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Lettre N° 72 -APPRENTISSAGE DE LA LECTURE (5)
Ouverture du débat par M. Lucien Israël,
membre de l’Institut En prélude à cette séance consacrée à ce fléau qu’est l’illettrisme je voudrais rappeler quelques vérités de base concernant cet animal étrange, Homo sapiens sapiens. Entre son cousin immédiat le chimpanzé et lui la différence génétique est inférieure à 2 pour 100. Mais dans cette mince différence il y a tout ce qui fait l’homme, la distinction entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid, entre le bien et le mal. Il y a l’interrogation métaphysique, les hommages rendus aux morts, l’imagination et l’anticipation, l’amour et la douleur, la musique symphonique et la mécanique quantique. Comment tout cela a-t-il pu apparaître ? Il y a de toute évidence plusieurs niveaux de réponse à cette question, mais je ne veux retenir ici que le langage, l’existence d’un vocabulaire qui s’est enrichi au fil des millénaires et qui permet d’opérer sur ces métaphores des choses que sont les mots, d’où la pensée, d’où l’abstraction, la précision, d’où la connaissance de soi et la perception de la subjectivité d’autrui, la perception, grâce à la syntaxe, des nuances, des rapports de conditionnalité, d’antériorité, la manipulation conceptuelle du passé et de l’avenir. Et couronnement de tout cela l’écriture et la lecture, qui d’une part transmettent la mémoire des générations, les modèles d’identification, les savoirs accumulés, et qui d’autre part donnent brusquement à la culture une dimension qui jusqu’au néolithique ne pouvait exister. Langage, écriture, lecture, n’ont pas seulement façonné l’espèce. Ils continuent de façonner chaque individu, non seulement en lui permettant de prendre connaissance de lui-même et du monde, mais aussi en jouant un rôle déterminant dans la maturation de son cerveau, dans la création et la facilitation des circuits reliant ses différentes zones. Et tout cela, en outre, pour être fonctionnel doit intervenir dans le très jeune âge. Autrement dit, accepter l’illettrisme, même incomplet, tolérer que la lecture ne soit pas une opération parfaite, automatique, et cela très tôt, c’est accepter de fabriquer des humains inachevés, privés à jamais de l’actualisation de tout leur potentiel, et donc à jamais imparfaits. Il s’agit donc d’un vrai crime. C’est ce que je tenais à préciser en ouverture de ce débat. Intervention de M. Tom Burkard Mesdames et messieurs, bonsoir. Je voudrais remercier M. Israël et M. Pécheul de leur invitation ; j’aimerais aussi féliciter Mme Wettstein-Badour pour son excellent livre Lettre aux parents des futurs illettrés. Je regrette de devoir parler anglais : j’ai étudié le français à l’école pendant trois ans, mais l’enseignement des langues étrangères dans les écoles anglophones est encore plus mauvais que l’enseignement de la lecture dans leur propre langue. Fondateur et secrétaire du Promethean Trust, mon objectif prioritaire est de rechercher les moyens pratiques d’apprendre à des enfants dyslexiques à lire et à écrire. Sur ce sujet on a beaucoup écrit. Ma tâche est de trouver ce qui réussit et ce qui ne réussit pas. Même en Angleterre, où le gouvernement a reconnu la nécessité d’enseigner aux enfants la phonétique, nous sommes loin de tomber d’accord sur la meilleure façon de le faire. Puisque nous travaillons avec des parents et des enseignants, nous avons conscience des problèmes théoriques et des problèmes pratiques. Depuis des années, nous avons essayé nombre d’idées ; nous n’avons gardé que les plus efficaces. Je voudrais aborder deux questions ce soir. Premièrement celle de l’automaticité : grâce à de nombreuses études, nous savons qu’une mauvaise aptitude à reconnaître les lettres est un des plus forts indicateurs de la faiblesse en lecture. Il n’y a pas de doute que tous les mauvais lecteurs sont incapables de traduire vite et bien des lettres en son. Nous sommes les pionniers d’une méthode simple qui répond à ce problème. Ensuite, j’aimerais faire quelques remarques sur la question de la compréhension de ce que l’on lit. Les partisans de l’enseignement systématique de la méthode globale prétendent qu’apprendre aux enfants le code phonétique de leur langue les distrait de la tâche essentielle de comprendre ce qui est imprimé. Les enfants éprouvant les plus grandes difficultés à lire sont presque toujours lents à nommer des objets. Leur système neurologique n’est pas adapté à une traduction aisée et automatique de ce qui stimule l’œil en sons. Cela s’applique également à la désignation des objets, à celle des lettres ou à la traduction des graphismes en phonèmes. Une étude faite en 1998 à l’université de Newcastle montre aussi que les enfants dyslexiques répondent mal aux stimuli dynamiques. Ils trouvent difficile non seulement de traduire en phonèmes, comme l’a montré le travail de Barbara Tallal à l’université de Rutgers, aux Etats-Unis, mais aussi de reconnaître rapidement le graphisme d’une lettre et de le traduire dans son expression vocale. Ils ont de grandes difficultés à composer les sons en mots parce qu’ils les identifient si lentement qu’ils ont oublié le premier avant d’avoir achevé le dernier. Les enseignants sont tellement découragés par ces pauvres capacités que le plus souvent ils incitent de tels élèves à utiliser la méthode globale. Ainsi les enfants qui ont le plus besoin d’un entraînement syllabique sont ceux qui ont le moins de chance de l’avoir. Dans notre travail correcteur, au Promethean Trust, nous avons développé des techniques simples pour surmonter cette difficulté. Nous savons que c’est