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Lettre N°77 – Les garanties constitutionnelles de la liberté d'enseignement
Table ronde du 15 juin 2002
Pour des raisons de place et de délai, il n'était pas possible de publier dans ce numéro le compte rendu in extenso du colloque international que nous avons organisé au Sénat le 15 juin dernier. Nous y présentons un résumé des exposés liminaires des professeurs Jan de Groof et Charles Glenn ainsi que des extraits des débats, avec la résolution qui a ensuite été adoptée. Il reste à espérer que cette résolution pourra servir de grille de lecture aux juges constitutionnels et administratifs des États membres de l’Union européenne, à la Cour de Justice des Communautés européennes et, s’il le faut (et il le faudra peut-être dans les États les plus réticents à la liberté de l’enseignement), à la Cour européenne des droits de l’homme. Dans un terme plus rapproché souhaitons qu’elle inspire le législateur français s’il daigne accepter de discuter de la récente et intéressante proposition de loi du député François Goulard tendant à abroger la Loi Falloux.
Armel PECHEUL
Exposé de Jan de Groof Dans l’Union européenne, on trouve encore plus de systèmes nationaux que de pays membres. Aux Pays-Bas, plus de 70 % de la population scolaire primaire et secondaire se confie aux écoles catholiques et protestantes. En Belgique, 73 % dans la communauté flamande et 63 % dans les communautés française et allemande. Plus de 80 % du coût de fonctionnement des écoles libres ( non gouvernementales, indépendantes, privées, comme vous les appelez) est financé par l'État en Irlande, 75 % en Allemagne et au Danemark. En Espagne, il y a une forte représentation des écoles catholiques, de 23 % jusqu’à 53 % selon le niveau d'éducation. Il existe donc une multitude de systèmes contractuels et financiers entre l'État et l'école libre. C’est dire que ce choix scolaire figure effectivement parmi les principes constitutionnels communs aux États européens. Et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, plus particulièrement en son article 14, devrait constituer un repère juridique plus solide encore pour les parents et les élèves qui veulent se confier à l'enseignement libre. La doctrine juridique a employé au sujet de ces droits la terminologie de droits de la troisième génération dans le développement des droits de l’homme, après le principe de la liberté et le principe de la légalité. De fait, il existe une liste impressionnante de conventions, de protocoles qui sanctionnent les droits en matière d’enseignement et en faveur de la liberté d’enseignement. La liberté de l’enseignement, effectivement, c’est à la fois une liberté et un droit. C’est une liberté permettant de se défendre contre une ingérence excessive des pouvoirs publics d’un côté et un droit créance, une intervention positive des pouvoirs publics, de l’autre. Évidemment, c’est un droit individuel et c’est un droit collectif ; c’est un droit politique et philosophique et c’est un droit socioculturel. Ce droit constitue aussi la condition de l’exercice des autres droits fondamentaux. Il devrait donc être placé en tête des droits, peut-être, après le droit à la vie. Il n’y a pas assez de moyens financiers pour garantir la viabilité de l’école libre. Et c’est ce qu’il faut mettre en avant auprès des juges constitutionnels. Pratiquement dans tous ces États membres, le financement de l’enseignement s’effectue par le biais de l’école, sans enveloppe de substitut direct en faveur des parents ( bon scolaire). Partout, le système est celui du subventionnement et du financement direct de l’école, sauf en Suède où l’élève qui a atteint l’âge de seize ans reçoit un subside à part entière. Par surcroît, dans tous les pays, cette sorte de financement est liée à la fédération d’un catalogue impressionnant de normes manifestement trop détaillées. C’est alors l’autonomie pédagogique qui est en cause. En Belgique comme dans les pays flamands, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, le financement est conditionné par les résultats d’enquêtes. L’école doit prouver qu’un niveau minimal de qualité est atteint. Tous les indicateurs internationaux démontrent clairement que le degré de décentralisation, d’autonomie est nettement plus grand dans le secteur libre que dans le secteur public. Il faut donc autonomiser aussi l’école gouvernementale, l’école publique. Dans certains secteurs éducationnels, il faut lui garantir des compétences propres de gestion et de direction. La révision de la Constitution en Belgique comme dans les pays flamands a démontré comment cette autonomie contribue à la "dé-politisation" de l’enseignement d’État. Autonomiser signifie responsabiliser de toute évidence, mais aussi dépolitiser. Le choix scolaire pourrait ainsi contribuer à donner une nouvelle jeunesse au principe de subsidiarité.
