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Lettre N° 43 - L’AFFAIRE DE LA "LOI FALLOUX"
La décision du Conseil constitutionnel et ses suites Puisque le gouvernement à dû reculer, au mois de janvier 1994, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire de la "loi Falloux", il est admis partout qu’il a eu tort d’engager cette réforme. La démagogie et l’ignorance se sont rejointes pour parvenir à ce résultat, qui fait penser à Kafka : "Vous êtes condamné donc vous êtes coupable !" L’histoire mérite d’être contée. Il s’agira, d’abord, de savoir quel était le problème posé et, ensuite, de connaître la manière selon laquelle il a été résolu. I - Le problème : la révision de la "loi Falloux" La loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement date de la période conservatrice de la IIe République. Elle a été présentée en juin 1849 par M. de Falloux alors ministre de l’Instruction publique. Son article 17 est ainsi rédigé : "La loi reconnaît deux espèces d’écoles primaires et secondaires : les écoles fondées ou entretenues par les communes, les départements ou l’Etat, et qui prennent le nom d’écoles publiques ; les écoles fondées et entretenues par des particuliers ou des associations, et qui prennent le nom d’écoles libres." Parmi d’autres, son article 69 décidait : "Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’État, un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement." Il est certain que le système français de l’enseignement a connu, depuis 1850, des évolutions considérables dans ses structures nationales et locales, dans ses modalités d’exercice et dans son esprit. Les lois Jules Ferry, l’enseignement "laïc, gratuit et obligatoire", ont fait oublier une loi très liée à son époque et qui, disait récemment un commissaire du gouvernement devant le Conseil d’État, "relèverait plus de la compétence de l’archiviste-paléographe que de celle du juriste". Il s’agit des conclusions du commissaire du gouvernement Frydman dans l’affaire jugée par le Conseil d’État le 6 avril 1990, département d’Ille-et-Vilaine (Revue de droit administratif 1990, p. 596 et s.) Il y était montré, à partir de la jurisprudence, que les collectivités locales pouvaient librement verser des subventions aux établissements privés d’enseignement supérieur et d’enseignement secondaire technique. Même l’interdiction du versement de subventions aux écoles primaires, résultant de nombreux arrêts, semblait procéder d’une interprétation erronée de l’article 2 de la loi du 30 octobre 1886, l’une des lois de l’époque Jules Ferry. Pour M. Frydman, l’article 69 n’avait peut-être pas fait l’objet d’une abrogation implicite mais il était devenu "manifestement obsolète", notamment en raison de l’intervention de la loi Debré du 31 décembre 1959, car "il est clair que le volume des subventions accordées à ce titre excédera toujours à lui seul, et par définition, le modeste seuil du dixième des dépenses". Il apparaît donc que ceux qui prétendaient à l’application, en 1990, de l’article 69 et qui assuraient, contrairement au texte de l’article, qu’il ne concernait que les dépenses d’équipement commettaient une erreur. Pourtant le Conseil d’État ne suivit pas son commissaire du gouvernement. Et par une affirmation catégorique qui ne répond à aucune des objections qui avaient été présentées devant lui, il décida que le texte était en vigueur et que le seuil du dixième devait, à propos des "établissements secondaires privés d’enseignement général" (c’est-à-dire qu’il ne concernait pas l’enseignement secondaire technique), être respecté. La proposition de loi discutée au Parlement en juin 1993 et adoptée en décembre de la même année n’avait pas d’autre objet que de revenir à l’analyse qui vient d’être présentée et que le Conseil d’Etat n’avait pas voulu suivre. Elle se situait d’ailleurs dans le cadre strict de deux libertés fondamentales, la liberté de l’enseignement reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 novembre 1977, la libre administration des collectivités locales affirmés par l’article 72 de la Constitution et par la loi de décentralisation du 2 mars 1982, et reconnue par le Conseil constitutionnel dans ses décisions du 23 mai 1979 et 25 février 1982. Il est d’ailleurs probable que si la loi avait été adoptée au cours de la session extraordinaire de juillet 1993 (mais, comme on le sait, le président de la République s’y opposa), elle n’aurait provoqué aucun remous. II - La solution : la décision du Conseil constitutionnel et ses suites. La loi avait été adoptée par l’Assemblée nationale en juin 1993 et la discussion, commencée au Sénat, fut interrompue par la fin de la session ordinaire. Elle reprit devant celui-ci le 14 décembre et fut adoptée le même jour. Que n’a-t-on pas entendu, même dans les rangs de l’actuelle majorité, sur ce "vote à la hussarde"! Quels slogans excessifs ont été promenés dans les rues de Paris lors de la manifestation corporatiste du 16 janvier 1994 ! La loi, déférée au Conseil constitutionnel, donna lieu à la décision du 13 janvier 1994, évidemment présentée comme une victoire par les manifestants. Tous les arguments concernant la prétendue irrégularité de la procédure parlementaire ont été rejetés. Il ne reste rien du "vote à la hussarde", ce qui n’empêche pas, aujourd’hui encore, les organes de