une difficulté organique, mais nous savons aussi que des exercices systématiques améliorent grandement la performance. Les enfants auxquels nous apportons notre aide diffèrent considérablement entre eux par l’âge, les capacités et le niveau. Le programme d’entraînement peut être pris à n’importe quelle étape, mais, pour plus de clarté, je supposerai ici que l’enfant qui vient nous voir ne sait rien, comme c’est d’ailleurs souvent le cas. En général, nous employons une procédure type pour chaque apprentissage. Par exemple, nous utilisons des flash cards ( des petits cartons comme ceux-ci sur lesquels sont imprimées une ou plusieurs lettres) pour apprendre aux enfants les sons correspondants à une lettre ou à deux lettres formant un seul son (ce que l’on appelle un digramme). L’enseignant prononce le son en montrant la carte et l’enfant le répète. S’il a des difficultés à prononcer correctement, nous lui montrons comment utiliser la langue et les lèvres pour le faire. Selon le degré des difficultés de chaque enfant, nous pouvons apprendre deux à six sons nouveaux chaque semaine. Pendant cinq minutes nous répétons le même son. Si l’enfant ne le reproduit pas correctement en deux secondes, le maître recommence la leçon. Ainsi, nous ne laissons jamais un enfant en difficulté. S’il ne sait pas la réponse, s’il ne réussit pas ce qui lui est demandé, nous le faisons pour lui. Par exemple, si vous enseignez le mot dog, vous direz dog, en prononçant les phonèmes aussi près que possible, mais en laissant un temps entre eux, jusqu’à ce que l’élève soit capable de répéter le mot après vous. Quand l’enfant réussit sans aide, on lui donne la carte qui n’est plus utilisée ce jour-là. Comme dans tous nos programmes, les parents sont formés pour l’emploi des mêmes techniques tous les jours à la maison. Les lettres et les digrammes appris les semaines précédentes sont pratiqués jusqu’à ce que la réponse soit instantanée et automatique. L’enfant est également entraîné à écrire la bonne lettre quand il entend le son. Comme l’exercice prend très peu de temps et comme l’enfant n’est jamais laissé seul devant la difficulté, il prend confiance en la méthode. En même temps l’enfant apprend à former des mots avec les sons. Beaucoup d’enfants ne peuvent faire cela que par petites étapes et il peut être nécessaire de les faire aussi simples qu’il se peut. Souvent nous devons commencer par des exercices oraux, en prononçant des mots courts de la façon la plus fluide - en articulant les consonnes sans le " uh " - et en leur demandant de quel mot il s’agissait. De cette façon ils commencent à saisir le principe du phonème. Dès qu’ils peuvent faire cela, nous commençons à leur faire lire des listes de mots d’une syllabe, avec une orthographe régulière. La première liste comporte uniquement des mots de trois lettres du type CVC (consonne, voyelle, consonne) ; les listes suivantes introduisent des digrammes et des associations de consonnes. Puisqu’il n’y a pas de contexte, les enfants n’ont pas la possibilité de deviner les mots. A ce stade, ils peuvent facilement reconnaître les digrammes anglais avec une prononciation unique, tels que ch, or et ar. Souvent l’enfant sera encore incapable d’associer les sons avec succès, parce que la tâche est encore trop difficile. Dans ce cas nous lui montrons la lettre en la prononçant et, bien sûr, il réussit. Progressivement, nous leur permettons de lire les lettres elles-mêmes. Une fois qu’ils sont capables de le faire sûrement, nous leur fixons des objectifs pour améliorer leur vitesse. Les plus jeunes ont des listes avec six mots par ligne et ils progressent jusqu’à des feuilles avec onze mots par ligne. Ils lisent une ligne à la fois, choisie au hasard pour que l’élève ne puisse pas retenir les mots. Nous les chronométrons et notons les temps. Au début l’enfant peut avoir jusqu’à 60 secondes pour lire chaque ligne, et il peut s’écouler plusieurs semaines avant que toutes les lignes d’une feuille aient été barrées. Ensuite ils ont à lire les mêmes mots en 45 secondes, puis 30, 20 et, finalement 12 secondes. Les listes de mots sont assez longues pour qu’ils ne puissent pas les reconnaître à vue et de nombreux mots ne font pas partie de leur vocabulaire usuel. De cette façon la capacité de l’enfant de passer des lettres aux sons automatiquement est assurée. Au fur et à mesure de leur progression dans le programme la rapidité de leur apprentissage augmente et leur confiance s’accroît énormément. Nous continuons à développer cette technique. Aux stades plus avancés les élèves apprennent à reconnaître des prononciations plus complexes et moins courantes. Il est important que ces exercices soient exécutés chaque jour, pendant 5 à 10 minutes. Dans une situation remise en ordre il est absolument nécessaire d’apprendre aux parents à faire le même exercice avec leurs enfants à la maison puisque nous ne les voyons qu’une fois par semaine. Nous avons constaté que cette technique donne des résultats remarquables et qu’elle peut être utilisée même quand les enfants fréquentent des écoles où ils sont encouragés à identifier des mots entiers au petit bonheur la chance. En même temps nous apprenons aux enfants l’orthographe selon le SRA, méthode développée par Dixon et Englemann aux Etats-Unis. C’est un programme très élaboré d’apprentissage personnel qui montre progressivement aux enfants comment limiter la part du par cœur. En effet une fois que nos élèves ont appris à déchiffrer des mots courts efficacement, c’est l’orthographe qui leur donne la structure morphologique des mots longs. Nous leur montrons comment le mot exceptionnaly se