Exposé de Charles Glenn Je dois commencer par reconnaître les excellences du système éducatif français. Parmi ces bonnes qualités, il faut citer le souci de l’égalité des chances bien qu’il faille avouer que la France, en compagnie des autres pays, les pays socialistes comme les pays de libre marché, la France n’a jamais atteint le but d’une égalité de chances parfaite. Il faut citer aussi la préoccupation d’offrir à tous les jeunes une idée de la France et des devoirs des citoyens. On pourrait ajouter la spécificité avec laquelle le système organise les savoirs qui devraient être présentés à l’école. A un autre niveau et en comparaison avec les États-Unis, on pourrait mentionner que depuis quarante ans, la France a rendu possible le choix de l’école non gouvernementale pour les familles qui n’en ont pas les moyens. L'Italie, les États-Unis, la Grèce et la Bulgarie sont les seuls pays qui n'ont pas de système de soutien pour les écoles non étatiques choisies par les parents. Cela dit, je voudrais noter deux problèmes du système éducatif en France, problèmes qui paraissent être tout à fait indépendants l'un de l'autre mais qui devraient être liés, je crois, dans une réforme souhaitable. Le premier, c'est le défaut de vraie diversité éducative parmi les écoles publiques et privées. Guy Guermeur, dont la présence nous fait défaut aujourd'hui, m'a dit un jour qu'on avait en France deux systèmes bureaucratiques, celui de l'État et celui de l'Église catholique, mais pas la vraie diversité d'écoles qu'il avait souhaitée en présentant la loi qui porte son nom. Ce n'est pas simplement une question de réglementation de l'État mais une hésitation de la part des éducateurs à utiliser la liberté qu'ils ont dans le système existant. Quels sont alors les arguments qui plaident en faveur de la diversité scolaire ? Premièrement, l'engagement des instituteurs dans la vie de l'école et surtout dans le perfectionnement des méthodes d'instruction des élèves est bien plus grand dans les écoles qui ont un projet bien défini. Toute la rhétorique autour de l'autonomie des écoles et sur leur caractère propre a peu de signification pour la vie de l'école et l'engagement des instituteurs quand tout est imposé de l’extérieur. Quand l'existence même de l'école dépend de cet engagement dans une voie bien définie, au moins une ligne directrice, et quand les instituteurs ont été choisis et ont choisi l'école pour sa mission éducative, nous avons une école où l'éducation est un art et pas simplement une routine bureaucratique. Deuxièmement, une variété parmi les écoles est la condition d'un choix authentique de la part des parents, celle du libre exercice du droit de décider pour leurs enfants. Quand le choix se fait en fonction de la mission éducative de l'école, quand on trouve cette mission au centre de la vie de l'école dans toutes ses dimensions, on a le droit de parler de marché libre et vivifiant de l'enseignement. Je veux ajouter une troisième motivation pour encourager la diversité scolaire. Une motivation qui n'a pas été avancée dans les débats que j'ai pu suivre en Europe. Il faut commencer par constater, ce qui ne fait aucun mystère, que la société française, que les sociétés européennes souffrent d'une crise de la jeunesse extra-communautaire. L'école qui trouve le secret pour engager les élèves à risque, les élèves marginaux, et surtout pour créer un climat, une culture parmi les jeunes, aura bien plus de chances de produire des résultats positifs. Des recherches depuis vingt ans aux États-Unis ont montré que pour les élèves noirs à risque, les écoles religieuses et d'autres écoles avec un projet éducatif de profil ont plus de succès que les écoles qui répondent à une logique bureaucratique, même quand celles-ci ont un net avantage en matière de ressources. Les écoles publiques américaines dépensent en moyenne deux fois plus qu'une école catholique mais avec des résultats inférieurs, surtout avec les élèves qui risquent un échec scolaire et donc un échec d'insertion dans la société et l'économie. La supériorité des résultats des écoles catholiques aux États-Unis n'a pas été démontrée qu'avec les élèves noirs. Toute la question est de vaincre la marginalité et l'influence de la vie de quartier par la cohérence de l'école, de sa mission éducative. Intervention de Jean-Daniel Nordmann
Il est évident que comme Suisse, j’ai un intérêt encore assez lointain à la Convention européenne. Mais il paraît très important, pour ceux qui défendent la liberté de l’enseignement d’être présents sur ce terrain. C’est pourquoi ce sujet a donné une deuxième coloration à notre rencontre de ce matin. Nous avons donc travaillé avec un objectif extrêmement précis - fournir un petit document de travail à la Convention européenne - mais aussi pour exprimer nos revendications et dire notre lecture des constitutions telles qu’elles se présentent actuellement. Pour ce faire, nous avons travaillé de la manière la plus classique à partir des documents qui nous ont été fournis par MM. Glenn et de Groof. Après discussion nous avons pu dégager plusieurs grands thèmes.