presse d’en parler. On dira d’ailleurs que, pour sa propre gloire, le Conseil se devait de rejeter ces moyens car s’il avait annulé la loi sur cette base, on l’aurait vite accusé, de toutes parts, d’avoir lâchement esquivé la difficulté. Et ceci, une fois de plus, montre la relativité du contrôle de constitutionnalité. Sur le fond, divers arguments avaient été invoqués contre la loi. Ils ne sont même pas repris dans la décision : le Parlement abandonne sa compétence au profit des collectivités locales ; la loi enrichit sans motif les propriétaires des bâtiments ; elle porte atteinte à la laïcité de l’État, à la séparation de l’Église et de l’État... Pour les manifestants, la question était pourtant là avec le slogan "École publique, fonds publics. École privée, fonds privés". Un seul article de la loi est déclaré non conforme. Il est vrai que c’était l’article essentiel, celui qui faisait disparaître le seuil du dixième des dépenses annuelles tout en assortissant d’ailleurs cette suppression de conditions précises. Les dispositions essentielles par lesquelles le texte est déclaré inconstitutionnel sont au nombre de deux. On les présentera et on les commentera ci-après : 1° - La loi donnait, en cette matière, trop de pouvoirs aux collectivités locales. Le Conseil reprend d’abord, sur ce point, une formule figurant dans sa décision du 18 janvier 1985 à propos de la loi Chevènement (La Lettre d’Enseignement et Liberté, n° 7, 1er trimestre 1985). Dans cette décision, le Conseil avait annulé une disposition de la loi selon laquelle la conclusion par l’Etat d’un contrat d’association avec un établissement privé était subordonnée à l’accord de la commune intéressée. Or il n’y a aucune comparaison possible entre une loi qui subordonne l’entrée en vigueur d’un contrat passé par l’Etat à l’accord d’une commune et une loi qui attribue une compétence (au demeurant facultative) à toutes les communes à propos de conventions qu’elles doivent conclure elles-mêmes. Le Conseil ajoute que les décisions pourraient ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire du fait de la décision de chaque assemblée locale sans vouloir se rendre compte que, ce faisant, il ignore le principe de libre administration des collectivités locales et fait en quelque sorte prévaloir sur lui un prétendu risque d’atteinte à l’égalité sur ce principe. Or toute sa jurisprudence passée montrait qu’il n’y avait pas de hiérarchie entre les règles constitutionnelles. L’interprétation donnée veut donc dire que les collectivités locales n’auraient plus la liberté d’accorder ou de refuser à quiconque une aide financière. L’absurdité de ces conséquences montre à quel point le raisonnement suivi est faussé. 2° - Une autre atteinte à l’égalité résulterait du fait que la loi ne comporterait pas de garanties suffisantes pour que des établissements privés, se trouvant dans des conditions comparables, bénéficient d’aides identiques. Ou encore pour que des établissements privés se trouvent dans une situation plus favorable que celle des établissements publics. C’était là oublier les conditions strictes prévues par la loi elle-même et les règles générales sur le financement des établissements privés depuis 1959. Si des situations de cet ordre devaient se présenter, elles auraient été condamnées par le juge administratif comme il l’a déjà fait. Or selon une jurisprudence constante du Conseil depuis 1986 (décision 86-207), les risques d’abus dans l’application d’une loi ne peuvent à eux seuls la faire regarder comme contraire à la Constitution. La décision du 13 janvier 1994 a déjà fait l’objet de commentaires critiques dans les revues juridiques. Le Conseil constitutionnel y brûle ce qu’il a adoré et revient, on n’ose dire pour les besoins de la cause, sur des solutions établies qui résultaient de sa propre jurisprudence. La loi a pourtant été publiée, à l’exception de l’article 2 (loi n°14.51 du 21 janvier 1994, J.0., 22 janvier). Le Conseil n’a pas estimé, comme cela lui arrive, que les autres dispositions de la loi étaient "inséparables" de l’article annulé. Il en résulte un certain nombre de conséquences : 1° - L’article 69 de la loi Falloux subsiste, et il subsiste tel que le commissaire du gouvernement du Conseil d’Etat l’avait analysé en 1990, c’est-à-dire avec une interprétation souple du seuil. Il convient seulement de le combiner avec les conditions des articles 3 et 4 de la loi nouvelle (compatibilité, pour l’enseignement secondaire, avec les schémas prévisionnels des formations ; conclusion d’une convention). 2° - L’article 1er de la loi qui est maintenu dispose : "Les collectivités territoriales de la République concourent à la liberté de l’enseignement, dont l’exercice est garanti par l’Etat." Ce "concours" que la loi consacre donc les associe désormais à une reconnaissance qui s’est manifestée par les lois de 1959, 1977 et 1985. Elles ont donc une latitude qui n’existait pas auparavant et qu’il appartiendra aux autorités administratives et aux tribunaux de reconnaître. Tous les Français doivent pouvoir imaginer ce que serait le sort de leurs enfants si les écoles privées ne disposaient d’aucune aide de l’État et des collectivités locales. Ils comprendraient alors que cette aide est un signe de reconnaissance dans tous les sens du mot. Professeur Roland Drago Tweet |