent de motifs psychologiques et corporatistes qui tiennent aux structures du Ministère de l’Éducation Nationale ; il ne faut pas craindre de l’affirmer, quitte à être accusé de crime de lèse-majesté. Ainsi les problèmes de gros sous pourraient être assez aisément résolus, si une volonté politique, et plus encore peut-être celle des associations intéressées les plus diverses se manifestaient énergiquement dans le sens d’une des modalités de financement évoquées ci-dessus. Et il deviendrait enfin possible pour les chefs d’établissement et les enseignants de consacrer tout leur temps à améliorer, en pleine concurrence, la qualité de l’instruction et de l’éducation qu’ils dispensent à la jeunesse française. Le rôle du ministère et des collectivités publiques redeviendrait ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être :
DÉCENTRALISATION EN FAVEUR DES USAGERS OU "SERVICE PUBLIC NATIONAL D’ÉDUCATION" ? Vue sous cet angle, la décentralisation en vigueur en France apparaît presque caricaturale. Les élus locaux, lorsqu’ils s’occupent d’enseignement, doivent principalement traiter de questions d’argent : insuffisance des dotations de l’État aux collectivités territoriales, conflits sur le financement des frais de scolarité entre communes de résidence et communes de la fréquentation scolaire... Puisque les fonds proviennent toujours des poches des mêmes contribuables, et qu’il est inconcevable de distribuer une instruction au rabais aux enfants des départements pauvres par rapport à ceux des départements riches, la décentralisation des crédits de l’enseignement est illogique ; elle complique inutilement les circuits financiers. La véritable décentralisation de l’enseignement doit se réaliser de la puissance étatique et syndicale centrale, vers les établissements et les usagers. Le rôle des parlementaires et des élus locaux consiste normalement à la fois à veiller sur la qualité de l’instruction donnée aux jeunes dans leurs circonscriptions, et à exercer une influence sur l’orientation des cycles de formation vers des spécialisations professionnelles conformes à l’avenir de leurs régions. Cette tâche est autrement plus passionnante pour eux que la quête aux crédits. Dans la réalité d’aujourd’hui, il faut bien constater qu’il n’existe guère d’enseignement libre en France, sauf celui des établissements privés qui ont pu renoncer à signer tout contrat d’association avec la puissance publique. En matière d’enseignement plus qu’ailleurs, l’État ne peut être qu’un monstre froid. Sa mission essentielle consiste à faire appliquer des lois et règlements destinés à garantir les "droits naturels et imprescriptibles de l’homme" : liberté, propriété, sûreté... Il est de sa compétence d’empêcher des atteintes à ces droits ; mais il n’est en rien qualifié pour promouvoir des libertés personnelles. Dans un esprit de liberté, il est donc inconcevable que l’État prétende instruire directement lui-même, ou encore moins éduquer les jeunes Français ; une telle prétention n’est bien adaptée qu’à un système politique qui fabrique de petits robots encadrés dans des mouvements de jeunesse sur un modèle totalitaire. C’est pourtant bien cette conception dont paraît s’inspirer l’action de certains services du Ministère de l’Education Nationale qui tendent à transformer les enseignants en simples agents d’exécution des directives de l’administration centrale. Une authentique décentralisation telle que nous avons essayé d’en esquisser ci-dessus les grandes lignes est inhérente à toute tâche de formation de la jeunesse. Les enseignants doivent, bien entendu, suivre des programmes, surtout dans les classes primaires, et préparer leurs élèves à des diplômes publics ou privés. Mais leur efficacité doit être appréciée avant tout d’après leurs résultats, et par les utilisateurs eux-mêmes, dans une concurrence largement ouverte. Dans cette optique, un service public national d’éducation apparaît contre nature. D’ailleurs, en fait, l’Education Nationale est progressivement passée de la notion de "service" des usagers, à celle d’autoservice de ses propres responsables et agents. Il ne pouvait en être autrement. Dès lors, il est tout à fait chimérique, de la part des responsables des établissements privés d’enseignement, de penser pouvoir s’associer à un service public national d’éducation qui ne saurait être qu’un mythe dangereux. * Ainsi, la masse des manifestants de 1984 en faveur de "l’enseignement libre", et celle de l’automne 1986 pour le libre accès aux universités, ont été trompées et se sont trompées. Ceux de 1984 ont été incités à croire qu’ils assuraient la libre éducation de leurs enfants ; bientôt trois ans après, ils n’ont obtenu qu’un peu d’argent, et des promesses de garanties juridiques dont la réalisation se fait attendre. Ceux de 1986 ont revendiqué des assurances sur leur avenir qu’il est impossible de leur donner, mais ont, en fait, agi en faveur du monopole de l’Etat et des syndicats sur l’enseignement ; ce n’est pas leurs propres carrières que les "étudiants", vrais ou faux, de l’automne ont préparées, mais celles des corporatistes enseignants. Gros sous ou carrières des gens de l’appareil public, telles sont les préoccupations dominantes, et les tristes réalités du jour. A quand la vraie liberté ? Elle a peu de chance de naître si les dirigeants de l’enseignement, qui se croient libres, ne se décident pas à poser les problèmes essentiels, et s’ils ne comprennent pas qu’une liberté aussi fondamentale que celle de l’enseignement est indivisible : elle concerne solidairement les écoles publiques et les écoles privées. Pierre SIMONDET Tweet |