Premièrement, il existe un droit à la constitution d’une école sur la base ou non d’une idéologie. Je pense qu’en France vous utiliseriez plutôt le terme de caractère propre. C’est un droit de créer des écoles. Je vous rappelle que ce droit figure en termes explicites dans les grands pactes internationaux de 1966 que la France, bien sûr, a signés.
Deuxième point, il existe aussi un droit à l’établissement d’un enseignement selon ses propres convictions en termes de forme et de contenu. Il confère la possibilité de créer des écoles trouvant leur spécificité dans certaines conceptions idéologiques, pédagogiques ou didactiques. Nous rejoignons ce qui vient d’être dit sur le nécessaire pluralisme dans l’offre d’éducation dans un pays donné.
Troisième point, il existe un droit à définir librement l’organisation et le fonctionnement de l’établissement d’enseignement libre. Créer des écoles, c’est bien gentil, encore faut-il ensuite pouvoir les diriger de manière à sauvegarder l’autonomie et la spécificité de l’école. Droit au libre choix des membres du personnel et à la liberté de définir leur mission comme à réglementer leur prestation. Si vous n’avez pas dans une école privée la liberté de choisir, d’engager, voire de dégager, votre personnel, vous n’avez pas de réelle liberté.
Enfin, et c’est toujours le nœud difficile à défaire dans la discussion internationale sur la liberté d’enseignement, le droit au financement doit exister pour que la liberté de l’enseignement ne soit pas purement théorique. Une liberté qui n’a pas les moyens de s’exercer n’est pas une liberté fondamentale telle qu’elle est reconnue dans les instruments internationaux.
Voilà, sur ces points il y a eu consensus. Quelques autres méritent des commentaires supplémentaires.
Tout d’abord, évidemment, l’autonomie pédagogique. Dans le rapport 2002 sur la liberté d’enseignement dans le monde, rapport émanant de l’OIDEL, vous vous apercevrez que nous avons cherché à classer les pays selon leur degré de liberté. La France arrive, si je me souviens bien, au cinquième rang. De ce point de vue-là, la France est bien placée. Mais évidemment, le jour où nous introduirons l’autonomie pédagogique, la France dégringolera très sérieusement dans le classement ! Ce matin, certains experts ont également insisté sur la liberté pédagogique des professeurs. Evidement, il n’y a pas d’enseignement libre, réellement libre, si les enseignants ne sont pas libres à titre personnel, libres aussi d’adhérer ou non au projet pédagogique d’une école. Si le projet pédagogique d’une école ne convient pas à un enseignant, il faut qu’il ait la liberté de ne pas enseigner dans cette école, comme le directeur a la liberté de ne pas l’engager.
Il a aussi été relevé que la vraie question ne consiste pas à subventionner les écoles, mais le citoyen. Il faut, autrement dit, permettre au citoyen de se procurer un enseignement non gouvernemental. C’est un élément important, en Suisse, on utilise beaucoup le barbarisme d’un subventionnement orienté sujet et non objet, c’est typiquement une traduction de l’allemand mais c’est une manière de résumer la chose. Nous avons évoqué le bon scolaire, le chèque scolaire, il y a aujourd’hui quelques essais assez intéressants dans le monde.