scinde en éléments - appelés morphèmes - ayant un sens propre ex-cept-ion-al-ly. Grâce à cette méthode il est beaucoup plus facile de lire et d’épeler les mots longs. Je crois pouvoir affirmer avec certitude que cette méthode est fréquemment utilisée dans les écoles allemandes. Supposons que nos élèves aient appris à reconnaître les mots imprimés exactement et couramment. Ce n’est pas un mince succès pour des enfants souffrant des troubles neurologiques si bien décrits par Mme Wettstein-Badour, mais cela est parfaitement réalisable pour tous les enfants, à l’exception des plus lourdement handicapés. Maintenant, comment apprenons-nous aux enfants à comprendre ce qu’ils lisent ? Il y a certainement très peu d’intérêt à apprendre aux enfants à déchiffrer s’ils ne peuvent comprendre ce qu’ils lisent. En 1917, Edward Thorndyke publia des recherches montrant que des enfants étaient incapables d’extraire des informations réelles d’un court paragraphe. Or ce paragraphe était dans un style d’une complexité grammaticale telle qu’il ne pouvait avoir été écrit que par un fonctionnaire britannique ; et, de fait, il fût constaté que beaucoup d’adultes ne le comprenaient pas non plus. Néanmoins cela déclencha un mouvement massif pour enseigner la compréhension de la lecture, une véritable quête du Saint-Graal ou de la pierre philosophale. Si seulement l’on pouvait apprendre aux enfants à comprendre ce qu’ils lisent, les maîtres auraient une tâche très facile. Cela pourrait aider les éducateurs à concrétiser l’idéal progressiste de l’enfant apprenant par lui-même et poursuivant ses propres objectifs, dans sa propre voie. Sans exagération des milliers d’études et de projets ont été mis en œuvre pour enseigner la compréhension du texte hors de sa connaissance, et pourtant aucun d’entre eux n’a montré de gain significatif en compréhension, mesuré par les tests classiques. Ces chercheurs semblent ne s’être jamais demandé s’il y avait une différence effective entre compréhension de l’écriture et compréhension de la parole. En 1972, Sticht conduisit une étude sur les recrues de l’armée américaine et trouva une très faible différence entre leur compréhension de ce qu’ils lisaient et de ce qu’ils entendaient. Ces résultats ont été confirmés par trois études postérieures. Les seules exceptions sont celles d’individus avec des aptitudes au déchiffrage faible dont l’attention au texte peut être diminuée par l’effort pour reconnaître les mots. Il en résulte qu’enseigner la compréhension des textes lus est la même chose que d’enseigner la compréhension en elle-même. Et s’il en est ainsi, pourquoi s’encombrer d’un texte imprimé quand l’élève est avec vous dans la classe ? la parole est un moyen de communication plus efficace : à moins que nous ne soyons de très mauvaise humeur, correspondons-nous par écrit avec des gens dans la même pièce que nous ? Quelques chercheurs commencent à comprendre que la compréhension d’un texte dépend presque entièrement de la connaissance antérieure du sujet par le lecteur. Tout texte est écrit avec l’hypothèse que le lecteur dispose déjà d’une large somme d’informations. Même le livre d’enfant le plus simple repose sur cette hypothèse. En écrivant cette contribution, je devais nécessairement supposer que vous connaissiez déjà beaucoup de choses sur la façon d’apprendre à lire aux enfants, sinon ma tâche aurait été insurmontable. Cette théorie procède de la psychologie de Gelstat et de l’idée que nous possédons tous des acquis qui nous font capables de comprendre une nouvelle information. En 1996, Peretti, de l’université de Pittsburg, concluait que " un meilleur niveau de compréhension [...] se développe habituellement à l’accumulation progressive des connaissances ". En d’autres mots, la compréhension de la lecture, pour les enfants qui déchiffrent bien, est inséparable d’un bon enseignement. Et un bon enseignement doit être convenablement organisé, avec des connaissances de base et des mécanismes acquis avant l’introduction de notions plus complexes. Un élément important de cet enseignement sera l’acquisition de nouveaux mots : un texte écrit a, normalement, un vocabulaire plus complexe que celui d’une conversation courante et, passé l’âge de neuf ou dix ans, la plupart des mots nouveaux s’apprennent par la lecture. Les enfants qui ne peuvent lire sans effort ne liront probablement pas plus souvent que le strict nécessaire. Keith Stanovich a comparé cette notion à " l’effet Mathieu " : l’enfant qui sait lire et lit enrichira son stock d’informations et de vocabulaire, alors que celui qui ne sait pas l’appauvrira progressivement. J’aimerais conclure par quelques commentaires sur le nouveau consensus représenté par la National Literacy Strategy en Grande-Bretagne et par l’œuvre de Reid Lyon, l’influent chercheur du National Institute of Child Health and Development aux États-Unis. Selon cette nouvelle orthodoxie, la méthode alphabétique et la méthode globale sont l’une et l’autre nécessaires pour apprendre à lire. En pratique nous devons savoir que des millions d’instituteurs ont été formés à une méthode fausse, la méthode globale ; il ne sera pas facile de leur faire abandonner leurs croyances. Mais, en réalité, cette nouvelle orthodoxie n’est qu’une faible amélioration de la précédente : on apprend aux enfants les sons à partir d’exercices sur la reconnaissance des phonèmes en employant des rythmes et des allitérations pour développer leur connaissance de la structure des mots en phonèmes. Malheureusement cela est inutile si l’on apprend aux enfants à associer les mots de la manière que j’ai indiquée. Notre méthode est encore