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Lettre N° 103 - La maltraitance pédagogique (3)
Madame de Lessan, adhérente de notre association a réagi, par le texte suivant, à notre circulaire de février. Je continue à penser que Xavier Darcos a, sur des points fondamentaux, tels que l’enseignement de la grammaire ou celui du calcul, pris des décisions allant, heureusement, à contre-courant. Les critiques pertinentes de notre correspondante sur les évaluations et l’enseignement de la lecture me semblent avoir pour origine non pas d’insuffisants efforts du ministre mais la résistance de son administration, contre laquelle, comme l’écrit Marc Le Bris dans Bonheur d’école, il ne disposerait que du soutien de trois conseillers. AP
Habituellement en plein accord avec tout ce que vous dites de notre système éducatif, je me permets de dire que je n’ai pas la même appréciation de l’action de Monsieur Darcos, de ses efforts éclairés et énergiques, au moins en ce qui concerne l’école primaire, là où devraient s’acquérir les bases indispensables à la suite de la scolarité. Il est sûrement énergique mais je pense qu’il voit mal les priorités ou ne peut agir librement, il impose de petites réformes qui n’améliorent rien car elles n’agissent pas là où il faut et de plus sont mal acceptées. Des évaluations multiples n’apportent rien à l’enseignant qui connaît ses élèves, font perdre du temps et ont un coût. Seul un examen (minime) d’entrée en 6ème pourrait motiver les élèves dans leur travail et les parents dans l’accompagnement.
En trente ans la lecture est devenue un problème national majeur et je ne vois rien qui puisse inverser la tendance. L’apprentissage de la lecture reste un problème grave et il est toujours impossible de mettre en cause les méthodes, c’est un sujet tabou et on continue, dans l’indifférence générale de fabriquer des « handicapés » de la lecture. Cela me révolte et, plus encore, le silence qui accompagne la souffrance des jeunes élèves et l’inquiétude de leurs parents. Cette situation est scandaleuse, dramatique dans les quartiers défavorisés où les enfants, souvent d’origine étrangère, ont besoin plus que d’autres d’apprendre avec logique et progressivement les sons de notre langue. Il y a des enfants capables d’excellence partout dans tous les milieux et il faut leur donner la chance d’un bon départ. C’est la meilleure façon de remettre en marche l’ascenseur social en panne depuis longtemps et d’éviter cette nouvelle injustice qu’est la discrimination positive.
Je m’occupe actuellement et une fois de plus d’apprendre vraiment à lire à un de mes petits-fils dont le maître utilise la méthode Ribambelle et qui se trouve évidemment en difficultés. Avec la méthode alphabétique pendant les vacances poursuivie par les parents tous les jours, il est à peu près tiré d’affaire. Les exemples semblables sont nombreux. C’est scandaleux et Monsieur Darcos pense que ce n’est pas un problème de méthode quand un quart des élèves lit mal en 6ème. On fait de la prévention maintenant dans tous les domaines mais pour prévenir l’échec scolaire, rien de sérieux. Il y a depuis cette année le soutien scolaire institué dans toutes les classes, mais c’est trop tard et très peu efficace, rien ne peut remplacer un bon démarrage. Un million d’élèves en soutien scolaire, beaucoup d’autres avec des cours à domicile subventionnés par l’Etat ! Qui voit que c’est tragique ? Qui voit que cela dénonce l’incapacité de l’école à apprendre ? Personne parmi les responsables politiques ! Tout le monde s’en moque, les parents, eux, se taisent, n’osant intervenir, mais ils n’en pensent pas moins.
Je vois bien que mon petit-fils aurait été dans ma classe un très bon élève et nombre de mes élèves qui avaient été annoncés en difficultés en maternelle parce qu’ils ne reconnaissaient pas les mots, se sont révélés être de très bons élèves en CP, ils avaient simplement besoin qu’on leur explique le code. Je n’ai pas besoin de vous convaincre de l’efficacité de la méthode alphabétique. Vous connaissez sûrement le film «Etre et avoir», et vous vous souvenez sans doute de ce petit élève qui doit lire le mot «ami» (trois lettres !) et qui à plusieurs reprises dit «copain», ce qui fait rire tout le monde dans la salle. Malgré les bonnes paroles de Mr de Robien, non suivies d’effets dans les textes officiels, on en est toujours là dans les écoles et Mr Darcos n’a pas l’air ni la volonté de s’en occuper. Savoir bien lire est la première des compétences et elle conditionne l’acquisition de toutes les connaissances et je ne comprends pas que le Ministre ne trouve pas un moyen d’agir à ce niveau.
Les dernières manifestations contre les réformes Darcos qui font entendre l’éternel refrain du manque de moyens montrent que, si on veut vraiment être efficace, il ne faut pas attaquer de front le « mammouth », qu’il ne faut pas contraindre, qu’il faut donc trouver des moyens détournés, avoir un peu d’imagination et faire preuve de liberté d’esprit et de détermination. Je pense, et cela depuis longtemps, qu’il faudrait faire une démonstration de réussite scolaire en créant une petite école dans un quartier défavorisé, une petite école spécialisée dans les apprentissages élémentaires qui prendrait les enfants de 5 à 7 ou 8 ans. Ceux-ci repartiraient dans leur école ensuite. Cette école de statut privé doit être gratuite pour se situer sur le même terrain que l’école publique. La création d’écoles par des parents devient plus fréquente mais ce sont des écoles où la scolarité a un coût qui dépasse les possibilités de nombreux parents. Cela établit une sélection sociale qui fait que ces écoles qui sont une belle réussite ne serviront jamais d’exemples et c’est cet exemple qui peut convaincre.
Vous voulez élargir votre influence, faire grossir votre association, pourquoi ne pas diriger une partie de votre action vers la recherche de mécènes pour la reconstruction de l’école. Le mécénat apporte une aide dans de nombreux domaines, sport, art, santé, pourquoi pas dans la création de petites écoles et au moins d’une pour commencer ? Je ne suis qu’une simple institutrice, je peux enseigner, mettre en œuvre, former des enseignants mais je ne sais à qui m’adresser pour trouver les moyens de le faire, j’ai essayé sans suffisamment de succès.
Développer le mécénat d’entreprise ou de particuliers pour reconstruire l’école, attirer et motiver des mécènes dans ce but, voilà une voie nouvelle, moderne, qui ouvrirait une porte vers la liberté de choix de l’école, qui permettrait une comparaison féconde des méthodes, qui contribuerait à changer l’état d’esprit général et qui serait un beau programme pour une association. Je joins à ma lettre l’appel que j’avais écrit il y a quelques années, je pourrais écrire le même maintenant, rien n’a changé, rien ne s’est amélioré.
Je crois vraiment qu’il faut construire en dehors du système si on est déterminé à le réformer.
Françoise Ansart de Lessan
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