On a également insisté sur le fait que notre texte devrait très clairement faire mention de l’égalité des chances. Je précise à titre personnel que cette notion me paraît parfois un peu piégée : on a tendance à insister sur l’égalité et moins sur la chance alors que l’important dans l’égalité des chances, c’est d’abord la chance. Et c’est la chance partagée à égalité pour tous, j’allais dire la chance d’avoir une école qui convienne.
Nous entrons maintenant dans une phase de rédaction et nous espérons pouvoir prendre quelques contacts chez les décideurs de la Convention européenne pour leur faire prendre conscience de l’importance de bien spécifier la liberté d’enseignement dans les textes qui feront l’objet d’une éventuelle Constitution européenne.
Intervention de Charles Glenn Notre Cour suprême devrait rendre prochainement une décision sur la question des bons scolaires. C’est une question très importante pour le programme de l’État de l’Ohio, et notamment pour les écoles de Cleveland qui étaient horriblement insuffisantes. L’État a décidé que les enfants de ces écoles pouvaient utiliser un bon scolaire pour aller dans des écoles publiques de banlieue ou dans des écoles privées. Et tous les systèmes de banlieue ont dit, non, nous ne voulons pas de ces pauvres enfants de la ville ! Ce sont alors les églises catholiques et protestantes qui ont accepté ces enfants de couleur de la ville de Cleveland avec ces bons scolaires. Le procès tient donc au fait que presque tous les enfants utilisent ces bons scolaires dans des écoles religieuses. Ceux qui sont contre prétendent que cela a porté atteinte au principe de la séparation entre l’État et l’Église, ce qui est donc contraire au premier amendement dû à Jefferson. La défense prétend que c’est simplement parce que les écoles publiques ne veulent pas de ces enfants qu’ils viennent tous dans des écoles religieuses. Aujourd’hui, nous avons maintenant trois États dans lesquels des programmes de bons scolaires ont été institués. Tous ces États attendent la position de la Cour. Si la décision est positive, d’autres États choisiront cette manière de donner plus de flexibilité au système et aussi plus de responsabilité.
Intervention de Jan de Groof
J’ai lu sur la façade de ce palais, une intéressante citation de Victor Hugo du 2 décembre 1851 : " Quand la liberté rentrera, je rentrerai. " Je me demandais, à ce propos, s’il n’y avait pas une certaine ambiguïté dans la décision de votre Conseil constitutionnel concernant justement le choix de la liberté scolaire. Je cite : " Il incombe au législateur en vertu de l’article 34 de définir les conditions de mise en œuvre de ces dispositions et principes à valeur constitutionnelle. Il doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements de l’enseignement public contre les ruptures d’égalité à leur détriment. " On garde les obligations particulières que ces établissements assument. C’est un peu contradictoire. Il y a encore, peut-être, un très long chemin à parcourir, en France.
Intervention d’Armel PECHEUL
Il existe en France un éternel débat sur le point de savoir si les écoles privées peuvent être subventionnées comme les écoles publiques. Concrètement c’est la question de l’abrogation de la loi Falloux qui se pose. Les collectivités locales ne peuvent pas subventionner librement les établissements d’enseignement privé, en dehors de quelques cas particuliers puisque la question ne se pose pas pour l’enseignement agricole ou pour l’enseignement technique. La question qu’évoque notre ami pour les États-Unis conduit à contourner totalement le problème puisqu’il ne s’agit plus de savoir si une collectivité locale peut ou non subventionner un établissement privé mais de savoir si elle peut aider à titre individuel les citoyens qui auront, eux, le libre choix de leur établissement. En clair, le destinataire des fonds publics n’est pas l’école, mais le citoyen. Voilà un moyen effectif d’organiser la concurrence puisque ce sont les usagers qui choisiront alors librement leur école.