universelle dans les écoles allemandes et Heinz Wimmer de Salzbourg a montré que la connaissance des phonèmes est une conséquence naturelle de l’enseignement de la lecture par cette méthode. De la même façon toutes les activités liées à la méthode globale : faire deviner aux enfants la suite d’une histoire, les instruire des différents " genre " et de stratégies " comprehensive ", sont une vaste perte de temps pour l’enfant. La conséquence pratique de l’encombrement de l’emploi du temps avec ces activités hors sujet est de distraire le maître de l’objectif simple d’enseigner le b-a-ba à tous les élèves et de leur donner les connaissances suffisantes pour qu’ils puissent apprendre par eux-mêmes. Intervention du Dr Ghislaine Wettstein-Badour Enseignement et Liberté défend la liberté de l’enseignement mais aussi la liberté dans l’enseignement. S’il est indispensable pour les parents de pouvoir choisir une école conforme aux valeurs morales ou religieuses qu’ils souhaitent transmettre à leurs enfants, il ne l’est pas moins de connaître la nature des pédagogies utilisées dans les établissements scolaires pour l’acquisition des savoirs. Parmi ceux-ci l’apprentissage de la lecture constitue un élément clé dans la mesure où il ouvre la porte à toute connaissance et où le choix des méthodes pratiquées a une incidence directe sur la qualité des résultats obtenus. Or, il règne sur cette question cruciale pour l’avenir des enfants une totale désinformation. Enseignement et Libertéa donc décidé de constituer un groupe de travail concernant cette question. Nous avons fait appel à des parents et des enseignants de l’enseignement public et privé. Je remercie tous ceux qui ont eu le courage de s’engager avec nous dans ce combat difficile et tout particulièrement un professeur d’IUFM dont le concours nous a été extrêmement précieux. En ce qui concerne les syndicats, également invités, le sujet ne les a vraisemblablement pas intéressés puisqu’un de leurs représentants, présent à notre première réunion, n’a pas donné suite à sa démarche. Notre groupe de travail est arrivé à des conclusions que je ne développerai pas ici en raison du peu de temps dont nous disposons. Ceux qui le désireront pourront se procurer le rapport qu’Enseignement et Liberté publiera ultérieurement avec toute la bibliographie sur laquelle s’appuie notre étude. J’insisterai ici simplement sur deux points : la désinformation dont sont victimes les parents, et celle qui touche les enseignants eux-mêmes abusés par des notions totalement aberrantes qui leur sont transmises pendant leur formation. Je ne reprendrai pas en détail les chiffres de l’illettrisme mais rappellerai simplement à ce sujet quelques points essentiels. Les media parlent de 10 à 15 pour 100 d’élèves qui entrent en 6ème sans maîtriser l’écrit, ce qui signifie, selon la définition de l’OCDE, lire un texte court et simple en étant capable d’en comprendre l’essentiel. En réalité, 60 pour 100 des élèves se trouvent dans cette situation. Ce chiffre ne sort pas de mon imagination. Lorsque M.Jospin était ministre de l’Éducation nationale, il écrivait dans le rapport annexé à la loi d’orientation de 1987 que " moins d’un élève sur deux arrive au collège avec une maîtrise suffisante de la lecture ". Dix ans après, en 1997 lors du Colloque " Langues et Langage " le directeur de l’Évaluation et de la Prospective du ministère de l’Éducation nationale annonçait à son tour que 62 pour 100 des élèves entrés en 6ème en septembre 1997 ne savaient pas lire : 12 pour 100 d’entre eux ne lisaient rien et 50 pour 100 d’entre eux étaient incapables de comprendre le texte lu. Ce chiffre de 62 pour 100 a évidemment de quoi vous inquiéter en tant que parents. Il doit aussi amener notre association à travailler pour lutter contre la désinformation qui pollue ce sujet, car le drame qui se joue en ce domaine est d’une importance insoupçonnée de l’opinion. Il nous faut agir pour que cesse cette situation inacceptable. C’est sur le plan des causes qui sont à l’origine des difficultés d’apprentissage de l’écrit que la désinformation atteint son apogée à la fois chez les parents et chez les enseignants. Les textes officiels attribuent l’échec en lecture à deux types de phénomènes : les dyslexies-dysphasies et les troubles psycho-affectifs. L’Éducation nationale découvre les notions de dyslexie et de dysphasie en affirmant en même temps qu’en réalité ces anomalies représentent un très petit pourcentage de cas. Sur ce point, je dois dire que je partage cet avis car la véritable dyslexie ne touche que 5 à 8 pour 100 des enfants. Quant à la dysphasie, très anormalement assimilée à la dyslexie, il s’agit, en fait, d’une affection neurologique rare. Quant aux autres enfants, pourquoi sont-ils en échec ? La réponse de l’Éducation nationale à cette question est simple : ils sont victimes de troubles psycho-affectifs. Mais qui donc en est responsable ? Mais bien évidemment vous, parents ! Si vos enfants ne savent pas lire c’est parce que vous êtes vous-mêmes perturbés. Vous devez vous en convaincre. Au cas où vous ne seriez pas en cause, c’est alors la société qui est à l’origine de ce désastre. Le plus récent rapport publié sur cette question, le rapport Ringard - c’est le nom de son signataire - fait état de ces deux types de causes mais à aucun moment, ni dans ce texte ni dans les précédents, vous ne voyez figurer la moindre interrogation sur le rôle des méthodes dans l’apprentissage de la lecture. Ou bien l’Éducation nationale médicalise le problème, ou elle se décharge totalement de ses responsabilités sur les parents et la société. Vous, parents et