Pour répondre à une autre intervention j’ajouterai que ce n’est pas un hasard si le premier travail d’un régime totalitaire est de prendre en main l’éducation et la culture. Les Soviétiques en 1917, le nazisme en 1933 se sont d’abord préoccupés de l’éducation et de la culture. Le même phénomène s’est produit en France, au fur et à mesure que les philosophies politiques sont devenues totalitaires - pas un totalitarisme physiquement violent comme cela s’est passé en URSS ou en Allemagne certes, mais un totalitarisme soft, c’est-à-dire le totalitarisme de la pensée -. A partir de ce moment- là effectivement, on a vu progressivement l’Etat s’occuper de plus en plus de l’éducation Il a très vite compris l’intérêt qu’il pouvait en tirer ! D’ailleurs, bien avant, Jules Ferry avait su, par l’uniformisation de l’instruction, " franciser " les Bretons, les Corses, les Basques, et les petits Auvergnats. Il faut avoir ces données présentes à l’esprit lorsque l’on traite de la liberté de l’enseignement. D’un côté, la liberté doit être affirmée pour permettre d’éviter le totalitarisme (soft ou dur). D’un autre côté, l’État doit veiller à préserver ses intérêts essentiels et notamment l’unité de la Nation s’il l’on y croit encore, pour assimiler ceux qui souhaitent sérieusement devenir Français. D’un côté la liberté du choix de l’école doit faire partie intégrante de la liberté politique. De l’autre, l’État doit intervenir, comme un gendarme, comme une autorité de police au sens propre du terme, lorsque précisément, il rencontre des déviations dans l’exercice de la liberté qui nuisent à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou à l’intérêt des enfants. L’important est l’équilibre entre les deux. L’important aujourd’hui est surtout de renverser la proposition en permettant d’abord et effectivement que s’exerce une vraie liberté de l’enseignement. L’État ne doit alors intervenir que dans un second temps comme autorité de police pour sanctionner les dérives de la liberté. Cela s’appelle tout simplement l’État gendarme par rapport à l’État providence …il nous reste du chemin à parcourir en France pour y arriver.
Un intervenant dans la salle
Je vais parler des deux Ferry, de Jules et de Luc. Luc Ferry a écrit un livre dans lequel il dit que " L’éducation publique ne fonctionne plus parce qu’il n’y a plus de consensus de base sur les valeurs de notre société occidentale ". Empruntant d’ailleurs ses idées à Gauchet, il dit aussi : " L’école neutre a fonctionné tant que, au fond, la France était catholique. " C’est dire qu’il y avait une référence transcendante dans le système éducatif. C’est très intéressant parce que si vous lisez Jules Ferry, celui-ci ne dit jamais qu’il y faudrait adopter une neutralité vis-à-vis des valeurs, il dit qu’il doit y avoir une neutralité vis-à-vis des confessions. Il parle de la morale de toujours, notamment dans son histoire de la Chambre. " La morale du christianisme, la morale de Kant, la morale de toujours ". Est-ce que cela a quelque chose à voir avec les systèmes éducatifs des pays occidentaux aujourd’hui ? Bien sûr que non ! Est-ce que l’on peut continuer à utiliser les même schémas pour fonder un système éducatif sur un monde qui a radicalement changé ? La lettre de Jules Ferry aux instituteurs fait frémir n’importe quel enseignant du système public aujourd’hui, parce que c’est vraiment un sacerdoce qu’il demande aux enseignements du public. C’est un problème aussi car on a vécu un mythe. J’espère simplement que Luc Ferry se souvient de ce qu’il a écrit et qu’il se pose encore sa propre question : " Comment faire un enseignement dans une société où il faut refonder les valeurs sur lesquelles cette société est construite ? "
Un intervenant dans la salle.
L’enseignant est confronté à un problème qui le dépasse absolument. Les sociétés occidentales ne peuvent pas faire l’économie d’un débat de fond sur ce qui est vraiment, réellement, à la base de notre vie en commun. Elles ne peuvent plus simplement dire " nos valeurs sont celles de la démocratie et des droits de l’homme ", deux mots qui, au fond, sont totalement incontournables mais qui, en même temps, ne veulent plus aujourd’hui rien dire parce que les gens y mettent ce qu’ils veulent et surtout ce qui les arrange dans l’immédiat.
Résolution du colloque de Paris
1.
Les instruments internationaux et européens de protection des droits de l’homme garantissent la liberté du choix de l’enseignement pour les parents et les élèves, en association avec le droit positif à l’enseignement.1
2. D’autre part, la liberté d’enseignement fait partie des " traditions constitutionnelles communes " en Europe. En effet, la liberté constitutionnelle ou quasi constitutionnelle de l’enseignement constitue à ce jour un principe largement soutenu dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Ce principe revêt la double dimension d’une liberté " active " et d’une liberté " passive ", active dans le sens d’un droit d’ouvrir et de diriger un établissement d’enseignement avec un contenu didactique particulier et une approche pédagogique propre, passive dans le sens du droit de suivre un enseignement selon ses propres préférences et convictions.
3.
Ces deux aspects de la liberté d’enseignement sont étroitement liés et indissociables, la liberté de choisir l’enseignement ne revêtant du sens que s’il existe des écoles à caractère propre et inversement.
4.
Les experts du séminaire de Paris, conjointement aux associations organisatrices, constatant que la reconnaissance constitutionnelle de la liberté d’enseignement ressort clairement des fondements des législations européennes et de la jurisprudence en matière de liberté d’enseignement, considèrent les dispositions suivantes comme constitutives de la liberté d’enseignement :
5
. Rôle des pouvoirs publics
Les autorités publiques peuvent, pour autant qu’elles n’hypothèquent pas la spécificité des projets éducatifs, imposer des conditions d’agrément et de financement raisonnablement fondées et proportionnelles à l’objet et aux conséquences des mesures ainsi imposées. Elles peuvent, par exemple, édicter des normes de qualité, d’hygiène, etc. Elles doivent soutenir la responsabilité des organisateurs de l’enseignement tout en veillant à l’intérêt collectif. Elles reconnaissent la liberté de choix des parents en organisant l’enseignement dans le respect des conceptions philosophiques, religieuses et pédagogiques des parents et des élèves ; elles mettent en œuvre une politique de choix scolaire excluant toute discrimination, notamment financière.
6.
Participation et responsabilité La liberté d’enseignement empêche que l’État exerce une faculté d’endoctrinement à travers l’éducation. Elle confère aussi aux citoyens et aux organisations non gouvernementales la capacité de participer concrètement à la responsabilité de l’enseignement et de la formation.
7.
Pluralisme éducatif et qualité de l’enseignement
Dans une société pluraliste et participative, la liberté d’enseignement permet l’engagement et l’implication de tous les acteurs de l’éducation ainsi que l’émergence d’un véritable pluralisme de propositions pédagogiques. Elle favorise ainsi la compétitivité et la qualité générale de l’enseignement.
8.
Liberté d’enseignement et autres libertés
La liberté d’enseignement est ancrée dans d’autres droits et libertés fondamentaux et peut apporter une contribution majeure au développement d’une société libre en formant les jeunes à une attitude de responsabilité civique et sociale. C’est la société tout entière qui, à terme, bénéficie de ce surcroît de responsabilité.
1 Cf. Préambule et article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme Préambule et art. 26 (ONU 1948), Convention relative aux droits de l’enfant, art. 28 et 29 (ONU 1989), Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 13 (ONU 1966), Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 18 (ONU 1966), Charte des droits fondamentaux, art.14 (Union européenne 2000). 2 Le droit à la liberté de l’enseignement implique l’obligation pour les États membres de rendre possible également sur le plan financier l’exercice pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de leur mission et à l’accomplissement de leurs obligations dans des conditions égales à celles dont bénéficient les établissements publics correspondants, sans discrimination à l’égard des organisateurs, des parents, des élèves ou du personnel; cela ne fait toutefois pas obstacle à ce qu’un certain apport personnel soit réclamé aux élèves des écoles créées par l’initiative privée, cet apport traduisant leur responsabilité propre et visant à conforter leur indépendance. " Résolution du Parlement européen, 16 avril 1984 par. 9. 3 Voir à ce propos par exemple L. FAVOREU et L. PHILIP (2001), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, pp. 342-356 . 4 Experts ayant participé à la rédaction de la présente résolution : P. Avgeri , Avocate, Grèce Tweet |