grands-parents, vous ne pouvez accepter de telles affirmations. Vous voulez aborder le problème des choix pédagogiques et de leurs conséquences. Si vous posez à l’école des questions à ce sujet vous entendez tous les mêmes réponses qui peuvent se résumer à ceci : " Quel est ce langage ? Le débat sur les méthodes n’existe plus. C’est un problème dépassé. Toutes les méthodes se valent, seule compte la manière dont elles sont appliquées. D’ailleurs, votre question n’a plus lieu d’être ; les méthodes globales ne sont plus utilisées. Quant aux semi-globales, elles sont en fait transformées en méthodes alphabétiques. Vous n’avez donc aucune raison de vous inquiéter, faites confiance aux enseignants et tout s’arrangera ". Il nous faut reprendre ces quelques points car ils constituent le cœur du débat. Dire que toute les méthodes se valent est une affirmation totalement mensongère. La raison en est simple : il est des méthodes qui correspondent à la manière dont le cerveau est capable d’apprendre à lire et d’autres qui contrarient son fonctionnement au point de lui faire commettre de très nombreuses erreurs. Quels sont les éléments qui conduisent à une telle affirmation ? Les avancées scientifiques de ces vingt dernières années ainsi que les conclusions des travaux effectués avec les nouveaux modes d’exploration du cerveau (IRM.f) permettent de comprendre comment un cerveau lit et apprend à lire. Nous sommes encore loin de tout expliquer - et sans doute n’y parviendrons-nous jamais - mais les éléments dont nous disposons, admis par l’ensemble de la communauté scientifique internationale, nous apportent un certain nombre de certitudes dont je reprendrai ici les points les plus importants. Nous savons que le cerveau est incapable de considérer le mot comme une image. Il doit, pour comprendre la lecture, connaître le code qui unit les sons du langage oral aux signes qui les représentent et n’assimile jamais le mot à un ensemble. Il opère par une succession de mécanismes d’analyse et de synthèse qui vont du plus simple vers le plus complexe. C’est en associant le souvenir des unités sonores et graphiques de la langue que le cerveau parvient à trouver un sens à l’écrit. Il part des lettres et groupes de lettres pour passer au mot, à la phrase et enfin au texte. Cette méthode de travail ne ressemble en rien au traitement de l’image qui est, lui, de nature globale. Nous ne pouvons ici nous lancer dans le débat qui compare la lecture des mots des langues phonogrammiques comme le français à celle d’idéogrammes. Disons simplement qu’il n’y a pas de cerveaux pour Européens et d’autres pour Asiatiques et qu’il est possible de prouver aujourd’hui que la lecture des idéogrammes est, elle aussi, de nature analytique ! Ce passage par la connaissance du code de correspondance entre les sons et les signes graphiques est une étape obligée de la lecture qui devra intervenir quelle que soit la pédagogie proposée. Le moyen utilisé depuis qu’existe l’écriture, né du bon sens, consiste à fournir ce code à l’enfant. C’est ce que font les méthodes alphabétiques. Presque tous les enfants peuvent apprendre à lire avec ces méthodes. Les grands dyslexiques y parviennent également mais plus lentement. Des statistiques faites aux Etats-Unis, en Angleterre et en France montrent que les résultats de ces pédagogies sont excellents. De nouveaux modes d’apprentissage, les méthodes globales ou semi-globales, se sont implantés dans l’ensemble de la France dans les années 1958-1959. Leur démarche pédagogique est totalement opposée à celle des méthodes alphabétiques : en partant de phrases qui lui sont lues l’enfant doit découvrir seul le sens de l’écrit sans qu’on lui fournisse le code unissant sons et graphismes. Leurs promoteurs partent du principe que le mot est une image, qu’il est mémorisé dans son ensemble et reconnu ensuite quand il est rencontré à nouveau. Ils pensent que l’enfant fera ainsi l’économie du déchiffrage et accédera directement au " sens du texte ". Ceci étant neurologiquement impossible, le cerveau va devoir deviner seul ce code en faisant coïncider ce qu’il voit avec ce qu’il entend. Cette opération très complexe se réalise correctement dans la moitié des cas. Y parviennent les enfants qui savent bien identifier les sons de leur langue. M. Burkard vous a parlé tout à l’heure de l’importance de la reconnaissance des unités sonores élémentaires du langage oral : les phonèmes. Il s’agit là en effet d’un temps essentiel dans la lecture. La capacité de discrimination des phonèmes permet d’isoler les sons dans le discours oral. Normalement un enfant y parvient rapidement mais cependant 50 pour 100 environ des élèves de CP ne peuvent différencier des sons très proches comme, par exemple, " f " et " v ", " s " et " z ". Seuls réussiront avec les méthodes globales et semi-globales les enfants qui seront capables d’isoler parfaitement tous les sons les uns des autres. Mais ceci ne suffit pas. Il faut aussi qu’ils puissent différencier les lettres c’est-à-dire reconnaître leur forme et leur orientation dans la ligne graphique à lire. Prenons un exemple : après avoir vu écrit plusieurs fois le mot " pipe " et l’avoir entendu prononcer, l’enfant comprendra qu’il entend deux fois dans ce mot le son " p ". Il en déduira qu’il y doit y avoir un signe identique qui se retrouve également deux fois dans le mot écrit. Le " p " répond à cette exigence. Il aura alors appris à lire " p ". Il devra procéder ainsi pour tous les phonèmes et graphèmes pour apprendre à lire. Vous imaginez sans peine ce qui peut se passer lorsqu’un enfant n’a pas de bonnes capacités de discrimination auditive ou lorsque qu’il présente des difficultés pour reconnaître les formes ou pour les orienter dans l’espace. Il commettra alors de multiples erreurs entre les lettres dont le son est proche (" b/d ", " f/v ", " s/z ") ou celles dont il percevra mal l’orientation des boucles par rapport aux lignes (par exemple les lettres symétriques dans l’espace : " b/d/p/q ", " n/u"). Ces difficultés peuvent d’ailleurs se cumuler. Toutes ces confusions conduiront à l’échec en lecture. Je n’aime pas employer dans ce cas le terme de dyslexie car il ne s’agit pas, en fait, d’une dyslexie constitutionnelle mais d’une difficulté d’apprentissage de la lecture créée par la méthode employée chez des sujets qui avaient au départ quelques difficultés qu’on aurait très bien pu faire disparaître si on leur avait proposé des exercices de discrimination auditive, de reconnaissance des formes et d’orientation spatiale avec un apprentissage de type alphabétique. Par contre, en laissant ces enfants découvrir seuls la correspondance entre sons et graphèmes, il était neurologiquement impossible d’éviter l’échec pour la moitié d’entre eux. Quant à ceux qui parviennent cependant à lire " malgré ces méthodes ", il faut signaler que la grande majorité d’entre eux deviendront de grands dysorthographiques. Comment, en effet, réussir en ce domaine lorsqu’on ignore les plus élémentaires règles du montage des mots et lorsqu’on ne parvient pas à automatiser les mécanismes de base de l’écrit ? On peut, bien évidemment, se demander si cette situation dramatique va persister. On peut répondre oui à cette question, sans aucune hésitation. Depuis quelques années, s’implante une nouvelle méthode d’apprentissage de la lecture : " la lecture par hypothèses ". Cette pédagogie a de quoi faire frémir ! Jusqu’à présent, on souhaitait que les enfants lisent ce qui était réellement écrit dans le texte. Désormais, l’enfant - qui n’est plus un élève mais " un apprenant " - doit " faire des hypothèses de sens " et " construire " lui-même " le sens du texte " à partir des indices qu’on lui fournit ou qu’il découvre. Les hypothèses n’ont pas besoin d’être exactes pour être retenues. Peu importe ce que l’auteur a voulu dire. Seule compte la signification que l’enfant attribue au texte. On mesure là toute la perversité de cette approche qui gagne de plus en plus de classes et s’implante maintenant dans les grandes sections de maternelles où l’enfant doit être, selon la formule consacrée, " immergé dans un bain de lecture ". Ainsi, quand les enfants arriveront en CP, non seulement leurs difficultés de discrimination sonore, de reconnaissance des formes et d’orientation dans l’espace n’auront pas été corrigées mais, au contraire, elles se trouveront majorées et l’on aura créé les conditions idéales d’un échec en lecture. On ne vous parlera pas, lors de l’inscription de vos enfants en classe, de la " lecture par hypothèses ". On vous affirmera que les méthodes de type global ou semi-global ne sont plus utilisées. Or, elles le sont pourtant dans la presque totalité des écoles mais on les appelle désormais " méthodes naturelles ". Une enquête avait été demandée sur ce sujet par Monsieur Bayrou, au moment où il voulait réformer l’Éducation nationale et pensait pouvoir inciter les enseignants à adopter des méthodes alphabétiques, projet vite abandonné en raison des résistances auxquelles le ministre s’est heurté et dont j’ai pu concrètement mesurer l’importance lors d’une réunion à laquelle j’avais été conviée au ministère ! Cette étude a montré que tous les ouvrages utilisés dans les établissements scolaires publics ou privés sous contrat d’association correspondaient à des méthodes d’inspiration globale ou semi-globale. Or, il faut bien comprendre que ces deux variétés de pédagogies sont aussi dangereuses l’une que l’autre. Beaucoup de maîtres croient cependant minimiser les risques inhérents à la méthode semi-globale en isolant des lettres ou syllabes dans leurs leçons. Ils oublient un élément d’une importance capitale : le graphème qu’ils isolent, après une période plus ou moins longue d’approche purement globale, est noyé lors de chaque leçon dans des ensembles de mots que l’enfant doit décrypter tout seul. Affirmer qu’une méthode semi-globale ne présente pas les risques d’une méthode globale est une désinformation, trop souvent véhiculée par l’opinion publique et par les media, qu’il faut énergiquement combattre. Les enseignants en sont eux-mêmes victimes et je connais des établissements qui croient sincèrement appliquer des méthodes alphabétiques et proposent, en fait, des semi-globales (par exemple le trop célèbre Ratus !). Je ne mets pas en doute leur bonne foi. Tout le drame vient du fait qu’à aucun moment de leur formation les maîtres ne reçoivent les connaissances de base dont ils auraient besoin pour comprendre comment le cerveau apprend à lire. Leurs études incluent uniquement des théories basées sur des hypothèses psychosociales que toutes les neurosciences contemporaines contredisent. Les psychosociologues ont le droit de travailler sur des hypothèses dans leur domaine d’activité. Pour les neurologues une hypothèse n’est retenue que lorsqu’elle a donné lieu à des travaux qui la valident et en font une réalité scientifique. Devant cette situation que pouvons-nous faire, vous parents ou grands-parents, et nous, association ? Informer et agir. Nous devons faire éclater la vérité sur ce drame qui condamne à l’échec la moitié des enfants alors qu’il est possible grâce à des méthodes efficaces de proposer des pédagogies du succès. Nous nous trouvons devant un véritable assassinat intellectuel car - et c’est sur ce point, probablement le plus important, que je terminerai - la manière dont on apprend ne conditionne pas seulement la qualité du savoir mais détermine aussi la surface des aires cérébrales et la structuration des circuits qui les réunissent. Elle agit donc sur l’anatomie du cerveau. Suivant la méthode qui sera utilisée pour apprendre à lire à vos enfants, leur cerveau se modèlera de manière différente. Or, si le cerveau est mal construit, il sera handicapé pour mener à bien un raisonnement et disposer d’une pensée claire et structurée. Tous ensemble nous devons encourager tous ceux qui, comme vous, comme nous, veulent agir pour que cesse enfin ce scandale d’autant plus pernicieux qu’il se développe à bas bruit, en toute impunité, sans que rien aujourd’hui ne vienne le contrecarrer. Débat Lucien Israël. - Je voudrais vous présenter d’abord deux réflexions :
Ghislaine Wettstein-Badour. - Ils ne sauront pas lire, d’abord parce qu’on ne leur apprendra pas. Ils seront donc totalement débordés par le travail scolaire. On peut même dire que ceux qui lisent modérément bien désapprendront peu à peu parce que lorsqu’on lit mal, on ne prend pas goût à la lecture et on lit de moins en moins. Ces élèves se tourneront plutôt vers l’image et perdront vite le peu qu’ils savaient. Jean Proudhon. - Deux questions à Mme Wettstein-Badour :
GWB. - Les partisans des méthodes globales et semi-globales avancent essentiellement comme argument qu’en partant d’une approche globale on place l’enfant qui apprend à lire dans une situation identique à celle qu’il vit chaque jour en appréhendant le monde qui l’entoure. Cet argument n’a aucun sens puisque la neurologie démontre que l’écrit est totalement différent de l’image. Le second argument avancé est que les enfants apprennent à lire plus rapidement avec une méthode globale ou semi-globale et ont directement accès au sens du texte sans passer par le décryptage. Ceci peut sembler exact les premiers jours. En fait, l’enfant ne lit pas mais connaît par cœur le contenu des pages de son livre de lecture. Il existe même des " petits malins " qui réussissent cette performance tout au long de l’année ! Il y a ainsi des enfants qui passent en CE1 sans que personne ne se soit vraiment aperçu qu’ils ne savaient pas lire. J’en ai vu beaucoup dans cette situation. Ils lisaient parfaitement dans leur livre habituel mais, parfois, ils continuaient leur " lecture " en oubliant de tourner les pages ! En réalité, ils récitaient leur livre. Je me souviens d’un enfant de CM2 en grande difficulté, considéré comme limité intellectuellement - alors qu’il avait en fait beaucoup de possibilités - qui m’a déclaré avec une grande tristesse : " vous savez, madame, pourtant, je sais encore mon Ratus par cœur " ! Enfin, dire qu’il est possible d’avoir un accès direct au sens sans passer par le décodage est un non-sens neurologique. L’accès au sens n’est possible que lorsque l’assemblage des graphèmes et des phonèmes est réussi. En ce qui concerne le caractère imposé des méthodes, il faut dire que si, en théorie, les enseignants sont libres de leurs choix, en réalité, il en va tout autrement. Que ce soit dans l’enseignement public ou privé sous contrat d’association, ce sont les inspecteurs qui font la loi. Ils sanctionnent les maîtres qui n’appliquent pas les méthodes qu’ils approuvent. Un enseignant en fin de carrière peut se permettre des libertés. Un jeune maître ne peut pas prendre de risques pour la poursuite de sa carrière. Il s’agit là, en fait, d’une atteinte sournoise à la liberté de choix des enseignants. J’ai personnellement le témoignage de maîtres qui cachent la manière dont ils font la classe. Certains qui utilisent des méthodes alphabétiques me disent : " j’utilise telle méthode mais j’ai des pages différentes toutes prêtes pour le jour où l’inspecteur viendra " ! Michel de Nomazy. -J’appartiens au club informatique de l’association Valentin Haüy qui apprend la lecture et l’écriture aux aveugles. Le Dr Wettstein-Badour est venu voir nos méthodes et nos résultats. Nous leur apprenons, avec l’informatique, la lecture et l’écriture des voyants et non le Braille. GWB. - Cette expérience m’a, en effet, paru extraordinaire car elle permet aux aveugles d’écrire comme vous et moi. Cette démarche va tout à fait dans le sens de ce que nous disions précédemment. Les aveugles lisent et écrivent lettre après lettre, l’ordinateur réunit les lettres ensemble et prononce le mot. La démarche utilisée est parfaitement conforme aux exigences du fonctionnement cérébral et il est particulièrement regrettable que l’Education nationale ignore complètement ce travail et prive ainsi les aveugles d’un enseignement fondamental qui leur permettrait d’accéder au même langage que les voyants. Mme Revéret. -Professeur de français dans l’enseignement public, je ne peux que confirmer le désastre auquel j’assiste tous les jours. C’est vrai qu’il faut avoir beaucoup de courage pour résister devant la pression des inspecteurs. Je connais une maman qui a découvert que son enfant ne savait pas lire en sixième, parce que les maîtres lui avaient demandé de ne jamais le faire lire à voix haute. Pour savoir si un enfant a compris son texte on lui pose une vague question, avec réponse à choix multiple ; s’il a compris qu’il s’agit d’une poule ou d’un canard on est content et on ne lui en demande pas plus. En somme on ne les fait pas lire et on demande aux parents de ne pas les faire lire. GWB. - Je voudrais dire un mot sur la lecture à voix haute. Les consignes données sont effectivement de ne pas oraliser la lecture sous prétexte que l’adulte lit à voix basse. En fait, la neurologie nous apprend que les circuits de la lecture sont faits de telle manière qu’ils se terminent dans les zones motrices du larynx et des cordes vocales. La lecture conduit naturellement à l’oralisation. Pour lire à voix basse, il faut faire intervenir des coupe-circuit. Pour un jeune qui débute, mettre en action un mécanisme d’inhibition pour bloquer un circuit est beaucoup plus difficile que de laisser le phénomène neurologique aller à son terme. M. X. -Je voudrais faire une remarque qui se rattache au fait qu’on ne lit plus à haute voix : dans tous les pays occidentaux, en Angleterre, aux Etats-Unis, en Espagne, comme on ne fait plus réciter, la diction se perd et il devient difficile de comprendre ce qui est dit, aussi bien dans les films qu’à la télévision. GWB. - La diction est d’autant plus importante que pour lire correctement il faut être capable de discriminer tous les sons de sa langue. L’enfant n’y parviendra pas s’il a en face de lui des adultes qui articulent mal. Sophie Carré. -Je suis directrice d’une école primaire et professeur de lettres. Tout ce que vous avez dit du primaire est continué au collège où l’on est obligé de procéder par méthode inductive, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de règles à donner, et cela dans toutes les matières, mathématiques, français...On ne doit plus donner de théorème, de règle ou de loi, mais partir du vécu de l’enfant, et si l’on n’applique pas cette méthode l’on est sanctionné lors des inspections. Ensuite, au lycée, on demande une maîtrise de la langue, une connaissance que les enfants n’ont pas pu acquérir. Mme Y. -Je suis psychologue et j’appartiens à l’Éducation nationale. j’ai apprécié ce qui a été dit à la tribune, mais j’ai quand même été un peu choquée par le fait que l’on n’ait pas abordé la question des conditions de travail de nos enfants et des enseignants. On est dans un monde de désinvolture et les enfants sont détournés de l’école par le confort familial, par les medias. On a à l’école des enfants turbulents, pour qui c’est difficile d’apprendre, d’écouter, d’obéir. Quant à la méthode globale, je ne la connais pas, parce que je ne vois pas d’enseignants qui utilisent cette méthode, il y a longtemps qu’ils y ont renoncé. La méthode globale existe à l’école maternelle, effectivement, où l’on apprend à reconnaître son prénom et le jour de la semaine globalement, mais au CP on apprend le b-a-ba parce que c’est nécessaire. GWB. - Vous êtes une favorisée, madame ! Si votre école peut proposer le b-a-ba, les enfants qui la fréquentent ont beaucoup de chances car vous êtes dans un des rares établissements où cela se pratique encore ! Mme Y. -Je voulais vous dire aussi qu’après l’apprentissage de la lecture les choses se dégradent, parce que les enfants que je côtoie ont des parents qui ne parlent pas français et on est dans une société où on aime la désinvolture, le modernisme, l’à peu près ; on manque de rigueur, on manque de précision et les choses se dégradent ; et je comprends qu’après, en sixième ils ne sachent plus lire, parce que les gens ne lisent plus. Conclusion par Lucien Israël Après ces exposés et ce débat du plus grand intérêt et après mon introduction sur les conséquences individuelles de l’illettrisme, je souhaiterais conclure en mettant l’accent sur ses conséquences sociales. Une culture nationale, au sens anthropologique, suppose la réunion d’un certain nombre d’ingrédients, à savoir :
Tout cela, et particulièrement la langue dans laquelle on communique en permanence avec autrui, est indispensable pour que se constituent
Or il est évident qu’une population d’illettrés ne peut ni atteindre ces objectifs ni même se les donner. Elle est sans racines, sans attaches, sans solidarités, ce qui constitue pour une culture nationale une faiblesse majeure et dangereuse, conduisant aux divisions et à l’éclatement. Il est difficile dans ces conditions d’écarter complètement une hypothèse selon laquelle une telle situation serait voulue par des idéologies prônant la disparition des nations et le multiculturalisme. A mon point de vue la montée de l’illettrisme dans l’enseignement primaire dans notre pays ne saurait être un fait du hasard. The End of illiteracy, parTom Burkard et Lettre aux parents des futurs illettrés par le Docteur Ghislaine Wettstein-Badour peuvent être achetés, au prix de 79 F l’exemplaire, franco, aux Editions de Paris, BP 30107 - 75327 Paris cedex 07 Le droit de choisir l’école, par J.D. Nordmann et A. Fernandez, L’Age d’homme, 160 pages, 120 francs. Voilà un excellent ouvrage à recommander à tous les lecteurs de la Lettre d’Enseignement et Liberté. Ecrit par des spécialistes qui plus est partagent nos idées, ce livre présente une gamme complète des solutions qui s’offrent aux parents dans les différents pays développés pour assurer à leurs enfants la meilleure formation possible. A l’aube d’une année riche en promesses électorales, voilà un " livre ressource " pour interroger les futurs candidats et espérer leur faire prendre enfin des engagements sérieux et cohérents en matière d’éducation. La Fédération internationale pour la défense des valeurs humaines fondamentales attribuera pour la seconde fois les prix FIVA " Non à la violence " Attribués à des personnes, associations ou écoles pour leur action sur le terrain contre la violence scolaire, les prix seront décernés par un jury présidé par M. Pierre-Christian Taittinger, ancien ministre. Les dossiers de candidature devront comporter :
Les dossiers doivent être adressés avant le 10 juillet à : FIVA 36 rue Boileau 75016 Paris Tweet |